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CHEVREUL Résumé d'une histoire de la matière (1877) - 1ère partie
Michel-Eugène Chevreul (1786-1889)
RESUME D'UNE HISTOIRE DE LA MATIÈRE
PAR
M. E.CHEVREUL
PRÉFACE
I. Je n'écris point une histoire suivie des opinions dont la nature de la matière a été l'objet depuis qu'elle fut considérée comme simple jusqu'au temps actuel où elle l'est, au contraire, comme complexe. Je me propose seulement de signaler des époques principales de cette histoire qui, à mon sens, n'ont pas été suffisamment distinguées les unes des autres au point de vue où je les envisage. Avant qu'il existât une science des actions moléculaires au contact apparent, la chimie, il était impossible de traiter la question de la matière eu égard à la simplicité ou à la complexité de sa nature, sans recourir à l'observation et à l'expérience telles que les a envisagées Lavoisier dans son Traité de chimie, et voilà la raison de l'opinion de sa simplicité professée dans l'antiquité qui ne connut pas la chimie.
II. Quand on commença à s'occuper des actions moléculaires au contact apparent, la cause n'en fut point le noble désir de la science, mais un motif de franc égoïsme : d'abord celui de satisfaire l'amour de la richesse en cherchant la transmutation des métaux communs en or et en argent et celle des pierres communes en pierres précieuses ; plus tard ce fut celui de combattre la maladie en assurant la longévité au moyen des panacées, des élixirs, etc. ; des siècles d'erreurs et de déceptions s'écoulèrent avant que des hommes dé bon sens parvinssent à assurer le triomphe de la vérité sur le faux en démontrant que tout était chimérique dans cette prétendue science appelée alchimie ; enfin ce ne fut que dans la dernière moitié du XVIIIe siècle que Lavoisier eut le grand mérite de démontrer rigoureusement, par l'observation et l'expérience, que la matière est complexe et qu'un corps est réputé simple quand on ne peut en séparer plusieurs sortes de matières, principe vrai en général, mais qui, à une époque donnée, pour un corps réputé simple, n'est point-absolu, parce que toujours, à cette époque, la simplification de ce corps est relative aux moyens dont la science se trouve être alors en possession.
C'est donc grâce à ce principe de Lavoisier, en parfait accord avec l'esprit de la méthode a posteriori expérimentale, une fois adopté par les savants familiarisés avec l'art des expériences, et doués d'un esprit perspicace et d'une logique sévère, que la première théorie chimique connue, celle du phlogistique de Stahl, fut remplacée par celle de Lavoisier, debout encore depuis un siècle bientôt !
III. Voilà donc les deux extrêmes de l'histoire de la chimie: d'abord l'antiquité grecque présentant les atomistes qui, admettant le vide, considèrent la matière comme simple et formée de petits solides mécaniquement indivisibles, puis les académiciens et les péripatéticiens, croyant à la continuité de la matière et rejetant le vide. Enfin la théorie de Lavoisier, établissant définitivement la complexité de la matière, et définissant le corps simple conformément à la méthode expérimentale a posteriori ; voilà l'autre extrême.
IV. De l'exposé de l'opinion où la matière est considérée comme simple, passer à la théorie de Lavoisier, n'est point une chose facile, par la raison que des siècles séparent ces deux extrêmes et que cette durée comprend une multitude d'écrits dont les plus nombreux sont étrangers à toute science positive parce qu'ils émanent de l'esprit humain, subissant la pression de croyances aussi folles qu'insensées depuis l'art divinatoire le plus grossier, le mysticisme le plus vulgaire, jusqu'aux prétentions les plus vaines de l'alchimie ; mais il est quelques écrits où une critique, aussi profonde que perspicace, démêle des faits intéressants, des vues vraiment scientifiques et quelques considérations d'une valeur réelle pour l'histoire de l'esprit humain, je ne parle pas des corps nouveaux découverts par l'alchimie. Sans prétendre au mérite de la critique que je viens de caractériser, c'est celle que je me suis efforcé d'atteindre dans l'opuscule que je soumets aujourd'hui à l'Académie comme texte d'un atlas composé de 14 planches qui a été distribué à ses membres en 1869.
V. Lorsque je commençai cet opuscule, j'avais parfaitement compris qu'en le terminant par l'examen de la théorie de la combustion de Lavoisier, le but que je m'étais proposé en le composant serait atteint, parce que mes études sur l'histoire de l'alchimie m'avaient appris depuis longtemps que cette théorie était la première base posée par la méthode à posteriori expérimentale de la science chimique, en prenant pour point de départ les opinions des philosophes grecs sur la matière. Si un premier examen m'avait décidé à comprendre dans la troisième époque de cette histoire celle des alchimistes, successeurs immédiats, de Geber, un examen approfondi de la physique souterraine de Becker me conduisit à considérer ce savant comme l'auteur d'une alchimie nouvelle auquel Stahl avait emprunté la terre inflammable pour en faire son phlogistique, et me convainquit dès lors de la nécessité de parler de leurs travaux dans une époque particulière qui est la quatrième, de l'opuscule. La cinquième époque commence par l'examen des écrits chimiques de Boerhaave, Newton, J.-E. Geoffroy, Black, Bergmann, Scheele, Priestley.... qui ont tant contribué, par leurs découvertes, à la théorie de la combustion de Lavoisier qui termine cette quatrième époque. Je n'ai voulu parler de J. Rey, de J. Mayow, et même de Et. Haies, qu'après Lavoisier, par le motif de relever leur mérite même, surtout des deux premiers, J. Rey et Mayow, dont l'originalité des écrits n'avait pas été appréciée de leurs contemporains ; mais, qu'est-il arrivé après la rédaction de mes idées? c'est l'appréhension que le bien que je disais de J. Rey et de J. Mayow semblât en contradiction avec l'opinion que j'avais émise de la grandeur de l'œuvre de Lavoisier ; et alors, en revoyant dans mes notes l'usage qu'avaient fait les envieux de ce grand homme, des écrits de Rey et de Mayow, et me rappelant tout ce que m'avait dit. des adversaires français de la théorie de Lavoisier, Jean-Claude Delaméthérie, un de mes premiers maîtres de Paris, dont j'ai toujours estimé l'honnêteté, j'ai considéré comme un devoir d'exposer avec détail les motifs pourquoi on ne peut dire avec raison que J. Rey et J. Mayow avaient les premiers posé la base de la théorie chimique. Ces réflexions m'ont déterminé à interrompre l'ordre chronologique en reportant à un complément de l'opuscule l'examen des écrits de Jean Rey qui appartiennent à la troisième époque, du Xe siècle à 1645, des écrits de Jean Mayow dont F auteur vécut de 1645 à 1679, et enfin ceux de Étienne Hales, dont la vie s'écoula de 1677 à 1761. Les écrits de J. Mayow et de Et. Haies appartiennent à la quatrième époque ; mais, en associant ces trois noms, qu'on ne croie pas que j'assimile Haies à J. Rey et à J. Mayow, car le génie chimique de ces deux savants est incontestable. Si je rapproche Haies du groupe des alchimistes, quoiqu'il leur soit absolument étranger, c'est par le seul fait qu'il montra la possibilité de retirer, par des procédés divers, des fluides élastiques des corps et de les recueillir dans des appareils ingénieux, ce que les alchimistes n'avaient pas fait, tout en admettant en principe que l'air entrait dans la composition des corps ; mais Hales montra qu'il était complètement étranger à la chimie en prenant pour de l'air des fluides élastiques dont aucun ne pouvait le représenter. Haies fut un physicien de mérite auquel la science doit l'invention d'appareils ingénieux propres à démontrer les effets de plusieurs facultés physiologiques des plantes, qui ne l'avaient point été avant lui, et les appareils dont il fit usage ne furent pas inutiles aux chimistes pour recueillir les gaz. Telle est la vérité sur le mérite de Haies.
VI. Plus je rassemblais de faits sur le sujet qui m'occupait, à savoir la raison pourquoi la théorie de Lavoisier, si simple, si naturelle, qu'on me passe cette expression vulgaire, mais si propre à rendre ma pensée, avait pourtant éprouvé tant de difficultés avant d'être admise comme vérité, et plus il me semblait que ce qui s'était passé en matière de science, loin d'être une exception, était au contraire le fait commun. Arrivé à ce point de vue, la lumière frappa mes yeux et je compris aussitôt qu'en toute chose nouvelle et vraie il y a une cause pour laquelle la vérité est souvent méconnue, et cette cause n'est pas toujours l'ignorance ou la prévention du juge, mais plus souvent qu'on ne pense des idées erronées dont on n'a jamais eu l'occasion de suspecter la fausseté. Cette cause si fréquente de jugements erronés m'a paru, à mesure que j'écrivais cet opuscule, prendre de plus en plus d'importance, et, arrivé au terme .que je m'étais prescrit, j'ai senti le besoin de ne pas quitter les lecteurs qui auraient suivi le développement de mes idées sans leur soumettre ma manière d'envisager les jugements que le public peut porter sur des choses tout à fait étrangères aux sciences. D'anciens souvenirs se sont éveillés en moi, et, dans mon éloignement de l'a priori, j'ai choisi les jugements relatifs à l'art dramatique pour appuyer mon opinion. L'avouerai-je? l'occasion de parler de Molière a été pour quelque chose dans cette détermination ; dès lors on ne devra pas s'étonner de l'application de ces vues que je fais à l'examen de l'œuvre de l'homme qui connut le mieux la nature humaine, grâce à l'analyse et la synthèse mentales dont il sut faire un si admirable usage.
INTRODUCTION
1. Parlons du point de vue où je me suis placé pour circonscrire un sujet qui, s'il n'était pas limité explicitement, exigerait l'histoire complète des connaissances humaines, et conséquemment ce qui a trait à la fois au matérialisme et au spiritualisme, et ces deux expressions, prononcées sans restriction, comprendraient la métaphysique profane et la métaphysique religieuse : or ici je ne prétends parler que des connaissances relatives à la matière et aux forces du ressort de la philosophie naturelle, et d'en parler encore, non à priori, mais d'après la méthode à posteriori expérimentale définie rigoureusement eu égard aux faits et à l'interprétation de ces faits.
Un fait simple n'exprime qu'une idée ; le chiffre en est un exemple aussi clair qu'incontestable (7 et 8).
Un fait complexe en exprime plusieurs ; il n'est rigoureusement défini que lorsque les faits simples dont il se compose l'ont été aussi exactement que l'état des connaissances le permet à une époque déterminée.
L'interprétation des faits simples et des faits complexes constitue la théorie des sciences, à la double condition que les faits aient été rigoureusement définis et que l'interprétation en ait été soumise au contrôle prescrit par la méthode à posteriori expérimentale, exigeant le recours à l'expérience, et, s'il n'est pas possible, à un système d'observation qui en tient lieu.
2. Exposons pour plus de clarté quelques propositions générales, bases de la critique à laquelle je soumets l'examen des faits, objets du résumé de l'histoire de la matière.
Donnons, avant tout, la distinction de l'analyse et de la synthèse chimiques, d'avec l'analyse et la synthèse mentales, si importante pour que cette distinction ait la conséquence qu'elle doit avoir dorénavant.
a) Les deux premières, l'analyse et la synthèse chimiques, ont pour objet la séparation ou l'union d'espèces chimiques, qui, séparées ou unies, peuvent être pesées ; condition essentielle de l'exactitude dont sont susceptibles les produits d'opérations faites dans la vue de connaître la nature chimique des corps, soit qu'on recoure à l'analyse, soit qu'on recoure à la synthèse, et insistons sur le fait que l'analyse sert de contrôle à la synthèse comme la synthèse sert de contrôle à l'analyse.
b) L'analyse et la synthèse mentales concernent des propriétés qui, étant réunies dans un corps, en sont séparées par la pensée seulement, ou qui, étant séparées de plusieurs corps, ne peuvent être réunies encore que par la pensée seulement.
c) Insistons sur la remarque que ces opérations sont de purs actes de l'esprit, bien différents des opérations chimiques concernant des corps pondérables que l'on sépare ou que l'on unit réellement. Mais ces actes de l'esprit sont indispensables pour que l'intelligence humaine, si faible dans l'individu, puisse atteindre au degré le plus élevé dont elle est capable dans un temps donné, quand elle sera aidée des progrès antérieurs dont l'humanité est redevable à l'intelligence de ceux qui ont précédé l'individu que nous considérons.
La justice comme la vérité exigent donc qu'on distingue l'HOMME, substantif appellatif, de l'homme, substantif propre, individu.
3. Avant d'exposer la manière dont je fais intervenir V analyse et la synthèse mentales dans la méthode a posteriori expérimentale, telle que je la professe, je dirai quelques mots des mathématiques pures et des mathématiques appliquées, afin de prévenir la pensée que des lecteurs pourraient m'attribuer, soit de prétendre au mérite d'une innovation heureuse par l'application aux sciences d'observation et d'expérience d'une méthode concernant un sujet aussi vieux que l'est l'origine du raisonnement, ou bien encore de m'attribuer la prétention de donner actuellement à ces mêmes sciences une certitude comparable à celle qui naît du calcul, émanation de la mathématique pure.
En m'attribuant l'une ou l'autre de ces prétentions, on se tromperait donc étrangement.
Si, à mon sens, il est absurde qu'un maître prétende apprendre à ses élèves à faire des découvertes, c'est un devoir pour celui qui n'a jamais cessé d'étudier pour découvrir le vrai dans l'inconnu, en quelque sujet que ce soit, c'est un devoir, répété-je, après qu'il a acquis la conviction de la faiblesse de l'esprit, non dans l'ensemble des hommes, mais dans l'individu humain, livré seul à cette recherche, de donner aux jeunes esprits toutes les indications possibles susceptibles de leur faire connaître si cet individu a trouvé l'erreur ou la vérité (1),
4. Gomment la mathématique pure arrive-t-elle aux résultats les plus élevés dont la raison humaine soit capable? C'est en opérant par des signes dont on peut distinguer trois ordres : chiffres, lettres et signes ou indices usités seulement en mathématique.
« Parmi tant d'exemples qu'on peut citer, de cette faiblesse inhérente à notre nature, et à laquelle n'échappent point les plus grands génies, je me bornerai au suivant. On sait que Lagrange a consacré un de ses plus importants mémoires à la question célèbre de la résolution des équations, en analysant et comparant toutes les méthodes de formes si diverses données jusqu'à lui pour la solution des équations des quatre premiers degrés. L'expression à laquelle les géomètres donnent le nom de fonction résolvante a été l'un des principaux fruits de cette étude approfondie, et c'est là un résultat qui est assurément digne du génie du grand géomètre. Mais il semble que, lassé de ses efforts, Lagrange renonce à les poursuivre en abandonnant à un autre l'honneur d'une découverte immortelle, si complètement préparée par ses travaux, qu'elle ne demandait plus d'autre peine que d'être recueillie. Vandermonde, dans les Mémoires de l'Académie des sciences, avait complètement donné la résolution de l'équation binôme du onzième degré ; il avait de plus affirmé que sa méthode, revenant absolument à l'emploi de la fonction résolvante de Lagrange, s'appliquait à un degré quelconque. Ce mémoire, Lagrange l'avait sous les yeux ; le résultat si formellement annoncé était d'une importance saisissante, et le cas complètement traité du onzième degré invitait véritablement à faire un pas de plus, qui devait peu coûter à un si puissant génie. Or, ce pas n'a point été fait, et la plus éclatante découverte algébrique de notre siècle était laissée à Gauss, lorsque, au prix d'un léger effort de quelques instants d'attention peut-être, mais d'un effort ajouté à bien d'autres, elle aurait pu devenir la récompense d'un immense labeur, en jetant un nouvel éclat sur la science de notre pays. »
Pourquoi l'usage de ' ces trois ordres de signes ne trompe-t-il pas les savants familiers à leur langage?
C'est qu'ils sont parfaitement définis dans l'usage qu'ils en font.
Ier ordre. – Le chiffre exprime une seule idée, celle d'un nombre représentant une quantité finie ; l'idée qu'il exprime est donc simple et définie, comme un 1, deux 2, trois 3.....
2e ordre. – La lettre exprime une idée définie sans doute pour le savant qui s'en sert avec une signification restant constamment la même dans la formule dont elle fait partie ; mais, n'ayant pas la simplicité d'idée du chiffre, elle se prête par là même à une généralité d'idée que le chiffre ne comporte pas ; et, chose sur laquelle on ne peut trop insister, c'est qu'associée à d'autres lettres, elle devient partie d'un ensemble de rapports exprimant un ensemble indéfini de faits particuliers dont les chiffres seuls ne pourraient exprimer la généralité, vu la valeur particulière à chacun d'eux.
3e ordre. – Le signe ou indice de cet ordre se rapproche du chiffre par une forme qui lui est propre, comme
+ plus, le signe de l'addition ;
– moins, le signe de la soustraction ;
x multiplié par, le signe de la multiplication ;
––– ligne horizontale, au-dessus et au-dessous de laquelle on écrit des chiffres ou des lettres, indiquant que la quantité supérieure doit être divisée par la quantité inférieure ;
=== Signe de l'égalité de deux quantités.
Il est des signes complexes, formés d'un chiffre mis en avant ou en arrière d'une lettre, lequel chiffre indique dans le premier cas le nombre de fois dont la quantité exprimée par la lettre qui le suit doit être prise. Dans le second cas, le chiffre indique le nombre de fois dont la quantité indiquée par la lettre doit être multipliée par elle-même.
Dans le premier cas, le chiffre est appelé coefficient, exemple 2a, 3a, 4a.
Dans le second cas, le chiffre est appelé exposant, puissance, exemple a2, a3, a4.
Le signe Ö (RAIZ) appelé radical signifie racine carrée ; la racine carrée d'un nombre étant la quantité qui, multipliée une fois par elle-même, a produit ce nombre.
On indique la racine de degré plus élevé que la racine carrée par les signes
racine cubique.
Racine quatrième.
Racine cinquième.
Si les signes précédents ont cette analogie avec le chiffre d'avoir une forme particulière, ils ont avec la lettre l'analogie de se prêter aux expressions les plus générales, parce que leur signification porte sur des rapports généraux dont chacun' concerne un nombre indéfini de cas particuliers susceptibles d'être exprimés par des chiffres.
5. Il existe un théorème de géométrie dû à Pythagore, connu de tous les étudiants en mathématique élémentaire :
c'est celui de l'égalité du carré construit sur l'hypoténuse d'un triangle rectangle à la somme des carrés construits sur les deux côtés de l'angle rectangle. L'expression du théorème est l'équation a2 carré de l'hypoténuse = b2 + c2, somme des carrés construits sur les côtés b et c de l'angle droit.
Cette égalité ou équation est applicable à tous les cas imaginables des triangles rectangles.
Parmi ces cas, il en est un, celui où l'hypoténuse étant représentée par 5 unités linéaires et les autres petits côtés par 4 et 3, on peut rendre le théorème sensible aux yeux, comme l'ont imaginé les Chinois, chez lesquels l'esprit, dédaignant la science abstraite, n'a d'estime que pour l'application. J.-F. Davis, auteur d'un ouvrage sur la Chine , donne la figure que je reproduis comme preuve de ma proposition.
L'insuffisance de cette démonstration donnée par les Chinois tient à ce qu'on n'établit point que les côtés b et c de l'angle droit étant représentés respectivement par 3 et 4 unités linéaires, il arrive que l'hypoténuse a été exactement mesurée par 5 fois la même unité. Sans doute on peut croire qu'on ait effectué ces mesures, soit dans le cas particulier présenté parles Chinois, soit dans d'autres cas, d'une manière assez exacte pour que la vérification de l'équation a2 = b2 + c2 ait été si souvent obtenue qu'on ait été ainsi conduit à formuler la proposition générale qui a été enfin démontrée par Pythagore .
Pour complément de mes idées, je ne puis trop me féliciter de transcrire ici une note que je dois à l'amitié de M. Hermite.
« Ce qui est le caractère essentiel des opérations algébriques, ce qui les distingue des opérations purement numériques, dont elles ont tiré leur origine, c'est qu'elles combinent, non plus seulement des nombres déterminés, mais des symboles d'opérations, comme addition, multiplication, division, etc. Rappelons, pour rendre bien claire et bien sensible cette distinction entre deux parties de la science, dont la seconde n'est d'abord que la continuation de la première, bien qu'elle s'en sépare complètement ensuite, cette question, ce problème qu'on propose aux commençants : trouver deux nombres dont la somme par exemple soit 13 et la différence 5. En raisonnant sur ces nombres particuliers, et sans qu'il soit nécessaire de rappeler ici ce raisonnement fort simple, on trouve que l'un des nombres inconnus est 9 et l'autre 4.
Concevons maintenant qu'on change les données en remplaçant 13 et 5 par d'autres entiers quelconques, quelque chose subsistera cependant dans la nature même du problème, et il est clair que le même raisonnement conduira, dans ce nouveau cas, à la détermination des inconnues. Or, ici apparaît ce qui est le caractère propre de l'algèbre, sa véritable nature, qui, en la distinguant de l'arithmétique, à laquelle elle se rattache comme à son origine, explique et justifie le titre d'arithmétique universelle que Newton a donné à son algèbre. Qu'on nomme a la somme de deux nombres et b leur différence, l'algèbre, à l'aide de ces deux signes généraux, fournit pour les inconnues des problèmes a+b/2et a-b/2 c'est ce que l'on nomme des formules, c'est-à-dire des indications d'opérations entièrement déterminées, et fort simples dans le cas présent, mais qui portent sur les symboles absolument généraux que nous avons nommés a et b. Dans cette formule est donc la conclusion du raisonne- ment effectué primitivement en vue du cas particulier, la substance, si je puis dire, de ce raisonnement. Et ce qui est principalement digne de notre intérêt, c'est qu'on soit ainsi parvenu à un art analytique où des raisonnements difficiles à suivre pour ceux qui possèdent seulement sidérant des valeurs numériques déterminées des éléments qui y figurent, se manifestent avec tout ce qu'ils comportent de généralité, sans imposer pour celai qui en possède les principes aucune autre contrainte à la pensée que celle de l'attention, et le plus souvent ne demandent qu'un coup d'œil, de telle sorte que la. vue, l'aspect de la formule, résument immédiatement ce que l'arithmétique serait impuissante à expliquer, ou du moins qu'elle ne pourrait tenter d'expliquer sans une prolixité fatigante et sans rebuter l'esprit le plus attentif. »
L'analyse et la synthèse, en mathématique pure s'énoncent donc par des signes de trois ordres :
1° Des chiffres, quand les grandeurs sont actuellement évaluées ;
2° Des lettres, etc. ;
3° Des signes-indications d'opération, addition, soustraction, etc. ; mais, le calcul effectué, ces lettres et ces signes, en vertu de leurs relations mutuelles, présentent des valeurs respectives complètement déterminées.
6. L'analyse et la synthèse en mathématique appliquée à l'étude des corps sensibles à nos sens (substantifs propres physiques) ne donnent des résultats vrais qu'à la condition que le calcul aura tenu compte de toutes les forces ou causes douées d'une efficacité quelconque dans le cas soumis au calcul.
7. La raison pourquoi je me suis étendu sur l'analyse et la synthèse mentales concernant les mathématiques pures, eu égard au point de vue général où je viens de les envisager, est l'analogie sur laquelle je ne puis trop insister pour montrer l'accord existant entre elles, et l'analyse et la synthèse mentales appliquées non à des espèces chimiques, mais aux attributs, propriétés, qualités par lesquels nous connaissons ces espèces.
Évidemment, dès que nous définissons le fait une abstraction, et que nous considérons le chiffre comme un fait simple, parce que ce mot n'éveille en nous qu'une seule idée, celle d'une collection d'unités, l'étude de chaque attribut considéré comme simple, de tout substantif propre abstraction faite, correspond à celle d'une grandeur objet de la mathématique pure. Incontestablement la connaissance d'un objet quelconque consiste à avoir une idée claire de chacun de ses attributs, mot qui comprend ses propriétés et toutes ses relations avec d'autres objets. Or, ces attributs sont des .faits: et ces faits ainsi envisagés sont les éléments de nos connaissances ; il n'en est pas d'autres. La connaissance complète ou parfaite de l'objet serait la connaissance de tous ces faits pris à l'état de simplicité, c'est-à-dire n'exprimant qu'une idée, comme le chiffre.
Voilà le résultat de l'analyse mentale finale dans une étude quelconque.
8. Mais ce ne serait qu'une partie de la connaissance de t'objet ; pour quelle soit complète, elle exige la relation de ces faits avec eux-mêmes dans cet objet, et celle qu'ils ont avec des faits appartenant à d'autres objets quelconques. Or, cette étude des faits complexes appartenant au même objet d'abord, et à des objets quelconques, nous la devons à la synthèse mentale finale.
Telles sont donc les deux opérations de l'esprit auxquelles nous sommes redevables de toutes nos connaissances.
Or, cette analyse et cette synthèse mentales portant en réalité sur des attributs, qui à mon sens sont des faits que la faiblesse de l'esprit humain oblige avant tout d'isoler pour les bien connaître, deviennent ainsi des abstractions qui, par là même, ne peuvent être confondues avec les corps pesants que la science, à l'aide de l'analyse et de la synthèse chimiques, sépare ou unit, après les avoir distingués en espèces chimiques, simples et complexes, devenues ainsi les véritables types de la matière.
l'analyse et la synthèse mentales envisagées à ce point de vue dans l'étude des sciences naturelles, portant sur des abstractions, se rapprochent ainsi de la mathématique, puisqu'il est évident que l'esprit à mesure qu'il progresse tend toujours à réduire chaque mot exprimant un fait complexe en ses attributs simples, comme le chimiste tend toujours à réduire un corps en ses corps simples. S'il le considère comme complexe, l'analyse et la synthèse mentales, envisagées sous ce rapport dans la connaissance des matières complexes, tendent donc, par l'exactitude à laquelle elles aspirent, à se rapprocher de la rigueur mathématique.
9. Par la raison que le critérium de la vérité de nos connaissances réside dans l'interprétation des faits démontrée exacte, et que la cause indiquée par cette interprétation a pour caractère la proportionnalité à l'effet qu'on lui attribue, il est bon de citer un exemple simple qui ait ce caractère à la portée de toutes les intelligences. Or, cet exemple existe, je l'ai donné dans le dernier ouvrage que j'ai publié sous le titre de : Étude des procédés de t'esprit humain dans la recherche de l'inconnu à l'aide de l'observation et de l'expérience (Cet ouvrage précède celui-ci dans ce 39e volume des Mémoires de l'Académie. Voir les alinéas 189, 190.) ; c'est l'explication du savoir acquis par l'enfant qui, après des exercices fréquents, est parvenu à abattre à distance un bouchon au moyen d'un palet qu'il lance à la main. J'ai cité cet exemple pour montrer que l'instinct n'en est pas la cause, puisqu'il est le fruit exercices fréquemment répétés par l'enfant.
Deux faits expliquent l'effet ou le phénomène du but atteint par le palet :
Ier fait, l'estimation juste par la vue de la distance où se trouve l'enfant du bouchon que le palet doit frapper ;
2e fait, l'estimation juste de la force que le système musculaire de l'enfant doit imprimer au palet pour qu'il atteigne le bouchon.
criterium de l'explication.
Elle repose sur la proportionnalité de la cause à l'effet qu'on lui attribue.
Car, 1°si la force était inférieure à l'effet, le palet tomberait en deçà du bouchon ;
2º Si la force était supérieure à l'effet, le palet dépasserait le bouchon.
Dans les deux cas le bouchon ne serait pas atteint.
Toute question que pourrait provoquer la lecture des propositions précédentes (1, 2, 3), empressons-nous de reconnaître la généralité de l'analyse et de la synthèse mentales dans le langage le plus vulgaire, sans que les personnes qui le parlent s'en rendent compte, généralité telle qu'il suffira pour remplir notre intention d'ajouter quelques exemples tirés des sciences naturelles à ceux qui précèdent.
a) L'esprit du chimiste, avant de passer à l'exécution manuelle d'une analyse, d'une synthèse, dans la recherche de l'inconnu, s'est occupé des résultats de ses opérations pratiques ; l'analyse et la synthèse chimiques, avant d'être effectuées, ont donc été mentales.
b) Dans la classification des êtres vivants, objet de la science botanique et de la science zoologique , l'application de l' analyse et de la synthèse mentales est de tous les instants.
La définition des faits, éléments de toute analyse et de toute synthèse, est le premier acte que l'esprit de classification doit accomplir. Il repose sur la distinction des parties prises en considération comme caractères, et c'est par la valeur que vous attachez aux parties que vous jugez semblables ou analogues dans les êtres différents sujets de la classification que vous élevez, au-dessus de l'ensemble d'individus d'une même origine qui constituent des espèces, des groupes supérieurs de plus en plus généraux, appelés GENRES, FAMILLES, ORDRES, CLASSES, EMBRANCHEMENTS, RÈGNE. Il est évident que tous les groupes supérieurs à l'espèce sont des faits abstraits constituant une association, conception synthétique de la pensée, et que le mot espèce donné en botanique, et incontestablement en zoologie pour les animaux supérieurs, a lui-même un sens abstrait, puisqu'il comprend un ensemble d'individus qui sont loin d'être absolument identiques, malgré leur communauté d'origine ; de là des groupes appelés sons-espèces, races, sous-races, ou simplement variétés.
II. Nous verrons, dans ce que je dirai de l'alchimie, qu'une des causes principales des erreurs commises .par les alchimistes a été de prendre une propriété qui avait fixé leur attention, en observant un corps, comme pouvant être séparée de ce corps, non par une analyse mentale , mais en réalité, et de plus être transportée dans un corps différent de celui qui la possédait. En procédant ainsi, cette propriété devenait un principe, un élément, un être, enfin, qu'ils croyaient faire passer, à l'exclusion de tout autre, dans un corps dépourvu de cette propriété.
12. En outre, tout corps qui présentait cette propriété la devait à l'élément imaginaire conçu par leur esprit : ainsi Becker, frappé de l'éclat et de la transparence du verre, imagina un élément qu'il appela terre vitrifiable, et considéra le quartz et le diamant comme cet élément pur ou à peu près pur, et il admit que tout corps fusible qui, après le refroidissement, affecte la forme d'un solide vitreux transparent renferme de la terre vitrifiable, cause, selon lui, de son aspect vitreux.
13. On verra dans cet opuscule que, sans les distinctions dont je viens de parler, il serait impossible de se rendre un compte précis de ce qu'était l'alchimie dans l'esprit de ceux qui étaient convaincus de sa réalité.
14. L'histoire des connaissances chimiques, depuis que j'ai commencé à m'en occuper, et il y a longtemps, formulée dans un grand nombre d'écrits auxquels elle a donné lieu, y compris l'exposé de travaux relatifs à des sujets spéciaux qui ont précédé ceux-ci, m'a présenté des difficultés de genres divers, des indications chronologiques inexactes, des défauts d'analyses mentales eu égard, soit à l'ignorance de l'auteur, soit à un défaut de bonne foi, une altération des travaux d'autrui pour rehausser les siens, et trop souvent des noms nouveaux substitués sans nécessité à des noms anciens. Je n'en dis pas davantage, afin de ne pas sortir des généralités.
Des études bien fastidieuses concernent les écrits anciens, soit qu'il s'agisse d'établir un ordre chronologique entre des travaux divers, soit de rechercher l'origine d'une idée importante. Je n'ai jamais prétendu donner la date la plus ancienne, soit d'une idée, soit d'une expérience, soit d'une découverte quelconque, en un mot, j'ai évité autant que j'ai pu de rehausser le passé aux dépens du présent en évitant le reproche du dicton : « Il n'y a rien de nouveau sous le soleil, » et jamais je n'ai négligé sciemment de rehausser le mérite d'une chose ancienne. Je me suis efforcé de reconnaître le véritable sens qu'on attribuait dans les écrits anciens aux mots dont on se servait pour présenter des opinions, des définitions, et, sous ce rapport, j'ai constamment cherché les textes les plus anciens, et toujours j'ai tenu un grand compte des traductions françaises les plus anciennes dont les textes avaient été l'objet, sentant la difficulté d'interpréter des choses d'un passé avec le double obstacle à vaincre de se représenter le monde ancien avec l'ensemble des idées de ce temps, et de ne pas s'exposer à les mal interpréter précisément sous l'influence des idées de notre temps.
Voilà les règles qui me guident depuis longtemps dans mes études du passé.
15. a) En définitive, ce qui m'a été d'un secours puissant dans ces derniers temps, ce sont les conséquences déduites de mes lettres adressées à M. Villemain sur le mot fait et la méthode a posteriori expérimentale. C'est un résumé composant la section de ma trilogie scientifique dédiée à don Pedro II, empereur du Brésil, ce sont les nouvelles applications de V analyse et de la synthèse mentales appliquées à l'ensemble de plusieurs propriétés physiques, chimiques et organoleptiques.
b) Enfin, c'est la distinction de la philosophie lettrée qui, partant des philosophes grecs, va jusqu'à nos jours sans se préoccuper ni des immenses travaux accomplis dans les sciences du domaine de la philosophie naturelle, y compris ceux de l'immortel Galilée, ni de l'étude même de nos sens dans la manière dont l'esprit procède pour connaître la vérité en recourant à l'observation et à l'expérience.
16. Quoique mon intention ne soit que de tracer un simple résumé de l'histoire de la matière, je crois utile à mes lecteurs d'exposer les époques en lesquelles je répartis l'histoire des connaissances chimiques.
1er Époque. – Elle finit à la fondation du musée d'Alexandrie, de 285 à 247 avant J.-C.
Si elle ne comprend aucun écrit authentique relatif à la science chimique proprement dite, elle comprend les idées que se faisaient de ta matière les atomistes grecs, Platon, Aristote et leurs successeurs.
2e Époque. – Elle commence à la fondation du musée d'Alexandrie, de 285 à 247 avant J.-C.
Elle comprend les écrits de Plotin et ceux de Geber du IXe siècle de l'ère chrétienne, et les écrits qui sont relatifs à l'art sacré où il n'y a rien de positif quant à la science proprement dite, et bien peu de chose quant aux procédés.
Elle finit exclusivement à Becker qui vécut de 1635 à 1682.
3e Epoque. – Commençant avec le Xe siècle et se terminant à la seconde alchimie dont Becker est l'auteur.
Elle comprend l'application de l'alchimie à la préparation des quinte-essences.
4° Époque. – Elle comprend Becker et Georges-Ernest Stahl. 2° hypothèse alchimique de Becker. Hypothèse du phlogistique de G.-E. Stahl.
5e Époque. – Elle commence aux écrits de Newton, 1717, de Étienne-François Geoffroy, 1718, et comprend les travaux chimiques de Lavoisier. Elle finit en 1794-
6e Époque. – Développement complet de la théorie de Lavoisier. Électrochimie. Découverte du potassium de sodium, 1806, par Davy. Elle finit en 1809.
7e Époque. – Elle commence en 1809 avec la théorie du chlore par Davy et Ampère et se continue de nos jours.
PREMIÈRE ÉPOQUE
LA MATIÈRE Y EST CONSIDÉRÉE COMME SIMPLE. ELLE FINIT A LA FONDATION DU MUSÉE D'ALEXANDRIE, DE 285 A 247 AVANT J.-C.
Elle ne comprend aucun, écrit authentique relatif à la science chimique proprement dite, mais elle comprend les idées que se faisaient de la matière les atomistes grecs, Platon, fondateur de l'Académie, et Aristote, fondateur du Lycée ou du péripatétisme.
17. Les philosophes grecs ont seuls étudié avec détail la matière au point de vue de sa simplicité. C'est le motif qui m'a déterminé à commencer cet opuscule par l'exposé de leurs opinions, et, en y réfléchissant, il a le grand avantage de présenter une catégorie de philosophes qui considéraient la matière comme formée d'atomes insécables, mécaniquement parlant : ce sont les atomistes, et une autre catégorie, à la tête desquels-se trouve Platon, le fondateur de l'Académie, et Aristote, le fondateur du Lycée ou du péripatétisme, qui admettaient la continuité de la matière et le plein.
Nous couperons cette première époque en cinq chapitres, dont les quatre premiers seront consacrés à l'histoire de la matière considérée comme simple jusqu'à la fondation du musée d'Alexandrie, où commence, selon moi, d'après le plus de probabilité, l'alchimie ; mais en fait il existe des ouvrages anonymes ou pseudonymes qui, selon les alchimistes, remonteraient à des époques bien antérieures à la philosophie grecque, mon point de départ. En conséquence, j'ai réservé un chapitre, que je donne comme complémentaire et non comme essentiel, à un résumé de l'histoire de la matière, où je dirai quelques mots de ces écrits.
CHAPITRE PREMIER.
DES PHILOSOPHES GRECS ATOMISTES.
18. Les écrivains auxquels nous devons quelques détails sur les philosophes anciens qui ont parlé de la matière, soit en prose, soit en vers, s'accordent assez à attribuer l'origine des idées de ces philosophes aux collèges des prêtres égyptiens et même aux prêtres chaldéens, qui auraient été leurs initiateurs dans les doctrines secrètes que les peuples devaient ignorer, pensaient-ils.
Mosphus, de Phrygie, qui vivait, dit-on, avant le siège de Troie, aurait parlé des atomes, sinon le premier, du moins un des premiers.
Pythagore passe pour avoir puisé ses idées principales chez les Egyptiens et les avoir enseignées dans la Grèce italique. Tout en reconnaissant ce fait, et que le fond de sa doctrine sur la matière rentrait dans la théorie des atomes, on remarque qu'il la déguisait autant que possible, et, au lieu de se servir du mot atome, solide matériel, insécable, il usait de l'expression unité, et personne n'ignore le sens abstrait et général qu'il a donné sous cette forme de langage à l'ensemble de sa doctrine.
Leucippe, contemporain de Pythagore, mais moins ancien peut-être, passe aussi pour avoir puisé en Egypte ses idées sur les atomes et les avoir répandues en Grèce avant qu'on y connût la doctrine de Pythagore.
Mais le philosophe dont la doctrine a le plus contribué à répandre la notion des atomes en Grèce est Démocrite, d'Abdère, dont malheureusement les livres sont perdus. Mais nous connaissons sa philosophie, d'abord par les académiciens qui l'ont combattue, notamment par Platon, ensuite par Epicure, qui, loin d'y être contraire, la renouvela ; enfin par Lucrèce, qui la revêtit du charme de la forme poétique.
En parlant de Démocrite comme philosophe grec atomiste, je dois ajouter qu'il est un exemple de la disposition où étaient les alchimistes, de s'emparer des noms notables afin de faire croire que ceux qui les portaient partageaient leurs opinions. Ils parlèrent de Démocrite même comme d'un adepte, qui avait été initié par Ostanes et les prêtres égyptiens. On lui attribua la science de fondre des pierres, d'en faire des émeraudes et de leur donner des couleurs ; il avait la réputation de ramollir l'ivoire et d'opérer d'autres choses curieuses.
En définitive, la nature des atomes paraît la première qui ait été professée en Grèce sur la nature de la matière. 19. S'il est impossible de donner un aperçu vraiment scientifique des principes sur lesquels reposait la doctrine .des atomistes grecs, il n'est pas sans intérêt de dire au moins quelque chose des opinions professées par quelques-uns d'entre eux.
Tous s'accordaient à considérer la matière comme formée de petits solides indivisibles mécaniquement, de figures diverses ; Leucippe en distinguait de sphériques à surface lisse, susceptibles de se mouvoir sans se réunir facilement, tandis que d'autres étaient crochus et susceptibles de s'accrocher et de rester unis ; la réunion de plusieurs atomes constituait des molécules. Un atome, pour Démocrite, était doué en outre d'une force interne capable de le mettre en mouvement.
Les atomistes admettaient en principe le vide entre les atomes, parce que, disaient-ils, autrement il leur eût été impossible de se mouvoir.
Ils considéraient assez généralement ainsi les quatre éléments :
Le feu céleste (éter ou éther) formé d'atomes sphériques d'un poli parfait ;
L'air l'était d'atomes plus petits et capables de se mouvoir spontanément comme le feu ;
L'eau, atome ou molécule, ne leur paraissait pas susceptible de se mouvoir spontanément ; mais elle se mettait en mouvement par le choc du feu ou de l'air ;
La terre, à plus forte raison, était susceptible d'être mise en mouvement par la même cause.
Une conséquence de cette manière de voir était que les liquides contenus dans les vaisseaux des êtres vivants ne pouvaient recevoir le mouvement que du feu et de l'air qui les pressaient ou choquaient.
CHAPITRE II.
GÉNÉRALITÉS SUR PLATON, CHEF DE L'ACADÉMIE, ET SUR ARISTOTE, CHEF DU LYCÉE OU DU PÉRIPATÉTISME.
20. Platon, le chef des académiciens, et Aristote, chef du Lycée et du péripatétisme, élève de Platon, eurent des opinions différentes de celles des atomistes relativement à la structure physique de la matière et au vide. Loin de considérer la matière comme formée d'atomes insécables, Platon et Aristote admirent la continuité de ses parties, et dès lors le plein dans la nature ; et c'est parce que la science physico-chimique contemporaine repose sur l'existence des atomes qu'il n'est pas superflu de dire quelques mots des analogies et des différences des doctrines des atomistes et de celles des académiciens et des péripatéticiens.
En disant que les académiciens et les péripatéticiens se sont plus occupés, en parlant de la matière, de la question spirituelle relativement à la question matérielle, que ne l'ont fait les atomistes, je ne parle pas au point de vue de ce qu'on appelle généralement la doctrine du spiritualisme et celle du matérialisme ; je veux dire simplement que les phénomènes que nous présente la matière ont plus occupé les -atomistes que l'étude même des pensées que suggèrent en nous la perception de ces phénomènes, tandis que le contraire a eu lieu pour les académiciens et les péripatéticiens ; mais tous ont cru à l'éternité de la matière, et Platon lui-même, considéré universellement comme le plus spiritualiste des anciens philosophes, a professé cette opinion, tout en admettant explicitement qu'elle n'avait pu être constituée telle qu'elle est que par un Dieu organisateur.
21.. Platon et Aristote , ces grands esprits de la Grèce, croyant la matière simple et ne lui reconnaissant que des propriétés physiques, ne purent avoir aucune idée précise des conséquences nombreuses de ce que nous savons aujourd'hui de la combinaison chimique causée par l'union mutuelle des espèces chimiques opérée en vertu de l'affinité.
22. Platon, en parlant des quatre éléments, ramenait chacun d'eux aux quatre états d'agrégation des molécules homogènes que nous attribuons à la matière ; il les distinguait par une forme géométrique. Ainsi, selon lui, comme nous l'avons vu :
La terre, représentant l'état solide, était représentée par le cube.
L'eau, représentant l'état liquide, l'était par l'icosaèdre régulier.
L'air, représentant Tétât aériforme, l'était par l'octaèdre régulier.
Le feu, représentant l'état impondérable, l'était par le tétraèdre.
23. Les idées d'Aristote, sans avoir la précision des idées de Platon, avaient cependant une généralité qui se prêtait plus facilement à faire comprendre la diversité des corps qui affectent si diversement nos sens, quand on les considère individuellement ; évidemment, la diversité de formes, manifeste aux yeux de tous, justifiait l'importance que le grand philosophe attribuait à la forme, la nature de la matière étant simple, pensait-il.
Après mûres réflexions, je ne doute pas que la perpétuité des mêmes formes organiques dans la descendance des mêmes pères et des mêmes espèces, admise par les hommes doués de quelque instruction, ou par de purs praticiens livrés quelque temps avec réflexion à la culture des animaux domestiques, ne soit un des faits puisés dans l'observation du monde extérieur qui aient le plus frappé le grand esprit d'un Platon, d'un Aristote, et que l'importance de ce fait pour ce dernier n'ait été la cause pour laquelle il ait élevé la forme à la hauteur d'une cause ; et ne perdons pas de vue le temps, les observations et la science qu'il a fallu pour la réduire à un simple effet.
CHAPITRE III.
PHILOSOPHIE DE PLATON. –– GENERALITES.
24. Platon, avant l'existence du monde tel que nous le voyons, admettait l'existence d'une substance éternelle comprenant deux substances, que les théologiens et la plupart des philosophes modernes considèrent d'une manière distincte l'une de l'autre, tandis qu'elles étaient intimement unies dans la pensée de Platon :
1° Une substance intelligente participant de la Divinité ;
2° Une substance matérielle, mais différant de celle des corps qui tombent sous nos sens, parce qu'elle est invisible, sans forme, en un mot, sans propriétés.
Cette substance première, que la pensée seule peut concevoir, était mobile, selon Platon, mais tous les mouvements en étaient désordonnés.
25. Pour que ce chaos devînt le monde où nous vivons, il fallait un ouvrier, une cause agente, un Dieu pour mettre chaque chose en son lieu, et régler les mouvements en nombres harmonieux ; et si Platon admettait qu'il n'y avait pas eu un créateur de cette substance première, dénuée de forme et de toute propriété, il fallait reconnaître que 1'ouvrier, la cause agente, en la rendant visible à nos sens, lui avait imprimé toutes les propriétés qui nous la rendent perceptible.
26. L'ouvrier Dieu avait formé les cieux d'une substance incorruptible ; les astres étaient animés et divins, et ces dieux créés, représentés par des astres, avaient été créés mortels, mais l'ouvrier Dieu leur avait donné l'immortalité.
27. Les hommes, habitants de la terre, furent créés par les astres-dieux. Et, à cause même de cette origine, l'immortalité leur fut refusée aussi bien qu'à tous les animaux terrestres ; et leur matière, comme celle des plantes, était corruptible. Je reviendrai, à la fin du chapitre, sur la formation des animaux par les astres-dieux.
Si Platon reconnaissait que la substance intelligente, de nature divine, était la même dans tous les êtres dits animés, il expliquait, par le nombre et la variété des organes, et les proportions respectives de la substance intelligente, les différences par lesquelles les êtres animés se distinguent les uns des autres.
28. Platon admettait trois âmes ou trois modifications de l'âme humaine : L'âme du cerveau, dont l'attribut était la raison ; L'âme du cœur, dont l'attribut était la passion, l'irascibilité ; L'âme du ventre, dont l'attribut était la concupiscence.
29. Platon avait fait une part à l'astrologie en admettant que les astres agissaient sur les hommes par des semences et par des influences qui s'exerçaient sur le cœur particulièrement.
30. Voulant rester dans le vrai et me restreindre autant que possible pour ne parler que de la matière, je ne puis cependant me taire sur quelques points de la doctrine de Platon.
Comme Pythagore, il passe pour avoir été partisan de la métempsycose, en admettant que les hommes d'une bonne conduite étaient récompensés après leur mort. L'âme de chacun passait dans un astre où elle jouissait d'une félicité parfaite avec le dieu de cet astre. L'âme du méchant passait dans le corps d'une femme, et, si elle ne s'y corrigeait pas, dans une bête dont elle avait eu les vices, et la punition durait tant que l'âme ne s'était pas corrigée.
Platon croyait que Dieu donnait à quelques hommes le don de la divination, et cette divination pouvait encore appartenir à des enthousiastes, à des hommes malades et à des hommes endormis.
31. Enfin Platon passait pour avoir emprunté beaucoup d'idées à ses prédécesseurs et même à ses contemporains. C'est ce que Diogène de Laërte remarque dans la vie de Platon: il a emprunté à Héraclite les idées relatives aux sens ; à Pythagore, les idées les plus élevées relatives à l'intelligence ; à Socrate, sa manière d'envisager la morale, enfin beaucoup d'idées aux livres d'Épicharme.
EXAMEN DE DEUX SUJETS
SPÉCIAUX TRAITÉS PAR PLATON: LES QUATRE ÉLÉMENTS ET LA STRUCTURE DE L'HOMME ET DES ANIMAUX.
32. Il serait injuste de confondre Platon avec ces auteurs affirmant sans hésitation des opinions sur des choses du ressort d'un ordre d'idées fort différentes de celles qui se rattachent à des faits scientifiques susceptibles de se prêter à des discussions sérieuses, en ce sens qu'elles peuvent conduire à une conclusion. Du temps de Platon, il était impossible de soumettre les quatre éléments à des expériences analogues à celles dont ils ont été l'objet dans le XVIIIe siècle. Platon sentait si bien l'impossibilité d'études autres que les siennes, qu'il disait, et je ne puis trop en féliciter sa mémoire, qu'en parlant des propriétés qu'il attribuait à tel élément, par exemple à l'eau, le nom de l'élément ne lui était pas dicté par la certitude, mais par l'apparence qu'il jugeait la plus vraisemblable, et c'est ce que nous exprimons aujourd'hui lorsque nous parlons au nom de la probabilité la plus grande. Platon, à mon sens, est louable en faisant cette déclaration à propos de choses qui de son temps n'étaient le fait que de la simple observation, et qu'il fallait que des siècles s'écoulassent avant qu'elles pussent être attaquées par l'expérience scientifique.
33. En effet, quel que soit le génie qu'on accorde à Platon, il y avait une classe de connaissances dont il ne pouvait avoir aucune idée, celles, par exemple, que nous attribuons aux parties les plus ténues de la matière soumise aux forces appelées affinité, cohésion, chaleur, lumière, électricité et magnétisme. De là donc l'ignorance absolue de connaissances qui ont été la cause d'opinions absolument erronées émises par Platon ; mais, la critique ayant pour devoir de les signaler, la justice doit les atténuer en tenant compte du temps qui s'est écoulé depuis Platon jusqu'à l'époque contemporaine, pour recueillir cet ensemble de connaissances que nous devons à la rénovation des sciences composant aujourd'hui le domaine de la philosophie naturelle. A des titres divers, les promoteurs du mouvement furent Descartes, Galilée, Pascal, Bacon, Copernic et leurs successeurs, qui ne cessèrent pas de se livrer à l'expérience ou de la recommander.
Nous serons juste, croyons-nous, en examinant dans un premier article la manière dont Platon a envisagé les quatre éléments, et dans un deuxième celle dont il a examiné la structure mécanique du corps des animaux.
ARTICLE I.
DES QUATRE ÉLÉMENTS SELON PLATON.
34. Ainsi que nous l'avons vu, les quatre éléments furent les premières formes sous lesquelles apparut cette première substance à laquelle Platon refusait toute propriété, mais qu'il considérait comme susceptible de les recevoir toutes de la puissance de Dieu.
Croit-on que Platon rattache à cette œuvre divine quatre types matériels définis invariablement par des propriétés? Il n'en est rien ; il fallut des siècles pour reconnaître la vérité, car de nombreuses générations humaines se succédèrent avant que l'on distinguât les groupes de propriétés appelées aujourd'hui physiques chimiques et organoleptiques. J'hésite même à dire que, pour Platon, toutes les propriétés de la matière étaient physiques ; je croirais être plus près de la vérité en disant qu'il ne reconnaissait à la matière que des propriétés purement mécaniques.
35. L'auteur du Timée semble n'être frappé que de l'état d'agrégation des particules matérielles ; et c'est pour satisfaire à leur manière d'être, quand on les considère sous ce rapport, qu'il attribue au feu la forme d'un tétraèdre allongé ; à l'air, celle d'un octaèdre régulier ; à l'eau, celle d'un icosaèdre régulier aussi, très fin, pour qu'un amas de particules représente l'eau qui coule ; enfin il assigne à la terre la forme du cube, le plus stable de tous les solides. En définitive, il recourt donc à la géométrie pour expliquer les propriétés les plus caractéristiques des quatre éléments ; mais il va plus loin en ramenant la forme de chacun d'eux à des triangles, et sous ce rapport il en distingue de deux formes générales.
Le triangle rectangle isocèle, qu'il considère comme simple, par la raison que tous sont semblables.
Le triangle rectangle scalène, présentant une infinité de formes, puisque deux de ses angles sont différents et que les trois côtés sont inégaux.
Il insiste beaucoup sur la beauté géométrique du triangle équilatéral.
36. Mais ce n'est point cette conception géométrique qui m'a décidé à parler du Timée : c'est la manière dont Platon a envisagé les quatre éléments tels que la nature nous les présente, et, en effet, la manière dont il les considère a pour moi une importance majeure, parce qu'après en avoir mis le fond à découvert, il me sera facile de le retrouver plus ou moins modifié dans les livres des alchimistes qui font autorité. N'est-il pas curieux de voir Platon, l'auteur du Timée, exposer sous ce nom des idées sur la manière dont Dieu procéda pour donner à une substance privée de toute propriété et éternelle, les formes si différentes par lesquelles elle nous devient sensible dans ce vaste univers, déclarer l'incertitude où il est d'appliquer avec vérité à chaque élément de la nature le nom par lequel on le désigne? et la raison en est qu'il ne voit en eux que de simples apparences. Nous reproduisons les mots de la traduction du Timée, par M. Th.-H. Martin, pour éviter toute équivoque : (Études sur le Timée de Platon, tome Ier, p. 133.)
...... Voilà la vérité sur son compte ; mais il faut l'expliquer plus clairement : or c'est bien difficile, surtout à cause des questions que, pour cela, il faut d'abord se poser sur le feu et sur les trois autres espèces de corps. Car, lequel d'entre eux doit réellement porter le nom d'eau plutôt que celui de feu, et pourquoi l'un quelconque d'entre eux doit-il porter l'un de ces noms plutôt que tous les autres ou chacun d'eux? Répondre à cette question d'une manière certaine et irréfragable, c'est bien difficile. Comment y procéderons-nous, et quelle solution vraisemblable pourrions-nous donner à ce doute embarrassant? D'abord, ce que maintenant nous appelons eau, nous croyons voir qu'en se condensant, cela devient des pierres et de la terre ; en se fondant et se divisant, du vent et de l'air ; que de l'air enflammé devient du feu, et que réciproquement le feu condensé et éteint reprend la forme d'air ; que l'air rapproché et épaissi se change en nuages et en brouillards, qui, encore plus comprimés, s'écoulent en eau ; que de l'eau se reforment la terre et les pierres, et qu'ainsi, à ce qu'il paraît, ces corps s'engendrent périodiquement les uns des au très. Ainsi, puis- qu'on ne peut se représenter chacun d'eux comme étant toujours le même, oser soutenir fermement que l'un quel-conque d'entre eux est celui qui doit porter tel nom, à l'exclusion de tout autre, ne serait-ce pas vouloir s'attirer la risée ? C'est impossible, et il est bien plus sûr de nous en tenir à l'idée suivante : quand nous voyons quelque chose qui passe sans cesse d'un état à un autre, le feu, par exemple, nous ne devons pas dire que cela est du feu, mais qu'une telle apparence est celle du feu, ni que ceci est de l'eau, mais qu'une telle apparence est celle de l'eau ; et de même pour tous ces objets changeants, auxquels il faut se garder de paraître attribuer aucune stabilité, comme il arrive lorsque, pour la montrer, nous nous servons de ces expressions : ceci, cela, par lesquelles nous croyons désigner un objet déterminé. Car, changeant sans cesse, ils échappent à toutes ces expressions démonstratives, qui les présenteraient comme des êtres stables. Il ne faut jamais nommer à part, comme une chose distincte, aucun de ces objets ; mais, en parlant de chacun d'eux et de tous ensemble, il faut appliquer le nom à l'apparence toujours la même qui passe de l'un à l'autre. Nous donnons donc le nom de feu à l'apparence du feu répandue dans toutes sortes d'objets, et nous suivrons la même règle pour toutes les choses qui ont un commencement..... »
37. Dira-t-on que Platon, en faisant ces observations, n'a été qu'un esprit léger, un esprit vulgaire ? Il me suffira de rappeler que dans le XVIIIe siècle il a fallu que trois hommes : Margraff en Prusse, Scheele en Suède et Lavoisier en France, aient montré, chacun de son côté, l'erreur commise par plusieurs savants, leurs contemporains, persuadés du changement de l'eau en terre parce que ce liquide, chauffé dans des vases de verre, avait donné de la silice provenant de l'altération du verre soumis au contact de l'eau bouillante. Ces faits rappelés, revenons à Platon.
Il voit l'eau dans un vase qu'elle remplit, la surface en est plane ; une partie se sépare de la masse sans effort, pour ainsi dire, elle mouille un tissu qu'on y plonge, etc., etc.
Mais, exposée à l'air, et à fortiori chauffée dans un vase, elle disparaît et devient invisible comme l'air, et presque toujours elle laisse au fond du vase qui la contenait une matière solide d'apparence terreuse.
J'admire le savant observateur, aussi grand logicien que penseur profond, le divin Platon, se demandant pourquoi il appelle eau ce corps qui disparaît en laissant un résidu terreux plutôt que de l'appeler air ou terre?
CONCLUSIONS.
38. Le résultat auquel Platon arrive en donnant une forme géométrique aux quatre éléments, forme telle que l'air, l'eau et la ferre peuvent se changer en feu, et les tétraèdres du feu se grouper de manière à constituer de l'air, de l'eau et de la terre est-il absurde? Non ; ces transmutations seraient conformes, si elles étaient vraies, avec le phénomène incontestable aujourd'hui de l'isomérisme ; et, depuis assez longtemps, on sait que l'eau est susceptible d'être glace, eau liquide et vapeur, et, quand on comptait quatre éléments, Platon n'était-il pas autorisé à se demander si l'eau, à l'état invisible, ne pouvait pas être considérée comme de l'air, et quand elle laissait un résidu fixe, ce résidu ne provenait-il pas de l'eau changée enterre? Ce qu'il y a de certain, c'est que tous ces faits, indépendamment de toute théorie, étaient conformes à la transmutation des corps, et que dès lors il est tout naturel que les néoplatoniciens de l'école d'Alexandrie fussent fort disposés à croire aux idées alchimiques.
ARTICLE II.
DE LA STRUCTURE MÉCANIQUE DU COUPS DE L'SOMME ET DES ANIMAUX D'APRÈS PLATON.
39. Certes, le passage suivant, où Platon décrit la manière dont les astres-dieux procèdent à la formation de l'homme et des animaux, ne donne lieu à aucune des réflexions que le passage relatif aux quatre éléments nous a suggérées: (Le Timée de Platon, tome Ier, p. 117)
« Et Celui qui venait d'établir tout cet ordre restait dans son état accoutumé ; mais ses enfants (les astres-dieux), ayant médité le plan de leur père, s'y conformèrent. Ils prirent donc le principe immortel de l'animal mortel, et, imitant Celui qui les avait faits eux-mêmes, ils empruntèrent au monde des parties de feu, de terre, d'eau et d'air, qui devaient lui être rendues un jour ; ils les unirent ensemble, non par des liens indissolubles, comme ceux par lesquels Dieu avait joint les parties de leur propre corps, mais par des chevilles multipliées et IMPERCEPTIBLES A CAUSE DE LEUR PETITESSE, et, après avoir formé ainsi des corps entiers et bien distincts, ils établirent la révolution de l'âme immortelle dans chacun de ces corps, où de nouvelles parties affluent et d'autres s'écoulent sans cesse..... »
40. Plus haut, ai-je dit, les connaissances de Platon concernant la matière semblaient appartenir plutôt aux propriétés mécaniques qu'aux propriétés physiques, et cette expression me semble justifiée par la citation précédente d'après les mots soulignés : « L'astre-Dieu avait jointles parfies de leur propre corps par des chevilles multipliées et IMPERCEPTIBLES A CAUSE DE LEUR PETITESSE. » Si Platon, en parlant de la formation de l'homme, eût eu d'autres notions que celles qu'il a émises sur la structure physique des êtres vivants et leur admirable économie, jamais il n'eût écrit la phrase que je viens de reproduire. Loin de nous l'idée de lui en faire un reproche : louons-le au contraire de ce qu'ignorant des merveilles de la science moderne, il ait eu le sentiment des harmonies du monde et de celle surtout que présente aux méditations du philosophe l'observation de la nature vivante !
40 bis. Parler davantage du Timée serait dépasser le but que je me suis proposé en écrivant cet opuscule. Il suffît à tout lecteur en possession de quelque notion de chimie, que la transmutation mutuelle des quatre éléments soit établie en principe, pour qu'il comprenne l'impossibilité de se faire une idée juste de la combinaison chimique, et qu'il s'explique combien cette manière de voir était favorable à préparer les esprits en faveur des idées alchimiques ; aussi n'ai-je jamais mis en doute l'influence des néoplatoniciens de l'école d'Alexandrie pour les répandre. Après l'exposé des principales opinions alchimiques depuis Geber jusqu'à Becker exclusivement, il sera facile, par les citations textuelles que je ferai d'Hortulain (151), de Geber (152), de Bernard comte de la Marche-Trévisane (13) et de Colonna (14), de s'expliquer l'influence exercée, non-seulement par Platon, mais encore par Aristote dont je vais examiner les principales idées sur la matière dans le chapitre suivant, et, avant tout, je ferai la remarque que les alchimistes, dans aucun temps, n'ont manqué d'attribuer quelques-unes de leurs idées à des noms illustres auxquels elles furent tout à fait étrangères.
CHAPITRE IV.
ARISTOTE CHEF DU LYCÉE OU DU PÉRIPATÉTISME.
41. J'éprouve bien plus de difficulté pour parler d'Aristote que je n'en ai eu à parler de Platon. J'étais guidé par le. Timée et l'excellent travail de M. Théodore-Henri Martin :
les choses sont tout autres pour le chef du Lycée, sa manière d'envisager la matière et le monde n'est pas résumée dans une œuvre comparable au Timée, et je dois ajouter qu'il existe un livre intitulé : les Principes de la nature suivant les anciens philosophes, avec un abrégé de leurs opinions sur la composition des corps ; où Ton fait voir que toutes leurs opinions sur les principes peuvent se réduire aux deux sectes des atomistes et des académiciens. Le livre parut à Paris en 1725. Il est de Prosper-Marie-Pompée Colonna. L'auteur passa la plus grande part de sa vie à Paris, où il composa une dizaine de volumes dont la plupart sont anonymes ou pseudonymes. Sa foi était vive en alchimie, je ne pense pas cependant qu'il l'ait pratiquée ; quoi qu'il en soit, c'était son idée fixe, et, imitateur de ses devanciers, il saisissait toutes les occasions de la vanter en y rattachant les noms les plus notables, et il a obéi à cette pensée en publiant ses deux volumes sur les philosophes grecs. Il préférait, à mon sens, les atomistes aux académiciens, parmi lesquels il comptait Platon et Aristote^ en plaçant celui-ci au-dessus du premier ; mais, parce qu'il était érudit et doué d'un esprit clair et précis, quoique alchimiste, je l'ai toujours considéré comme une autorité qu'il fallait consulter quand il s'agissait d'alchimie, mais tout en tenant compte d'opinions qui pouvaient l'égarer de la vérité ; aussi, après avoir étudié ses deux volumes sur la philosophie grecque, je me suis bien gardé de livrer à l'impression son interprétation des opinions de Platon, et d'Aristote surtout, sans consulter ceux de mes confrères dont des études spéciales ont porté sur Les écrits de. ces deux grands hommes. Ainsi M. Barthélémy Saint-Hilaire m'a dit que Colonna a prêté à Aristote deux opinions qu'il n'a jamais exprimées ; la première, qu'Aristote avait parlé d'une cinquième matière, d'une quinte-essence, que le mot essence avait été créé par la scolastique. La seconde qu'on ne trouve dans aucun écrit la proposition que tant d'écrivains lui ont prêtée : Nihil in intellectu quod non fuerit in sensu. Non-seulement elle était professée comme un principe à l'école d'Angers, mais je la retrouvai donnée comme telle à Paris dans les premières années du siècle.
En outre, j'ai consulté l'excellente traduction de la Métaphysique d'Aristote par M. Ravaisson : et les Études de philosophie grecque et latine de M. Charles Lévêque, m'ont donné d'utiles renseignements.
Les études auxquelles je me suis livré ont eu deux objets : d'abord, de connaître les opinions de Platon et d'Aristote sur la matière sensible à nos sens, qui, en définitive, correspondait pour eux à l'idée que nous avons du corps simple, et dès lors de savoir comment ils avaient suppléé à l'ignorance où ils étaient de la diversité des espèces chimiques et des agents que nous appelons chaleur, lumière, électricité, magnétisme, et enfin à leur ignorance absolue des actions moléculaires au contact apparent ; ensuite, d'examiner les opinions ré elles de Platon et d'Aristote relativement à la manière dont les alchimistes les avaient interprétées. C'est ainsi que j'ai étudié ce qu'ils ont pensé d'une cinquième essence, matière incorruptible qui formait le ciel de Platon et qu'il considérait comme incorruptible, et que j'ai pu me rendre un compte exact de plusieurs différences existant entre les opinions de Platon et celles d'Aristote.
42. Si certaines opinions d'Aristote rappellent celles de Platon, des différences notables existent quand il s'agit d'appliquer des idées d'extrême abstraction à l'explication des phénomènes concernant les sens des êtres animes et des phénomènes relatifs aux êtres inanimés tels qu'Aristote les distingue, et dans cette distinction le chef du Lycée était bien plus près de la méthode à posteriori expérimentale que son maître, le fondateur de l'Académie : car la substance première de Platon existant de toute éternité, et en comprenant deux, à savoir : l'une divine, intelligente, cause de mouvement, et l'autre matérielle, une fois admises comme la substance de tous les corps de la nature, la conséquence était donc que tous les corps étaient animés. Mais Aristote ne pouvait confondre, je ne dis pas l'homme, mais une plante avec une pierre. Eh bien, avec les idées de. Platon relatives à la substance première, la distinction des corps animés d'avec les corps inanimés n'était possible qu'en se laissant aller à l'observation conformément à la méthode a. posteriori. Disons donc que, si les atomistes nous paraissent moins éloignés des idées actuelles que ne le sont Platon et Aristote, c'est que Démocrite, jugé comme le plus distingué des atomistes, n'a pas eu la prétention de prononcer magistralement sur l'ensemble des questions traitées postérieurement par Platon.
43- Mais Démocrite lui-même, pour expliquer les relations de l'homme avec le monde extérieur, avait supposé que des fantômes émanés des objets sensibles, non pas seulement au sens de la vue, mais à un sens quelconque de l'être animé, produisaient une sensation qui, une fois perçue, se représentant à la pensée-mémoire, rappelait la sensation première du fantôme ; seulement celui-ci n'était pas alors rapporté au monde extérieur, mais bien au monde intérieur de l'être animé. Les fantômes de Démocrite ont évidemment conduit Platon à sa théorie des idées-images, auxquelles il attribuait une existence réelle d'après l'opinion de beaucoup de critiques.
Quant aux atomistes, moins portés aux spéculations de l'esprit que Démocrite, Épicure, par exempte, ils se sont bien gardés de traiter des questions qui, eu égard à la science actuelle, sont ce qu'elles étaient alors.
Ce qui donne à Aristote une part si grande à sa réputation de philosophe, c'est que son esprit lui a fait sentir la nécessité d'observer la nature plus que ne le faisaient ses contemporains, et que des difficultés dont son esprit si perspicace et si profond était vivement frappé, l'entraînaient à traiter des détails qui semblaient des subtilités à des esprits moins profonds que le sien, moins sévères, quand ils n'étaient pas légers même.
44. Une distinction d'Aristote, bien remarquable pour son temps, concerne les trois facultés de l'âme : I, la faculté végétative ; II, la faculté sensitive, et III, la faculté intellectuelle.
I. Faculté végétative. .
Elle accomplit sa mission au moyen de la nutrition a) et du sommeil b).
a) Nutrition.
L'appétit d'une chose du dehors, aliment solide oui liquide, lorsqu'il s'agit de l'homme ou d'un animal supérieur, est accompagné d'une disposition contraire, la répugnance ; éviter ce qui répugne. Rechercher ou éviter constitue la volonté.
Et où l'appétit de l'aliment existe, existe la faculté de le retenir et la faculté de rejeter le résidu de la nutrition.
b) Sommeil.
Il est indispensable pour réparer la perte des esprits pendant la veille.
45. L'âme n'est point un mouvement, mais bien la cause d'un mouvement déterminée et, comme telle, elle préside à la nutrition en déterminant la sorte de mouvement que l'être vivant doit exécuter pour puiser au dehors ce qui est nécessaire à entretenir la vie de l'individu, assurer la conservation de l'essence de l'espèce à laquelle il appartient. l'âme est donc chargée de veiller à la conservation de toutes les formes spécifiques, a elle donc appartient de les maintenir DANS LE TEMPS.
Certes, une pareille idée ne pouvait appartenir qu'à un grand génie !
II. Faculté sensitive.
46. Aristote n'attribuait pas la faculté de sentir aux plantes, mais il lui était difficile d'exprimer nettement la raison pour laquelle les plantes ne sentent pas, comme le font les animaux, dès qu'il admettait que ceux-ci sont formés comme les plantes de la même substance première.
Aristote répond aux difficultés que je viens d'énoncer :
1° Que dans les êtres animés la proportion des deux substances, l'âme et la matière, est variable, ce qui s'accorde avec la distinction établie entre les êtres animés et les êtres inanimés: ;
2º Qu'il ne suffît pas d'une substance intelligente dans un être animé pour que cet être jouisse de toutes les facultés dont l'homme et les animaux supérieurs sont pourvus, mais qu'il faut encore des organes à ces êtres. Par exemple, tout être animé privé de l'organe, de la vue ne voit pas. Or, ici, après avoir parlé de l'âme à propos de la nutrition, comme veillant au maintien de l'essence des espèces, on se demande, dès qu'on admet l'existence de la substance première douée des deux natures, et notamment une âme assurant la durée de l'espèce, comment elle n'a pas imprimé à tous les individus où elle a pénétré les mêmes facultés.
Évidemment Aristote n'explique pas la difficulté que je viens de soulever.
3° J'arrive à une difficulté plus grande.
La substance intelligente, l'âme de la substance première est cause du mouvement,, et la substance matérielle lui obéit. D'où vient donc que, si l'appétit est indispensable à la nutrition, l'appétit ait besoin d'an corps extérieur pour se manifester ou pour être excité ?
Or Aristote, ayant recours aux fantômes de Démocrite, admet la nécessité d'un attouchement de leur part à l'égard de l'organe sensible, et la nécessité d'une sorte d'égalité entre l'action du fantôme et celle qu'éprouve ï'organe qui la reçoit.
Or, les choses se passant ainsi, l'âme, qu'on caractérise par la faculté motrice, n'entrerait en activité que par un moteur extérieur.
Enfin, avec les idées d'Aristote, comment expliquer les phénomènes de l'instinct ?
Des appétits, des répugnances se manifestant pour des choses que l'animal nouveau-né voit pour la première fois?
III. Faculté intellective.
46 bis. Parler de ce qu'Aristote entend par la faculté intellective de l'âme d'une manière concise et exacte est fort difficile, parce que lui-même, dans ses traités de l'Ame et du Ciel, dans sa Physique, a exprimé des opinions qui sont loin d'être toujours conformes les unes aux autres.
Ame et entendement sont synonymes pour Aristote, et, loin de confondre la première avec la matière, il la considère comme ayant quelque chose de divin, en lui reconnaissant comme attribut d'être cause motrice, de sentir, de connaître et de raisonner.
Il ne parle pas de l'individualité des âmes. Loin de là, il existe, pense-t-il, une âme du monde, substance spirituelle, origine de toutes les âmes dont sont pourvus les hommes, les animaux, et qui à la mort des individus font retour à la source commune.
L'âme des hommes ne diffère point essentiellement de celle des animaux ; mais, le premier, il reconnaît la diversité de développement dans les animaux et même chez divers individus de l'espèce humaine.
47. Voyons comment Aristote conçoit les facultés de l'âme.
L'âme ne connaît pas, n'entend pas, à moins que les sens ne lui transmettent l'image de quelque chose émanée du monde extérieur, image qui est le fantôme de Démocrite.
Le fantôme donne un appétit concupiscible qui dirige le mouvement vers le lieu d'où le fantôme émane, ou un appétit irascible qui détourne le mouvement du lieu d'où le fantôme a émané.
L'appétit n'est que la volonté ; il tend à produire, suivant le cas, deux actions, dont l'une est le contraire de l'autre, ou, si l'on veut, deux mouvements dont l'un est de nous porter vers le lieu occupé par un objet qui plaît et l'autre de nous détourner d'un lieu où se trouve un objet qui déplaît.
Aristote dit que le fantôme qui agit du dehors sur l'organe d'un sens, soit la lumière qui agit sur l'œil, soit l'air qui agit sur l'oreille, soit quelque vapeur qui agit sur l'organe de l'odorat, soit quelque chose qui agit sur tout autre organe, agit par un attouchement, et, pour que l'effet soit aussi efficace que possible, il faut une proportion convenable entre la cause agissante et l'organe qui reçoit l'action ; c'est donc bien conformément à la proposition précédente que l'âme intelligente est affectée par l'impression de l'image ou du fantôme agissant du dehors par attouchement sur le sens qui, à son tour, donne lieu à une, réaction de l'âme sur le corps. En définitive, c'est donc le fantôme agissant du dehors sur l'âme par l'intermédiaire du sens qui l'excite, et, sous cette excitation, elle met le corps en mouvement. Si cette opinion était réellement celle d'Aristote, est-il étonnant qu'on lui ait prêté la proposition que l'homme ne peut rien savoir que ce qu'il a appris du dehors par l'intermédiaire des sens ?
Le raisonnement de l'âme exige plusieurs conditions :
a) Des sens dont les organes, quant à la structure, soient irréprochables pour mettre l'homme en rapport avec le monde extérieur ;
6) La mémoire, cause des souvenirs des fantômes qui ont affecté l'âme, et souvenirs assez précis pour qu'elle ne rapporte pas à un lieu du monde extérieur la sensation actuelle avec la sensation première du fantôme, qui alors émanait bien d'un lieu déterminé du monde extérieur.
C'est grâce au souvenir précis de tous les fantômes qui-ont affecté l'âme dans des lieux différents et dans des temps différents que le raisonnement est possible ; que des œuvres intellectuelles peuvent être composées ; que des inventions peuvent être réalisées ; que des expériences peuvent être faites, en rappelant des souvenirs passés avec les sensations présentes.
48. En parlant des plantes, auxquelles Aristote reconnaît l'âme comme êtres vivants, mais auxquelles, avec tant de raison, il refuse la faculté sensitive ( Je sous-entends l'adjectif consciente, qu'on me pardonne cette expression.) d'après des considérations en accord parfait avec la méthode à posteriori, il cherche à en donner la cause en ayant égard :
a) Au manque de certains organes ;
b) A la trop faible proportion de substance animée relativement à la substance matérielle ;
c) A la trop forte proportion de matière terreuse.
49. Après avoir parlé des deux extrêmes des êtres animés, l'homme et les plantes, il me sera plus facile de faire comprendre l'explication des différences données par Aristote, propres à distinguer les animaux de diverses catégories en ayant égard à leurs mœurs, à l'instinct, à l'intelligence même.
Les animaux les plus voisins de l'homme non-seulement sentent, mais ils distinguent leurs sensations et éprouvent toutes les passions de l'homme. Aristote leur accorde encore la prudence, la prévoyance de leurs besoins et la prudence.
Aristote attache encore, et avec raison, une grande importance au sens de la vue chez les animaux, et même au sens de l'ouïe, à l'aide duquel ils peuvent entendre la parole de l'homme et en recevoir une influence.
50. Je ne quitterai pas Aristote sans faire trois remarques :
A. L'une porte sur ce qu'il n'a pas insisté sur l'instinct des animaux ;
B. L'autre concerne la manière dont il a envisagé le ciel relativement au monde terrestre.
C. La dernière est relative aux quatre natures qu'il assigne à un corps matériel perceptible à nos sens.
A. Aristote n'a pas suffisamment distingué l'instinct des animaux de leurs autres facultés.
Faute d'avoir distingué chez les animaux des actes de pur instinct d'avec ceux qui, chez l'homme, sont attribués à son intelligence, il en résulte qu'Aristote a fait une part plus grande à leur raison proprement dite qu'on ne leur en accorde lorsqu'on s'est convaincu par l'expérience qu'ils exécutent dès leur naissance des actes qu'évidemment ils n'ont point appris de leurs ascendants, et qu'on les voit plus tard en exécuter d'autres sans qu'on se soit jamais aperçu qu'ils se fussent étudiés à le faire. En un mot, après avoir signalé ailleurs (2) des actes d'instinct parfaitement définis, sans qu'on puisse les attribuer à un enseignement préalable de la part du père et de la mère, actes que les enfants des hommes n'exécutent qu'après des exercices plus ou moins répétés, on est bien obligé de reconnaître que les petits des animaux manifestent en naissant une faculté d'exécuter des actes que l'homme est obligé d'apprendre à force d'exercices répétés.
L'observation des animaux conduit donc à admettre qu'il existe chez eux des facultés que nous ne trouvons pas chez l'homme, du moins au même degré de développement et qui semblent avoir quelque rapport avec ce qu'on a appelé des idées innées, contre l'existence desquelles les philosophes du XVIIIe siècle ont tant protesté.
B. Manière dont Aristote a envisagé le ciel.
La plus grande difficulté que j'aie rencontrée dans la composition de cet opuscule a été la citation que j'ai faite des opinions des philosophes de la Grèce, et particulièrement d'Aristote, et cette difficulté est celle-ci : c'est la tendance commune à tous les alchimistes les plus renommés d'avoir avancé comme favorables à leurs idées des opinions qu'ils attribuaient aux hommes les plus célèbres de l'antiquité. Eh bien, ces citations sont loin d'être toujours exactes. Les mots essence, quinteessence, attribués à Aristote principalement, ont été fréquemment employés dans le langage alchimique, et, quoique Geber soit antérieur à l'époque où la médecine a recouru aux préparations hermétiques, il a employé le mot quinte-essence (3).
Je vais donc exposer ce que j'ai pu me procurer de plus exact sur ceux des écrits d'Aristote qui, à mon sens, ont été la source où des alchimistes ont puisé particulièrement des idées relatives à des préparations médicinales. C'est son traité du Ciel que je vais examiner sous ce rapport.
Voici, en peu de mots, l'idée qu'Aristote se faisait du monde.
La terre immobile était placée au centre ; toutes les planètes, le soleil compris, tournaient autour d'elle.
La terre, comme les planètes, comme les étoiles fixes, était sphérique , parce que cette forme est supérieure à toute autre.
L'ensemble de tout ce qui constitue le monde était contenu dans un espace sphérique dont la limite, le ciel, était la limite de toute chose. Il n'y avait au delà ni temps ni espace.
Si Aristote distingue un premier, un deuxième.... ciel, ce sont des régions différentes d'un ciel unique.
C'est dans les parties les plus élevées du ciel qu'on trouve le divin, le bon, c'est la région éthérée.
L'éther, dont l'essence est de se mouvoir toujours, est le premier corps, distinct de tous ceux qui nous entourent, et d'autant plus parfait qu'il est plus éloigné de nous.
Il est immortel, ne s'accroît ni ne décroît ; conséquemment, il est en dehors de toute génération et de toute corruption. Aristote lui attribue le désir de se mouvoir pour plaire à Dieu.
Il est donc tout à fait distinct des quatre éléments, la terre, l'eau, l'air et le feu.
Le ciel extrême comprend au-dessous de lui le ciel des étoiles fixes.
Celui-ci comprend au-dessous de lui le ciel des planètes.
Celui-ci comprend au-dessous de lui le ciel du feu.
Celui-ci comprend au-dessous de lui le ciel de l'air.
Celui-ci comprend au-dessous de lui le ciel de l'eau.
Enfin, celui-ci comprend au-dessous de lui le ciel de la terre.
Les idées que les alchimistes me paraissent avoir puisées dans les idées cosmologiques d'Aristote sont les attributs qu'ils accordent à l'éther, et l'opinion qu'ils en ont déduite que tout ce qui tendait à diviser la matière, à la réduire à l'état invisible ou à l'état aériforme, ajoutait à ses qualités, à ses vertus. De là l'importance que les alchimistes mettaient à volatiliser les corps dans les préparations hermétiques pour en augmenter l'énergie eu égard à la transmutation.
G. Des quatre natures qu'Aristote reconnaît à un corps perceptible à nos sens.
Aristote a émis des opinions fort différentes de celles de Platon ; mais sur bien des points la diversité n'est pas aussi grande qu'on pourrait le croire, par exemple, sur la part qu'il fait aux facultés de la pensée, de la raison, de l'âme. Certes, les quatre natures qu'il reconnaît aux êtres matériels perceptibles à nos sens sont loin d'être favorables au matérialisme.
Aristote leur reconnaît quatre natures.
1º nature. C'est la matière proprement dite ou le sujet.
2e nature. La forme est l'essence de l'être, elle le caractérise ; par elle, il se distingue de tout autre, et le grand naturaliste, l'auteur de l'histoire des animaux et le philosophe des catégories et des classifications, admettant la simplicité de la matière, ne pouvait faire autrement.
3e nature. En elle était le lien intime des deux premières natures et résidait la force motrice.
4e nature. Complément des trois premières natures, en elle se trouvait la causalité, la fin pour laquelle l'être avait été formé comme partie du monde, dont pas une ne manquait de sa raison d'être.
Si Platon attachait si peu d'importance à la matière, évidemment l'élève se rapprochait du maître quand il disait : La matière n'est rien sans la forme.
PREMIER CHAPITRE COMPLÉMENTAIRE
RELATIF A DES ÉCRITS ALCHIMIQUES ANONYMES OU PSEUDONYMES QUI, SELON MOI, N'ONT PAS L'ANTIQUITÉ QUE LES ALCHIMISTES LEUR ATTRIBUENT.
51. Quand on sera convaincu, comme je le dirai plus loin, que l'alchimie ne tire point son origine du noble penchant qui porte l'homme à connaître le monde où il vit et à rechercher la cause des merveilles qu'il observe, mais qu'elle est la conséquence de l'importance que tant d'hommes attachent à la richesse, on ne sera point étonné que la pensée de changer les choses communes en choses précieuses, les métaux communs en or ou en argent, les pierres communes en pierres précieuses, se soit présentée à un certain nombre d'esprits, parmi lesquels il y en aura eu sans doute de bonne foi. Dès que cette pensée aura été arrêtée dans quelques hommes, un des moyens les plus efficaces à en réaliser les avantages leur aura paru être de fixer l'attention du monde sur l'antiquité de la pensée, en la rattachant à des noms des plus respectables par l'ancienneté des services rendus à la société humaine.
N'est-ce pas là l'explication que le premier nom qui se présente à l'appui de notre opinion soit celui à'Hermès?
52. L'histoire d'Egypte compte deux Thot ou deux Bermes. Le plus ancien était fils du roi Menés, qui, selon Manéthon et Champollion, vivait de 58o4 à 5777 ans avant J.-C. Le fils du roi Menés a porté les noms de Thot I, Athotis I, Hermès I. L'histoire rattache à sa personne les plus grands services qu'un roi puisse rendre à son , peuple comme savant, législateur et inventeur même des choses utiles et agréables à la vie des hommes. Hermès était donc respecté à tous égards du peuple égyptien. Mais ce n'est pas à sa personne que les alchimistes ont rattaché leur prétendue science : c'est à Siphoas, Sauphi Thot II ou Hermès II, qu'ils ont nommé Trismégiste, fondateur de la IVe dynastie, qui, suivant Manéthon, vécut de 5121 à 5058 avant J.-C., et éleva la grande pyramide. On lui attribuait l'invention de différentes branches des connaissances humaines. Enfin il était réputé un type de savoir (4).
53. Je me garderai bien de citer tous les ouvrages attribués à Hermès Trismégiste ; j'en mentionnerai deux, parce que les alchimistes leur accordent quelque importance :
La Table d'émeraude, traduite en français dans la Bibliothèque des philosophes chimiques, avec un commentaire de Hortulain (Joannes Grassseus) qui vivait au XVe siècle ;
Les Sept chapitres traduits dans le même recueil.
L'ouvrage le plus volumineux est le Pimandre, qui porte avec lui la preuve d'une origine moderne.
Il existe un Dialogue de Marie et d'Aros sur le magistèred'Hermès, traduit en français dans la Bibliothèque des philosophes chimiques. Il est attribué à une juive du nom de Marie, laquelle vivait, suivant Lenglet-Dufresnoy, en 470 avant J.-C. Cet écrit est encore apocryphe.
54. Enfin, je dirai qu'il n'existe aucune preuve que Démocrite d'Abdère, le célèbre philosophe grec atomiste, ait été initié aux mystères hermétiques par Ostanes et les prêtres égyptiens.
Qu'il se soit livré à quelque opération de céramique ou de vitrification, qu'il ait coloré des composés céramiques ou vitreux en des couleurs diverses, en vert notamment, qu'il ait su amollir l'ivoire en le chauffant, tout cela est possible, mais ne prouve pas, comme on l'a avancé, qu'il savait transmuer des matières terreuses ou vitreuses en émeraudes, et qu'il fût adepte, c'est-à-dire capable d'opérer la transmutation des métaux en or ou en argent.
DEUXIÈME ÉPOQUE
ELLE COMMENCE A LA FONDATION
DU MUSÉE D'ALEXANDRIE, DE 285 A 247 AVANT J.-C., ET FINIT AVEC GEBER, QUI VÉCUT TRÈS-PROBABLEMENT AU IXe SIÈCLE.
55. Elle comprend en outre les écrits relatifs à l'art sacré, où il n'y a rien de positif quant à la science proprement dite et bien peu de chose quant aux procédés.
C'est à la seconde époque que commence en réalité, avec l'alchimie, des recherches dont l'objet repose sur la complexité de la matière.
INTRODUCTION.
§-I
DISTINCTION DE LA MATIÈRE SIMPLE ET DE LA MATIÈRE COMPOSÉE.
56. Est-il possible de passer facilement de l'histoire de la matière telle que la considéraient les atomistes Platon et Aristote à l'opinion que s'en faisaient les alchimistes, pour qui elle était explicitement composée ? Je ne le pense pas : il est donc indispensable de signaler des difficultés qui, à mon sens, ne l'ont point été.
Si la matière était simple pour les atomistes, les académiciens et les péripatéticiens, s'ils en admettaient l'existence de toute éternité, il s'en faut de beaucoup qu'ils s'en formassent les mêmes idées.
57. Les atomistes envisageaient la matière de la façon la moins complexe, en y reconnaissant une matière proprement dite et une force en vertu de laquelle elle se mouvait.
Les atomes n'étaient point uniformes. Les uns, sphériques et à surface polie, glissaient les uns sur les autres et constituaient le feu, l'air et les eaux.
Les autres, supposés crochus, susceptibles d'adhérer ensemble, constituaient des solides, de sorte que c'était par des propriétés exclusivement mécaniques qu'on expliquait la diversité des propriétés de la matière. L'existence du vide paraissait aux atomistes indispensable au mouvement des atomes.
58. Platon concevait l'existence de la matière tout autrement que les atomistes, quoique en la considérant avec eux comme existant de toute éternité ; mais il admettait que, telle qu'elle affecte nos sens, elle avait été organisée par Dieu ; il y a plus, ce chaos n'était pas inerte, un mouvement l'agitait, mais sans effet déterminé, en un mot, ce mouvement était désordonné. Comme nous l'avons dit, la matière pour Platon était continue dans ses parties et le vide n'existait pas ; différence considérable entre sa manière de voir et celle des atomistes ; et, avant d'avoir été constituée ou ordonnée par la cause agente divine, elle était, selon lui, dénuée de toute propriété, mais susceptible de les recevoir toutes. Elle apparut à l'homme d'abord sous les formes des quatre éléments ; ensuite une substance éthérée capable de la mouvoir fut produite, et cette substance constitua l'âme humaine.
59. Aristote, moins hardi que son maître Platon, ne s'était pas élevé à la conception d'une matière première sans propriétés, mais, d'accord avec lui, il reconnaissait l'éternité de la matière, la continuité de ses parties et le plein. Il admettait en outre qu'elle devait l'ordre sous lequel elle se manifeste dans le monde actuel à un pouvoir divin ; et l'on ne doit pas s'étonner que le naturaliste qui s'était montré aussi grand que profond dans son Histoire des animaux se soit préoccupé de la forme, dont personne avant lui n'avait compris l'importance dans l'étude des classifications naturelles, alors que la science des actions moléculaires au contact apparent n'existait pas.
60. De l'exposé de l'opinion où la matière est considérée comme simple, passer à l'opinion contraire, n'est donc point une chose facile. La complexité de la matière n'a été adoptée qu'après des siècles ; il a fallu que l'alchimie eût fait son temps, que van Helmont eût exposé les idées les plus extraordinaires sur l'ensemble des êtres qui, selon lui, constituent le monde, que Stahl eût publié la première théorie chimique, que dis-je? la première hypothèse chimique générale, celle du phlogistique, et enfin que cette hypothèse, après les travaux de Bergmann, de Scheele, de Margraff, de Rouelle, de Macquer, de Priestley, de Cavendish et de Berthollet, eût succombé devant les travaux de Lavoisier, pour que les idées actuelles sur la simplicité et la complexité de la matière fussent adoptées par tous les chimistes sans prévention.
C'est avec l'intention d'atténuer la difficulté de passer de l'exposé de l'opinion où l'on admet la simplicité de la matière à l'opinion contraire, qu'avant de commencer l'histoire de l'alchimie où la complexité de la matière est admise explicitement, résumant en deux propositions générales les idées qu'on a aujourd'hui de la matière, je ferai quelque chose d'utile au double point de vue de la clarté et de la précision, pour bien comprendre ce que je dirai de l'alchimie.
61. DISTINCTION DE LA MATIÈRE SIMPLE D'AVEC LA MATIÈRE COMPOSEE.
1ère proposition.
Quand on ne reconnaît qu'une matière unique et simple, on ne peut attribuer la diversité des formes sous lesquelles elle nous affecte qu'à des propriétés mécaniques ou physiques.
Sans la science chimique des actions moléculaires au contact apparent, il est impossible de concevoir nettement la matière simple et la matière complexe.
S'il y a longtemps que l'on a parlé d'appliquer l'analyse à la matière complexe pour en séparer les corps constituants, et la synthèse à des corps simples pour en faire des corps composés en les unissant ensemble, c'est à Lavoisier que la science est redevable de l'application raisonnée de ces deux opérations avec l'intention formelle de connaître la nature simple ou complexe de la matière.
Il est incontestable qu'on lui doit d'avoir défini : 1° le corps composé, celui que l'analyse résout en des corps différents ;
2° Le corps simple, celui dont l'analyse est incapable d'en séparer des matières différentes, de sorte que la chimie ne peut soumettre ce corps à l'action d'autres corps que pour en faire des composés.
Mais Lavoisier, en génie positif, eut le grand bon sens que, dans cette distinction entre le simple et le complexe, il n'affirmait pas que le corps que l'analyse n'avait pas aujourd'hui réduit en plusieurs corps, était en réalité simple ; il exprimait simplement le fait actuel, mais il ne considérait pas comme impossible que ce même corps, soumis quelque jour à de nouvelles tentatives d'analyse, ne se résoudrait pas en différents corps.
Il ne s'en tint pas là. Il établit en principe la preuve de 1'analyse par la synthèse, et de la synthèse par Y analyse, en recourant dans les deux cas à la balance comme moyen de contrôle.
Ier exemple. L'analyse chimique a réduit un corps y en 3a +2b.
Eh bien, la synthèse chimique confirme le résultat si, en unissant 3a avec 2b vous reproduisez le corps y.
3e exemple. La synthèse chimique a produit un compose' d en unissant 2b avec 3c.
Eh bien, l'analyse chimique confirme le résultat si elle sépare d'un poids du composé d'un poids égal représenté par a b + 3 c.
2e Proposition.
Les corps composés diffèrent les uns des autres par trois causes :
1° La nature des corps simples unis ;
2° Leurs proportions respectives ;
3° Les arrangements moléculaires différents des mêmes corps simples unis dans les mêmes proportions.
Il y a longtemps, et je dirai même avant Lavoisier, qu'on savait que les mêmes corps unis en proportions différentes pouvaient produire des corps différents, et j'ajouterai que des alchimistes ont eu cette opinion sans connaître le moyen de la démontrer.
RÉSUMÉ D'UNE HISTOIRE
Mais l'influence des arrangements moléculaires dans des corps formés des mêmes éléments unis en même proportion n'a été mis hors de doute qu'aux années 1810 à 1821. Je fus assez heureux pour reconnaître en 1810 la cause qui distingue le fer sulfuré jaune du fer sulfuré blanc, et voici à quelle occasion.
Haûy avait pensé à réunir, d'après la correspondance de la forme cristalline, le mispickel avec le fer sulfuré blanc et à séparer celui-ci du fer sulfuré jaune. C'est à cette occasion que je démontrai :
1° Que le mispickel était représenté par du protosulfure de fer et de l'arsenic ;
2° Que le fer sulfuré jaune avait la même composition élémentaire que le, fer sulfuré blanc, et que la différence de leurs propriétés respectives provenait de l'arrangement moléculaire.
Je reconnus plus tard que l'oxygène, l'azote, le carbone et l'hydrogène étaient unis dans les mêmes proportions dans l'albumine fraîche et dans l'albumine cuite ;
Et qu'il en était de même de ces quatre éléments constituant le tendon, et la gélatine provenant de ce même tendon bouilli dans l'eau.
Ces faits, devenus plus nombreux, ont été rapportés au mot isomérisme, exprimant que les mêmes corps unis dans les mêmes proportions peuvent donner des composés doués de propriétés différentes.
Enfin, plus tard on a reconnu que des corps simples, tels que le soufre, le phosphore, peuvent subir des changements isomériques plus ou moins remarquables. Je cite le diamant et le carbone ou encore le phosphore incolore fusible à 44° et le phosphore amorphe et rouge.
§ II. –– CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.
62. Rien ne met plus en évidence le désordre des idées que la prétendue science alchimique, qui compte des siècles de durée, depuis la fondation du musée d'Alexandrie, de 285 à 247 avant J.-C. jusqu'à nos jours, où il existe encore de malheureux alchimistes, et n'oublions pas qu'un cours de philosophie hermétique, ou d'alchimie dont j'ai rendu compte dans le tournai des Savants (année 1851), avait paru à Paris même en 1843.
Exposer une histoire fidèle de l'alchimie dans l'ordre chronologique des ouvrages les plus renommés chez ses adeptes, ne présenterait qu'une suite d'idées disparates, sans liaison aucune, à cause de la diversité des idées sur un même objet, et de la diversité des sujets traités dans un même ouvrage. Ajoutez à ces difficultés que les idées vraies ou justes, et celles encore dont la connaissance présente quelque intérêt, sont loin d'être toujours les plus nouvelles ; en un mot, s'il y a progrès d'un ouvrage à l'autre, il ne tarde point a être interrompu dans l'époque suivante.
63. Après de longues réflexions, l'ordre suivant m'a paru préférable à tout autre, parce que, sans être absolument conforme à l'ordre chronologique, il le respecte dans sa généralité. Effectivement, le monde croit que l'alchimie est l'art, ou plus exactement la prétention, de faire de l'or et encore de changer les pierres communes en pierres précieuses ; mais nombre de gens ignorent qu'elle a eu plus tard la prétention de triompher des maladies à l'aide de préparations, de médecines, de remèdes qui ont été décorés des noms les plus pompeux, d'élixirs, de panacées, d'arcanes, etc.
L'alchimie a donc eu la prétention de satisfaire aux deux plus grands besoins de l'homme : la richesse d'abord, la santé ensuite.
Je serai donc fidèle à l'ordre chronologique en parlant successivement :
1° De l'alchimie appliquée à la transmutation des métaux imparfaits ou communs en or ou en argent ;
2° De l'alchimie appliquée à la transmutation des pierres communes en pierres précieuses ;
3° Enfin, de l'alchimie appliquée à des préparations propres à assurer la santé de l'homme.
Mais cette dernière application ne se lie pas immédiatement aux transmutations des métaux imparfaits en métaux parfaits ; elle exigea quelques siècles de préparation, conséquemment elle appartient à la 3e époque.
64. Pour que les idées alchimiques perdissent de leur généralité, et que la connaissance réelle de la diversité de la matière acquît plus de précision, une science positive devait sortir de travaux poursuivis durant des siècles avec ardeur, dans l'intention pour ceux qui s'y livraient d'atteindre un but doublement chimérique, d'abord celui de la transmutation des métaux vils en métaux parfaits, l'argent et l'or, et des pierres communes en pierres précieuses puis celui de la préparation d'une panacée universelle, ou de panacées spécifiques propres à la guérison de chaque sorte de maux qui troublent la santé de l'homme.
Ces travaux étaient fondés sur les actions moléculaires qui s'exercent au contact apparent des corps, actions dont l'antiquité n'eut aucune idée, quoique les hommes en profitassent, sans les connaître, soit pour faire le feu, soit pour préparer le pain et les liqueurs vineuses dans l'économie domestique, soit pour réduire les minerais en métaux, fabriquer des alliages tels que le bronze, des verres incolores et colorés, des émaux, des terres cuites, etc., dans les ateliers de l'industrie.
Ce fut donc l'alchimie, poursuivant durant des siècles une double chimère, la production de la richesse et la préparation de panacées à tous maux, qui, après avoir fait connaître des corps qu'elle ne cherchait pas, donna de fréquentes occasions à d'excellents esprits de combattre ses erreurs en établissant la vérité ; et voilà comment le vrai triomphe du faux, au moyen même de la pratique des actions moléculaires à laquelle l'alchimie s'était livrée dans un but doublement intéressé.
Voilà la relation de l'alchimie avec la chimie. S'il est vrai que la première ait précédé la seconde, on ne peut dire avec rigueur que la chimie est fille de l'alchimie, parce que le raisonnement seul ne peut faire sortir le vrai du faux.
IIe CHAPITRE COMPLÉMENTAIRE.
INDICATION DE QUELQUBS OUVRAGES D'ALCHIMIE ÉCRITS DEPUIS LA FONDATION DU MUSÉE D'ALEXANDRIE JUSQU'À GEBER (IXe SIÈCLE).
65. Pour compléter ce que j'ai dit des écrits alchimiques anonymes ou pseudonymes de la première époque, je vais ajouter quelques indications d'écrits relatifs à la seconde, que terminent si bien ceux de Geber.
Un grand nombre d'écrits alchimiques parurent depuis la fondation du musée d'Alexandrie jusqu'au IXe siècle, où vécut Geber. Si indubitablement beaucoup de ces écrits sont anonymes ou pseudonymes, il en est un certain nombre qui sont bien l'œuvre des auteurs dont ils portent les noms.
Il existe à la Bibliothèque nationale beaucoup de manuscrits relatifs à cette époque dont la plupart n'ont point été imprimés. Je citerai ceux qui l'ont été, et j'indiquerai à chaque nom l'époque à laquelle l'auteur vivait, selon Lenglet-Dufresnoy.
AVANT JÉSUS-CHRIST.
Comarus (50 av. J.-C. ou 90 lo). Manuscrit intitulé : Anonymi expositio in librum Comari philosopha et pontificis, qui Cleopatram docuit sacram et divinam artem lapidis philosophici. (Histoire de la philosophie hermétique, tome III, p. 12.)
La preuve alléguée par Lenglet-Dufresnoy est celle-ci : « Par quel autre moyen, que par la science hermétique, cette reine aurait-elle dissous et converti en liqueur cette belle perle qu'elle avala dans un repas? » (Idem tome I, p. 34.)
DEPUIS JÉSUS-CHRIST.
Synésius (400 ou 350-431).
Auteur d'un commentaire sur Démocrite d'Abdère. Il a été imprimé.
Zosime (410 ou 450).
Un des auteurs grecs qui ont le plus écrit sur l'art hermétique.
Olympiodore (430 ou 510). Auteur d'un manuscrit intitulé De arte sacra chimicorum.
Stephanus d'Alexandrie (650 ou 566-646). Auteur d'un traité sur la science hermétique.
CHAPITRE PREMIER.
TRANSMUTATION DES METAUX IMPARFAITS EN METAUX PARFAITS, OR OU ARGENT. –– ALCHIMIE AU POINT DE VUE DE LA RICHESSE.
66. Les recherches entreprises pour préparer la pierre philosophale composent presque uniquement les écrits alchimiques depuis l'origine de la prétendue science à laquelle ils appartiennent jusqu'à l'Arabe Geber ou Geber inclusivement, qui vivait d'après l'opinion commune en 830, et non, comme quelques auteurs l'ont dit, en 780. Il fut précédé d'un certain nombre d'auteurs parmi lesquels on distingue Synésius, Olympiodore, Zosime, Ostanès. Nous donnerons une attention toute particulière à Geber, parce qu'on trouve dans ses ouvrages des idées remarquables, quoiqu'il se soit livré presque exclusivement aux opérations par la voie sèche. Cependant il connaissait la distillation et la distinguait de la filtration.
Ce ne fut guère qu'à partir du XIIIe ou du XIVe siècle, où parurent Arnauld de Villeneuve et Raymond Lulle, que commencèrent des publications assez nombreuses sur l'application de l'alchimie à la médecine.
Nous avons cru ces remarques nécessaires pour justifier les généralités que nous allons donner sur l'alchimie, en les puisant surtout dans les écrits de Geber, dont la grande autorité comme alchimiste est incontestable.
67. L'alchimie comprend deux parties distinctes :
A. La théorie,
B. B. La pratique.
S'il existe quelques traités spéciaux de théorie ou de pratique, le plus grand nombre des ouvrages alchimiques traitent à la fois de la théorie et de la pratique sans distinction explicite.
A. Alchimie au point de vue théorique.
68. S'il est impossible de ramener toutes les théories alchimiques à une expression unique, quoi qu'il en soit, on peut y reconnaître deux pensées différentes.
§1.
PREMIÈRE PENSÉE.
69. Dans la première pensée les métaux imparfaits sont réputés contenir une certaine quantité de matière propre à constituer de l'or ou de l'argent, et une autre quantité de matière qui, dépassant la constitution du métal précieux, doit être éliminée. Maintenant, on constituera de l'or ou de l'argent avec un métal imparfait en y ajoutant ce qui fait défaut, et en en éliminant ce qui est en excès, la partie grossière, qu'on appelle fèces.
La quantité d'or ou d'argent est donc représentée par la matière du métal imparfait qui reste dans le métal parfait, et par ce qu'on y a ajouté.
Et la perte du poids l'est par la quantité de matière du métal imparfait qui en a été éliminée.
Voici comment on peut se représenter la réaction :
Le métal parfait est représenté par. 3A + 3B + 3C.
Le métal imparfait l'est par. . . . . 5A + 2B -+ D
La pierre philosophale l'est par. . B+3C+y
Avant la réaction Pierre philosophale Après la réaction. Matière exclue.
métal imparfait métal parfait
5A +2B +D + B+3C+y = (3A + 3B + 3C) + 2A + D + y
70. S'il est vrai de dire qu'on a fait de l'or avec des matières qui en étaient dépourvues, en réunissant les éléments dans les proportions où, selon les alchimistes, ils constitueraient ce métal, il est incontestable qu'il n'y a pas de transmutation d'un métal imparfait en métal parfait. C'est une opération chimique simple comme on en exécute tous les jours dans les laboratoires de chimie, et qui n'a rien de commun avec la prétention de l'alchimie, qui est de prendre une matière dépourvue d'or ou d'argent et d'en transmuer la totalité de la masse avec une quantité excessivement petite de cette pierre divine qualifiée de philosophale. On ne peut concevoir la prétention de l'alchimie qu'en assimilant la prétendue action de la pierre à celle d'un ferment, comme je vais le dire dans la page suivante.
Je dois exposer la raison de la lettre y désignant une matière qui se trouve dans la pierre à une certaine époque de la préparation et qui, nuisant à son énergie, doit en être séparée par la volatilisation, comme le lecteur le verra en lisant les alinéas suivants 76 et 77.
§ 2.
SECONDE PENSÉE.
71. La seconde pensée est tout autre que la première.
Il ne s'agit plus d'éliminer d'un métal imparfait une fraction de sa matière qui est étrangère à la composition, soit de l'or, soit de l'argent, et incapable de remplacer cette matière étrangère par une autre que serait la complémentaire, soit de l'or, soit de l'argent, avec la matière du métal imparfait que l'alchimiste conserve ; il s'agit maintenant de recourir à la pierre philosophale !
Qu'est-ce que cette pierre admirable
Une composition hermétique, ordinairement pulvérulente, dont une pincée dit-on, peut changer des quantités indéfinies de métaux imparfaits en argent ou en or.
72. Qui a donné l'idée de cette pierre philosophale ? C'est bien évidemment le levain de pâte, avec lequel on peut faire lever une quantité indéterminée de pâte de farine : en un mot, la pierre philosophale est un ferment :
aussi des alchimistes disent-ils explicitement : Pour transmuer le métal imparfait en argent la pierre philosophale doit contenir de l'argent, de même qu'elle doit contenir de l'or pour convertir le métal imparfait en or. C'est ce que dit Isis à son fils Horus dans une prétendue lettre écrite avec l'intention de lui révéler la vertu de la pierre.
73. Je l'avoue, il me serait difficile de citer un écrit où l'opinion conforme à la première pensée théorique de la production de l'or fût nettement exprimée à l'exclusion absolue de l'opinion conforme à la seconde pensée concernant l'action de la pierre comme ferment.
Mais pour celui qui étudiera Geber comme je l'ai étudié, il verra que, malgré sa foi à la production de l'or, il a énoncé de fort justes idées en distinguant du simple mélange la mixtion, qui, dans ses idées, correspond parfaitement à la combinaison chimique. Trois choses selon lui exercent de l'influence sur les propriétés d'un mixte : la nature des éléments, leurs proportions respectives (61 2 pp.) et la température à laquelle ils s'unissent. Enfin, après avoir admis deux conditions pour que l'action de la pierre soit efficace, à savoir qu'elle ajoute au métal imparfait ce qui lui manque pour être parfait, et ce qui doit en être éliminé pour qu'il le devienne, il a émis une pensée juste, que dis-je? supérieure à son siècle et à la plupart des alchimistes qui lui succédèrent dans les siècles qui s'écoulèrent jusqu'à l'époque où la chimie fut établie comme science et l'alchimie reconnue généralement comme chimérique. Quant à la remarque de l'influence de la température je ne saurais trop louer Geber de cette pensée, par la raison que je ne doute pas aujourd'hui de l'influence qu'elle exerce sur la production des principes immédiats des êtres vivants relativement aux phénomènes que j'ai rapportés au mot cuisson (5).
74. Cette citation de Geber est exacte, mais il faut se garder d'en tirer toutes tes conséquences qui paraîtraient s'en déduire, parla raison qu'en réalité l'auteur était dans l'erreur relativement à la foi qu'il avait de la puissance de l'alchimie. Quoi qu'il en soit, je ne sache pas qu'aucun autre alchimiste ait décrit une suite d'expériences comparables aux siennes, instituées pour savoir si le produit d'une opération hermétique était réellement de l'or ou de l'argent ( 3 partie du II° livre de la Somme de perfection, des Épreuves de la perfection, tome I, page 353).
Il appelle médecine le procédé relatif à la conversion de chaque métal imparfait en or ou en argent, et le problème est en définitive, conforme au principe de lui donner ce qui lui manque pour être parfait, et de lui enlever en même temps les parties étrangères qu'il renferme de trop pour le devenir.
Les propriétés à lui donner sont au nombre de cinq, à savoir :
1° La netteté ou l' éclat, le brillant de l'or ou de l'argent ;
2° La teinture ou la couleur ;
3° La fusion. Le métal devra rougir avant de se fondre, et, quand la température s'élèvera au-dessus du rouge, il devra paraître bleu, puis d'un blanc resplendissant ;
4° La stabilité ou la fixité ou feu ;
5° Le poids relativement à un volume donné, qui est la densité de l'or ou celle de l'argent.
Notons qu'il n'indique que des qualités sans s'expliquer sur le moyen de les communiquer au métal imparfait ; il s'agit donc de synthèse mentale.
Geber prend en particulier chaque métal imparfait avec l'intention de voir ce qu'on peut faire pour lui donner la perfection au moyen d'opérations qui sont réellement toutes chimiques, puisqu'on soumet les métaux imparfaits à la chaleur, soit seuls, soit avec des corps qui, instruments chimiques, sont aujourd'hui appelés réactifs.
75. On ne peut apprécier exactement la valeur des opérations de Geber sans y appliquer les principes que j'ai exposés en détail dans mes derniers écrits. En y renvoyant (6), je vais en présenter ce qui me paraît nécessaire pour faire clairement comprendre comment l'auteur arabe a envisagé la transmutation au point de vue expérimental.
J'ai posé en principe général :
On ne connaît le substantif propre, physique ou métaphysique, que par ses propriétés et leurs relations avec d'autres substantifs (1, 2, 3).
Si ces propriétés, ces rapports, sont les éléments de nos connaissances relativement aux substantifs propres, ces éléments, en vertu desquels nous les connaissons, méritent bien la qualification de faits, comme expression des éléments de nos connaissances concernant la certitude. Effectivement, qu'est-ce en définitive qu'une propriété relativement au substantif propre qui la possède ? C'est une unité que l'esprit de l'homme considère à l'exclusion des autres unités, propriétés que possède ce substantif, d'où la conséquence : chaque propriété d'un substantif propre, considérée en elle-même pour la bien connaître, est une abstraction, comme unité séparée par l'esprit d'autres abstractions que l'on ne prend pas alors en considération.
Que se propose Geber ? C'est de donner comme complément à chaque métal imparfait ce qui lui manque pour être parfait, c'est-à-dire pour être or ou argent, et ce qu'il lui faut ôter de parties grossières (fèces) étrangères à la constitution du métal précieux.
Si à la rigueur Geber ne recourait qu'à la chaleur, à la lumière, et ajoutons aux agents connus aujourd'hui sous le nom d'électricité, de magnétisme, etc., on pourrait jusqu'à un certain point comprendre nettement ses opérations ; mais il a recours à des corps, à des substantifs propres, réactifs, dont chaque espèce possède des propriétés qu'il n'est pas donné à l'homme d'en séparer ; conséquemment, dès qu'on met un métal imparfait en contact avec un corps dans l'espérance que ce corps cédera une de ses propriétés au métal imparfait, on se trompe absolument, c'est de la synthèse mentale tout à fait chimérique ; il peut s'y combiner, ou, s'il est complexe, un de ses principes seulement peut s'y unir. S'il y a union, ce sera donc toujours un substantif propre doué de l'ensemble des propriétés qui le constituent espèce chimique déterminée, et non une de ses propriétés essentielles que nous ne pouvons séparer de la matière de ce substantif propre que par une opération de l'esprit, que j'appelle analyse mentale, pour ne pas la confondre avec l'analyse chimique, qui ne porte que sur des substantifs propres appelés espèces chimiques, séparables les uns des autres.
76. Voilà, je crois, une explication qui ne laissera aucun doute à l'esprit le plus logique, sur la cause de l'erreur de Geber, et sur les vaines tentatives de ses médecines propres, selon lui, à opérer la transmutation. Effectivement, cette impuissance de l'alchimie une fois constatée et expliquée aussi clairement que je viens de le faire, grâce au principe général qu'on ne connaît le substantif propre que par ses propriétés et ses rapports, grâce enfin aux définitions du mot fait et de la distinction des expressions analyse et synthèse mentales d'avec les expressions analyse et synthèse chimiques, on conçoit donc sans peine maintenant comment les alchimistes persévérant dans leur prétendue science pendant une durée de plusieurs siècles avec une foi toute religieuse, on comprendra tout ce qu'il y a d'erroné dans le chapitre lxiii de la Somme de perfection intitulé Récapitulation de tout l'art.
La perfection et l'accomplissement de l'œuvre ne consiste qu'à rendre le volatil fixe et le fixe volatil.
77. Récapitulation DE TOUT L'ART.
« Après avoir parlé suffisamment des expériences qu'on peut faire pour examiner la perfection du magistère, et avoir par conséquent satisfait à ce que nous avions pro- mis au commencement de ce livre, il ne nous reste plus autre chose à faire, pour achever notre ouvrage, qu'à mettre dans un seul chapitre tout l'accomplissement de cette divine œuvre, et réduire en peu de mots le procédé du magistère, que nous avons abrégé en cette Somme, et dispersé en tous les chapitres qu'elle contient. Je déclare donc que toute l'œuvre ne consiste qu'à prendre la pierre (c'est-à-dire la matière de la pierre), que l'on doit assez connaître, par toutes les choses que nous en avons dites dans les chapitres de ce traité, et, par un travail assidu et continuel, lui donner le premier degré de sublimation, afin de lui ôter toute l'impureté qui la cor- rompt, la perfection que la sublimation doit donner à cette matière ne consistant qu'à la faire devenir si subtile, qu'elle soit élevée à la dernière pureté et subtilité, qu'elle devienne enfin toute spirituelle et volatile. Après quoi, il faut la rendre tellement fixe par les manières de fixations que j'ai décrites, qu'elle puisse résister au feu, quelque violent qu'il soit, et y demeurer sans s'enfuir ni s'évaporer. Et c'est là la fin du second degré de la préparation qu'il faut donner à cette matière. Par le troisième degré on achève de la préparer tout à fait, ce qui se fait en sublimant cette pierre (ou cette matière), et par ce moyen, de fixe qu'elle est, !a rendant volatile, puis de volatile la faisant fixe une seconde fois, la dissolvant après l'avoir fixée, et étant dissoute la rendant encore volatile, et la refixant tout de même, tant qu'elle soit fusible, et qu'elle transmue les imparfaits, et leur donne la véritable perfection de soleil et de lune à toute épreuve. Ainsi, en refaisant les opérations de ce troisième degré, on augmente la perfection de la pierre, et on multiplie la vertu qu'elle a de transmuer les corps imparfaits. De sorte que ce n'est qu'en refaisant continuellement les mêmes opérations de l'œuvre, qu'on donne la multiplication à la pierre, par laquelle on la rend si parfaite, qu'une de ses parties pourra convertir en véritable soleil et en véritable lune cent parties de métal imparfait, puis mille, et ainsi de suite en augmentant toujours jusqu'à l'infini.
« Après quoi on n'a plus qu'à faire passer par les épreuves le métal qui aura été transmué pour connaître si le magistère qui en aura fait la transmutation est véritable et parfait. »
78. Cette longue citation ne montre-t-elle pas toute la foi de Geber en sa science ? Ne montre-t-elle pas comment cet esprit, si judicieux et si sage, en partant de la première pensée concernant l'opinion la plus raisonnable, la moins mystérieuse, de la pierre philosophale, s'est peu à peu pénétré de la seconde pensée et est arrivé enfin à indiquer comme dernier progrès de la pierre philosophale celui où une quantité finie de celle-ci a acquis la propriété de transmuer des quantités indéfinies de métaux imparfaits, qui est bien l'idée du ferment le plus puissant attribué à la pierre ?
II importe de faire remarquer un fait sur lequel nous reviendrons en parlant de l'application de l'alchimie à la médecine relativement au rôle que l'on attribue à la quinte-essence. Ce s'ont les lignes que je reproduis ici :
« Et, par un travail assidu et continuel, lui donner le premier degré de sublimation, afin de lui ôter toute l'impureté qui la corrompt. La perfection que la sublimation doit donner à cette matière ne consistant qu'à la faire devenir si subtile, qu'elle soit élevée à la dernière pureté et subtilité, qu'elle devienne enfin foute spirituelle et volatile. »
L'impureté qui la corrompt justifie donc l'introduction de la lettre y dans la composition que j'ai attribuée à la pierre philosophale (69).
79. Si Geber a été aussi loin de son point de départ, relativement à sa première pensée sur la transmutation (69, 70) et à l'opinion qu'il a professée en dernier lieu sur l'accroissement de la puissance de la pierre comme fermenta mesure qu'on augmente le nombre de sublimations et de fixations auxquelles on la soumet, il n'est point étonnant qu'il ait suivi l'exemple des autres alchimistes en justifiant l'obscurité de ses écrits relativement à la préparation de la pierre. Je crois intéressant au but que je me propose, en traçant ce résumé d'alchimie, de reproduire le texte même de Geber :
« Mais, pour ôter toute sorte de prétexte aux calomniateurs de nous accuser de mauvaise foi et de n'avoir pas agi sincèrement en ce traité, je déclare ici premièrement qu'en cette Somme je n'ai pas enseigné notre science de suite, mais je l'ai dispersée ça et là en divers chapitres, et je l'ai fait ainsi à dessein, parce que, si je l'avais mise par ordre et de suite, les méchants, qui en feraient un mauvais usage, l'auraient apprise aussi facilement que les gens de bien, ce qui serait une chose tout à fait indigne et injuste. Je déclare en second lieu que, partout où il semble que j'ai parlé le plus clairement et le plus convenablement de notre science, c'est là où j'en ai parlé le plus obscurément et où je l'ai le plus cachée. Je n'en ai pourtant jamais parlé par allégorie ni par énigme ; mais je l'ai traitée et je l'ai enseignée en paroles claires et intelligibles, l'ayant écrite sincèrement et de la manière que je l'ai sue et que je l'ai apprise par l'inspiration de Dieu, très-haut, très-glorieux et infiniment louable, qui a daigné me le révéler, n'y ayant que lui seul qui la donne à qui il lui plaît, et qui l'ôte quand il lui plaît. »
80. Ce passage est d'autant plus remarquable que l'ouvrage est terminé par un exposé que je ne reproduirai pas en ce moment, mais plus tard (84), en parlant de \'alchimie au point de vue pratique, par la raison que cet exposé ne comprend que des procédés & des opérations manuelles ; mais décrits à quelle intention? Celle d'apprendre à l'alchimiste qui les mettra en pratique s'il n'a pas été dupe de quelque erreur, s'il a pris l'apparence pour la réalité. Effectivement, supposez vrai tout ce que Geber a dit de la préparation de la pierre, alors, à mon tour, je serai vrai en disant que Geber a procédé dans sa Somme de perfection de la manière la plus sévère comme la plus exacte, puisque, fidèle à la méthode a posteriori expérimentale, il a donné le moyen de reconnaître si l'alchimiste a atteint le but qu'il s'était proposé, à savoir le vrai, et non pas le faux (86). Et l'épreuve qu'il prescrit est si exacte, qu'en mettant Geber de côté, il serait bien difficile, aujourd'hui même, de nier qu'une matière remise par un homme quelconque à un chimiste exercé n'est pas de l'or, lorsque ce chimiste aurait constaté que cette matière avait soutenu les dix épreuves indiquées par Geber, les plus convenables à constater les propriétés caractéristiques de l'or.
B.
ALCHIMIE AU POINT DE VUE PRATIQUE.
81. Dans le résumé que je fais de l'histoire de la matière on ne s'étonnera pas de la grande place donnée à l'alchimie : car, toute chimérique qu'elle est, on ne peut nier que les justes critiques dont elle a été l'objet ont donné naissance à la science chimique, dont le caractère essentiel est la réduction de la matière en des types définis par leurs propriétés, qui sont appelés espèces chimiques ; dès lors cette grande place a sa raison d'être pour toute personne curieuse d'étudier l'origine de la chimie et de connaître la partie pratique de l'alchimie dont le caractère n'a rien de commun avec les aspirations chimériques de sa partie théorique. Or, pour la connaître d'une manière précise, il faut élaguer de cette partie pratique tout ce qui est hermétique, en d'autres termes ce qui concerne la confection de la pierre et la transmutation par action purement hermétique. La partie pratique réellement scientifique concerne la description des appareils et des moyens d'en faire usage par des opérations qu'on peut distinguer des précédentes, parce que, toutes positives, elles rentrent dans le domaine de la chimie ; je vais donc distinguer deux catégories d'opérations pratiques, des opérations hermétiques et des opérations chimiques qui seules sont véritablement du domaine de la science.
§ I.
DES OPÉRATIONS HERMÉTIQUES.
82. Il suffit de rappeler le passage de Geber que j'ai reproduit textuellement (77, 79) pour voir que rien de sérieux, de fondé, ne peut être déduit des opérations que j'ai qualifiées d'hermétiques, puisque, de l'aveu même des auteurs qui se reconnaissent adeptes, c'est-à-dire capables d'opérer la transmutation, ils avouent avoir caché leurs véritables procédés, afin de dérouter les lecteurs. Pourquoi, dira-t-on, écrivent-ils ? Ils écrivent pour des hommes de bien qui ont été préparés à recevoir les secrets de la transmutation ;
alors comment ces hommes de bien ne les ont-ils pas reçus de leurs maîtres adeptes ? Pourquoi alors recourir à des livres mensongers, si, de siècle en siècle, les adeptes se répètent, tous avouant que la plus grande partie de leur vie s'était passée dans l'impuissance, lorsque Dieu leur a communiqué la science de la transmutation ? On ne s'explique pas comment les erreurs de l'alchimie ont encore des partisans, quand on raisonne bien... Mais, si le fait est le contraire de la raison, reconnaissez alors qu'il existe beaucoup d'hommes qui préfèrent l'erreur à la vérité.
§ 2.
DES OPÉRATIONS CHIMIQUES.
83. Passons maintenant à la partie matérielle de l'alchimie, concernant les fourneaux, les appareils, les instruments, etc., servant à l'exécution des opérations relatives aux actions moléculaires des corps, qui s'exécutaient dans l'économie domestique et dans l'économie industrielle des arts chimiques. Eh bien, les laboratoires alchimiques n'ont été longtemps que des ateliers en petit où l'on exécutait des opérations du ressort des actions moléculaires. Il ne faut pas oublier que les philosophes grecs ne soupçonnèrent jamais la science qui devait sortir de l'étude de ces actions, et que, excepté les travaux manuels des beaux-arts, ceux de la sculpture et de la peinture, ils ne faisaient aucun cas des travaux manuels exécutés dans l'économie des arts industriels. Et ce peu d'estime pour les travaux manuels tint longtemps les chirurgiens et les apothicaires dans une position subordonnée aux médecins.
84. Les appareils d'usage dans les ateliers de l'industrie et de l'alchimie ont été longtemps bornés aux opérations dans lesquelles la chaleur agit sur des matières sèches, en en exceptant pourtant les appareils où la chaleur agit sur des liquides ; ceux-ci sont du domaine de la voie humide et les premiers le sont du domaine de la voie sèche.
85. Dans les premiers siècles de l'alchimie, les procédés ont appartenu exclusivement à la voie sèche, et ce n'est qu'à l'époque où les acides minéraux ont été connus que les matières d'origine organique ont été soumises aux actions moléculaires, et que l'alchimie a pu procéder par la voie humide. En lisant attentivement la Somme de la perfection de Geber, on se convainc que tout ou presque tout ce qu'il décrit appartient à la voie sèche. Je dis presque par la raison qu'il connaissait parfaitement la distillation au moyen de laquelle on sépare un liquide volatile des fèces qu'il renferme, et qu'il la distinguait parfaitement de la filtration.
86. Rien ne peut donner une idée plus avantageuse du savoir pratique de Geber que les descriptions d'opérations pratiques qui sont en dehors de sa théorie alchimique ; rien ne donne en effet une idée plus avantageuse de son esprit méthodique que la troisième et dernière partie du second livre de la Somme concernant les épreuves de la perfection convenables. Comme je l'ai dit plus haut, en les répétant fidèlement on pouvait savoir si l'alchimiste avait réussi ou non dans ses transmutations des métaux imparfaits en métaux parfaits, or ou argent.
Geber commence par rappeler les propriétés physiques des métaux précieux. Il insiste avant tout sur la densité, ou, pour se servir de ses expressions, le poids pris dans des volumes égaux. C'est l'application de l'admirable principe d'Archimède relativement au problème de la couronne. Il prescrit encore de reconnaître la couleur, la ductilité, etc., autres propriétés physiques dont les métaux précieux sont doués.
Il décrit ensuite dix opérations avec une clarté remarquable. Indiquons-les rapidement.
1° La coupellation. L'or et l'argent seuls des métaux la soutiennent, après qu'on a ajouté du plomb aux métaux fondus.
2° La cimentation [cémentation}. Chauffer trois jours et trois nuits au rouge, sans fusion, des lamelles du métal à essayer recouvert d'un cément formé de matières telles que vitriol, sel ammoniac, verdet, auxquelles on ajoute un peu de poudre de brique, et peu de soufre, si l'on veut. On humecte le tout d'urine d'homme et on enduit chaque lamelle de ce mélange.
Les métaux précieux seuls résistent.
3° Rougir le métal au feu. Les métaux parfaits seuls rougissent avant de fondre, et, la température s'élevant, ils brillent d'une belle lumière bleue, puis blanche du plus vif éclat.
4° Les métaux imparfaits qui, comme le cuivre et le fer, rougissent avant de se fondre, ne présentent pas la belle couleur de l'or et de l'argent.
5° L'exposition à des vapeurs acides. Geber présente des lamelles de métal au-dessus d'une liqueur aigre, pontique et acide. Les seuls métaux parfaits or et argent ne s'altèrent pas sous l'influence des vapeurs aqueuses et acides.
6° Rougir les métaux et les plonger dans de l'eau où l'on a dissous un sel ou de l'alun. Les métaux parfaits seuls ne sont point altérés.
7° Si les métaux parfaits peuvent se sulfurer dans la vapeur chaude du soufre, l'or et l'argent seuls, réchauffés (avec le contact de l'air), reviennent à leur premier état.
8° et 9° La calcination et la réduction. Les métaux parfaits seuls, soumis successivement à cette double opération, n'en éprouvent aucun changement.
10° L'action du mercure. Les métaux parfaits sont les plus disposés à s'amalgamer. Or, quand on essaye la transmutation des métaux imparfaits, il est bon d'essayer s'ils ont gagné en aptitude à s'unir au mercure.
87. On n'aurait qu'une idée incomplète des écrits de Geber concernant la pratique des opérations hermétiques et des opérations du ressort de la chimie en ne parlant que de la Somme de perfection ; car, dans le Liber investigationum magisterii, publié avant elle, il décrit un grand nombre de préparations, et, dans le Liber fornacum, publié après elle, il parle des fourneaux, des moyens de s'en servir et de préparations hermétiques.
88. Un Traité d'alchimie porte son nom, mais ne paraît pas devoir lui être attribué selon quelques critiques, et j'avoue que je suis frappé de l'objection qu'ils élèvent en demandant comment l'auteur de ce traité, parlant de l'acide chlorhydrique (esprit de set) et de l'eau régale, ces puissants agents de la voie humide, comment, si Geber en était l'auteur, il aurait négligé de parler de leur énergie dans ses écrits antérieurs, ou comment, s'étant tu lui-même, il n'eût pas expliqué son silence dans le Traité d'alchimie, s'il en était réellement l'auteur?
En définitive, Geber se montre sous deux aspects fort différents au point de vue de l'alchimie.
A. Sous l'aspect scientifique.
On trouve dans la Somme de perfection l'opinion que j'ai énoncée aux alinéa 69 et 70 sous le titre de première pensée. C'est l'idée vraiment scientifique qu'on pourrait se faire de la production de l'or ou de l'argent si ces métaux, au lieu d'être simples, étaient formés de soufre, de mercure et d'arsenic, et que chacun de ces trois composés le fût des quatre éléments.
Geber est encore heureusement inspiré en prescrivant dans les opérations hermétiques de soumettre le produit à des épreuves (86) pour savoir en définitive si l'on a trouvé la vérité ou l'erreur.
Enfin, il était dans le vrai en parlant de l'influence de la nature des corps et de leurs proportions respectives dans les mixtes, qu'il ne confondait pas avec le mélange (73).
B. Sous l'aspect chimérique.
N'est-ce pas difficile à concevoir que l'homme qui, au IXe siècle, avait des idées si justes, les abandonne absolument pour professer en définitive les chimères de l'alchimie vulgaire qui sont absolument contradictoires avec les idées précédentes (A) ?
Geber admet donc les quatre éléments : le feu, l'air, l'eau et la terre. Ces quatre éléments constituent le soufre, le mercure et l'arsenic, les trois principes immédiats des métaux (152).
Il considère la pierre philosophale comme un ferment capable de changer les métaux imparfaits en métaux parfaits.
En outre, il admet qu'à force de réitérer successivement la volatilisation de la pierre ou quelqu'une de ses parties et fixation, deux opérations contraires, on augmente l'activité de cette prétendue merveilleuse pierre.
Il n'existe rien de plus contradictoire en alchimie que Geber envisagé sous ces deux aspects.
CHAPITRE II.
ALCHIMIE AU POINT DE VUE DE LA RICHESSE. –– TRANSMUTATION DES PIERRES COMMUNES EN PIERRES PRÉCIEUSES.
89. Je ne connais pas de recherches suivies entreprises avec l'intention de transmuer les pierres communes en pierres précieuses qu'on puisse comparer à celles qui n'ont pas cessé d'occuper les alchimistes dont le but était la transmutation des métaux imparfaits en métaux parfaits.
Évidemment l'alchimiste qui, en s'adressant à une personne disposée à le payer sur la promesse qu'il lui faisait de la rendre riche, comprenait bien mieux la promesse de le devenir avec de l'argent ou de l'or, que de le devenir au moyen de la transmutation d'un caillou, non en diamant, mais en pierre précieuse comme un rubis, une topaze, une émeraude..... mais sans pouvoir affirmer précisément ce que serait le caillou transformé. Or l'alchimiste, se trouvant dans la nécessité de recourir à un bailleur de fonds pour travailler, pensait donc avec raison qu'il se le rendrait plus accessible en lui promettant la transmutation des métaux en or ou en argent qu'en lui proposant la transmutation des pierres communes en pierres précieuses.
Voilà l'explication, il me semble, du silence que le plus grand nombre des alchimistes ont gardé sur la transmutation des pierres, tandis que tous savaient se faire comprendre lorsqu'ils proposaient la transmutation métallique.
Quoi qu'il en soit, je devais rappeler comment tous les esprits occupés d'alchimie étaient disposés à recourir à des moyens de transmutation quelconques quand il s'agissait de satisfaire au besoin de la richesse.
TROISIÈME ÉPOQUE.
ELLE COMMENCE AVEC LE X° SIÈCLE
ET SE TERMINE EXCLUSIVEMENT À LA SECONDE ALCHIMIE DONT BECKER EST L'AUTEUR. BECKER VÉCUT AU XVIIe SIÈCLE, DE 1635 A 1682.
Cette époque comprend l'application de la chimie à la médecine et celle de l'alchimie à la santé de l'homme, un très-grand nombre d'écrits alchimiques, les premiers travaux purement chimiques, et des écrits qui commencèrent à combattre les illusions et les erreurs des alchimistes.
INTRODUCTION.
90. Nous avons réparti en trois chapitres les prétentions des alchimistes.
Ier chapitre. – La transmutation des métaux imparfaits en métaux parfaits.
IIe chapitre. – La transmutation des pierres communes en pierres précieuses.
IIIe chapitre. – La préparation des élixirs pour assurer la santé de l'homme.
Depuis Geber jusqu'à l'écrit de Raymond Lulle sur la quinte-essence il s'est écoulé quatre siècles au moins.
Observant autant que possible l'ordre chronologique, il n'est point étonnant que le troisième chapitre, concernant l'alchimie considérée autant que possible en elle-même, appartienne à la troisième époque et non à la seconde.
C'est la conséquence des travaux exécutés depuis Geber jusqu'à Raymond Lulle. En effet, il a fallu que des médecins arabes, successeurs immédiats de Geber, aient 6xé leur attention sur le parti que les médecins pouvaient tirer de l'alchimie pour préparer les esprits à recourir aux remèdes alchimiques.
IIIe CHAPITRE COMPLÉMENTAIRE
RAPPELANT QUELQUES NOMS ILLUSTRES
ET DES NOMS PLUS MODESTES QUE L'HISTOIRE DE L'ALCHIMIE CONSERVE DANS SES ARCHIVES.
91. Sans exagérer l'importance des chapitres complémentaires ajoutés à ce résumé de l'histoire de la matière, je crois devoir en joindre un à la 3e époque de l'histoire des connaissances chimiques pour indiquer dans l'ordre chronologique l'existence des grandes illustrations scientifiques et des noms moins illustres, mais que l'alchimie conserve dans ses archives à des titres quelconques.
Citons les noms en commençant par les plus notables des Arabes qui, depuis Geber jusqu'à Raymond Lulle, se sont occupés de médecine et d'alchimie.
Razès ou Rhasis, qui mourut dans un âge avancé, en 923 ou 930.
Il passe chez les Arabes pour le premier médecin qui ait appliqué l'alchimie à la médecine.
On dit qu'il mourut dans le premier tiers du Xe siècle ou un siècle après Geber.
Farabius ou Alfarabius, mort assassiné en 954.
Il a été considéré par les Arabes comme un grand philosophe, savant en toute science, littérateur distingué et familiarisé avec la culture de la musique même.
Salmana (1000).
Avicenne (né en 980, mort en 1036). Célèbre en médecine et en philosophie, il passait pour adepte.
Aristote (pseudo-).
Alchimiste, se disait disciple d'Avicenne ; plusieurs de ses écrits ont été attribués au philosophe grec Aristote.
Adfard (l050 ou 954).
Arabe, philosophe alexandrin, passait pour adepte, et ses contemporains attribuaient ses grandes richesses à sa science hermétique. Il fut le maître de Morien d' origine romaine.
Morien (né à Rome, peut-être en 980, mort après 1045. Il quitta sa famille pour étudier la science hermétique en Egypte sous Adfard, qui l'initia à la préparation de la pierre. Adfard mourut, et Morien se rendit à Jérusalem où il se fixa dans un ermitage pour y mourir en chrétien. Il passe pour avoir vu Calid, soudan de l'Egypte, dans deux occasions, et dans la dernière lui avoir communiqué le secret de ta pierre (Lenglet-Dufresnoy).
Artefius. Il vécut probablement dans le XIIe siècle. Il cite Adfard et est cité par Roger Bacon. Or Adfard est du XIe siècle et Roger Bacon du XIIIe.
Roger Bacon, né en 1214, mourut en 1248 suivant Laland, en 1284 suivant Pissaeus, et, suivant l'opinion commune, en 1394.
Albert le Grand (1193 ou 1205, il mourut en 1280).
Aristaeus (1200 ?), Auteur de la Tourbe des philosophes.
Saint Thomas d'Aquin (1227- 1274).
Arnauld de Villeneuve (1231 ou 1240, 1310 ou 1311).
Raymond Lulle ( 1235 -'1315).
Jean de Meung, auteur d'une suite du Roman de la Rosé (mort en 1320?).
Jean de Rupescissa (vivait certainement en 1357).
Bernard le Trévisan (14o6-1490).
Isaac le Hollandais (vivait au XVe siècle).
Basile Valentin. Excepté le nom que portent plusieurs traités, tout est problématique sur la personne de l'auteur de ces traités. Il vivait probablement au XIV' ou au XVe siècle.
Philippe Ulstade, auteur du Ciel des philosophes (15oo).
Henri-Cornélius Agrippa (1486-1534).
Drebellius (1551).
Jean Fernel de Montdidier médecin du roi de France Henri II (1497-1558).
Jean-Baptiste Porta, né, dit-on, en 1550, mort en 1615. Savant fort distingué par la variété de ses connaissances, comme le témoignent de nombreux ouvrages dont aucun n'est à proprement parler alchimique ou chimique. La raison principale pour laquelle nous le plaçons sur cette liste, est l'étude qu'il a faite de ce qu'on a appelé les signatures, genre de connaissance que je rattache au principe des semblables qui depuis Platon a été appliqué à tant de sujets divers. Porta l'a considéré surtout au point de vue de la matière médicale, c'est-à-dire aux analogies de forme, de couleur, de linéaments présentant des dessins, etc., que des corps offraient à la vue ; d'après ces ressemblances appelées signatures on tirait des conclusions relatives à l'usage qu'on pouvait faire de ces corps en médecine comme remède ; de là, par exemple, le motif pour lequel la pulmonaire était prescrite aux pulmonaires, d'après les fâches de ses feuilles rappelant celles du poumon.
André Libavius (mort en 1616), chimiste distingué.
Ange Sala (vivait encore en 1633).
Oswald Crollius partisan de Paracelse (mort en 1609).
Michel Mayer, auteur d'un grand nombre d'ouvrages (1619).
Georges Agricola savant sérieux ; son ouvrage sur les mines est une œuvre très-remarquable (I494-1555).
Jean Rey ; il publia son ouvrage le plus remarquable en 1630 sous le titre d'Essais ; il y donne une démonstration de la pesanteur de l'air ; il mourut en 1645.
Robert Flud (1638).
Denys Zachaire vivait en 1556, sous Henri II. Les récits de sa vie sont intéressants et rappellent ceux de Bernard le Trévisan.
Guillaume Gratarolle, auteur d'un recueil d'écrits alchimiques (i558).
Gaston de C laves (1590).
Bernard-Gabriel Penot alchimiste. Il mourut à l'hôpital (1591) et écrivit contre Paracelse.
Alexandre Séthon dit le Cosmopolite ; il mourut, dit-on, en Pologne en 16o3.
Jean Béguin (1606), auteur d'un traité de chimie estimé.
Jean-Baptiste van Helmont (1577-1644)-
Rodolphe Glauber (né en i6o4, mort en 1668 ou 1670) ne cessa pas de publier une foule de traités excellents de chimie.
Athanase Kircher (1663).
Herman Conringius.
Robert Boyle (1668).
Nicolas Lefèvre (1669).
Olaüs Borrichius, historien et alchimiste, réputé adepte (1626 à 1690).
III CHAPITRE
ALCHIMIE AU POINT DE VUE DE LA SANTÉ.
§ 1
INTRODUCTION.
93. Lorsqu'on croyait à l'admirable vertu de la pierre pour transmuer les métaux imparfaits en métaux parfaits, et qu'on pouvait alors, disait-on, éliminer l'impur du pur, une idée bien simple et bien naturelle se présentait à l'esprit :
c'était l'existence d'une préparation analogue à la pierre, qui serait capable de chasser du corps humain malade quelque chose d'impur, cause de la maladie ; préparation qui, comme la pierre, pourrait agir encore à la manière d'un ferment capable de transformer une matière impure en matière pure, et perfectionner même le corps humain. Sous ce rapport, l'alchimie était une doctrine du progrès bien plus prononcée, et, pour parler le langage du jour, bien plus accentuée, que celle que j'ai entendu professer, après 1830 : certes! elle l'était bien davantage, puisque la nouvelle préparation hermétique, non-seulement redonnait la santé à l'homme qui l'avait perdue, mais elle pouvait, ajoutait-on, rajeunir la femme en lui rendant la fécondité que l'âge lui avait enlevée. Or je ne sache pas que les professeurs de la théorie du progrès en 1830 aient fait de telles promesses à leurs adhérents.
93. Geber distinguait parfaitement les minéraux, y compris les métaux, d'avec les êtres vivants, la mixtion forte et serrée des premiers et la composition faible, mais bien plus parfaite, des êtres vivants, grâce à l'âme sensible des animaux, et à l'âme végétative des plantes ; l'âme mystérieuse, pensait-il, venait ou de la quinte-essence ou du premier agent. Nous n'avons pas la faculté de faire des plantes et des animaux, ni même de les perfectionner, dans l'impossibilité où nous sommes de leur donner l'âme, cause de leur perfection (7).
C'est parce que les métaux n'ont pas d'âme et que leur perfection dépend de la nature et de la proportion de leurs éléments, de la mixtion même résultant de l'action et de la. passion de ses qualités, mixtion qui n'est que l'assemblage des premières qualités, qu'il nous est possible de perfectionner les imparfaits par la transmutation (8).
Cette âme mystérieuse, invisible, insaisissable, cause de la perfection de la nature vivante, conduisait naturellement l'esprit de l'alchimiste à donner plus d'importance à ce qui était volatil qu'à ce qui ne l'était pas, et à considérer la sublimation comme une opération d'un ordre supérieur parce qu'elle réduisait un corps en vapeur et qu'elle le purifiait de ce qui était fixe. Mais cette idée, il faut le reconnaître, n'était pas d'accord avec la transmutation, puisque, d'après Geber lui-même, un métal soumis à la transmutation n'était considéré ne l'avoir été avec succès qu'à la condition d'avoir été fixé, c'est-à-dire d'avoir acquis plus de stabilité au point de vue de la volatilité et de sa résistance à l'action que nous considérons aujourd'hui comme émanant des corps énergiques, l'oxygène, entre autres.
De cette idée de l'importance de la volatilité faisant retour à la transmutation, on arrivait à une idée contraire, à celle de la fixité dans le métal imparfait transmué en métal parfait, puisque la condition du succès de l'alchimiste était que le métal imparfait transmué eût la fixité du métal parfait, qu'il rougît au feu avant de se fondre, qu'il ne se réduisît pas en fumée par une température prolongée, qu'il ne s'altérât pas, en un mot, et qu'en se fondant, après avoir rougi, il présentât, par des températures croissantes, une couleur bleue, puis une blancheur éblouissante.
94.. C'est bien l'opposition de ces deux idées, la volatilité et la fixité, qui conduisit Geber à résumer l'art alchimique en prescrivant d'opérer successivement la volatilisation et la fixation, et de faire dépendre le degré de perfection de' la pierre du nombre de fois qu'on la soumettrait à cette double opération.
95. La pensée d'étendre l'idée alchimique à la santé ne s'est assurément manifestée à l'esprit de l'alchimiste que postérieurement à celle de se procurer de l'or au moyen de la pierre philosophale. Mais les idées de Geber que je viens d'exposer relativement à la distinction des minéraux et des êtres vivants, le mot quinte-essence qu'il a prononcé en parlant de l'origine de l'âme (9), les idées si raisonnables qu'il, à énoncées sur la transmutation des métaux, en distinguant ce qu'il fallait ajouter et ce qu'il fallait en éliminer (69), enfin ce qu'il a dit de la nécessité de chasser l'impur du pur, au moyen d'une préparation appelée pierre philosophale, ont dû conduire des hommes préoccupés des maladies qui accablent l'humanité, et particulièrement les médecins, à chercher des préparations capables de rétablir la santé de ceux qui l'avaient perdue, tout à fait analogues à ce qu'était la pierre philosophale pour se procurer de l'or.
Une fois que des alchimistes, des médecins, se seront engagés à la recherche de remèdes que je désignerai désormais par la dénomination de panacée pour la distinguer de la pierre philosophale destinée à se procurer de l'or^ on concevra sans peine l'intimité des deux sortes de recherches, surtout en ne perdant jamais de vue Y inanité des efforts, commune aux deux sortes de recherches.
Nous avons vu l'étroite liaison établie entre le volatil, le spirituel (94), la quinte-essence (96), l'âme végétative et l'âme sensitive par Geber, alchimiste pur : nous avons vu, en outre, comment il avait été conduit par la théorie hermétique à vouloir concilier deux choses inconciliables :
la volatilité considérée surtout dans les êtres vivants comme quinte-essence, et l'âme même considérée dans les êtres vivants d'une part, et d'une autre part la fixité des métaux parfaits ; enfin nous avons vu Geber opposant cette fixité à l'instabilité des métaux imparfaits, susceptibles d'être altérés par tant d'agents dépourvus d'action sur les métaux parfaits ; mais Geber, s'arrêtant à ces idées, n'a point pensé à appliquer l'alchimie à la santé de l'homme.
96. Je ne sache pas qu'avant Raymond Lulle on se soit occupé sérieusement de la recherche d'une quinte-essence, capable de ramener à la santé un homme attaqué d'une maladie ou d'une affection très-grave.
Raymond Lulle, né en 1235, mourut martyr en 1315. On dit qu'à l'âge de 59 ans, en 1294, il fut initié aux mystères de l'alchimie par Arnauld de Villeneuve.
Je m'arrête ici pour parler du traité de la quinte-essence composé primitivement de deux livres ; il est en effet le premier ouvrage où il soit question d'une manière spéciale de la quinte-essence eu égard à sa préparation, et surtout à ses diverses sortes relativement à la diversité des matières d'où elle est tirée. Cette diversité est l'origine des préparations dites remèdes spéciaux, auxquels on a donné les noms superbes de panacées, d'arcanes, etc., etc., pour frapper l'attention de tous les hommes qu'une maladie ou une affection spéciale fait recourir à des remèdes dans l'espérance d'y trouver la fin de leurs maux.
II.
RAYMOND LULLE.
97.. Sues dernières éditions du traité de la quinte-essence de Raymond Lulle se composent de quatre livres ; les premières ne comprennent que le premier et le deuxième livres qui, communs à toutes les éditions, sont les seuls dont je parlerai. Les idées relatives à l'importance de la volatilité, considérée comme propriété de la matière qui la posséder exprimées par Geber, sont reproduites par Raymond Lulle, mais avec de grands détails, car Geber a écrit le mot, mais sans- en développer le sens.
98. A prendre à la lettre les paroles de Raymond Lulle, il se serait aperçu, sinon le premier, mais un des premiers, de la valeur de la quinte-essence, et il y aurait été conduit par des raisonnements déduits de l'admirable vertu de la pierre philosophale. Mais, avant la quinte-essence, il aurait admis l'existence d'une préparation propre à changer les pierres vulgaires en pierres précieuses, et plus tard serait venue la quinte-essence, pour la santé de l'homme ; mais il ne veut pas d'équivoque. Dieu, en chassant Adam du paradis terrestre, à cause de sa curiosité pour connaître l'arbre de vie, et en l'empêchant d'y rentrer désormais par le chérubin armé d'un glaive flamboyant, lui a interdit à toujours l'immortalité. Dès lors Raymond Lulle s'explique de la manière la plus catégorique sur la quintessence ; incapable de donner l'immortalité, son action est bornée à guérir des maladies, à maintenir la santé, peut-être même à rajeunir, mais un terme a été fixé à la vie de chaque individu ; le moment arrivé, l'homme succombe.
99. Voici comment Raymond Lulle comprend la vertu de la quinte-essence pour assurer la santé de l'homme.
Les quatre éléments et les corps qu'ils constituent sont tous impurs, et dès lors altérables et corruptibles : conséquemment, le corps de l'homme, formé des quatre éléments, est altérable et corruptible, et l'altération et la corruption causent la maladie. Introduire dans le corps malade des médecines altérables et corruptibles, pour le guérir, c'est, au contraire, entretenir la maladie, la continuer. Que faire donc? Introduire une médecine inaltérable, incorruptible, en un mot une quinte-essence.
Or Raymond Lulle reconnaît cette vertu au produit de la distillation du vin qu'il nomme eau ardant, l'âme, l'esprit du vin, l'eau de vie!
Effectivement, le vin fortifie ; pris en excès, il enivre ; eh bien, l'eau de vie, séparée de la partie altérable et corruptible du vin, fortifie, et, prise en excès, enivre ; c'est donc en elle que réside la vertu du vin, elle en est donc la quinte-essence.
Elle n'a aucune des propriétés des quatre éléments. Mise dans un flacon hermétiquement fermé, elle se conserve indéfiniment : et en outre elle conserve la chair, les poissons qu'on y plonge, etc., etc. Telles sont donc les propriétés caractéristiques d'une quinte - essence , selon Raymond Lulle.
100. Mais la quinte-essence, eau de vie, est-elle comparable à la pierre philosophale? est-elle une, comme le croyaient la plupart des al chimistes purs? Non, Raymond Lulle, en commençant la préparation de la panacée par la distillation du vin, a eu évidemment l'intention de donner un exemple clair, compréhensible à tous, de l'idée qu'on doit se faire de la quinte-essence, et certes il ne pouvait mieux choisir. Mais dans le fond de sa pensée la quinte-essence du vin, l'eau de vie, était une sorte de quinte-essence, et non un principe unique. En fait, il existait autant de quinte-essences spécifiques qu'il est possible de retirer par la distillation de produits volatils analogues à celui qu'on retire du vin. Ces préparations sont l'objet du premier livre, et la distillation du vin précède toutes les autres.
Le deuxième livre de la quinte-essence a pour titre : de applicatione quintae ESSENTIAE ad corpora humana. Secundus liber huius voluminis, qvi appellatvrde remediis ultimatis generalibus ad commodum corporis nostris, conditus.
En un mot, il n'entend pas par quinte-essence un remède . unique, mais des remèdes spécifiques compris dans le mot générique quinte-essence. J'insiste sur ce fait, parce qu'il est
le point de départ du système des remèdes spécifiques de Paracelse.
§ II
JEAN DE RUPESCISSA. 1857.
101. Un cordelier du nom de Rupescissa, noble d'extraction, qui vivait certainement au XIVe siècle, puisqu'on sait qu'il fut mis en prison par ordre du pape Innocent VI, en 1357, publia un traité sur la vertu et propriété de la quinte-essence de toutes choses. Une traduction française, par du Moulin, parut en 1581.
Sauf quelques pages du commencement qui ne sont pas la reproduction du traité de Raymond Lulle, le reste de l'ouvrage en reproduit toutes les idées et presque toujours dans les mêmes termes. Je parle des deux livres des premières éditions de Raymond Lulle (97), et je m'étonne de ne pas savoir qu'avant moi on en ait fait la remarque. Je n'ai donc rien à dire du traité de la quinte-essence de J. Rupescissa ; cependant, après avoir reproduit les idées de Raymond Lulle, que tout individu humain est condamné par Dieu à mourir et que la quinte-essence n'a que le pouvoir de le maintenir en bonne santé, ou le guérir des maladies qui peuvent l'atteindre jusqu'au terme que Dieu a fixé à sa vie,il y a un passage relatif à la quinte-essence, que je vais citer (10).
« Nous répondons fidèlement aux choses susdites (11) : qu'il faut chercher vue chose qui soit de telle nature envers les quatre qualités desquelles notre corps est composé, comme est le ciel au respect des quatre éléments. Or les philosophes ont appelé le ciel la quinte essence à l'égard des quatre éléments : car le ciel en soi est incorruptible et immuable : ne recevant point en soi des mutations ou impressions étrangères : si ce n'était par le commandement de Dieu : pareillement aussi la chose que nous cherchons, au regard et respect des quatre qualités de notre corps, c'est la quinte essence, en soi incorruptible, si elle demeurait éternellement ; et n'est point chaude ; ni sèche avec le feu ; ni humide ni froide avec Veau ; ni chaude ni humide avec l'air ; ni froide ni seiche avec la terre: mais c'est quinte essence, valant aux choses contraires, tout ainsi que le ciel incorruptible ; car, quand il est de besoin, il épanche de la pluie humide, aucunes fois chaude, aucunes fois froide, et autres fois seiche. Telle est la racine de vie, la quinte essence, laquelle le très haut Dieu a créée en nature afin qu'elle puisse aider aux nécessités du corps, jusqu'au « dernier terme que Dieu a constitué de notre vie. »
102, Plusieurs motifs m'ont déterminé à reproduire le passage qu'on vient de lire. II montre que l'auteur, considérant le corps de l'homme comme formé des quatre éléments, ne prend pas ceux-ci pour des substantifs propres, puisqu'il réduit chacun d'eux à une seule propriété qui le caractérise, chaleur, fraîcheur, humide, sécheresse. En cela, il a partagé l'opinion de plusieurs savants qui ont pris pour guide l'analyse et la synthèse mentales, quand il aurait fallu parler conformément à l'analyse et à la synthèse chimiques.
Le mot quinte-essence est attribué au ciel par quelques philosophes, puis par Jean de Rupescissa, philosophes qui regardent la quinte-essence comme un cinquième élément, très-pur, immuable, incorruptible, et différant par là même des quatre éléments qui, dans l'esprit de Rupescissa, sont impurs et corruptibles.
Le dernier motif est que nous verrons bientôt Paracelse se séparer de Rupescissa et de Raymond Lulle relativement aux propriétés des quatre éléments que posséderait, selon lui, la quintessence (106).
§ IV.
PARACELSE.
1493– 1541.
103. A mesure que nous nous éloignons de Geber et que l'idée alchimique fait des progrès pour tenter la guérison des maladies de l'homme, les idées abstraites occupent plus de place dans les écrits, les idées relatives aux propriétés résultant de la volatilité des corps, de la mobilité et toutes celles qui semblent soustraire la matière à nos sens, en s'adressant surtout à l'imagination, occupent de plus en plus les esprits, et évidemment l'attention des médecins alchimistes, fixée sur les phénomènes de la vie, a une grande influence pour amener ce résultat. L'un d'entre eux, du nom de Paracelse, apparaît ; Suisse de nation, il saisit avec une extrême habileté le parti qu'il peut tirer de son double titre de médecin et d'alchimiste, des circonstances où il se trouve, et voit sans illusion la disposition où se trouvent ses contemporains pour bien accueillir des innovations promettant la richesse et la santé ; il voit bien que les germes sont partout et n'attendent que l'homme qui saura les développer.. Il sait, comme alchimiste et comme médecin, que Jean Isaac, le Hollandais, et Basile Valentin, ont donné au sel une importance qu'il était loin d'avoir avant eux en conséquence des travaux alchimiques opérés par la voie humide ; il sait que l'antimoine a donné des remèdes énergiques à la médecine, et dès lors son plan de novateur en médecine est arrêté.
Ce n'est point à une médecine expectante, ni à la médecine de Galien, qu'il se livrera ; loin de là, il déclarera l'impuissance de celle-ci ; aucune expression ne lui manquera pour la flétrir ; il n'épargnera ni l'injure ni le sarcasme à ceux qui la pratiquent ; ce qu'il veut, c'est la médecine héroïque ; elle fixe l'attention des hommes ; quelques succès éclatants, inattendus, ferment la bouche aux mécontents ; car l'audace plaît au public, même en médecine !
Paracelse calcule juste, et l'avenir le prouve. Il saisit à merveille ce que le livre des quinte-essences de Raymond Lulle lui offrait d'avantages. Dès son début, il comprit clairement que la quinte-essence ne pouvait être une (100) comme la pierre philosophale ; qu'elle ne devait pas être une panacée unique propre à fous les maux, ; qu'au contraire, il devait y avoir autant de quinte-essences que les hommes comptent de maux. C'est donc avec un esprit prévoyant et supérieur qu'il distingua pour ses intérêts l'avantage des quinte-essences spécifiques, sur une quinte-essence une, analogue à ce qu'est la pierre philosophale, et le nom de monarque des arcanes qu'il reçut de ses admirateurs prouve qu'il avait calculé juste.
104. Mais le but n'était pas atteint encore : il fallait faire comprendre à tous la grandeur de l'idée qu'il voulait éveiller par le nom de quinte-essence. Il y parvint en exposant à sa manière la distillation du vin déjà pratiquée et décrite par Raymond Lulle (100) et ensuite par Rupescissa (101-102).
Il ne se borne pas à l'idée si simple et si frappante qui fait naître les expressions de quinte-essence, d'eau ardant, à'esprit de vin, à'eau de vie , données au produit volatil du vin, représentant sous un volume réduit les deux propriétés caractéristiques du liquide fermenté : la force qu'il donne au corps humain quand il est pris en quantité modérée, et l'ivresse quand il est pris en excès.
Il recourt à l'opposition, à la comparaison des contraires, au flegme, liquide aqueux qui passe après la quinte-essence, l'esprit de vin ; il est insipide, aqueux, sans propriété organoleptique marquée. Le résidu fixe solide du vin reste dans la cucurbite de l'alambic ; il l'appelle ça/put mortuum, et tous les deux n'ont rien de comparable à l'eau de vie. Les contrastes sont donc frappants.
105. Paracelse, en homme scientifique, envisage au point de vue le plus général tous les produits d'origine organique qui sont volatils, odorants ; en les considérant comme des quinte-essences spécifiques, il en compose des mélanges auxquels il donne les noms d'élixirs, d'arcanes, etc.
Les quinte-essences spécifiques qu'il obtient ainsi donnent des flegmes, des caput mortuum, qui viennent se ranger à côté de ceux qu'il a retirés du vin, et enfin, il augmente le nombre des principes immédiats, le soufre, le mercure, le sel, le flegme et le caput mortuum ; à cet égard, Paracelse rentre dans le domaine de la science proprement dite.
106. Il y rentre encore, après avoir pris pour une des bases de sa doctrine les quinte-essences qui appartiennent à Raymond Lulle, car Rupescissa les lui a prises sans le citer, en quoi Paracelse l'a imité (12).
Mais Paracelse a prévenu en partie la critique en n'admettant pas, avec Raymond Lulle et Rupescissa, que les quatre propriétés caractéristiques des éléments, la chaleur, la froidure, l'humidité et la sécheresse, fussent étrangères à la quintessence ; loin de là, elles en font partie essentielle, avance-t-il.
Nous avons vu (101) comment Rupescissa avait usé de l'analyse et de la synthèse mentales en séparant les qualités caractéristiques des quatre éléments : chaleur, froidure, humidité et sécheresse, pour en doter la matière du corps humain, et comment, en parlant des quatre éléments du feu, de l'air, de l'eau et de la terre, il les déclare impurs et conséquemment corruptibles. Ces opinions justifient donc l'importance que nous attachons à la distinction de l'analyse et de la synthèse chimiques d'avec l'analyse et la synthèse MENTALES. Ainsi tous les attributs dont l'ensemble constitue chaque élément, substantif propre, disparaissent pour n'en laisser considérer qu'un seul qui en est l'attribut caractéristique pour l'alchimie.
Rupescissa considéra la quinte-essence comme une substance pure et dès lors incorruptible.
Paracelse use de l'analyse et de la synthèse mentales à l'instar de Rupescissa ; mais, d'une manière inverse, il sépare les qualités caractéristiques des quatre éléments pour en doter la quinte-essence. C'est donc une preuve que j'ai eu raison de dire que les alchimistes n'ayant aucune idée exacte de l'analyse et de la synthèse chimiques les confondaient avec l'analyse et la synthèse mentales lorsqu'ils jugeaient convenables d'ôter à un substantif propre une de ces propriétés pour en doter un autre.
La distinction de l'analyse et de la synthèse chimiques d'avec l'analyse et la synthèse mentales est donc capitale dans l'histoire de l'esprit humain.
107. Je crois avoir parlé suffisamment de Paracelse dans ce résumé de l'histoire de la matière, mais, si j'eusse été plus bref, j'ai tout lieu de penser que je n'aurais pu parler de l'influence que ses idées ont certainement exercée sur deux hommes dont l'histoire de la matière ne peut taire les noms : van Helmont d'abord et G.-E. Stahl ensuite.
IV CHAPITRE.
VAN HELMONT.
1577–1644
ARTICLE PREMIER.
LE MONDE DE VAN HELMONT.
108. Je ne reproduirai pas ce que j'ai dit ailleurs de van Helmont (13) ; il me suffit de renvoyer le lecteur à l'atlas dont cet opuscule est le texte (14). Il y verra l'ensemble des vues de van Helmont dans la planche n° 4.
Le caractère fondamental de la doctrine de van Helmont est le spiritualisme porté à un degré auquel personne ne l'a élevé. L'auteur, ai-je dit, n'admet que deux éléments, l'air et l'eau, et ces éléments sont passifs.
L'air lui-même n'est pas élastique. S'il semble diminuer de volume, c'est qu'il est comprimé par une créature neutre, dit van Helmont, intermédiaire entre la substance et l'accident ; il l'appelle magnale. Si celui-ci cesse de presser, l'air se dilate. L'être actif est donc le magnale et non Y air. Il y a simple conjonction entre les deux êtres, et non combinaison.
109. L'eau, comme l'air, est passive et incompressible sous la pression d'une force qui agit de l'extérieur sur elle ;
mais, matière pesante de toutes les espèces chimiques, elle présente les propriétés que nous reconnaissons, que nous opposons à tous les substantifs propres physiques quand nous les distinguons les uns des autres, alors qu'elle n'est pas combinée, mais conjointe avec un principe-esprit, appelé par van Helmont archée. Ce principe-esprit étant la cause de la diversité des espèces chimiques, c'est dire qu'il existe autant d'espèces d'archées que l'on compte d'espèces chimiques.
110. Si je n'avais pas autant écrit sur van Helmont, comme tout lecteur curieux de connaître les détails de ses doctrines en recourant aux sources principales que j'ai indiquées dans la note de l'alinéa 108 pourra s'en convaincre, je me serais cru obligé d'en exposer l'ensemble, mais en le faisant je m'écarterais évidemment du but de cet ouvrage dont l'objet essentiel est un résumé de l'histoire des opinions principales dont la matière proprement dite a été l'objet. Il me suffira, après avoir rappelé que van Helmont n'admet que deux éléments, l'eau et l'air, de dire qu'avec ses idées absolues il n'admet pas la combinaison, même entre l'eau et l'air, qu'il ne reconnaît que des conjonctions à l'égard de ces deux éléments de l'air avec le magnale, et de l'eau avec des principes-esprits appelés archées doués de l'activité et d'une sorte de conscience des actes qu'ils doivent exécuter.
Ce qui me reste à faire, c'est de lier les QUATRE CATÉGORIES d'êtres que je qualifie d'IMPONDÉRABLES avec les DEUX CATÉGORIES de corps dits aujourd'hui pondérables, celle des éléments, l'air et l'eau, et celle des productions séminales, comprenant les minéraux, les végétaux, les animaux et les gaz, qui ne sont que de l'eau avec un reste d'archée, êtres tout à fait différents par leur constitution de l'air qui, je le répète, est un élément impuissant à s'unir à 'quoi que ce soit, sinon à cet être que van Helmont appelle magnale. La pesanteur de l'air était-elle connue ou inconnue de van Helmont? je ne puis l'affirmer ; quoi qu'il en soit, l'ouvre de J. Rey où cette propriété de l'air est démontrée avait paru quinze ans avant sa mort.
111. Que le lecteur jette les yeux sur le tableau n° 4 de l'atlas, il verra la disposition des SIX CATÉGORIES d'êtres que je viens de rappeler. Les êtres impondérables des quatre premières catégories sont en caractères rouges, et les êtres pondérables, pesants, les seuls matériels des six catégories, sont en caractères noirs.
Quatre catégories, sur six, consacrées aux êtres et aux choses qui sont du domaine de l'esprit, témoignent de la supériorité que van Helmont attribue à l'esprit sur la matière.
A la 1er catégorie appartient la substance absolue, l'âme immortelle.
A la 2e catégorie, les accidents habitant dans les êtres, ce sont :
les propriétés
les puissances
les qualités
les facultés des choses.
Le mot accidents donné aux propriétés, etc., des choses montre encore l'importance que van Helmont attache à l'être relativement à ses attributs ; carie mot accidents donné aux attributs que l'être peut avoir ou ne pas avoir montre l'importance qu'il attache à l'être.
Or, dans ma manière de voir, je ne puis connaître l'être, le substantif propre, que par ses attributs, conséquence absolue de la méthode a posteriori expérimentale telle que je la définis.
A la 3e catégorie appartiennent des êtres neutres, intermédiaires entre la substance et l'accident ; ils ont l'être des organes et des propriétés ; tels sont la puissance vitale de l'âme des plantes, l'âme sensitive des animaux et de l'homme, le magnale, la cause de l'élasticité de l'air, le feu et la lumière, le ferment immortel, le lieu.
112. Le spiritualisme apparaît au plus haut degré dans l'âme que van Helmont reconnaît aux plantes, aussi bien que dans la faculté végétative qu'Aristote leur reconnaît. Il en est de même de l'âme sensitive qu'il reconnaît à l'homme et aux animaux ; c'est l'âme sensitive de l'homme qui souffre des maladies, c'est elle qui subit l'action des remèdes, enfin c'est sur elle encore que s'exerce l'influence des astres. Quant à l'âme immortelle, il ne la reconnaît qu'à l'homme seul. Ajoutons qu'il admet l'âme immortelle dans tous les individus de l'espèce humaine.
113. Si le magnale est tout à fait étranger au spiritualisme proprement dit eu égard à l'homme, il témoigne combien van Helmont est prévenu contre la matière en lui refusant toute sorte de force. Ainsi l'air, l'exemple le plus frappant qu'on puisse citer pour donner une idée de l'élasticité parfaite, serait, comme je l'ai déjà dit, pour van Helmont dénué de cette propriété ; celle-ci ne serait, selon lui, qu'apparente ; la véritable cause résiderait dans le magnale. Ajoutons que van Helmont, sans tomber dans l'astrologie judiciaire, reconnaît l'influence ,du ciel sur les objets terrestres, et cette influence, qu'il appelle blas, s'exerce avec d'autant plus d'efficacité que le magnale, en comprimant davantage l'air, ouvre une voie plus large pour que le blas agisse sur la terre.
114. Le feu comprend la chaleur et la lumière, Dieu le donne à l'homme pour ses besoins comme le magnale :
créature neutre, n'étant ni substance, ni accident, le feu se place entre"ces derniers.
Il n'est pas matière, car il pénètre les corps de toutes parts, et l'on sait que deux matières ne peuvent occuper le même lieu ; or le fer rouge a toutes les propriétés du feu, , car il est brûlant et lumineux.
Or le feu éclaire, il échauffe, il sèche, il détruit toutes les semences.
Il n'a pas besoin d'aliment, opinion que nous verrons tout à fait opposée à celle de Becker (184).
115. Le ferment immortel joue un grand rôle dans la doctrine de van Helmont. J'en reparlerai bientôt en traitant de la 4me catégorie.
116. Le lieu. Je ne sache pas que van Helmont ait attaché une importance au lieu comparable à celle que lui a attribuée Platon.
117. La 4° catégorie comprend les principes esprits au les archécs, nombre de trois genres les ferments altérables, les ferments altérables séminaux.
Van Helmont considère comme synonymes les expressions archée, agent séminal, esprit séminal.
Loin d'admettre, avec Aristote, que la forme soit une cause, il la considère comme un simple effet, dont la cause est une archée ; car c'est cette archée qui donne à l'eau à laquelle elle se conjoint la forme que doit avoir l'espèce de corps résultant de la conjonction.
En définitive, l'archée représente le principe dynamique, et l'eau à laquelle elle est unie le principe absolument passif de la conjonction. C'est donc le premier principe, l'archée, qui est la cause de toutes les propriétés que présentent la conjonction, dentelle (l'archée) est partie constituante.
118. Mais, pour être clair et compréhensible dans un résumé aussi bref que celui que j'écris, il faut parler des archées relativement à leurs diversités spécifiques, puis revenir sur le ferment immortel, qui appartient aux créatures neutres de la 3e catégorie, et, après en avoir parlé au point de vue général, en parler au point de vue de la diversité, et finir ensuite par l'examen des ferments altérables de la 4e catégorie.
archées au point de vue de leurs diversités spécifiques,
119. Faire l'histoire des archées serait écrire l'histoire de toutes les espèces de minéraux, de plantes et d'animaux que l'on connaît, et j'ajoute de toutes les espèces chimiques qui constituent un corps et qu'on peut considérer comme en étant les principes immédiats. Dans l'impossibilité de le faire, je me bornerai à dire quelque chose des archées de l'homme et des animaux, des plantes et des minéraux d'après van Helmont.
Les archées de l'homme et des animaux sont lumineuses.
Les archées des plantes ont la forme d'un liquide ou d'un suc.
Les archées des minéraux, moins mobiles que les précédentes, se rapprochent de l'état solide. Cependant van Helmont ne pense pas que ces archées des plantes et des animaux ne puissent pas être quelquefois lumineuses.
L'influence de l'opinion si générale d'après laquelle on reconnaît quelque chose de plus élevé à ce qui est raréfié qu'à ce qui est solide, à ce qui est mobile qu'à ce qui est fixe, a agi évidemment sur l'esprit de van Helmont dans cette manière d'envisager les attributs des archées ; et ces distinctions s'accordent encore avec ce que nous avons dit de la distinction des quatre éléments correspondant chacun à un des quatre états de l'agrégation de la matière, y compris l'état impondérable.
L'archée qui se trouve dans la semence d'un animal travaille à préparer la matière à recevoir les formes du corps auxquels cette semence donnera naissance. Elle établit un lieutenant-archée dans chaque partie de l'être, afin de veiller incessamment au développement de cette partie.
En définitive, cette idée de van Helmont est identique à celle d'Aristote rapportée plus haut, où le grand philosophe .explique comment la permanence des formes organiques est conservée par la génération. – Je dirai plus loin comment le rapprochement que je fais maintenant s'accorde avec l'interprétation que je donne des sources où van Helmont a puisé les idées qui l'ont conduit, je ne dis pas à son système, mais à son hypothèse du monde, représentée par le tableau de l'atlas n° 4.
Du ferment immortel de la 3e catégorie.
a)Au point de vue général.
b) Au point de vue de ses espèces.
a) Au point de vue général.
120. Le ferment immortel est un genre qui comprend autant d'espèces de ferments qu'il existe d'espèces d'archées à l'état abstrait. Le ferment considéré comme principe, est répandu dans les lieux où Dieu a voulu qu'il y eût des semences propres à développer des corps ; il affecte la forme lumineuse.
Principe dynamique comme l'archée, il lui est supérieur en puissance. Effectivement :
D'abord, il agit extérieurement sur une semence pourvue de son archée. C'est lui qui, l'éveillant pour ainsi dire, l'excite à l'action dont Dieu l'a chargé pour rendre la semence susceptible de se développer avec la forme spécifique que l'archée doit maintenir.
Ensuite, sa puissance est telle qu'en présence de l'eau, matière de tout corps, il peut engendrer la semence à laquelle il correspond ; c'est en cela surtout que sa puissance est bien supérieure à celle de l'archée.
Si l'on ne peut nier que van Helmont ait puisé l'idée de son ferment dans l'idée de puissance que les alchimistes attribuaient à leur pierre philosophale, il lui a donné une grande extension, puisque le ferment, dans la pensée des derniers alchimistes, devait contenir de l'or ou de l'argent pour être efficace ; or, suivant eux, cette efficacité tenait à la me que l'alchimiste communiquait à la pierre. Or, van Helmont faisait résider la cause de la vie dans une archée qui tenait elle-même son activité d'un principe dynamique dépourvu de toute partie matérielle.
b) Ferment immortel au point de vue de la pluralité.
121. Van Helmont admet autant d'espèces de ferments immortels qu'il existe d'archées spécifiques. Celles-ci ont leur siège dans les espèces de corps qu'elles constituent, tandis que les ferments immortels appartiennent au monde extérieur.
Chaque espèce de corps a une semence pourvue de son archée spécifique capable de propager cette espèce de corps sous l'influence de l'action excitante du ferment qui y correspond.
Une application de l'action des ferments spécifiques faite par van Helmont explique très-bien sa pensée ou plutôt son hypothèse.
Une contrée est fertile parce que Dieu y a mis les ferments spécifiques qui correspondent aux semences des plantes que l'homme y cultive.
Une contrée est stérile au contraire où Dieu n'a pas répandu les ferments correspondants aux semences que l'homme voudrait y cultiver.
Van Helmont étend cette vue à certains pays eu égard non plus a des semences de plantes, mais à des insectes et même à des minéraux. ...
Ferments altérables de la 4e catégorie.
122. Si van Helmont accorde à un- ferment immortel de produire avec de l'eau la semence qui correspond à ce ferment, il refuse au produit, si j'ai bien compris sa pensée, de donner lieu à des ferments inaltérables.
Je cite un exemple : l'homme et la femme imposent un ferment, et la semence donnera lieu à un enfant. Eh bien, ce ferment est détruit après avoir satisfait à l'acte pour lequel il avait été produit.
123. Paracelse a désigné sous le nom de leffas une vapeur chaude qui, s'exhalant de la terre, est capable de faire croître des herbes et des. plantes-. Et van Helmont le considère comme un ferment doué de la faculté de déterminer la germination de toutes les plantes dépourvues de semences visibles.
Le leffas, devenu visible sous la forme d'une fumée, se condense, passe du jaune au vert et se transforme en diverses plantes.
Il peut arriver que le leffas, en se condensant en certains lieux, se couvre d'une peau produite par des ferments qui s'y trouvaient à l'état latent.
124. Les ferments altérables ne sont pas les seuls ; van Helmont en signale d'autres que je désignerai par l'expression de ferments-odeurs, trop extraordinaires pour ne pas en parler, car, au point de vue de l'histoire, il est nécessaire que l'on sache comment un homme qui a nom van Helmont a conçu l'art d'interroger la nature par l'expérience.
Première expérience. Un vase est-il imprégné de l'odeur d'un ferment, versez-y de l'eau de fontaine la plus pure ; il se produira des moisissures, des vers, des cousins.
Deuxième expérience. Les odeurs des marais produisent des mollusques à coquilles, des limaçons, des sangsues, des herbes, etc.
Troisième expérience. Des feuilles de basilic pilées exhalent un ferment-odeur qui produit des scorpions.
Quatrième expérience. Une chemise sale de femme exhale un ferment-odeur qui, mêlé à l'odeur exhalée de grain de froment, change ce grain, après vingt et un jours, en souris adulte des deux sexes, douées de la faculté de se multiplier (15).
125. Si van Helmont se refuse à admettre, avec les partisans de l'horoscopie, l'influence des astres sur la science, la profession, la fortune des hommes, il ne regarde pas comme impossible que Dieu ne soit point opposé à ce que les étoiles soient signes et présages des choses contingentes, dans le cas où leurs indications ne sont point de simples menaces ; chaque homme, chaque ville, chaque province, chaque royaume peut avoir son étoile.
Les faits concernant les révolutions des temps, des jours, des années, sont du ressort des planètes et du soleil.
Les événements, les tragédies de la vie humaine , le sont des étoiles fixes.
126. Maintenant, comment les rapports s'établissent-ils entre le ciel et la terre ?
C'est au moyen du blas, dont nous avons parlé en traitant du magnale ; plus celui-ci présente de vide, et plus la communication est facile et l'action du ciel efficace ; c'est par le blas que le ciel agit sur l'état météorologique de la terre, et par le blas que l'action du ciel se manifeste sur l'homme, qui a lui-même un blas intérieur. Enfin, van Helmont reconnaît aux valétudinaires la faculté de prédire les changements de temps.
Le soleil avance le développement des semences.
La lune, au contraire, s'oppose à ce développement ; elle altère les puissances séminales, elle amène la décomposition des cadavres, et convertît les eaux en leffas.
127. Enfin, van Helmont reconnaît aux diables le pouvoir de prédire l'avenir ; les anges doivent cette faculté à Dieu, qui l'accorde encore à quelques hommes.
IIe ARTICLE.
ORIGINE DES IDÉES DE VAN HELMONT SUR LE MONDE.
128. Longtemps je me suis demandé à quelle source van Helmont avait puisé les idées qui le conduisirent à imaginer un monde si différent de celui que nous connaissons ;
et comment, en n'admettant que deux éléments, l'eau et l'air, il leur refusait toute propriété active ; car l'air même, prétendait-il, manquait d'élasticité spontanée.
Mes dernières recherches sur l'histoire des connaissances chimiques et sur l'alchimie, et mes études des opinions professées par les philosophes grecs, atomistes et académiciens, m'ont fait mieux comprendre les traités des quintes essences de Raymond Lulle et de Jean Rupescissa, ainsi que leur influence sur les doctrines de Paracelse ; et l'ensemble de ces études, en m'ouvrant les y eux, m'a montré l'origine des opinions de van Helmont.
129. Ce qui m'a d'abord frappé, dans mes lectures relatives aux philosophes grecs qui ont traité de la matière, a été de voir comment les atomistes, adoptant discontinuité de la matière, 'ont été conduits à admettre la réalité du vide, et comment les académiciens et les péripatéticiens, adoptant la continuité des parties de cette même matière et le plein, c'est-à-dire des opinions diamétralement opposées, se sont accordés cependant sur l'éternité de la matière. Mais ce qui m'a donné beaucoup à penser, c'est l'analogie des opinions, quand ce n'est pas l'identité, lorsqu'il s'est agiote la cause du mouvement. Ainsi, qu'est-ce que le (chaos ? C'est la matière sans le mouvement, a dit Anaxagoras ; c'est la matière avec le mouvement désordonné, a dit Platon, Qu'est l'arbre sans le mouvement? Du bois mort. Qu'est l'animal sans le mouvement? C'est le cadavre.
130. Mais qui donne le mouvement à ce caillou, qui n'est pas vivant comme le sont le végétal et l'animal? Qui le donne à l'arbre mort et au cadavre de tout animal qui a vécu, et qui ne se meut plus spontanément? Comme le caillou, tous ont besoin d'une force du dehors pour changer de place ou de position s'il s'agit de quelques-unes de leurs parties seulement.
Les atomistes répondent : Chaque atome a en lui une force motrice, et, comme ils ne connaissent que des forces mécaniques et le feu, ils ne vont pas au-delà de dire qu'il existe des atomes sphériques à surface polie obéissant à la moindre force et des atomes crochus qui, grâce à leur forme, s'accrochent les uns aux autres pour constituer des molécules. Les premiers atomes représenteront l'air et surtout le feu, tandis que les autres, l'eau et surtout la terre.
Pour l'atomiste, chaque atome devait donc avoir une force motrice qui lui était inhérente.
131. Si van Helmont paraît avoir eu du penchant à admettre la structure atomique de la matière, conformément à l'opinion de Démocrite, etc., incontestablement son genre d'esprit a été sympathique aux idées spéculatives de Platon et d'Aristote les plus élevées concernant l'organisation du monde ; car l'homme qui, contrairement à l'observation immédiate, a admis passivité de l'air, et qui avec Thaïes a dit : « Tous les corps sont formés d'eau, » et qui, pour en expliquer l'immense variété, recourut d'abord à des créatures neutres telles que le magnale, le feu et la lumière, le ferment immortel, et ensuite à des principes esprits, archées et ferments altérables, a dépassé toutes les limites des hypothèses spiritualistes, et, lecteur, ne confondez pas ces hypothèses avec les idées spiritualistes.
132. Revenons à Platon et à Aristote, dont on a parlé dans la première Époque du Résumé de l'histoire de la matière ; revenons-y, afin d'examiner l'influence qu'ils peuvent avoir exercée sur les opinions de van Helmont.
S'il y a quelque chose de vrai dans l'opinion commune d'après laquelle Platon est considéré comme plus spiritualiste qu'Aristote, et cela parce que la part de la métaphysique proprement dite est plus grande dans son œuvre qu'elle ne l'est dans celle d'Aristote, eu égard aux sujets de chaque œuvre qui sont en dehors de la métaphysique. ce serait une erreur d'en conclure qu'Aristote serait plus près que Platon du matérialisme telle que cette expression est comprise de nos jours.
133. Que le fondateur de l'Académie se soit plus occupé de Dieu que le fondateur du Lycée, et que les attributs de sagesse, de justice et de bonté reconnus par Platon l'aient conduit à faire de la Divinité une Providence, et répondent mieux que le Dieu d'Aristote à l'idée que nous nous faisons de l'Être suprême doué de la science et de la puissance absolues, je ne le contesterai pas ; mais j'affirmerai qu'on ne trouvera pas plus dans les écrits d'Aristote que dans ceux de Platon des propositions favorables au matérialisme.
134. Est-il possible de dire qu'Aristote n'a pas été aussi frappé que Platon de l'impossibilité d'expliquer le mouvement dans le monde sans recourir à une substance autre que celle qui constitue les quatre formes sous lesquelles apparaît la matière perceptible aux sens de l'homme? L'un de ces grands esprits a-t-il montré sur cette question une conviction moindre que l'autre? Évidemment non. Tous les deux admettent l'éternité de la matière, reconnaissent pour cause de l'organisation sous laquelle nous l'observons l'intervention de Dieu ; il y a plus, des agents intermédiaires entre la Divinité et les êtres perceptibles à nos sens.
135. N'est-ce pas la profonde conviction de la nécessité de l'existence d'un pouvoir suprême qui a inspiré au génie d'Aristote les quatre natures définies comme il l'a fait dans les êtres perceptibles à nos sens (5o C)? En réfléchissant aux progrès de la science et en se reportant au temps d'Aristote, était-il donné à cet esprit, si profondément observateur et analyste, si pénétrant, avec l'idée dominante d'une matière simple, de ne pas recourir à la forme qui se présentait comme cause immédiate de la différence des êtres perceptibles aux sens de l'homme ?
La troisième nature en laquelle résidait une première cause de mouvement, douée encore de la faculté de resserrer l'union de la matière avec la forme, était encore une condition d'assurer l'existence de l'être.
Mais le déiste, en imaginant la quatrième nature, mettait le comble à son œuvre en se montrant alors l'élève fidèle du fondateur de l'Académie, son maître, car cette quatrième nature veillait sans cesse à ce que l'être, dont elle était partie intégrante, conservât les facultés que le grand organisateur du monde lui avait données comme partie d'un ensemble harmonieux dont le but était le bon !
136. Quelle que soit l'opinion que l'on ait sur le sujet que je viens de traiter, je ne puis considérer comme superflue la revue des idées précédentes, avant de revenir à van Helmont ; car les esprits désireux d'approfondir l'étude d'un objet quelconque savent combien peut être erroné ce principe d'après lequel beaucoup de gens déclarent comme non existant ce qu'ils ne comprennent pas, surtout quand il s'agit de choses ressortissant de la région la plus élevée de la raison humaine. Voyez donc quelles réflexions suggère l'inanité des efforts de& Pythagore. des Démocrite, des Platon, des Aristote pour traiter les questions qu'ils ont abordées ! et prononcez si nous sommes plus qu'eux en mesure de les traiter aujourd'hui, avec quelque chance de succès, après les immenses progrès des sciences depuis Galilée, et alors que nous connaissons la science des actions moléculaires au contact apparent, absolument ignorées de ces grands esprits , alors que nous connaissons les sciences de l'électricité et du magnétisme, dont la connaissance qu'ils en avaient se réduisait à deux faits : l'attraction du fer par l'aimant, et celle des corps légers par l'ambre jaune frotté! Évitons les déceptions, dont les inconvénients sont le découragement ; et pour cela profitons du secours de la méthode a posteriori expérimentale, qui assure sans cesse notre marche en nous faisant distinguer le vrai du faux lorsque notre confiance en elle est égale à sa puissance !
En définitive, si les atomistes crurent suffisant, pour se rendre compte des phénomènes du monde, d'admettre une force motrice dans chaque atome, tandis que les académiciens et les péripatéticiens., plus disposés à se laisser aller à l'abstraction morale scientifique, et, pour être vrai, imaginative, s'occupèrent davantage de l'entendement, de l'âme, de l'intelligence, des idées, en un mot, de ce que nous comprenons dans le mot de psychologie ; si en outre ils admettaient l'union intime de l'âme avec la matière, ils étaient loin de confondre l'une avec l'autre, de nier l'existence de la première, en définitive, d'être matérialistes dans le sens moderne du mot. Les philosophes de la Grèce, tout en reconnaissant l'éternité de la matière, étaient loin de nier l'existence d'une puissance divine, l'existence de Dieu!
137. On ne peut bien connaître van Helmont et s'expliquer son système d'idées ( Voir le tableau N° 4 de l'Atlas.) qu'en se pénétrant bien des deux dispositions prédominantes de son esprit :
1° Sa disposition à adopter des idées nouvelles, et son éloignement des idées anciennes, soit en médecine, soit en toute autre chose donnée en maître avec la parole absolue de l'école ;
2° Sa disposition au spiritualisme religieux. Mais, quoique catholique ardent, disant sans hésitation que la création du monde avait duré sept jours, et non six ; comme on le lit dans la Genèse. Eh! pourquoi? C'est que, n'admettant dans la nature que deux éléments, l'eau et l'air, ces éléments avaient dû être créés au premier jour, avant tout autre corps.
N'oublions pas que van Helmont admettait, en principe, que ces deux éléments, l'eau et l'air, étaient privés de toute activité, et que l'air, type de l'élasticité, devait cette propriété au magnale, et n'était pas susceptible de s'unir avec l'eau, tandis que celle-ci, affectait toutes les formes de la matière perceptible à nos sens, une fois conjointe aux diverses archées auxquelles elle pouvait s'unir.
138. Comment van Helmont a-t-il été conduit à un système spiritualiste dont la science ne peut rien citer de comparable comme expression extrême de la méthode à priori? Je ne crois pas me tromper en interprétant ainsi ses raisonnements.
Il s'est dit : Les Grecs ont admis des causes motrices, des forces spirituelles dans tout ce qui est animé ; mais, dans les idées du plus grand nombre, ces causes, ces forces étaient inhérentes à la matière, quoique Pythagore et Platon aient paru admettre la métempsycose, et dès lors la séparation de l'âme de sa partie matérielle, et qu'il ait semblé vraisemblable à Aristote, au dire de Colonnas, que l'âme enveloppait le corps humain plutôt qu'elle résidât dans l'intérieur du corps même, et cela parce que, la mort survenant, il lui semblait plus vraisemblable que l'âme se séparât de l'extérieur au lieu de l'intérieur du corps. Quoi qu'il en soit, ce n'est que depuis le christianisme (je ne parle pas du bouddhisme) que la distinction de l'âme d'avec la matière est devenue commune et qu'on a reconnu une âme spéciale à chaque individu de l'espèce humaine.
Van Helmont s'est dit encore : Les Grecs ont admis l'union des causes motrices et des forces spirituelles intimement unies à la matière : Les chrétiens sont unanimes à distinguer les premières de la seconde ; eh bien, avec les Grecs, je considérerai la matière, isolée de la partie spirituelle, comme absolument inerte, et je ferai résider les forces motrices et spirituelles dans des principes archées qui seront conjoints à l'eau pour ce que les modernes qualifient d'espèces chimiques, lesquelles, ayant toutes l'eau pour principe matériel commun, seront distinguées les unes des autres par la nature de leurs archées respectives.
Les espèces d'animaux et les espèces de plantes se distingueront entre elles par leurs archées. Chaque espèce aura une archée spécifique et des lieutenants archées pour chaque partie de l'espèce ; c'est ainsi que la forme de l'espèce sera maintenue dans l'espace et dans le temps.
C'était à Paracelse que van Helmont avait emprunté le mot archée.
139. Enfin les ferments mettaient le comble à l'édifice du spiritualisme élevé par van Helmont. On peut remarquer maintenant que la pensée du ferment était parfaitement d'accord avec Aristote pour assurer la conservation des formes spécifiques,, puisque, a chaque archée spécifique intimement conjointe avec l'eau, correspondait un ferment spécifique agissant de l'extérieur sur ce liquide avec une puissance dont l'intensité pouvait aller jusqu'à produire V archée de son espèce. Il y avait là quelque chose d'analogue à ce qu'Aristote attribuait à l'entéléchie, qui, a son sens, maintenait la forme de chaque espèce, correspondant au germe destiné à la propager dans l'espace et dans le temps.
Ve CHAPITRE.
TROIS SAVANTS DU XVIIe SIÈCLE, QUI TRAVAILLÈRENT
AUX PROGRÈS DE LA CHIMIE.
§ I.
JEAN-RODOLPHE GLAUBER.
1604–1668.
14o. De tous les savants dont nous avons examiné l'œuvre jusqu'ici, aucun ne peut être comparé à Glauber, eu égard aux faits dont il a enrichi la science. Sans doute il croyait à l'influence des astres sur la production des métaux terrestres. Il a parlé d'une âme de l'or et de quatre-vingt-dix-neuf centièmes au moins de ses parties grossières. Certainement il ne doutait pas de la puissance de l'alchimie, mais il est vrai aussi qu'il n'a jamais perdu son temps en se livrant à des opérations hermétiques. De 1648 jusqu'à l'année de sa mort, il se livra à de nombreuses publications dans la plupart desquelles on trouve des choses nouvelles et presque, toujours utiles. Il décrit un nombre considérable de procédés variés et d'appareils utiles. On lui doit le procédé de chauffer l'eau par circulation, les bains de vapeur, la carbonisation du bois en vase clos, et le moyen de recueillir les produits volatils qui s'en dégagent et se condensent en liquides connus aujourd'hui sous la dénomination d'acide acétique empyreumatique ou pyroligneux. Il prescrit l'eau sucrée d'acide chlorhydrique comme limonade ; il recommande l'eau d'acide chlorhydrique pour attendrir les viandes et conserver les légumes. Il savait qu'en acidulant légèrement l'eau embarquée pour les voyages de long cours, on en prévient la corruption produite par la réaction de la matière organique soluble du bois de chêne des tonneaux sur les sulfates que les eaux peuvent contenir.
Glauber décrit la préparation d'un grand nombre de chlorures sous la dénomination d'huiles métalliques. Il fait connaître la préparation du chlorure d'antimoine en distillant le sulfure de ce métal avec le sublimé corrosif, et explique bien la réaction des corps mélangés.
Il savait préparer l'acide sulfurique, l'acide sulfureux. Il retira de l'eau minérale de Neustadt, près de Vienne, le sulfate de soude à l'état de beaux cristaux hydratés qu'on nomma sel admirable de Glauber. Il reconnut l'identité de ces cristaux avec le résidu de la distillation du sel marin mêlé à l'acide sulfurique.
141. Glauber publia un livre composé de six parties sur la prospérité de l'Allemagne. Il parle des avantages que le pays retirerait de la conversion du plomb en céruse, celle du cuivre en vert de Venise, de la fabrication du verre avec le sable et l'alcali des cendres, etc., etc. Il parle encore des avantages des nitrières artificielles ; il pensait qu'un peu de nitre, ajouté à une terre convenablement préparée, agissait comme ferment pour augmenter la quantité du salpêtre en peu de temps.
Il conseille de faire usage de l'extrait concentré du jus de raisin en l'ajoutant au moût dans les années où le raisin manque de matière sucrée.
Pour plus de détails, je renverrai le lecteur au Journal des Savants de 1850, page 293, où j'ai parlé de Glauber.
RÉSUMÉ D'UNE HISTOIRE
§ II.
ROBERT BOYLE.
1626 – 1691.
142. Le nom de Robert Boyle, un des partisans de la malheureuse famille des Stuarts, fils de Richard, comte de Cork et d'Orrery, ne peut être omis dans ce résumé : car le savant illustre qui le porta fut un des premiers qui protestèrent par des raisons puisées dans les sciences expérimentales contre les chimères de l'alchimie : protestation d'autant plus remarquable et plus forte qu'elle compose un livre intitulé le Chimiste sceptique, ouvrage digne de fixer l'attention par les vérités qu'on y trouve ; mais le temps n'a pas confirmé toutes les propositions qui y sont énoncées.
Robert Boyle s'élève contre la théorie des quatre éléments, et encore contre l'opinion des alchimistes qui reconnaissent le soufre, le mercure et l'arsenic ou le sel comme les principes immédiats des métaux. Il repousse encore les idées de van Helmont, de ses archées et de ce que, suivant lui, il n'existerait que deux éléments matériels, l'air et l'eau.
Robert Boyle pense que, probablement, il existe plus de quatre éléments dans la nature, et qu'il en est de volatils qui se dégagent sous l'influence du feu par les joints des vaisseaux. Il est porté à croire que les quatre éléments sont complexes ; si l'eau était simple, il ne comprendrait pas comment les matières végétales (principes immédiats) seraient si variées dans leurs propriétés, réflexion d'une parfaite justesse.
143. Robert Boyle était partisan de l'hypothèse atomique ; il croyait encore que les atomes, les molécules, les corpuscules à l'état de repos ou à l'état de mouvement devaient présenter des phénomènes fort différents.
144- Il avait distingué la combinaison du mélange, d'une manière bien plus précise que ne l'avaient fait les alchimistes.
On peut juger d'après cela combien le Chimiste sceptique de Robert Boyle présent ? d'intérêt, et cependant je ne suis point entré dans des détails dont un grand nombre se font remarquer sous plusieurs rapports.
145. Mais le temps n'a pas confirmé toutes les propositions qu'il a avancées.
Par exemple, il savait que certains métaux augmentent de poids par la calcination ; mais il n'en connaissait pas la véritable cause, qui est la fixation du gaz oxygène atmosphérique par affinité chimique pour le métal. Il ne l'attribuait même pas à l'union de l'air atmosphérique, comme l'avait dit Jean Rey dès 163o. Robert Boyle expliquait le fait par la fixation du feu qui, pénétrant dans tous les vaisseaux portés au rouge, s'unissait au métal, erreur démontrée, puisque aucun métal porté au rouge dans le vide ou dans un milieu dépourvu d'oxygène n'augmente de poids.
146. Robert Boyle avait une idée juste de la combinaison chimique, en d'autres termes, d'un fait absolu bien défini par la science. Il cessait d'être vrai lorsqu'il s'agissait de l'interprétation du fait (absolu) en l'expliquant ainsi ; les corpuscules acides, disait-il, ont la forme piquante et tranchante, de là leur saveur aigre, tandis que les corpuscules alcalins, pourvus de cavités, reçoivent les corpuscules, comme une gaine reçoit la lame d'un poignard, exemple remarquable d'une erreur dont l'origine était alors très-répandue, et la conformité parfaite avec la tendance d'esprit qui portait Boyle à expliquer beaucoup de phénomènes chimiques et organoleptiques par des causes purement mécaniques.
Je restreins mes citations à celles-là. Je renverrai le lecteur, pour les détails, au Journal des Savants de 1850, page 284.. Il y trouvera l'indication d'un grand nombre de faits du ressort de la chimie pure qui ajoutent beaucoup au mérite de Robert Boyle envisagé au point de vue spécial de la chimie, sans faire intervenir l'habileté du physicien expérimentateur.
§ III.
JEAN KUNCKEL DE LAWENSTERN. 1630– 1702.
147. Kunckel, contemporain de Glauber et de Becker, se rapproche de Glauber par la nature de ses travaux pratiques et exacts. S'ils ne sont pas aussi nombreux ni aussi variés que ceux de ce dernier, ils sont remarquables surtout par la justesse d'esprit de leur auteur qui se prononce avec énergie contre les doctrines alchimiques ; en cela il suivit l'exemple de Robert Boyle, et certes le baron d'Holbach a jugé trop sévèrement la valeur du chimiste et de l'observateur qui avait porté son attention sur des sujets fort différents de la chimie. Je fais allusion à ses études des instincts et des mœurs des animaux. Enfin, pour rentrer dans le domaine de la chimie, j'ajouterai que Kunckel comme Robert Boyle ont eu, chacun de son côté, le mérite de se procurer le phosphore, d'après les renseignements les plus vagues qui leur étaient parvenus sur la manière dont Brande l'avait retiré de l'urine.
148. Mais, la part faite à ce que je reconnais de louable dans les écrits de Kunckel, je ne parlerais pas de lui dans le résumé de cet opuscule, consacré aux faits principaux d'une histoire de la matière, si Kunckel, auquel on refuse avec raison d'avoir fait preuve d'idées théoriques ou philosophiques dans ses écrits, ne me donnait pas l'occasion de citer un exemple de la disposition de certains praticiens, qui, remarquables par la fidélité et l'exactitude avec lesquelles ils décrivent des procédés avec l'intention d'en assurer le succès à ceux qui les répéteront, éprouvant le besoin de remonter à la cause des effets qu'ils observent dans la pratique de ces procédés, se laissent aller alors à un penchant très-fâcheux pour la science, qu'il faut signaler, la source en étant dans l'abus de l'analyse et de la synthèse mentales.
C'est l'exemple blâmable qu'a donné Kunckel, en imaginant des êtres qu'il a nommés calidum, frigidum, viscosum, semence ou sperma pour expliquer la cause d'effets ou de phénomènes qu'il a observés dans ses opérations chimiques.
Cet exemple de mots créés pour expliquer des phénomènes, et qui n'expliquent rien, loin d'être une cause de progrès le retarde, et les preuves n'en ont été que trop fréquentes dans l'alchimie pour ne pas insister sur leurs fâcheuses conséquences, lorsqu'il s'agit surtout d'un savant contraire en réalité aux chimères de l'alchimie.
QUATRIÈME ÉPOQUE.
ELLE COMPREND
JOACHIM BECKER, QUI VÉCUT DANS LE XVIIe SIÈCLE, DE 1635 A 1682. ET GEORGES-ERNEST STAHL QUI VÉCUT DU XVII AH XVIII SIÈCLE, DE 1660 A 1734.
Elle comprend :
Les écrits de Becker constituant une nouvelle alchimie comptant :
1º Un genre d'ÉLEMENT humide : eau et air,
2° Un genre de terre : la vitrifiable - l'inflammable - la mercurielle.
Les écrits de Stahl établissent l'hypothèse du phlogistique, après avoir emprunté à Becker sa terre inflammable.
CHAPITRE PREMIER.
JEAN-JOACHIM BECKER,
1635–1682.
149. Il naquit à Spire, en 1635, et mourut, en 1682, à Londres.
La variété de ses connaissances contribua beaucoup à lui faire une grande réputation en physique, chimie, médecine, et en ce qu'on désigne aujourd'hui par la dénomination de physique du globe ; on trouve effectivement dans son ouvrage le plus connu, sa Physique souterraine, un exposé très-détaillé des eaux souterraines et de l'origine des fontaines. S'il prête à la critique, on ne refusera pas à l'auteur des connaissances positives quant à l'importance de la distinction des couches terrestres au point de vue de leur perméabilité ou imperméabilité à l'eau, et à l'époque où il vivait son autorité comme hydraulicien n'était pas contestée-
Il est peu d'hommes à l'égard desquels mon opinion ait varié autant que sur Becker, non sur la réalité de sa réputation, mais sur l'appréciation des éléments divers, causes de cette réputation : et certes, si l'histoire de l'alchimie dans ses rapports avec les sciences n'avait cessé de m'occuper durant de longues années, il m'eût été impossible de motiver les idées que je me fais aujourd'hui de sa réputation.
Une partie de cette réputation tient à des critiques fondées et énergiques, qu'il fit des souffleurs, des alchimistes, des médecins galénistes et des aristotéliciens, critiques justes et appréciables par tous .les hommes doués d'un esprit raisonnable ; mais de fait, à mon sens, il existait dans la pensée d'un certain nombre d'alchimistes des plus distingués une idée fort juste, qu'il ne comprit pas : elle est relative à la distinction de deux ordres de combinaisons chimiques, je me sers des expressions actuelles pour plus de clarté ; l° de combinaisons dites du Ier ordre, supposées résulter de l'union des quatre éléments, feu, air, eau et terre, 2° de combinaisons dites du 2e ordre, formées de deux ou plusieurs de ces composés quaternaires, lesquels aujourd'hui en sont dits les principes immédiats. Voilà précisément la distinction qui, dans l'atlas dont l'opuscule que j'écris est le texte, se trouve énoncée dans le deuxième tableau. Et pourtant, en principe, Becker admettait quatre ordres de composés : les mixtes, les composes^ les décomposés et les surcomposés.
Les dernières études dont Becker a été l'objet m'ont fait penser que la meilleure manière de le faire connaître tel que je le juge aujourd'hui est de partager en trois sections l'examen de ses opinions.
1er section. Elle comprend la critique de l'alchimie, telle qu'elle était généralement envisagée avant lui, et cela me donne l'occasion de la reprendre et de résumer les critiques que j'en ai faites conformément à la méthode à posteriori expérimentale et à la distinction de l'analyse et de la synthèse chimiques d'avec l'analyse et la synthèse mentales.
3e section. Elle comprend les critiques que Becker a faites des alchimistes, ses prédécesseurs, ainsi que de savants et de personnes appartenant à différentes professions.
3e section. J'expose une alchimie, imaginée par Becker, fort différente de l'ancienne. Elle comprend un élément humide, l'air et l'eau, et trois terres, la vitrifiable, l'inflammable et la mercurielle, alchimie que je montre être aussi chimérique que l'ancienne.
PREMIÈRE SECTION.
ALCHIMIE ARTERIEURE A BECKER
150. Dès à présent je sens la nécessité de démontrer par des textes originaux d'écrits d'une autorité incontestable chez les alchimistes, que la distinction de deux ordres de combinaisons, à savoir la composition prochaine, immédiate, qui donne lieu à l'expression moderne de principes immédiats séparés par l'analyse dite immédiate, pour la distinguer de l'analyse dite élémentaire, laquelle porte exclusivement sur la détermination de la nature et de la proportion des corps simples ou éléments constituant un principe immédiat, que cette distinction, répétai-je, a été faite par Geber et les alchimistes les plus renommés (73) : mais, au point de vue rationnel, elle n'avait pas alors, en alchimie, la confirmation de l'expérience comme elle l'a aujourd'hui. Dans l'histoire de l'esprit humain, telle que je l'envisage, n'est-il pas du plus grand intérêt de montrer comment une succession d'esprits, professant les idées les plus chimériques durant des siècles, ont avancé quelques idées vraies, qui, à une époque où la science sévère commençait à être en progrès, ont été méconnues de certains esprits téméraires, doués cependant de quelques facultés intellectuelles incontestables? C'est donc l'importance de cette distinction, faite pour la première fois, sans démonstration à la vérité expérimentale, qu'il convient de mettre hors de doute pour juger à la fois et Becker et Stahl.
151. La Table d'émeraude, attribuée à Hermès Trismégiste, le prince des philosophes, a été l'objet d'un commentaire dont l'auteur a pris le titre de Hortulain, jardinier, dit-il, ainsi appelé à cause des Jardins maritimes (17). Je reproduis le chapitre III, intitulé : « La pierre a en soi les quatre éléments ».
« Et comme toutes choses ont été et sont venues d'Un par la méditation d'un, il donne ici un exemple disant comme toutes choses ont été et sont sorties d'un, c'est à savoir, d'un globe confus, ou d'une masse confuse, par la méditation, c'est-à-dire par la pensée et création d'UN, c'est-à-dire de dieu tout-puissant, ainsi toutes choses sont nées, c'est-à-dire sont sorties de cette chose unique ; c'est-à-dire d'une masse confuse, par adaptation (18) ; c'est-à-dire par le seul commandement et miracle de Dieu. Ainsi notre pierre est née et sortie d'une masse confuse, contenant en soi tous les éléments, la- quelle a été créée de Dieu, et, par son miracle, notre pierre est sortie et née. »
Je ne puis me défendre, en lisant le mot adaptation, de faire remarquer la fréquence de son emploi actuel dans le sens d'idées prétendues nouvelles. Évidemment il est employé par Hortulain dans le sens dont on comprenait alors les causes finales, comme preuves de l'existence de Dieu. Aujourd'hui qu'il existe une tendance à attribuer tout phénomène à sa cause immédiate, il arrive que, pour rester dans le vrai, il faut distinguer deux sortes d'esprits.
Les uns appartiennent au matérialisme. Ne croyant pas à l'harmonie du monde, tout étant l'effet du hasard, la cause immédiate leur suffit.
Les autres, croyant à l'intervention d'un pouvoir divin, pensent que le phénomène qui rentre dansée qu'on appelle l'adaptation, et dont on a reconnu la cause immédiate, se rattache comme fait particulier aux causes finales, dont la cause première réside dans une puissance divine.
Conformément à l'opinion alchimique, la pierre étant un ferment doué conséquemment de la faculté de transmuer les métaux imparfaits en sa propre matière, les alchimistes, en reconnaissant en elle les quatre éléments, admettaient que ces quatre éléments étaient arrangés par Dieu même pour jouir de la même faculté.
D'après un manuscrit que je possède, j'ai tout lieu de penser que l'auteur désigné sous le nom d'Hortulam était un docteur en droit qui vivait au XVe siècle ; il se nommait Jean Grasse (Joannes Grasseus).
Outre le commentaire de la Table d'émeraude, il est auteur de l'Arche de l'Arcane, ou Secret des souverains mystères de la nature. Jean Vauquelin, seigneur et patron des Yveteaux, fait mention de Grasse dans un recueil par extrait de quelques philosophes adeptes que je possède, manuscrit daté de 1700.
152. Geber compte trois principes des métaux : le soufre, 1'arsenic et le vif-argent.
Il dit (19) : «Ces principes ont néanmoins, en général, cela de commun entre eux, que chacun d'eux est d'une composition très-forte, et d'une substance qui est uni- forme et homogène ; parce que, dans leur composition, les plus petites parties de la terre sont tellement et si fortement unies avec les moindres parties de l'air, de l'eau et du feu, que nulle d'entre elles ne peut être séparée d'aucune des autres dans la résolution qui se fait de tout le composé. » Et, lecteur, permettez-moi d'ajouter, entre parenthèses, ce sont des principes immédiats dont il n'est pas donné à l'homme de connaître la nature élémentaire par l'expérience. Quoi qu'il en soit, la conception de Geber, tout à priori qu'elle est, découle d'une idée chimique bien différente de celle que nous avons citée en parlant du Timée de Platon (36).
Il ajoute ensuite (20) : « Nous avons dit en général quels sont les principes naturels des métaux ; il faut mainte- nant en traiter en particulier. Ainsi, comme il y a trois principes, nous ferons un chapitre de chacun, dont le premier sera du soufre, le second de l'arsenic, et le troisième de l' argent vif. »
153. Je cite encore le passage suivant du livre de la Philosophie naturelle des métaux de messire Bernard, comte de la Marche Trévisane (né en 14o6, mort en 1490) (21).
.... « Car les quatre éléments sont la première matière» « des choses créées. Ils disent vrai, que la première matière sont les quatre éléments ; mais c'est-à-dire, ils sont la première matière de la première matière ; c'est à savoir les éléments tous quatre, ce sont les choses de quoi sont faits le soufre et le vif-argent, lesquels sont la première matière des métaux ; raison pourquoi? -car les quatre éléments sont aussi bons pour faire un âne et un bœuf, comme pour faire les métaux. Car premier il faut que les éléments se fassent par nature vif-argent et soufre, devant que les éléments puissent être la première matière des métaux. Gomme par exemple quand un homme est composé, il n'est pas composé des quatre éléments, qui sont encore éléments ; mais déjà nature les a transmuez en là première matière de l'homme. Aussi, quand nature a transmué les quatre éléments en mercure et soufre, alors est la première matière des métaux propre. Pourquoi? car fasse nature après tout ce qu'elle voudra sur cette matière, c'est à savoir mercure et soufre, ce sera toujours forme métallique. Mais auparavant, et durant qu'ils étaient encore quatre éléments, et que ce n'était point encore argent - vif ni soufre ; nature eût bien pu faire de ces quatre éléments un bœuf, une herbe, ou un homme, ou quelque autre chose. Ainsi, il appert clairement que les quatre éléments, qu'ils veulent dire, ne sont point la première matière des métaux ; mais le soufre et vif-argent sont appeliez la propre et vraie première matière des métaux. Et, si ce qu'ils disent était vrai, il s'en suivrait que les hommes, les métaux, les herbes, les plantes et bêtes brutes, ce serait toute une chose, et n'y aurait nulle différence. Car si cela était vrai, les métaux «ne seraient que les quatre éléments, et ainsi tout serait une chose, ce qui serait concéder un grand inconvénient. Et par ainsi, il appert clairement que les quatre éléments demeurant ainsi ne sont point la première matière des métaux. »
Rien n'est plus explicite que ce passage écrit par un des hommes les plus estimés qui se soient occupés d'alchimie.
Je ne veux point exagérer le mérite de Bernard, comte de la Marche Trévisane, en lui faisant dire quelque chose de précis, quand il y aurait à interpréter ou même à corriger peut-être ce qu'il a avancé ; mais, en prenant sa pensée à la lettre, il y a une élévation d'idées sur la conception de la combinaison chimique qui me paraît supérieure à celle qu'on pourrait lui comparer, soit en prenant ceux qui Font précédé et ceux qui l'ont suivi, tels que Becker et même Stahl, relativement à ce que ceux-ci ont dit de l'existence de plusieurs sortes de composés (22).
Certes, au quinzième siècle, où l'alchimie brillait de tout son éclat, les métaux étaient dans les idées de tous des corps distincts d'un ordre plus élevé que le reste des minéraux en en exceptant les pierres précieuses. Une conséquence naturelle que Bernard, dont toute la vie fut alchimique, admit, c'est qu'ils n'étaient pas formés immédiatement des quatre éléments, mais de soufre et de mercure, lesquels étaient formés immédiatement des quatre éléments.
N'était-ce pas une idée grandiose et en avant du quinzième siècle, d'après laquelle il considérait relativement aux quatre éléments les êtres vivants, comme il avait considéré ces mêmes quatre éléments relativement aux métaux ?
N'était-ce pas dire : l'homme, les animaux et les plantes sont formés immédiatement de principes que, nous modernes, qualifions d'immédiats, et que nous distinguons en deux catégories d'origine, en qualifiant les uns d'organiques et les autres d'inorganiques, parce que ceux-ci sont puisés par l'être vivant dans le monde inorganique, tandis que les autres sont formés par l'être vivant même ?
154. Citons enfin un long passage de Colonna, auteur d'un grand nombre d'écrits philosophiques et d'alchimie (41) remarquables par l'érudition et la clarté des idées. Je l'extrais du deuxième volume d'un ouvrage sur les Opinions des anciens philosophes. L'auteur, malgré son esprit et son érudition, croyait à l'alchimie (23). Il traite de la force agente formant le monde ; c'est l'éther qui lui semble avoir été le premier corps, et la plus simple forme, puis viennent les quatre éléments corporels.
« Après l'éther viennent les quatre éléments corporels, ou pour mieux dire leurs qualités ; c'est-à-dire le chaud, le froid, le sec et l'humide. L'école explique fort bien, à mon avis, ce point de doctrine, disant que nous ne con-. naissons point d'élément simple et pur : mais que ceux qui s'offrent à nos sens, ce n'est toujours qu'un mélange de toutes les quatre qualités ou corps élémentaires ; car, par exemple, notre feu que nous voyons, et que nous touchons, n'est pas la qualité pure et simple du feu, dont les propriétés sont de mouvoir, pénétrer, échauffer, dessécher ; étant visible qu'il y a des feux dont l'un est plus chaud, plus pénétrant, plus desséchant, et, en un mot, l'un plus actif que l'autre : ce qui arrive, parce que le feu que nous avons étant formé de bois, par exemple, ce bois est lui-même composé des qualités terrestres humides et aériennes. Cependant, comme dans ce feu la qualité chaude prédomine sur les trois autres, nous la comptons comme vrai feu et comme un élément. De même, l'eau de la mer ou des rivières n'est pas le véritable élément humide ; car cette eau contient ou le sel de la terre, ou la même terre en qui est la qualité seiche, tout à fait opposée à l'humide. Cette eau contient aussi la chaleur du feu et quelque portion de celle de l'air : ainsi, on ne peut pas dire que l'eau de la mer ou des rivières soit le pur élément humide ; cependant, comme, dans l'eau commune, l'humidité domine beaucoup sur les autres qualités, on là considère comme l'élément humide. Il en faut dire au- tant des deux autres éléments sensibles, et faire abstraction des qualités des autres, qualités qui sont mêlées avec eux, et considérer les qualités principales comme celles qui prédominent dans les éléments sensibles, qui sont leurs productions... »
Ce passage de Colonna, complément des citations de Geber et de Bernard, a une grande valeur, à mon sens, parce qu'il émane d'un auteur que je considère depuis longtemps comme l'organe le plus élevé de l'éclectisme alchimique, et qui était doué au plus haut degré de l'autorité de le faire valoir. Cette disposition le rendait plus favorable aux idées anciennes qu'aux idées contemporaines ; je n'en citerai qu'un exemple.
Colonna, après avoir exposé sa manière d'envisager les éléments tels que la nature nous les offre, et dit l'impossibilité où l'on est de les considérer comme types définis par leurs propriétés essentielles à cause de l'état de mélange où ils sont, en conclut la nécessité d'avoir égard aux propriétés caractéristiques de chacun d'eux, à savoir le chaude le froid, le sec et l'humide. Il s'accorde réellement en cela avec Platon, en prenant pour guide l'analyse et la synthèse mentales, ei non l'analyse et la synthèse chimiques et se montre ainsi en désaccord avec l'opinion de Becker qu'il aurait pu connaître personnellement. En effet, Colonna, en considérant le feu produit dans nos foyers, le regarde comme tout à fait complexe, puisque, formé de bois, il doit contenir des qualités terrestres, humides et aériennes, tandis que nous verrons plus loin que Becker considère le feu comme un fer ment qui convertit le combustible en sa propre, substance (184) et ici son opinion est en parfait accord avec celle des anciens alchimistes.
152. Mais je ne dois pas en rester là : Becker a employé trop fréquemment le mot principe, avec des sens divers-et quelquefois avec des sens différents, de ceux qu'on. lui donne généralement, pour qu'il n'y ait pas lieu de prévenir plus d'un malentendu, en exposant l'es sens divers que le moi principe peut présenter dans tes écrits de chimie.
Les citations précédentes prouvent donc que des alchimistes ont attribué au mot principe prochain le sens qu'on. l'ai donne généralement aujourd'hui, avec l'intention dé distinguer un ordre de combinaisons formées d'un composé uni, soit à un autre composé, soit même à on corps simple, de sorte que l'analyse immédiate ou prochaine consiste à séparer sans altération le composé, ainsi que le composé ou le corps simple uni au premier.
Dans l'opinion de Becker, le principe prochain était un principe contenu dans un composé, lequel principe était en puissance d'agir, l'occasion arrivant qu'il se trouvât en présence d'un certain corps susceptible de subir l'action du premier.
Je dois faire remarquer que l'expression en puissance, dont se sert Becker, fort usitée dans la scolastique, est loin d'être contraire à la science chimique moderne ; à la condition qu'en s'en servant, on définisse le sens précis qu'on lui donne.
D'où la différence de sens. Dans le premier cas, il s'agissait d'une action accomplie entre deux corps qui s'étaient combinés de manière à être séparés, et encore de composés qui se trouvaient unis ou mélangés, et que l'on séparait les uns des autres sans en altérer la composition élémentaire, tandis que, dans le second cas, le mot prochain concernait une action future qui s'accomplissait dans une circonstance déterminée lorsqu'elle se présenterait.
Enfin, Becker a employé le mot principe en l'associant aux épithètes formel et matériel, et il importe d'autant plus de rappeler cette distinction, qu'elle a de l'analogie à la fois avec le sens de principe immédiat, tel qu'il est compris aujourd'hui des chimistes, et avec le sens des mots forme et ; matière, employés par Aristote.
« Les principes matériels, dit Becker, sont de deux sortes : les uns très-éloignés, comme l'eau et la terre ; les autres très-prochains, comme ta semence spécifique de chaque individu ; il y en a d'intermédiaires, tels que « les premiers mixtes dont provient la semence.
« Aristote expose tout ceci par la forme et la matière ; « par l'une il entend l'agent ; par l'autre, le patient (24). »
Je ne reproduirai pas les remarques auxquelles m'ont conduit les termes d'admiration dont s'est servi G.-E. Stahl en parlant de Becker, ni la preuve qu'il a donnée de la sincérité de son jugement en publiant le Spécimen Beckerianum en 1700. Si quelque chose honore le sens moral de Stahl, c'est assurément ce témoignage public de grande estime pour un savant distingué sans doute, qui avait parlé le premier de la terre inflammable, dont Stahl tira le phlogistique. Tout erronée qu'était la prétendue théorie qu'il rattachait à ce nom, il y avait un pas immense de fait pour la véritable théorie de la combustion, lorsqu'un homme de génie interpréterait des faits précis, rigoureusement définis par la science. Lavoisier, comme on le verra bientôt, fut cet homme.
156. Il s'en faut donc de beaucoup que mon jugement soit conforme à celui de Stahl relativement aux écrits de Becker ; et, après avoir étudié sa Physique souterraine dans une traduction manuscrite dont je suis en possession, qui malheureusement n'a jamais été imprimée, je ne puis me refuser de croire à quelque exagération de la part de l'auteur du phlogistique ; aussi ne doute-je pas qu'avec le sens moral et la science dont il a fait preuve, il eût pu restreindre la louange qu'il a donnée à l'auteur de la Physique souterraine sans encourir le reproche des amis de Becker, d'Avoir, par un sentiment d'envie, caché la source où il avait puisé l'idée du phlogistique' J'ai trop loué ailleurs le sentiment qu'il avait exprimé en faveur de Becker, et j'estime trop le génie de Stahl pour hésiter en ce moment à dire ce que je pense de l'un et de l'autre, après les études récentes que j'ai faites de leurs écrits respectifs.
157. L'élévation des idées générales de Becker, eu égard à celles de ses prédécesseurs, est incontestable, et ses critiques des alchimistes, des souffleurs, des médecins galénistes et des aristotéliciens, quoique énergiques et vraies dans l'ensemble, ne peuvent être pourtant considérées sur quelques points comme fondées, ainsi que nous le verrons plus loin, parce qu'elles concernent des opinions qui n'étaient pas en réalité celles des auteurs auxquels le critique les attribue.
Qu'a fait Becker?
Précisément ce qu'il a reproché aux souffleurs, aux alchimistes, aux médecins galénistes, aux aristotéliciens.
Après avoir critiqué l'hypothèse des quatre éléments, le feu, l'air, l'eau et la terre, et celle des trois principes immédiats des métaux, le soufre, le mercure, et le sel substitué à l'arsenic de Geber par Isaac le chimiste hollandais, Basile Valentin et Paracelse, il a émis des hypothèses plus vagues que les anciennes et prêtant plus à la critique que celles qu'il combattait (194).
Le lecteur ne peut comprendre en quoi consiste cette critique, par la raison que, au fond, Becker a la même opinion que les alchimistes sur la nature complexe du soufre, du mercure et du sel : sa critique réelle tombe sur l'emploi qu'ils ont fait du mot principe, en parlant de corps composés, application absolument fausse, selon Becker, parla raison que le mot principe comprend exclusivement ce qui est premier, en d'autres termes, qui, n'ayant pas de précédent, ne peut avoir que des conséquents. Dès lors, principe, donné à la matière, est nécessairement synonyme du mot élément, et c'est en conséquence de cette manière de voir que Becker a considéré les métaux comme formés de ses trois terres : la vitrifiable, l'inflammable et la mercurielle.
D'après ce que j'ai dit de la distinction de deux. ordres de composés, des composés considérés comme formés immédiatement d'éléments, et des composés formés d'un composé et d'un autre composé, ou même à la rigueur d'un élément, il serait superflu d'insister désormais sur l'importance de cette distinction, parée qu'on a compris &e qu'elle dénote en progrès de la part des alchimistes, en faisant abstraction, bien entendu, de toute idée hermétique, car, je le répète, aujourd'hui tous les savants étant d'accord pour considérer les métaux comme des corps simples, les opinions de Becker et des alchimistes sur le ;s métaux qu'ils considéraient comme complexes, sont erronées.
Mais, en reconnaissant la justesse en général des. critiques de Becker, en en appréciant le fond, et en tenant compte enfin de sa manière d'exposer ses propres idées sur la transmutation des métaux, j'aperçois qu'il tombe lui-même dans les erreurs qu'il reproche aux autres ; avec tant de force ; de sorte que, s'il a mis en relief leurs idées, chimériques, il expose à son four, sur le même sujet, de,s opinions qui au fond ne sont guère moins exactes que celles qu'il a critiquées, et, sous ce rapport, la différence est grande entre Becker d'une part, convaincu de la transmutation, et, d'une autre part, Kunckel, Robert Boyle et les savants leurs contemporains qui combattirent l'alchimie comme une chimère.
158. En résumé, quelle explication peut-on donner des erreurs des alchimistes ? C'est d'avoir prétendu opérer la transmutation en argent et en or des métaux imparfaits, par des procédés dé pure imagination, sans en avoir vérifié les résultats par le contrôle sévère, si remarquable, que Geber lui-même avait prescrit (86), et c'est encore d'avoir reconnu eux-mêmes que, pour ne pas faire profiter les méchants de leur art divin, ils ne décrivaient qu'imparfaitement leurs procédés. Évidemment, un tel aveu était l'opposé dé ce qui constitue ta véritable science.
Avec lés qualités intellectuelles que je me plais à reconnaître à Becker, et sa croyance à la réalité de la transmutation, Je serais étonné qu'il n'eût pas' fait lui-même explicitement la distinction dés quatre éléments Constituant lés trois principes' immédiats dés métaux, le sel, lé soufre et lé mercure ; si je n'avait pas remarqué le fait, si fréquent dans l'histoire de l'intelligence, que dés hommes d'un mérité incontestable méconnaissent, s'ils ne veulent pas reconnaître explicitement dés distinctions faites avant eux, afin d'avoir une occasion de présenter dés distinctions différentes, mais appartenant en réalité au fond des mêmes idées.
DEUXIÈME SECTION.
CRITIQUE DES ALCHIMISTES, DE SAVANTS ET DE PERSONNES DE PROFESSIONS DIVERSES PAR BECKER.
159. Depuis que je connais la Physique souterraine, je n'ai pas douté que beaucoup de ses lecteurs n'aient jugé son auteur un esprit supérieur, d'après les critiques souvent fondées et quelquefois piquantes qu'il a faites des aristotéliciens, des médecins galénistes, des souffleurs, des alchimistes, des astrologues ou planétistes, enfin de Paracelse et du vieux van Helmont. Plus d'un lecteur qui n'aura pas vu tout l'ouvrage, ou qui ne lui aura pas donné l'attention nécessaire pour le bien connaître, pourra compter Becker parmi les chimistes sensés qui, à l'exemple de Kunckel et de Robert Boyle, n'ont pas cessé de considérer l'alchimie comme absolument chimérique et comme étant véritablement le contraire de ce qu'est la science.
Voici le jugement que porte Becker de Paracelse : « Paracelse, le chef et le coryphée de ces écrivains, se tourmente tellement sur les principes des subterrestres, qu'il ne sait où donner de la tête : enfin il se retranche sur les trois fameux principes, sel, soufre, mercure ; nous en dirons bientôt notre sentiment ; d'ailleurs, Paracelse n'en est plus l'inventeur, Bernard Penot l'accuse de plagiat dans son Denarium medicum. Voici comment il s'en explique :
« Paracelse a tiré mot pour mot de l'œuvre végétal d'Isaac, Hollandais, ses trois fameux principes : sel, soufre et mercure ; il a puisé dans le même ouvrage sa doctrine sur la séparation des quatre éléments ; dans Arnaud de Villeneuve, ses gradations des médecines, dans l'art opératif de Raymond Lulle ses archidoxes ; dans Rupescissa ses arcanes et ses secrets : en un mot il n'a rien en propre que ses vices et ses erreurs. Les synonymes dont il se sert, il les a pris dans le savant Garland, Anglais ; il a pillé plusieurs choses dans Trithème. Si quel-& qu'un lit Arnaud et Raymond Lulle dans son art opératif, il verra aussitôt que Paracelse a tronqué les écrits de ces auteurs et se les est appropriés. Lisez leur Franca, vous remarquerez aisément qu'il en a extrait sa chirurgie. Pourquoi ne cite-t-il pas Arnaud dans son chapitre sur la paralysie, dans celui où il traite de son galbanet, dans « celui où il parle des maladies tartareuses ? Combien d'au- très traits que j'abandonne à la recherche des gens ha- biles! Ennuyé de la vie présente, je vous enseigne les moyens de parvenir à des connaissances plus utiles et plus faciles ; ne cherchez d'autre Elie artiste que le Hollandais Isaac :. voilà ce que nous dit Penot. Il n'a pas fait sa cour aux paracelsistes, mais peu m'importe (25). » En copiant cette citation et ce jugement même que portent de Paracelse Becker et Bernard Penot, je reconnais partager leurs opinions.
160. Becker, au fond, n'est pas partisan des doctrines d'Aristote, mais dans ses critiques on distingue celles qu'il adresse directement à ce grand homme de celles qui frappent ses partisans les aristotéliciens ; beaucoup de ces critiques concernent des sujets dont Aristote ne pouvait s'être occupé, étranger qu'il était aux actions moléculaires. Le tort des aristotéliciens a été de formuler des principes d'après les plus légères observations, de donner des noms définis à de simples conjectures, et de s'en servir pour admettre ou rejeter, sans autre examen, ce qui arrive à leur connaissance ; de là cette conclusion de Becker : « Quand l'esprit le plus subtil travaillerait pendant un an à faire des spéculations, quand les dissertations seraient con- çues dans les plus beaux termes, s'il contredit la nature, toute son éloquence s'évanouit dans la pratique (l'escpérience) ; c'est une fumée qui se dissipe, le vide paraît, et « toute la spéculation s'évanouit (26). »
Et ailleurs, après avoir cité Empédocle : « ..... Laissons donc les disciples d'Aristote disputer sur les mots ; c'est là leur étude, leur science et le fond de leurs ouvrages. On peut impunément se moquer d'eux et leur donner l'inutile plaisir d'expliquer des opérations réelles par des mots vides de sens (vèrba inania)....-» Enfin, pour le complément de sa critique, il faut lire le paragraphe 100, auquel je renvoie le lecteur (27).
Il combat encore les aristotéliciens sur l'importance qu'ils attachent à la forme. Il leur reproche leurs jeux de mats, leurs logomachies, et il commence un paragraphe par ces mots : « Abandonnons ces savants vermisseaux.... » (28).
161. Il écrit les phrases suivantes contre les médecins-galénistes :
« ..... Je ne m'arrêterai pas aux explications que les galénistes donnent de leur mixtion, ce serait un travail aussi pénible que de nettoyer les écuries d'Augias (29).
«. Les galénistes ne vous parlent que d'urine ; ils né sa- vent que cela, et ils n'en connaissent même pas l'analyse et le mélange ; en effet, où l'auraient-ils appris, puisque Aristote et Galien n'en font aucune mention et que per- onne ne les enseigne dans les écoles?... » (30).
l62. Becker ne perd pas l'occasion de décrier les souffleurs, les alchimistes, livrés exclusivement aux pratiques de la pierre philosophale dans un intérêt absolument personnel ; Il leur reproche de ne soupirer qu'après l'or et de ne connaître que de nom l'étude spagirique (30).
163. L'auteur de Physique souterraine ne s'élève pas avec moins de force contre les astrologues ou planétistes ; non-seulement il les combat dans les meilleurs termes et en alléguant les raisons les plus fortes, mais il proteste encore contre leur prétendue science au nom de ses propres observations (30). Il revient encore sur ce sujet en disant : « Nous reléguons bien loin de notre physique ces astrologues ou planétistes qui, à chaque métal ou à chaque espèce de minéral, assignent une planète pour auteur ou pour cause formatrice ; il y en a d'assez impudents parmi eux...(31). »
164. J'ai parlé des critiques qu'il fait de Paracelse (159). Je vais citer celles qu'il fait du vieux van Helmont (165) ; mais, auparavant, je répondrai à quelques reproches que Becker fait à Paracelse. Si, en parlant de Paracelse (103), j'ai insisté sur l'habileté avec laquelle il s'était emparé des idées d'autrui propres à appeler l'attention publique sur sa personne et ses écrits selon lui, si même, après avoir exprimé mon étonnement du silence qu'on avait trop souvent gardé sur ses plagiats, j'ai reproduite 169) avec satisfaction un passage de Bernard Penot cité par Becker (32), qui s'était depuis longtemps effacé de ma mémoire, passage d'autant plus intéressant que Bernard Penot avait passé la plus grande partie de sa vie à la recherche de la pierre, et que c'est la pratique même (l'expérience) qui l'avait éclairé sur la chimère de cette recherche ; si je n'hésite pas à approuver les critiques dont Paracelse est justement l'objet, il en est autrement des reproches que Becker lui adresse d'avoir considéré le soufre, le mercure et le sel comme les éléments de toutes choses (33).
La vérité est que Geber, avec la plupart des alchimistes, les considérait, et j'ajoute à tort, comme des corps composés des quatre éléments : le feu, l'air, l'eau et la terre, lesquels constituaient le soufre, le mercure et le sel, principes immédiats des métaux. Mais enfin, Paracelse, alchimiste, ne peut être passible du reproche d'avoir admis ce qui l'était généralement par les alchimistes dont le nom faisait autorité, et Geber passait avec raison pour l'être.
165. Voyons les critiques que Becker fait de van Helmont :
« Plusieurs savants, peu contents des raisonnements de Paracelse, ont consulté d'autres écrivains ; ils se sont surtout attachés à Helmont, notre contemporain ; ils le regardent comme le porte-guidon. Cet auteur, persuadé de la sûreté de ses principes, a inventé je ne sais quelles archées, qu'il aurait aussi bien fait d'appeler des chimères (34) ; on peut dire qu'il n'a fait que changer de genre de folie ; en accusant l'école de donner dans des futilités, il en présente d'une autre espèce.
« Mais, comme les trois principes dont nous parlions dans l'instant, qu'ils soient de Isaac Hollandais ou de Paracelse, sont plus en vogue que les archées de van Helmont, examinons-les plus particulièrement (35). »
Voilà pour la théorie. Voici pour la pratique :
« Je ne sais que dire du vieux Helmont ; il en est qui prétendent qu'il n'a pas même su guérir une simple fièvre. Il mourut, dit-on, à Gauson, n'ayant pas eu la hardiesse d'appeler les médecins à son secours ; il les avait si fort décriés, qu'il n'osa avoir recours à eux. Il aima mieux périr que de les consulter. »
II ajoute : « Mon ami Kiafft m'a souvent répété que, se trouvant à Bruxelles où Helmont demeurait depuis plu- sieurs années, il s'était informé sur la place publique à d'anciens habitants, qu'il avait demandé aux voisins même de l'endroit où logeait ce docteur, où était sa maison, et qu'ils ne connaissaient même pas son nom...»
166. En parlant plus haut (160) des critiques faites par Becker des aristotéliciens, je les ai distinguées, quant à l'expression, de celles qu'il adresse nominativement au maître en faisant allusion à ses opinions sur la forme et les accidents. Je me bornerai aux remarques suivantes, sans entrer dans aucun détail.
Je ne conçois l'importance attachée par Aristote à la forme que selon la manière dont il envisageait les corps perceptibles à nos sens en attribuant à chacun d'eux quatre natures^ comme on peut le voir (135). Mais, dans l'état actuel de nos connaissances, la chimie ayant démontré l'existence de corps simples et de corps composés, des combinaisons qui se font en proportions définies, suivant des lois définies incontestables, la forme n'a plus cette importance que lui attribue Aristote quand on la considère comme cause.
167. Quant au nom à'accidents donné aux phénomènes, aux effets sensibles à nos sens, cette opinion est contraire à toute espèce de science du monde extérieur dont l'ensemble des diverses branches du savoir humain a reçu l'expression de philosophie naturelle. En deux mots, admettez que la mécanique céleste n'a rien de réel, que les phénomènes du ressort de la physique et de la chimie, que les phénomènes présentés par un individu vivant, observés depuis qu'on aperçoit un germe fécondé jusqu'à sa mort, phénomènes qu'offrent à l'observateur tous les individus bien constitués d'une même espèce, sont des accidents, alors on est conduit à cette conclusion : tout ce que nous voyons est accident et, dès lors, ne peut être soumis à aucune étude raisonnable ! Que deviennent alors la raison et la science progressive qui distingue l'espèce humaine de toute autre ?
TROISIÈME SECTION.
EXAMEN CRITIQUE DE L'HYPOTHÈSE ALCHIMIQUE DE BECK.ER,
168. Ce n'est pas sans réflexion que j'ai qualifié Becker d'alchimiste novateur ; car, s'il rejeta les quatre éléments, le feu, l'air. l'eau et la terre, puis les trois principes immédiats des métaux, le soufre, le mercure et le sel, il admit comme principes l'élément humide, l'eau et l'air, en outre l'élément terreux comprenant trois terres : la vitricible, l'inflammable ou la sulfureuse et la mercurielle.
Cette innovation était-elle un progrès ?
Ma réponse est négative, et en la développant on en verra les motifs.
Avant tout, rappelons qu'en parlant plus haut de la simplicité de la matière, admise par les Grecs, j'ai fait remarquer que leurs quatre éléments représentaient les quatre états offerts par la nature à tous ceux qui l'observent avec quelque attention ; c'est en effet la différence d'agrégation de ses particules qui frappe avant tout l'observateur, car rien de plus différent que l'état solide correspondant à la terre, que l'état liquide correspondant à l'eau, que l'état aériforme de l'air, que le feu enfin correspondant à ce qu'on appelle à l'époque actuelle l'état impondérable (23, 35).
Cette correspondance avait pour conséquence naturelle d'expliquer l'état moléculaire d'une matière complexe par la prédominance de l'élément dont l'état moléculaire correspondait à celui de cette matière complexe. Voilà pour les quatre éléments.
Quand les alchimistes vinrent à porter leur attention sur les métaux, ils raisonnèrent à peu près de la même manière pour expliquer la propriété de chaque métal, en attribuant à leurs principes immédiats, le soufre, le mercure et le sel, la propriété qui semblait dominer en chacun d'eux.
169. Appliquons maintenant ce qui précède aux éléments que Becker substitue aux quatre éléments admis avant lui, et ses explications, moins simples que les anciennes, seront encore plus vagues et plus obscures.
Becker, après avoir dit dans sa Physique souterraine que les principes sont des êtres matériels très simples, individus homogènes, isolés, doués d'une finesse qui nous échappe, d'une figure déterminée, constituant médiatement ou immédiatement tous les corps, et dans lesquels les mêmes corps se résolvent, compte deux principes universels seulement :
1° Le fluide humide, principe de raréfaction et d'élasticité ;il comprend implicitement l'eau et l'air ;
2º La terre, principe de la sécheresse et de la densité ; il comprend trois espèces de terres :
A. La terre vitrifiable ou, suivant Becker, le sel des anciens.
B. La terre inflammable ou le soufre des anciens.
C. La terre mercurielle, le principe de métallicité qu'on a appelé mercure.
170. Si le mot principe peut être employé comme synonyme de corps simple, je ne puis admettre, qu'à l'exemple de Becker, on donne le nom de principe (au singulier) à un fluide humide ayant pour attributs caractéristiques les propriétés de la raréfaction et de l'élasticité, comprenant deux êtres matériels, l'eau et l'air.
Or, du temps de Becker, on ne pouvait pas confondre l'eau avec l'air, au double point de vue de la raréfaction et de l'élasticité, par la raison que l'eau, alors réputée incompressible, ne pouvait être assimilée à l'air, doué si éminemment de la compressibilité et du retour à son volume primitif dès qu'il cesse d'être comprimé.
Si l'on me répondait que l'eau, en se vaporisant, devient vapeur, je répondrais que, en prenant l'état élastique, elle cesse d'être un principe humide, car elle ne mouille qu'à l'état liquide, c'est-à-dire qu'en cessant d'être fluide élastique.
En définitive, c'est donc une grave erreur scientifique de synthèse mentale que de confondre, sous la dénomination abstraite de fluide humide, deux êtres aussi distincts que le sont l' air et l'eau.
171. Le second principe, la terre, dont les attributs sont la sécheresse et la gravité, comprend trois espèces : la terre vitrifiable, la terre inflammable et la terre mercurielle, ai-je dit.
Évidemment l'énoncé du deuxième principe prête au même genre de critique que le premier, avec cette différence que les trois terres ont les deux attributs sécheresse et gravité, tandis que l'eau associée à l'air dans le premier principe, à l'état liquide, n'a pas la compressibilité élastique de l'air. Quant à l'attribut de la gravité, assigné aux terres par Becker, il n'a pas de signification, car, en comptant l'eau comme premier principe, elle est douée de la gravité comme les terres, avec la différence pourtant d'une densité moindre ; en outre la pesanteur de l'air avait été démontrée par J. Rey avant la naissance de Becker.
Passons aux trois espèces de terres :
172. Première espèce. – Terre vitrifiable.
Le quartz en est formé.
Les mixtes en contiennent le plus.
Elle existe dans toutes les espèces de pierres. Les fusibles en contiennent plus que les autres ; les infusibles réductibles en chaux en contiennent, et enfin les pierres inaltérables au feu.
Unie avec les deux autres terres, elle forme tous les métaux.
Becker attachait à la terre vitrifiable une importance bien plus grande qu'aux deux autres, puisqu'il la qualifie de terre mère (36).
Il résulte si bien des idées de Becker que les corps solides transparents doivent cet aspect à la terre vitrifiable, que le traducteur anonyme de la traduction manuscrite de la Physique souterraine que je possède (156) dit dans son avertissement, page 9 :
« Le, principe vitrifiable est très-pur dans les diamants le cristal et les pierres colorées ; il l'est moins dans les sa- blés, les cailloux, les pierres, tous les métaux, les bols, les argiles, les cendres, les os et même les sels. »
Certes, on n'accusera pas le traducteur d'avoir altéré le sens des paroles de Becker, pour lequel il professe la plus vive admiration ; mais que pensera-t-on de l'opinion de Becker, lorsqu'il admet la présence de la terre vitrifiable dans les alcalis, potasse et soude? Et pourquoi? Parce qu'en les chauffant avec le sable ils donnent du verre (36). Cette conclusion ne serait admissible, dès qu'on sait l'existence de la terre vitrifiable dans le sable, qu'à la condition d'avoir reconnu que le verre fait avec ce sable contenait plus de terre vitrifiable qu'il n'y en avait dans le sable. Nous reviendrons sur ce sujet, exemple d'erreur de l'analyse mentale.
173. Deuxième espèce. – Terre inflammable ou sulfureuse.
De l'inflammabilité du soufre vient le synonyme de terre sulfureuse.
De l'inflammabilité de beaucoup de minéraux, de combustibles proprement dits gisant dans les couches terrestres, des combustibles végétaux et animaux, Becker tire la conséquence que tous contiennent la terre inflammable, et que celle-ci est partout la même.
Becker, qui, comme physicien, s'est beaucoup occupé de l'atmosphère, y signalait la présence de la terre inflammable, et l'admettait encore dans les eaux et la neige même.
174 Troisième espèce. – Terre mercurielle.
Si l'histoire des connaissances chimiques, telle que je la conçois, est utile par les lumières qu'elle répand à la fois sur la philosophie considérée au point de vue des généralités, elle ne l'est pas moins au point de vue des détails mêmes. L'importance dont ils sont ne peut être méconnue quant à la lumière qu'ils répandent sur le fond même de l'alchimie ; c'est surtout en appliquant cette réflexion à l'histoire de la terre mercurielle, telle que Becker la présente, qu'on en apprécie la justesse.
La terre mercurielle diffère absolument de la terre vitri fiable et de la terre inflammable. Selon Becker, si ces deux dernières existent généralement dans les pierres diaphanes, la ferre mercurielle nous est offerte surtout par les pierres opaques ; car, selon lui, elle est la cause de l'opacité et de la métallicité dans les composés dont elle fait partie.
La volatilité étant un de ses caractères essentiels, Becker ne doute point qu'elle soit un des principes constituants du mercure.
En conséquence, elle communique, selon lui, aux métaux l'opacité et la volatilité ; elle tire de cette volatilité son caractère essentiel, la pénétrabilité dans tous les corps : preuve nouvelle d'une erreur de synthèse mentale.
175. C'est à cette pénétrabilité incomparable, attribuée par Becker à la terre mercurielle, qu'elle doit un pouvoir dissolvant poussé à l'extrême ; de sorte qu'elle est le plus puissant des dissolvants ; mais un caractère bien étonnant qu'il lui reconnaît, c'est de désagréger les particules matérielles sans réaction, en d'autres termes, sans contracter d'union avec elles. Cette puissance une fois admise, on conçoit sans peine que Becker attribue à la terre mercurielle qui peut être en vapeur dans l'intérieur des mines toutes les maladies qui menacent sans cesse les mineurs, et dont l'énergie peut aller jusqu'à les priver de la vie même.
Becker, comme je l'ai. dit, a critiqué et Paracelse et van Helmont ; et cependant il leur a emprunté ce qu'il dit de l'alkaest, le dissolvant de tous les corps! A la vérité, il partageait leurs croyances à la transmutation, mais peut-être n'a-t-il pas reproduit fidèlement la pensée de van Helmont en disant que l'alkaest se bornait à désagréger les corps sans contracter d'union avec leurs particules, de sorte que l'action du dissolvant par excellence était à la rigueur purement mécanique ; le mot dissolvant, à cette époque de la science, pouvait s'entendre en effet d'une action assez énergique pour dissocier les particules matérielles sans exercer pourtant sur elles d'action chimique, puisque nul n'avait encore l'idée précise de l'affinité.
Becker parle d'un alkaest puissant, de sa composition, dont il ne donne pas la préparation, et, en outre, il connaît des terres dont on peut tirer un esprit ardent qui digère par lui-même, et réduit la terre en sel et en baume céleste.
176. Je ne puis quitter le sujet de l'alkaest sans dire quelques mots de l'histoire de cette expression.
Elle a été imaginée par Paracelse pour désigner un dissolvant inconnu de tout autre que lui, et doué de la propriété caractéristique de dissoudre tous les corps de la nature, et l'on ne peut douter qu'il ne fît allusion à la dissolution chimique, et qu'il s'agissait d'une affinité réciproque entre le corps dissolvant et le corps dissous.
Van Helmont a emprunté le mot à Paracelse, et l'on ne peut douter qu'il ne lui ait attribué le même sens ; mais ce qui m'a vivement frappé dans mes études sur l'alchimie, c'est l'importance que le grave H. Boerhaave a attribué à l'alkaest, car il ne lui a pas consacré moins de dix pages et demie de l'édition in-quarto de sa chimie (37), lesquelles en représentent quarante de la traduction française (38).
L'art seul, dit van Helmont, est capable de préparer l'alkaest, dont la puissance réduit la terre en sel et en eau ;
mais l'entendement de l'homme est incapable par lui-même de comprendre le secret, si Dieu ne le lui révèle pas.
L'alkaest dissout tous les corps simples ou composés, fixes ou volatiles, solides ou liquides, inorganiques ou Organiques, etc., etc.
Cette citation suffît, je crois, pour dire que la science n'a rien à démêler avec l'alkaest.
177. Becker termine le chapitre de la terre mercurielle par des réflexions fort singulières relatives aune substance immortelle, existant dans l'atmosphère, remarquable par ses propriétés, parmi lesquelles plusieurs rappellent les propriétés organolepliques du gaz oxygène ; car, dit Becker, c'est elle qui donne et conserve la vie aux animaux ;
mais le vrai, l'imaginaire, le faux et l'obscur sont tellement mélangés dans son texte, qu'on ne peut rien en déduire de précis.
178. Becker distingue trois catégories de métaux :
Première catégorie. – Les métaux parfaits.
L'or et l'argent. Ils sont formés des trois terres à parties égales.
Que cette composition fût vraie, ce serait un fait d'isomérisme.
Deuxième catégorie. – Les métaux imparfaits.
Le plomb, l'étant, le cuivre et le fer.
Dans les deux premiers, la terre mercurielle domine, tandis que, dans les deux derniers, ce sont les terres vitrifiable et inflammable.
Troisième catégorie. – Les métaux bâtards.
L'antimoine, le bismuth, le zinc, le cobalt et la marcassite. Le mélange des trois terres est inégal dans chacun d'eux. En définitive, Becker a établi comme axiome général que la substance des métaux et des pierres est une substance terreuse, et immédiatement il comprend sous cette expression diverses espèces de terres.
QUESTION. .
BECKER A-T-IL CONNU L'AUGMENTATION DO POIDS DES MÉTAUX PAR LA CALCINATION?
179. On a bien des fois répété que si Stahl eût connu l'augmentation de poids des métaux par la calcination à l'air, il n'aurait point imaginé la théorie du phlogistique, allégation absolument gratuite dont il faut prouver la fausseté par des textes précis. Or, l'occasion de le faire se présente ici bien naturellement, puisqu'il s'agit de la Physique souterraine, si bien étudiée par Stahl lui-même. Becker connaissait l'augmentation de poids que subissent l'étain et l'antimoine par la calcination à l'air ; il savait même qu'elle avait lieu lorsque l'antimoine était exposé au foyer d'un miroir concave sur lequel se réfléchissaient les rayons du soleil, et pourtant, alors qu'une fumée blanche se répandait dans l'atmosphère, devait par là même diminuer le poids du résidu fixe de la calcination ; mais il était dans l'erreur relativement à la cause de l'augmentation de poids en l'attribuant au feu même. Robert Boyie recourait à la même cause pour expliquer l'augmentation de poids que des métaux avaient éprouvée lorsqu'il les chauffait dans des vaisseaux fermés. Evidemment l'air, y pénétrant, était la véritable cause du phénomène.
Nous verrons plus loin (296) que Jean Rey, dès 1630, après avoir été consulté par un apothicaire de Bergerac, avait mis hors de doute que la cause du phénomène dont nous parlons était dû à l'air, qui s'épaississait dans le métal chauffe. Enfin il est généralement reconnu qu'au XVe siècle, le fait avait été mis en évidence par Eck de Sulzbach.
QUESTION.
BECKER A-T-IL CONNU LA NÉCESSITÉ DE L'AIR POUR QUE LA FERMENTATION ALCOOLIQUE AIT LIEU?
180. Becker dit que la fermentation des végétaux exige le contact de l'air pour avoir lieu ; mais il la considère au point de vue le plus général, puisqu'il l'étend aux minéraux mêmes. Quoi qu'il .en soit, l'influence de l'air dans la fermentation avait été reconnue du temps de van Helmont, mais je n'oserais assurer que Becker connût la nécessité de l'air pour la fermentation des jus sucrés, comme Mayow la connaissait déjà (1674), et sur laquelle revint J.Bohn en 1685 ; il est certain que Stahl connaissait la nécessité de l'air pour que la fermentation spiritueuse se produisît dans les liqueurs végétales sucrées ; mais cette connaissance s'effaça de la science, puisque Gay-Lussac la reproduisit en 1810 comme nouvelle.
DIFFÉRENTS FAITS AVANCÉS PAR BECKER.
181. Becker, tout en partageant les erreurs de son temps sur l'origine d'animaux inférieurs, produits, disait-on, de la putréfaction, connaissait beaucoup de faits relatifs aux animaux infusoires, aux êtres vivants qui se trouvent dans des liquides morbides de l'économie animale et dans des liquides fermentes d'origine végétale.
Je cite des observations relatives à la formation du nitre qui, si elles ne sont pas complètes, prouvent qu'il savait très-bien l'influence des matières d'origine animale dans la production du nitre et combien certaines terres étaient disposées à attirer l'esprit aérien de l'atmosphère.
FAITS AVANCÉS PAR BECKER QUI GÉNÉRALEMENT NE SONT PAS ADMIS.
182. Becker dit avoir constaté des faits qui ne sont pas généralement acceptés comme vrais par les auteurs des traités de chimie en général. Je citerai comme exemple la présence du mercure dans l'air atmosphérique.
Il raconte qu'après, avoir établi dans une tour, où l'atmosphère pénétrait librement, une horloge à laquelle il avait adapté des poids de plomb, il reconnut, après quelque temps, une apparence de mousse à la surface du métal, et que, l'en ayant détachée, il en retira du mercure coulant. Il rapporte ce fait comme une confirmation d'observations antérieures faites par un assez grand nombre de personnes.
Déjà d'autres observations avaient signalé la présence du mercure dans le sel marin. Les Rouelle en étaient convaincus, et Proust lui-même l'avait reconnu dans le sel marin de France et dans celui d'Espagne ; cependant, pour en avoir la preuve directe, il proposa, de 1820 à 1821, de fixer une plaque d'une demi-once d'or à une partie d'un vaisseau qui la tiendrait constamment immergée dans l'eau de mer. Il se chargea même de faire les frais de l'expérience . Personne, à ma connaissance, ne répondit à l'appel du célèbre chimiste.
OPINION DE BECKER SUB LE PRINCIPE DES SEMBLABLES PAR PLATON.
183. Il est une observation de Becker sur laquelle mon attention s'est fixée lorsque j'ai aperçu la différence dont il l'interprétait d'avec la manière dont l'observation de faits analogues l'avaient été depuis l'antiquité jusqu'à nos jours.' Il s'agit de contraires concernant des objets divers que les uns considèrent comme péchant contre toute harmonie de rapport mutuel, comme s'ils se repoussaient mutuellement, de sorte que tout rapprochement, toute union entre eux est impossible, tandis que les objets semblables s'attirent mutuellement, s'unissent, forment des ensembles harmonieux : enfin cette manière de voir se généralise ou plutôt se fond dans le principe des semblables posé par Platon, principe qui s'est maintenu jusqu'à nos jours. Artéphius l'a professé dans le XIIe siècle ; dans le XIXe, Étienne Greoffroy-Saint-Hilaire l'a appelé la loi du soi pour soi, et Serres la loi de conjugaison ; au lieu de ces deux expressions, j'ai proposé celle de loi l'homéozygie, que Serres a adoptée. D'autres auteurs ont émis des opinions contraires ; ils ont vu l'harmonie entre des contraires, ils ont même considéré certains contraires comme s'attirant mutuellement et se confondant ensemble.
Moi-même, sans m'engager dans une de ces manières de voir à l'exclusion de l'autre, j'ai distingué, et cela depuis 1818, des propriétés telles que propriété magnétique, la propriété électrique, la propriété acide et la propriété alcaline, la propriété comburante et la propriété combustible, qui peuvent être envisagées aux points de vue absolu, relatif et corrélatif. Au dernier point de vue, la force magnétique, la force électrique présentent deux états de noms différents : le magnétisme austral et le magnétisme boréal, l'électricité positive et l'électricité négative. Le corps .ou la partie d'un corps magnétique, douée du magnétisme austral, repousse tout corps ou toute partie d'un corps qu'on lui présente doué du magnétisme du même nom, tandis que cette partie attire toute partie magnétique douée d'unmagnétisme contraire ; et de même des autres : les parties matérielles d'un même état ou de même nom se repoussent, tandis que les parties d'état ou de nom différent s'attirent.
Quant à la vision des couleurs, après avoir observé les associations de couleurs qui sont agréables, j'ai distingué des harmonies d'analogues, c'est-à-dire de couleurs plus ou moins semblables, et des harmonies de contrastes, c'est-à-dire de couleurs plus ou moins différentes.
Enfin, ce qui m'a paru remarquable, c'est que Becker a conclu, contrairement au principe des semblables, que des corps doués de propriétés contraires s'attirent, conformément à ce que je viens de dire et conformément à ce qu'il appelle la polarité magnétique ; il dit donc que les contraires tendent à s'unir ; exemples : le sec et l' humide, le dense et le léger, etc., etc.
Évidemment cette manière de voir, quel que soit le sens qu'on y attache, n'est pas l'acte d'un esprit commun.
Je reviendrai sur le principe des semblables en parlant de J. Mayow (303).
MANIÈRE DONT BECKER A ENVISAGÉ LA FERMENTATION.
184. Un passage de Physique souterraine me semble devoir être signalé maintenant à un double égard, d'abord au point de vue purement alchimique, propre à démontrer la foi de Becker au ferment et à la fermentation, puis au point de vue de l'histoire même de la chimie.
Pour Becker, le feu est un ferment, et la combustion une fermentation ; parce que, dit-il, le combustible en brûlant se transmue en feu. Je ne sache pas que cette opinion ait été relevée, ainsi qu'il semble qu'elle eût dû l'être, lorsqu'on a tant parié du phlogistique de Stahl comme étant la terre inflammable de Becker, et que l'on considère que c'est postérieurement aux recherches de Stahl sur la fermentation, publiées à la fin du XVIIe siècle, qu'il imagina son hypothèse du phlogistique en parlant de la terre inflammable de Becker. Or, Stahl, ne croyant pas à l'alchimie, ne pouvait approuver la qualification ferment donnée par Becker au feu. Évidemment il y aura lieu de revenir sur ce sujet (189, 209) qui, plus complexe qu'on ne le pense, exige quelque développement si on veut rester dans la vérité.
CONSIDÉRATION FINALE SUR BECKER.
D'APRÈS L'ANALYSE ET LA SYNTHÈSE MENTALES ET L'ANALYSE ET LA SYNTHÈSE CHIMIQUES ENVISAGÉES CONFORMÉMENT A LA MÉTHODE à posteriori EXPÉRIMENTALE.
185. Il est incontestable que l'aveu si honorable qu'a fait Stahl d'avoir puisé beaucoup de ses idées dans Becker a contribué considérablement à la grande réputation de l'auteur de la Physique souterraine, et, si on ne peut se refuser à reconnaître que l'idée de la terre inflammable de Becker est l'origine du phlogistique de Stahl, cet illustre savant a singulièrement exagéré le sentiment de la reconnaissance, eu égard au mérite qu'il reconnaît à Becker.
186. Je ne crois pas m'être trompé en disant que les justes critiques faites par Becker des aristotéliciens, des médecins galénistes, des souffleurs et des astrologues, ont contribué à sa grande réputation. En s'en tenant au bien que j'ai dit de Becker, l'idée qu'on se ferait de son esprit scientifique serait exagérée en ne tenant pas compte de plusieurs critiques dont je vais parler. La vérité exige donc qu'on parle de sa crédulité pour accueillir de prétendus faits comme des réalités, et son défaut de critique pour substituer à d'anciennes opinions hermétiques des opinions pareillement hermétiques, qui ne valent pas toujours les anciennes, en outre de plusieurs de ses opinions qui sont de véritables erreurs. Cette tâche, je vais la remplir ; autrement ma critique de Becker ne serait pas exacte.
Je ne blâmerai jamais un auteur qui, sans prétendre s'ériger en juge d'opinions dont il n'a pas fait une étude spéciale, ne les combat pas comme erreurs de son temps. Ainsi Becker sera exempt de toute critique parce qu'il n'a pas combattu comme erreur de son temps l'opinion erronée qui fait naître des mouches de la putréfaction des animaux. Mais, lorsqu'il me dira que le chevalier Digby, ayant brûlé des écrevisses, en arrosant leurs cendres avec une certaine liqueur qu'il avait préparée, il s'est régénéré une grande quantité d'écrevisses, je le traiterai de crédule (39) ; il en sera de même quand il me racontera que le même auteur assure qu'un de ses amis ayant reçu les rayons du soleil dans un appareil en verre, après quelques jours, 2 onces de poudre avaient été recueillies ; la subtilité en était telle qu'elle pénétrait l'or lui-même par sa propre vertu spirituelle (40).
187. Mais Becker prête bien davantage à la critique quand, aux quatre éléments et aux trois principes immédiats des métaux, le soufre, le mercure et le sel, généralement admis avant lui par les alchimistes, il prétend substituer l'eau et l'air sous la dénomination de fluide humide, et les trois terres simples ; la vitrifiable, l'inflammable et la mercurielle (169),
Effectivement :
La doctrine des quatre éléments est plus simple, plus correcte, en distinguant l'air d'avec l'eau, que l'élément humide de Becker les comprenant tous les deux, ainsi que je l'ai fait remarquer déjà.
Je demande s'il y a progrès en affirmant que les métaux sont formés de trois terres simples, au lieu de dire qu'ils le sont de soufre, de mercure et de sel, lorsqu'il est rigoureusement vrai qu'on ne peut pas plus retirer des métaux (le mercure mis de côté) de la terre vitrifiable, de la terre inflammable et de la terre mercurielle^ qu'on ne peut en retirer du soufre, du. mercure et du sel? Voilà pour l'analyse, et voici pour la synthèse : Becker a-t-il jamais produit un métal en réunissant ensemble ses trois espèces de terre ?
188. Si nous pénétrons dans les détails, nous aurons une preuve nouvelle que tout est à priori chez Becker comme il l'est chez les al chimistes, et nous verrons alors que rien ne distingue le premier des seconds ; entre leurs mains, l'analyse et la synthèse chimiques sont impuissantes à démontrer leurs hypothèses respectives de la composition des métaux, et, à mon sens, la nouvelle ne vaut pas l'ancienne. Autrement, que Becker eût paru grand, si, après ses justes critiques des alchimistes, au lieu de considérer la transmutation des métaux imparfaits en métaux parfaits comme une vérité, il en eut proclamé l'erreur, à l'instar de Kunckel et de Robert Boyle ! Mais, au lieu de cela, que penser de son esprit critique, quand on le voit remplacer une chimère par une autre, et se prêtant lui-même aux critiques qu'il a faites? Citons des exemples, et, avant tout, reconnaissons les difficultés des critiques à cause même des difficultés qu'on éprouve à citer des opinions clairement définies, par la raison que souvent Becker, après avoir énoncé une erreur, expose des opinions qui, si elles ne sont pas contraires aux premières, en atténuent le sens, quand elles n'y sont pas opposées (187, 209).
Becker, comme ses prédécesseurs, est frappé d'une propriété dans l'observation d'un corps (d'un substantif propre physique), et cette propriété, considérée à l'exclusion de toute autre, devient l'indice d'un principe, d'un corps simple, d'un élément ; mais, qu'est-ce, que c'est en réalité, sinon une propriété abstraite dont on fait un être, un substantif propre physique, ce que beaucoup d'écrivains expriment par le mot entité?
Becker, observant le verre, est frappé de sa belle transparence, et de ce qu'il provient d'une matière fondue. Cette transparence, il la conserve après s'être solidifié, et il est ainsi conduit à imaginer une terre vitrifiable qui sera l'élément de tous les minéraux susceptibles d'affecter l'aspect vitreux (163).
Un chimiste logicien aurait pu avoir cette idée, mais, avant d'instituer une terre vitrifiable comme élément, il aurait cherché à la retirer d'un corps d'aspect vitreux au moyen de l'analyse chimique. Or, s'il eût retiré de la terre vitrifiable du quartz, il n'en eût pu trouver dans le diamant ni dans les alcalis. Enfin il aurait reconnu que le quartz, terre vitrifiable, ne devient du verre qu'avec un alcali.
Cet exemple met en évidence que Becker, comme tous les alchimistes ses prédécesseurs, n'a jamais compris l'analyse et la synthèse chimiques, ni la méthode a posteriori expérimentale, et que, sous l'influence de l'a priori le plus absolu, il n'a pratiqué que l'analyse et la synthèse mentales.
189. Si l'on conçoit que Becker ait considéré la terre vitrifiable comme parfaitement représentée par le cristal de roche, et même par sa poussière, quant à ses caractères, l'infusibilité, la fixité, la permanence de ses attributs dans les circonstances de milieu où la nature nous l'offre, que le sable siliceux présente les mêmes attributs, on n'a rien à lui reprocher ; il a considéré cette terre comme tous ceux qui ont admis l'existence des quatre éléments ; on lui passe même l'exagération qu'il s'est permise en la qualifiant de terre mère.
Mais évidemment on ne s'explique point les motifs qu'il a eus de qualifier de terre ce qu'il appelle la terre inflammable et la terre mercurielle. Rien ne justifie cette qualification. Tous ceux qui ont appliqué le mot terre à des matières avant Becker ne leur ont jamais reconnu la propriété de disparaître quand on les chauffe, soit qu'elles se brûlent, soit qu'elles se dissipent en fumée ou en vapeur. Evidemment ce serait t'analyse et la synthèse mentales qui faisaient dire à Becker : Tout ce qui brûle renferme de la ferre inflammable, tout métal doit son opacité à la ferre mercurielle ; elle encore est la cause de la fluidité des métaux, etc., etc., toutes propositions répréhensibles comme pétition de principes (173, 174)!!
190. Mais rien de plus étrange que la manière dont Becker a conçu sa troisième terre, la terre mercurielle ! Quelle hardiesse, j'ai tort, quelle audace! après avoir critiqué les quatre éléments des anciens, nous parler d'une terre fluide, sans donner aucune raison de cette opinion ; après avoir parlé de l'audace des alchimistes qui considérèrent le soufre, le mercure et le sel comme les principes des métaux sans avoir séparé d'aucun d'eux (le mercure mis de côté) soit du soufre, soit du mercure, lorsque lui-même, Becker, n'a jamais obtenu ni terre vitrifiable, ni terre mercurielle d'aucun métal, est-ce compréhensible ?
191. Conçoit-on cette phrase, qu'on lit chapitre Ier de la 3e section, n° 8 :
« Cum tamen anatomia (l'analyse chimique) ad oculum doceat, argentum vivum decompositum esse ; et ex métallo et terra fluida. » Ce que ma traduction anonyme reproduit ainsi en français :
« Comme si l'analyse ne démontrait pas à l'œil que l'argent vif est un décomposé, et qu'il est formé de métal et d'une terre fluide. » ..... « Comme si le soufre vif n'était pas formé d'un sel acide et d'une terre bitumineuse ; comme si le sel commun n'était pas formé de cette eau universelle et d'une terre marine. » Notons qu'après avoir parlé avec détail des trois terres simples, Becker n'a rien dit de la terre marine.
Mais la critique de ce passage n'est pas complète, car rien ne justifie mieux l'insistance que j'ai mise, et que-toujours je mettrai à signaler la nécessité, en toutes choses, de distinguer l'analyse et la synthèse chimiques portant sur des substantifs propres physiques (espèces chimiques) d'avec l'analyse et la synthèse mentales, portant exclusivement sur des propriétés, sur des attributs qui, en définitive, ne sont pour moi que des abstractions, c'est-à-dire des propriétés, des attributs séparés par la pensée de beaucoup d'autres.
C'est dans l'étude de la matière et dans celle des êtres vivants que cette différence est nécessaire pour éviter les erreurs.
C'EST A CETTE CONFUSION DES DEUX CATÉGORIES D'ANALYSE ET DE SYNTHÈSE QUE JE RATTACHE UNE DES GRANDES ERREURS DES ALCHIMISTES (2, 7).
192. Aller plus loin dans la critique spéciale des opinions de Becker serait atténuer ma critique ; mais, avant d'examiner l'influence exercée sur la chimie par Lavoisier, signalons la cause première de tant d'erreurs sur la nature de la matière, et du temps prodigieux qui s'est écoulé depuis les philosophes grecs, Pythagore, Démocrite, Platon et Aristote, jusqu'à nos jours où ont été établies des vérités, sinon absolues, du moins relatives à nos connaissances ; or, cette cause de la différence est la méthode qui, entre la science ancienne de la matière -et la science actuelle, de à priori qu'elle était, est devenue à posteriori !
193. Si les anciens sont auteurs d'écrits spéculatifs admirables, si l'Histoire des animaux d'Aristote est sans pareille chez les anciens, c'est que l'esprit de ce grand homme qui, sous le rapport de la spéculation, était digne de celui de Platon, sentait plus que celui-ci le besoin de la vérité dans l'étude des détails que les connaissances du temps lui permettaient d'approfondir, et l'on peut dire que, si la méthode à priori dominait chez les philosophes de l'antiquité, Aristote écrivit particulièrement son Histoire des animaux sous l'influence d'une méthode à posteriori, où l'observation de faits, autant définis qu'il était possible, était soumise à un contrôle d'observation aussi sévère que possible, quand on ne peut soumettre leur interprétation au contrôle de l'expérience, caractère de la méthode que nous appelons, à cause de cela même, à posteriori expérimentale.
194. On trouve bien dans la Physique souterraine un passage où Becker énonce des idées qui paraissent vraies à beaucoup de personnes qui n'ont pas réfléchi profondément ni longtemps sur la méthode à suivre dans les sciences d'observations et d'expériences, surtout quand les auteurs qui en parlent n'ont pas eux-mêmes cherché la vérité à l'aide de l'expérience r or, c'était le cas de Becker. S'il a raison de dire en principe que la science est à la fois pratique et théorique (Physique souterraine, chapitre 2 de la quatrième section, n° 2.), il ne suffit pas, pour rester dans la vérité, d'une proposition générale, il faut développer la route à suivre pour arriver à la vérité et non à l'erreur. Or la vérité, à mon sens, est celle-ci.
Les faits d'une branche quelconque des connaissances humaines tels que je les envisage ne peuvent être définis, distingués et délimités que par la science (9).
Telle est la première partie de la science. La seconde partie est l'interprétation de ces mêmes faits ; et c'est cette interprétation qui constitue la science même, dès que l'interprétation a été soumise au contrôle, lequel contrôle n'a toute l'efficacité possible qu'autant qu'il a été soumis à l'expérience (9).
De là l'esprit de la méthode a posteriori que je caractérise par l'expression d'expérimentale.
Lorsque Becker a dit : « Nous avons cru nécessaire de développer nos spéculations et de leur donner toute l'étendue qui leur convient, » avant de traiter de la pratique dans un second volume qui n'a jamais paru, il voyait les choses au point de vue contraire à celui que nous venons d'exposer.
C'est en se pénétrant bien de cette manière dont Becker envisageait, et la science qu'il cultivait, et la science qu'il appelait l'art spagyrique, qu'on s'explique comment, avec ses connaissances variées alliées à un esprit distingué incontestablement, il a voulu substituer à l'alchimie des quatre éléments matériels et des trois principes des métaux, d'autres éléments qui, à mon sens, donnaient lieu aux mêmes objections que les premiers et prêtaient plus encore à la critique. C'est précisément parce que Becker a fait des critiques fort justes des aristotéliciens, des médecins galénistes, des souffleurs, des astrologues, que, substituant aux idées dont il ne veut pas des idées qui prêtent aux mêmes critiques puisque leur objet est de démontrer la-réalité de la transmutation, que Becker, dès lors, ne m'apparaît plus comme un esprit élevé, mais comme un homme qui, à une opinion chimérique, a voulu en substituer une autre pareillement chimérique : nouvel exemple à relever comme fait qui, s'il n'est pas absolument semblable, a quelque analogie avec Geber commençant par énoncer des idées justes sur l'alchimie, et finissant par adopter l'idée obscure de la chimérique transmutation en vertu d'un ferment dont l'efficacité croît en énergie avec le nombre des opérations qu'on lui fait subir.
Fin de la 1ère partie
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