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HENRI DE LINTHAUT Commentaire sur le "Trésor des Trésors" de Christofle de Gamon (1610) - 2ème partie



Christofle de Gamon


COMMENTAIRE DE HENRI DE LINTHAUT

SUR LE "TRÉSOR DES TRÉSORS"

DE CHRISTOFLE DE GAMON


1610


(2ème partie)


Surtout il vous faut savoir si vous voulez être opérateur parfait, en quelles opérations il faut imiter Nature, & en quelles non. Autrement je ne vous conseille point de vous
embarquer avec nous. Car ceux qui l’ignorent, viennent à cette table comme
l’âne au souper, sont bannis du Consistoire des Philosophes, & ne recueillent
aucun fruit de leur culture, n’ayants la racine ou leur contemplation entée puisse
fructifier. D’ailleurs soyer, diligents avant que vouloir apprendre à médicamenter les métaux malades & imparfaits, de vous régénérer, vousmêmes, & de puiser cette science de la source de toute sagesse, qui seule la fait découler sur qui bon lui semble. Cherchez-la pour vous baigner en l’admiration des merveilles de Dieu, & des opérations de la Nature, laquelle est son image.

Comme dit Hermès trois fois grand en son cantique. Vous procurerez sa gloire
& non la votre, laquelle est nulle. Ainsi vous commencerez ce voyage afin d’en
rapporter de l’assistance aux nécessiteux, & du soulagement pour les malades.
Car où l’opération, comme dit Libavius, est sans labeur, & l’intention mauvaise,
que personne n’en espère seulement le moindre heureux succès. Il faut aussi que
l’Argonaute soit exempt de témérité & stupidité, qu’il connaisse bien son Pole & les signes des choses, afin que s’il sort, tant soit peu de la vraie route, il puisse
facilement se redresser. Il faut aussi qu’il soit patient, car comme dit le Sage :

toute précipitation est du Diable, & beaucoup ont péris pour l’amour
de leur impatience au milieu de leur course.


Evitez toutes les observations des Etoile, excepté l’Ourse, vous assurant que votre navigation sera bien commencée si votre bateau se désancre sous les vœux & prières pieuses, sans excéder le pouvoir de la Nature, & les sciences ordinaires & légitimes, comme étant aussi la seule prétention de notre Poète, lequel voyant se préparer ; enfiler la haute mer, j’imposerai ici silence.

(a) Mais je vais bien plus loin : la (b) Nature admirable En six
ou sept cent ans fait l’Or tant désirable :
Et (c) mon hardi dessein te veux montrer encore
Que (d) plutôt, & mieux qu’elle, on peut faire de l’Or.
Tu n’iras (e) donc guidé du gain & de lanternes,
Chercher pour l’Or la Mort ès obscures cavernes :
Cavernes que premier, jadis (f) Faune alla voir,
Ignorant ce qu’ici je veux faire savoir.
Car ce qu’un curieux en des périls s’élance,
Quand il procède mal, procède d’ignorance.
Quel plaisir, en portant, vrai Démon souterrain,
Le martel au cerveau, le marteau dans la main,
D’aller cherchant, fouillant, par infertiles peines,
Les profonds intestins des montagnes hautaines ?
Quel plaisir que d’entrer, fuyant les Astres clairs,
Mort de peur dans la Terre, & vif dans l’Enfer ?
Faire une mine triste en ne trouvant la mine,
Et comme les Géants, auteurs de leur ruine,
Renverser les hauts monts, puis enfin supporter ?
Accablé sous le faix, l’ire de Jupiter ?

a) Certes notre Poète entreprend un voyage hardi, long & non sans danger de
rencontrer plusieurs écueils menaçants de naufrage. De fait son entreprise ta est
en rien inférieure à celle du Magnanime Jason & de son compagnon Hercule,
embarqués pour cingler en Colchos, non pour enlever la Toison d’or, mais
apprendre ce divin art de Médée, comme récite Suidas, art si sublime &
magnifique, que l’on y voit comme dans un clair miroir, non seulement
l’université de toutes Créatures, mais l’intérieur de la Nature, son pouvoir, les
effets, son être. Car dans le sujet de cette science est amassé, comme en un
centre, tout ce que nous voyons enclos & épars en la circonférence de ce grand
Monde. Dont n’étant ce sujet de la nature du Ciel ni des Eléments, les
Philosophes l’ont nommé d’un nom particulier, l’Ame, moyenne Nature. Et tout
ainsi que Dieu, seul Archétype de ce Monde, y est partout présent : cette
moyenne Nature est partout le petit Monde du Philosophe, à savoir partout son
sphérique vaisseau. Et comme Dieu est grand, incompréhensible, & infini, ainsi
cette chose semble presque innombrable en la procréation de son semblable, &
peur étendre la durée avec celle du grand Monde. Car alors la vertu générative
sera arrachée d’entre les mains de la Nature par l’exécution de l’édit irrévocable
de l’Eternel, seul auteur de cette admirable science, dont aucuns ont attribué
l’invention à Aros, & Marie Prophétesse, toutefois avec plus d’apparence, à
Hermès Trismégiste. Certes il nous faut monter plus haut, pour chercher la
première source de cette rivière épandant ses veines par tous les corps des
Créatures, qui surmontant en nombre les millions des millions, ne peuvent avoir
été anatomisés en en siècle, mais par ceux qui en ont confirmé beaucoup,
comme Adam, Enoch, Mathusalem, & plusieurs de leurs descendants. C’est cet
Adam créé par la bonté de celui duquel la puissance accomplît la volonté, &
donc la grandeur & la vérité resplendissent de gloire éternelle. C’est lui qui de
cette Sapience immortelle reçut la connaissance de toutes choses, lesquelles plus
elles approchaient l’origine de l’intérieur du possesseur, plus elles lui étaient
familières & domestiques. L’esprit donc de celui sommeillerait, qui croirait que
celui qui n’ignorait la Nature, ses procédures, & le caractère qu’elle empreint
comme un sceau ès choses produites, ignorant la chose même. Nous lisons le
contraire, car le Créateur ayant mis devant ce premier Roi du Monde, tous
animaux à lui assujettis, Adam prononça comme unique Physionomiste, le
courage & magnanimité du Lion, la cruauté du Tigre, la voracité du Loup, la si
vitesse du Cerf, la ruse du Renard, leur imposant à tous leur nom convenable.
Comment donc n’eût-il connu alors le naturel des métaux & le pouvoir auquel
Nature les destinait, pour prévenir les misères dont les Créatures le menaçaient
déjà avec toute sa postérité ? Celui, qui de tous temps, nonobstant la chute de ce
misérable, a conté les cheveux de nos têtes, & a soin des inutiles passereaux,
comme nous a révélé l’Oracle du véritable Apollon, lui aurait-il ôté le soin & le
moyen servant à sa nécessité ? Non certes. Car sitôt qu’il fut banni de l’heureux
séjour du Paradis terrestre, il prévit & prévint de bonne heure, l’incommodité de
la faim & du froid, témoin les états qu’il enseigna à Cain & Abel. Celui qui sut
si naturellement choisir & discerner sa moitié, d’avec les autres animaux, pour la
propagation de son espèce, eut-il failli à l’élection des choses médicinales &
antidotaire ? & dormi en faisant le choix d’entre les minéraux, végétaux, &
animaux, se laissant en cela surmonter par plusieurs bêtes qui connaissent leur
médicament propre ?. Aurait- il, sans être jaloux de sa promogéniture, voulu
céder, comme Esau à Jacob, tous les droits d’icelle à sa race, & ainsi reléguer
cette divine connaissance au temps d’Hermès Trismégiste, ou de Job ? Quelque
apparence nous le pourrait faire croire : oyant parler Job si avant des métaux, &
Hermès poser à cette divine science un fondement si solide, sans qu’aucun de
leurs devanciers, l’ait pratiquée. Mais il ne faut croire que laissant ce Royal
exercice, il ait mieux aimé s’amuser avec Juba à enseigner à chanter, & faire des
fifres & violons, ou avec Tubalcain s’adonner à la forgerie du cuivre & du fer.

Mais quoi ? Ce serait trop d’attribuer tout à ce premier homme & ses plus
proches descendants, il faut préférer cet honneur à cent qui vécurent sur la
déclinaison de la perfection des siècles précédents. Que la raison juge s’il y a de
l’apparence. Quant à moi, quittant ma part de cette dispute, je m’arrête sur ce
que de la connaissance de l’homme intérieur d’Adam, n’étant après sa chute du
tout éteinte, mais seulement troublée en pouvoir (dégât que la continuelle
transgression à fait depuis sortir en effet) procède la théorie & la pratique de
notre Philosophie. De sorte que L’Eternel créant les semences minérales,
végétales & animales avec leur vertu productive en infini, infuse en Adam la
semence très générale de toutes sciences servants à l’usage ce triple Embryon,
dont la connaissance nous embaume & abreuve d’un Nectar & d’une Ambroisie, sentant les grandeurs & merveilles de Dieu & de la Nature. Grand est donc, & plein de majesté le sujet pourquoi notre Poète nous va mener si loin. Car s’il est ainsi que la science est d’autant plus admirable & recommandable que le sujet n’est sublime : cet objet doit de droit tenir le premier lieu après la vraie & sainte Théologie. Car il ne s’acquière sans labeur & danger, pourtant est-il besoin que celui qui se met à la conquête de cette riche Toison, mène avec soi un Hercule
indomptable : car il trouvera à qui parler à la descente de sa barque. En premier
lieu s’opposera à lui un Geryon à trois têtes, lequel dompté, il faudra qu’il passe
sur le ventre à l’hydre, laquelle renaissant résistera toujours. Après se présentera
le cruel Dioméde, marchant à quatre chevaux, lequel dépêché, le conquérant sera
bien heureux, s’il peut surmonter le bèquettement des oiseaux Stymphalides, &
vaincre le Sanglier noircissant, mater le Lyon rugissant, terrasser le Taureau
mugissant, & enfin en chassant, atteindre le Cerf à pieds d’airain, & aux cornes d’or, & attirer, par cautelle le triple portier hors de l’Enfer, afin de librement
arracher le sujet désiré, hors de son temple cristallin.

b) Le Poète voulant mieux faite entendre la grandeur de son entreprise, brave ici
la Nature, lui reprochant la tardiveté dont elle use à la production du Roi des
métaux, œuvre où elle emploie le plus souvent six ou sept cents ans. C’est ce
qu’affirme aussi ce grand Philosophe Isaac Hollandais, disant en son second
livre des œuvres minéraux, Le Mercure venant des mines n’est autre chose
qu’un sperme cru, n’étant assez cuit ès Mine & peut-être devrait encore y être
deux ou trois cents ans avant que se congeler. Et quand il serait du tout congelé,
il y demeurerait encore plusieurs années avant que la matière fut convertie en
pondre, & y étant faudrait que par une longue décoction de la chaleur naturelle,
elle devînt poudre rouge & se fixât, & cela, dit-il peu après, se ferait de l’Or en mille ans, selon que Dieu & Nature opèrent. Dont notre Poète peut bien donner
le long terme qu’il donne, puisque cet auteur en donne même d’avantage à la
Nature en cette opération.

c) Ton dessein est vraiment bien hardi, mon Poète, & du-tout herculéen. Car tu
entreprends non seulement de combattre les monstres susdits, mais oses prendre
les armes contre l’universelle Gigantomachie de ces faux Alchimistes, voire
contre cette fourmillante cohorte de Philosophastres à quatre cornes. Mais
tourne hardiment la telle à ces monstres, & à ces ennemis jurés de la Nature.
Montre-leur combien est grand leur aveuglement, & comme ils se fourvoient de
la vérité des choses, nonobstant tout leur babil, & l’autorité de leurs maîtres.
Traverse les de cet estoc, en dépeignant au vif leur présomption d’oser préférer
la vanité de l’Ecole Péripatéticienne, à celle de la Nature, l’image de Dieu, &
égaler leurs opinions frivoles à déraisons fondées sur l’expérience. Moque-toi
hardiment d’eux, qui laisse captiver sous une impie tyrannie, leur esprit, étant
confinés par le bon plaisir de leurs bourreaux, en des limites, omise ces
misérables pour mourir, n’oseraient franchir !

d) Voici un témoignage que le dessein de notre Poète est hardi comme il dit. Estil
possible de faire de l’Or plutôt & mieux suc à Nature ? Est-il possible à
l’homme de faire une pomme, une herbe, une feuille d’arbre, dit le saint Oracle,
d’ajouter une coudée à sa Stature : & cependant faite l’Or, qui n’est qu’en la
puissance de la Nature ? Ne craint-il point qu’on le virasse maintenant
assommer par un million d’ergos ? Je lui conseille de air branler point pourtant,
puisque la vérité, l’autorité & l’expérience, sont pour le seconder en ce combat.
Voici donc la vérité & l’expérience par le témoignage de deux graves
personnages, dont le premier est Francisques Pincus Mirandole, en son troisième
livre chapitre second, & l’autre Roberta Valens en son livre de l’antiquité &
vérité de l’art chimique. Depuis peu d’années, dit ledit Mirandole, est
décédé Nicolas Mirandole Prêtre, connu par nous, vieillard, de
l’ordre des frères mineurs, homme de bonne vie. Celui-ci selon le
témoignage de plusieurs, du Cuivre a fait de l’argent & quelque peu
d’or. Et celui est encore plein de vie, lequel a vu faire de l’or au dit
Frère en Jérusalem. Ledit Pincus dit encore : Il y a eu un Prêtre
Apollonien, homme de bon renom de l’ordre des Prédicateurs, qui n’a
craint d’affirmer qu’il savait vingt & quatre moyens infaillibles par
lesquels il faisait de l’Or, & étaient écrits en un Temple public à Rome
ces mots, AURI EX PLUMBO COLLECTORI. Un tel a été vu depuis peu
de temps à Venise, lequel par une certaine poudre, n’excédant la
quantité de d’un grain de poivre, à transmué une assez grande
quantité de vif argent en Or. Et un de mes sujets a converti une once
d’argent-vif en argent, par la quantité d’une chose ne pesant qu’un
grain, & cela en la présence de trois témoins : dont parlant à un
d’eux, j’ai ouï dire qu’il avait diligemment pris garde à la projection
& conversion, & que la médecine était de couleur de cendres. Il y a un personnage encore en vie, & de mes amis, qui en ma présence a fait de l’Or & de l’Argent plus de soixante fois par les choses métalliques, & n’y est parvenu par un moyen seulement, mais par plusieurs. J’ai vu une eau métallique engendrant de soi-même de l’Or & de l’Argent, sans y ajouter Or ni Argent, ni Soufre, ni Mercure. J’ai encore vu tirer de l’Argent du Cuivre par la force d’une certaine eau. Il y en a un qui tire quand il lui plait, de l’Or pur de ses petits fourneaux, & le vend publiquement pour fort bon Or : & celui-ci est assez est bien
monnayé. Il y a aussi un certain personnage vivant, lequel j’ai vu tirer
de l’Or, & de l’Argent du Cuivre par le suc d’une certaine plante, et
s’est si bien mis à son aise qu’il marche & se maintient à l’égal d’un
gentilhomme bien renté. Un autre transmuait l’Agent vif en Argent,
qui contenait aussi de l’Or. J’ai vu tirer du Cinabre tantôt de l’Or,
tantôt de l’Argent, sans toutefois y ajouter aucun d’iceux : & ai vu de
l’huile du Cinabre par une simple administration, se produire Or &
Argent, toutefois en petite quantité. J’ai aussi souvent vu transformer
le Mercure du Plomb & du Cuivre en bon Or & Argent. J’ai manié de mes mains & vu de mes propres yeux, l’Or, lequel en ma présence
avait été fait l’Argent en l’espace d’environ trois heures, sans changer
l’Argent en Eau ou en Mercure. Celui qui délirera plus de l’expérience
prouvée par ces Auteur, lise leurs œuvres, & il trouvera de quoi se contenter.
Arnold de Villeneuve atteste par sa foi sainte d’avoir fait, vu & tâté la Pierre. De
même en disent Thomas d’Aquin, le Comte Bernard, Arnol, Guillaume le
spéculateur témoigne qu’il a abandonné à Rome des verges ou lingots d’Or faits
par lui à toute preuve. De même jurent & protestent les disciples de Paracelse de
leur maître. Et Isaac Hollandais maître dudit Paracelse affirme d’avoir fait la
Pierre par divers œuvres. Rhungius, illustre Chimiste, écrit d’avoir vu l’argent
chimique : Batiste Porte, Jérôme Rubeus, Dornésius & George Ripley Anglais
certifient d’avoir vu l’argent fait des deux Cinabres. De même le Sieur du Chêne
docte Médecin, Jean des Vogelins, Penot, Henry Conrad, & autres innombrables
affirment tous d’une voix, la vérité de l’art de faire de l’Or comme dit notre
Poète. Libavius écrit qu’il a fait l’Azoth, & dit n’avoir passé outre, mais j’en
laisse le jugement aux enfants de la science. Pour moi, je crois qu’encore qu’il
n’ait passé outre pour lors, qu’il ne s’est depuis arrêté en si beau chemin, en
sorte que le Philosophe dit, Qui fait notre Cuivre, sait tout bien qu’il ne
sache le reste. Car il n’eût su faire l’Azoth sans faire le cuivre des
Philosophes. Cayer nous raconte en son histoire de la paix, qu’il y a aujourd’hui
un disciple die Paracelse Allemand, lequel a atteint la perfection de l’œuvre, &
se nomme Hulsterburen, lequel pour avoir mal ménagé sa science & sa liberté
est tombé sous la puissance de l’Empereur. Moi-même ai vu, témoin plusieurs
que je pourrai nommer en cet endroit, tirer de l’Or & de l’Argent d’une certaine
eau minérale, sans y avoir ajouté de l’Or ni de l’Argente : j’ai encore vu
transmuer le Cinabre artificiel en Argent : & changer le fer en cuivre en moins
de trois heures. Ce qui, moyennant l’entrée que j’avais en cette science, par la
Théorique, m’a fait confesser l’art être véritable, lequel j’avais inconsidérément
blâmé, comme les autres, en mon introduction en 1a Physique judiciaire. Venons
maintenant à l’autorité dont Agricola, quoiqu’il n’affectionne guère l’Alchimie,
est contraint d’alléguer les auteurs illustres de cette Royale science, en la
présentation des choses métalliques. Je m’étonne, dit-il, qu’il y a de tous
temps eu tant d’Alchimistes qui ont composé l’art de changer un métal
en l’autre. Herrmolaus Barbarus, orné de tout genre de doctrine, en a
produit plusieurs par leur nom. Mais moi, dit-il, vous en nommerai
plusieurs, & sont Osthares ; Hermès Trismégiste, Chanes, Rosin,
Alexandrinus, Démocritus, Orus, Chrisérichius, Lebichius, Comerius,
Ioannes, Apuleius, Petasius, Pelagius, Africaus, Théophile, Synésius,
Etienne écrivaint à l’Empereur Héracle, & Heliodore à Théodose,
Geber, Callides, Rhacaidibus, Veradian, Rhodian, Canides, Merlin,
Raymonf Lukke, Arnauld de Villeneuve, Augustin, Panthee Vénitien,.
Trois femmes illustres en ont aussi traité, & sont Cléopatre, la vierge
Taphuntia, & Marie Prophétesse. Tous ces Alchimistes ont usurpé une
oraison absolue, excepté Ioh & Aurele Augurele Ariminense, qui ont
compris leurs paroles sous des vers.

Ce sont ici les parole, d’Agrigola lequel nonobstant tant d’autorités pur luimême
alléguées, ne laisse d’opugner la vérité & l’expérience, avec l’aboyante
troupe des zoïles & Satyres cornus’. Mais y a-t-il chose plus sotte & inique que haïr ce qu’on ignore ? Prenez que la chose doive être haïe, y a-t-il cependant rien
plus abject & vilain que condamner une science en laquelle on n’a seulement
entendu la moindre maxime, ni connu la Nature & son pouvoir, moins les
propriétés occultes des métaux. Mais comment comprendraient-ils ce qui est
hors d’eux, qui ne sentent ni ne savent ce qu’en moins de vingt quatre heures la
Nature opère en eux mêmes, transmutant herbes, plantes & tous fruits &
animaux mangeables en leur sang, & substance totale ? Au reste, que ceux qui
nient l’Alchimie être une science véritable, lisent la défense d’Alchimie de
Libavius, auquel je les recommande. Et pour conclure cette partie, voyons
comment l’art peut faire de l’Or. Il faut connaître devant tout, qu’il y a trois
causes effectrices, qui sont le commencement, le milieu & la fin de toutes
choses, lesquelles elles tiennent toutes enfermées en elles, & sont Dieu, Nature
& l’Art. Triangle divin, dont Dieu dit Nature fait & l’Art imite. Ainsi Nature
commandée par la cause première, produit tous les jours des choses nouvelles,
dont l’art imprimant en soi par la conception la similitude des choses produit
d’une façon admirable la trace & les linéaments de la Nature : de sorte que si
l’entendement de l’homme n’était quelquefois opilé, vous diriez que la Nature
est défaillante en ses opérations. Car l’art s’aidant de la Nature la corrige,
surmonte, & supplée au défaut d’icelle, principalement en cette sacrée
Philosophie naturelle & opérative, la conjoignant en cela à la médecine, qui ne
nous peut montrer la vérité de ce qu’elle enseigne que par l’expérience. Car par
exemple ladite Médecine certifie que la Rhubarbe purge la colère, on n’en peut
rien croire, sinon que l’ayant baillée à un malade, la santé s’en ensuive, par la
distraction de l’humeur. Ainsi dirons nous, que si l’expérience montre que par la
fumée du plomb ou soufre des sels le Mercure s’endurcit & congèle, & le fer est changé en Cuivre par le vitriol, le cinabre converti en agent par la fumée de
l’argent, l’on peut préparer une médecine très parfaite & homogène aux métaux,
par laquelle nous puissions parfaitement arrêter l’Argent-vif, & parfaire les
imparfaits métaux, vu que les composés minéraux congèlent l’Argent-vif, & le
réduisent à leur naturel. Si l’Argent corporel, encore imparfait, parfait une
mixtion imparfaite & illégitime, pourquoi, rendu parfait, & réduit en Elixir, ne
pourra-t-il guérir les autres métaux imparfaits ? Pareillement le Vitriol Vénérien,
transformant, ou pour mieux dire, tirant de l’occulte de Mars cette affinité qu’il
a avec le cuivre, l’Or, un moral parfait & réduit en médecine, par une exubérante
décoction, moyennant l’administration de l’art, ne pourra-t-il tirer en effet l’Or
que les imparfaits métaux tiennent en pouvoir ? Il appert donc par ces raisons
qu’on peut aussi bien, voire mieux que la Nature, faire de l’Or. Car il est certain,
témoin même Aristote au quatrième des Météores, que tout ce qui fait acte d’un
œil, est œil. Notre Or que nous faisons par notre divin œuvre est semblable au
minéral, & plus parfait, parce que l’art, en purgeant encore l’Or minéral, a par
une double décoction, suppléé au défaut de la Nature, dont il fait aussi mieux
que l’Or minéral l’opération de l’Or. Aussi la préparation que l’art ajoute à celle
de Nature est cause que nous abrégeons le temps en la production de l’Or,
comme nous dirons plus amplement ci-après. Celui qui voudra savoir d’autres
raisons sur ce sujet lise le traité de Roger Bacon, intitulé De l’admirable
puissance de l’art & de la Nature.

e) L’avidité du gain est bien misérable, quand en lieu de trouver de quoi
pourvoir à la nécessité de cette vie, on se jette sans y penser entre les bras de la
Mort précipitée, ou qui pis est, en un mal lequel consumant peu à peu comme
une chandelle fait mourir sans mourir. C’est pourquoi ordinairement ces fourmis
de métallistes sont sujets à une courte haleine, & périssent la plupart minés par
la phtisie, comme dit Agricola en son Berman, ajoutant qu’on trouve en des
mines des Carpates telle femme laquelle a dépêché sept maris en noces réitérées,
lesquels une mort précipitée lui a ravis l’un après l’autre. Ceux-ci en lieu du gain
cherchent vraiment la mort, dont parle notre Poète.

f) Agricola dit en son Berman que Faune était fils de Pincus &neveu de Jupiter,
& qu’il était autrement appelé Mercure par les Grecs. Celui-ci aurait été le
premier qui trouva l’or en Crète. Au reste notre Poète se moque ici plaisamment
des façons de ces misérables métallistes, leur proposant le vrai moyen par lequel
sans danger, & sans peine, ils pourront trouver des mines plus certaines &
fructueuses que celles qu’ils cherchent, la plupart guidés par une boussole
fallacieuse.

Or (a) le Sage imitant la Nature très sage,
Prend de ce qui déjà s’est cuit par son ouvrage,
Et d’un (b) feu non commun sait abréger le temps,
Et mettre en jours ses mois, en semaines ses ans.

a) Le Comte Trévisan dit en son épître responsive sur la transmutation des
métaux, qu’il y a des choses végétales, mais principalement sensitives,
lesquelles la plupart, engendrent leur semblable par la concurrence des deux
semences mixtionnées en la coction du mâle & de la femelle Œuvre naturelle,
que le Philosophe, dit-il, imite en la génération de l’Or. Car l’homme ne saurait
achever les spermes humains, mais peut disposer l’homme à la génération
productive. De même est ce en l’Or, & en la génération du Mercure commun,
dont pour l’indicible proportion de son humidité visqueuse avec sa terre
onctueuse, l’art ne saurait imiter la Nature en cet endroit, ni lui contribuer le
pouvoir productif. C’est pourquoi le docte Libavius dit en son traité de la pierre
Philosophale, que l’art ne peut donner un pouvoir essentiel, mais est contraint de
le prendre de la Nature, non comme elle le détient imparfait en la matrice de la
Terre, mais comme il est pendant mûr & cuit en l’arbre : & en ceci le Sage imite la très sage Nature, comme dit notre Poète, laquelle prend pour faire l’Or, le
Mercure cuit & digéré, & le Soufre fixé par elle.

b) Le feu secret des Philosophes est par eux nommé le Vulcain, par une
comparaison de ce Vulcain, lequel selon Diodore Siculien est le premier
inventeur de mettre l’Or, l’Argent, le Cuivre, le Fer, & tout ce qu’on peut forger
d’iceux, en usage par le feu : dont est advenu que ces hommes de feu lui ont
dédié leurs vœux & sacrifices, & pour son utilité, l’ont nommé Vulcain, ni plus ni moins que cette race idolâtre & Païenne appelait la guerre Mars, parce qu’il
fut le fermier inventeur des armes offensives. Or il y a plusieurs Vulcains ou
feux, comme le feu contre Nature, le feu naturel, le feu non naturel, & le
commun.

Le feu contre Nature est le feu de charbon, lequel essaie par violence la fixation
de l’œuvre, le feu naturel est le feu interne & inné ès choses, le feu non naturel
est appelé ministrant serviteur & externe, qui selon les occasions se fait en
plusieurs manières, comme pour la première préparation de l’œuvre, par le bain
lampe, ou fient, & en la seconde avec des cendres. Le feu commun est le feu de
la flamme ou du bois. Il faut derechef entendre lesdits feux mystiquement,
comme le feu naturel est le Soufre du Soleil & de la Lune. Le feu contre Nature,
est celui contre la nature du Mercure, & est l’eau forte, autrement appelé Dragon
violent, un feu très fort, qui, brûle comme celui d’Enfer, & est le Mercure des
Philosophes lequel ils nomment aussi feu de la géhenne, par la putréfaction
duquel sont resserrées les clôtures que le feu mondain ne saurait donc ouvrir.
Ainsi le Mercure est bain, lampe, fient, & cendres : mais tous ces feux sont
dedans le verre du Philosophe. Il y a encore d’autres appellations des feux
Chimiques, lesquels selon les diverses opérations se sont acquis divers noms,
que je nommerai ici selon la table des feux des Philosophes, représentée par
Libavius en sa Pyrotechnie.

Il y a donc le feu dit des principes, qui est de deux sortes, manifeste,& occulte:
dont chacun se divise en deux parties : savoir le manifeste, en céleste &
élémentaire : l’occulte qui est caché dans les choses naturelles, en instrumental
& principal, l’instrumental est comme le feu de la géhenne, autrement nommé
caustique potentiel, dont la matière étant d’avantage élaborée, passe en clef de
l’art, & en menstrue céleste, accommodé pour la résolution & exaltation: le
principal est à cause de la médecine, afin qu’il soit analogique à l’élément des
Etoiles, & à la chaleur naturelle, comme de ceux qui sont instruits pour le
pouvoir médicinal, qui font quintessences, huiles ignées & célestes, & de ceux qui fabriquent la Pierre, dans lesquels est le feu du Mercure, de la Lune & du
Soleil, & font dits, feu des Philosophes, selon les degrés divers, chaux vive,
rubre, teinture, & élixir rouge, comparé au feu du Soleil, dont est appelé Soufre
vif.

Ainsi, le Philosophe peut par le feu Chimique, abréger le temps de la Nature, par
deux voies, à savoir par la réduction des métaux en leur première matière, & par
le moyen au Ciel ou Tartre des Philosophes (qui sont deux feux instrumentaux)
& ainsi refaite lesdits métaux de nouveau, congelant leur Mercure par le feu
approprié, & introduisant une forme nouvelle, par le moyen du Soufre naturel,
rouge, ou blanc, ce qui se peut faire en fort peu de temps, & l’autre encore
plutôt, comme par la projection de notre divine médecine. Ainsi réduira-t-on,
non seulement les ans de la Nature en mois, les mois en semaines, les semaines
en jours, mais les ans en heures, les heures en minutes, & cela principalement
par le feu approprié susdit, & qui n’est pas commun à tout Philosophe, comme
les autres que nous avons dit. De fait nul des Philosophes n’a mis ce divin agent,
dont il ne se faut émerveiller, si nos devanciers ont failli, ceux d’aujourd’hui
faillent, & failliront ceux qui viendront. Quant à moi si le n’eusse senti ce feu, & vu ses effets, je ne fusse parvenu à ce que je sais. C’est une chose étrange que
nul ou bien peu de Philosophes en a parlé, vu que ce feu par lui même, vrai sujet
de toutes merveilles, & sel sans lequel les esprits ne peuvent pénétrer ni se
joindre radicalement avec les corps. Sans ce feu un corps ne peut entrer dans
l’autre, ni aucune vraie teinture être donnée, comme enseigne Isaac le
Hollandais par cette comparaison prise du second livre de ses œuvres minérales,
où il pose le drap blanc & à teindre au lieu du corps, la rubre au lieu de l’âme, &
l’alun au lieu de l’esprit, ou substance moyenne comme médiateur entre l’âme &
le corps, sans lequel rien ne se fait. Car si l’alun n’entre en l’œuvre, la rubre ne
peut entrer dedans le drap, mais demeure fixe à part, & se perd insensiblement,
dont l’étoffe demeure pâle. Car la couleur de la rubre est l’âme, & l’alun
participe des deux, qui fait (moyennant l’eau qui représente notre feu approprié)
que l’un entre dans l’autres. Lors le teinturier fait bouillir le drap, l’alun, & la
rubre dedans l’eau, & quand il voit sa teinture entrée dans le drap, il le suspend,
afin qu’il se sèche, lors l’eau s’en va & la couleur demeure fixe dedans le drap.
La même procédure faut-il observer, en nos œuvres. Car à moins que nos corps,
esprits, & âmes métalliques soient bien préparés, ils n’entreront en la racine l’un
de l’autre, ni ne demeureront jamais ensemble sans le moyen de ce feu
approprié, sel armoniac ou eau sèche. Que pensent donc faire nous pauvres
Evangélisant Alchimistes, avec tant de fourneaux & de feux fantastiquement
gradués, sinon éclore leurs œufs au vent, & faire une infinité de folles dépenses
? Il leur faudrait pour bien employer leur feu artificiel, un œuf informé par le
sperme du Coq, & ce feu secret, & non commun, comme dit notre Poète. 


Aussi bien que nous l’ayons appelé eau, il n’est pas pourtant eau commune, a savoir
Mercure vulgaire, mais comme dit Geber & Aristote, une eau sèche, laquelle
comme dit Hermès, se tire d’une vilaine & puante matière menstruale, & se
trouve, dit Danthyn, dans les vielles étables, cloaques & garde-robes. Morien en
dit, Notre eau croît dans les monts & vallées. Dont ces fols Alchimistes
croient que c’est le Mercure, mais ils se trompent. Car c’est une eau sèche
donnant ingrès, amassant tous les esprits minéraux, & quand elle a fait quelque
conjonction, soit vivifiant un corps par voie Physique, ou assemblant en la
projection le Mercure congelé, avec la teinture, elle s’en va, les laissant fixés
ensemble. Ce feu, ou eau sèche se trouve en toute chose composée des Eléments
: & si cela n’était, notre science ne serait pas, parce qu’on a à faire de ce feu tant
ès œuvres végétaux, & animaux, que minéraux. C’est pourquoi, si vous voulez
faire sûrement un œuvre grande, une conjonction, fixation ou multiplication, il
vous faut ce feu, ou eau sèche. Dont le susdit Isaac dit, Toutes les œuvres que
j’ai écrites sont bonnes & louables, mais il y a deux choses que je n’ai
pas nommées, à savoir l’esprit, & l’eau sèche, pourtant j’adjure tous
ceux ès mains desquels ce traité pourra tomber, & le pourront
entendre, de cacher ce secret : car sans la connaissance d’icelui tout
art mondain est trompeur & inutile : & ce secret décelé, vous pourrez parfaitement faire tel œuvre qu’il vous plaira, & avec peu de temps & de travail. Nous tiendrons donc ce secret secrètement enfermé au cabinet de Bias, afin de ne troubler le repos des os sacrés de ce grand Philosophe
Hollandais, & n’encourir le courroux de Dieu & des Anges, & la foudroyante excommunication de leu tourbe des Philosophes. C’est assez d’avoir traité de ce feu non commun, lequel entend notre Poète, vers lequel je reprends mon
chemin.

Pour matière il prend donc le Soufre & le Mercure,
De sexe différents, & pareils de nature :
Car un genre tout seul, de soi n’engendre rien,
Et quand Dieu fit le Roi du Monde terrien,
D’une même Nature il forma sa femelle,
Afin qu’il engendrât se joignant à elle.

Il faut ici distinguer la matière reculée & la moyenne d’avec la vraie, comme
nous avons fait ci-devant en la génération du Mercure& des métaux. Certes ce
mot de matière est si fréquent en la bouche de nos Alchimistes, que je m’étonne
qu’elle n’est déjà changée en forme. Tout le monde demande de la matière, le
juriste, le Médecin, l’apothicaire, le tailleur, l’architecte, voire jusqu’au sale
bouvier. Mais tous ceux-ci ont une matière certaine & limitée, excepté le fol
Alchimiste qui n’a jamais assez de matière pour la fomenté d’un million
d’humeurs fantasques, & croit que jamais le rieur Abderite n’eut tant d’atomes
en la tête, que cette matière est multipliée au cerveau des Alchimistes.
Aujourd’hui ils ont choisi un sujet pour matière, demain ils en prendront une
autre, & ainsi cherchant toujours ne trouvent jamais rien. Au contraire le Sage,
ferme en son entreprise, & appuyé sur la Nature, ne peut ni ne veut autre que
l’unique sujet engendrant son semblable, lequel répond à ce qu’il cherche, & est
une chose cuite dedans le ventre de la Terre par une chaleur sulfureuse. Car la
matière de toutes choses n’est qu’une, laquelle opère diverses choses
naturellement, par l’action majeure ou mineure, en brûlant ou ne brûlant point,
& en ceci tous les Philosophes sont d’accord. Penot nomme cette seule matière
L’esprit du Monde, fait corporel, au ventre de la Terre, lequel reçoit en soi
toutes les facultés, soient animales, végétales, ou minérales. Car comme la cire
prend l’impression de toute forme, cette seule matière souffre l’induction de la
propriété de toute chose naturelle. Enfin toutes choses sont venues d’un, &
retournent à un. Ce qu’affirme, Hermès Trismégiste, quand il dit, Tout ainsi
que toutes choses ont été d’un, par la méditation d’un, ainsi toutes
choses sont créer par adaptation de cette seule chose. Cette unité donc
reluisant non en cette science seulement, mais aussi mystiquement en la
création, rédemption, & sanctification de l’homme, nous servira de boussole & d’Etoile de Nord, pour parvenir au havre de salut, & a une béatitude complète.

La première partie en cette science, est celle qui approche plus du naturel
métallique. La matière donc résout en Mercure est la plus proche & première
matière en cet art, puisque tous les métaux se résolvent en Mercure. Mais
voyons si cette seule matière suffira pour engendrer notre œuvre. Le Mercure
tout seul ne saurait rien produire, puisqu’il attend d’être parachevé, & devenir
métal, & quoique les Philosophes le nomment la seule matière, il n’est pourtant
que la terre où nous jetons notre semence, afin qu’elle croisse, fleurisse & porte
fruit, comme le gain du froment, dont il-faut savoir que

C’est un grand secret de pouvoir comprendre que le Mercure est le
menstrue, & le Soufre la semence de nos œuvres.

Ainsi les principes de la Nature sont aussi les principes de l’art. Car comme
vous avez ouï ci-devant, Nature prend pour la génération du Mercure l’humidité
visqueuse & terrestréité soufreuse, qui font la matière reculée, & pour la plus
proche, ledit Mercure maintenant fait, auquel elle ajoute son Soufre, ou vrai
agent : pourtant les Sages comme vrais enfants de la Nature, ont cherché
quelque chose dans les minéraux ; qui contient en soi un Mercure pur & net, & un Soufre pur & incombustible. Et où ces deux étaient ainsi mêlés, comme
n’étant qu’une seule chose selon une proportion due, & congelés tellement
ensemble, qu’ils ne peuvent plus être séparés, mais sont tous deux volatils &
spirituels, ils ont dit que là était le sujet de leur Pierre. Que si les yeux de votre
entendement ne sont bouchés, vous connaîtrez le vrai Soufre & le Mercure, car
je les nomme brièvement, sans circuit ion de paroles, & connaîtrez parce qui est
dit ci-devant, tous les métaux qui croulent dans les mines, & leur nature. Que si
vous ne m’entendez encore, je vous en ferai comme une montre, de chacun à
part, afin que vous ne pensiez que j’aie voulu cacher chose aucune appartenant à
la vraie introduction de cette science. Commençons donc au Mercure, puisque
notre Poète dit qu’il faut prendre le Soufre & le Mercure.
Pour bien entendre le régiment des Mercures, il faut savoir qu’il y en a de deux
sortes, à savoir le Mercure cru, & le Mercure des corps, ou Mercure congelé, qui
sont ceux des six métaux. Le Mercure cru est celui que la Nature a engendré
dans la mine, & lequel les Philosophes nomment l’autruche né dans la Terre, & convient avec l’eau qui ne mouille point les mains. Le Mercure congelé est le
métal même, principalement l’Or, qui n’est qu’un Mercure parfaitement cuit &
élaboré par la Nature. Pour ce le laissant en repos pour un peu de temps, nous
poursuivrons celui qui s’enfuyant, se moque à toutes heures de nos pauvres
Alchimistes, leur jouant le tour de l’Hydre renaissante, dont fâchés ils ont
condamné ce pauvre Mercure, comme inutile à fermenter la pâte moisie de leurs
conceptions, forgeant cet axiome, que le Mercure vulgaire, comment qu’il soit
préparé n’entre point en notre magistère. Cruauté certes très grande de
condamner ainsi ce Messager des dieux, dont pour maintenir le droit, nous
confessons bien que

Le Mercure vulgaire n’est qu’un sperme cru & inutile à la génération.

Mais étant préparé par la main d’un savant artiste, il acquiert non seulement le
nom d’un des Mercures des Philosophes, mais est alors une clef de l’art. C’est
pourquoi nous disons que

Si la préparation du mercure vulgaire eût été connue aux étudiants de
cette science, ils n’eussent eu à faire d’autre Mercure des
Philosophes, eau métallique, ou Ciel, parce que tout cela est compris
en sa préparation.

Si vous vous étonnez de cet axiome, Messieurs les Alchimistes, vous le serez
bien davantage si vous pouviez goûter le fruit de celui qui dit,

Toute chose dont on peut tirer un Mercure, est la matière de la Pierre.

Toutefois il ne faut pas entendre ceci trop crûment, mais considérer que c’est le
plus grand secret de la science universelle, secret que les anciens Philosophes
ont de tous temps caché, excepté Raymond Lulle, qui dit ers son Testament, Le
Mercure vulgaire ne vaut pas une figue pourrie : ce que je dis parce
qu’il vaut beaucoup. Je vous révèle donc le secret des secrets, & notez
diligemment l’axiome allégorique allégué ci-devant, que le Mercure vulgaire est
le menstrue .de la Pierre & le Soufre la forme. Mais ce Soufre n’est pas Soufre
vulgaire, mais !e Mercure parfait. D’où s’ensuit que pour notre divine œuvre, il
les faut tous deux ensembles. Car l’un parfait est froid & humide patient &
féminin. Pourtant désirant la perfection. Mais il faut considérer ici qu’il y a
plusieurs sortes de Mercures vulgaires, dont le pire est celui qu’on trouve dans
les bains, & sous les tas des vieux foins, lequel contient ces herbes putréfiées,
chaudes, sèches, & visqueuses de cette espèce, comme la grande Lunaire,
Chélidoine, Adente, & herbe aux sonnettes, & celui qui s’engendre à la rosée de Mai, des brouets & sèches vapeur de la Terre, depuis le commencement des
jours Caniculaires, jusqu’à la fin de l’Automne, & qu’on voit le soir couler sur la
terre, & éclairer comme chandelles, & scintiller de feu. Celui-ci est si léger,
humide, peu cuit, & d’un Soufre si éloigné du poids, de la siccité, pesanteur,
solidité & décoction de celui des métaux, qu’il ne peut souffrir la moindre
chaleur, qu’il ne laisse séparer son eau, & s’envole avec elle. Mais notre vrai
Mercure vulgaire est composé d’une autre eau plus pesante, & d’une terre ou
Soufre plus cuit, & se trouve dans les veines des hautes montagnes, comme nous
avons montré ci-devant dont le meilleur est celui de levant ou d’Espagne, lequel
nous entendons aussi dire une de nos matières en pouvoir. Voici donc
maintenant tous les Mercures de l’art. Le grand Rosaire nous en baille quatre, le
Mercure préparé, le Mercure exalté, celui de la Magnésie, & l’Azoth, ou
Mercure onctueux : dont trois sont très nécessaires, à savoir le Mercure calcinant
les corps, & est le Mercure préparé, le Mercure sublimant lesdits corps, & celui auquel on ajoute le ferment. Voilà donc le rôle de tous nos Mercures, dont nous
parlerons plus particulièrement en son lieu : concluants que de tous les
Mercures, le Mercure vulgairement vulgaire peut être matière de la Pierre, étant
dûment préparé. Donc nous appelons de l’injuste arrêt des Alchimistes
incompétents, à la Cour souveraine de la Nature, & de l’expérience faite &
autorisées par un nombre infini de Philosophes illustres.

Ainsi qu’il y a beaucoup de Mercures vulgaires, aussi y a-t-il beaucoup de
Soufres. De sorte que comme il y a sept Mercures, un vulgaire, & six des
métaux, il y a aussi sept Soufres principaux, à savoir le vulgaire & six Soufres
métalliques. Celui qui entend bien ceci, que dans les métaux n’est pas le Soufre
vulgaire, mais un métallique, & de la nature du vitriol, saura que le Mercure
vulgaire, préparé comme il faut, & comme nous avons dit pourra résoudre les
métaux, & ainsi ne prendra que la matière mercuriale, pour laquelle il engloutît
toute la substance du métal, regorgeant le Soufre d’icelui, après qu’il l’aura
séparé de la conjonction concentrique qui est faite du Mercure vulgaire & du
corporel. Par ainsi il sera contraint de croire que ce qui se sépare du vif- Argent
après la résolution & la putréfaction, est le Soufre vitriolé & métallique, de la
nature duquel sont les Soufres du vitriol vulgaire, de l’alun, & de toute sorte
d’Attraments, pierres à feu, & marcassites. Mais ceux-ci sont inutiles aux
œuvres des Sages, aussi bien que les Mercures des herbes, des bains, & de la
rosée susmentionnés. Il y a encore d’autres Soufres, comme l’Orpiment,
l’Arsenic rouge, & l’Arsenic blanc, desquels l’artiste peut tirer une moyenne
substance, servant aux œuvres particulières. Mais pour les Soufres, tout le secret
d’iceux consiste au Soufre des métaux desquels nous parlerons autre part.
Le Sage donc, dit notre Poète, prend le Soufre & le Mercure pour le sujet de son
œuvre, lesquels encore qu’ils soient différents en forme ou sexe, ne le sont en
nature, & faut qu’il soit ainsi. Car comme dit le grand Roi Aros, Notre
médecine est faite de deux choses étant d’une essence. Dont il faut
entendre que le Soufre vulgaire n’est point de la nature du Mercure, comme
croient les faux Alchimistes. Car ledit Aros dit, Notre Soufre n’est pas vulgaire,
mais fixe, & ne vole point, & est de la nature Mercurielle. C’est pourquoi Geber dit en sa Somme, Au profond de la nature du Mercure est le Soufre qui
se fait par longue attente ès veines de la Terre. Car Nature n’a autre
matière pour besogner que pure forme Mercuriale, ayant en soi son Soufre
homogène, fixe & incombustible, comme la raison, l’autorité, & l’expérience le montrent .C’est ce qu’affirme Calib, Bendegid, Iesid, & Marie la Juive, quand
ils disent que Nature fait les métaux de chaleur & sècheresse, surmontant la
froideur & moiteur du Mercure en l’altérant. Non pas qu’autre substance le
parfasse, & que de cette manière le Soufre semble différent en genre du
Mercure, il ne l’est qu’autant que l’homme l’est de la femme, lesquels notre
Poète allègue fort à propos, pour dépeindre mieux au vif ses raisons. Car en la
Création, Dieu fit l’homme, & puis la femme, & leur dit, Faites de vos
substances des semblables à vous. Puis dit des autres Créatures, Que
chacune porte son fruit, qu’elle multiplie, & fasse son semblable. C’est
pourquoi aussi Dieu commanda à Noé de mettre en l’Arche de chaque espèce
d’animaux, mâle & femelle selon son genre, & non autrement. Si cela n’était, il n’y aurait point de génération en cet art. Car le Mercure seul n’engendre rien,
mais produit son semblable avec son semblable, auquel seul il se réjouit. Car

La Nature a en sa nature semblable, une opération perpétuelle, non
en une espèce différente, moins en un genre divers.

Donc plus il y a de diversité ès choses, moins il y a d’unité, laquelle toute fois
est requise en notre œuvre, sous deux diverses formes. Ceux donc s’aillent
cacher, qui veulent mêler le Soufre vulgaire avec le Mercure, contre la raison &
la Nature, laquelle ne nous a jamais fait voir l’Argent vif, & le Soufre vulgaire
joints ensemble dans les mines, quoique le travail des fols Alchimistes prétende
les marier ensemble. Car j’en ai connu à Bordeaux lesquels ont tenu ce couple
illégitime trois ans durant au lit nuptial & cristallin, où en lieu d’un enfant
légitime, ils n’ont engendre qu’une poudre bâtarde & un Cinabre, toutefois beau,
mais qui n’était que pour payer le sel qu’avait mangé en un mois l’un d’iceux.
Car il faut savoir qu’ils étaient trois en cette héroïque entreprise, qui
répartissaient entre eux le temps de leur sentinelle, de trois en trois mois, sans
bouger d’auprès du fourneau. Mais ce n’est pas tout. Les petits font des petites
folies, mais les grands des grandes, voire grandissimes, témoins deux que le
respect que je leur dois me défendre nommer ici. La même farce a été jouée un
long temps par un grand Seigneur Allemand, à la Haye en Hollande.
Et n’y a pas longtemps qu’une dame illustre d’extraction & d’esprit, fomentait
cet embryon ou faux germe, auprès du marché noir en la Beauce, usant d’un feu
de flamme un an durant. De sorte qu’elle dîma tellement le bois de son mari,
qu’il semblait que la grande Jument de Gargantua s’y fût promenée. Mais le pis
fut encore qu’elle n’enfanta que du vent.

Le Soufre est sec & chaud, agent, & masculin,
Et l’autre humide, froid, patient féminin.
Ce (a) différent état fait qu’ils donnent naissance,
Car dessus son pareil le pareil n’a puissance.
Si même empire aussi sur l’homme avait le froid
Qu’il a dessus la femme, donc il n’engendrerait.
Le Soufre (b) est ce Lion, ainsi nommé des Sages,
Afin que l’ignorant ignorât leurs langages :
Car si le fier Lion est Roi des animaux,
L’Or au sceptre superbe, est le Roi des métaux.
(c) L’autre est ce grand Dragon à l’échine volante, Qui, colore,
est rempli de poison violent :
Car sentant l’âpre ardeur, il (d) s’envole soudain,
Et (e) tue, en dissolvant, le métal souverain.


a) Il est hors de controverse que la où se doit faire quelque génération la
contrariété est nécessairement requise. Comme pour notre sujet, la sècheresse &
la chaleur du Soufre agissant, & la froideur & humidité du Mercure pâtissant.
Cette contrariété toutefois, est qu’accidentelle ou échangeante. Car ce que l’un
est extérieurement, l’autre l’est intérieurement. De cet état différent, dit le Poète,
procède la génération alléguant la copulation du mâle & de la femelle, qui
doivent toutefois être d’une même espèce. Lors le mâle étend son action sur la
femelle, laquelle la reçoit, & engrossée produit le fruit mûr, & désiré de leur
espèce : car autrement ils n’engendreraient que des monstres. Or pour ce qu’il
n’y a autre femelle pour notre Soufre, que le Mercure imparfait, nous le lui
donnons pour femme, & par conséquent le parfait à l’imparfait, pour mari : &
faut qu’au moins la sécheresse du Soufre excède au quadruple l’humidité du
Mercure, afin qu’il y ait de l’action par cette diversité, vu que, comme dit notre
Poète, le pareil n’a de la puissance sur son pareil. Ainsi donc se fait la
génération de toutes choses. Ce que nos Alchimistes dévoyés ne peuvent
comprendre, en sorte que la tourbe des Philosophes dit clairement qu’il nous
faut imiter la Nature en la conception de l’enfant dans la matrice. Ce sont des
paroles exemptes d’ambiguïté, & cependant comme étourdis & aveuglés, ils
amalgament le Mercure cru avec la Lune, pensant les fixer tous deux ensemble,
sans se donner de garde que tous deux symbolisent en une nature froide, humide
& imparfaite. Encore n’ont-ils l’esprit d’interposer une moyenne nature, & les
marient sans l’aveu & la bénédiction d’Hymen. Mais ils éteindront plutôt le feu
par le feu, qu’ils ne les fixeront ensemble. Quelqu’un peut être me dira, que je
lui montre bien son dévoiement, mais ne le mets point au droit chemin. Or pour
l’y mettre je l’avertirai qu’avant que pouvoir fixer le Mercure avec la Lune on
les rendrait plutôt tous deux volatils. Car la Lune est si froide & humide,
(comme non fixe) que le Mercure la pourrait sublimer avec lui, la tirant de sa
terre. De sorte qu’il ne demeurerait au fond que les fèces de la Lune, dans
lesquels les serait son sel. Notez toutefois ici un secret non vulgaire. Si vous y
ajoutez une plus grande quantité de Mercure cru, & donnez le feu un peu plus
grand, il apportera & vivifiera votre Lune, ne laissant point de sel comme
devant, mais seulement des fèces inutiles. Mais c’est grand cas que l’ignorance
ne peut comprendre ceci, mais veut de deux choses pareilles causer une
génération sans savoir introduire la diversité de sexe dont parle notre Poète.
Observez donc cet arrêt donné par la Nature, & publié par l’expérience, que

Deux choses semblables n’engendrent rien, & ne peuvent être jointes
sans un milieu.

Ce milieu est l’esprit, lequel est chaud & sec, dont étant joint avec ta Lune & le froid & humide Mercure il tempère par sa bénigne chaleur & sécheresse la
froideur & l’humidité de tous les deux Ainsi est-il la seule cause que l’un entre
dans l’autre, & se rend un même corps avec eux, par le moyen de son juste poids
& du bon gouvernement du feu extérieur. Si donc nos pauvres Evangélisant
entendaient bien le fond de ceci, ils n’auraient tant de fâcheuses rencontres, mais
toujours des joyeuses nouvelles : car le bon succès de leurs amalgamations,
fixations & multiplications, voire en des œuvres plus grandes.
b) Nous avons ci-devant baillé le rôle de tous les Soufres, entre lesquels nous
avons rejeté le vulgaire, & les aunes combustibles, comme, l’Arsenic
particulières, puisqu’il a un Soufre quasi semblable à celui de l’Or : Soufre dont
on peut facilement produire une médecine particulière pour guérir les imparfaits
métaux. Mais quant au Soufre, que le Poète nomme ici un Lion, son rugissement
est bien mal aisé à comprendre, sa patte bien difficile à attraper, & sa tanière
bien cachée, quoi que les fois Alchimistes la croient partout. Ce qui les range à
cette croyance est ce que les anciens ont dit, Notre Soufre est en toutes choses.
Mais cette vérité, pour être mal, entendue, leur fait prendre ce faux parti. Car de
même que toute chose déterminée ait en soi sa parfaite médecine, elle n’y est
point préparée, & si l’on la pouvait préparer, il ne faudrait chercher autre
médecine ailleurs, vu que chacun l’aurait en soi pour son usage. Ainsi il ne
pourrait avenir à l’homme aucune maladie, dont il n eût en soi le remède, sil le
pouvait prendre de soi-même, sans détriment de ses parties. De même faut-il
entendre de toute sorte d’animaux & végétaux. Dont pour exemple, dans le
plomb un Soufre, qui préparé, pourrait guérir son propre Mercure, mais ne serait
pourtant Or ni Argent, mais un imparfait métal purifié & préparé, pour recevoir
l’entière santé du vrai Apollon, Lion, ou Soufre grand & universel, lequel aurait,
le pouvoir de donner cette médecine que tout le Monde cherche. Car l’homme
engendre l’homme, le Lion le Lion, & l’Or engendre l’Or, & peut seul parfaire
l’imparfait Mercure. Car il a en soi le vrai Soufre incombustible, & est le Roi
des Trésors des mines, comme le Lion celui des animaux de la Terre, & l’Aigle
des oiseaux de l’air. Mais il ne faut pas penser que l’Or par soi, seul engendre
quelque chose & soit le Soufre dont parle notre Poète, demeurant en sa forme
métallique. Ce serait se tromper lourdement, car il n’est alors Soufre qu’en
pouvoir, mais, dûment altéré, il devient vrai Soufre vif vivifiant les corps morts
& les mûrissant, de sorte qu’il supplée au défaut de la Nature, parce que ce
Soufre est superflu en sa maturité, selon ce qui est parfait en sa nature, &
devient encore plus fructueux étant plus cuit, recuit & dépuré : dont
s’engendrent de lui plusieurs Soufres nobles par exaltation, comme étant réduit
en viscosité, il devient Soufre fixant Mercure. S’il est altéré, il fixe, altère &
s’augmente, & lors est nommé minière ou Soufre multipliant. S’il est refait &
réduit, il multiplie sa vertu multipliante : si incéré, devient le Soufre grand &
vrai Phénix des Soufres. Etant en base de sa putréfaction, il est nommé Soufre
noir. Etant fixé au blanc, Soufre blanc : & au rouge, Soufre rouge. Enfin le
Soufre est le Soleil des Philosophes, & par conséquent trois Soleils. Dont
Avicenne dit qu’on ne trouve un tel Soufre sur la Terre, que celui du Soleil,
lequel est aussi appelé Lion par les Sages, pour ce que la cinquième maison du
Ciel, s’appelle in Lion, participant de ses rares & excellences qualités, dont ils
lui ont donné le nom d’icelui. Il y a encore d’autres Soufres des Philosophes, qui
se préparent par voie manuelle, comme le suc de notre Lunaire, l’Or sublimé en
forme d’Arsenic, de même l’Argent, & enfin toutes les vraies teintures des
métaux sont Soufres.

e) Ils ont appelé le Mercure Dragon à l’échine volante, comme dit notre Poète,
parce qu’il est un venin fort mortel aux métaux. De fait en les touchant il les tue,
principalement l’Or, quand il le dissout. Et cette morsure venimeuse se fait en la
seconde opération de l’œuvre. Non pour ce qu’il entre quelque chose venimeuse
en notre œuvre, comme aucuns pensent, s’arrêtant à la lettre, mais il faut être
soigneux de ne pas passer la propre heure de la naissance de notre Dragon, qui
est la vraie eau Mercurielle, Azoth, ou Lion vert, afin de lui conjoindre son
propre corps, que nous disons levain. Il est aussi venimeux quant à nous, pour ce
que comme le venin n’apporte au corps humain que dommage, si nous faillons
de joindre notre Dragon à son vrai Levain à l’heure déterminée, il n’est qu’un
vrai venin pour le mal qu’il nous apporte.

d) Il ne faut entendre ce voler en la première, opération ni en la seconde, car au
contraire le Mercure ne se doit jamais séparer de l’Or, pourtant nous
administrons le feu petit, de peur que la disjonction se fasse en lieu de la
conjonction, comme l’entendent nos Alchimistes, croyants qu’il soit de besoin
de sublimation en notre divin Magistère. Ils, ne considèrent point que les
Philosophes ont mis à dessein beaucoup d’opérations pour amuser les indignes
de cette science : comme la solution, réduction, distillation, congélation,
évaporation, incération, calcination & sublimation, laquelle ne se fait qu’en
l’incération, dont le Mercure sentant l’extrême chaleur de ce grand Soufre,
s’envole jusqu’à la Lune, (laquelle est la tête Sphérique du vaisseau, laissant
ledit Soufre, noir comme charbon, pourtant dit Soufre mort ou Or mort) mais il
retombe aussitôt sur ledit Soufre mortifié. Ce que voyants les Sages, ils ont
nommé cela leur sublimation, & est une vraie sublimation. Pourtant dit Geber en
la Tourbe, Quand votre Pierre ou œuvre sera bien conjointe &
assemblée, ajoutez y continuellement la sublimation. Ce qui trompe nos
gens, ignorants que cette sublimation ou volée du Dragon se fait en même
vaisseau clos avec les autres opérations susdites, sans jamais y toucher, ainsi
pensant qu’à chacun de ces magistères il faille un vaisseau particulier, & se
montrant à chaque coup, non vrais enfants, mais bâtards de la science. C’est
pourquoi ils ne possèderont aussi l’héritage des Sages.

Voilà donc vraiment la manière certaine :
Plusieurs en la cherchant, trouvent beaucoup de peine,
Ne sachant que c’est l’Or en sperme transformé,
Et l’Argent vif bien pur proprement animé.

Notre Poète met ici pour matière l’Or transformé en sperme, & le Mercure
proprement animé. Ce qu’il faut entendre en deux façons : car il faux animer le
Mercure manuellement & naturellement, & transformer l’Or en sperme de
même façon : vu que demeurant comme il est, il ne saurait être Soufre ni
semence de la Pierre. La première façon consiste en la préparation manuelle
dudit Or, de laquelle Hermès Trismégiste dit, Au commencement ne soyez
paresseux de bien préparer & mondifier votre Soufre & vos autres
ingrédients, les mondifiant & conglutinant subtilement ensemble, afin
que vous vous réjouissiez bientôt. Item Danthen, & Morien disent,
Mêlez bien l’eau avec, sa terre, l’humide avec le sec, afin que bientôt
vous voyez la noirceur de la Mer. Et Isaac Hollandais dit, Mon fils,
quand vous voulez illustrer votre œuvre grande, il faut que vous
connaissiez tous ceux qui sont de son genre, & principalement le père,
la mère, le frère & la sœur dans le lit nuptial, bras contre bras, &
bouche contre bouche, qu’ils mourront incontinent : c’est-à-dire
putréfieront bientôt. Car le père & le frère sont une même chose, à savoir
l’Or, & la mère & la sœur sont le Mercure. Par cette manuelle préparation dont le temps s’accourcit fort, parce que vous subtilisez fort votre matière, de sorte
que Nature n’a qu’à la cuire. D’autre part si vous essencifiez bien votre Or, vous
ne rencontrerez point la terre damnée en la première décoction, mais le Mercure
dissoudra l’Or sans aucune résidence de fèces. Ainsi celui sera maître parfait qui
saura transformer son Or en sperme, avant le jeter dans la matrice du Mercure,
lequel il faut aussi préparer & animer manuellement, avant le joindre avec son
Or ou Argent : Car

Si le mercure n’est préparé & animé, il ne profite rien ni en
l’universel ni en l’œuvre particulier.

Donc avant que passer outre, il faut dire que c’est qu’animation. Animer
manuellement n’est autre chose qu’incorporer le Mercure avec son esprit
métallique, afin de le rendre propre à recevoir l’âme du soleil & de la Lune,
selon qu’il aura été préparé. Au reste cette animation, selon tous les Philosophes,
n’est autre chose que verser une âme dans un corps. Car le Mercure vulgaire,
quoiqu’il soit vivant sous une forme toujours mouvante, n’a pas cette vie qui est
requise, vu que par icelle il ne saurait engendrer. Mais il lui faut une vraie vie,
afin que d’icelle il puisse vivifier le Mercure mort dedans le Sol & la Lune, donc
pour le mener a cette action, notez que

Les Philosophes prennent le Mercure congelé par la Nature, &
l’animent, puis le vivifient par même moyen, & ainsi du binaire se fait
par le tiers le premier cercle des Philosophes.

En cet axiome gît un des plus grands secrets du Monde. Car il montre au doigt
cette tant précieuse préparation & animation du Mercure vulgaire. Et ainsi nous
avons dit que c’est qu’on réduit en sperme & Mercure proprement animé,
comme veut notre Poète selon la premier, façon. Reste à parler de la naturelle
animation du Mercure, & transformation de l’Or en sperme ou en Mercure. Pour
le bien entendre, il faut noter que toute génération se fait d’un corporel & vif,
car les esprits, ni aussi les corps morts n’engendre point. Il faut donc que
l’esprit, ou Or spirituel devienne corporel, le corporel, Or spirituel, & enfin tous
deux ensemble un Or spirituel & vivant. Ce qui se fait en notre secrète,
animation, non à part, mais par une même & mutuelle action, d’autant que
l’animation du Mercure Philosophal est ici la transformation de l’Or en sperme.
Car

L’or résout en Mercure, est esprit, âme, & sperme.

Ce sperme n’est qu’un feu infus dam le Mercure dûment préparé, par lequel il
acquiert une puissance végétative, propre à recevoir la forme de son espèce &
agent, qui est l’âme. Ame laquelle est une essence aérée, ignée ou céleste,
éloignée de la substance terrestre, & néanmoins ledit Mercure ne saurait recevoir
cette âme, sans un moyen qui est l’esprit participant de la matière terrestre & de
la céleste. Il faut donc entendre que de même que notre Mercure Philosophique
soit animé manuellement, il est encore & doit être un corps féminin, froid &
humide, au regard de l’esprit de l’Or, chaud, sec & masculin, comparé au feu & à l’âme divine : laquelle étant si contraire à notre, Mercure ne lui pourrait
donner sa forme sans le moyen de son esprit, que le grand Hermès appelle vent,
quand il dit, Le vent le porte dans son ventre. Et peu après, La Terre est
sa nourrice. Cette terre n’est que notre Mercure Philosophal lequel, comme
n’étant que pur Or spirituel, est seul propre pour concevoir & nourrir cet Or
divin, par le moyen de l’esprit, afin qu’après il nous produise le fils du feu, & ce
Roi tant courtisé des Sages. Notez maintenant qu’à l’heure que cette animation,
fermentation ou conception se fait, notre vraie matière naît par la concurrence
des spermes du mâle & de la femelle, lesquels deux spermes sont nécessaires,
non à part mais mêlés inséparablement. Lors Nature ne saurait faire de cette
mixtion qu’un Or spirituel, vif, & engendrant son semblable, comme étant la
seule fin de cette matière. Adonc cette spermatique union s’appelle première
matière, comme dit est. Car tout ainsi que les semences de l’homme & de la
femme, jointes, Nature besognant sur icelles ne fait que la forme d’un enfant,
ainsi Nature ne peut donner autre forme sur notre matière, sur quoi elle besogne,
que celle de l’Or, à laquelle elle est disposée, n’en pouvant point recevoir
d’autre. Cette glorieuse matière se montre en forme Mercuriale ou eau (que les
Philosophes appellent Mer) laquelle Morien dit n’être qu’Argent-vif exalté par
art sur l’Argent-vif imparfait, disant par là que c’est l’Argent-vif aminé. Il se
pourrait aussi prouver par une infinité de raisons que le Mercure double est notre
vraie matière que Nature nous crée, aidée de notre art.

Je sais (a) qu’il faut couvrir, comme nos Poètes,
Ce céleste secret, d’un tas d’allégories.
Je sais que ce savoir de Nature écolier,
Veut entourer sans bruit, son saint front de laurier.
Maintenant sa grandeur (b) sous un sacré silence,
Et de ses hauts secrets admirer l’excellence.

a) Les anciens Philosophes ont été admirables d’avoir su si dextrement
ombrager la science sous le plaisant voile des fables Poétiques. Car si nous
croyons Empédocle, l’entière pratique de cet art & sa matière, est cachée sous la
fable de Pyrrhe & Deucalion, & particulièrement la préparation du Soufre sous la fuite d’Hercule & d’Anthée. Par la conversion de Jupiter en une pluie d’Or, la distillation de l’Or Philosophal. Par les yeux d’Argus convertis en la queue du
Paon le Soufre changeant de couleur. Sous la fable d’Orphée, la douceur de
notre quintessence & Or Potable. Par la Gorgone empierrant ceux qui la
regardaient ils ont couvert la fixation de l’Elixir. Et caché la sublimation
Philosophale par Jupin converti en Aigle, enlevant & emportant au Ciel
Ganymède. Sous la fiction de l’arbre d’or dont coupant une branche en sortait
une autre, ils ont recelé la distillation de l’Or des Philosophes : qu’ils ont aussi
couverte sous Jupiter coupant les génitoires de son père. Ils ont nommé l’eau
Mercuriale le chariot de Phaéton. Par Minerve armée, ils ont entendu cette eau
distillée, qui a en soi les très subtiles parties du Soufre. Par Vulcain que Minerve
fuit, ils ont caché le Soufre suivant ladite eau, & son sel en la putréfaction. Par
l’épaisse nuée dont Jupiter environnait Io, ils ont entendu la petite peau
paraissant au commencement de la congélation de l’Elixir : & ont dit que les
pellicules noires suivantes sont les voiles noires avec lesquelles Thésée revenait
à Athènes. Sous le déluge & la génération des animaux, ils ont entendu la
génération & distillation des Soufres. Par Mars, notre Soufre, par Junon l’air, & quelquefois l’Elément de la Terre. Sous Vulcain jeté en Lemnos à cause de sa
difformité, ils ont figuré la préparation de notre premier Soufre noir. Sous
Atalante ils ont couvert notre eau Mercurielle, il isnelle & fugitive, de laquelle le
cours est arrêté par les pommes d’or jetées par Hippomène, qui sont nos Soufres
fixant & coagulants. Et ce de quoi Thesée oignit la bouche du Minotaure sont les
espèces des Soufres du Labyrinthe, c’est-à-dire de notre vase engluant notre eau
Mercuriale, laquelle est le vrai Minotaure, pour être minérale, & par ainsi
participant des deux natures.

Voila une partie des fictions des Poètes cachant les points principaux de notre
science. Dont si vous désirez plus ample interprétation, consulter Brachesque en
son Dialogue du Démogorgon, & Geber. Quant aux allégories, métaphores &
énigmes, ils sont sans fin, j’en alléguerai quelques-unes au soulagement des
étudiants en ce divin art. Quand donc les Philosophes disent que l’œuvre de la
Pierre est un jeu d’enfants, & une œuvre de femme, entendez pour la femme la
terre de notre Pierre, ou le Mercure qui semble achever l’œuvre entière, & pour
les enfants les ignorants qui ayants fait la sublimation se jouent avec la Terre,
qui est la base la Pierre, & la jettent là. D’autre part les Philosophes disent qu’on
trouve leur Pierre dans les montagnes & cavernes. Item Ripley Philosophe
Anglais dit en son livre des douze portes que les poissons & les oiseaux, nous
apportent la Pierre. Proposition dont la faute de les entendre a causé cette erreur
de chercher la matière de la Pierre en toute chose. Mais il les faut entendre ainsi,
que comme le Soleil céleste est partout ce Monde universel par ses rayons, de
même notre matière, laquelle est le Soleil terrestre ou l’Or, est partout le
vaisseau, qui est le Monde mineur, les montagnes la tête du verre, & les
cavernes la terre résidant au fond du verre. Les oiseaux sont les couleurs &
esprits montants & descendants, & les poissons les deux Mercures. Ils disent
tout clair. Notre Pierre est en toute chose : & est vrai à savoir ès métaux qui sont
les choses de la Pierre, comme de son genre. Ce qui se peut entendre autrement,
à savoir que la Nature est en toute chose, & pour ce qui elle a en soi tous les
noms, la Nature est tout le Monde, & le sujet du Philosophe. C’est pourquoi la
Pierre a beaucoup de noms, & est en toutes ces choses, mais plus en l’une qu’ en
l’autre, vu que les Philosophes ne demandent que la vertu générative des
métaux, dont ils disent que les riches, qui sont l’Or & l’Argent, & les pauvres, les imparfaits métaux, ont aussi bien cette nature de la Pierre que les autres.
Mais cependant la Nature de l’Or & de l’Argent est plus constante dans le feu
que celle des autres métaux. Les Philosophes aussi cherchent une chose fixe &
permanente qui régisse tout le Monde, comme font le Soleil & la Lune, à raison
de quoi les anciens nommaient, le Soleil, Seigneur du Monde, contenant en soi
la vie, & la vertu pour guérir toutes choses, produisant le jour & la nuit par son mouvement, & illuminant tout le Monde par sa lumière. Pourtant dit le Soleil, Je suis la Pierre, ou, en moi est la Pierre. Ils disent aussi, Faites du mâle & de la femelle un cercle, & le divisez en quadrangle, le quadrangle en triangle, du triangle faites l’unité. Le mâle & la femelle sont l’Or & l’Argent, ou le Soufre & le Mercure des Philosophes, qui est le binaire le cercle est la solution de ces deux en première matière. De sorte qu’ils sont joints
ensemble comme deux gouttes d’eau. Le quadrangle sont les quarte signes qui
paraissent en l’œuvre, le premier au Mercure naturellement animé, le second
audit Mercure congelé en matière noire, le troisième est l’œuvre fixe au blanc, &
le quatrième l’œuvre parachevé au rouge. Le triangle sont les trois couleurs
capitales, qui ce sont en la fermentation & incération, à savoir noir, blanc &
rouge, & l’unité est l’œuvre multipliée & incérée. Voila les points principaux
des énigmes, métaphores & allégories. Donc vous en expliquerons d’autres
selon que notre Poète nous en donnera le sujet en la suite de son ouvrage.
b) Le Poète dit que toutes ces allégories & fictions ont été introduites pour serrer
ce sacré secret sous la clef du silence. Pour ce aussi Platon a enterré ces
préceptes sous la lame des figures reculées & mathématiques, témoin son épître
de la nature du premier Ens, adressé Denis Sicilien. Il faut, dit-il, écrire par
ambages & énigmes : afin que si l’on était contraint d’abandonner le
livre à la Terre ose à la Mer, celui qui le lirait ne l’entendrait point.
C’est pourquoi les Poètes ont donné lieux tant de fables afin de resserrer le doux
Nectar des Philosophes sous l’écorce extérieure de leurs fictions, & le garder
d’être englouti par la tourbe ignoble des ignorants. Pythagore n’en a pas été
moins soigneux : car quand il recevait quelqu’un en son école, il lui donnait
pour premier précepte, de ne divulguer au vulgaire ce qui se traitait en son école.
Pour ce il imposait, durant cinq ans, un continuel silence à ses auditeurs, les
contraignant de faire les muets, afin qu’ils ne pussent rien demander à leur
Maître & moins conférer ensemble de ce qu’ils entendaient de lui Nous lisons
aussi que les Egyptiens ont colloqué leur doctrines & traditions entre les choses
saintes lesquelles ils ont laissées par Cabale a leurs disciples, écrites en lettres
non lisibles, comme par des formes d’animaux & choses semblables, étant les
vrais sceaux de la Nature. Ainsi par ces déguisements, l’on a plus admiré
qu’entendu ces choses sacrées, comme dit notre Poète.

Mais puisqu’ores j’y suis, la clarté me conduit,
Le jour porte lumière est plus beau que la nuit.
Il faut donc purger de sa froide nature,
Avant de le fermenter, féminin Mercure :
Car dans son frileux ventre, il n’aurait le pouvoir,
Par le mâle levain, de jamais concevoir.
Ainsi pour une humeur froidement infertile,
Mainte femme souvent est rendue stérile,
Puis perdant par son soin, sa froide qualité,
Plus chaude, en se purgeant, perd sa stérilité.

Notre Poète voulant ouvrir le rideau, en découvrant le point principal, & ôter la
pierre contre laquelle échoppent ordinairement nos pauvres Alchimistes, leur
montre combien est nécessaire la préparation du Mercure avant que le mêler
avec l’Or, lequel est son ferment, Soufre, ou levain. Or notez que le Mercure a
une certaine superfluité d’humidité, & des parties plombées, soufreuses, &
terrestres, qu’il lui faut ôter nécessairement, quoi que cela semble absurde à
ceux qui n’entendent les raisons des Philosophes. Cependant plusieurs se
trompent en ceci, & ne peuvent parvenir à leur dessein, ne sachant ce qui est
superflu, ni ce qui défaut aussi au Mercure. J’en ai connu qui étaient bien
occupés après des amalgamations, fixations & multiplications, les uns d’un
mois, les autres de sept ou huit Semaines, & quelquefois de dix mois, voire d’un
an entier. Les autres étaient si longs qu’ils n’en pouvaient voir la fin, pour avoir
ignoré la préparation du Mercure, donc ils n’ont su garder au commencement, au
milieu, & à la fin l’humidité requise, (à cause de la superfluité aqueuse) ou la
sécheresse modérée, à cause des parties terrestres susdites. De sorte que leurs
œuvres étaient ou trop humides, ou trop sèches & chaudes. Ainsi s’opiniâtrant à
la lute, ils perdaient la solution, & enfin l’ingrès de leurs matières, voire le
temps, les frais & leurs œuvres. Pour ce je vous conseille de bien mondifier &
préparer votre Mercure, puisqu’en cela gît tout le Secret de l’œuvre. Car

Comme le Mercure vulgaire est la première matière des naturels
métaux, ainsi le Mercure préparé est la première matière non
seulement de métaux mystiques, mais de nos minières, Elixir, &
pierre. Car il faut qu’il entre au commencement, au milieu, & à la fin
de toutes les œuvres des Philosophes.

Ce Mercure a aussi l’artiste pour père & la Nature pour mère, & est la clef
unique pour fermer & ouvrir les plus Secrets cabinets de la Nature. Il pénètre
tous les métaux, & sépare leurs éléments, les réduisant en leur première matière
ce que le Mercure cru ne saurait faire. Pourtant on le nomme, feu de la géhenne,
Mercure de Mercure, Ciel des Philosophes, fort vinaigre, eau de vie métallique,
& pour sa qualité corrodante, est dit Salpêtre, sel armoniac, sel gemme, alun,
vitriol, & sel commun. Donc dûment amalgamé avec les métaux, &
principalement avec l’Or, il ne désiste jamais de les réduire à sa Nature, vivifiant
leur Mercure mortifié, & séparant d’avec eux l’agent extérieur, qui est leur
Soufre vitriolé. Par ce moyen, (faisant l’anatomie des métaux) vous pouvez voir
que c’est que des métaux. On le nomme aussi eau permanente, parce qu’étant
une fois joint avec lesdits métaux par solution radicale, il ne s’en sépare jamais.
Il est subtil, pur, céleste, du tout exempt de l’humidité abondante, & de la
terrestréité soufreuse, pourtant dit, Moyenne substance Mercuriale, esprit de
Mercure, Or volatil, feu de la Nature, Mercure mystique, Mercure né d’un
Soufre virginal, urine des enfants, fontaine dorée & argentée, Mercure animé,
réduisant tous corps qu’il dissout en Or & en Argent, moyennant son feu
approprié. Il dissout puissamment les métaux, pourtant on dit de lui

Notre Mercure brûle les corps plus que le feu d’Enfer.

Ainsi réduit-il le corps Solaire en un esprit pur, que les Philosophes nomment
Azoth, Mercure onctueux, Lion vert, &c. & lors est achevé le second cercle des Philosophes. Enfin il resserre tous les corps solides, & ouvre toutes leurs
serrures. Dont il désire l’intérieure nature des métaux, & montant par dessus
toutes les planètes les porte dans le Ciel avec soi, & leur fait recevoir la force
des choses supérieures & inférieures, comme dit Hermès, dévêtant leur nature
terrestre & les revêtant de la céleste, en laquelle le Monde se réjouit. Pour cette
divine qualité il advient que lui seul peut commencer & achever tout l’œuvre des
Philosophes, comme n’étant qu’Or spirituel, lequel, comme nous avons dit cidessus
revivifie l’Or corporel, & lors ledit Or engrosse l’Or spirituel. Ainsi
l’esprit devient corps, le corps esprit, & tous deux deviennent Or spirituel &
céleste, lequel après semé & incorporé avec son sujet légitime, engendre de l’Or
à l’infini. Il faut donc préparer votre Mercure vulgaire, afin qu’il puisse faire
tout ce que dessus. Car autrement il ressemble à la femme stérile par trop de
froideur & d’humidité, laquelle toutefois se fertilise étant purgée échauffée,
selon le degré de la fécondité féminine suivant la comparaison très propre que
fait ici notre Poète. Plusieurs Philosophes ont enseigné cette préparation, les-uns
obscurément, les autres clairement, comme Geber, Arnaud de Villeneuve, le
grand Rosaire, le bon Trévisan, Alanus & autres, auxquels je renvoie le Lecteur.

Réfuterai-je ici l’objection commune,
Que l’art doit joindre à l’Or le Mercure de la Lune ?
La Lune au prix de l’Or semble un corps féminin,
Mais son Mercure sec est chaud & masculin :
Car sa constance, ès feux, vainc les expériences :
Ainsi rien ne naîtrait de deux mâles semences,
Que si du pur Argent le Mercure exalté,
N’est propre à bien serrer ce nœud tant souhaité,
Celui qui sous l’Or blond cache son clair visage,
Peut moins lier, plus cuit, ce sacré mariage.
Mais celui qui brillant, n’est trop cuit ni trop cru,
Pour ce rare Hyménée, à seul, plus de vertu.

C’est un plaisir d’ouïr nos Alchimistes se vanter, l’un que s’il avait le Mercure
de Lune, l’autre celui de Jupiter, l’autre celui de l’Antimoine, l’autre celui de
Soleil, l’art ne lui saurait faillir. Mais les pauvres gens se trompent. Qu’ils aient
le Mercure du Sol, (car c’est celui qu’ils souhaitent le plus) pour le fixer il
faudrait son ferment convenable, qui serait l’Or, (car de lui donner le ferment de
la Lune, ce serait mettre la charrue devant les bœufs) & leur faudrait avec icelui
fixer derechef leur Or. Car

Tout Mercure des corps est derechef réduit en métal par un peu de
ferment rouge ou blanc dans le feu approprié, autrement il retient
toujours la forme Mercurielle.

Qu’ils convent maintenant le temps & la dépense, & ils n’auront peine
d’emprunter les coffres de Crasse pour serrer leurs trésors. Que si ce défaut
advient au Mercure le plus parfait de tous, que feront-ils avec celui de Saturne,
de Jupiter & Vénus, qui n’ont la nature & le pouvoir d’un métal parfait. Il leur
faudrait les exalter premièrement cala qualité du Mercure d’argent, par le Soufre
blanc, & après les fixer avec le Soufre rouge, en Or. Ainsi les frais, & le temps mangeraient tout le profit. De même leur adviendrait-il avec le Mercure de la
Lune, dont parle ici le Poète, en le joignant à l’Or pour faire l’œuvre. Car ils ne
feraient que fixer ledit Mercure en Or, à quoi faire il leur faudrait le feu
approprié. C’est donc folie de penser produite le grand œuvre avec le Mercure
de la Lune, qui est masculin, chaud & sec, comme celui de l’Or, & moins encore avec celui du Soleil. Car il faut savoir, comme dit très bien notre Poète, que la
Lune semble féminine au regard de l’Or, ce quelle endure l’essai du feu,
démontre sa grande décoction, & cependant il est besoin que notre menstrue soit
cru, ou autrement il ne pourrait dissoudre l’Or, dont il est arrêté que
Il faut, au grand œuvre, que le Mercure cru dissolve l’or en Mercure.
Car sa seule crudité est cause de la dissolution, dont plus un Mercure est cuit,
moins il dissout, & plus il est cru plutôt il dissout. Mais il se congèle aussi,
d’autant plus tard, parce que son humidité ne peut être sitôt consumée. Notez
donc ces deux extrémités au Mercure vulgaire, & en celui des corps parfaits, à
savoir que l’un est trop cru, l’autre trop humide, & demeurant tels ne peuvent
servir de menstrue : bien que toutefois il nous les faille tous deux. Car celui de
l’Or donne la forme au menstrue froid & humide, de sorte qu’avec le temps il
pourra devenir parfait, vu que 

L’or dissout en Mercure par voie physique est esprit, âme, soufre ou forme.

Donc l’Or & l’Argent ne pourront servir que de Soufres, l’un au rouge, l’autre
au blanc, & puisque, comme le Poète a dit ci-devant, & nous venons de montrer, que rien ne s’engendre de deux masses semences, & qu’en toute génération la diversité homogène est requise, il faut de nécessité, opposer au Soufre cuit, très chaud & sec le cru très froid & humide Mercure, lequel ne peut servir de menstrue, n’ayant du tout point de Soufre. Par ainsi le Mercure médiocre, à
savoir l’animé, est ici requis, comme n’étant trop cru ni trop cuit, mais dûment
proportionné à son Soufre, comme la femme tempérée de son mari. Il faut
maintenant voir comment nous pourrons tempérer notre Mercure, & pour ce
faire noter cet axiome,

Le Mercure vulgaire asse: par degrés par le naturel de tous les
métaux, s’égalant à eux, jusqu’à ce qu’il parvienne à sa dernière
perfection, laquelle est l’Or.



LA LÉGENDE D'HIRAM

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