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PERNETY Les Fables Egyptiennes et Grecques (1ère partie)




LES FABLES ÉGYPTIENNES ET GRECQUES
Dévoilées & réduites au même principe,
avec

UNE EXPLICATION DES
HIÉROGLYPHES,
ET DE
LA GUERRE DE TROYE :

Par Dom Antoine-Joseph Pernety, Religieux Bénédictin de la Congrégation de Saint-Maur.
Populum Fabulis pascebant Sacerdotes Ægyptii ; ipsi autem sub nomimbus Deorum patriorum philosophabantur. Orig.l. i. contra Celsum.

TOME PREMIER.
*

Table des Livres et chapitres de la première partie.

 Préface, p5.
 Discours Préliminaire, p 9.
 Principes Généraux de Physique, suivant la Philosophie Hermétique, p31.
 De la première matière, p 34.
 De la Nature, p37.
 De la lumière, & de ses effets, p 39.
 De l’Homme, p 40.
 Des Eléments, p 47.
 De la Terre, p 49.
 De l’Eau, p 50.
 De l’air, p 52.
 Du Feu, p 53.
 Des opérations de la Nature, p 57.
 Des manières d’être générales des Mixtes, p 59.
 De la différence qui se trouve entre ces trois Règnes, p 59.
 Le Minéral, p 59.
 Le Végétal, p 60.
 L’Animal, p 60.
 De l’âme des Mixtes, p 60.
 De la génération & de la corruption des Mixtes, p 62.
 De la Lumière, p 64.
 De la conservation des Mixtes, p 68.
 De l’humide radical, p 69.
 De l’harmonie de l’Univers, p 71.
 Du Mouvement, p 72.
 Traité de l’œuvre Hermétique, p 73.
 Conseils Philosophiques, p 74.
 Aphorisme de la vérité des science, p 75.
 La clef des Sciences, p 75.
 Du Secret, p 76.
 Des moyens pour parvenir au Secret, p 76.
 Des clefs de la Nature, p 77.
 Des Principes métalliques, p 77.
 De la matière du grand œuvre en général, p 78.
 Des noms que les anciens Philosophes ont donné a la matière, p 80.
 La matière est une & toute chose, p 82.
 La clef de l’Œuvre, p 85.
 Définitions & propriétés de ce Mercure, p 91.
 Du vase de l’Art, & de celui de la Nature, p 93.
 Noms donnés à ce vase par les Anciens, p 93.
 Du Feu en général, p 95.
 Du Feu Philosophique, p 96.
 Principes opératifs, p 99.
 Principes opératifs en particulier. La Calcination, p 101.
 Solution, p 102.
 Putréfaction, p 102.
 Fermentation, p 103.
 Signes ou principes démonstratifs, p 103.
 De l’Elixir, p 109.
 Pratique de l’Elixir suivant d’Espagnet, p 110.
 Quintessence, p 110.
 La Teinture, p 111.
 La Multiplication, p 112.
 Des poids dans l’Œuvre, p 113.
 Règles générales très instructives, p 114.
 Des vertus de la Médecine, p 117.
 Des maladies des Métaux, p 118.
 Des temps de la Pierre, p 119.
 Conclusion, p 119.
*
LES FABLES ET LES HIEROGLYPHES DES EGYPTIENS.

 Introduction, p 122.
 Chapitre I : Des Hiéroglyphes des Egyptiens, p 136.
 Chapitre II : Des Dieux de l’Egypte, p 142.
 Chapitre III : Histoire d’Osiris, p 147.
 Chapitre IV : Histoire d’Isis, p 158.
 Chapitre V : Histoire d’Horus, p 167.
 Chapitre VI : Histoire de Typhon, p 170.
 Chapitre VII : Harpocrate, p 175.
 Chapitre VIII : Anubis, p 179.
 Chapitre IX : Canope, p 182.
 Section Seconde : Rois d’Egypte et Monuments élevés dans ce pays-là, p 184.
 Section Troisième : Des animaux révérés en Egypte et des plantes Hiéroglyphiques, p 197.
 Chapitre I : Du Bœuf Apis, p 197.
 Chapitre II : Du Chien & du Loup, p 204.
 Chapitre III : Du Chat ou Ælurus, p 205.
 Chapitre IV : Du Lion, p 206.
 Chapitre V : Du Bouc, p 207.
 Chapitre VI : De l’Ichneumon & du Crocodile, p 207.
 Chapitre VIII : Du Bélier, p 209.
 Chapitre IX : De l’Aigle et de l’Epervier, p 211.
 Chapitre X : De l’Ibis, p 213.
 Chapitre XI : Du Lotus & de la Fève d’Egypte, p 215.
 Chapitre XII : Du Colocasia, p 217.
 Chapitre XIII : Du Persea, p 217.
 Chapitre XIV : Du Musca ou Amusa, p 218.
 Section Quatrième : Des Colonies Egyptiennes, p 221.
 Livre II : Des allégories qui ont un rapport plus palpable avec l’Art Hermétique, p 228.
 Chapitre I : Histoire de la conquête de la Toison d’or, p 231.
 Chapitre II : Histoire de l’enlèvement des Pommes d’or du Jardin des Hespérides, p 260.
 Chapitre III : Histoire d’Atalante, p 281.
 Chapitre IV : La Biche aux cornes d’or, p 285.
 Chapitre V : Midas, p 288.
 Chapitre VI : De l’âge d’or, p 294.
 Chapitre VII : Des Pluies d’or, p 298.


PRÉFACE.

La Philosophie considérée en général a pris naissance avec le monde, parce que de tout temps les hommes ont pensé, réfléchi, médité ; de tout temps le grand spectacle de l’Univers a du les frapper d admiration, & piquer leur curiosité naturelle. Né pour la société, l’homme a cherché les moyens d’y vivre avec agrément & satisfaction ; le bon sens, l’humanité, la modestie, la politesse des mœurs, l’amour de cette société, ont donc dû être les objets de son attention. Mais quelque admirable, quelque frappant qu’ait été pour lui le spectacle de l’U­nivers, quelque avantage qu’il ait cru pouvoir tirer de la société, toutes ces choses n’étaient pas lui. Ne dut-il pas sentir, en se repliant sur lui-même, que la conservation de son être propre, n’était pas un objet moins intéressant ; & penserait-on qu’il se soit oublié, pour ne s’occuper que de ce qui était autour de lui ? Sujet à tant de vicissitudes, en but à tant de maux ; fait d’ailleurs pour jouir de tout ce qui l’environne, il a sans doute cherché les moyens de prévenir ou de guérir ces maladies, pour conserver plus long­temps une vie toujours prête à lui échapper. Il ne lui a pas fallu méditer beaucoup pour conce­voir & se convaincre que le principe qui constitue son corps & qui l’entretient, était aussi celui qui devait le conserver dans sa manière d’être. L’appétit naturel des aliments le lui indiquait assez : mais il s’aperçut bientôt que ces aliments, aussi périssables que lui, à cause du mélange des parties hétérogènes qui les consti­tuent, portaient dans son intérieur un principe de mort avec le principe de vie. Il fallut donc raisonner sur les êtres de l’Univers, méditer longtemps pour découvrir ce fruit de vie, capa­ble de conduire l’homme presque à l’immortalité.
Ce n’était pas assez d’avoir aperçu ce trésor à travers l’enveloppe qui le couvre & le cache aux yeux du commun. Pour faire de ce fruit l’usage qu’on se proposait, il était indispensable de le débarrasser de son écorce, & de l’avoir dans toute sa pureté primitive. On suivit la Nature de près ; on épia les procédés qu’elle emploie dans la formation des individus, & dans leur destruction. Non seulement on connut que ce fruit de vie était la base de toutes ses générations, mais que tout se résolvait enfin eu ses propres prin­cipes.
On Se mit donc en devoir d’imiter la Nature ; & sous un tel guide pouvait-on ne pas réussir ? à quelle étendue de connaissances cette décou­verte ne conduisit-elle pas ? Quels prodiges n’errait-on pas en état d’exécuter, quand on voyait la Na­ture comme dans un miroir, & qu’on l’avait à ses ordres ?
Peut-on douter que le désir de trouver un re­mède à cous les maux qui antigène l’humanité, & d’étendre, s’il était possible, les bornes prescrites à la durée de la vie, n’aie été le premier objet des ardentes recherches des hommes, & n’aie formé les premiers Philosophes? Sa découverte dut flatter infiniment son inventeur, & lui faire rendre de grandes actions de grâces à la Divinité pour une faveur si signalée. Mais il duc penser en même temps que Dieu n’ayant pas donné cette connaissance à tous les hommes, il ne voulait pas sans douce qu’elle fût divulguée. Il fallut donc n’en faire participants que quelques amis ; aussi Hermès Trimégiste, ou trois fois grand, le pre­mier de tous les Philosophes connus avec distinc­tion, ne le communiqua-t-il qu’à des gens d’élite, à des personnes dont il avait éprouvé la prudence & la discrétion. Ceux-ci en firent part à d’autres de la même trempe, & cette décou­verte se répandit dans tout l’Univers. On vit les Druides chez les Gaulois, les Gymnosophistes dans les Indes, les Mages en Perse, les Chaldéens en Assyrie, Homère, Talés, Orphée, Pythagore, & plusieurs autres Philosophes de la Grèce avoir une conformité de principes, & une connaissance presque égale des plus rares secrets de la Nature. Mais cette connaissance privilégiée demeura toujours renfermée dans un cercle très étroit de personnes, & l’on ne communiqua au reste du monde que des rayons de cette source abondance de lumière.
Cet agent, cette base de la Nature une fois connue, il ne fut pas difficile de l’employer sui­vant les circonstances des temps & l’exigence des cas. Les métaux, les pierres précieuses entrèrent dans les arrangements de la société, les uns par le besoin qu’on en eut, les autres pour la com­modité & l’agrément. Mais comme ces derniers acquirent un prix par leur beauté & leur éclat, & devinrent précieux par leur rareté, on fit usage de ses connaissances Philosophiques pour les multiplier. On transmua les métaux imparfaits en or & en argent, on fabriqua des pierres précieuses, & l’on garda le secret de ces transmutations avec le même scrupule que celui de la panacée universelle, tant parce qu’on ne pouvait dévoiler l’un sans faire connaître l’autre, que parce qu’on sentait parfaitement qu’il résulterait de sa divulgation, des inconvénients infinis pour la société.
Mais comment pouvoir se communiquer d’âges en âges ces secrets admirables, & les tenir en même temps cachés au Public ? Le faire par tra­dition orale, c’eût été risquer d’en abolir jusqu’au souvenir ; la mémoire est un meuble trop fragile pour qu’on puisse s’y fier. Les traditions de cette espèce s’obscurcissent à mesure qu’elles s’éloignent de leur source, au point qu’il est impossible de débrouiller le chaos ténébreux, où l’objet & la matière de ces traditions se trouvent ensevelis. Confier ces secrets à des tablettes en langues & en caractères familiers, c’était s’exposer à les voir publics par la négligence de ceux qui auraient pu les perdre, ou par l’indiscrétion de ceux qui auraient pu les voler. Bien plus, il fallait ôter jusqu’au moindre soupçon, sinon de l’existence, au moins de la connaissance de ces secrets. Il n’y avait donc d’autre ressource que celle des hiéro­glyphes, des symboles, des allégories, des fa­bles, &c. qui étant susceptibles de plusieurs ex­plications différentes, pouvaient servir à donnée le change, & à instruire les uns, pendant que les autres demeureraient dans l’ignorance. C’est le parti que prit Hermès, & après lui tous les Philosophes Hermétiques du monde. Ils amusaient le Peuple par des fables, dit Origène, & ces fables, avec les noms des Dieux du pays, servaient de voile à leur Philosophie.
Ces hiéroglyphes, ces fables présentaient aux yeux des Philosophes, & de ceux qu’ils instruisaient pour être initiés dans leurs mystères, la théorie de leur Art sacerdotal, & aux autres diverses branches de la Philosophie, que les Grecs puisèrent chez les Egyptiens.
Les usages, les modes, les caractères, quel­quefois même la façon de penser varient suivant les pays. Les Philosophes des Indes, ceux de l’Europe inventèrent des hiéroglyphes & des fables à leur fantaisie, toujours cependant pour le même objet. On écrivit sur cette matière dans la suite des temps, mais dans un système énigmatique ; & ces ouvrages, quoique composés en langues connues, devinrent aussi intelligibles que les hiéroglyphes mêmes. L’affectation d’y rap­peler les fables anciennes, en a fait découvrir l’ob­jet ; & c’est ce qui m’a engagé à les expliquer suivant leurs principes. On les trouve assez déve­loppés dans leurs livres, quand on veut les étudier avec une attention opiniâtre, & qu’on a assez de courage pour vouloir se donner la peine de les combiner, de les rapprocher les uns des autres. Ils n’indiquent la matière de leur Art que par ses pro­priétés, jamais par le nom propre sous lequel elle est connue. Quant aux opérations requises pour la met­tre en œuvre philosophiquement, ils ne les ont pas caché sous le sceau d’un secret impénétrable ; ils n’ont point fait de mystère des couleurs ou signes démonstratifs qui se succèdent dans tout le cours des opérations. C’est ce qui leur a fourni particulièrement la matière à imaginer, à feindre les personnages des Dieux & des Héros de la Fable, & les actions qu’on leur attribue ; on en jugera par la lecture de cet Ouvrage. Chaque chapitre est une espèce de dissertation, ce qui lui ôte beaucoup d’agréments, & l’empêche d’être aussi amusant que la matière semblait le porter. Je ne me suis pas proposé d’écrire des fables, mais d’expliquer celles qui sont connues. On verra dans le discours préliminaire les raisons oui m’ont déterminé à mettre en tête des prin­cipes généraux de Physique, & un Traité de Philosophie Hermétique. Il était indispensable de mettre par-là le Lecteur au fait de la marche, & du langage des Philosophes, dès que je me proposais de le faire entrer dans leurs idées. Il y verra les énigmes, les allégories, les métaphores donc leurs écrits fourmillent. S’il en désire une explication plus détaillée, il peut avoir recours au Dictionnaire Mytho Hermétique, que j’ai mis au jour en même temps.
On demande si la Philosophie Hermétique est une science, un art, ou un pur être de raison ? Le préjugé tient pour ce dernier ; mais le préjugé ne fait pas preuve. Le Lecteur sans prévention se décidera après la lecture réfléchie de ce Traité, comme bon lui semblera. On peut sans honte risquer de se tromper avec tant de savants, qui dans tous les temps ont combattu ce préjugé. N’aurait-on pas plus à rougir de combattre avec mépris la Philosophie Hermétique sans la connaître, que d’en admettre la possibilité si bien fondée sur la raison, & même l’existence sur les preuves rapportées par un si grand nombre d’Au­teurs, donc la bonne foi n’est pas suspecte ? Au moins ne peut-on raisonnablement contester que l’idée d’une médecine universelle, & celle de la transmutation des métaux, n’aient été assez flatteuses pour échauffer l’imagination d’un homme, & lui faire enfanter des fables pour expliquer ce qu’il en pensait. Orphée, Homère, & les plus anciens Auteurs parlent d’une médecine qui gué­rit tous les maux ; ils en font mention d’une manière si positive, qu’ils ne laissent aucun douce sur son existence. Cette idée s’est perpétuée jusqu’à nous : les circonstances des fables se combinent, s’ajustent avec les couleurs, & les opérations dont parlent les Philosophes, s’ex­pliquent même par-là d’une manière plus vraisemblable que dans aucun autre système : qu’exigera-t-on de plus ? Sans doute une démonstration ; c’est aux Philosophes Hermétiques à prendre ce moyen de convaincre les incrédules ; & je ne le suis pas.



LES FABLES ÉGYPTIENNES ET GRECQUES
Dévoilées & réduites au même principe, avec une explication des Hiéroglyphes, & de la guerre de Troye.

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

Le grand nombre d’Auteurs qui ont écrit sur les Hiéroglyphes des Egyptiens, & sur les Fables auxquelles ils ont donné lieu, sont si contraires les uns aux autres, qu’on peut avec raison regarder leurs ouvrages comme de nouvelles Fables. Quel­que bien imaginés, quelque bien concertés que soient, au moins en apparence, les systèmes qu’ils ont formés, on en voit le peu de solidité a chaque pas qu’on y fait, quand on ne se laisse pas aveugler par le préjugé. Les uns y croient trouver histoire réelle de ces temps éloignés, qu’ils appel­lent malgré cela les temps fabuleux. Les autres n’y aperçoivent que des principes de morale, & il ne faut qu’ouvrir les yeux pour y voir partout des exemples capables de corrompre les mœurs. D’autres enfin, peu satisfaits de ces explications, ont puisé les leurs dans la Physique. Je demande aux Physiciens Naturalistes de nos jours, s’ils ont lieu d’en être plus contents.
Les uns & les autres n’ayant pas réussi, il est naturel de penser que le principe général sur lequel ils ont établi leurs systèmes, ne fut jamais le vrai principe de ces fictions. Il en fallait un, au moyen duquel on pût expliquer tout, & jusqu’aux moindres circonstances des faits rapportés, quelque bizarres, quelque incroyables, & quelque contradictoires qu’ils paraissent. Ce système n’est pas nouveau, & je fuis très éloigné de vouloir m’en faire honneur, je l’ai trouvé par lambeaux épars dans divers Auteurs, tant anciens que mo­dernes, leurs ouvrages sont peu connus ou peu lus, parce que la science qu’ils y traitent est la victime de l’ignorance & du préjuge. La plus grande grâce qu’on croie devoir accorder à ceux qui la cultivent, ou qui en prennent la défense, est de les regarder comme des fous, au moins dignes des Petites maisons. Autrefois ils passaient pour les plus sages des hommes, mais la raison, quoique de tous les temps, n’est pas toujours la maîtresse ; elle est obligée de succomber sous la tyrannie du préjugé & de la mode.
Ce système est donc l’ouvrage de ces prétendus fous, aux yeux du plus grand nombre des moder­nes, c’est celui que je leur présente ; mais ne dois-je pas craindre que mes preuves établies sur les paroles de ces fous, ne fassent regarder mes raisonnements comme ceux donc parle Horace ?
. . . . . Ifti tabula fore librum
Perfimilem, cujus velut agri fomnia , vana
Fingentur fpecies : ut nec pes, nec caput uni
Reddatur forma.
Art. Poet;
Je m’attends bien à ne pas avoir l’approbation de ces génies vastes, sublimes & pénétrants qui embrassent tout, qui savent tout sans avoir rien appris, qui disputent de tout, & qui décident de tout fans connaissance de cause. Ce n’est pas à de tels gens qu’on donne des leçons ; à eux appar­tient proprement le nom de Sage, bien mieux qu’aux Démocrite, aux Platon, aux Pythagore & aux autres Grecs qui furent en Egypte respirer l’air Hermétique, & y puisèrent la folie donc il est ici question. Ce n’est pas pour des Sages de cette trempe qu’est fait cet ouvrage : cet air con­tagieux d’Egypte y est répandu partout ; ils y courraient les risques d’en être infectés, comme les Geber, les Synesius, les Moriens, les Arnaud de Villeneuve, les Raymond Lulle & tant d’au­tres, assez bons pour vouloir donner dans cette Philosophie. A l’exemple de Diodore de Sicile, de Pline, de Suidas, & de nombre d’autres anciens ils deviendraient peut-être assez crédules pour regarder cette science comme réelle, & pour en parler comme réelle. Ils pourraient tomber dans le ridicule des Borrichius, des Kunckel, des Beccher, des Scalh, assez fous pour faire des traités qui la prouvent, & en prennent la défense.
Mais si l’exemple de ces hommes célèbres fait quelque impression sur les esprits exempts de pré­vention, & vides de préjugés à cet égard, il s’en trouvera sans doute d’assez sensés pour vou­loir, comme eux, s’instruire d’une science, peu connue à la vérité, mais cultivée de tous les temps. L’ignorance orgueilleuse & la fatuité sont les seules capables de mépriser & de condamner sans connaissance de cause. Il n’y a pas cent ans que le nom seul d’Algèbre éloignait de l’étude de cette science, & révoltait, celui de Géométrie eût été capable de donner des vapeurs à nos petits Maîtres scientifiques d’aujourd’hui. On s’est peu à peu familiarité avec elles. Les termes barbares dont elles sont hérissées ne font plus peur ; on les étudie, on les cultive, l’honneur a succédé à la répugnance, & je pourrais dire au mépris qu’on avait pour elles.
La Philosophie Hermétique est encore en disgrâce, & par-là même en discrédit. Elle est pleine d’énigmes, & probablement ne sera pas de long­temps débarrassée de ces termes allégoriques & barbares dont si peu de personnes prennent le vrai sens. L’étude en est d’autant plus difficile, que les métaphores perpétuelles donnent le change à ceux qui s’imaginent entendre les Auteurs qui en traitent, à la première lecture qu’ils en font. Ces
Auteurs avertissent néanmoins qu’une science telle que celle-là ne veut pas être traitée aussi claire­ment que les autres, à cause des conséquences funestes qui pourraient en résulter pour la vie civile. Ils en font un mystère, & un mystère qu’ils s’étudient plus à obscurcir qu’à développer. Aussi recommandent-ils sans cesse de ne pas les prendre à la lettre, d’étudier les lois & les pro­cédés de la nature, de comparer les opérations donc ils parlent, avec les siennes, de n’admettre que celles que le Lecteur y trouvera conformes.
Aux métaphores, les Philosophes Hermétiques ont ajouté les Emblèmes, les Hiéroglyphes, les Fables, & les Allégories, & se sont rendus par ce moyen presque inintelligibles à ceux qu’une longue étude & un travail opiniâtre n’ont pas initiés dans leurs mystères. Ceux qui n’ont pas voulu se donner la peine de faire les efforts nécessaires pour les développer, ou qui en ont fait d’inutiles, ont cru n’avoir rien de mieux à faire que de cacher leur ignorance à l’abri de la négative de la réalité de cette science, ils ont affecté de n’avoir pour elle que du mépris ; ils l’ont trai­tée de chimère & d’être de raison.
L’ambition & l’amour des richesses est le seul ressort qui met en mouvement presque tous ceux qui travaillent à s’instruire des procédés de cette science ; elle leur présente des monts d’or en perpective, & une santé longue & solide pour en Jouir. Quels appas pour des cœurs attachés aux biens de ce monde ! on s’empresse, on court pour parvenir à ce but, & comme on craint de n’y pas arriver assez lot, ou prend la première voie qui paraît y conduire plus promptement, sans vouloir se donner la peine de s’instruire suffisamment du vrai chemin par lequel on y arrive. On marche donc, on avance, on se croie au bout ; mais comme on a marché en aveugle, on y trouve un précipice, on y tombe. On croie alors cacher la honte de sa chute, en disant que ce prétendu but n’est qu’une ombre qu’on ne peut embrasser ; on traite ses guides de perfides ; on vient enfin à nier jusqu’à la possibilité même d’un effet, parce qu’on en ignore les causes. Quoi ! parce que les plus grands Naturalistes ont perdu leurs veilles & leurs travaux à vouloir découvrit quels procédés la Nature emploie pour former & organiser le fœtus dans le sein de sa mère, pour faire germer & croître une plante, pour former les métaux dans la terre, aurait-on bonne grâce à nier le fait ? regarderait-on comme sensé un homme dont l’ignorance serait le fondement de sa négative ? On ne daignerait même pas faire les frais de la moindre preuve pour l’en convaincre.
Mais des gens savants, des Artistes éclairés & habiles ont étudié toute leur vie, & ont travaillé sans cesse pour y parvenir, ils sont morts à la peine : qu’en conclure ? que la chose n’est pas réelle ? non. Depuis environ l’an 550 delà fon­dation de Rome, jusqu’à nos jours, les plus ha­biles gens avaient travaillé à imiter le fameux miroir ardent d’Archimède, avec lequel il brûla les vaisseaux des Romains dans le port de Syracuse, on n’avait pu réunir, on traitait le fait d’histoire inventée à plaisir, c’était une fable, & la fabrique même du miroir était impossible. M. de Buffon s’avise de prendre un chemin plus simple que ceux qui l’avaient précédé ; il en vient à bout, on est surpris, on avoue enfin que la chose est possible.
Concluons donc avec plus de raison, que ces savants, ces habiles Artistes faisaient trop de fond sur leurs prétendues connaissances. Au lieu de suivre les voies droites, simples & unies de la Nature, ils lui supposaient des subtilités qu’elle n’eut jamais. L’Art Hermétique est, disent les Philosophes, un mystère caché à ceux qui se fient trop en leur propre savoir : c’est un don de Dieu, qui jette un œil favorable & propice sur ceux qui sont humbles, qui le craignent, qui mettent route leur confiance en lui, & qui, comme Salomon, lui demandent avec instance & persévérance cette sagesse, qui tient à sa droite la santé (Proverb. 5. v. l6.), & les richesses à sa gauche, cette sagesse que les Philosophes préfèrent à tous les honneurs, à tous les royaumes du monde, parce qu’elle est l’arbre de vie à ceux qui la possèdent (Idib.v.18. ).
Tous les Philosophes Hermétiques disent que quoique le grand Œuvre soit une chose naturelle, & dans sa matière, & dans ses opérations, il s’y passe cependant des choses si surprenantes, qu’elles élèvent infiniment l’esprit de l’homme vers l’Auteur de son être, qu’elles manifestent sa sagesse & sa gloire, qu’elles sont beaucoup au-dessus de l’intelligence humaine, & que ceux-là seuls les comprennent, à qui Dieu daigne ouvrir les yeux. La preuve en est assez évidente par les bévues & le peu de réussite de tous ces Artistes fameux dans la Chymie vulgaire, qui, malgré route leur adresse dans la main-d’œuvre, malgré toutes leur prétendue science de la Nature, ont perdu leurs peines, leur argent, & souvent leur santé dans la recherche de ce trésor inestimable.
Combien de Beccher, de Homberg, de Boherrave, de Geofroy & tant d’autres savants Chimistes ont par leurs travaux infatigables forcé la Nature à leur découvrir quelques-uns de ses secrets ! Malgré toute leur attention à épier ses procédés, à analyser ses productions, pour la prendre sur le fait, ils ont presque toujours échoué, parce qu’ils étaient les tyrans de cette Nature, & non ses véritables imitateurs. Assez éclairés dans la Chymie vulgaire, & assez instruits de ses procédés, mais aveugles dans la Chymie Hermé­tique, & entraînés par l’usage, ils ont élevé des fourneaux sublimatoires (Novum lumen Chemicum. Tract. l.), calcinatoires, distillatoires ; ils ont employé une infinité de vases & de creusets inconnus à la simple Nature; ils ont appelé à leur secours le fratricide du feu na­turel, comment avec des procédés si violents auraient-ils réuni ? Ils sont absolument éloignés de ceux que suivent les Philosophes Hermétiques. Si nous en croyons le Président d’Espagnet (Arcan. Herm, Philosophia; opus. Canone 6. ), « les Chimistes vulgaires se sont accourûmes insensiblement à s’éloigner de la voie simple de la Nature, par leurs sublimations, leurs distillations, leurs solutions, leurs congélations, leurs coagulations, par leurs différentes extractions d’esprits & de teintures, & par quantité d’autres opérations plus subtiles qu’utiles. Ils sont tombés dans des erreurs, qui ont été une suite les unes des autres, ils sont devenus les bourreaux de cette Nature. Leur subtilité trop laborieuse, loin d’ouvrir leurs yeux à la lumière de la vérité, pour voir les voies de la Nature, y a été un obstacle, qui l’a empêchée de venir jusqu’à eux. Ils s’en sont éloignés de plus en plus. La seule espérance qui leur reste, est dans un guide fidèle, qui dissipe les ténèbres de leur esprit, & leur fasse voir le soleil dans toute sa pureté. »
« Avec un génie pénétrant, un esprit ferme & patients, un ardent désir de la Philosophie, une grande connaissance de la véritable Physique, un cœur pur, des mœurs intègres, un sincère amour de Dieu & du prochain, tout homme, quelque ignorant qu’il soit dans la pratique de la Chymie vulgaire, peut avec confiance entreprendre de devenir Philosophe imitateur de la Nature. »
« Si Hermès, le vrai père des Philosophes, dit le Cosmopolite (Nov. lum, Chem. Tract. I.), si le subtil Geber, le profond Raymond Lulle, & tant d’autres vrais & célèbres Chimistes revenaient sur la terre, nos Chimistes vulgaires non seulement ne voudraient pas les regarder comme leurs maîtres, mais ils croiraient leur faire beaucoup de grâces & d’honneur de les avouer pour leurs disciples. Il est vrai qu’ils ne sauraient pas faire toutes ces distillations, ces circulations, ces calcinations, ces sublimations, enfin toutes ces opérations innombrables que les Chimistes ont imaginées pour avoir mal entendu les livres des Philosophes. »
Tous les vrais Adeptes parlent sur le même ton, & s’ils disent vrai, sans prendre tant de peines, sans employer tant de vases, sans consumer tant de charbons, sans ruiner sa bourse & sa santé, on peur travailler de concert avec la Nature, qui, aidée, se prêtera aux désirs de l’Artiste, & lui ou­vrira libéralement ses trésors. Il apprendra d’elle, non pas à détruire les corps qu’elle produit, mais comment, avec quoi elle les compose, & en quoi ils se résolvent. Elle leur montrera cette matière, ce chaos que l’Etre suprême a développé, pour en former l’Univers, ils verront la Nature comme dans un miroir, dont la réflexion leur manifestera la sagesse infinie du Créateur qui la dirige & la conduis dans toutes ses opérations par une voie simple & unique, qui fait tout le mystère du grand œuvre.
Mais cette chose appelée pierre Philosophale, Médecine universelle, Médecine dorée, existe-t-elle autant en réalité qu’en spéculation ? Com­ment, depuis tant de siècles, un si grand nombre de personnes, que le Ciel semblait avoir favorisés d’une science & d’une sagesse supérieure à celles du reste des hommes, l’ont-ils cherchée en vain? Mais d’un autre côté tant d’Historiens dignes de foi, tant de savants hommes en ont attesté l’existence, & ont laissé par des écrits énigmatiques & allégoriques la manière de la faire, qu’il n’est guère possible d’en douter, quand on sait adap­ter ces écrits aux principes de la Nature.
Les Philosophes Hermétiques diffèrent absolument des Philosophes ou Physiciens ordinaires. Ces derniers n’ont point de système assuré. Ils en inventent tous les jours, & le dernier semble n’être imaginé que pour contredire & détruire ceux qui l’ont précédé. Enfin, si l’un s’élève & s’établit, ce n’est que sur les ruines de son prédécesseur, & il ne subsiste que jusqu’à ce qu’un nouveau vienne le culbuter, & se mettre à sa place.
Les Philosophes Hermétiques au contraire sont tous d’accord entre eux : pas un ne contredit les principes de l’autre. Celui qui écrivait il y a trente ans, parle comme celui qui vivait il y a deux mille ans. Ce qu’il y a même de singulier, c’est qu’ils ne se lassent point de répéter cet axiome que l’Eglise (Vincent de Lerin. Commonit.) adopte comme la marque la plus infaillible de la vérité dans ce qu’elle nous propose à croire : Quod unique, quod ab omnibus, & quod femper creditum eft, id firmiffimè credendum puta. Voyez, dirent-ils, lisez, médirez les choses qui ont été enseignées dans tous les temps, & par tous les Philosophes, la vérité est renfermée dans les endroits où ils sont tous d’accord.
Quelle apparence, en effet, que des gens qui ont vécu dans des siècles si éloignés, & dans des pays si différents pour la langue, & j’ose le dire, pour la façon de penser, s’accordent cepen­dant tous dans un même point ? Quoi ! des Egyptiens, des Arabes, des Chinois, des Grecs, des Juifs, des Italiens, des Allemands, des Améri­cains, des Français, des Anglais, &c. seraient-ils donc convenus sans se connaître, sans s’enten­dre, sans s’être communiqué particulièrement leurs idées, de parler & d’écrire tous conformé­ment d’une chimère, d’un être de raison ? Sans faire entrer en ligne de compte tous les ouvrages composés sur cette matière, que l’histoire nous apprend avoir été brûlés par les ordres de Dioclétien, qui croyait ôter par-là aux Egyptiens les moyens de faire de l’or, & les priver de ce secours pour soutenir la guerre contre lui, il nous en reste encore un assez grand nombre dans toutes les langues du monde, pour justifier auprès des incrédules ce que je viens d’avancer. La feule Bibliothèque du Roi conserve un nombre prodi­gieux de manuscrits anciens & modernes, composés fur cette science dans différences langues. Michel Maïer disait à ce sujet, dans une Epigramme que l’on trouve au commencement de son Traité, qui a pour titre Symbola auree, mensae :
Unum opus en prifcis haec ufque ad tempora feclis
Confina diffusis gentibus ora dedit.
Qu’on lise Hermès Egyptien, Abraham, Isaac de Moiros Juifs, cités par Avicenne ; Démocrite, Orphée, Aristote (De Secretis Secretorum.), Olympiodore, Héliodore (De rébus Chemicis ad Theodofium Imperatorem), Etienne (De magna & sacrâ scientîâ, ad Heraclium Caesarem), & tant d’autres Grecs ; Synesius, Théophile, Abugazal, &c. Africains ; Avicenne (De re rectâ. Tractatus ad Assem Philosophum anima artîs.), Rhasis, Geber, Artéphius, Alphidius, Hamuel surnommé Senior, Rosinus, Arabes ; Albert le Grand (De Alchymiâ. Concordantia Philofophorum. De compositione compositi, &c.) Bernard Trévisan, Basile Valentin, Allemands ; Alain (Liber Chemiae.) Isaac père & fils, Pontanus, Flamands ou Hollandais ; Arnaud de Villeneuve, Nicolas Flamel, Denis Zachaire, Christophe Parisien, Gui de Montanor, d’Espagnet François ; Morien, Pierre Bon de Ferrare, l’Auteur anonyme du mariage du Soleil & de la Lune, Italiens. Raymond Lulle Majorquain ; Roger Bacon (Speculum Achemiae) Hortulain, Jean Dastin, Richard, George Riplée, Thomas Nor­ton, Philalèthe & le Cosmopolite Anglais ou Ecossais, enfin beaucoup d’Auteurs anonymes (Turba Philofophorum, feu Codex veritdtis. Clangor Buccinae. Scala Philofophorum. Aurora confurgens. Ludus puerorum. Thefaurus Philosophiae, &c.) de tous les pays & de divers siècles : on n’en trouvera pas un seul qui ait des principes différents des autres. Cette conformité d’idées & de principes ne forme-t-elle pas au moins une présomption, que ce qu’ils enseignent à quelque chose de réel &de vrai ? Si toutes les Fables an­ciennes d’Homère, d’Orphée & des Egyptiens ne sont que des allégories de cet Art, comme je prétends le prouver dans cet ouvrage, par le fond des Fables mêmes, par leur origine, & par la conformité qu’elles ont avec les allégories de presque tous les Philosophes, pourra-t-on se persuader que l’objet de cette science n’est qu’un vain fantôme, qui n’eut jamais d’existence parmi les productions réelles de la Nature ?
Mais si cette science a un objet réel, si cet Art a existé, & qu’il faille en croire les Philosophes sur les choses admirables qu’ils en rapportent, pourquoi est-elle si méprisée, pourquoi si décriée, pourquoi si discréditée ? Le voici : la pratique de cet Art n’a jamais été enseignée clairement. Tous les Auteurs tant anciens que modernes qui en traitent, ne l’ont fait que sous le voile des Hié­roglyphes, des Enigmes, des Allégories & des Fables, de manière que ceux qui ont voulu les étudier, ont communément pris le change. De la s’est formée une espèce de Secte, qui pour avoir mal entendu & mal expliqué les écrits des Philosophes, ont introduit une nouvelle Chymie, & se sont imaginé qu’il n’y en avait point de réelle que la leur. Nombre de gens se sont rendus célèbres dans cette dernière. Les uns, très habiles suivant leurs principes ; les autres, extrêmement adroits dans la pratique, & particulièrement pour le tour de main requis pour la réussite de cer­taines opérations, se sont réunis contre la Chymie Hermétique, ils ont écrit d’une manière plus intelligible, & plus à la portée de tout le monde. Ils ont prouvé leurs sentiments par des arguments spécieux, à force de faire souvent au hasard des mélanges de différentes matières, & de les tra­vailler à l’aveugle, sans savoir ce qu’il en résulterait, ils ont vu naître des monstres, & le même hasard qui les avait produits, a servi de base & de fondement aux principes établis en conséquence. Les mêmes mélanges réitérés, le même travail répété, ont donné précisément le même résultat ; mais ils n’ont pas fait attention que ce résultat était monstrueux, & qu’il n’était analo­gue qu’aux productions monstrueuses de la Na­ture, & non à celles qui résultent de ces pro­cédés, quand elle se renferme dans les espèces particulières à chaque règne. Toutes les fois qu’un âne couvre une jument, il en vient un animal monstrueux appelé mulet ; parce que la nature agit toujours de la même manière quand on lui fournit les mêmes matières, & qu’on la met dans le même cas d’agir, soit pour produire des monstres, soit pour former des êtres conformes à leur espèce particulière. Si les mulets nous venaient de quelque île fort éloignée, où l’on garderait un secret inviolable sur leur naissance, nous se­rions certainement tentés de croire que ces animaux forment une espèce particulière, qui se multiplie à la manière des autres. Nous ne soupçonnerions pas que ce fussent des monstres. Nous sommes affectés de la même façon par les résultats de presque toutes les opérations Chimiques, & nous prenons des productions monstrueuses pour des productions faites dans l’ordre commun de la Nature. De forte qu’on pourrait dire de cette espèce de Chymie, que c’est la science de détruire méthodiquement les mixtes produits par la Nature, pour en former des monstres, qui ont à peu près la même apparence & les mêmes propriétés que les mixtes naturels. En fallait-il davantage pour se concilier les suffrages du Public ? Prévenu & frappé par ces apparences trompeuses ; inondé par des écrits subtilement raisonnés, fatigué par les invectives multipliées contre la Chymie Hermétique, inconnue même à ses agresseurs, est-il surprenant qu’il la méprise ?
Basile Valentin (Azot des Philosophes.) compare les Chimistes aux Pharisiens, qui étaient en honneur & en au­torité parmi le Public, à cause de leur extérieur affecté de religion & de piété. C’étaient, dit-il, des hypocrites attachés uniquement à la terre & à leurs intérêts ; mais qui abusaient de la con­fiance & de la crédulité du peuple, qui se laisse ordinairement prendre aux apparences, parce qu’il n’a pas la vue assez perçante pour pénétrée jusqu’au-dessous de l’écorce. Qu’on ne s’imagine cependant pas que par un tel discours je prétende nuire à la Chymie de nos jours. On a trouvé le moyen de la rendre utile, & l’on ne peut trop louer ceux qui en font une étude assidue. Les expériences curieuses que la plupart des Chimistes ont faites, ne peuvent que satisfaire le Public. La Médecine en retire tant d’avantages, que ce serait être ennemi du bien des Peuples, que de la décrier. Elle n’a pas peu contribué aussi aux commodités de la vie, par les mé­thodes qu’elle a donné pour perfectionner la Métallurgie, & quelques autres Arts. La por­celaine, la faïence, sont des fruits de la Chymie. Elle fournit des matières pour les teintures, pour les verreries, &c. Mais parce que son utilité est reconnue, doit-on en conclure qu’elle est la seule & vraie Chymie ? & faut-il pour cela rejeter & mépriser la Chymie Hermétique ? Il est vrai qu’une infinité de gens se donnent pour Philosophes, & abusent de la crédulité des sots. Mais est-ce la faute de la science Hermétique? Les Philosophes ne crient-ils pas assez haut pour se faire entendre à tout le monde, & pour le prévenir contre les pièges que lui tendent ces sortes le gens ? Il n’en est pas un qui ne dise que la matière de cet Art est de vil prix, & même qu’elle ne coure rien, que le feu, pour la travailler, ne coûte pas davantage, qu’il ne faut qu’un vase, ou tout au plus deux pour tout le cours de l’œuvre. Ecoutons d’Espagnet (Can. 35.) : « L’œuvre Philosophique demande plus de temps & de travail que de dépenses, car il en reste très peu à faire à celui qui a la matière requise. Ceux qui demandent de grandes sommes pour le menée à sa fin ont plus de confiance dans les richesses d’autrui, que dans la science de cet Art. Que celui qui en est amateur se tienne donc sur ses gardes, & qu’il ne donne pas dans les pièges que lui tendent des fripons, qui en veulent à sa bourse dans le temps même qu’ils leur promettent des monts d’or. Ils demandent le Soleil pour se conduire dans les opérations de cet Art, parce qu’ils n’y voient goutte. » Il ne faut donc pas s’en prendre à la Chymie Hermétique, qui n’en est pas plus responsable que la probité l’est de la friponnerie. Un ruisseau peut être sale, puant par les immondices qu’il ramasse dans son cours, sans que sa source en soit moins pure, moins belle & moins limpide.
Ce qui décrie encore la science Hermétique, sont ces bâtards de la Chymie vulgaire, connus ordinairement sous les noms de souffleurs, & de chercheurs de pierre Philosophale. Ce sont des idolâtres de la Philosophie Hermétique. Toutes les recettes qu’on leur propose, sont pour eux autant de Dieu, devant lequel ils fléchissent le genou. Il se trouve un bon nombre de cette sorte de gens très bien instruits des opérations ce la Chymie vulgaire ; ils ont même beaucoup d’adresse dans le tour de main, mais ils ne sont pas instruits des principes de la Philosophie Hermé­tique, & ne réussiront jamais. D’autres igno­rent jusqu’aux principes mêmes de la Chymie vulgaire, & ce sont proprement les souffleurs. C’est à eux qu’il faut appliquer le proverbe : Alchemia est ars, cujus initium laborare, médium mentiri, finis mendicare.
La plupart des habiles Artistes dans la Chymie vulgaire ne nient pas la possibilité de la pierre Philosophale ; le résultat d’un grand nombre de leurs opérations la leur prouve assez clairement. Mais ils sont esclaves du respect humain ; ils n’oseraient avouer publiquement qu’ils la reconnaissent possible, parce qu’ils craignent de s’exposer à la risée des ignorants, & des prétendus savants que le préjugé aveugle. En public ils en badinent comme bien d’autres, ou en parlent au moins avec tant d’indifférence, qu’on ne les soupçonne même pas de la regarder comme réelle, pendant que les essais qu’ils font dans le particulier tendent presque tous à sa recherche. Après avoir passé bien des années au milieu de leurs fourneaux sans avoir réussi, leur vanité s’en trou­ve offensée, ils ont honte d’avoir échoué, & cherchent ensuite à s’en dédommager, ou à s’en venger en disant du mal de la chose donc ils n’ont pu obtenir la possession. C’étaient des gens qui n’avaient pas leurs semblables pour la théorie & la pratique de la Chymie, ils s’étaient don­nés pour tels ; ils l’avaient prouvé tant bien que mal ; mais à force de le dire ou de le faire dire par d’autres, on le croyait comme eux. Que sur la fin de leurs jours ils s’avisent de décrier la Philosophie Hermétique, on n’examinera pas s’ils le font à tort ; la réputation qu’ils s’étaient acquise, répond qu’ils ont droit de le faire, & l’on n’oserait ne pas leur applaudir. Oui, dit-on, si la chose avait été faisable, elle n’eût pu échapper à la science, à la pénétration & à l’adresse d’un aussi habile homme. Ces impressions se fortifient insensiblement ; un second, ne s’y étant pas mieux pris que le premier, a été frustré de son espérance & de ses peines ; il joint sa voix a celle des autres, il crie même plus fort s’il le peut ; il se fait entendre, la prévention se nourri, on vient enfin au point de dire avec eux que c’est une chimère, & qui plus est, on se le persuade sans connaissance de cause. Ceux à qui l’expérience a prouvé le contraire, contants de leur sort, n’envient point les applaudissements du peuple ignorant. Sapientiam & doctrinam ftulti (Prov. c. I.) defcipiunt. Quelques-uns ont écrit pour le désabuser (Beccher, Stalh, M. Potth, M. de Justi dans ses Mémoires, en prennent ouvertement la défense.) , il n’a pas voulu secouer le joug du préjugé, ils en sont restés là.
Mais enfin en quoi consiste donc la différence qui se trouve entre la Chymie vulgaire & la Chymie Hermétique ? La voici. La première est proprement l’art de détruire les composés que la Nature a faits ; & la seconde est l’art de travailler avec la Nature pour les perfectionner. La pre­mière met en usage le tyran furieux & destructeur de la Nature : la seconde emploie son agent doux & bénin. La Philosophie Hermétique prend pour matière de son travail les principes secondaires ou principiés des choses, pour les conduire à la perfection donc ils font susceptibles, par des voies & des procédés conformes à ceux de la Nature. La Chymie vulgaire prend les mixtes parvenus déjà au point de leur perfection, les décompose, & les détruit. Ceux qui seront cu­rieux de voir un parallèle plus étendu de ces deux Arts, peuvent avoir recours à l’ouvrage qu’un des grands antagonistes de la Philosophie Her­métique, le P. Kircker Jésuite, a composé, & que Mangée a inféré dans le premier volume de sa Bibliothèque de la Chymie curieuse. Les Philosophes Hermétiques ne manquent guère de mar­quer dans leurs ouvrages la différence de ces deux Arts. Mais la marque la plus infaillible à la­quelle on puisse distinguer un Adepte d’avec un Chymiste, est que l’Adepte, suivant ce qu’en disent tous les Philosophes, ne prend qu’une seule chose, ou tout au plus deux de même na­ture, un seul vase ou deux au plus, & un seul fourneau pour conduire l’œuvre à sa perfection ; le Chymiste au contraire travaille sur toutes sortes de matières indifféremment. C’est aussi la pierre de touche à laquelle il faut éprouver ces fripons de souffleurs, qui en veulent à votre bourse, qui demandent de l’or pour en faire, & qui, au lieu d’une transmutation qu’ils vous promettent, ne font en effet qu’une translation de l’or de votre bourse dans la leur. Cette remarque ne regarde pas moins les tourneurs de bonne foi & de pro-bité, qui croient être dans la bonne voie, & qui trompent les autres en se trompant eux-mê­mes. Si cet ouvrage fait assez d’impression sur les esprits pour persuader la possibilité & la réalité de la Philosophie Hermétique, Dieu veuille qu’il serve aussi à désabuser ceux qui ont la manie de dépenser leurs biens à souffler du charbon, à élever des fourneaux, à calciner, à sublimer, à distiller, enfin à réduire tout à rien, c’est-à-dire, en cendre & en fumée. Les Adeptes ne courent point après l’or & l’argent. Morien en donna une grande preuve au Roi Calid. Celui-ci ayant trouvé beaucoup de livres qui traitaient de la science Hermétique, & ne pouvant y rien com­prendre, fit publier qu’il donnerait une grande récompense à celui qui les lui expliquerait (Entretien du Roi Calid.). L’appas de cette récompense y conduisit un grand nombre de souffleurs. Morien, l’Hermite Mo­rien sortit alors de son désert, attiré non par la récompense promise, mais par le désir de manifester la puissance de Dieu, & combien il est admirable dans ses œuvres. Il fut trouver Calid, & demanda, comme les autres, un lieu propre à travailler, afin de prouver par ses œuvres la vérité de ses paroles. Morien ayant fini ses opérations, laissa la pierre parfaite dans un vase, autour duquel il écrivit : Ceux qui ont eux-mêmes tous ce qu’il leur faut, n’ont besoin ni de récompense, ni du secours d’autrui». Il délogea ensuite sans dire mot, & retourna dans sa solitude. Calid ayant trouvé ce vase, & lu l’écriture, sentit bien ce qu’elle signifiait ; & après avoir fait l’épreuve de la poudre, il chassa ou fit mourir tous ceux qui avaient voulu le tromper.
Les Philosophes disent donc avec raison que cette pierre est comme le centre & la source des vertus, puisque ceux qui la possèdent, méprisent toutes les vanités du monde, la sotte gloire, l’ambition, qu’ils ne font pas plus de cas de l’or, que du sable & de la vile poussière (Sapient. cap. 7.), & l’argent n’est pour eux que de la boue. La sagesse seule fait impression sur eux, l’envie, la jalousie & les autres passions tumultueuses n’excitent point de tempêtes dans leur cœur ; ils n’ont d’autres désirs que de vivre selon Dieu, d’autre satisfaction que de se rendre en secret utile au prochain, & de pénétrer de plus en plus dans intérieur des secrets de la Nature.
La Philosophie Hermétique est donc l’école de la piété & de la Religion. Ceux à qui Dieu en accorde la connaissance étaient déjà pieux, ou ils le deviennent (Flamel Hiéroglyp.). Tous les Philosophes com­mencent leurs ouvrages par exiger de ceux qui les lisent, avec dessein de pénétrer dans le sanctuaire de la Nature, un cœur droit & un esprit craignant Dieu : Jnitium fapientiae, timor Dominii ; un caractère compatissant, pour secourir les pauvres, une humilité profonde, & un dessein for­mel de tout faire pour la gloire du Créateur, qui cache ses secrets aux superbes & aux faux sages du monde, pour les manifester aux humbles (Matth. c. II.).
Lorsque notre premier Père entendit prononcer l’arrêt de mort pour punition de sa désobéissance, il entendit en même temps la promesse d’un Li­bérateur qui devait sauver tout le genre humain. Dieu tout miséricordieux ne voulut pas permettre que le plus bel ouvrage de ses mains pérît absolument. La même sagesse qui avait disposé avec tant de bonté le remède pour l’âme, n’oublia pas sans doute d’en indiquer un contre les maux qui devaient affliger le corps. Mais comme tous les hommes ne mettent pas à profit les moyens de salut que Jésus-Christ nous a mérités, & que Dieu offre à tous, de même tous les hommes ne savent pas user du remède propre à guérir les maux du corps, quoique la matière dont ce re­mède se fait soit vile, commune, & présente à leurs yeux, qu’ils la voient sans la connaître, & qu’ils l’emploient à d’autres usages qu’à, celui qui lui est véritablement propre (Basile Valentin, Azot des Phil. & le Cosmopol.). C’est ce qui prouve bien que c’est un don de Dieu, qui en favorise celui qu’il lui plaît. Vir insipiens non cognoscet, & sulltus non intelliget haec. Quoique Salomon, le plus sage des hommes, nous dise : Altissimus de terra, creavit medicinam : & posuit Deus super terram medicamentum quod sapiens non despiciet (Eccl.c. 38.).
C’est cette matière que Dieu employa pour manifester sa sagesse dans la composition de tous les êtres. Il l’anima du souffle de cet esprit, qui était porté sur les eaux, avant que sa toute-puissance eût débrouillé le chaos de l’Univers. C’est elle qui est susceptible de toutes les formes, & qui n’en a proprement aucune qui lui soit propre (Bas. Val.). Aussi la plupart des Philosophes comparent-ils la confection de leur pierre à la création de l’Univers. Il y avait, dit l’Ecriture (Genes. c. I.) , un chaos confus, duquel aucun individu n’était distingué. Le globe terrestre était submergé dans les eaux : elles semblaient contenir le Ciel, & renfermer dans leur sein les semences de toutes choses. Il n’y avait point de lumière, tout était dans les ténèbres. La lumière parut, elle les dissipa, & les astres furent placés au firmament. L’œuvre Philosophique est précisément la même chose. D’abord c’est un chaos ténébreux, tout y paraît tellement confus, qu’on ne peut rien distinguer séparément des principes qui composent la ma­tière de la pierre. Le Ciel des Philosophes est plongé dans les eaux, les ténèbres en couvrent toute la surface ; la lumière enfin s’en sépare ; la Lune & le Soleil se manifestent, & viennent répandre la joie dans le cœur de l’Artiste, & la vie dans la matière.
Ce chaos consiste dans le sec & l’humide. Le sec constitue la terre, l’humide est l’eau. Les ténèbres sont la couleur noire, que les Philosophes appellent le noir plus noir que le noir même, nigrum nigro nigrius. C’est la nuit Philosophique, & les ténèbres palpables. La lumière dans la création du monde parut avant le Soleil, c’est cette blancheur tant désirée de la matière qui succède à la couleur noire. Le Soleil paraît enfin de couleur orangée, dont le rouge se fortifie peu à peu jusqu’à la couleur rouge de pourpre : ce qui fait le complément du premier œuvre.
Le Créateur voulut ensuite mettre le sceau à son ouvrage : il forma l’homme en le pétrissant de terre, & d’une terre qui paraissait inanimée : il lui inspira un souffle de vie. Ce que Dieu fit alors à l’égard de l’homme, l’agent de la Nature, que quelques-uns nomment son Archée (Paracelse, Van Helmont.), le fait sur la terre ou limon Philosophique. Il la tra­vaille par son action intérieure, & l’anime de manière qu’elle commence à vivre, & à se for­tifier de jour en jour jusqu’à sa perfection. Morien (Loc. cit.) ayant remarqué cette analogie, a expli­qué la confection du Magistère par une comparaison prise de la création & de la génération de l’homme. Quelques-uns uns même prétendent qu’Hermès parle de la résurrection des corps, dans son Pymandre, parce qu’il la conclut de ce qu’il voyait se passer dans le progrès du Magistère. La même matière qui avait été poussée à un cer­tain degré de perfection dans le premier œuvre, se dissout & se putréfie ; ce qu’on peut très bien appeler une mort, puisque notre Sauveur l’a dit du grain que l’on sème (Loc. cit. (c) Flamel.) nisi granum frumenti cadens in terram mortuum suerit, ipsum solum manet. Dans cette putréfaction, la matière Philosophique devient une terre noire volatile, plus subtile qu’aucune autre poudre. Les Adeptes l’appellent même cadavre lorsqu’elle est dans cet état, & disent qu’elle en a l’odeur : non, dit Flamel (Flamel.), que l’Artiste sente une odeur puante, puisqu’elle se fait dans un vase scellé ; mais il juge qu’elle est telle par l’analogie de sa corrup­tion avec celle des corps morts. Cette poudre ou cendre, que Morien dit qu’il ne faut pas mépriser, parce qu’elle doit revivre, & qu’elle ren­ferme le diadème du Roi Philosophe, reprend en effet vigueur peu à peu, à mesure qu’elle sort des bras de la mort, c’est-à-dire, de la noirceur : elle se revivifie & prend un éclat plus brillant, un état d’incorruptibilité bien plus noble que celui qu’elle avait avant sa putréfaction.
Lorsque les Egyptiens observèrent cette métamorphose, ils en prirent occasion de feindre l’existence du Phénix, qu’ils disaient être un oiseau de couleur de pourpre, qui renaissait de ses propres cendres. Mais cet oiseau absolument fabuleux, n’est autre que la pierre des Philosophes parvenue à la couleur de pourpre après sa putréfaction.
Plusieurs anciens Philosophes éclairés par ces effets admirables de la Nature en ont conclu avec Hermès, dont ils avaient puisé les principes en Egypte, qu’il y avait une nouvelle vie après que la mort nous avait ravi celle-ci. C’est ce qu’ils ont voulu prouver i quand ils ont parlé de la résurrection des plantes de leurs propres cen­dres en d’autres plantes de même espèce. On n’en trouve point qui ait parlé de Dieu & de l’homme avec tant d’élévation & de noblesse. Il explique même comment on peut dire des hommes qu’ils sont des Dieux, Ego dixi Dii estis, & filii excelsi omnes, dit David, & Hermès (Pymand. c. II.) : « L’âme, o Tat, est de la propre essence de Dieu. Car Dieu a une essence, & telle qu’elle puisse être, lui seul se connaît. L’âme n’est pas une partie séparée de cette essence divine, comme on sépare une partie d’un tout matériel, mais elle en est comme une effusion ; à peu près comme la clarté du Soleil n’est pas le Soleil même. Cette âme est un Dieu dans les hommes, c’est pourquoi l’on dit des hommes qu’ils sont des Dieux, parce que ce qui constitue proprement l’humanité confine avec la Divinité. »
Quelles doivent donc être les connaissances de l’homme ? est-il surprenant qu’éclairé par le Père des lumières, il pénètre jusque dans les replis les plus sombres & les plus cachés de la Nature ? qu’il en connaisse les propriétés, & qu’il sache les mettre en usage ? Mais Dieu est maître de distribuer ses dons comme il lui plaît. S’il a été assez bon pour établir un remède contre les maladies qui affligent l’humanité, il n’a pas jugé à propos de le faire connaître à tout le monde. Morien dit en conséquence (Entret, de Calid. & de Morien.), « que le Magistère n’est autre que le secret des secrets du Dieu très-haut, grand, sage & créateur de tout ce qui existe, & que lui-même a révélé ce secret à ses saints Prophètes, dont il a placé les âmes dans son saint Paradis. »
Si ce secret est un don de Dieu, dira quelqu’un, il doit sans doute être mis dans la classe des talents que Dieu confie, & que l’on ne doit pas enfouir. Si les Philosophes sont des gens si pieux, si charitables, pourquoi voit-on si peu de bonnes œuvres de leur part ? Un seul Nicolas Flamel en France a bâti & doté des Eglises & des Hôpitaux. Ces monuments subsistent encore aujourd’hui au milieu & à la vue de tout Paris. S’il y a d’autres Philosophes, pourquoi ne suivent-ils pas un si bon exemple ? pourquoi ne guérissent-ils pas les malades ? pourquoi ne relèvent-ils pas des familles d’honnêtes gens que la misère accable ? Je réponds à cela, qu’on ne sait pas tout le bien qui se fait en secret. On ne doit pas le faire en le publiant à son de trompe, la main gauche, selon le précepte de Jésus-Christ notre Sauveur, ne doit pas savoir le bien que la droite fait. On a même ignoré jusqu'après la mort de Flamel qu’il était l’auteur unique de ces bonnes œuvres. Les figures hiéroglyphes qu’il fit placer dans les Charniers des Saints Innocents, ne présentaient rien que de pieux & de conforme à la Religion. Il vivait lui-même dans l’humi­lité, sans faste, & sans donner le moindre soupçon du secret dont il était possesseur. D’ail­leurs il pouvait avoir dans ce temps là des facilités que l’on n’a pas eues depuis longtemps pour faire ces bonnes œuvres.
Les Philosophes ne sont pas si communs que les Médecins. Ils sont en très petit nombre. Ils possèdent le secret pour guérir toutes les mala­dies, ils ne manquent pas de bonne volonté pour faire du bien à tout le monde ; mais ce monde est si pervers, qu’il est dangereux pour eux de le faire. Ils ne le peuvent sans courir risque de leur vie. Guériront-ils quelqu’un comme par mira­cle ? on entendra s’élever un murmure parmi les Médecins & le Peuple, & ceux mêmes qui doutaient le plus de l’existence du remède Philosophique le soupçonneront alors existant. On suivra cet homme, on observera ses démarches, le bruit s’en répandra ; des avares, des ambitieux le poursuivront pour avoir son secret. Que pour­ra-t-il donc espérer, que des persécutions, ou l’exil volontaire de sa patrie ?
Les exemples du Cosmopolite & de Philalèthe en sont une preuve bien convaincante. « Nous sommes, dit ce dernier (Introit. Apert, c. 13.) comme enveloppés dans la malédiction & les opprobres : nous ne pouvons jouir tranquillement de la société de nos amis ; quiconque nous découvrira pour ce que nous sommes, voudra ou extorquer notre secret, ou machiner notre perte, si nous le lui refusons. Le monde est si méchant & si pervers aujourd’hui, l’intérêt & l’ambition dominent tellement les hommes, que toutes leurs actions n’ont d’autre but. Voulons-nous, comme les Apôtres, opérer des œuvres de miséricorde ? on nous rend le mal pour le bien. J’en ai fait l’épreuve depuis peu dans quelques lieux éloignés. J’ai guéri comme par miracle quelques moribonds abandonnes des Médecins, & pour éviter la persécution, je me suis vu obligé plus d’une fois en pareil cas de changer de nom, d’habit, de me faire raser les cheveux & la barbe, & de m’enfuir à la faveur de la nuit ». A quels dangers encore plus pressants ne s’exposerait pas un Philosophe qui ferait la transmutation ? quoique son dessein ne fût que d’en faire usage pour une vie fort simple, & pour en faire-part à ceux qui sont dans le besoin. Cet or plus fin, & plus beau que l’or vulgaire, suivant ce qu’ils en disent, sera bientôt reconnu. Sur cet indice seul on soupçonnera le porteur, & peut-être de faire la fausse monnaie. Quelles affreuses conséquences n’aurait pas à craindre pour lui un Philosophe chargé d’un tel soupçon ?
Je fais qu’un bon nombre de Médecins n’exer­cent pas leur profession, tant par des vues d’in­térêt, que par envie de rendre service au Public, mais tous ne sont pas dans ce cas là. Les uns se réjouiront de voir faire du bien à leur pro­chain, d’autres seront mortifiés de ce qu’on les prive de l’occasion de grossir leurs revenus. La jalousie ne manquerait pas de s’emparer de leur cœur, & la vengeance tarderait-elle à faire sertir ses effets ? La science Hermétique ne s’apprend pas dans les écoles de Médecine, quoiqu’on ne puisse guère douter qu’Hippocrate ne l’ait sue, lorsqu’on pèse bien les expressions éparses dans ses ouvrages, & l’éloge qu’il fit de Démocrite aux Abdéritains, qui regardaient ce Philosophe comme devenu insensé, parce qu’au retour d’Egypte, il leur distribua presque tous les biens de patrimoine qui lui restaient, afin de vivre en Philosophe dans une petite maison de campagne éloignée du tumulte. Cette preuve serait cepen­dant bien insuffisante pour l’antiquité de la science Hermétique, mais il y en a tant d’autres, qu’il faut n’avoir pas lu les Auteurs anciens pour la nier. Que veut dire (Olymp. 6.) Pindare, lorsqu’il débite que le plus grand des Dieux fit tomber dans la ville de Rhode une neige d’or, faite par l’art de Vulcain ? Zosime Panopolite, Eusebe, & Synesius nous apprennent que cette science fut longtemps cultivée à Memphis en Egypte. Les uns & les autres citent les ouvrages d’Hermès. Plutarque (Théolog. Phyfico Graecor.) dit que l’ancienne Théologie des Grecs & des Barbares n’était qu’un discours de Physique caché sous le voile des Fables. Il essaye même de l’expliquer, en disant que par Latone ils entendaient, la nuit ; par Junon, la terre ; par Apollon, le soleil ; & par Jupiter, la chaleur. Il ajoute peu après que les Egyptiens disaient qu’Osiris était le Soleil, Isis la Lune, Jupiter l’esprit universel répandu dans toute la Nature, & Vulcain le feu, &c. Manéthon s’étend beaucoup là-dessus.
Origène (L. I. contre Celse) dit que les Egyptiens amusaient le peuple par des fables, & qu’ils cachaient leur Philosophie sous le voile des noms des Dieux du pays. Coringius, malgré tout ce qu’il a écrit contre la Philosophie Hermétique, s’est vu contraint par des preuves solides d’avouer que les Prêtres d’Egypte exerçaient l’art de faire de l’or, & que la Chymie y a pris naissance. Saint Clément d’Alexandrie fait dans ses Stromates un grand éloge de six ouvrages d’Hermès sur la Mé­decine. Diodore de Sicile parle allez au long (Antiq. 1. 4. c. 2.) d’un secret qu’avaient les Rois d’Egypte pour tirer de l’or d’un marbre blanc qui se trouvait sur les frontières de leur Empire. Strabon (Geogr. 1. 17.) fait aussi mention d’une pierre noire dont on faisait beaucoup de mortiers à Memphis. On verra dans la suite de cet ouvrage, que cette pierre noire, ce marbre blanc & cet or n’étaient qu’allégoriques, pour signifier la pierre des Philosophes parvenue à la couleur noire, que les mêmes Philosophes ont appelé mortier, parce que la matière se broie & se dissout. Le marbre blanc était cette même matière parvenue à la blancheur, appelée marbre, à cause de sa fixité. L’or était l’or Philosophique qui se tire & naît de cette blancheur, ou la pierre fixée au rouge : on trouvera ces explications plus détaillées dans le cours de cet ouvrage.
Philon Juif (Lib. I. de vitâ Mesis) rapporte que Moïse avait appris en Egypte l’Arithmétique, la Géométrie, la Musique, & la Philosophie symbolique, qui ne s’y écrivait jamais que par des caractères sacrés, l’Astronomie & les Mathématiques. S. Clément d’Alexandrie s’exprime dans les mêmes termes que Philon, mais il ajoute la Médecine & la connaissance des Hiéroglyphes, que les Prêtres n’enseignaient qu’aux enfants des Rois du pays & aux leurs propres.
Hermès fut le premier qui enseigna toutes ces sciences aux Egyptiens, suivant Diodore de Si­cile (Lib. 2. c. I.), & Strabon (Lib. 17.). Le P. Kircker, quoique fort déchaîné contre la Philosophie Hermétique, a prouvé lui-même (Oedyp. -Aegypt, T. 2.p.2.) qu’elle était exercée en Egypte. On peut voir aussi Diodore (Antiq. i. c. 11. ) & Julius Matern. Firmicus (lib. 3.0. i. de Petosiri & Nicepso.) S. Clément d’Alexan­drie (Strom. 1. 6.) s’exprime ainsi à ce sujet : Nous avons encore quarante-deux ouvrages d’Hermès très utiles & très nécessaires. Trente-six de ces livres renferment toute la Philosophie des Egyptiens ; & les autres six regardent la Médecine en particulier : l’on traite de la construction du corps ou anatomie ; le second, des maladies ; le troisième, des instruments ; le quatrième, des médicaments ; le cinquième, des yeux ; & le sixième, des maladies des femmes.
Homère avait voyagé en Egypte (Diod. de Sic. 1. I. c. 2.), & y avait appris bien des choses dans la fréquentation qu’il eut avec les Prêtres de ce pays-là. On peut même dire que c’est là qu’il puisa ses Fables. Il en donne de grandes preuves dans plusieurs endroits de ses ouvrages, & en particulier dans son Hymne III. à Mercure, où il dit que ce Dieu fut le premier qui inventa l’art du feu. Homère parle même d’Hermès comme de l’au­teur des richesses, & le nomme en conséquence. C’est pour cela qu’il dit ( ibid. v. 249. ) qu’Apollon ayant été trouver Hermès pour avoir des nouvelles des bœufs qu’on lui avait volés, il le vit couché dans son antre obscur, plein de nectar, d’ambroisie, d’or & d’argent, & d’habits de Nymphes rouges & blancs. Ce nectar, cette ambroisie & ces habits de Nym­phes seront expliqués dans le cours de cet ou­vrage.
Esdras, dans ton quatrième liv. chap. 8. s’ex­prime ainsi. Quomodo interrogabis terram, & dicet tibit quoniam dabit terram multam magis, unde fiat fictile, parvum autem pulverem unde aurum sit.
Etienne de Byzance était si persuadé qu’Hermès était l’auteur de la Chymie, & en avait une si grande idée, qu’il n’a pas fait difficulté de nommer l’Egypte même ErreocumioV, &Vossius (de Idol. ) a cru devoir corriger ce mot par celui ErmochmioV. C’est sans doute ce qui avait aussi engagé Homère à feindre que ces plantes Moly & Nepenthes, qui avaient tant de vertus, venaient d’Egypte. Pline (Lib.13.c : 2.) en rend témoignage en ces termes ; Homerus quidem primus dodrinarum & antiquitatis parens, multus alias in admiratione Circes, gloriam herbarum AEgypto tribuit. Herbas certè AEgyptias à Régis uxore traditas suae Helenae plurimas narrat, ac nobile illud nepenthes, oblivionem tristitiae veniamque afferens, ab Helenâ nuque omnibus mortalibus propinandum.
Il est donc hors de doute que l’Art Chymique d’Hermès était connu chez les Egyptiens. Il n’est guère moins constant que les Grecs qui voyagèrent en Egypte, l’y apprirent, au moins quelques-uns, & que l’ayant appris sous des hié­roglyphes, ils l’enseignèrent ensuite sous le voile des fables. Eustathius nous le donne assez à en­tendre dans son commentaire sur l’Iliade.
L’idée de faire de l’or par le secours de l’Art n’est donc pas nouvelle ; outre les preuves que nous en avons données, Pline (Lib. 33. c. 4) le confirme par ce qu’il rapporte de Caligula. « L’amour & l’avidité que Caïus Caligula avait pour l’or, engagèrent ce Prince à travailler pour s’en procurer. il fit donc cuire, dit cet Auteur, une grande quantité d’orpiment, & réussit en effet à faire de l’or excellent, mais en petite quantité, qu’il y avait beaucoup plus de perte que de profit ». Caligula savait donc qu’on pouvait faire de l’or artificiellement, la Philosophie Hermétique était donc connue.
Quant aux Arabes, personne ne doute que la Chymie Hermétique & la vulgaire n’aient été toujours en vigueur parmi eux. Outre qu’Albusaraius nous apprend (Dynastiâ nonâ.) que les Arabes nous ont conservé un grand nombre d’ouvrages des Chaldéens, des Egyptiens & des Grecs par les tra­ductions qu’ils en avaient faites en leur langue, nous avons encore les écrits de Geber, d’Avicenne, d’Abudali, d’Alphidius, d’Alchindis & de beaucoup d’autres sur ces matières. On peut même dire que la Chymie s’est répandue dans toute l’Europe par leur moyen. Albert le Grand, Archevêque de Ratisbonne, est un des premiers connus depuis les Arabes. Entre les autres ouvrages pleins de science & d’érudition sur la Dialectique, les Mathématiques, la Physique, la Métaphysique, la Théologie & la Médecine, on en trouve plusieurs sur la Chymie, dont l’un porte pour titre de Alchymia : on l’a farci dans la suite d’une infinité d’additions & de sophistications. Le second est intitulé, de concordantia. Philosophorum, le troisième, de compositione compositi. Il a fait aussi un traité des minéraux, à la fin duquel il met un article particulier de la matière des Philosophes sous le nom de Electrum minérale.
Dans le premier de ces Traités il dit : « L’envie de m’instruire dans la Chymie Hermétique, m’a fait parcourir bien des Villes & des Provinces, visiter les gens savants pour me mettre au fait de cette science. J’ai transcrit, & étudié avec beaucoup de soins & d’attention les livres qui en traitent, mais pendant longtemps je n’ai point reconnu pour vrai ce qu’ils avancent. J’étudiai de nouveau les livres pour & contre, & je n’en pus tirer ni bien ni profit. J’ai rencontré beaucoup de Chanoines tant savants qu’ignorants dans la Physique, qui se mêlaient de cet Art, & qui y avaient fait des dépenses énormes ; malgré leurs peines, leurs travaux et leur argent, ils n’avaient point réussi. Mais tout cela ne me rebuta point ; je me mis moi-même à travailler ; je fis de la dépense, je lisais, je veillais ; j’allais d’un lieu à un autre, & je méditais sans cesse sur ces paroles d’Avicenne ; Si la chose est, comment est-elle ? si elle n’est pas, comment n’est-elle pas ? Je travaillais donc, j’étudiai avec persévérance, jusqu’à ce que je trouvais ce que je cherchais. J’en ai l’obligation à la grâce du Saint-Esprit qui m’éclaira, & non à ma science ». Il dit aussi dans son Traité des minéraux (Lib. 3. c. I.) : « Il n'appartient pas aux Physiciens de déterminer & de juger de la transmutation des corps métalliques, & du changement de l’un dans l’autre : c’est là le fait de l’Art, appelé Alchimie. Ce genre de science est très bon & très certain, parce qu’elle apprend à connaître chaque chose par sa propre cause ; & il ne lui est pas difficile de distinguer des choses mêmes les parties accidentelles qui ne sont pas de sa nature ». Il ajoure ensuite dans le chapitre second du même livre : « La première matière des métaux est un humide onctueux, subtil, incorporé, &mêlé fortement avec une matière terrestre.» C’est parler en Philosophe, & conformément à ce qu’ils en disent tous, comme on le verra dans la fuite.
Arnaud de Villeneuve, Raymond Lulle son difficile, & Flamel parurent peu de temps après ; le nombre augmenta peu à peu, & cette science se répandit dans tous les Royaumes de l’Europe. Dans le siècle dernier on vit le Cosmopolite, d’Espagnet, & le Philalèthe, sans doute qu’il y en avait bien d’autres, & qu’il en existe en­core aujourd’hui ; mais le nombre en est si petit ou ils se trouvent tellement cachés, qu’on ne saurait les découvrir. C’est une grande preuve qu’ils ne cherchent pas la gloire du monde, ou du moins qu’ils craignent les effets de sa perversité. Ils se tiennent même dans le silence, tant du côté de la parole, que du côté des écrits. Ce n’est pas qu’il ne paraisse de temps en temps quelques ouvrages sur cette matière ; mais il suffit d’avoir lu & médité ceux des vrais Philosophes, pour s’apercevoir bientôt qu’ils ne leur ressemblent que par les termes barbares, & le style énigmatique, mais nullement pour le fond. Leurs Auteurs avaient lu de bons livres ; ils les citent assez souvent, mais ils le font si mal à propos, qu’ils prouvent clairement, ou qu’ils ne les ont point médités, ou qu’ils l’ont fait de manière à adapter les expressions des Philosophes aux idées fausses que la prévention leur avait mises dans l’esprit à l’égard des opérations & de la matière, & non point en cherchant à rectifier leurs idées sur celle des Auteurs qu’ils lisaient. Ces ouvrages des faux Philosophes sont en grand nombre ; tout le monde a voulu se mêler d’é­crire, & la plupart sans doute pour trouver dans la bourse du Libraire une ressource qui leur manquait d’ailleurs, ou du moins pour se faire un nom qu’ils ne méritent certainement pas. Un Auteur souhaitait autrefois que quelque vrai Philosophe eût assez de charité envers le Public pour publier une liste de bons Auteurs dans ce genre de sciences, afin d’ôter à un grand nombre de personnes la confiance avec laquelle ils lisent les mauvais qui les induisent en erreur. Olaus Borrichius, Danois, fit imprimer en conséquence, sur la fin du siècle dernier, un ouvrage qui a pour titre : Conspectus Chymicorum celebriorum. Il fait des articles séparés de chacun, & dit assez prudemment ce qu’il en pense. Il exclut un grand nombre d’Auteurs de la classe des vrais Philosophes : mais tous ceux qu’ils donnent pour vrais le sont-ils en effet ? d’ailleurs le nombre en est si grand, qu’on ne sait lesquels choisir préférablement à d’autres. On doit être par conséquent fort embarrassé quand on veut s’adonner à cette étude. J’aimerais donc mieux m’en tenir au sage conseil de d’Espagnet, qu’il donne en ces ter­mes dans son Arcanum Hermeticae Philofophiae opus, can. 9. « Celui qui aime la vérité de cette science doit lire peu d’Auteurs ; mais marqués au bon coin ». Et can. 10. « Entre les bons Auteurs qui traitent de cette Philosophie abstraite, & de ce secret Physique, ceux qui en ont parlé avec le plus d’esprit, de solidité & de vérité sont, entre les anciens, Hermès (Table d’Emeraude & les sept chapitres.) & Morien Romain (Entretien du Roi Calid & de Morien.), entre les modernes, Raymond Lulle, que j’estime & que je considère plus que tout les autres, & Bernard, Comte de la Marche-Trévisanne, connu sous le nom du bon Trévisan (La Philosophie des Métaux, & sa Lettre à Thomas de Boulogne.). Ce que le subtil Raymond Lulle a omis, les autres n’en ont point fait mention. Il est donc bon de lire, relire & méditer sérieusement son testament ancien & son codicille, comme un legs d’un prix inestimable, dont il nous a fait présent ; à ces deux ouvrages on joindra la lecture de ses deux pratiques (La plupart des autres livres de Raymond Lulle qui ne sont pas cités ici sont plus qu’inutiles.). On y trouve tout ce qu’on peut désirer, particulièrement la vérité de la matière, les degrés du feu, le régime au moyen duquel on parfait l’œuvre ; toutes choses que les Anciens se sont étudiés de cacher avec plus de soins. Aucun autre n’a parlé si clairement & si fidèlement des causes cachées des choses, & des mouvements secrets de la Nature. Il n’a presque rien dit de l’eau première & mystérieuse des Philosophes ; mais ce qu’il en dit est très significatif».
« Quant à cette eau limpide recherchée de tant de personnes, & trouvée de si peu, quoiqu’elle foie présente à tout le monde & qu’il en fait usage. Un noble Polonais, homme d’esprit & savant, a fait mention de cette eau qui est la base de l’œuvre, assez au long dans ses Traités qui ont pour titre : Novum lumen, Chemicum ; Parabola ; Enigma ; de Sulfure. Il en a parlé avec tant de clarté, que celui qui en demanderait davantage, ne serait pas capable d’être contenté par d’autres. »
« Les Philosophes, continue le même Auteur, s’expliquent plus volontiers & avec plus d’énergie par un discours muet, c’est-à-dire, par des figures allégoriques & énigmatiques, que par des écrits ; tels sont, par exemple, la table de Senior ; les peintures allégoriques du Rosaire ; celles d’Abraham Juif, rapportées par Flamel, & celles de Flamel même. De ce nombre sont aussi les emblèmes de Michel Maïer, qui y a renfermé, & comme expliqué si clairement les mystères des Anciens, qu’il n’est guère possible de mettre la vérité devant les yeux avec plus de clarté. »
Tels font les seuls Auteurs loués par d’Espagnet, comme suffisants sans doute pour mettre au fait delà Philosophie Hermétique, un homme qui veut s’y appliquer. Il dit qu’il ne faut pas se contenter de les lire une ou deux fois, mais six fois & davantage sans se rebuter ; qu’il faut le faire avec un cœur pur & détaché des em­barras fatigants du siècle, avec un véritable & ferme propos de n’user de la connaissance de cette science, que pour la gloire de Dieu & l’utilité du prochain, afin que Dieu puisse ré­pandre ses lumières & sa sagesse dans l’esprit & le cœur ; parce que la sagesse, suivant que dit le Sage, n’habitera jamais dans un cœur impur & souillé de péchés.
D’Espagnet exige encore une grande connaissance de la Physique ; & c’est pour cet effet que j’en mettrai à la suite de ce Discours un traité abrégé qui en renfermera les principes généraux tirés des Philosophes Hermétiques, que d’Espagnet a recueillis dans son Enchyridion. Le traité Hermétique qui est à la suite est absolument nécessaire pour disposer le Lecteur à l’in­telligence de cet ouvrage. J’y joindrai les cita­tions des Philosophes, pour faire voir qu’ils sont tous d’accord sur les mêmes points.
On ne saurait trop recommander l’étude de la Physique, parce qu’on y apprend à connaître les principes que la Nature emploie dans la composition & la formation des individus des trois règnes animal, végétal & minéral. Sans cette connaissance on travaillerait à l’aveugle, & l’on prendrait pour former un corps, ce qui ne serait propre qu’à en former un d’un genre ou d’une espèce tout-à-fait différente de celui qu’on se propose. Car l’homme vient de l’hom­me, le bœuf du bœuf, la plante de sa propre semence, & le métal de la sienne. Celui qui chercherait donc, hors de la nature métallique, l’art & le moyen de multiplier ou de perfec­tionner les métaux, serait certainement dans l’er­reur. Il faut cependant avouer que la Nature ne saurait par elle seule multiplier les métaux, comme le fait l’art Hermétique. Il est vrai que les métaux renferment dans leur centre cette propriété multiplicative, mais ce sont des pom­mes cueillies avant leur maturité, suivant ce qu’en dit Flamel. Les corps ou métaux parfaits ( Philosophiques ) contiennent cette semence plus parfaite & plus abondance ; mais elle y est si opiniâtrement attachée, qu’il n’y a que la solution Hermétique qui puisse l’en tirer. Celui qui en a le secret, a celui du grand œuvre, si l’on en croit tous les Philosophes. Il faut, pour y parvenir, connaître les agents que la Nature emploie pour réduire les mixtes à leurs prin­cipes ; parce que chaque corps est composé de ce en quoi il se résout naturellement. Les prin­cipes de Physique détaillés ci-après sont très propres à servir de flambeau pour éclairer les pas de celui qui voudra pénétrer dans le puits de Démocrite, & y découvrir la vérité cachée dans les ténèbres les plus épaisses. Car ce puits n’est autre que les énigmes, les allégories, & les obscurités répandues dans les ouvrages des Philosophes, qui ont appris des Egyptiens, comme Dé­mocrite, à ne point dévoiler les secrets de la sagesse, dont il avait été instruit par les successeurs du père de la vraie Philosophie.

PRINCIPES GÉNÉRAUX DE PHYSIQUE,

Suivant la Philosophie Hermétique.

Il n’est pas donné à tous de pénétrer jusqu’au facturier des ferrets de la Nature : très peu de gens savent le chemin qui y conduit. Les uns impatiens s’égarent en prenant des sentiers qui semblent en abréger la route ; les autres trou­vent presque à chaque pas des carrefours qui les embarrassent, prennent à gauche, & vont au Tartare, au lieu de tenir la droite qui mène aux champs Elysées, parce qu’ils n’ont pas, comme Enée (Eneid. L 6.), une Sibylle pour guide. D’autres enfin ne pensent pas se tromper en suivant le chemin le plus battu & le plus fréquenté. Tous s’aperçoivent néanmoins, après de longues fatigues, que, loin d’être arrivés au but, ils ont ou passé à côté, ou lui ont tourné le dos.
Les erreurs ont leur source dans le préjugé, comme dans le défaut de lumières & de solides instructions. La véritable route ne peut être que très simple, puisqu’il n’y a rien de plus simple que les opérations de la Nature. Mais quoique tracée par cette même Nature, elle est peu fré­quentée, & ceux mêmes qui y passent se font un devoir jaloux de cacher leurs traces avec des ronces & des épines. On n’y marche qu’à travers l’obscurité des fables & des énigmes, il est très difficile de ne pas s’égarer, si un Ange tutélaire ne porte le flambeau devant nous.
Il faut donc connaître la Nature avant que de se mettre en devoir de l’imiter, & d’entrepren­dre de perfectionner ce qu’elle a laissé dans le chemin de la perfection. L’étude de la Physique nous donne cette connaissance, non de cette Physique des Ecoles, qui n’apprend que la spéculation, & qui ne meuble la mémoire que de termes plus obscurs, & moins intelligibles que la chose même que l’on veut expliquer. Physique, qui prétendant nous définir clairement un corps, nous dit que c’est un composé de points ou de parties, de points qui menés d’un endroit à un autre formeront des lignes, ces lignes rappro­chées, une surface ; de-là l’étendue & les autres dimensions. De la réunion des parties résultera un corps, & de leur désunion, la divisibilité à l’infini, ou, si l’on veut, à l’indéfini. Enfin, tant d’autres raisonnements de cette espèce, peu ca­pables de satisfaire un esprit curieux de parvenir à une connaissance palpable & pratique des in­dividus qui composent ce vaste Univers. C’est à la Physique Chymique qu’il faut avoir recours. Elle est une science pratique, fondée sur une théorie, dont l’expérience prouve la vérité. Mais. cette expérience est malheureusement si rare, que bien des gens en prennent occasion de douter de son existence.
En vain des Auteurs, gens d’esprit, de génie, & très savants dans d’autres parties, ont-ils voulu inventer des systèmes, pour nous représenter, par une description fleurie, la formation & la naissance du monde L’un s’est embarrassé dans des tourbillons, donc le mouvement trop rapide l’a emporté : il s’est perdu avec eux. Sa première matière, divisée en matière subtile, rameuse & globuleuse, ne nous a laissé qu’une vaine ma­tière à raisonnements subtils, sans nous appren­dre ce que c’est que l’essence des corps. Un au­tre, non moins ingénieux, s’est avisé de soumettre tout au calcul, & a imaginé une attraction réciproque, qui pourrait tout au plus nous aider à rendre raison du mouvement actuel des corps, sans nous donner aucune lumière sur les prin­cipes donc ils sont composés. Il sentait très bien que c’était faire revivre, sous un nouveau nom, les qualités occultes des Péripatéticiens, bannies de l’école depuis longtemps ; aussi n’a-t-il débité son attraction que comme une conjecture, que ses sectateurs se font fait un devoir de soutenir comme une chose réelle.
La tête du troisième, frappée du même coup dont sa prétendue comète heurta le Soleil, a laissé prendre à ses idées des routes aussi peu régulières que celles qu’il fixe aux planètes, formées, selon lui, des parties séparées par ce choc du corps igné de l’Astre qui préside au jour.
Les imaginations d’un Telliamed, & celles d’autres Ecrivains semblables sont des rêveries qui ne méritent que du mépris ou de l’indigna­tion. Tous ceux enfin qui ont voulu s’écarter de ce que Moise nous a laissé dans la Genèse, se sont perdus dans leurs vains raisonnements.
Qu’on ne nous dite pas que Moise n’a voulu faire que des Chrétiens, & non des Philosophes. Instruit par la révélation de l’Auteur même de la Nature ; versé d’ailleurs très parfaitement dans toutes les sciences des Egyptiens, les plus instruits & les plus éclairés dans toutes celles que nous cultivons, qui, mieux que lui, était en état de nous apprendre quelque chose de certain sur l’histoire de l’Univers ?
Son système, il est vrai, est très propre à faire des Chrétiens, mais cette qualité, qui manque à la plupart des autres, est-elle donc incompa­tible avec la vérité ? Tout y annonce la gran-deur, la toute-puissance, & la sagesse du Créa­teur ; mais tout en même temps y manifeste à nos yeux la créature telle qu’elle est. Dieu parla, & tout fut fait, dixit, & facta sunt (Gen.l.). C’était assez pour des Chrétiens, mais ce n’était pas assez pour des Philosophes. Moise ajoute d’où ce monde a été tiré, quel ordre il a plu à l’Etre suprême de mettre dans la formation de chaque règne de la Nature. Il fait plus : il déclare positivement quel est le principe de tout ce qui existe, & ce qui donne la vie & le mouvement à chaque individu. Pouvait-il en dire davantage en si peu de paroles? Exigerait-on de lui qu’il eût décrit l’anatomie de toutes les parties de ces individus ?
& quand il l’aurait fait, s’en serait-on mieux rapporté à lui ? On veut examiner ; on le veut, parce qu’on doute : on doute par ignorance, & sur un tel fondement, quel système peut-on élever, qui ne tombe bientôt en ruine ?
Le Sage ne pouvait mieux désigner cette espèce d’Architectes, ces fabricateurs de systèmes, qu’en disant que Dieu a livré l’Univers à leurs vains raisonnements (Ecclef. c. 3. v. II. 1. Partie.). Disons mieux : il n’est personne versé dans la science de la Nature, qui ne reconnaisse Moise pour un homme inspiré de Dieu, pour un grand Philosophe, & un vrai Physicien. Il a décrit la création du monde & de l’homme avec autant de vérité, que s’il y avait assisté en personne. Mais avouons en même temps que ses écrits sont si sublimes, qu’ils ne sont pas à la portée de tout le monde, & que ceux qui le combattent, ne le font que parce qu’ils ne l’entendent pas, que les ténèbres de leur ignorance les aveuglent, & que leurs systèmes ne sont que des délires mal combinés d’une tête bouffie de vanité, & malade de trop de présomption.
Rien de plus simple que la Physique. Son ob­jet, quoique très composé aux yeux des ignorants, n’a qu’un seul principe, mais divisé en parties les unes plus subtiles que les autres. Les différentes proportions employées dans le mélange, la réunion & les combinaisons des parties plus subtiles avec celles qui le sont moins, forment tous les individus de la Nature. Et comme ces combinaisons sont presque infinies, le nombre des mixtes l’est aussi.
Dieu est un Etre éternel, une unité infinie, principe radical de tout : son essence est une immense lumière, sa puissance une toute-puissance, son désir un bien parfait, sa volonté absolue un ouvrage accompli. A qui voudrait en savoir davantage, il ne reste que l’étonnement, l’admiration, le silence, & un abîme impéné­trable de gloire.
Avant la création il était comme replié en lui-même & se suffisait. Dans la création il ac­coucha, pour ainsi dire, & mit au jour ce grand ouvrage qu’il avait conçu de toute éternité. Il se développa par une extension manifeste de lui-même, & rendit actuellement matériel ce monde idéal, comme s’il eût voulu rendre palpable l’image de sa Divinité. C’est ce qu’Hermès a voulu nous faire entendre lorsqu’il dit que Dieu changea de forme ; qu’alors le monde fut manifesté & changé en lumière (Pymand. c. I.). Il paraît vrai­semblable que les Anciens entendaient quelque chose d’approchant, par la naissance de Pallas, sortie du cerveau de Jupiter avec le secours de Vulcain ou de la lumière.
Non moins sage dans ses combinaisons que puissant dans ses opérations, le Créateur a mis un si bel ordre dans la masse organique de l’U­nivers, que les choses supérieures sont mêlées sans confusion avec les inférieures, & deviennent semblables par une certaine analogie. Les extrêmes se trouvent liés très étroitement par un milieu insensible, ou un nœud secret de cet ado­rable ouvrier, de manière que tout obéit de concert à la direction du Modérateur suprême, sans que le lien des différentes parties puisse être rompu que par celui qui en a fait l’assemblage. Hermès avait donc raison de dire (Tab. Smarag.) que ce qui est en bas est semblable à ce qui est en haut, pour parfaire toutes les choses admirables que nous voyons.

De la première matière.

Quelques Philosophes ont supposé une ma­tière préexistante aux éléments, mais comme ils ne la connaissaient pas, ils n’en ont parlé que d’une manière obscure & très embrouillée. Aristote, qui paraît avoir cru le monde éternel, parle cependant d’une première matière universelle, sans oser néanmoins s’engager dans les détours ténébreux des idées qu’il en avait. Il ne s’est exprimé à cet égard que d’une manière fort am­biguë. Il la regardait comme le principe de toutes les choses sensibles, & semble vouloir insinuer que les éléments se sont formés par une espèce d’antipathie ou de répugnance qui se trouvait entre les parties de cette matière (De ortu & interitu, 1. 2. c. I. & 2.). Il eût mieux philosophé s’il n’y avait vu qu’une sympathie & un accord parfait, puisqu’on ne voit aucune contrariété dans les éléments mêmes, quoiqu’on pense ordinairement que le feu est opposé à l’eau. On ne s’y tromperait pas, si l’on faisait atten­tion que cette opposition prétendue ne vient que de l’intention de leurs qualités, & de la diffé­rence de subtilité de leurs parties, puisqu’il n’y a point d’eau sans feu.
Thalès, Héraclite, Hésiode ont regardé l’eau comme la première matière des choses. Moise paraît dans la Genèse (Gen. I.) favoriser ce sentiment, en donnant les noms d’abîme & d’eau à cette première matière, non qu’il entendît l’eau, élément que nous buvons, mais une espèce de fu­mée, une vapeur humide, épaisse & ténébreuse, qui se condense dans la suite plus ou moins, selon les choses plus ou moins compactes qu’il a plu au Créateur d’en former. Ce brouillard, cette vapeur immense se concentra, s’épaissît, ou se raréfia en une eau universelle & chao­tique, qui devint par-là le principe de tout pour le présent & pour la fuite (Cosmop. Tract.4.).
Dans son commencement, cette eau était vo­latile, telle qu’un brouillard, la condensation en fit une matière plus ou moins fixe. Mais quelle que puisse être cette matière, premier prin­cipe des choses, elle fut créée dans des ténèbres trop épaisses & trop obscures, pour que l’esprit humain puisse y voir clairement. l’Auteur seul de la Nature la connaît, & en vain les Théolo­giens & les Philosophes voudraient-ils détermi­ner ce qu’elle était.
Il est cependant très vraisemblable que cet abîme ténébreux, ce chaos était une matière aqueuse ou humide, comme plus propre & plus disposée à être atténuée, raréfiée, condensée, & servir par ces qualités à la construction des Cieux & de la Terre.
L’Ecriture Sainte nomme cette masse informe tantôt terre vide, & tantôt eau, quoiqu’elle ne fût actuellement ni l’une ni l’autre, mais seu­lement en puissance. Il serait donc permis de conjecturer qu’elle pouvait être à peu près comme une fumée, ou une vapeur épaisse & ténébreuse, stupide & sans mouvement, engourdie par une espèce de froid, & sans action ; jusqu’à ce que la même parole qui créa cette vapeur, y infusa un esprit vivifiant, qui devint comme visible & palpable par les effets qu’il y produisit.
La séparation des eaux supérieures d’avec les inférieures, dont il est fait mention dans la Genèse, semble s’être faite par une espèce de sublimation des parties les plus subtiles, & les plus ténues, d’avec celles qui l’étaient moins, à peu près comme dans une distillation où les esprits montent & se séparent des parties les plus pesantes, plus terrestres, & occupent le haut du vase, pendant que les plus grossières demeurent au fond.
Cette opération ne put se faire que par le secours de cet esprit lumineux qui fut infusé dans cette masse. Car la lumière est un esprit igné, qui, en agissant sur cette vapeur, & dans elle, rendit quelques parties plus pesantes en les condensant, & devenues opaques par leur adhésion plus étroite ; cet esprit les chassa vers la région inférieure, où elles conservent les ténèbres dans lesquelles elles étaient premièrement ensevelies. Les parties plus ténues, & devenues homogènes de plus en plus par l’uniformité de leur ténuité & de leur pureté, furent élevées & poussées vers la région supérieure, où moins condensées elles laissèrent un passage plus libre à la lumière qui s’y manifesta dans toute sa splendeur.
Ce qui prouve que l’abîme ténébreux, le chaos, ou la première matière du monde, était une masse aqueuse & humide, c’est qu’outre les raisons que nous avons rapportées, nous en avons une preuve assez palpable sous nos yeux. Le propre de l’eau est de couler, de fluer tant que la chaleur l’anime & l’entretient dans son état de fluidité. La continuité des corps, l’adhésion de leurs parties est due à l’humeur aqueuse. Elle est comme la colle ou la soudure qui réunit & lie les parties élémentaires des corps. Tant qu’elle n’en est point séparée entièrement, ils conservent la solidité de leur masse. Mais si le feu vient à échauffer ces corps au-delà du degré nécessaire pour leur conservation dans leur manière d’être actuelle, il chasse, raréfie cette humeur, la fait évaporer, & le corps se réduit en poudre, parce que le lien qui en réunissait les parties n’y est plus.
La chaleur est le moyen & l’instrument que le feu emploie dans ses opérations ; il produit même par son moyen deux effets qui paraissent opposés, mais qui sont très conformes aux lois de la Nature, & qui nous représentent ce qui s’est passé dans le débrouillement du chaos. En séparant la partie la plus ténue & la plus humide de la plus terrestre, la chaleur raréfie la pre­mière, & condense la seconde. Ainsi par la séparation des hétérogènes se fait la réunion des homogènes.
Nous ne voyons en effet dans le monde qu’une eau plus ou moins condensée. Entre le Ciel & la Terre, tout est fumée, brouillards, vapeurs poussés du centre & de l’intérieur de la terre, & élevée au-dessus de sa circonférence dans la partie que nous appelons air. La faiblesse des organes de nos sens ne nous permet pas de voir les vapeurs subtiles, ou émanations des corps célestes, que nous nommons influences, & se mêlent avec les vapeurs qui se subliment des corps sublunaires. Il faut que les yeux de l’esprit viennent au secours de la faiblesse des yeux du corps.
En cour temps les corps transpirent une vapeur subtile, qui se manifeste plus clairement en Eté. L’air échauffe sublime les eaux en vapeurs, les pompe, les attire à lui. Lorsqu’après une pluie les rayons du Soleil dardent sur la terre, on la voit fumer & s’exhaler en vapeurs. Ces vapeurs voltigent dans l’air en forme de brouillards, lorsqu’elles ne s’élèvent pas beaucoup au-dessus de la superficie de la terre : mais quand elles mon­tent jusqu’à la moyenne région, on les voit cou­rir ci & là sous la forme de nuées. Alors elles se résolvent en pluie, en neige, en grêle, &c. & tombent pour retourner à leur origine.
L’ouvrier le sent à sa grande incommodité, quand il travaille avec action. L’homme oisif même l’éprouve dans les grandes chaleurs. Le corps transpire toujours, & les sueurs qui ruissellent souvent le long du corps le manifestent assez.
Ceux qui ont donné dans les idées creuses des Rabbins, ont cru qu’il avait existé, avant cette première matière, un certain principe plus an­cien qu’elle, auquel ils ont donné fort impro­prement le nom d’Hylé. C’était moins un corps qu’une ombre immense, moins une chose, qu’une image très obscure de la chose, que l’on devrait plutôt nommer un fantôme ténébreux de l’Etre, une nuit très noire, & la retraite ou le centre des ténèbres, enfin une chose qui n’existe qu’en puissance, & telle seulement qu’il serait possible à l’esprit humain de se l’imaginer dans un songe. Mais l’imagination même ne saurait nous le représenter autrement que comme un aveugle-né se représente la lumière du Soleil. Ces sectateurs du Rabbinisme ont jugé à propos de dire que Dieu tira de ce premier principe un abîme ténébreux, informe comme la matière prochaine des éléments & du monde. Mais enfin tout de concert nous annonce l’eau comme pre­mière matière des choses.
L’esprit de Dieu qui était porté sur les eaux (Gen. I.), fut l’instrument dont le suprême Architecte du monde se servit pour donner la forme à l’Uni­vers. Il répandit à l’instant la lumière, réduisit de puissance en acte les semences des choses au­paravant confuses dans le chaos, & par une al­tération constante de coagulations & de résolutions, il entretint tous les individus. Répandu dans toute la masse, il en anime chaque partie, & par une continuelle & secrète opération il donne le mouvement a chaque individu, félon le genre & l’espèce auquel il l’a déterminé. C’est proprement l’âme du monde, & qui l’ignore ou le nie, ignore les lois de l’Univers.

De la Nature.

A ce premier moteur ou principe de généra­tion & d’altération, s’en joint un second corporifié, auquel nous donnons le nom de Nature. L’œil de Dieu, toujours attentif à son ouvrage, est proprement la Nature même, & les lois qu’il a posées pour sa conservation, sont les causes de tout ce qui s’opère dans l’Univers. La Nature que nous venons d’appeler un second moteur corporifié, est une Nature secondaire, un serviteur fidèle qui obéit exactement aux ordres de son maître (Cosmopol. Tract. 2.), ou un instrument conduit par la main d’un ouvrier incapable de se tromper. Cette Na­ture ou cause seconde est un esprit universel, qui a une propriété vivifiante & fécondante de la lumière créée dans le commencement, & com­muniquée à toutes les parties du macrocosme. Zoroastre avec Héraclite l’ont appelé un esprit igné, un feu invisible, & l’âme du monde. C’est de lui que parle Virgile, lorsqu’il dit (Eneid. 1. 6.) : Dès le commencement un certain esprit igné fut infusé dans le ciel, la terre & la mer, la lune, & les astres Titaniens ou terrestres (C’est-à-dire, les minéraux & les métaux, auxquels on a donné les noms de planètes.). Cet esprit leur donne la vie & les conserve. Ame ré­pandue dans tout le corps, elle donne le mou­vement à toute la masse, & à chacune de ses parties. De là sont venues toutes les espèces d’ê­tres vivants, quadrupèdes, oiseaux, poissons. Cet esprit igné est le principe de leur vigueur : son origine est céleste, & il leur est communiqué par la semence qui les produit.
L’ordre qui règne dans l’Univers n’eut qu’une suite développée des lois éternelles. Tous les mouvements des différentes parties de sa masse en dépendent. La Nature forme, altère & corrompt sans cesse, & son modérateur, présent par­tout, répare continuellement les altérations de l’ouvrage.
On peut partager le monde en trois régions, la supérieure, la moyenne & l’inférieure. Les Philosophes Hermétiques donnent à la première le nom d’intelligible, & disent qu’elle est spirituelle, immortelle ou inaltérable ; c’est la plus parfaite.
La moyenne est appelée céleste. Elle renferme les corps les moins imparfaits & une quantité d’esprits (Il faut remarquer que les Philosophes n’entendent pas par ces esprits, des esprits immatériels ou esprits angéliques, mais seulement des esprits physiques, tels que l’esprit igné répandu dans l’univers. Telle est aussi la spiritualité de leur région supérieure.). Cette région étant au milieu participe de la supérieure & de l’inférieure. Elle sert comme de milieu pour réunir ces deux extrêmes, & comme de canal par où se communiquent sans cesse à l’intérieure les esprits vivifiants qui en animent toutes les parties. Elle n’est sujette qu’à des changements périodiques.
L’inférieure ou élémentaire comprend tous les corps sublunaires. Elle ne reçoit des deux au­tres les esprits vivifiants que pour les leur rendre. C’est pourquoi tout s’y altère, tout s’y corrompt, tout y meurt ; il ne s’y fait point de génération qui ne soit précédée de corruption ; & point de naissance, que la mort ne s’ensuive.
Chaque région est soumise, & dépend de celle qui lui est supérieure, mais elles agissent de con­cert. Le Créateur seul a le pouvoir d’anéan­tir les êtres, comme lui seul a eu le pouvoir de les tirer du néant. Les lois de la Nature ne per­mettent pas que ce qui porte le caractère d’être ou de substance, soit assujetti à l’anéantissement. Ce qui a fait dire à Hermès (Pymand.) que rien ne meurt dans ce monde, mais que tout passe d’une manière d’être à une autre. Tout mixte est com­posé d’éléments, & se résout enfin dans ces mê­mes éléments, par une rotation continuelle de la Nature, comme l’a dit Lucrèce:
Huic accedit uti quicque in sua corpora rursum
Dissolvat natura ; neque ad nihilum interimat res.
Il y eut donc dès le commencement deux principes, l’un lumineux, approchant beaucoup de la Nature spirituelle ; l’autre tout corporel & ténébreux. Le premier pour être le principe de la lumière, du mouvement & de la chaleur : le second comme principe des ténèbres, d’engourdissement & de froid (Cosmop. Tract. I.). Celui-là actif & masculin, celui-ci passif & féminin. Du premier vient le mouvement pour la génération dans notre monde élémentaire, & de la part du second procède l’altération, d’où la mort a pris commen­cement.
Tout mouvement se fait par raréfaction & condensation (Beccher. Phys. subt.). La chaleur, effet de la lumière sensible ou insensible, est la cause de la raréfac­tion, & le froid produit le resserrement ou la condensation. Toutes les générations, végéta­tions & accrétions ne se font que par ces deux moyens ; parce que ce sont les deux premières dispositions dont les corps aient été affectés. La lumière ne s’est répandue que par la raréfaction ; & la condensation, qui produit la densité des corps, a feule arrêté le progrès de la lumière, & conservé les ténèbres.
Lorsque Moise dit que Dieu créa le ciel & la terre, il semble avoir voulu parler des deux princi­pes formel & matériel, ou actif & passif que nous avons expliqué, & il ne paraît pas avoir entendu par la terre, cette masse aride qui parut après que les eaux s’en furent séparées. Celle dont parle Moise est le principe matériel de tout ce qui existe, & comprend le globe terra-aque-aérien. L’au­tre n’a pris proprement son nom que de sa sécheresse ; & pour la distinguer de l’amas des eaux, & vocavit Deus aridam terrant, congrigationesque aquarum maris (Gen. C. I.).
L’air, l’eau & la terre ne sont qu’une même matière plus ou moins ténue & subtilisée, selon qu’elle est plus ou moins raréfiée. L’air, comme le plus proche du principe de raréfaction, est le plus subtil ; l’eau vient ensuite, & puis la terre.
Comme l’objet que je me propose en donnant ces principes abrégés de Physique, est seulement d’instruire sur ce qui peut éclairer les amateurs de la Philosophie Hermétique, je n’entrerai point dans le détail de la formation des astres & de leurs mouvements.

De la lumière, & de ses effets.

La lumière, après avoir agi sur les parties de la masse ténébreuse, qui lui étaient plus voisines, & les avoir raréfiées plus ou moins à pro­portion de leur éloignement, pénétra enfin Jusqu’au centre, pour l’animer dans son tout, la féconder, & lui faire produire tout ce que l’U­nivers présente à nos yeux. Il plut alors à Dieu d’en fixer la source naturelle dans le Soleil, sans cependant l’y ramasser toute entière. Il semble que Dieu l’en ait voulu établir comme l’unique dispensateur, afin que la lumière créée de Dieu unique, lumière incréée, elle fût communiquée aux créatures par un seul, comme pour nous in­diquer sa première origine.
De ce flambeau lumineux cous les autres empruntent leur lumière & l’éclat qu’ils réfléchissent sur nous ; parce que leur matière compacte produit à notre égard le même effet qu’une masse sphérique polie, ou un miroir sur lequel tom­bent les rayons du Soleil. Nous devons juger des corps célestes comme de la Lune, dans laquelle la vue seule nous découvre de la solidité, & une propriété commune aux corps terrestres d’in­tercepter les rayons du Soleil, & de produire de l’ombre, ce qui ne convient qu’aux corps opa­ques. On ne doit pas en conclure que les Astres, & les Planètes ne sont pas des corps diaphanes ; puisque les nuages, qui ne sont que des vapeurs ou de l’eau, font également de l’ombre en in­terceptant les rayons solaires.
Quelques Philosophes ont appelé le Soleil âme du monde, & l’ont supposé placé au milieu de l’univers, afin que comme d’un centre il lui fût plus facile de communiquer partout ses bé­nignes influences. Avant que de les avoir reçues, la terre était comme dans une espèce d’oisiveté, ou comme une femelle sans mâle. Sitôt qu’elle en fut imprégnée, elle produisit aussitôt, non des simples végétaux comme auparavant, mais des êtres animés & vivants, des animaux de toutes sortes d’espèces.
Les éléments furent donc aussi le fruit de la lumière ; & ayant tous un même principe, com­ment pourraient-ils, suivant l’opinion vulgaire, avoir entre eux de l’antipathie & de la contrariété ? C’est de leurs union que sont formés tous les corps selon leur espèces différentes ; & leur diversité ne vient que du plus ou du moins de ce que chaque élément fournit pour la composition de chaque mixte.
La première lumière avait jeté les semences des choses dans les matrices qui étaient propres à chacune ; celle du Soleil les a comme fécon­dées, & fait germer. Chaque individu conserve dans son intérieur une étincelle de cette lumière qui réduit les semences de puissance en acte. Les esprits des êtres vivants sont des rayons de cette lumière, & l’âme seule de l’homme est un rayon ou comme une émanation de la lumière incréée. Dieu, cette lumière éternelle, infinie, incompréhensible, pouvait-il se manifester au monde autrement que par la lumière ; & faut-il s’éton­ner s’il a infusé tant de beautés & de vertus dans son image, qu’il a formé lui-même, & dans la­quelle il a établi son trône : In sole posuit cabernae culum suum (Psal.18.).

De l’Homme.

Dieu en se corporifiant, pour ainsi dire, par la création du monde, ne crut pas que c’était assez d’avoir fait de si belles choses, il voulut y mettre le sceau de sa Divinité, & se manifester encore plus parfaitement par la formation de l’homme. Il le fit pour cet effet à son image & à celle du monde. Il lui donna une âme, un esprit & un corps, & de ces trois choses réu­nies dans un même sujet, il en constitua l’hu­manité.
Il composa ce corps d’un limon extraie de la plus pure substance de tous les corps créés. Il tira son esprit de tout ce qu’il y avait de plus parfait dans la Nature, & il lui donna une âme faire par une espèce d’extension de lui-même. C’est Hermès qui parle.
Le corps représente le monde sublunaire, com­posé de terre & d’eau ; c’est pour cela qu’il est composé de sec & d’humide, ou d’os, de chair & de sang.
L’esprit infiniment plus subtil, tient comme le milieu encre l’âme & le corps, & leur sert comme de lien pour les unir, parce qu’on ne peut joindre deux extrêmes que par un milieu. C’est lui qui par sa vertu ignée vivifie & meut le corps sous la conduite de l’âme, donc il est le ministre, quelquefois rebelle, à ses ordres, il suit ses propres fantaisies & son penchant. Il représente le firmament, dont les parties constituantes sont infiniment plus subtiles que celles de la terre & de l’eau. L’âme enfin est l’image de Dieu même, & le flambeau de l’homme.
Le corps tire sa nourriture de la plus pure substance des trois règnes de la Nature, qui passent successivement de l’un dans l’autre pour aboutir à l’homme, qui en est la fin, le complément & l’abrégé. Ayant été fait de terre & d’eau, il ne peut se nourrir que d’une manière analogue, c’est-à-dire, d’eau & de terre, & ne saurait manquer de s’y résoudre.
L’esprit se nourrit de l’esprit de l’Univers, & de la quintessence de tout ce qui le constitue, parce qu’il en a été fait. L’âme enfin de l’homme s’entretient de la lumière divine dont elle tire son origine.
La conservation du corps est confiée à l’esprit. Il travaille les aliments grossiers que nous prenons des végétaux & des animaux, dans les labora­toires pratiqués dans l’intérieur du corps. Il y sépare le pur de l’impur, il garde & distribue dans les vaisseaux déférents la quintessence ana­logue à celle dont le corps a été fait, soit pour en augmenter le volume, soit pour l’entretenir, renvoie & rejette l’impur & l’hétérogène par les voies destinées à cet usage.
C’est la le véritable archée de la Nature, que Van Helmont (Traité des Mal. I. Partie.) suppose placé à l’orifice de l’estomac ; mais donc il ne paraît pas avoir eu, une idée nette, puisqu’il en a parle d’une ma­nière si embrouillée, qu’il s’est rendu presque inintelligible.
Cet archée est un principe igné, principe de chaleur, de mouvement & de vie, qui anime le corps, & conserve sa manière d’être autant de temps que la faiblesse de ses organes le permet. Il se nourrit des principes analogues à lui-même qu’il attire sans cesse par la respiration : c’est pourquoi la mort succède à, la vie, presque aussitôt que la respiration est interceptée.
Le corps, est par lui-même un principe de mort, analogue à cette masse informe, froide & ténébreuse, de laquelle Dieu forma le monde. Il représente les ténèbres. L’esprit tient & participe de cette matière animée par l’esprit de Dieu, qui au commencement était porté sur les eaux, & qui par la lumière qu’il répandit, infusa dans la masse cette chaleur qui donne le mouvement & la vie a toute la nature, & cette vertu fécondante, principe de génération, qui fournit à chaque individu l’envie & le moyen de multiplier son espèce.
Infusé dans la matrice avec la semence même qu’il anime il y travaille à former & à perfectionner la demeure & le logement qu’il doit habiter, suivant l’espèce. & la qualité, des maté­riaux fournis, suivant la disposition des lieux, & la spécification de la matière. Si les maté­riaux sont de bonnes qualités, le bâtiment en sera plus solide, le tempérament plus fort & plus vigoureux. Sils sont mauvais, le corps en sera plus faible & moins propre à résister aux assauts perpétuels qu’il aura à soutenir tant qu’il subsistera. Si la matière est susceptible d’une organisation plus déliée, plus combinée & plus parfaite, l’esprit la fera de manière qu’il puisse y exercer dans la suite son action avec toute la liberté & l’aisance possible. Alors l’enfant qui en viendra, sera plus alerte, plus vif, & l’esprit se manifestera dans les actions de la vie avec plus de brillant & d’éclat. Mais s’il manque quelque chose ; si la matière est grossière & terrestre, si cet esprit est faible par lui-même, par son peu de force ou de quantité, les organes seront défectueux ou viciés, l’esprit ne pourra travailler à sa demeure que faiblement ; l’enfant sera plus eu moins pesant, stupide. L’âme qui y sera infusée n’en sera pas moins parfaite, mais son ministre n’y pouvant alors exercer ses fonctions que difficilement, à cause des obstacles qu’il rencontre à chaque pas, elle ne paraîtra pas avec toute sa splendeur, & ne pourra se manifester telle qu’elle est. Une cabane de paysan, une maison même bourgeoise n’annoncerait pas la demeure d’un Roi, quoiqu’un Roi y fît son séjour. En vain aura-t-il toutes les qualités requises pour régner glorieusement ; en vain son Ministre sera-t-il entendu & capable de seconder son Souve­rain, si la constitution de l’Etat est mauvaise, s’ils ne peuvent pas se faire obéir, s’il n’y a aucun remède, l’Etat ne sera point brillant, tout ira mal, tout languira ; il tendra à sa perte sans qu’on puisse nier l’existence du Souverain, ou rejeter sur lui le défaut de gloire & de splendeur. On rendra même au Roi & à son Ministre la justice qui leur est due.
On voit par-là pourquoi la raison ne se manifeste dans les enfants qu’à un certain âgé, & dans les uns plutôt que dans les autres ; pourquoi, à mesure que les organes s’affaiblissent, la raison paraît aussi s’affaiblir. Corpus quod corrumpitur aggravat animan, & terrena inhabitatio deprimit sensum multa, cogitantem (Sap.9.). Il faut un certain temps aux organes pour se fortifier & se per­fectionner. Ils s’usent enfin ; ils tombent en dé­cadence & se détruisent. L’Etat fût-il au plus haut degré de gloire, s’il commence à décliner, si sa perce est inévitable, le Roi & son Ministre avec toute l’attention & toute la capacité possible, ne pourront tout au plus que faire de temps en temps quelques efforts, qui manifesteront leurs talents, mais faiblement, de manière à ne pou­voir arrêter la ruine de l’Etat.
Si peu qu’un homme tenté se replie sur lui-même, & qu’il fasse l’anatomie de son composé, il y reconnaîtra bientôt ces trois principes de son humanité réellement distincts, mais réunis dans un seul individu (Nicolas Flamel. Explic. des figures, chap. 7.).
Que les prétendus esprits forts, que les Matérialistes ignorants, & peu accoutumés à réflé­chir sérieusement, rentrent de bonne foi en eux-mêmes, & suivent pas à pas ce petit détail de l’homme, ils reconnaîtrons bientôt leur égare­ment & la faiblesse de leurs principes. Ils y ver­ront que leur ignorance leur fait confondre le Roi avec le Ministre & les Sujets, l’âme avec l’esprit & le corps. Enfin qu’un Prince est responsable & de ses propres actions, & celles de son Ministre, lorsque celui-ci les fait par son ordre, ou de son consentement & avec son approbation.
Salomon confond l’erreur des Matérialistes de son temps, & nous apprend en même temps qu’ils raisonnaient aussi follement que ceux de nos jours. « Ils ont, dit-il (Sap. c. a.), parlé en insensés, qui pensent mal, & ont dit : Le temps de la vie est court & ennuyeux ; nous n’avons ni biens ni plaisirs à espérer après notre mort; personne n’est revenu de l’autre monde pour nous apprendre ce qu’on dit qui s’y passe, parce que nous Sommes nés de rien, & qu’après notre mort nous serons comme si nous n’avions pas existé ; c’est une fumée que nous respirons, & une étincelle qui donne le mouvement à noire cœur : cette étincelle une fois éteinte, notre esprit se dissipera dans les airs, & notre corps ne sera plus qu’une cendre & une poussière..... Venez donc, mes amis ; profitons des biens présents ; jouissons des créatures, divertissons-nous pendant que nous sommes jeunes...... C’est ainsi qu’ils ont pensé, & qu’ils sont tombés dans l’erreur, parce que leurs passions & la malice de leur cœur les ont aveuglés. Ils ont ignoré les promesses fermes & stables de Dieu ; ils n’ont point espéré la récompense promise à la justice, & n’ont pas eu assez de bon sens & de jugement pour reconnaître l’honneur & la gloire qui est réservée aux âmes Saintes & pieuses, puisque Dieu a créé l’homme à Son image, & l’a fait » inexterminable. »
On voit clairement dans ce chapitre la distinction de l’esprit & de l’âme. Le premier est une vapeur ignée, une étincelle, un feu qui donne la vie animale & le mouvement au corps, & qui se dissipe dans l’air, quand les organes se détruisent. L’âme est le principe des actions volontaires & réfléchies, & survit à la destruction du corps, & à la dissipation de l’esprit.
Ce chapitre détermine par conséquents le sens de ces paroles du même Auteur (Ecclesiast. c. 3. v, 19. & Suiv.) : « La condition de l’homme est la même que celle des » bêtes : les uns & les autres respirent, & la mort des bêtes est la même que celle de l’homme. ».
Cette vapeur ignée, cette parcelle de lumière anime donc le corps de l’homme & en fait jouer tous les ressorts. En vain cherche-t-on le lieu particulier où l’âme fait sa résidence, où elle commande en maître. C’est le séjour particulier de cet esprit qu’il faudrait chercher ; mais inu­tilement voudrait-on le déterminer. Toutes les parties du corps son animées ; il est répandu partout. Si la pression de la glande pinéale ou du corps calleux arrêtent l’action de cet esprit, ce n’est pas qu’il y habite en particulier ; c’est que les ressorts que l’esprit emploie pour faire jouer la machine, aboutissent la médiatement ou immédiatement. Leur jeu est empêché par cette pression : & l’esprit, quoique répandu partout, ne peut plus les faire agir.
La ténuité de cette vapeur ignée est trop grande pour être aperçue des sens, autrement que par ses effets. Ministre de Dieu & de l’âme dans les hommes, elle fuit uniquement dans les animaux les impressions & les lois que le Créateur lui a imposées pour les animer, leur donner le mou­vement conforme à leurs espèces. Il se fait tout à tout, & se spécifie dans l’homme & les animaux, suivant leurs organes. De là vient la con­formité qui se remarque dans un très grand nom­bre des actions des hommes & des bêtes. Dieu s’en sert comme d’un instrument au moyen duquel les animaux voient, goûtent, flairent, enten­dent. Il l’a constitué sous ses ordres le guide de leurs actions. Il le spécifie dans chacun d’eux, selon la différente spécification qu’il lui a plu de donner à leurs organes. De là la différence de leurs caractères, & leurs manières d’agir diffé­rences, mais néanmoins toujours uniformes quant à chacun en particulier, prenant toujours le même chemin pour parvenir an même but, quand il ne s’y trouve pas d’obstacles.
Cet esprit, que l’on appelle ordinairement instinct, quand il s’agit des animaux, déterminé & presque absolument spécifié dans chaque ani­mal, ne l’est pas dans l’homme, parce que celui de l’homme est l’abrégé & la quintessence de tous les esprits des animaux. aussi l’homme n’a-t-il pas un caractère particulier qui lui soit pro­pre, comme l’a chaque animal. Tout chien est fidèle ; tout agneau est doux ; tout lion est hardi, entreprenant ; tout chat est traître, sensuel ; mais l’homme est tout ensemble, fidèle, indiscret, traître, gourmand, sobre, doux, furieux, hardi, timide, courageux ; les circonstances ou la raison décident toujours de ce qu’il est à chaque instant de la vie, & l’on ne voit jamais dans aucun animal ces variétés que l’on trouve dans l’hom­me, parce qu’il possède lui seul le germe de tout cela. Chaque homme le verrait développer, & le réduirait de puissance en acte comme les animaux, toutes les fois que l’occasion s’en présente, si cet esprit n’était subordonné à une autre substance fort supérieure à la sienne. L’âme, pu­rement spirituelle, tient les rênes : elle le guide & le conduit dans toutes les actions réfléchies. Quelquefois il ne lui laisse pas le temps de don­ner ses ordres, & d’exercer son empire. Il agit de lui-même ; il met les ressorts du corps en mou­vement, & l’homme alors fait des actions pu­rement animales. Telles sont celles que l’on ap­pelle premier mouvement, & celles que l’on fait sans réflexion, comme aller, venir, manger, lorsqu’on à la tête pleine de quelque affaire Sérieuse qui l’occupe toute entière.
L’animal obéit toujours infailliblement a son penchant naturel, parce qu’il rend uniquement à la conservation de son être mortel & passager, dans laquelle gît tout son bonheur & sa félicité. Mais l’homme ne suit pas toujours cette pente ; parce que, s’il est porté à conserver ce qu’il y a en lui de mortel, il sent aussi un autre penchant qui le porte à travailler pour la félicité de sa partie immortelle, à laquelle il est très persuadé qu’il doit la préférence.
Dieu a donc créé l’homme à Son image, & l’a formé comme l’abrégé de tous ses ouvrages, & le plus parfait des êtres corporels. On l’ap­pelle avec raison Microcosme. Il est le centre où tout abouti : il renferme la quintessence de tout l’Univers. Il participe aux vertus & aux proprié­tés de tous les individus. Il a la fixité des mé­taux & des minéraux, la végétabilité des plantes, la faculté sensitive des animaux, & de plus une âme intelligente & immortelle. Le Créateur a renfermé dans lui, comme dans une boite de Pandore, tous les dons & les vertus des choses supérieures & inférieures. Il finit son ouvrage de la création par la formation de l’homme, parce qu’il fallait créer tout l’Univers en grand, avant d’en faire l’abrégé. Et comme l’Etre Suprême n’ayant point eu de commencement, était néan­moins le commencement de tout, il voulut met­tre le sceau à son ouvrage par un individu, qui, ne pouvant être sans commencement, fût au moins sans fin comme lui-même.
Que l’homme ne déshonore donc point le modèle dont il est l’image. Il doit penser qu’il, n’a pas été fait pour vivre seulement suivant son animalité, mais suivant son humanité propre­ment dite. Qu’il boive, qu’il mange ; mais qu’il prie, qu’il modère ses passions, qu’il travaille pour la vie éternelle, c’est en quoi il différera des animaux, & sera proprement homme.
Le corps de l’homme est Sujet à l’altération & à la dissolution entière, comme les autres mixtes. L’action de la chaleur produit ce changement dans la manière d’être de tous les individus su­blunaires, parce que leur masse étant un composée de parties plus grossières, moins pures, moins liées, & plus hétérogènes entre elles que celles des Astres ou des Planètes, elle est plus susceptible des effets de la raréfaction.
Cette altération est dans son progrès une vraie corruption qui se fait successivement, & qui par degrés dispose à une nouvelle génération, ou nouvelle manière d’être ; car l’harmonie de l’Univers consiste dans une diverse & graduée information de la matière qui le constitue.
Ce changement de formes n’arrive qu’aux corps de ce bas monde. La cause n’est pas, com­me plusieurs l’ont pensé, la contrariété ou l’op­position des qualités de la matière, mais sa pro­pre essence ténébreuse, & purement passive, qui n’ayant pas d’elle-même de quoi se donner une forme permanente, est obligée de recevoir ces formes différentes & passagères du principe qui l’anime, toujours selon la détermination qu’il a plu à Dieu de donner aux genres & aux espèces.
Pour suppléer à ce défaut originel de la matière, dont le corps même de l’homme a été formé, Dieu mit Adam dans le Paradis terrestre, afin qu’il pût combattre & vaincre cette caducité par l’usage du fruit de l’arbre de vie, dont il fut privé en punition de sa désobéissance, & condamné à subir le sort des autres individus que Dieu n’avoir pas favorisés de ce Secours.
La première matière dont tout a été fait, celle qui sert de base à tous les mixtes semble avoir été tellement fondue & identifiée dans eux, après qu’elle eut reçu sa forme de la lumière, qu’on ne saurait l’en séparer sans les détruire. La Na­ture nous a laisse un échantillon de cette masse confuse & informe, dans cette eau sèche, qui ne mouille point, que l’on voie sortir des mon­tagnes, ou qui s’exhale de quelques lacs, im­prégnée de la semence des choses, & qui s’é­vapore à la moindre chaleur. Cette eau sèche est celle qui fait la base du grand œuvre, suivant tous les Philosophes. Qui saurait marier cette matière toute volatile avec son mâle, en extraire les éléments, & les séparer philosophiquement, pourrait se flatter, dit d’Espagnet (Enchirid. Phys restit. can. 49.), d’avoir en sa possession le plus précieux secret de la Nature, & même l’abrégé de l’essence des cieux.

Des Eléments.

La Nature n’employa donc dès le commence­ment que deux principes simples, dont tout ce qui existe fut formé ; savoir, la matière pre­mière passive, & l’argent lumineux qui lui donna la forme. Les éléments sortirent de leur action, comme principes secondaires, du mélange desquels se forma une matière seconde, sujette aux vicissitudes de la génération & de la corruption.
En vain s’imaginera-t-on pouvoir, par le se­cours de l’art Chymique, acquérir & séparer les éléments absolument simples & distincts les uns des autres. L’esprit humain ne les connaît même pas. Ceux à qui le vulgaire donne le nom d’éléments, ne sont point réellement simples & ho­mogènes : ils sont tellement mêlés & unis ensemble, qu’ils sont inséparables.
Les corps sensibles de la terre, de l’eau, de l’air, qui dans leurs sphères sont réellement distincts, ne sont pas les premiers & simples éléments que la Nature emploie dans ses diverses générations. Ils semblent n’être que la matrice des autres. Les éléments simples sont imperceptibles & insensibles, jusqu’à ce que leur réunion constitue une matière dense, que nous appelons corps, à laquelle se joignent les éléments grossiers comme parties intégrantes. Ex insensibilibus namque omnia consiteare principiis constare (Lucret. lib. 2.). Les éléments qui constituent notre globe sont trop crus, impurs & indigestes pour former une par­faite génération. Mal à propos aussi les Chymistes & les Physiciens leur attribuent-ils les pro­priétés des vrais éléments principes. Ceux-ci sont comme l’âme des mixtes, ceux-là n’en sont que les corps. L’art ignore les premiers, & travaillerait en vain à y réduire les mixtes : c’est l’ouvrage de la Nature Seule.
Sur ces principes les anciens Philosophes dis­tinguèrent les éléments en trois seulement, & feignirent l’Univers gouverné par trois frères, enfants de Saturne, qu’ils dirent fils du ciel & de la terre. Les Egyptiens, chez qui les anciens Philosophes Grecs avaient puisé leur philosophie, regardaient Vulcain comme père de Sa­turne, si nous en croyons Diodore de Sicile. C’est sans doute la raison qui put les déterminer à ne pas mettre le feu au nombre des éléments. Mais comme ils supposaient que le feu de la Nature, principe du feu élémentaire, avait sa source dans le Ciel, ils en donnèrent l’empire à Jupiter ; & pour sceptre & marque distinctive, ils l’armèrent d’une foudre à trois pointes, & lui associèrent pour femme sa sœur Junon, qu’ils feignirent présider à l’air. Neptune fut constitué sur la mer, & Pluton Sur les enfers. Les Poètes adoptèrent ces idées des Philosophes, qui connaissant parfaitement la Nature, jugèrent à pro­pos de la distinguer seulement en trois, persuadés que les accidents, qui distinguent la basse région de l’air de la supérieure, ne fournissaient pas une raison suffisante pour en faire une distinction réelle. Ils n’y remarquaient qu’une dif­férence de sec & d’humide, de chaud & de froid mariés ensemble ; ce qui leur fit imaginer les deux sexes dans le même élément.
Chacun des trois frères avait un sceptre à trois pointes pour marque de son empire, & pour donner à entendre que chaque élément, tel que nous le voyons, est un composé des trois. Ils étaient proprement frères, puisqu’ils étaient sor­tis du même principe, fils du ciel & de la terre, c’est-à-dire, la première matière animée donc tout a été fait.
Pluton est appelé le Dieu des richesses & le Maître des enfers, parce que la terre est la source des richesses, & que rien ne tourmente les hom­mes comme la soif des richesses & l’ambition.
Il n’est pas plus difficile d’appliquer le reste de la Fable à la Physique. Plusieurs Auteurs se sont exercés sur cette matière, & ont comme dé­montré que les Anciens ne se proposaient que d’instruire par l’invention de ces fables. Les Philosophes Hermétiques, qui se flattent d’être les vrais disciples & les imitateurs de la Nature, firent une double application de ces principes, voyant dans les procédés & les progrès du grand œuvre les opérations de la Nature, comme dans un miroir ; ne se distinguèrent plus les uns des autres, & les expliquèrent de la même manière. Ils comparèrent alors tout ce qui se passe dans l’œuvre aux progrès successifs de la création de l’Univers, par une certaine analogie qu’ils cru­rent y remarquer. Est-il surprenant que toutes leurs fictions aient eu ces deux choses pour objet ? Si l’on y faisait réflexion, on ne trouverait pas tant de ridicule dans leurs Fables. S’ils personnifiaient tout, c’était pour rendre leurs idées plus sensibles ; & l’on reconnaîtrait bientôt que les actions ridicules & licencieuses qu’ils attribuaient à ces prétendus Dieux, n’étaient que les opérations de la Nature, que nous voyons tous les jours sans y faire assez d’attention. Vou­lant ne s’expliquer que par allégories, pouvaient-ils supposer les choses autrement faites & par d’autres acteurs ? Notre ignorance dans la Phy­sique ne nous donne-t-elle point le sot privilège de nous moquer d’eux, & de leur imputer le ridicule, qu’ils feraient peut-être aisément re­tomber sur nous s’ils étaient sur la terre, pour s’expliquer dans le goût du siècle présent ?
L’analyse des mixtes ne nous donne que le sec, & l’humide ; d’où l’on doit conclure qu’il n’y a que deux éléments sensibles dans le composé des corps ; savoir, la terre & l’eau. Mais la même expérience nous montre que les deux autres y sont cachés. L’air est trop subtil pour frapper nos yeux : l’ouïe & le toucher sont les seuls sens qui nous démontrent son existence. Quant au feu de la Nature, il est impossible à l’art de le manifester autrement que par ses effets.

De la Terre.

La terre est froide de sa nature, parce qu’elle ; participe plus de la première matière opaque & ténébreuse. Cette froideur en fait le corps le plus pesant, comme le plus dense ; & cette densité la rend moins pénétrable à la lumière, qui est le principe de la chaleur. Elle a été créée au milieu des eaux, avec lesquels les elle est toujours mêlée ; & le Créateur semble ne l’avoir rendue aride dans sa superficie, que pour la rendre pro­pre au séjour des végétaux & des animaux.
Le Créateur a fait la terre spongieuse, afin que l’air, l’eau & le feu y eussent un accès plus libre, & que le feu interne, qui lui fut infusé par l’esprit de Dieu avant la formation du So­leil (Cosmop. Tract. 4.), pût du centre à la superficie pousser par ses pores les vertus des éléments, & exhaler ces vapeurs humides qui corrompent les se­mences des choses par une légère putréfaction, & les préparent à la génération. Ces semences ainsi disposées reçoivent alors la chaleur céleste & vivifiante, l’attirent même par un amour magnétique ; le germe se développe, & la semence produit son fruit.
La chaleur propre an sein de la terre n’est propre qu’à la corruption. Son humidité l’affaiblit, & ne saurait rien produire, si elle n’est aidée de la chaleur céleste, pure & sans mélange, qui mène à la génération, en excitant l’action du feu interne, en le développant, en le dilatant, & en le tirant, pour ainsi dire, du centre des semences, où il est comme engourdi & ca­ché. Ces deux chaleurs, par leur homogénéité, travaillent de concert à la génération & à la conservation des mixtes.
Tout froid est contraire à la génération. Lorsqu’une matière est de cette nature, elle devient passive, & n’y est propre qu’autant qu’elle est aidée & corrigée par un secours étranger. L’Au­teur de la Nature voulant que la terre fût la matrice des mixtes, l’échauffe en conséquence continuellement par la chaleur des feux célestes & central, & y joint la nature humide de l’eau ; afin qu’aidée des deux principes de la génération, le chaud & l’humide, elle ne soit pas stérile, & devienne le vase où se font toutes le généra­tions (Cosmop. Ibid.). On dit, par cette raison, que la terre contient les autres éléments.
Elle peur être divisée en terre pure & terre impure. La première est la base de tous les mix­tes, & produit tout par le mélange de l’eau & l’action du feu. La seconde est comme l’habit de la première ; elle entre comme partie intégrante dans la composition des individus. La pure est animée d’un feu qui vivifie les mixtes, & les conserve dans leur manière d’être, amant de temps que le froid de l’impure ne le domine point, ou qu’il n’est point trop excité & tyrannisé par le feu artificiel & élémentaire Son fratricide. Ce qui est visible dans la terre est fixe, & ce qui est invisible est volatil.

De l’Eau.

L’eau est d’une nature de densité qui tient le milieu entre celle de l’air & celle de la terre. Elle est le menstrue de la Nature, & le véhicule des semences. C’est un corps volatil qui semble fuir les atteintes du feu, & s’exhale en vapeurs à la chaleur la plus légère. Il est susceptible de toutes les figures, & plus changeant que Prothée. L’eau est un mercure, qui prenant tantôt la na­ture d’un corps terra-aqueux, tantôt celle d’un, corps aqua-aérien, attire, & va chercher les ver­tus des choses supérieures & inférieures. Il de­vient par ce moyen le messager des Dieux & leur médiateur ; c’est par lui que s’entretient le commerce entre le ciel & la terre.
Un phlegme onctueux est répandu dans l’eau. (Mém. De l’Acad. de Berlin. I Partie.); M. Eller l’a fort bien reconnu dans ses observations. Une eau, dit-il, très purifiée & très dégagée de toutes les parties hétérogènes, (à la manière des Chymistes vulgaires) peut suffire la végétation. Elle fournit la terre, base de la solidité des plantes : elle répand même dans elle cette partie inflammable, huileuse ou résineuse qu’on y trouve.
Que l’on prenne une terre, après avoir été lessivée & desséchée au feu, dans laquelle on sera assuré qu’il n’y a aucune semence de plantes ; qu’on l’expose à l’air dans un vase, & que l’on ait soin de l’Arroser d’eau de pluie, elle produira des petites plantes en grand nombre ; preuve qu’elle est le véhicule des Semences.
Comme l’eau est d’une nature plus appro­chante de la nature de la première matière du monde, elle en devient aisément l’image. Le chaos d’où tout est sorti, était comme une va­peur, ou une substance humide. Semblable à une fumée Subtile. La lumière l’ayant raréfiée, les cieux se formèrent de la portion la plus subtilisée ; l’air, de celle qui l’était un peu moins ; l’eau élémentaire, de celle qui était un peu plus grossière ; & la terre, de la plus dense, & comme des fèces (Raymond Lulle, Testam, Anc. Théor.). L’eau participant donc de la nature de l’air & de la terre, se trouve placée au milieu. Plus légère que la terre & moins légère que l’air, elle est toujours mêlée avec l’un & l’autre. A la moindre raréfaction elle semble abandonner la terre pour prendre la nature de l’air ; est-elle condensée par le moindre froid, elle quitte l’air, & va se réunir à la terre.
La nature de l’eau est plutôt humide que froi­de, parce qu’elle est plus rare & plus ouverte à la lumière que n’est la terre. L’eau a conservé l’humidité, de la matière première & du chaos : la terre en a retenu la froideur.
La siccité est un effet du froid comme de la chaleur, & l’humide est le principal sujet sur lequel le chaud & le froid agissent. Lorsque ce­lui-ci est vif, il condense, il dessèche l’humide ; nous le voyons dans la neige, la glace, la grêle : de là vient la chute des feuilles en automne. Le froid augmente-t-il, l’hiver succède, l’humide se coagule dans les plantes, les pores se resserrent, la tige devient faible faute de nourriture : elles sèchent enfin. Si l’hiver est rigoureux, il porte la siccité jusque dans les racines : il attaque l’hu­mide vital, les plantes périssent. Comment peut-on dire après cela que le froid est une qualité de l’eau, puisqu’il est son ennemi, & que la Na­ture ne souffre pas qu’un élément agisse sur lui-même ? On parle, ce semble, un peu plus cor­rectement, quand on dit que le froid a brûlé les plantes. Le froid & le chaud brûlent également, mais d’une manière différence ; la chaleur en dilatant, & le froid en resserrant les parties du mixte.
Ce que l’eau nous présente de visible est volatil, son intérieur est fixe. L’air tempère son hu­midité. Ce que l’air reçoit du feu, il le communi­que à l’eau ; celle-ci à la terre.
On peut diviser cet élément en trois parties ; le pur, le plus pur & le très pur (Cosmopol, de l’eau); de celui-ci les cieux ont été faits ; du plus pur l’air, & le simplement pur est demeuré dans sa sphère : c’est l’eau ordinaire, qui ne forme qu’un même globe avec la terre. Ces deux éléments réunis sont tout, parce qu’ils contiennent les deux au­tres : De leur union naît un limon, dont la Nature Se sert pour former cous les corps. Ce limon est la matière prochaine de toutes les généra­tions. C’est une espèce de chaos où les éléments sont comme confondus. Notre premier père a été formé de limon, de même que toutes les générations qui s’en sont suivies. Du sperme & du menstrue se forme un limon, & de ce limon un animal.
Dans la production des végétaux, les semences se putréfie, & se changent en limon avant de germer. Il se consolide ensuite & se raffermit en corps végétal. Dans la génération des métaux, le soufre & mercure se résolvent en une eau visqueuse, qui est un vrai limon. La décoction coagule cette eau, la fixe plus ou moins, & il en résulte des minéraux & des métaux. Dans l’œuvre philosophique, on forme d’abord un limon de deux substances ou principes, après les avoir bien purifiés. Comme les quatre éléments s’y trouvent, le feu préserve la terre de submersion & de dissolution entière : l’air entretient le feu, l’eau conserve la terre contre les atteintes violentes de ce dernier; & agissant ainsi les uns sur les autres de concert, il en résulte un tout harmonique, qui compose ce qu’ils appellent la pierre Philosophale & le Microcosme.

De l’air.

L’air est léger, & n’est point visible, mais il contient une matière qui se corporifie, qui devient fixe. Il est d’une nature moyenne entre ce qui est au-dessus & au-dessous de lui ; c’est pourquoi il prend facilement les qualités de ses voisins. De là viennent les changements que nous éprouvons dans la basse région, tant du froid que de la chaleur.
L’air est le réceptacle des semences de tout, le crible de la Nature, par lequel les vertus & les influences des autres corps nous sont transmises. Il pénètre tout. C’est une fumée très sub­tile, le sujet propre de la lumière & des ténè­bres, du jour & de la nuit ; un corps toujours plein, diaphane, & le plus susceptible des qualités étrangères, comme le plus facile à les aban­donner. Les Philosophes l’appellent esprit, quand ils traitent du grand œuvre. Il contient les esprits vitaux de tous les corps ; il est l’aliment du feu, des végétaux & des animaux, qui meurent quand on le leur soustrait. Rien ne naîtrait dans le monde sans sa force pénétrante & altérante, & rien ne peut résister à sa raréfaction.
La région Supérieure de l’air, voisine de la Lune, est pure sans être ignée, comme on l’a longtemps enseigné dans les écoles, sur l’opi­nion de quelques Anciens. Sa pureté n’est souil­lée par aucune des vapeurs qui s’élèvent de la basse.
La moyenne reçoit les exhalaisons Sulfureuses les plus subtiles, débarrassées des vapeurs grossières. Elles y errent, & s’y allument de temps en temps par leurs mouvements & les différents chocs qu’elles subissent entre elles. Ce sont les divers météores que nous y apercevons.
Dans la basse région s’élèvent & se ramassent les vapeurs de la terre. Elles s’y condensent par le froid, & retombent par leur propre poids. La Nature rectifie ainsi, l’eau, & la purifie, pour la rendre propre à ses générations. C’est pourquoi on distingue les eaux en supérieures & en inférieures. Celles-ci sont contiguës à la terre, y sont appuyées comme sur leur base, & ne for­ment qu’un même globe avec elle. Les supé­rieures occupent la basse région de l’air où elles se sont élevées en forme de vapeurs & de nuages, & où elles errent au gré des vents. L’air en est rempli en tout temps ; mais elles ne se manifestent à notre vue qu’en partie, lorsqu’elles se condensent en nuées. C’est une suite de la création. Dieu répara les eaux du firmament, de celles qui étaient au-dessous. Il ne doit pas être surprenant que toutes ces eaux rassemblées aient pu cou­vrir toute la surface de la terre, & former un déluge universel, puisqu’elles la couvraient avant que Dieu les en eût séparées (Gen. ç. 5.). Ces masses hu­mides qui volent sur nos têtes, sont comme des voyageurs qui vont recueillir les richesses de tous les pays, & reviennent en gratifier leur patrie.

Du Feu.

Quelques Anciens plaçaient le feu comme quatrième élément, dans la plus haute région de l’air, parce qu’ils le regardaient comme le plus léger & le plus subtil Mais le feu de la Nature ne diffère point du feu céleste ; c’est pour­quoi Moise n’en fait aucune mention dans la Genèse, parce qu’il avait dit que la lumière fut créée le premier jour.
Le feu dont on use communément est en par­tie naturel, & artificiel en partie. Le Créateur a ramassé dans le Soleil un esprit igné, principe de mouvement & d’une chaleur douce, telle qu’il la faut à la Nature pour ses opérations. Il la communique à tous les corps, & en excitant & développant le feu qui leur est inné, il conserve le principe de la génération & de la vie. Chaque individu y participe plus ou moins. Qui cherche dans la Nature un autre élément du feu, ignore ce que c’est que le Soleil & la lumière.
Il est logé dans l’humide radical, comme dans le siège qui lui est propre. Chez les animaux, il semble avoir établi son domicile principal dans le cœur, qui le communique à toutes les parties, comme le Soleil le fait à tout l’Univers.
Le feu de la nature est son premier agent. Il réduit les semences de puissance en acte. Sitôt qu’il n’agit plus, tout mouvement apparent cesse, & toute action vitale. Le mouvement a la lu­mière pour principe, & le mouvement est la cause de la chaleur. C’est pourquoi l’absence du Soleil & de la lumière font de si grands effets sur les corps. La chaleur pénètre dans l’intérieur des plus opaques & des plus durs, & y anime la nature cachée & engourdie. La lumière ne pénètre que les corps diaphanes, & son propre est de manifester les accidents sensibles des mixtes. Le Soleil est donc le premier agent naturel & universel.
En partant du Soleil, la lumière frappe les corps denses, tant célestes que terrestres ; elle met leurs facultés en mouvement, les emporte, les réfléchit avec elle, & les répand tant dans l’air supérieur que dans l’inférieur. L’air ayant une disposition à se mêler avec l’eau & la terre, devient le véhicule de ces facultés, & les com­munique aux corps qui en sont formés, ou qui en sont susceptibles par l’analogie qu’ils ont avec elles. Ce sont ces facultés que l’on appelle influences. Nombre de Physiciens en nient l’existence, parce qu’ils ne les connaissent pas.
On divise le feu en trois, le céleste, le terrestre ou central, & l’artificiel. Le premier est le principe des deux autres, & se distingue en feu universel, & feu particulier. L’universel répandu partout excite & met en mouvement les vertus des corps ; il échauffe & conserve les se­mences des choses infusées dans notre globe, destiné à leur servir de matrice. Il développe le feu particulier ; il mêle les éléments, & donne la forme à la matière.
Le feu particulier est inné, & implanté dans chaque mixte avec sa semence. Il n’agit guère que lorsqu’il est excité ; il fait alors dans la par­tie de l’Univers, ce que le Soleil son père fait dans le tout.
Partout où il y a génération, il y a nécessairement du feu, comme cause efficiente. Les An­ciens le pensaient comme nous (Virg. AEneid. 1. 6.). Mais il est surprenant qu’ils aient admis une contrariété & une opposition entre le feu & l’eau, puisqu’il n’y a point d’eau sans feu, & qu’ils agissent toujours de concert dans les générations des individus.
Tout œil un peu clairvoyant doit au con­traire remarquer un amour, une sympathie qui fait la conservation de l’Univers, le cube de là Nature, & le lien le plus solide pour unir les éléments, & les choses supérieures avec les infé­rieures. Cet amour même est, pour ainsi dire, ce que l’on devrait appeler la Nature, le ministre du Créateur, qui emploie les éléments pour exécuter ses volontés, selon les lois qu’il lui a imposées. Tout se fait dans le monde en paix & en union, ce qui ne peut être un effet de la haine & de la contrariété. La Nature ne serait pas si semblable à elle-même dans la formation des individus de même espèce, si tout chez elle ne se faisait pas de concert. Nous ne verrions que des monstres sortir de la semence hétérogène de pères perpétuellement ennemis, & qui se combattraient sans cesse. Voyons-nous les ani­maux travailler par haine & par contrariété à la propagation de leurs espèces ? Jugeons des autres opérations de la Nature par celle-là : ses lois sont simples & uniformes.
Que la Philosophie cesse donc d’attribuer l’al­tération, la corruption, la caducité, la déca­dence des mixtes à la contrariété prétendue entre les éléments : elle se trouve dans la pénurie & la faiblesse propre à la matière première ; car dans le chaos, Frigida non pugnabant calidis, humentia siccis. Tout y était froid & humide, qualités qui conviennent à la matière, comme femelle. Le chaud & le sec, qualités masculines & formelles, lui sont venus de la lumière, dont elle a reçu la forme. Aussi n’est-ce qu’après la retraite des eaux que la terre fut appelée aride ou Sèche.
Nous voyons sans cesse que le chaud & le sec donnent la forme à tout. Un Potier ne réussirait jamais à faire un vase, si la sécheresse ne donne à sa terre un certain degré de liaison & de soli­dité. La terre est-elle trop mouillée, trop molle, c’est de la boue, c’est un limon qui n’a aucune forme déterminée.
Tel était le chaos, avant que la chaleur de la lumière l’eût raréfié, & fait évaporer une partie de l’humidité. Les parties se rapprochèrent, le limon du chaos devine terre, & une terre d’une consistance propre à servir de matière à la forma­tion de tous les mixtes de la Nature.
Le chaud & le sec ne sont donc que des qua­lités accidentelles à la première matière; elle n’en a été douée qu’en recevant sa forme (Genes. ch. I.). Aussi n’est-il point dit dans la Genèse, que Dieu trouva le chaos très bon, comme il l’assure de la lumière & des autres choses. L’abîme semble n’avoir acquis un degré de perfection, que lorsqu’il commença à produire. La confusion, la difformité, une densité opaque, une froideur, une humidité indigeste, & une impuissance étaient son apanage, qualités qui indiquent un corps languissant, malade, disposé à la corrup­tion. Il a conservé quelque chose de cette tache originelle & primitive, & en a infecté tous les corps qui en sont sortis, pour être placé dans cette basse région. C’est pourquoi tous les mixtes y ont une manière d’être passagère, quant à la détermination de leur forme individuelle & spé­cifiée.
Quelque opposées que semblent être la lumière & les ténèbres, depuis qu’elles ont concouru, l’une comme agent, l’autre comme patient, à la formation de l’Univers, elles ont fait dans ce concours de leurs qualités contraires, un traité de paix presque inaltérable, qui a passe dans la famille homogène des éléments, d’où s’en est suivi la génération paisible de tous les individus. La Nature se plaît dans la combinaison, & fait tout par proportion, poids & mesure, & non par contrariété.
Est modus in rébus, sunt certè denique fines,
Quos ultra citraque nequit consistere rectum.
Hor. Art. Poët.
Chaque éléments a en propre une des qualités dont nous parlons. Le chaud, le sec, le froid & l’humide sont les quatre roues que la Nature emploie pour produire le mouvement lent, gra­dué & circulaire qu’elle semble affecter dans la formation de tous ses ouvrages.
Le feu, son agent universel, est le principe du feu élémentaire. Celui-ci se nourrit de toutes les choses grasses, parce que tout ce qui est gras est de la nature humide & aérienne. Quoiqu’à l’ex­térieur il nous paroisse sec, tel que le soufre, la poudre à canon, &c. l’expérience nous apprend que cet extérieur cache un humide gras, onc­tueux, huileux, qui se résout à la chaleur.
Ceux qui ont imaginé qu’il se formait dans l’air des corps durs, tels que les pierres de foudre, se sont trompés, s’ils les ont regardés comme des corps proprement terrestres. C’est une matière qui appartient à l’élément grossier de l’eau : une humeur grasse, visqueuse, renfermée dans les nuages comme dans un fourneau, où elle se condense en se mêlant avec des exhalaisons sulfureuses, par conséquent chaudes & très aisées à s’enflammer. L’air qui s’y trouve renfermé & trop resserré par la condensation, s’y raréfie par la chaleur, & y fait le même effet que la poudre à canon dans une bombe : le vaisseau éclate, le feu répandu dans l’air, débarrasse de ses liens par le mouvement, produit cette lumière & ce bruit qui étonne souvent les plus intrépides.
Notre feu artificiel & commun a des proprié­tés tout-à-fait contraires au feu de la Nature, quoiqu’il l’ait pour père. Il est ennemi de toute génération ; il ne s’entretient que de la ruine des corps ; il ne se nourrit que de rapine; il réduit tout en cendres, & détruit tout ce que l’au­tre compose. C’est un parricide, le plus grand ennemi de la Nature ; & si l’on ne savait opposer des digues à sa fureur, il ravagerait tout. Est-il surprenant que les souffleurs voient périr tout entre ses mains, leurs biens & leur santé s’évanouir en fumée, & une cendre inutile pour toute ressource ?
M. Stahl n’est pas le premier, comme le veut M. Pott, qui ait donné des idées raisonnables & liées sur la substance du feu qui se trouve dans les corps ; mais il est le premier qui en a raisonné sous le nom de Phlogistique. On a vu ci-devant le sentiment des Philosophes Hermétiques à ce sujet. Il ne faut qu’ouvrir leurs livres pour être convaincu qu’ils connaissaient parfaitement cet agent de la Nature ; & que M. Pott avance mal à propos que les Auteurs antérieurs à M. Stahl se perdaient dans des obscurités continuelles & des con­tradictions innombrables. Peut-être ne parle-t-il que des Chymistes & des Physiciens vulgaires ; mais dans ce cas il aurait dû faire une exception des Chymistes Hermétiques, qu’il a sans doute lus, & avec lesquels il s’est du moins si heureusement rencontré, dans son Traité du feu & de la lumière, imprimé avec la Traduction Française de sa Lithogéognosie. M. Stahl les avait étudiés avec beaucoup d’attention. Il en fournit une grande preuve, non seulement pour avoir raisonné comme eux sur cette matière, mais par le grand nombre de citations qu’il en fait dans son Traité qui a pour titre : Fundamenta Chemiae dogmaticae & experimentalis. Il y donne au mer­cure le nom d’eau sèche, nom que les Philosophes Hermétiques donnent au leur. Basile Valentin, Philalèthe & plusieurs autres sont cités à cet égard. Il distingue même les Chymistes vulgaires des Chymistes Hermétiques, ( part. i. p. 114 ) en nommant les premiers Physici communes, & les Seconds Chymici alii. Dans la même partie du même ouvrage, pag. 2. il dit qu’Isaac Hollandais, Arnaud de Villeneuve, Raymond Lulle, Basile Valentin, Trithème, Paracelse, &c. se sont rendus recommandables dans l’Art Chymique.
Loin de mépriser, comme tant d’autres, & de rejeter comme faux ce que ces Auteurs disent, cet habile homme se contente de parler comme eux, & dit, p. 183. qu’ils se sont exprimés par énigmes, allégories, &c. pour cacher leur secret au Peuple, & semblent n’avoir affecté des con­tradictions, que pour donner le change aux Lecteurs ignorants. Il s’étend encore davantage sur cette matière, pag. 219. & suiv. où il ap­pelle les Chymistes Hermétiques du nom de Philosophes. On peut après un si grand homme employer cette dénomination. Nous aurons oc­casion de parler encore de M. Pott, en traitant de la lumière & de ses effets.
La proximité de l’eau & de la terre fait qu’ils sont presque toujours mêlés. L’eau délaye la terre ; celle-ci épaissit l’eau ; il s’en forme du limon. Si l’on expose ce mélange à une chaleur vive, chaque élément visible retourne à sa sphère, & la forme du corps se détruit.
Placée entre la terre & l’air, l’eau est propre­ment la cause des révolutions, du désordre, du trouble, de l’agitation, & du renversement que l’on remarque dans l’air & la terre. Elle obscurcit l’air par de noires & dangereuses vapeurs, elle inonde la terre : elle porte la corruption dans l’un & dans l’autre, & par son abondance ou sa disette, elle trouble l’ordre des saisons & de la Nature. Elle fait enfin autant de maux que de biens.
Quelques Anciens disaient que le Soleil présidait particulièrement au feu, & la Lune à l’eau, parce qu’ils regardaient le Soleil comme la source du feu de la Nature, & la Lune comme le principe de l’humide. Ce qui a fait dire à Hippocrate (Lib. I°. de Dioetâ.) que les éléments du feu & de l’eau pouvaient tout, parce qu’ils renfermaient tout.

Des opérations de la Nature.

La sublimation, la descension & la coction sont trois instruments ou manières d’opérer que la Nature emploie pour parfaire ses ouvrages. Par la première, elle évacue l’humidité superflue, qui suffoquerait le feu, & empêcherait son action dans la terre sa matrice.
Par la descension, elle rend à la terre l’humi­dité dont les végétaux ou la chaleur l’ont pri­vée. La sublimation se fait par l’élévation des vapeurs dans l’air, où elles se condensent en nua­ges. La seconde se fait par la pluie & la rosée. Le beau temps succède à la pluie, & la pluie au beau temps à l’alternative; une pluie continuelle inonderait tout, un beau temps perpétué dessécherait tout. La pluie tombe gouttes à gouttes, parce que versée trop abondamment, elle perdrait tout, comme un Jardinier qui arroserait ses graines à pleins seaux. C’est ainsi que la Nature distribue ses bienfaits avec poids, mesure & proportion.
La coction est une digestion de l’humeur crue instillée dans le sein de la terre, une maturation, & une conversion de cet humeur en ali­ment, au moyen de son feu secret.
Ces trois opérations sont tellement liées ensemble, que la fin de l’une est le commencement de l’autre. La sublimation a pour objet de convertir une chose pesante en une légère ; une exhalaison en vapeurs ; d’atténuer le corps crasse & impur, & de le dépouiller de ses fèces ; de faire prendre à ces vapeurs les vertus & propriétés des choses supérieures, & enfin de débar­rasser la terre d’une humeur superflue qui empocherait ses productions.
A peine ces vapeurs sont-elles sublimées, qu’elles se condensent en pluie, & de Spiritueuses & invisibles qu’elles étaient, elles deviennent, un instant après, un corps dense & aqueux, pour retomber sur la terre, & l’imbiber du nectar céleste dont il a été imprégné pendant son séjour dans les airs. Sitôt que la terre l’a reçu, la Na­ture travaille à le digérer & le cuire.
Chaque animal, le plus vil vermisseau est un petit monde où toutes ces choses se font. Si l’homme cherche le monde hors de lui-même, il le trouvera partout. Le Créateur en a fabriqué une infinité de la même matière ; la forme seule en est différence. L’humilité donc convient par­faitement à l’homme, & la gloire à Dieu seul.
L’eau contient un ferment, un esprit vivifiant, qui découle des natures supérieures sur les infé­rieures, donc elle s’est imprégnée en errant dans les airs, & qu’elle dépose ensuite dans le sein de la terre. Ce ferment est une semence de vie, sans laquelle l’homme, les animaux & les vé­gétaux ne vivraient & n’engendreraient point. Tout respire dans la Nature ; & l’homme ne vie pas de pain seul, mais de cet esprit aérien qu’il aspire sans cesse.
Dieu seul, & la Nature son ministre, savent se faire obéir des éléments matériels principes des corps. L’art n’y saurait atteindre ; mais les trois qui en résultent, deviennent sensibles dans la résolution des mixtes. Les Chymistes les nom­ment soufre, sel & mercure. Ce sont les éléments principiés. Le mercure se forme par le mé­lange de l’eau & de la terre : le soufre, de la terre & de l’air ; le sel, de l’air & de l’eau condensés. Le feu de la Nature s’y joint comme prin­cipe formel. Le mercure est composé d’une terre grasse visqueuse & d’une eau limpide. Le Soufre, d’une terre très sèche, très subtile, mêlée avec l’humide de l’air. Le sel, enfin d’une eau crasse, pontique, & d’un air crud qui s’y trouve em­barrassé. Voyez la Physique souterraine de Beccher.
Démocrite a dit que tous les mixtes étaient composés d’arômes, ce sentiment ne paraît point ’éloigné de la vérité, quand on fait attention à ce que la raison nous dicte, & à ce que l’expé­rience nous démontre. Ce Philosophe a voilé comme les autres, sous cette manière obscure de s’expliquer, le vrai mélange des éléments, qui, pour être conforme aux opérations de la Na­ture, doit se faire intimement, ou, comme on dit, per minima, & actu indivisibilia corpuscula. Sans cela les parties ne feraient pas un tour continu. Les mixtes se résolvent en une vapeur très Subtile par la distillation, artificielle ; & la Nature n’est-elle pas une ouvrière bien plus adroite que l’homme le plus expérimenté ? C’est tout ce que Démocrite a voulu dire.

Des manières d’être générales des Mixtes.

On remarque trois façons d’être (Cosmop. Nov. lum. Chem. Tr. 7.), qui constituent trois genres, ou trois classes appelées règnes, l’animal, le végétal, & le minéral. Les minéraux s’engendrent dans la terre seulement, les végétaux ont leurs racines dans la terre, & s’élèvent dans l’eau & l’air ; les animaux pren­nent naissance dans l’air, l’eau & la terre; & l’air test pour tous un principe de vie.
Quelque différence que les mixtes paraissent avoir quant à leurs formes extérieures, ils ne diffèrent point de principes (Cosmop. Travt. 2.) ; la terre & l’eau leur servent de base à tous, & l’air n’entre presque dans leur composition que comme instrument, de même que le feu. La lumière agit sur l’air, l’air sur l’eau, l’eau sur la terre. L’eau devient souvent l’instrument du mélange dans les ou­vrages de l’art, mais ce mélange n’est que su­perficiel, comme nous le voyons dans le pain, la brique, &c. Il y a une autre mixtion intime que Beccher appelle centrale (Phys. sub. sect. i. c. 4.). C’est celle par laquelle l’eau est tellement mêlée avec la terre, qu’on ne peut les séparer sans détruire la forme du mixte. Nous n’encrerons point dans le détail des différents degrés de cette cohésion, afin d’être plus court. On peut voir tout cela dans l’ouvrage que nous venons de citer.

De la différence qui se trouve entre ces trois Règnes.

Le Minéral.

On dit communément des minéraux qu’ils existent, & non pas qu’ils vivent, comme on le dit des animaux & des végétaux ; quoiqu’on puisse dire que les métaux tirent en quelque fa­çon leur vie des minéraux, soit parce que dans leur génération il y a comme une jonction du mâle & de la femelle sous les noms de soufre & de mercure, qui par une fermentation, une cir­culation, & une cuisson continuée, se purifient avec le secours de sel de nature, se cuisent & se forment enfin en une masse que nous appe­lons métal, soit parce que les métaux parfaits contiennent un principe de vie, ou feu inné, qui devenu languissant, & comme sans mouve­ment sous la dure écorce qui le renferme, y est caché comme un trésor, jusqu’à ce qu’étant mis en liberté par une solution philosophique de cette écorce, il se développe & s’exalte par un mou­vement végétatif, au plus haut degré de perfection que l’art puisse lui donner.

Le Végétal.

Une âme ou esprit végétatif anime les plantes, c’est par lui qu’elles croissent & se multiplient ; mais elles sont privées du sentiment & du mou­vement des animaux. Leurs semences sont hermaphrodites, quoique les Naturalistes aient re­marqué les deux sexes dans presque cous les végé­taux. L’esprit végétatif & incorruptible se déve­loppe dans la fermentation & la putréfaction des semences. Quand le grain pourrit en terre sans germer, cet esprit va rejoindre sa sphère.

Les animaux ont de plus que les minéraux & les végétaux une âme sensitive, principe de leur vie & de leurs mouvements. Ils sont comme le complément de la Nature quant aux êtres Sublunaires. Dieu a distingué & séparé les deux sexes dans ce règne, afin que de deux il en vînt un troisième. Ainsi dans les choses les plus parfaites se manifeste plus parfaitement l’image de la Trinité.
L’homme est le Prince Souverain de ce bas monde. Toutes ses facultés sont admirables. Les troubles qui s’élèvent dans son esprit, ses agita­tions, ses inquiétudes, sont comme des vents, des éclairs, des tonnerres, des tourbillons, & des météores qui s’élèvent dans le grand monde. Son cœur, son sang, tout son corps même en sont quelquefois agités, mais ce sont comme des tremblements de terre, & tout prouve en lui qu’il est véritablement l’abrégé de l’Univers. David n’avait-il donc pas raison de s’écrier que Dieu est infiniment admirable dans ses ou­vrages (Psal. 91.6.& 138. 14.) ?

De l’âme des Mixtes.

Tous les mixtes parfaits qui ont vie, ont une âme, ou esprit, & un corps. Le corps est composé de limon, ou de terre & d’eau, l’âme qui donne la forme au mixte, est une étincelle du feu de la Nature, ou un rayon imperceptible de la lumière, qui agit dans les mixtes, suivant la dis­position actuelle de la matière, & la perfection des organes spécifiés dans chacun d’eux. Si les bêtes ont une âme, elle ne diffère guère de leur esprit que du plus au moins.
Les formes spécifiques des mixtes, ou, si l’on veut, leur âme, conserve une je ne sais quelle connaissance de leur origine. L’âme de l’homme se réfléchie souvent sur la lumière divine par la contemplation. Elle semble vouloir pénétrer dans ce sanctuaire accessible à Dieu Seul : elle y tend sans cesse, & y retourne enfin. Les âmes des animaux, sorties du secret des Cieux, & des trésors du Soleil, semblent avoir une sympathie avec cet Astre, par les différents présages de son lever, de son coucher, du mouvement même des cieux, & des changements de température de l’air, que les mouvements des animaux nous annoncent.
Fournies par l’air, & presque entièrement aériennes, les âmes des végétaux poussent tant qu’elles peuvent la tête de leur tige en haut, comme empressées de retourner à leur patrie.
Les rochers, les pierres, formés d’eau & de terre, se cuisent dans la terre comme un ouvrage de poterie, c’est pourquoi ils rendent à la terre, comme en faisant partie. Mais les pierres précieuses & les métaux sont plus favorisés des influences célestes ; les premières sont comme des larmes du Ciel, & une rosée céleste congelée, c’est pourquoi les Anciens leur attribuaient tant de vertus. Le Soleil & les Astres semblent avoir aussi une attention particulière pour les métaux, & l’on dirait que la Nature leur laisse le soin de leur imprimer la forme. L’âme des métaux est comme emprisonnée dans leur matière ; le feu des Philosophes sait l’en tirer pour lui faire pro­duire un fils digne du Soleil, & une quintessence admirable, qui rapproche le Ciel de nous.
La lumière est le principe de la vie, & les ténèbres sont celui de la mort. Les âmes des mixtes font des rayons de lumière, & leurs corps font des abîmes de ténèbres. Tout vit par la lu­mière, & tout ce qui meurt en est privé. C’est de ce principe auquel on fait si peu d’attention, qu’on dit communément d’un homme mort, qu’il a perdu le jour, la lumière; & que Saint Jean dit (Evang. c. l.), la lumière est la vie des hommes.
Chaque mixte a des connaissances qui lui sont propres. Quant aux animaux, il Suffit de réfléchir sur leurs actions pour en être convaincu. Le temps de s’accoupler qui leur est si bien connu ; la juste distribution des parties dans les petits qui en viennent ; l’usage qu’ils font de chaque mem­bre ; l’attention & le soin qu’ils se donnent, tant pour la nourriture de leurs petits, que pour leur défense ; leurs différences affections de plai­sir, de crainte, de bienveillance envers leurs maîtres, leurs dispositions à en recevoir les instructions ; leur adresse à se procurer les besoins de la vie ; leur prudence à éviter ce qui peut leur nuire, & tant d’autres choses qu’un observateur peut remarquer, prouvent que leur âme est douée d’une espèce de raisonnement.
Les végétaux ont aussi une faculté virale, & une manière de connaître & de prévoir. Les fa­cultés vitales sont chez eux le soin d’engendrer leurs semblables, les vertus multiplicatives, nu­tritives, augmentatives, sensitives & autres. Leur notion Se manifeste dans le présage du temps, & la connaissance de la température qui leur est fa­vorable pour germer & pousser leurs tiges. Leurs observations strictes des changements, comme lois de la Nature dans le choix de l’aspect du Ciel qui leur est propre ; dans la manière d’enfoncer leurs racines, d’élever leurs tiges, d’étendre leurs brandies, de développer leurs feuilles, de con­figurer & de colorer leurs fruits, de transmuer les éléments en nourriture, d’infuser dans leurs semences une vertu prolifique.
Pourquoi certaines plantes ne pouffent-elles que dans certaines saisons, quoiqu’elles se sè­ment d’elles-mêmes par la chute naturelle de leurs graines, ou qu’on les sème sitôt qu’elles sont en maturité ? Elles ont dès lors leur principe végé­tatif, & néanmoins elles ne le développeront que dans un temps marqué, à moins que l’art ne leur fournisse ce qu’elles trouveraient dans la sai­son qui leur est propre. Pourquoi une plante semée dans une mauvaise terre tout joignant une bonne, poussera-t-elle ses racines du côté de cette dernière ? Qu’est ce qui apprend à un oignon mis en terre le germe en bas, à le diriger vers l’air ? Comment le lierre, & autres plantes de telle espèce, dirigent- elles leurs faibles branches vers les arbres qui peuvent les soutenir ? Pourquoi la citrouille allonge-t-elle son fruit de tout son possible vers un vase plein d’eau, placé auprès ? Qu’est-ce qui enseigne aux plantes dans lesquelles on remarque les deux sexes, à se placer commu­nément le mâle auprès de la femelle, & même assez souvent inclinés l’un vers l’autre ? Avouons que tout cela passe notre entendement ; que la Nature n’est pas aveugle, & qu’elle est gouvernée par la sagesse même.

De la génération & de la corruption des Mixtes.

Tout retourne à son principe. Chaque indi­vidu est en puissance dans le monde matériel avant que de paraître au jour sous sa forme indi­viduelle, & retournera dans son temps, & à son rang au même point d’où il est sorti, comme les neuves dans la mer, pour renaître à leur tour (Eccles.1.7.). C’était peut-être ainsi que Pythagore entendait sa métempsycose, que l’on n’a pas comprise.
Lorsque le mixte se dissout, par le vice des éléments corruptibles qui le composent, la partie éthérée l’abandonne, & va rejoindre sa patrie.
Il Se fait alors un dérangement, un désordre & une confusion dans les parties du cadavre, par l’absence de celui qui y conservait l’ordre. La mort, la corruption s’en emparent, jusqu’à ce que cette matière reçoive de nouveau les influen­ces célestes qui réunissant les éléments épars & errants, les rendra propres à une nouvelle géné­ration.
Cet esprit vivifiant ne se sépare pas de la ma­tière pendant la putréfaction générative, parce qu’elle n’est pas une corruption entière & par­faite, comme celle qui produit la destruction du mixte. C’est une corruption combinée, & causée par cet esprit même, pour donner à la matière la forme qui convient à l’individu qu’il doit ani­mer. Il y est quelquefois dans l’inaction, tel qu’on le voit dans les semences ; mais il n’attend que d’être excité. Sitôt qu’il l’est, il met la matière en mouvement, & plus il agit, plus il acquière de nouvelles forces jusqu’à ce qu’il ait achevé de perfectionner le mixte.
Que les Matérialistes, les partisans ridicules du hasard dans la formation des mixtes & leur conservation, examinent & réfléchissent un peu sérieusement & sans préjugés sur tout ce que nous avons dit, & qu’ils me disent ensuite comment un être imaginaire peut être la cause efficiente de quelque chose de réel & de si bien combiné. Qu’ils suivent cette Nature pas à pas. Ses procé­dés, les moyens qu’elle emploie, & ce qui en résulte. Ils verront, s’ils ne veulent pas fermer les yeux à la lumière, que la génération des mixtes a un temps déterminé ; que tout se fait dans l’Univers par poids & mesure, & qu’il n’y a qu’une sagesse infinie qui puisse y présider.
Les éléments commencent la génération par la putréfaction, comme les aliments la nutrition. Ils se résolvent en nature humide ou première matière ; le chaos se fait alors, & de ce chaos la génération. C’est donc avec raison que les Phy­siciens disent que la conservation est une création continuée, puisque la génération de chaque in­dividu répond analogiquement à la création & à la conservation du macrocosme. La Nature est toujours semblable à elle-même ; elle n’a qu’une voie droite, donc elle ne s’écarte que par des obstacles insurmontables, alors elle fait des monstres.
La vie est le résultat harmonique de l’union de la matière avec la forme, ce qui constitue la perfection de l’individu. La mort est le terme préfixe où se fait la désunion, & la séparation de la forme & de la matière. On commence à mourir dès que cette désunion commence, & la dissolution du mixte en est le complément.
Tout ce qui vie soit végétal, soit animal, a besoins de nourriture pour sa conservation, & ces aliments sont de deux sortes. Les végétaux ne se nourrissent pas moins d’air que d’eau & de terre. Les mamelles mêmes de celle-ci tariraient bientôt, si elles n’étaient continuellement abreu­vées du lait éthéréen. C’est ce que Moise nous exprime parfaitement par les termes de la bé­nédiction qu’il donna aux fils de Joseph : De benedictione Domini terra ejus ; de pomis cœli & rore atque abysso subjacente ; de pomis fructuum Solis & Lunœ ; de pomis collium œternorum ; de vertice antiquorum montium ; & de frugibus terrœ , & de plenitudine ejus, &c. (Deuter. 33.)
Serait-ce seulement pour rafraîchir le cœur, que la Nature aurait pris soin de placer auprès de lui les poumons, ces admirables & infatiga­bles soufflets ? Non, ils ont un usage plus essentiel : c’est pour aspirer & lui transmettre continuellement cet esprit éthéréen qui vient au secours des esprits vitaux, & répare leur perte & les multiplie quelquefois. C’est pourquoi l’on respire plus souvent quand on se donne beaucoup d’agitation, parce qu’il se fait alors une plus grande déperdition esprits, que la Nature cher­che à remplacer.
Les Philosophes donnent le nom d’esprits, ou natures spirituelles, non seulement aux êtres créés sans être matière, & qui ne peuvent être connues que par l’intellect, telles que les Anges, les Dé­mons ; mais celles-là mêmes qui, quoique maté­rielles, ne peuvent être aperçues des sens, à cause de leur grande ténuité. L’air pur ou Ether est de cette nature, les influences des corps cé­lestes, le feu inné, les esprits séminaux, vi­taux, végétaux, &c. Ils sont les ministres delà Nature, qui semble n’agir sur la matière que par leur moyen.
Le feu de la Nature ne se manifeste dans les animaux que par la chaleur qu’il excite. Lorsqu’il se retire, la mort prend sa place, le corps élé­mentaire ou le cadavre reste entier jusqu’à ce qu’il commence à se résoudre. Ce feu est trop faible dans les végétaux, pour y devenir sensible au sens même du coucher.
On ne sait pas quelle est la nature du feu commun ; sa matière est si ténue, qu’elle ne se manifeste que par les autres corps auxquels elle s’attache. Le charbon n’est pas feu, ni le bois qui brûle, ni la flamme, qui n’est qu’une fumée enflammée. Il paraît s’éteindre & s’évanouir quand l’aliment lui manque. Il faut qu’il soit un effet de la lumière sur les corps combustibles.

De la Lumière.

L’origine de la lumière nous prouve Sa nature Spirituelle. Avant que la matière commençât à recevoir sa forme, Dieu forma la lumière; elle se répandit aussitôt dans la matière, qui lui servie comme de mèche pour son entretien. La manifestation de la lumière fut donc comme le premier acte que Dieu exerça sur la matière ; le premier mariage du créateur avec la créature, & celui de l’esprit avec le corps.
Répandue d’abord partout, la lumière sembla se réunir dans le Soleil, comme plusieurs rayons se réunissent dans un point. La lumière du So­leil est par conséquent un esprit lumineux, atta­ché inséparablement à cet Astre, donc les rayons se revêtent des parties de l’Ether pour devenir sensibles à nos yeux. Ce sont des ruisseaux qui coulent sans cesse d’une source inépuisable, & qui se répandent dans la vaste étendue de tout l’Univers.
Il ne faut cependant pas en conclure que ces rayons sont purement spirituels. Ils se corporifient avec l’Ether comme la flamme avec la fu­mée. Fournissons dans nos foyers un aliment perpétuellement fumeux, nous aurons une flam­me perpétuelle.
La nature de la lumière est de fluer sans cesse ; & nous sommes convenus d’appeler rayons ces défluxions du Soleil mêlées avec l’Ether. Il ne faut donc pas confondre la lumière avec le rayon, ou la lumière avec la splendeur & la clarté. La lumière est la cause, la clarté est l’effet.
Quand une bougie allumée s’éteint, l’esprit igné & lumineux qui enflamme la mèche, ne se perd pas, comme on le croit communément. Son action seule disparaît quand l’aliment lui man­que, ou qu’on l’en retire. Il se répand dans l’air, qui est le réceptacle de la lumière, & des natures spirituelles du monde matériel.
De même que les corps retournent, par la résolution, à la matière d’où ils tirent leur origine ; de même aussi les formes naturelles des indivi­dus retournent à la forme universelle, ou à la lumière, qui est l’esprit vivifiant de l’Univers. On ne doit pas confondre cet esprit avec les rayons du Soleil, puisqu’ils n’en sont que le vé­hicule. Il pénètre jusqu’au centre même de la terre, lorsque le Soleil n’est pas sur notre horizon.
La lumière est pour nous une vive image de la Divinité. L’amour Divin ne pouvant, pour ainsi dire, se contenir dans lui-même, s’est com­me répandu hors de lui, & multiplié dans la création. La lumière ne se renferme pas non plus dans le corps lumineux : elle se répand, elle se multiplie, elle est comme Dieu une source inépuisable de biens. Elle se communique sans cesse sans aucune diminution ; elle semble même prendre de nouvelles forces par cette communication, comme un maître qui enseigne à ses disciples les connaissances qu’il a, sans les perdre, & même en les imprimant davantage dans son esprit.
Cet esprit igné porté dans les corps par les rayons, s’en distingue fort aisément. Ceux-ci ne se communiquent qu’autant qu’ils ne trouvent dans leur chemin point de corps opaques qui en arrêtent le cours. Celui-là pénètre même les corps les plus denses, puisqu’on sent la chaleur au côté d’un mur opposé au côté où tombent les rayons, quoiqu’ils n’y aient pu pénétrer. Cette chaleur subsiste même encore après que les rayons sont disparus avec le corps lumineux.
Tout corps diaphane, le verre particulière­ment, transmet cet esprit igné & lumineux sans transmettre les rayons : c’est pourquoi l’air qui est derrière, en fournissant un nouveau corps à cet esprit, devient illuminé & forme des rayons nouveaux, qui se répandent comme les premiers. D’ailleurs tout corps diaphane, en servant de milieu pour transmettre cet esprit, se trouve non seulement éclairé, mais devient lumineux ; & cette augmentation de clarté se manifeste aisément à ceux qui y font un peu d’attention. Cette augmentation de splendeur n’arriverait pas si le corps diaphane transmettait les rayons tels qu’il les a reçus.
M. Pott paraît avoir adopté ces idées des Philosophes Hermétiques sur la lumière, dans son Essai d’observations Chymiques & Physiques sur les propriétés & les effets de la lumière & du feu. Il s’est parfaitement rencontré avec d’Espagnet, dont j’analyse ici les sentiments, & qui vivait il y a près d’un siècle & demi. Les observations que ce savant Professeur de Berlin rap­porte, concourent toutes à prouver la vérité de ce que nous avons dit jusqu’ici. Il appelle la lumière le grand & merveilleux agent de la Nature. Il dit que sa substance, à cause de la ténuité de ses parties, ne peut être examinée par le nom­bre, par la mesure ni par le poids, que la Chymie ne peut exposer sa forme extérieure, parce que dans aucune substance elle ne peut être con­çue, encore moins exprimée ; que sa dignité & son excellence sont annoncées dans l’Ecriture Sainte, où Dieu se fait appeler du nom de lu­mière & de feu : puisqu’il y est dit, que Dieu est une lumière, qu’il demeure dans la lumière ; que la lumière est son habit ; que la vie est dans la lumière, qu’il fait ses Anges flammes de feu, &c. & enfin que plusieurs personnes regardent la lumière plutôt comme un être spirituel que comme une substance corporelle.
En réfléchissant sur la lumière, la première chose, dit cet Auteur, qui se présente à mes yeux & à mon esprit, c’est la lumière du Soleil ; & je présume que le Soleil est la source de toute la lumière qui se trouve dans la Nature ; que toute la lumière y rentre comme dans son cercle de révolution, & que de là elle est de nouveau ren­voyée sur notre globe.
Je ne pense pas, ajoute-t-il, que le Soleil con­tienne un feu brûlant, destructif, mais il ren­ferme une substance lumineuse, pure, simple & concentrée, qui éclaire tout. Je regarde la lu­mière comme une substance qui réjouit, qui anime, & qui produit la clarté ; en un mot, je la regarde comme le premier instrument que Dieu mit & met encore en œuvre dans la Nature. De là vient le culte que quelques Païens ont rendu au Soleil ; de là la fable de Prométhée qui déroba le feu dans le Ciel, pour le communiquer à la terre.
M. Pott n’approuve cependant pas en appa­rence, mais il le fait en réalité, le sentiment de ceux qui font de l’Ether un véhicule de la ma­tière de la lumière, parce qu’ils multiplient, dit-il, les êtres sans nécessité. Mais si la lumière est un être si simple qu’il l’avoue, pourra-t-elle le manifester autrement que par quelque substance sensible ? Elle a la propriété de pénétrer très subtilement les corps par sa ténuité supé­rieure à celle de l’air, & par son mouvement progressif, le plus rapide qu’on puisse imaginera mais il n’ose déterminer s’il est dû à une substance spirituelle, quoiqu’il soit certain que le principe moteur est aussi ancien que cette substance même.
Le mouvement, comme mouvement, ne pro­duit pas la lumière, mais il la manifeste dans les matières convenables. Elle ne se montre que dans les corps mobiles, c’est-à-dire, dans une matière extrêmement subtile, fine & propre au mouvement précipité, soit que cette matière s’écoule immédiatement du Soleil, ou de son atmosphère, & qu’elle pénètre jusqu’à nous ; soit, ce qui parait, dit-il, plus vraisemblable, que le Soleil mette en mouvement ces matières extrêmement subtiles, dont notre atmosphère est remplie.
Voilà donc un véhicule de la lumière, & un véhicule qui ne diffère point de l’Ether ; puisque ce Savant ajoute plus bas : c’est donc aussi là la cause du mouvement de la lumière qui agit sur notre Ether, & qui nous vient principalement, & plus efficacement du Soleil. Ce véhicule n’est donc pas, même selon lui, un être multiplie sans né­cessité.
Il distingue très bien le feu de la lumière, & marque la différence de l’un & de l’autre ; mais après avoir dit que la lumière produit la clarté, il confond ici cette dernière avec le principe lu­mineux, comme ou peut le conclure des expé­riences qu’il rapporte. J’en aurais conclu qu’il y a un feu & une lumière qui ne brûlent pas, c’est-à-dire, qui ne détruisent pas les corps aux­quels ils sont adhérants ; mais non pas qu’il y a une lumière sans feu. Le défaut de distinction entre le principe ou la cause de la splendeur & de la clarté, & l’effet de cette cause est la source d’une infinité d’erreurs sur cette matière.
Peut-être n’est-ce que la faute du Traducteur qui aura employé indifféremment les termes de lumière & clarté comme synonymes. Je serais assez porté à le croire, puisque M. Pott, immédiate­ment après avoir rapporté divers phénomènes des matières phosphoriques, le bois pourri, les vers lumineux, l’argile calcinée & frottée, &c. dit, que la matière de la lumière dans sa pureté, ou séparée de tout autre corps, ne se laisse pas apercevoir, que nous ne la traitons qu’entourée d’une enveloppe, & que nous ne connaissons sa présence que par induction. C’est distinguer pro­prement la lumière de la clarté qui en est l’effet. Avec cette distinction il est aisé de rendre raison d’une infinité de phénomènes très difficiles à ex­pliquer sans cela.
La chaleur, quoique effet du mouvement, est comme identifiée avec lui. La lumière étant le principe du feu, l’est du mouvement & de la chaleur. Celle-ci n’étant qu’un moindre degré de feu, ou le mouvement produit par un feu plus modéré, ou plus éloigné du corps affecté. C’est à ce mouvement que l’eau doit sa fluidité, puisque sans cette cause elle devient glace.
On ne doit donc pas confondre le feu élé­mentaire avec le feu des cuisines ; & observer que le premier ne devient un feu actuel brûlant que lorsqu’il est combiné avec des substances combustibles ; il ne donne par lui-même ni flamme, ni lumière. Ainsi le phlogistique ou substance huileuse, sulfureuse, résineuse n’est pas le principe du feu, mais la matière propre à l’entretenir, à le nourrir & à le manifester.
Les raisonnements de M. Pott prouvent que le sentiment de d’Espagnet & des autres Philosophes Hermétiques sur le feu & la lumière, est un sentiment raisonné, & très conformes aux observations Physico-Chymiques les plus exactes, puisqu’ils sont d’accord avec ce Savant Professeur de Chymie dans l’Académie des Sciences & Bel­les Lettres de Berlin. Ces Philosophes connaissaient donc la Nature : & s’ils la connaissaient, pourquoi ne pas plutôt essayer de lever le voile obscur sous lequel ils ont caché ses procédés par leurs discours énigmatiques, allégoriques, fabu­leux, que de mépriser leurs raisonnements, parce qu’ils paraissent intelligibles ; ou de les accuser d’ignorance & de mensonge ?

De la conservation des Mixtes.

L’esprit igné, le principe vivifiant donne la vie & la vigueur aux mixtes ; mais ce feu les consumerait bientôt, si son activité n’était mo­dérée par l’humeur aqueuse qui les lie. Cet hu­mide circule perpétuellement dans tous. Il s’en fait une révolution dans l’Univers, au moyen de laquelle les uns se forment, se nourrissent, aug­mentent même de volume pendant que son évaporation & son absence font dessécher & périr les autres.
Toute la machine du monde ne compose qu’un corps, dont toutes les parties sont liées par des milieux qui participent des extrêmes. Ce lien est caché, ce nœud est secret ; mais il n’en est pas moins réel, & c’est par son moyen que toutes ces parties se prêtent un secours mutuel, puisqu’il y a un rapport, & un vrai commerce entre elles. Les esprits émissaires des natures supé­rieures sont & entretiennent cette communica­tion ; les uns s’en vont quand les autres vien­nent ; ceux-ci retournent à leur source quand ceux-là en descendent ; les derniers venus pren­nent la place, ceux-ci partent à leur tour, d’au­tres leur succèdent ; & par ce flux & reflux continuels, la Nature se renouvelle & s’entretient. Ce sont les ailes de Mercure, à l’aide desquelles le messager des Dieux rendait de si fréquentes visites aux habitants du Ciel & de la Terre.
Cette succession circulaire d’esprits se fait par deux moyens, la raréfaction & la condensation, que la Nature emploie pour spiritualiser les corps & corporifier les esprits ; ou, si l’on veut, pour atténuer les éléments grossiers, les ouvrir, les élever même à la nature subtile des matières spi­rituelles, & les faire ensuite retourner à la na­ture des éléments grossiers & corporels. Ils éprou­vent sans cesse de telles métamorphoses. L’air fournit à l’eau une substance ténue éthéréenne qui commence à s’y corporifier ; l’eau la com­munique à la terre où elle se corporifie encore plus. Elle devient alors un aliment pour les mi­néraux & les végétaux. Dans ceux-ci, elle se fait tige, écorce, feuilles, fleurs, fruit ; en un mot, une substance corporelle, palpable.
Dans les animaux, la Nature sépare le plus subtil, le plus spirituel du boire & du mangée pour le tourner en aliment. Elle change, & spé­cifie la plus pure substance en semence, en chair, en os, &c. & laisse la plus grossière & la plus hétérogène pour les excréments. L’art imite la Nature dans ses résolutions & ses compositions.

De l’humide radical.

La vie & la conservation des individus con­siste dans l’union étroite de la forme & de la matière. Le nœud, le lien qui forme cette union consiste dans celle du feu inné avec l’humide radical. Cet humide est la portion la plus pure, la plus digérée de la matière, & comme une huile extrêmement rectifiée par les alambics de la Nature. Les Semences des choses contiennent beaucoup de cet humide radical, dans lequel une étincelle de feu céleste se nourrit ; & mis dans une matrice convenable, il opère, quand il est aidé constamment, tout ce qui est nécessaire à la génération.
On trouve quelque chose d’immortel dans cet humide radical ; la mort des mixtes ne le fait évanouir ni disparaître. Il résiste même au feu le plus violent, puisqu’on le trouve encore dans les cendres des cadavres brûlés.
Chaque mixte contient deux humides, celui donc nous venons de parler, & un humide élé­mentaire, en partie aqueux, aérien en partie. Celui-ci cède à la violence du feu ; il s’envole en fumée, en vapeurs, & lorsqu’il est tout-à-fait évaporé, le corps n’est plus que cendres, ou par­ties séparées les unes des autres.
Il n’en est pas ainsi de l’humide radical ; comme il constitue la base des mixtes, il affronte la tyrannie du feu, il souffre le martyre avec un courage insurmontable, & demeure attaché opiniâtrement aux cendres du mixte ; ce qui indique manifestement sa grande pureté.
L’expérience a montré aux Verriers, gens com­munément très ignorants dans la connaissance de la Nature, que cet humide est caché dans les cendres. Ils ont trouvé à force de feu le Secret de le manifester autant que l’art & la violence du feu artificiel en sont capables. Pour faire le verre, il faut nécessairement mettre les cendres en fusion, & il ne saurait y avoir de fusion, où il n’y a pas d’humide.
Sans savoir que les sels extraits des cendres contiennent la plus grande vertu des mixtes, les laboureurs brûlent les chaumes & les herbes pour augmenter la fertilité de leurs champs : preuve que cet humide radical est inaccessible aux atteintes du feu ; qu’il est le principe de la génération, la base des mixtes, & que sa vertu, son feu actif ne demeurent engourdis que jusqu’à ce que la terre, matrice commune des principes, en développe les facultés, ce qui se voie journel­lement dans les semences.
Ce baume radical est le serment de la Nature, qui se répand dans toute la masse des individus. C’est une teinture ineffaçable, qui a la propriété de multiplier, & qui pénètre même jusque dans les plus sales excréments, puisqu’on les emploie avec succès pour fumer les terres, & augmenter leur fertilité,
On peur conjecturer avec raison, que cette base, cette racine des mixtes, qui survit à leur destruction, est une partie de la première ma­tière, la portion la plus pure, & indestructible, marquée au coin de la lumière dont elle reçut la forme. Car le mariage de cette première matière avec sa forme est indissoluble, & tous les éléments corporifiés en individus tirent d’elle leur origine. Ne fallait-il pas en effet une telle ma­tière pour servir de base incorruptible, & comme de racine cubique aux mixtes corruptibles, pour pouvoir en être un principe constant, perpétuel, & néanmoins matériel, autour duquel tourneraient sans cesse les vicissitudes & les changements que les êtres matériels éprouvent tous les jours ?
S’il était permis de porter ses conjectures dans l’obscurité de l’avenir, ne pourrait-on pas dire que cette substance inaltérable est le fondement du monde matériel, & le ferment de son im­mortalité, au moyen duquel il subsistera même après sa destruction, après avoir passé par la ty­rannie du feu, & avoir été purgé de sa tache originelle, pour être renouvelé & devenir incor­ruptible & inaltérable pendant toute l’éternité ?
Il semble que la lumière n’a encore opéré que sur lui, & qu’elle a laisse le reste dans les ténèbres ; aussi en conservent-il toujours une étincelle, qui n’a besoin que d’être excitée.
Mais le feu inné est bien différent de l’hu­mide. Il tient de la spiritualité de la lumière, & l’humide radical est d’une nature moyenne entre la matière extrêmement subtile & spiri­tuelle de la lumière, & la matière grossière, élémentaire, corporelle. Il participe des deux, & lie ces deux extrêmes. C’est le sceau du traité visible & palpable de la lumière & des ténèbres & le point de réunion & de commerce encre le Ciel & la Terre.
On ne peut donc confondre sans erreur cet humide radical avec le feu inné. Celui-ci est l’habitant, celui-là l’habitation, la demeure. Il est dans tous les mixtes le laboratoire de Vulcain ; le foyer où se conserve ce feu immortel, premier moteur créé de toutes les facultés des individus ; le baume universel, l’élixir le plus précieux de la Nature, le mercure de vie par­faitement sublimé & travaillé, que la Nature distribue par poids & par mesure à tous les mixtes. Qui saura extraire ce trésor du cœur, & du cen­tre caché des productions de ce bas monde, le dépouiller de l’écorce épaisse, élémentaire, qui le cache à nos yeux, & le tirer de la prison ténébreuse où il est renfermé, & dans l’inaction, pourra se glorifier de savoir-faire la plus précieuse médecine pour soulager le corps humain.

De l’harmonie de l’Univers.

Les corps supérieurs & les inférieurs du monde ayant une même source, & une même matière pour principe, ont conservé entre eux une sym­pathie qui fait que les plus purs, les plus nobles, les plus forts, communiquent à ceux qui le sont moins toute la perfection dont ils sont susceptibles. Mais lorsque les organes des mixtes se trou­vent mal disposés naturellement ou par accident, cette communication est troublée ou empêchée, l’ordre établi pour ce commerce se dérange ; le faible moins secouru s’affaiblit, succombe, & devient le principe de sa propre mine, mole ruit suâ.
(Cosmop. Tract. 2.) Les quatre qualités des éléments, le froid, le chaud, le sec & l’humide, sont comme les tons harmoniques de la Nature. Ils ne sont pas plus contraires entre eux, que le ton grave dans la musique l’est à l’aigu; mais ils sont différents, & comme séparés par des intervalles, ou tous moyens, qui rapprochent les deux extrêmes. De même que par ces tons moyens on compose une très belle harmonie, la Nature sait aussi com­biner les qualités des éléments, de manière qu’il en résulte un tempérament qui constitue celui des mixtes.

Du Mouvement.

Il n’y a point de repos réel & proprement dit dans la Nature (Ibid. Tr. 4.). Elle ne peut rester oi­sive ; & si elle laissait succéder le repos réel au mouvement pendant un seul instant, toute la machine de l’Univers tomberait en ruine. Le mouvement l’a comme tiré du néant ; le repos l’y replongerait. Ce à quoi nous donnons le nom de repos, n’est qu’un mouvement moins accéléré, moins sensible. Le mouvement est donc continuel dans chaque partie comme dans le tout. La Nature agit toujours dans l’intérieur des mix­tes : les cadavres mêmes ne sont point en repos, puisqu’ils se corrompent, & que la corruption ne peur se faire sans mouvement.
L’ordre & l’uniformité règnent dans la ma­nière de mouvoir la machine du monde ; mais il y a divers degrés dans ce mouvement, qui est inégal, & différent dans les choses différentes & inégales. La Géométrie exige même cette loi d’inégalité, & l’on peut dire que les corps célestes ont un mouvement égal en raison géomé­trique ; savoir, eu égard à la différence de leur grandeur, de leur distance & de leur nature.
Nous apercevons aisément dans le cours des saisons, que les voies que la Nature emploie ne différent entre elles qu’en apparence. Pendant l’hiver elle paraît sans mouvement, morte, ou du moins engourdie. C’est cependant durant cette morte saison qu’elle prépare, digère, couve les semences, & les dispose à la génération. Elle accouche pour ainsi dire au printemps ; elle nourrit & élève en été, elle mûrit même cer­tains fruits, elle en réserve d’autres pour l’au­tomne, quand ils ont besoin d’une plus longue digestion. A la fin de cette saison, tout devient caduque, pour se disposer à une nouvelle génération.
L’homme éprouve dans cette vie les changements de ces quatre saisons. Son hiver n’est pas le temps de la vieillesse, comme on le dit com­munément, c’est celui qu’il passe dans le ventre de sa mère sans action, & comme dans les ténèbres, parce qu’il n’a pas encore joui des bien­faits de la lumière Solaire. A peine a-t-il vu le jour, qu’il commence à croître : il entre dans son printemps, qui dure jusqu’à ce qu’il soit capable de mûrir ses fruits. Son été succède alors ; il se fortifie, il digère, il cuit le principe de vie qui doit la donner à d’autres. Son fruit est-il mûr l’automne s’en empare, il devient sec, il flétrit, il penche vers le principe où sa nature l’entraîne ; il y tombe, il meurt, il n’est plus.
De la distance inégale & variée du Soleil pro­cède particulièrement la variété des saisons. Le Philosophe qui veut s’appliquer à imiter les pro­cédés de la Nature dans les opérations du grand œuvre, doit les méditer très sérieusement.
Je n’entrerai point ici dans le détail des différents mouvements des corps célestes. Moise n’a presque expliqué que ce qui regarde le globe que nous habitons. Il n’a presque rien dit des autres créatures. Sans doute afin que la curiosité hu­maine trouvât plutôt matière à l’admiration, qu’à former des arguments pour la dispute. L’en­vie désordonnée de tout savoir tyrannise cependant encore le faible esprit de l’homme. Il ne sait pas se conduire, & il est assez fou pour prescrire au Créateur des règles pour conduire l’Univers. Il forge des systèmes, & parle avec un ton si décisif, qu’on dirait que Dieu l’a consulté pour tirer le monde du néant, & qu’il a suggéré au Créateur les lois qui conservent l’har­monie de son mouvement général & particulier. heureusement les raisonnements de ces prétendus Philosophes n’influent en rien sur cette harmo­nie. Nous aurions lieu d’en craindre des conséquences aussi fâcheuses pour nous, que celles qu’on tire de leurs principes sont ridicules. Tranquillisons-nous : le monde ira son train autant de temps qu’il plaira à son Auteur de le conserver. Ne perdons pas le temps d’une vie aussi courre que la nôtre à disputer des choses que nous ignorons. Appliquons-nous plutôt à chercher le re­mède aux maux qui nous accablent ; à prier celui qui a créé la médecine de la terre, de nous la faire connaître ; & qu’après nous avoir favorisé de cette admirable connaissance, nous n’en usons que pour l’utilité de notre prochain, par amour pour le souverain Etre, à qui seul soit rendu gloire dans tous les siècles des siècles.

TRAITÉ DE L’ŒUVRE HERMÉTIQUE.

La source de la santé & des richesses, deux bases sur lesquelles est appuyé le bonheur de cette vie, sont l’objet de cet art. Il fut tou­jours un mystère ; & ceux qui en ont traité, en ont parlé dans tous les temps, comme d’une science, donc la pratique a quelque chose de surprenant, & dont le résultat tient du miracle dans lui-même & dans ses effets. Dieu auteur de la Nature, que le Philosophe se propose d’imi­ter, peut seul éclairer & guider l’esprit humain dans la recherche de ce trésor inestimable, & dans le labyrinthe des opérations de cet art. Aussi tous ces Auteurs recommandent-ils de re­courir au Créateur, & de lui demander cette grâce avec beaucoup de ferveur & de persévérance.
Doit-on être surpris que les possesseurs d’un si beau secret l’ait voilé des ombres des hiéro­glyphes, des fables, des allégories, des méta­phores, des énigmes, pour en ôter la connaissance au commun des hommes ? Ils n’ont écrit que pour ceux à qui Dieu daignerait en accorder l’in­telligence. Les décrier, déclamer forcement con­tre la science même, parce qu’on a fait d’inu­tiles efforts pour l’obtenir, c’est une vengeance basse ; c’est faire tort à sa propre réputation, c’est afficher son ignorance, & l’impuissance où l’on est d’y parvenir. Que l’on élevé sa voix contre les souffleurs, contre ces brûleurs de charbons, qui, après avoir été dupes de leur propre igno­rance, cherchent à faire d’autres dupes, à la bonne heure. Je me joindrais volontiers à ces sortes de critiques ; je voudrais même avoir une voix de stentor pour me faire mieux entendre. Mais qui sont ceux qui se mêlent de parler & d’écrire contre la Philosophie Hermétique ? Des gens qui en ignorent, le gagerons, jusqu’à la définition ; gens dont la mauvaise humeur n’est excitée que par le préjugé. J’en appelle à la bonne foi ; qu’ils examinent sérieusement, s’ils sont au fait de ce qu’ils critiquent : ont-ils lu & relu vingt fois & davantage, les bons Auteurs qui trai­tent cette matière ? qui d’entre eux peut se flatter de savoir les opérations & les procédés de cet art ? quel Œdipe leur a donné l’intelligence de ses énigmes & de ses allégories ? quelle est la Sibylle qui les a introduits dans son sanctuaire ? qu’ils demeurent donc dans l’étroite sphère de leurs connaissances : ne sutor ultra crepidam. Ou puisque c’est la mode, qu’il leur soit permis d’aboyer après un si grand trésor donc ils désespèrent la possession. Faible consolation, mais la seule qui leur reste ! Et plût à Dieu que leurs cris se fassent entendre de tous ceux qui dépensent mal à propos leurs biens dans la poursuite de celui-ci qui leur échappe, faute de connaître les procédés simples de la Nature.
Monsieur de Maupertuis en pense bien autre­ment ( lettres ) : Sous quelque aspect qu’on considère la pierre Philosophale, on ne peut, dit ce célèbre Académicien, en prouver l’impossibi­lité ; mais son prix, ajoute-t-il, ne suffit pas pour balancer le peu d’espérance de la trouver. M. de Justi, Directeur général des mines de l’Impé­ratrice Reine de Hongrie, en prouve non seulement la possibilité, mais l’existence actuelle, dans un discours qu’il a donné au public, & dont les arguments sont fondés sur sa propre expérience.

Conseils Philosophiques.

Adorez Dieu seul ; aimez-le de tout votre cœur, & votre prochain comme vous-même. Proposez-vous toujours la gloire de Dieu pour fin de toutes vos actions : invoquez-le, il vous exaucera ; glo­rifiez-le, il vous exaltera.
Soyez tardif dans vos paroles & dans vos actions. Ne vous appuyez pas sur votre prudence, sur vos connaissances, ni sur la parole & les richesses des hommes, principalement des Grands. Ne mettez votre confiance qu’en Dieu. Faites valoir le talent qu’il vous a confié. Soyez avare du temps ; il est infiniment court pour un homme qui sait l’employer. Ne remettez pas au lende­main, qui n’est pas à vous, une chose nécessaire que vous pouvez faire aujourd’hui. Fréquentée les bons & les savants. L’homme est né pour apprendre ; sa curiosité naturelle en est une preuve bien palpable, & c’est dégrader l’humanité, que de croupir dans l’oisiveté & l’ignorance. Plus un homme a de connaissances, plus il approche de l’Auteur de son être, qui sait tout. Profitez donc des lumières des savants ; recevez leurs instruc­tions avec douceur, & leurs corrections toujours en bonne part. Fuyez le commerce des méchants, la multiplicité des affaires, & la quantité d’a­mis.
Les Sciences ne s’acquièrent qu’en étudiant, en méditant, & non dans la dispute. Apprenez peu à la fois : répétez souvent la même étude ; l’esprit peut tout quand il est à peu, & ne peut rien quand il est en même temps à tout.
La Science jointe à l’expérience forme la vraie sagesse. On est contraint, à son défaut, de recourir à l’opinion, au doute, à la conjecture, & à l’au­torité.
Les sujets de la science sont Dieu, le grand monde, & l’homme. L’homme a été fait pour Dieu, la femme pour Dieu & l’homme, & les autres créatures pour l’homme & la femme (Sap. 9. v. 2. & suiv.), afin qu’ils fissent usage pour leurs occupa­tions, leur propre conservation, & la gloire de leur Auteur commun. Après tout, faites en sorte que vous soyez toujours bien avec Dieu & votre prochain. La vengeance est une faiblesse dans les hommes. Ne vous faites jamais aucun enne­mi ; & si quelqu’un veut vous faire du mal, ou vous en a fait, vous ne sauriez mieux & plus no­blement vous venger qu’en lui faisant du bien.

APHORISME DE LA VERITE DES SCIENCES.

Deux sortes de sciences, & non plus. La Religion & la Physique, c’est-à-dire, la Science de Dieu & celle de la Nature : tout, le reste n’en est que les branches. Il y en a même de bâtardes ; mais elles sont plutôt des erreurs que des scien­ces.
Dieu donne la première dans sa perfection aux Saints & aux enfants du Ciel. Il éclaire l’esprit de l’homme pour acquérir la seconde, & le Démon y jette, des nuages pour insinuer les bâ­tardes.
La Religion vient du Ciel, c’est la vraie scien­ce, parce que Dieu, source de toute vérité, en est l’auteur. La Physique est la connaissance de la Nature ; avec elle l’homme fait des choses surprenantes. Mens humana mirabilium effecrix.
La puissance de l’homme est plus grande qu’on ne saurait l’imaginer. Il peut tout par Dieu, rien sans lui, excepté le mal.

La clef des Sciences.

Le premier pas à la sagesse est la crainte de Dieu, le second la connaissance de la Nature. Par elle on monte jusqu’à la connaissance de son Auteur (S. Paul. Rom. l. 20.). La Nature enseigne aux clairvoyants la Physique Hermétique. L’ouvrage long est tou­jours de là Nature ; elle opère simplement. successivement, & toujours par les mêmes voies pour produire les mêmes choses. L’ouvrage de l'art est moins long ; il avance beaucoup les dé­marches de la Nature. Celui de Dieu se fait en un instant. L’Alchimie proprement dite est une opération de la Nature, aidée par l’art. Elle nous met en main la clef de la magie naturelle ou de la Physique, & nous rend admirables aux hommes, en nous élevant au-dessus du commun.

Du Secret.

La statue d’Harpoctate, qui avait une main sur sa bouche, était chez les anciens sages l’em­blème du secret, qui se fortifie par le silence, s’affaiblit & s’évanouit par la révélation. Jésus-Christ notre Sauveur ne révélait nos mystères qu’à ses Disciples, & parlait toujours au peuple par allégories & par paraboles. Vobis datum est noscere mysteria regni cœlorum... sine parabolis non loquebatur eis (Mat. 13. v. II. Marc. 4. v. II. Matth. 13. v. 34. I. Partie.).
Les Prêtres chez les Egyptiens, les Mages chez les Persans, les Mécubales & les Cabalistes chez les Hébreux, les Brahmanes aux Indes, les Gymnosophistes en Ethiopie, les Orphées, les Homeres, les Pythagores, les Platons, les Por­phyres parmi les Grecs, les Druides parmi les Occidentaux, n’ont parlé des sciences secrètes que par énigmes & par allégories : s’ils avaient dit quel en était le véritable objet, il n’y aurait plus eu de mystères, & le sacré aurait été mêlé avec le profane.

Des moyens pour parvenir au Secret.

Les dispositions pour arriver au secret, sont la connaissance de la Nature, & de soi-même. L’on ne peut avoir parfaitement la première & même la seconde que par l’aide de l’Alchimie, l’amour de la sagesse, l’horreur du crime, du mensonge, la fuite des Cacochymistes, la fré­quentation des sages, l’invocation du Saint-Esprit, ne pas ajouter secret sur secret, ne s’attacher qu’a une chose, parce que Dieu & la Na­ture se plaisent dans l’unité & la simplicité.
L’homme étant l’abrégé de toue la Nature, il doit apprendre à se connaître comme le précis & le raccourci d’icelle. Par sa partie spirituelle, il participe à toutes les créatures immortelles ; & sa partie matérielle, à tout ce qui est caduc clans l’Univers.

Des clefs de la Nature.

De coûtes choses matérielles il se fait de la cendre ; de la cendre on fait du sel, du sel on sépare l’eau & le mercure, du mercure on compose un élixir ou une quintessence. Le corps se met en cendres pour être nettoyé de ses parties combustibles, en sel pour être séparé de ses terrestréités, en eau pour pourrir & se putréfier, & en esprit pour devenir quintessence.
Les sels sont donc les clefs de l’Art & de la Nature ; sans leur connaissance il est impossible de l’imiter dans ses opérations. Il faut savoir leur sympathie & leur antipathie avec les mé­taux & avec eux-mêmes. Il n’y a proprement qu’un sel de nature, mais il se divise en trois sortes pour former les principes des corps. Ces trois sont le nitre, le tartre & le vitriol ; tous les autres en sont composés.
Le nitre est fait du premier sel par atténua­tion, subtilisation, & purgation des terrestréités crues & froides qui s’y trouvent mélangées. Le Soleil le cuit, le digère en toutes ses parties, y fait l’union des éléments, & l’imprègne des ver­tus séminales, qu’il porte ensuite avec la pluie dans la terre qui est la matrice commune.
Le Sel de tartre est ce même nitre plus cuit, plus digéré par la chaleur de la matrice où il avait été déposé, parce que cette matrice sert de fourneau à la Nature. Ainsi du nitre & du tartre se forment les végétaux. Ce sel se trouve partout où le nitre a été déposé, mais particulièrement sur la superficie de la terre, où la rosée & la pluie le fournissent abondamment.
Le vitriol est le même sel nitre, qui ayant passé par la nature du tartre, devient sel minéral par une cuisson plus longue, & dans des four­neaux plus ardents. Il se trouve en abondance dans les entrailles, les concavités & les porosités de la terre, où il se réunit avec une humeur visqueuse qui le rend métallique.

Des Principes métalliques.

Des sels dont nous venons de parler, & de leurs vapeurs se fait le mercure que les Anciens ont appelé semence minérale. De ce mercure & du soufre soit pur, soit impur, sont faits tous les métaux dans les entrailles de la terre & à sa superficie.
Lorsque les éléments corporifiés par leur union prennent la forme de salpêtre, de tartre & de vitriol, le feu de la Nature, excité par la chaleur Solaire, digère l’humidité que la sécheresse de ces sels attire, & séparant le pur de l’impur, le sel de là terre, les parties homogènes des hété­rogènes, elle l’épaissit en argent-vif, puis en métal pur ou impur, suivant le mélange & la qualité de la matrice.
La diversité du soufre & du mercure plus ou moins purs, & plus ou moins digérés, leur union & leurs différentes combinaisons forment la nombreuse famille du règne minéral. Les pierres, les marcassites, les minéraux différent encore entre eux, suivant la différence de leurs matrice, & le plus ou moins de cuisson.

De la matière du grand œuvre en général.

Les Philosophes n’ont, ce semble, parlé de la matière que pour la cacher, au moins quand il s’est agi de la désigner en particulier. Mais quand ils en parlent en général, ils s’étendent beaucoup sur ses qualités & ses propriétés ; ils lui donnent tous les noms des individus de l’Univers, parce qu’ils disent qu’elle en est le principe & la base. « Examinez, die le Cosmopolite (Tract. I.), si ce que vous vous proposez de faire, est conforme à ce que peut faire la Nature. Voyez quels sont les matériaux qu’elle emploie, & de quel vase elle de sert. Si vous ne voulez que faire ce qu’elle fait, suivez-la pas à pas. Si vous voulez faire quelque chose de mieux, voyez ce qui peut servir à cet effet ; mais demeurez toujours dans les natures de même genre. Si, par exemple, vous voulez pousser un métal au-delà de la perfection qu’il a reçue de la Nature, il faut prendre vos matériaux dans le genre métallique, & toujours un mâle & une femelle. Sans quoi vous ne réussirez pas. Car en vain vous proposeriez-vous de faire un métal avec de l’herbe, ou une nature animale, comme d’un chien ou de toute autre bête, vous ne sauriez produire un arbre… »
Cette première matière est appelée plus communément soufre & argent-vif. Raymond Lulle (Codicit. c. 9.) les nomme les deux extrêmes de la pierre & de tous les métaux. D’autres dissent en général que le Soleil est son père & la Lune sa mère ; qu’elle est mâle & femelle ; qu’elle est composée de quatre, de trois, de deux & d’un, & tout cela pour la cacher. Elle se trouve partout, sur terre & sur mer, dans les plaines, sur les montagnes, &c. Le même Auteur dit que leur matière est unique, & dit ensuite que la pierre est composée de plusieurs principes individuels. Toutes ces contradictions ne sont cependant qu’apparentes, parce qu’ils ne parlent pas de la matière dans un seul point de vue, mais quant à ses principes généraux, ou aux différents états où elle se trouve dans les opérations.
Il est certain qu’il n’y a qu’un seul principe dans toute la Nature, & qu’il l’est de la pierre comme des autres choses. Il faut donc savoir distinguer ce que les Philosophes disent de la matière en général, d’avec ce qu’ils en disent en particulier. Il n’y a aussi qu’un seul esprit fixe, composé d’un sel très pur, & incombustible, qui fait sa demeure dans l’humide radical des mixtes. Il est plus parfait dans l’or que dans toute autre chose, & le seul mercure des Philosophes a la propriété & la vertu de le tirer de sa prison, de le corrompre & de le disposer à la génération. L’argent-vif est le principe de la volatilité, de la malléabilité , & de la minéralité ; l’esprit fixe de l’or ne peut rien sans lui. L’or est humecté, réincrudé, volatilisé & soumis à la putréfaction par l’opération du mercure : & celui-ci est di­géré, cuit, épaissi, desséché & fixé par l’opéra­tion de l’or philosophique, qui le rend par ce moyen une teinture métallique.
L’un & l’autre sont le mercure & le soufre philosophique. Mais ce n’est pas assez qu’on fasse entrer dans l’œuvre un soufre métallique comme levain ; il en faut aussi un comme sperme ou semence de nature sulfureuse, pour s’unir à la semence de substance mercurielle. Ce soufre & ce mercure ont été sagement représentés chez les Anciens par deux serpents, l’un mâle & l’autre femelle, entortillés autour de la verge d’or de Mercure. La verge d’or est l’esprit fixe, où ils doivent être attachés. Ce sont les mêmes que Junon envoya contre Hercule, dans le temps que ce héros était encore au berceau.
Ce soufre est l’âme des corps, & le principe de l’exubération de leur teinture, le mercure vulgaire en est privé ; l’or & l’argent vulgaires n’en ont que pour eux. Le mercure propre à l’œuvre doit donc premièrement être imprègne d’un soufre invisible (D’Espagnet, Can. 30.), afin qu’il soit plus disposé à, recevoir la teinture visible des corps par­faits, & qu’il puisse ensuite la communiquer avec usure.
Nombre de Chymistes suent sang & eau pour extraire la teinture de l’or vulgaire ; ils s’imagi­nent qu’à force de lui donner la torture, il la lui feront dégorger, & qu’ensuite ils trouveront le secret de l’augmenter & de la multiplier, mais
Spes tandem Agricoles vanis eludit aristis.
Virg. Georg.
Car il est impossible que la teinture solaire puisse être entièrement séparée de son corps. L’art ne saurait défaire dans ce genre ce que la Nature a si bien uni. S’ils réussissent à tirer de l’or une liqueur colorée & permanente, par la force du feu ou par la corrosion des eaux fortes, il faut la regarder seulement comme une portion du corps, mais non comme sa teinture ; car ce qui constitue proprement la teinture, ne peut être séparé de l’or. C’est ce terme de teinture qui fait illusion à la plupart des Artistes. Je veux bien en­core que ce soit une teinture, au moins conviendront-ils qu’elle est altérée par la force du feu, ou les eaux fortes, qu’elle ne peut être utile à l’œuvre, & qu’elle ne saurait donner aux corps volatils la fixité de l’or dont elle aurait été séparée. C’est pour ces raisons que d’Espagnet (Can. 34.) leur conseille de ne pas dépenser leur argent & leur or dans un travail si pénible, & dont ils ne pourraient tirer aucun fruit.

Des noms que les anciens Philosophes ont donné à la matière.

Les anciens Philosophes cachaient le vrai nom de la matière du grand œuvre avec autant de soins que les modernes. Ils n’en parlaient que par allégories, & par symboles. Les Egyptiens la représentaient dans leurs hiéroglyphes sous la forme d’un bœuf, qui était en même temps le symbole d’Osiris & d’Isis, qu’on supposait avoir été frère & sœur, l’époux & l’épouse, l’un & l’autre petits-fils du Ciel & de la Terre. D’au­tres lui ont donné le nom de Vénus. Ils l’ont aussi appelé Androgyne, Andromède, femme de Saturne, fille du Dieu Neptune ; Latone, Maja, Sémélé, Leda, Cérès, & Homère l’a honorée plus d’une fois du titre de mère des Dieux. Elle était aussi connue sous les noms de Rée, terre coulante, fusible, & enfin d’une infinité d’autres noms de femmes, suivant les différences cir­constances où elle se trouve dans les diverses & successives opérations de l’œuvre. Ils la personnifiaient, & chaque circonstance leur fournissait un sujet pour je ne sais combien de fables allé­goriques, qu’ils inventaient comme bon leur semblaient : on en verra des preuves dans tout le cours de cet ouvrage.
Le Philosophe Hermétique veut que le Laiton ( nom qu’il lui a plu aussi de donner à leur matière ) soit composé d’un or & d’un argent cruds, volatils, immeurs, & plein de noirceur pendant la putréfaction, qui est appelé ventre de Saturne, dont Vénus fut engendrée. C’est pour­quoi elle est regardée comme née de la mer Philosophique. Le Sel qui en était produit, était représenté par Cupidon, fils de Vénus & de Mer­cure ; parce qu’alors Vénus signifiait le soufre, & Mercure argent-vif, ou le mercure philosophique.
Nicolas Flamel a représenté la première ma­tière dans ses figures hiéroglyphiques sous la figure de deux Dragons, l’un ailé, l’autre sans ailes, pour signifier, dit-il (Explicat. des fig, ch. 4.), « le principe fixe, ou le mâle, ou le soufre ; & par celui qui a des ailes, le principe volatil, ou l’hu­midité, ou la femelle, ou l’argent-vif. Ce sont, ajoute-t-il, le Soleil & la Lune de source mercurielle. Ce sont ces Serpents & Dragons que les anciens Egyptiens ont peints encercle, à la tête mordant, la queue, pour dire qu’ils étaient sortis d’une même chose, & qu’elle seule était suffisante à elle-même, & qu’en son contour & circulation elle se parfaisait. Ce font ces Dragons que les anciens Philosophes Poètes ont mis à garder sans dormir les pommes dorées des jardins des Vierges Hespérides. Ce sont ceux sur lesquels Jason, en l’aventure de la Toison d’or, versa le jus préparé par la belle Médée ; des discours desquels les livres des Philosophes sont si remplis, qu’il n’y a point de Philosophe qui n’en ait écrit depuis le véridique Hermès Trimégiste, Orphée, Pythagoras, Artéphius, Morienus & les autres suivants jusqu’à moi. »
« Ce sont ces deux Serpents envoyés par Junon, qui est la nature métallique, que le fort Hercule, c’est-à-dire, le Sage, doit étrangler en son berceau : je veux dire vaincre & tuer, pour les faire pourrir, corrompre & engendrer au commencement de son œuvre. Ce sont les deux Serpents attachés autour du caducée de Mercure, avec lesquels il exerce sa grande puissance, & se transfigure & se change comme il lui plaît. »
La Tortue était aussi chez les Anciens le sym­bole de la matière, parce qu’elle porte sur son écaille une espèce de représentation de cette figure de V Saturne. C’est pourquoi Vénus était quelquefois représentée (Plutarchus in præceptis connub.) assise sur un Bouc, donc la tête comme celle du Bélier présence à peu près cette figure M de Mercure, & le pied droit appuyé sur une Tortue. On voit aussi dans un emblème Philosophique un Artiste faisant une sauce à une Tortue avec des raisins. Et un Philosophe interrogé quelle était la matière, répondit testudo solis cum pinguedine vitis.
Chez les Aborigènes la figure V de Saturne était en grande vénération ; ils la mettaient sur leurs médailles, sur leurs colonnes, obélisques, &c. Ils représentaient Saturne sous la figure d’un vieillard, ayant cependant un air mâle & vi­goureux, qui laissait couler son urine en forme de jet d’eau ; c’était dans cette eau qu’ils faisaient consister la meilleure partie de leur mé­decine & de leurs richesses. D’autres y joignaient la plante appelée Molybdnos, ou plante Satur­nienne, donc ils disaient que la racine était de plomb, la tige d’argent & les fleurs d’or. C’est la même dont il est fait mention dans Homère (Odyss. I. 10. v. 302, & suiv.) sous le nom de Moly. Nous en parlerons fort au long dans les explications que nous donnerons de la descente d’Enée aux enfers, à la fin de cet ouvrage.
Les Grecs inventèrent aussi une infinité de fables à cette occasion, & formèrent en conséquence le nom de Mercure de MhroV, inguin, & de KaxoV, puer, parce que le Mercure philosophique est une eau, que plusieurs Auteurs, & particu­lièrement Raymond Lulle (Lib. Secretorum & alibi.) ont appelé urine d’enfant. De-là aussi la fable d’Orion, engendré de l’urine de Jupiter, de Neptune & de Mer­cure.

La matière est une & toute chose.

Les Philosophes, toujours attentifs à cacher tant leur matière que leurs procédés, appellent in­différemment leur matière, cette même matière dans tous les états où elle se trouve dans le cours des opérations. Ils lui donnent pour cet effet bien des noms en particulier qui ne lui con­viennent qu’en général, & jamais mixte n’a eu tant de noms. Elle est une & toutes choses, disent-ils, parce qu’elle est le principe radical de tous les mixtes. Elle est en tout & semblable à tout, parce qu’elle est susceptible de toutes les formes, mais avant qu’elle soit spécifiée à quel­que espèce des individus des trois règnes de la Nature. Lorsqu’elle est spécifiée au genre miné­ral, ils disent qu’elle est semblable à l’or, parce qu’elle en est la base, le principe & la mère. C’est pourquoi ils l’appellent or crud, or vola­til, or immeur, or lépreux. Elle est analogue aux métaux, étant le mercure dont ils sont composés. L’esprit de ce mercure est si congelant, qu’on le nomme le père des pierres tant précieuses que vulgaires. Il est la mère qui les conçoit, l’humide qui les nourrit, & la matière qui les fait.
Les minéraux, en font aussi formés ; & comme l’antimoine est le Prothée de la Chymie, & le minéral qui a le plus de propriétés & de vertus, Artéphius a nommé la matière du grand œuvre, antimoine des parties de Saturne. Mais quoiqu’elle donne un vrai mercure, il ne faut pas s’imaginer que ce mercure se tire de l’antimoine vulgaire, ni que ce soit le mercure commun. Philalèthe nous assure (Introitus apertus, &c.) que de quelque façon qu’on traite le mercure vulgaire, on n’en fera ja­mais le mercure Philosophique. Le Cosmopolite dit que celui- ci est le vrai mercure, & que le mer­cure commun n’est que son frère bâtard (Dialog. Mercur. Alkemistae & Naturae.). Lorsque le mercure des Sages est mêlé avec l’argent & l’or, il est appelé l’électre des Philosophes, leur airain, leur laiton, leur cuivre, leur acier ; & dans les opérations, leur venin, leur arsenic, leur orpiment, leur plomb, leur laiton qu’il faut blanchir, Saturne, Jupiter, Mars, Vénus, la Lune & le Soleil.
Ce mercure est une eau ardente, qui a la vertu de dissoudre tous les mixtes, les minéraux, les pierres ; & tout ce que les autres menstrues ou eaux fortes ne sauraient faire, la faux du vieil­lard Saturne en vient à bout, ce qui lui a fait donner le nom de dissolvant universel.
Paracelse, en parlant de Saturne, s’exprime ainsi (Coeluro Philosoph. Can, de Saturno.) « : Il ne serait pas à propos que l’on se persuadât, encore moins que l’on fût instruit des propriétés cachées dans l’intérieur de Saturne & tout ce qu’on peut faire avec lui & par lui. Si les hommes le savaient, tous les Alchimistes abandonneraient toute autre matière pour ne travailler que sur celle là. »
Je finirai ce que j’ai à dire sur la matière du grand œuvre, par l’exclusion que quelques Philosophes donnent à certaine matière que les Souf­fleurs prennent communément pour faire la mé­decine dorée, ou pierre Philosophale. « J’ai, dit Riplée, fait beaucoup d’expériences sur toutes les choses que les Philosophes nomment dans leurs écrits, pour faire de l’or & de l’argent, & je veux vous les raconter. J’ai travaillé sur le cinabre, mais il ne valait rien, & sur le mercure sublimé qui me coûtait bien cher. J’ai fait beaucoup de sublimations d’esprits, de ferments, des sels du fer, de l’acier & de leur écume, croyant par ce moyen & ces matières parvenir à faire la pierre ; mais je vis bien enfin que j’avais perdu mon temps, mes frais & mes peines. Je suivais pourtant exactement tout ce qui m’était prescrit par les Auteurs ; & je trouvai que tous les procédés qu’ils enseignaient étaient faux. Je fis ensuite des eaux fortes, des eaux corrosives, des eaux ardentes, avec lesquelles j’opérais de diverses manières, mais toujours à pure perte. J’eus recours, après cela aux coques d’œufs, au soufre, au vitriol, que les Artistes insensés prennent pour le Lion vert des Philosophes, à l’arsenic, à l’orpiment, au sel ammoniac, au sel de verre, au sel alkali, au sel commun, au sel gemme, au salpêtre, au sel de soude, au sel attincar, au sel de tartre, au sel alembrot ; mais, croyez-moi, donnez-vous de garde de toutes ces matières. Fuyez les métaux imparfaits rubéfiés, l’odeur du mercure, le mercure sublimé ou précipité vous y seriez trompé comme moi. J’ai éprouvé tout, le sang, les cheveux, l’âme de Saturne, les marcassites, l’œs ustum, le safran de Mars, les écailles & l’écume du fer, la litharge, l’antimoine ; tout cela ne vaut pas une figure pourrie. J’ai travaillé beaucoup pour avoir l’huile & l’eau de l’argent ; j’ai calciné ce métal avec un sel préparé, & sans sel, avec de l’eau-de-vie ; j’ai tiré des huiles corrosives ; mais tout cela était inutile. J’ai employé les huiles, le lait, le vin, la présure, le sperme des étoiles qui tombe sur la terre, la chélidoine, les Secondines, & une infinité d’autres choses, & je n’en ai tiré aucun profit. J’ai mélangé le mercure avec des métaux, je les ai réduits en cristaux, m’imaginant faire quelque chose de bon, j’ai cherché dans les cendres mêmes : mais, croyez-moi, pour Dieu, fuyez, fuyez de telles sottises. Je n’ai trouvé qu’un seul œuvre véritable. »
Le Trévisan (Philosoph. des Métaux) s’explique à peu près dans le même sens. « Et par ainsi, dit-il, nous en avons vu & connu plusieurs & infinis besognants en ces amalgamations & multiplications au blanc & au rouge, avec toutes les matières que vous sauriez imaginer, & toutes peines, continuations & constances, que je crois qu’il est possible ; mais jamais nous ne trouvions notre or ni notre argent multiplié ni du tiers, ni de moitié, ni de nulle partie. Et si avons vu tant de blanchissement & rubifications, de recettes, de sophistications par tant de pays, tant en Rome, Navarre, Espagne, Turquie, Grèce, Alexandrie, Barbarie, Perse, Messine ; en Rhodes, en France, en Ecosse, en la Terre Sainte & ses environs ; en toute l’Italie, en Allemagne, en Angleterre, & quasi circuyant tout le monde. Mais jamais nous ne trouvions que gens besognants de choses sophistiques & matières herbales, animales, végétables & plantables, & pierres minérales, sels, aluns & eaux fortes, distillations & séparations des éléments, & sublimations, calcinations, congélations d’argent-vif par herbes, pierres, eaux, huiles, fumiers, & feu & vaisseaux très étranges, & jamais nous ne trouvions labourants sur matière due. Nous en trouvions bien en ces pays qui savaient bien la pierre, mais jamais ne pouvions avoir leur accointance......... & je me mis donc à lire les livres savants que de besogner davantage, pensant bien en moi-même que par homme je n’y pouvais parvenir ; partant que s’ils le savaient, jamais ne le voudraient dire.... ainsi je regardai là où plus les livres s’accordaient ; alors je pensais que c’était là la vérité ; car ils ne peuvent dire vérité qu’en une chose. Et par ainsi je trouvai la vérité. Car où plus ils s’accordent, cela était la vérité ; combien que l’un le nomme en une manière, & l’autre en une autre ; toutefois c’est toute une substance en leurs paroles. Mais je connus que la fausseté était en diversité, & non point en accordance ; car si c’était vérité, ils n’y mettraient qu’une matière, quelques noms & quelques figures qu’ils baillassent....... Et en mon Dieu, je crois que ceux qui ont écrit paraboliquement & figurativement leurs livres, en parlant de cheveux, d’urine, de Sang, de Sperme, d’herbes, de végétables, d’animaux, de plantes, & des pierres & des minéraux, comme sont sels, aluns & couperose, attramens, vitriols, borax & magnésie, & pierres quelconques, & eaux, je crois, dis-je, qu’oncques il ne leur coûta guère, ou qu’ils n’y ont pris guère de peines, ou qu’ils sont trop cruels...... Car sachez que nul livre ne déclare en paroles vraies, sinon par paraboles, comme figure. Mais l’homme y doit aviser & réviser souvent le possible de ce qu’ils disent, & regarder les opérations que Nature adresse en Ses ouvrages. »
« Par quoi je conclus, & me croyez. Laissez sophistications & tous ceux qui y croient : fuyez leurs sublimations, conjonctions, séparations, congélations, préparations, disjonctions, connexions, & autres déceptions.... Et se taisent ceux qui afferment autre teinture que la nôtre, non vraie, ne portant quelque profit. Et se taisent ceux qui vont disant & sermonnant autre soufre que le nôtre, qui est caché dedans la magnésie ( Philosophique), & qui veulent tirer autre argent-vif que du serviteur rouge, & autre eau que la nôtre, qui est permanente, qui nullement ne se conjoint qu’à sa nature, & qui ne mouille autre chose, sinon chose qui soit la propre unité de sa nature.... »
« Laissez aluns, vitriols, sels & tous attramens, borax, eaux fortes quelconques, animaux, bêtes, & tout ce que d’eux peut sortir ; cheveux, sang, urine, spermes, chairs, œufs, pierres & tous minéraux. Laissez tous métaux seulets : car combien que d’eux soit l’entrée, & que notre matière, par tous les dits des Philosophes, doit être composée de vif-argent ; & vif-argent n’est en autres choses qu’ès métaux, comme il appert par Geber, par le grand Rosaire, par le code de toute vérité par Morien, par Haly, par Calib, par Avicenne, par Bendegid, Esid, Serapion, par Sarne, qui fit le livre appelé Lilium, par Euclides en son septantième chapitre des Rétractations, & par le Philosophe (Aristote) au troisième des météores..... & pour ce disent Aristote & Démocrite au livre de la Physique, chapitre troisième des Météores : fassent grande chere les Alchimistes ; car ils ne mueront jamais la forme des métaux, s’il n’y a réduction faite à leur première matière.... Or Sachez, comme le dit Noscus, en la Turbe, lequel fut Roi d’Albanie, que d’homme ne vient qu’homme ; de volatil que volatil, ni de bête brute que bête brute, & que Nature ne s’amende qu’eu sa propre nature, & non point en autre. »
Ce que nous venons de rapporter de ces deux Auteurs est une leçon pour les Souffleurs. Elle leur indique clairement qu’ils ne sont pas dans la bonne voie, & pourra servir en même temps de préservatif à ceux qu’ils auraient envie de duper, parce que toutes les fois qu’un homme promettra de faire la pierre avec les matières ci-dessus exclues, on peut en conclure que c’est ou un ignorant, ou un fripon, il est clair aussi par tout ce raisonnement du Trévisan, que la matière du grand œuvre doit être de nature minérale & métallique ; mais quelle est cette matière en par­ticulier ? aucun ne la dit précisément.

La clef de l’Œuvre.

Basile Valentin (Addition aux 12 Clefs.) dit que celui qui a de la farine fera bientôt de la pâte, & que celui qui a de la pâte trouvera bientôt un four pour la cuire. C’est comme s’il disait que l’Artiste qui aurait la véritable matière philosophique, ne sera pas embarrassé pour la mettre en œuvre : il est vrai, si l’on en croit les Philosophes, que la confection de l’œuvre est une chose très aisée, & qu’il faut plus de temps & de patience que de frais ; mais cela ne doit sans doute s’entendre que de certaines circonstances de l’œuvre, & lorsqu’on est parvenu à un certain point. Flamel (Explicat. des fig. hiéroglyp.) dit, que la préparation des agents est une chose difficile sur toute autre au monde. Augurelle (Chrysop. 1. 2) nous assure qu’il faut un travail d Her­cule :
Alter inauratam nota de vertice pellem
Principium velut ostendit, quod sumere possis :
Alter onus quantum subeas.
Et d’Espagnet ne fait pas difficulté de dire qu’il y a beaucoup d’ouvrage à faire (Can. 42.). « Dans la sublimation philosophique du mercure, ou la première préparation, il faut un travail d’Hercule, car sans lui Jason n’aurait jamais osé entreprendre la conquête de la Toison d’or. » Il ne faut pas cependant s’imaginer que cette sublimation se fasse à la manière des sublima­tions Chymiques, aussi a-t-il eu soin de l’appeler Philosophique. Il fait entendre par ce qu’il dit après, qu’elle consiste dans la dissolution & la pu­tréfaction de la matière ; parce que cette subli­mation n’est autre chose qu’une séparation du pur de l’impur, ou une purification de la ma­tière, qui est de nature à ne pouvoir être subli­mée que par la putréfaction. D’Espagnet cite en conséquence les paroles suivantes de Virgile. Le Poète, dit-il, semble avoir touché quelque chose de la nature, de la qualité, & de la cul­ture de la terre philosophique par ces termes :
Pingue solum primis extemplo a mensibus anni
Fortes invertant Tauri :
.... Tune zephyro putris se gleba resolvit.
Georg. i.
C’est donc la solution qui est la clef de l’œuvre. Tous les Philosophes en conviennent, & tous parlent de la même manière à ce sujet. Mais il y a deux travaux dans l’œuvre, l’un pour faire la pierre, l’autre pour faire l’élixir. Il faut d’a­bord commencer à préparer les agents ; & c’est de cette préparation que les Philosophes n’ont point parlé, parce que tout dépend d’elle, & que le second œuvre n’est, suivant leurs dires, qu’un jeu d’enfants & un amusement de femmes. Il ne faut donc pas confondre les opérations du second œuvre avec celles du premier, quoique Morien (Entretien du Roi Calid.) nous assure que le second œuvre, qu’il appelle disposition, n’est qu’une répétition du premier. Il est à croire cependant que ce n’est pas une chose si pénible & si difficile, puisqu’ils n’en disent mot, ou n’en parlent que pour la cacher. Telle que puisse être cette préparation, il est certain qu’elle doit se commencer par la dissolution de la matière, quoique plusieurs lui aient donné le nom de calcination ou de subli­mation ; & puisqu’ils n’en ont pas voulu parler clairement, on peut au moins des opérations de la seconde disposition tirer des introductions pour nous éclairer sur les opérations de la première.
Il s’agit d’abord de faire le mercure philosophique ou le dissolvant avec une matière qui renferme en elle deux qualités, & qui soit en partie volatile, & fixe en partie. Ce qui prouve qu’il faut une dissolution, c’est que le Cosmopolite nous dit de chercher une matière de laquelle nous puissions faire une eau qui dissolve l’or naturellement & sans violence. Or une matière ne peut se réduire en eau que par la dissolution, quand on n’emploie pas la distillation de la Chymie vulgaire, qui est exclue de l’œuvre.
Il est bon de remarquer ici que tous les termes de la Chymie vulgaire, que les Philosophes em­ploient dans leurs livres, ne doivent pas être pris dans le sens ordinaire, mais dans le sens philosophique. C’est pourquoi le Philalèthe nous avertit (Enarratio method. trium Gebri niedicin.) que les termes de distillation, subli­mation, calcination, assation, réverbération, dissolution, descension, coagulation, ne sont qu’une & même opération, faite dans un même vase, c’est-à-dire, une cuisson de la matière ; nous en ferons voir les différences dans la suite, lorsque nous parlerons de chacune en particulier.
Il faut encore remarquer que les signes dé­monstratifs de l’œuvre, desquels les Philosophes font mention, regardent particulièrement le se­cond œuvre. On observera aussi que le plus grand nombre des Auteurs Hermétiques commencent leurs traités à cette seconde opération, & qu’ils supposent leur mercure & leur soufre déjà fait, que les descriptions qu’ils en font dans leurs énigmes, leurs allégories, leurs fables, &c. sont presque toutes tirées de ce qui se passe dans cette seconde disposition de Morien ; & que de là viennent les contradictions apparentes qui se trouvent dans leurs ouvrages, où l’un dit qu’il faut deux matières, l’autre une seulement, l’au­tre trois, l’autre quatre, &c. Ainsi, pour s’expri­mer conformément aux idées des Philosophes, il faut donc les suivre pas à pas ; & comme je ne veux point m’éloigner en rien de leurs principes, ni de leur manière de les déduire, je les copierai mot pour mot, afin que le Lecteur ne regarde pas les explications que je donnerai des fables, comme une pure production de mon ima­gination. Basile Valentin est un de ceux qui en fait le plus d’applications, dans son Traité des 12 Clefs ; mais il les emploie pour former ses allégories, & non pour faire voir quelle était l’intention de leurs Auteurs, Flamel au contraire en cite de temps en temps quelques-unes dans le sens de leurs Auteurs; c’est pourquoi je le citerai ici plus souvent que les autres ; & ce traité sera dans la suite composé, pour la plus grande partie, de ses propres paroles.
Les deux Dragons, qu’il a pris pour symbole hiéroglyphique de la matière, sont, dit-il (Loco cit.), « les deux Serpents envoyés par Junon, qui est la nature métallique, que le fort Hercule, c’est-à-dire, le Sage, doit étrangler en son berceau : je veux dire vaincre & tuer pour les faire pourrir, corrompre & engendrer au commencement de son œuvre. » Voilà la clef de l’œuvre ou la dissolution annoncée ; les Serpents, les Dragons, la Chimère, le Sphinx, les Harpies & les autres montres de la fable, que l’on doit tuer ; & comme la putréfaction succède à la mort, « Flamel dit qu’il faut les faire pourrir & corrompre. Etant donc mis ensemble dans le vaisseau du sépulcre, ils se mordent tous deux cruellement, & par leur grand poison & rage furieuse, ne se laissent jamais depuis le moment qu’ils se sont pris & entre-saisis ( si le froid ne les empêche ) que tous deux de leur bavant venin & mortelles blessures, ne se soient ensanglantés par toutes les parties de leur corps, & finalement s’entre-tuant, ne se soient étouffés dans leur venin propre, qui les change après leur mort, en eau vive & permanente. Cette eau est proprement le mercure, des Philosophes. Ce Sont, ajoute-t-il, ces deux spermes masculins & féminin, décrits au commencement de mon sommaire philosophique, qui sont engendrés, (dit Rasis, Avicenne, & » Abraham Juif) dans les reins, entrailles, & des opérations des quatre éléments. Ce sont l’humide radical des métaux, soufre & argent-vif ; non les vulgaires, & qui se vendent par les Marchand ; droguistes ; mais ce sont ceux que nous donnent ces deux beaux & chers corps que nous aimons tant. Ces deux spermes, disait Démocrite, ne se trouvent point sur la terre des vivants. Avicenne le dit aussi, mais il ajoute qu’ils se recueillent de la fiente, ordure & pourriture du Soleil & de la Lune. »
La putréfaction est déclarée par les termes suivants : « La cause pourquoi j’ai peint ces deux spermes en forme de Dragons, c’est parce que leur puanteur est très grande, comme est celle des Dragons, & les exhalaisons qui montent dans le matras, sont obscures, noires, bleues & jaunâtres.... le Philosophe ne sent jamais cette puanteur, s’il ne casse ses vaisseaux ; mais seulement il la juge telle par la vue & le changement des couleurs qui proviennent de la pourriture de ses confections. » Que les Chymistes ou Souffleurs qui cherchent la pierre philosophale dans leurs calcinations & leurs creusets, jugent de ces paroles de Flamel, si leurs opérations sont conformes aux siennes, & s’ils ont raison de s’exposer à respirer les vapeurs des matières puantes & arsenicales sur lesquelles ils opèrent.
La putréfaction de la matière dans le vase est donc le principe & la cause des couleurs qui se manifestent, & la première un peu permanente ou de durée qui doit paraître, est la couleur noire, qu’ils appellent simplement le noir, & d’une in­finité d’autres noms que l’on verra ci-après dans le cours de cet ouvrage, ou dans le Dictionnaire des termes propres à la Philosophie Hermétique, qui le suit immédiatement.
Cette couleur signifie donc la putréfaction & la génération qui s’ensuit, & qui nous est don­née par la dissolution de nos corps parfaits. Ces dernières paroles indiquent que Flamel parle de la seconde opération, & non de la première. « Cette dissolution vient de la chaleur externe, qui aide, & de l’ignéité politique, & vertu aigre admirable du poison de notre mercure, qui met & résout en pure poussière, même en poudre impalpable, ce qu’il trouve qui lui résiste. Ainsi la chaleur agissant sur & contre l’humidité radicale métallique, visqueuse & oléagineuse, engendre sur le sujet la noirceur. » Elle est ce voile noir avec lequel le navire de Thésée revint victorieux de Crète, & qui fut cause de la mort de son père. Aussi faut-il que le père meure, afin que des cendres de ce Phœnix il en renaisse un autre, & que le fils soit Roi. »
La véritable clef de l’œuvre est cette noirceur au commencement de ses opérations ; & s’il paraît une autre couleur rouge ou blanche avant celle-là, c’est une preuve qu’on n’a pas réussi, ou, comme le dit noire Auteur, «on doit toujours souhaiter cette noirceur, & certes qui ne la voit durant les jours de la pierre, quelle autre couleur qu’il voit, il manque entièrement au magistère, & ne le peut plus parfaire avec ce chaos.... Et véritablement je te dis derechef, que quand même eu besognerais sur les vraies matières, si au commencement, après avoir mis les confections dans l’œuf philosophique, c’est-à-dire, quelque temps après que le feu les a irritées, si tu ne vois cette tête de corbeau, noire du noir très noir, il te faut recommencer ; car cette faute est irréparable. Surtout on doit craindre une couleur orangée ou demi-rouge, parce que si dans ce commencement tu la vois dans ton œuf, sans doute tu brûles, ou as brûlé la verdeur & la vivacité de la pierre. »
La couleur bleuâtre & jaunâtre indiquent que la putréfaction & la dissolution n’est point encore achevée. La noirceur est le vrai signe d’une parfaire solution. Alors la matière se dissout en poudre plus menue, pour ainsi dire, que les atomes qui voligent aux rayons du Soleil, & ces atomes se changent en eau permanence. les Philosophes ont donné à cette dissolution les noms de mort, destruction & perdition, enfer, tartare, ténèbres, nuit, veste ténébreuse, sépulcre, tombeau, eau venimeuse, charbon, fumier, terre noire, voile noir, terre sulfureuse, mélancolie, magnifie noire, boue, menstrue puant, fumée, noir de fumée, feu venimeux, nuée, plomb, plomb noir, plomb des Philosophes, Saturne, poudre noire, chose méprisable, chose vile, sceau d’Hermès, esprit puant, esprit sublime, soleil éclipsé, ou éclipse du soleil & de la lune, fiente de cheval, corruption, écorce noire, écume de la mer, couverture du vase, chapiteaux de l’alambic, naphte, immondice du mort, cadavre, huile de Saturne, noir plus noir que le noir même. Ils l’ont enfin désignée par tous les noms qui peu­vent exprimer ou désigner la corruption, la dissolution & la noirceur. C’est elle qui a fourni aux Philosophes la matière à tant d’allégories sur les morts & les tombeaux. Quelques-uns l’ont même nommée calcination, dénudation, séparation, trituration, assation, à cause de la ré­duction des matières en poudre très menues. D’autres, réduction en première matière, mollification, extraction, commixtion, liquéfaction, conversion des éléments , subtilisation, division, humation, impastation & distillation. Les autres xir, ombres cimménennes, gouffre, génération, ingression, submersion, complexion, conjonction, imprégnation. Lorsque la chaleur agit sur ces matières, elles se changent d’abord en poudre, & eau grasse & gluante, qui monte en vapeur au haut du vase, & redescend en rosée ou pluie, au fond du vase (Artéphius.), où elle devient à peu près comme un bouillon noir un peu gras. C’est pour­quoi on l’a appelée sublimation, & volatilisation, ascension & descension. L’eau se coagu­lant ensuite davantage devient comme de la poix noire, ce qui la fait nommer terre fétide & puante. Elle donne une odeur de relent, de sé­pulcres & de tombeaux. Hermès l’a appelée la terre des feuilles. « Mais son vrai nom, dit Flamel, est le laiton ou laton, qu’il faut blanchir. Les anciens Sages, ajoute-t-il, l’ont décrire sous l’histoire du Serpent de Mars, qui avait dévoré les compagnons de Cadmus, lequel le tua en le perçant de sa lance contre un chêne creux. »
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Remarques sur ce chêne.

Mais pour parvenir à cette putréfaction il faut un agent ou dissolvant analogue au corps qu’il doit dissoudre. Celui-ci est le corps dissoluble, appelé semence masculine ; l’autre est l’esprit dissolvant, nommé semence féminine. Quand ils sont réunis dans le vase, les Philosophes leur donnent le nom de Rebis ; c’est pourquoi Merlin, a dit :
Res rebis est bina conjuncta, sed tamen una.
Philalèthe (Vera confect, lapid. Philosop. p 15. & suiv.) s’exprime ainsi au sujet de ce dissolvant. « Cette semence féminine est un des principaux principes de notre magistère ; il faut donc méditer profondément dessus, comme sur une matière sans laquelle on ne peut réussir, puisque quoiqu’argent-vif, il n’est pas en effet un argent-vif naturel dans sa propre nature, mais un certain autre mercure propre à une nouvelle génération, & qui, outre sa pureté, demande une longue & admirable préparation, qui lui laisse sa qualité minérale, homogène, saine & sauve. Car si l’on ôte à cet esprit dissolvant sa fluidité & sa mercurialité, il devient inutile à l’œuvre philosophique, parce qu’il a perdu par-là sa nature dissolvante ; & s’il était changé en poudre, de quelque espèce quelle puisse être ; si elle n’est pas de la nature du corps dissoluble, il le perd, il n’a plus de relation ni de proportion avec lui, & doit être rejeté de notre œuvre. Ceux-là pensent donc follement & faussement qui altèrent l’argent-vif, avant qu’il soit uni avec les espèces métalliques. Car cet argent-vif, qui n’est pas le vulgaire est la matière de tous les métaux, & comme leur eau, à cause de son homogénéité avec eux. Il se revêt de leur nature dans son mélange avec eux, & prend toutes leurs qualités, parce qu’il ressemble au mercure céleste, qui devient semblable aux qualités des planètes avec lesquelles il est en conjonction. »
Aucune eau ne peut dissoudre radicalement & naturellement les espèces métalliques, si elle n’est de leur nature, & si elle ne peut être congelée avec elles. Il faut qu’elle passe dans les métaux comme un aliment qui s’incorpore avec eux, & ne fasse plus qu’une & même substance. Celui qui ôtera donc à l’argent-vif son humidité avec les sels, les vitriols, ou autres choses corrosives, agit en insensé. Ceux-là ne se trompent pas moins, qui s’imaginent extraire du mercure naturel une eau limpide & transparente, avec laquelle ils puissent faire des choses admirables. Quand même ils viendraient à bout de faire une celle eau, elle ne vaudrait rien pour l’œuvre.

Le mercure est une chose qui dissout les mé­taux d’une dissolution naturelle, qui conduit leurs esprits de puissance en acte.
Le mercure est cette chose qui rend la ma­tière des métaux lucide, claire & sans ombre, c’est-à-dire, qui les nettoyé de leurs impuretés, & tire de l’intérieur des métaux parfaits leur na­ture & semence qui y est cachée.
Le mercure dissolvant est une vapeur sèche, nullement visqueuse, ayant beaucoup d’acidité, très subtile, très volatile au feu, ayant une grande propriété de pénétrer & de dissoudre les métaux en le préparant ; & en faisant cette dissolution, outre la longueur du travail, on coure un très grand danger, dit Philalèthe. Il recommande eu conséquence de préserver ses yeux, ses oreilles & son nez.
La confection de ce mercure, ajoute le même Auteur, est le plus grand des secrets de la Na­ture ; on ne peut guère l’apprendre que par la révélation de Dieu, ou d’un ami ; car on n’en viendra presque jamais à bout par les instructions des livres.
Le mercure dissolvant n’est point mercure des Philosophes avant sa préparation, mais seule­ment aptes, & il est le commencement de la Médecine du troisième ordre. Voyez ce qu’on entend par ces médecines, dans le Dictionnaire ci-joint.
Ceux qui à la place de ce mercure emploient pour l’œuvre philosophique le mercure naturel, ou sublimé, ou en poudre calcinée ou précipitée, se trompent lourdement.
Le mercure dissolvant est un élément de la terre, dans lequel il faut semer le grain de l’or. Il corrompt le Soleil, le putréfie, le résout en mercure, & le rend volatil, & semblable à lui-même. Il se change en Soleil & Lune, & de­vient comme les mercures des métaux. Il tire au dehors les âmes des corps, les enlève & les cuit. C’est ce qui a donné lieu aux anciens Sages, de dire que le Dieu Mercure tirait les âmes des corps vivants & les conduisait au Royaume de Pluton. C’est pourquoi Homère nomme très souvent mercure Argicida.
Le mercure dissolvant ne doit pas être sec, car s’il est tel, tous les Philosophes nous assurent qu’il ne sera pas propre à la dissolution, il faut donc prendre une semence féminine en forme semblable & prochaine à celle des métaux. L’art le rend menstrue des métaux ; & par les opéra­tions de la première médecine, ou de sa prépa­ration imparfaite, il passe par toutes les qualités des métaux, jusqu’à celles du Soleil. Le soufre des métaux imparfaits le coagule, & il prend les qualités du métal dont le soufre l’a coagulé ; si le mercure dissolvant n’est point animé, en vain l’emploiera-t-on pour l’œuvre universelle, ni pour le particulier.
Le mercure dissolvant est le vase unique des Philosophes, dans lequel s’accomplit tout le magistère. Les Philosophes lui ont donné divers noms, dont voici les plus usités, Vinaigre, vinai­gre des Philosophes, champ, aludel, eau, eau de l’art, eau ardente, eau divine, eau de fon­taine, eau purifiante, eau permanente, eau première, eau simple, bain, ciel, prison, paupière supérieure, crible, fumée, humidité, feu, feu ar­tificiel, feu corrodant, feu contre nature, feu hu­mide, Jourdain, liqueur, liqueur végétale crue, lune, matière, matière lunaire, première vertu, mère , mercure crud, mercure préparante, ministre premier, serviteur fugitif, nymphes, bacchan­tes, muses, femme, mer, esprit crud, esprit cuit, sépulcre, sperme de mercure, eau stygienne, estomac d’autruche, vase, vase des Philosophes, inspecteur de choses cachées, argent-vif crud tiré simplement de sa minière, mais on ne doit point oublier que ce n’est pas celui qui se vend dans les boutiques des Apothicaires ou Droguistes.
Lorsque la conjonction du mercure est faire avec le corps dissoluble, les Philosophes ne par­lent des deux que comme d’une seule chose ; & alors ils disent que les Sages trouvent dans le mercure tout ce qu’il leur faut. On ne doit donc pas se laisser tromper à la diversité des noms ; & pour prévenir les erreurs en ce genre, en voici quelques-uns des principaux. Eau épaisse, notre eau, eau seconde, arcane, argent-vif, bien, bien qui a plusieurs noms, chaos, Hylé, notre compost ; notre confection, corps confus, corps mixte, cuivre, Æs des Philosophes, laiton, fumier, fumée aqueuse, humidité brûlante, feu étranger, feu innaturel, pierre, pierre minérale, pierre unique, matière unique, matière confuse des métaux, menstrue, menstrue second, minière, notre minière, minière des métaux, mercure, mercure épaissi, pièce de monnaie, œuf, œuf des Philosophes, racine, racine unique, pierre connue dans les chapitres des livres. C’est enfin à ce mélange ou mercure que la plupart des Auteurs commencent leurs livres & leurs traités sur l’œuvre.

Du vase de l’Art, & de celui de la Nature.

Trois sortes de matrices, la première est la terre, la matrice universelle du monde, le ré­ceptacle des éléments, le grand vase de la Na­ture, le lieu où se fait la corruption des semen­ces, le sépulcre & le tombeau vivant de toutes les créatures. Elle est en particulier la matrice du végétal & du mineral.
La seconde matrice est celle de l’utérus dans l’animal ; celle des volatiles est l’œuf ; & le seul rocher, celle de l’or & de l’argent.
La troisième, celle du métal, est connue de peu de personnes ; la matrice étant, avec le sperme, la cause de la spécification du métal.
La connaissance de ce vase précieux, & de l’esprit fixe & saxifique implanté dans lui, était un des plus grands secrets de la cabale des Egyptiens. Il a donc fallu chercher un vase analogue à celui que la Nature emploie pour la formation des métaux ; un vase qui devînt la matrice de l’arbre doré des Philosophes ; & l’on n’en a point trouvé de meilleur que le verre. Ils y ont ajouté la manière de le Sceller, à l’imitation de la Nature, afin qu’il ne s’en exhalât aucun des principes. Car, comme dit Raymond Lulle, la composition qui se fait de la substance des va­peurs exhalées, & rabattues sur la matière qui se corrompt, pour l’humecter, la dissoudre, est la putréfaction. Ce vase doit donc avoir une forme propre à faciliter la circulation des esprits, & doit être d’une épaisseur & d’une consistance capable de résister à leur impétuosité.

Noms donnés à ce vase par les Anciens.

Les Philosophes faisaient en sorte de faire en­trer ce vase dans leurs allégories, de manière qu’on n’eût pas le moindre soupçon sur l’idée qu’ils en avaient. Tantôt c’était une tour, tantôt un navire ; ici un coffre ; là une corbeille. Telle fut la tour de Danaé ; le coffre de Deucalion, & le tombeau d’Osiris ; la corbeille, l’outre de Bacchus & sa bouteille ; l’amphore d’or ou vase de Vulcain ; la coupe que Junon présenta à Thétis le vaisseau de Jason, le marais de Lerne, qui fut ainsi appelé de capsa, loculus ; le panier d’Erichthonius ; la cassette dans laquelle fut enfermé Tennis Triodite avec sa sœur Hémithée ; la chambre de Léda, les œufs d’où na­quirent Castor, Pollux, Clytemnestre & Hélène ; la ville de Troye ; les cavernes des monstres ; les vases dont Vulcain fit présent à Jupiter. La cassette que Thétis donna à Achille, dans laquelle on mit les os de Patrocle, & ceux de son ami. La coupe avec laquelle Hercule passa la mer pour aller enlever les bœufs de Gérion. La caverne du mont Hélicon, qui servait de demeure aux Muses & à Phœbus ; tant d’autres choses enfin ac­commodées aux fables que l’on inventait au sujet du grand œuvre. Le lit où Vénus fut trou­vée avec Mars ; la peau dans laquelle Orion fut engendré ; le clepsydre ou corne d’Amalthée, de je cache, &, eau. Les Egyptiens enfin n’entendaient autre chose par leurs puits, leurs sépulcres, leurs urnes, leurs mausolées en forme de pyramide.
Mais ce qui a trompé davantage ceux qui ont étudié la Philosophie Hermétique dans les li­vres, c’est que le vase de l’Art & celui de la Nature n’y sont pas communément distingués. Ils parlent tantôt de l’un, tantôt de l’autre, sui­vant que le sujet les amené. Sans qu’aucun en fasse la distinction. Ils font mention pour l’or­dinaire d’un triple vaisseau. Flamel l’a représenté dans ses Hiéroglyphes, sous la figure d’une écritoire. « Ce vaisseau de terre, en forme d’écritoire dans une niche, est appelé, dit il, le triple vaisseau ; car dans son milieu il y a un étage, sur lequel il y a une écuelle pleine de cendres tièdes, dans lesquelles est posé l’œuf Philosophique, qui est un matras de verre, que tu vois peint en forme d’écritoire, & qui est plein de confection de l’art, c’est-à-dire, de l’écume de la mer Rouge & de la graisse du vent mercuriel. » Mais il paraît, par sa description qu’il donne de ce triple vaisseau, qu’il parle non seulement du vase, mais du fourneau.
Il est absolument nécessaire de connaître le vase & sa forme pour réussir dans l’œuvre. Quant à celui de l’art, il doit être de verre, de forme ovale ; mais pour celui de la Nature, les Philosophes nous disent qu’il faut être instruit parfaitement de sa quantité & de sa qualité. C’est la terre de la pierre, ou la femelle, ou la matrice dans laquelle la semence du mâle est reçue, se putréfie & se dispose à la génération. Morien parle de celui-ci en ces termes : « Vous devez savoir, ô bon Roi, que ce magistère est le Secret des Secrets de Dieu très grand ; il l’a confié & recommandé à ses Prophètes, dont il a mis les âmes dans son paradis. Que si les Sages, leurs successeurs, n’eussent compris ce qu’ils avaient dit de la qualité du vaisseau dans lequel se fait le magistère, ils n’auraient jamais pu faire l’œuvre. » Ce vase, dit Philalèthe « est un aludel, non de verre, mais de terre ; il est le réceptacle des teintures ; & respectivement à la pierre, il doit contenir ( la première année des Chaldéens ) vingt-quatre pleines mesures de Florence, ni plus, ni moins. »
Les Philosophes ont parlé de différents vases pour tromper les ignorants. Ils ont même cherché à en faire un mystère comme de tout le reste. C’est pourquoi ils lui ont donné divers noms, suivant les différences dénominations qu’il leur a plu donner aux divers états de la matière. Ainsi ils ont fait mention d’alambic, de cucurbite, de vases sublimatoires, calcinatoires, &c. Mais il n’y a qu’un vase de l’art que d’Espagnet (Can. 112.& siuv.) dé­crit ainsi : « Pour dire la vérité, & parler avec ingénuité, on n’a besoin que d’un seul vase pour perfectionner les deux soufres ; il en faut un second pour l’élixir. La diversité des digestions ne demande pas un changement de vase ; il est même nécessaire de ne point l’ouvrir, ni le changer jusqu’à la fin du premier œuvre. Ce vase sera de verre, ayant le fond rond ou ovale, & un cou long au moins d’une palme, mais étroit comme celui d’une bouteille ; il faut que le verre soit épais également dans toutes ses parties, sans nœuds ni fêlures, afin qu’il puisse résister à un feu long & quelquefois vif. »
« Le second vase de l’art sera fait de deux hémisphères creux de chêne, dans lesquelles on mettra l’œuf, pour le faite couver. » Le Trévisan fait aussi mention de ce tronc de chêne, en ces termes (Philosoph. des métaux. 4. part.) : « Après, afin que la fontaine fût plus forte, & que les chevaux n’y marchassent, ni autres bêtes brutes, il y éleva un creux de chêne tranché par le milieu, qui garde le Soleil & l’ombre de lui. »
Le troisième vase, enfin est le fourneau qui renferme & conserve les deux autres vases & la matière qu’ils contiennent. Flamel dit qu’il n’aurait jamais pu deviner sa forme, si Abraham Juif ne l’avait dépeint avec le feu proportionné, dans ses figures hiéroglyphiques. En effet, les Philosophes l’on mis au nombre de leurs secrets, & l’ont nommé Athanor à cause du feu qu’on y entretient continuellement, quoique inégalement quelquefois, parce que la capacité du four­neau & la quantité de la matière demandent un feu proportionné. Quant à sa construction, on peut voir ce qu’en dit d’Espagnet.

Du Feu en général.

Quoique nous ayons parlé du feu assez au long dans les principes de Physique qui précèdent ce traité, il est à propos d’en dire encore deux mots, pour ce qui regarde l’œuvre. Nous connaissons trois fortes de feux, le céleste, le feu de nos cuisines, & le feu central. Le premier est très pur, simple, & non brûlant par lui-même; le second est impur, épais, & brûlant ; le central est pur en lui-même, mais il est mélangé & tem­péré. Le premier est ingénérant, & luit sans brûler ; le second est destructif, & brûle en luisant, au lieu d’engendrer ; le troisième, engendre & éclaire quelquefois sans brûler, & brûle quel­quefois sans éclairer. Le premier est doux, le second âcre & corrosif ; le troisième est salé & doux. Le premier est par lui-même sans couleur & sans odeur ; le second, puant & coloré. suivant son aliment ; le troisième est invisible, quoique de toutes couleurs & de toutes odeurs. Le cé­leste n’est connu que par ses opérations ; le second par les sens, & le central par ses qualités.
Le feu est très vif dans l’animal, stupide & lié dans le métal, tempéré dans le végétal, bouillant & très brûlant dans les vapeurs minérales.
Le feu céleste a pour sa sphère la région éthérée, d’où il se fait sentir jusqu’à nous. Le feu élémentaire a pour demeure la superficie de la terre, & notre atmosphère ; le feu central est logé dans le centre de la matière. Ce dernier est tenace, visqueux, glutineux, & est inné dans la matière ; il est digérant, maturant, ni chaud, ni brûlant au toucher; il se dissipe & consume très peu, parce que sa chaleur est tempérée par le froid.
Le feu céleste est sensible, vital, actif dans l’animal, plus chaud au toucher, moins digérant, & s’exhale sensiblement.
L’élémentaire est destructif, d’une voracité in­croyable; il blesse les sens, il brûle ; il ne digère, ne cuit, & n’engendre rien. Il est dans l’animal ce que les Médecins appellent chaleur fébrile & contre nature, il consume ou divise l’humeur radicale de notre vie.
Le céleste passe en la nature du feu central ; il devient interne, engendrant ; le second est externe & séparant ; le central est interne, unissant & homogénant.
La lumière ou le feu du Soleil habillé des rayons de l’Ether, concentrés & réverbérés sur la superficie de la terre, prend la nature du feu élémentaire, ou de nos cuisines. Celui-ci passe en la nature du feu céleste à force de se dilater, & devient central à force de se concentrer dans la matière. Nous avons un exemple de ces trois feux dans une bougie allumée ; sa lumière dans son expression représente le feu céleste ; sa flam­me le feu élémentaire, & la mèche le feu central.
Comme le feu de l’animal est d’une dissipa­tion incroyable, dont la plus grande se fait par la transpiration insensible, les Philosophes se sont étudiés à chercher quelque moyen de réparer cette perte ; & sentant bien que cette ré­paration ne pouvait se faire par ce qui est impur & corruptible comme l’animal même, ils ont eu recours à une matière, où cette chaleur requise fût concentrée abondamment. L’art de la Médecine ne pouvant empêcher cette perte, & ignorant les moyens abrégés de la réparer, s’est contentée d’aller aux accidents qui détruisent notre substance, qui viennent ou des vices des organes, ou de l’intempérie du sang, des esprits, des humeurs, de leur abondance ou disette, d’où suit infailliblement la mort, si l’on n’y apporte un remède efficace, que les Médecins avouent eux-mêmes ne connaître que très imparfaitement.

Du Feu Philosophique.

La raison qui engageait les anciens sages à faire un mystère de leur vase, était le peu de connaissance que l’on avait dans ces temps recu­lés, de la fabrique du verre. On a découvert dans la suite la manière de le faire ; c’est pourquoi les Philosophes n’ont plus tant caché la matière & la forme de leur vase. Il n’en est pas ainsi de leur feu secret ; c’est un labyrinthe dont le plus avisé ne saurait se tirer.
Le feu du Soleil ne peut être ce feu secret ; il est interrompu, inégal ; il ne peut soutenir une chaleur en tout semblable dans ses degrés, la mesure & sa durée. Sa chaleur ne saurait pé­nétrer l’épaisseur des montagnes, ni échauffer la froideur des marbres & des rochers, qui reçoi­vent les vapeurs minérales dont l’or &l’argent sont formés.
Le feu de nos cuisines empêche l’union des miscibles, & consume ou fait évaporer le lien des parties constituantes des corps; il en est le tyran.
Le feu central ou inné dans la matière a la propriété de mêler les substances, & d’engen­drer ; mais il ne peut être cette chaleur Philosophique tant vantée, qui fait la corruption des semences métalliques ; parce que ce qui est de soi-même principe de corruption, ne le peut être de génération que par accident : je dis par acci­dent ; car la chaleur qui entendre est interne & innée à la matière, & celle qui corrompt est ex­terne & étrangère.
Cette chaleur est fort différente dans la gé­nération des individus des trois règnes. L’ani­mal l’emporte de beaucoup en activité au-dessus de la plante. La chaleur du vase dans la géné­ration du métal doit répondre & être proportionné à la qualité de la semence dont la cor­ruption est très difficile. Il faut donc conclure que n’y ayant point de génération sans corrup­tion, & point de corruption sans chaleur, il faut proportionner la chaleur à la semence que l’on emploie pour la génération.
Il y a donc deux chaleurs, une putrédinale externe, & une vitale, ou générative interne. Le feu interne obéit à la chaleur du vase jusqu’à ce que, délié & délivré de sa prison, il s’en rend le maître. La chaleur putrédinale vient à son secours, elle passe en la nature de la chaleur vitale, & toutes deux travaillent ensuite de concert.
C’est donc le vase qui administre la chaleur propre à corrompre, & la semence qui fournit le feu propre à la génération ; mais comme la chaleur de ce vase n’est pas si connue pour le métal comme elle l’est pour l’animal & la plante, il faut réfléchir sur ce que nous avons dit du feu en général pour trouver cette chaleur. La Nature l’a si proportionnellement mesurée dans sa matrice quant aux animaux, qu’elle ne peut guère être augmentée ni diminuée ; la matrice est dans ce cas un véritable Athanor.
Quant à la chaleur du vase pour la corruption de la graine des végétaux, il la faut très petite ; le Soleil la lui fournit suffisamment ; mais il n’en est pas de même dans l’art Hermétique. La matrice étant de l’invention de l’Artiste, veut un feu artistement inventé & proportionné à celui que la Nature implante au vase pour la généra­tion des matières minérales. Un Auteur anonyme dit que pour connaître la matière de ce feu, il suffit de savoir comment le feu élémentaire prend la forme du feu céleste, & que pour sa forme, tout le secret consiste dans la forme & la structure de l’athanor, par le moyen duquel, ce feu devient égal, doux, continu, & telle­ment proportionné que la matière puisse se cor­rompre, après quoi la génération du soufre doit se faire, qui prendra la domination pour quel­que temps, & régira le reste de l’œuvre. C’est pourquoi les Philosophes disent que la femelle domine pendant la corruption, & le mâle chaud & sec pendant la génération.
Artéphius est un de ceux qui a traité le plus au long du feu Philosophique ; & Pontanus avoue avoir été redressé, & reconnu son erreur dans la lecture du traité de ce Philosophe. Voici ce qu’il en dit : « Notre feu est minéral, il est égal, il est continuel, il ne s’évapore point, s’il n’est trop fortement excité ; il participe du soufre ; il est pris d’autre chose que de la matière, il détruit tout, il dissout, congèle & calcine ; il y a de l’artifice à le trouver & a le faire ; il ne coûte rien, ou du moins fort peu. De plus, il est humide, vaporeux, digérant, altérant, pénétrant, subtil, aérien, non violent, incomburant, ou qui ne brûle point, environnant, contenant de unique. Il est aussi la fontaine d’eau vive, qui environne & contient le lieu où se baignent, & se lavent le Roi & la Reine. Ce feu humide suffit en toute l’œuvre au commencement, an milieu & à la fin ; parce que tout l’art consiste en ce feu. Il y a encore un feu naturel, un feu contre nature, & un feu innaturel, & qui ne brûle point, enfin pour complément il y a un feu chaud, sec, humide, froid. pensez bien à ce que je viens de dire, & travaillez droitement, sans vous servir d’aucune matière étrangère. » Ce que le même Auteur ajoute ensuite est dans le fond une véritable explication de ces trois feux ; mais comme il les appelle feu de lampes, feu de cendres, & jeu naturel de notre eau ; on voit bien qu’il a voulu donner le change ; ceux qui vou­dront voir un détail plus circonstancié du feu Philosophique, peuvent avoir recours au Testament de Raymond Lulle & a son Codicile ; d’Espagnet en parle aussi fort au long depuis le 98 Canon jusqu’au cent huitième. Les autres Philosophes n’en ont presque fait mention que pour le cacher, ou ne l’ont indique que par ses pro­priétés. Mais quand il s’est agi d’allégories ou de fables, ils ont donné à ce feu les noms d’épée, de lance, de flèches, de javelot, de hache, &c. telle fut celle dont Vulcain frappa Jupiter pour le faire accoucher de Pallas ; l’épée que le même Vulcain donna à Pelée père d’Achille ; la massue dont il fit présent à Hercule ; l’arc que ce héros reçut d’Apollon ; le cimeterre de Persée ; la lance de Bellerophon, &c. C’est le feu que Prométhée vola au Ciel ; celui que Vulcain employait pour fabriquer les foudres de Jupiter, & les armes des Dieux, la ceinture de Vénus, le trône d’or du Souverain des Cieux, &c. C’est enfin le feu de Vesta, entretenu si scrupuleusement à Rome, qu’on punissait de mort les Vierges vestales aux­quelles on avait confié le soin de l’entretenir, lorsque par négligence ou autrement elles le laissaient éteindre.

Principes opératifs.

La préparation est composée de quatre parties. La première est la solution de la matière en eau mercurielle ; la seconde est la préparation du mercure des Philosophes ; la troisième est la cor­ruption ; la quatrième, la génération & la créa­tion du soufre Philosophique. La première se fait par la semence minérale de la terre ; la se­conde volatilise & spermatise les corps ; la troi­sième fait la séparation des substances & leur rec­tification ; la quatrième les unit & les fixe, ce qui est la création de la pierre. Les Philosophes ont comparé la préparation à la création du mon­de, qui fut d’abord une masse, un chaos, une terre vide, informe & ténébreuse qui n’était rien en particulier, mais tout en général, la seconde est une forme d’eau pondéreuse & visqueuse, pleine de l’esprit occulte de son soufre ; & la troisième est la figure de la terre qui parut aride après la séparation des eaux.
Dieu dit, la lumière fut faire, elle sortit de son limbe, & se plaça dans la région la plus élevée. Alors les ténèbres disparurent devant elle ; le chaos & la confusion firent place à l’ordre, la nuit au jour, & pour ainsi dire, le néant à l’être.
Dieu parla une seconde fois ; les éléments confus se séparèrent, les plus légers se logèrent en haut, & les plus pesants en bas ; alors la terre dégagée de ses moites abîmes parut, & parut capable de tout produire.
Cette séparation d’eau de la terre, où l’air se trouva & le feu se répandit, n’est qu’un chan­gement successif de la matière sous cette double forme ; ce qui a fait dire aux Philosophes, que l’eau est tout le fondement de l’œuvre, sans la­quelle la terre ne pouvait être dissoute, pourrie, préparée, & que la terre est le corps où les éléments humides se terminent, se congèlent, & s’ensevelissent en quelque façon, pour reprendre une plus noble vie.
Il se fait alors une circulation, dont le pre­mier mouvement sublime la matière en la raré­fiant, le second l’abaisse en la congelant ; & le tout se termine enfin en une espèce de repos, ou plutôt un mouvement interne, une coction insensible de la matière.
La première roue de cette rotation d’éléments, comme l’appelle d’Espagnet, consiste dans la ré­duction de la matière en eau, où la génération commence ; l’éclipse du Soleil & de la Lune se fait ensuite. La seconde est une évacuation de l’humidité superflue, & une coagulation de la matière sous forme d’une terre visqueuse & mé­tallique, la troisième roue opère la séparation & la rectification des substances ; les eaux le sépa­rent des eaux. Tout se spiritualise ou se volatilise ; le Soleil & la Lune reprennent leur clarté, & la lumière commence à paraître sur la terre. La quatrième est la création du soufre.
« Par la première digestion, dit l’Auteur que je viens de citer (Can. 68. & suiv.), le corps se dissout ; la conjonction du mâle & de la femelle, & le mélange de leurs semences se font, la putréfaction succède, & les éléments se résolvent en une eau homogène. Le Soleil & la Lune s’éclipsent à la tête du Dragon ; & tout le monde enfin retourne & rentre dans le chaos antique & dans l’abîme ténébreux. Cette première digestion se fait, comme celle de l’estomac, par une chaleur pépantique & faible, plus propre à la corruption qu’à la génération. »
« Dans la Seconde digestion, l’esprit de Dieu est porté sur les eaux ; la lumière commence à paraître, & les eaux se séparent des eaux ; la Lune & le Soleil reparaissent, les éléments ressortent du chaos pour constituer un nouveau monde, un nouveau ciel, & une terre nouvelle. Les petits corbeaux changent de plumes, & deviennent des colombes ; l’aigle & le lion, se réunissent par un lien indissoluble. »
« Cette régénération se fait par l’esprit igné, qui descend sous la forme d’eau pour laver la matière de son péché originel, & y porter la semence aurifique, car l’eau des Philosophes est un feu. Mais donnez toute votre attention pour que la séparation des eaux se fasse par poids & mesure, de crainte que celles qui sont sous le ciel n’inondent la terre, ou que s’élevant en trop grande quantité, elles ne laissent la terre trop sèche & trop aride. »
« La troisième digestion fournie à la terre naissante un lait chaud, & y infuse toutes les vertus spirituelles d’une quintessence qui lie l’âme avec le corps au moyen de l’esprit. La terre alors cache un grand trésor dans son sein, & devient premièrement semblable à la Lune, puis au Soleil. La première se nomme terre de la Lune, la seconde terre du Soleil, & sont nées pour être liées par un mariage indissoluble, car l’une & l’autre ne craignent plus les atteintes du feu. »
« La quatrième digestion achève tous les mystères du monde ; la terre devient par son moyen un ferment précieux, qui fermente tout en corps parfaits, comme le levain change toute pâte en sa nature : elle avait acquis cette propriété en devenant quintessence céleste. Sa vertu émanée de l’esprit universel du monde, est une panacée ou médecine universelle à toutes les maladies des créatures qui peuvent être guéries. Le fourneau secret des Philosophes vous donnera ce miracle de l’Art & de la Nature, en répétant les opérations du premier œuvre. »
Tout le procédé Philosophique consiste dans la solution du corps & la congélation de l’esprit, & tout se fait par une même opération. Le fixe & le volatil se mêlent intimement, mais cela ne peut se faire si le fixe n’est auparavant volatilisé. L’un & l’autre s’embrassent enfin, & par la ré­duction ils deviennent absolument fixes.
Les principes opératifs, que l’on appelle aussi les clefs de l’œuvre, ou le régime, sont donc au nombre de quatre : le premier est la solution ou liquéfaction ; le second l’ablution ; le troisième la réduction ; & le quatrième la fixation. Par la solution, les corps retournent en leur première matière, & se réincrudent par la coction. Alors je mariage se fait entre le mâle & la femelle, & il en naît le corbeau. La pierre se résout en quatre éléments confondus ensemble ; le ciel & la terre s’unissent pour mettre Saturne au monde. L’ablution apprend à blanchir le corbeau, & à faire naître Jupiter de Saturne : cela se fait par le changement du corps en esprit. L’office de la réduction est de rendre au corps son esprit que la volatilisation lui avait enlevé, & de le nourrir ensuite d’un lait spirituel, en forme de rosée, jusqu’à ce que le petit Jupiter ait acquis une force parfaite.
« Pendant ces deux dernières opérations, dit d’Espagnet, le Dragon descendu du ciel, devient furieux contre lui-même ; il dévore sa queue, & s’engloutit peu à peu, jusqu’à ce qu’enfin il se métamorphose en pierre. » Tel fut le Dragon dont parle Homère (Iliad. 1. 2. v. 306. & suiv.) : il est la véritable image, ou le vrai symbole de ces deux opérations. « Pendant que nous étions assemblés sous un beau platane, disait Ulysse aux Grecs, & que nous étions là pour faire des hécatombes, auprès d’une fontaine qui sourdait de cet arbre, il apparut un prodige merveilleux. Un horrible Dragon dont le dos était tacheté, envoyé par Jupiter même, sortit du fond de l’autel, & courut au platane Au haut de cet arbre étaient huit petits moineaux avec leur mère qui voltigeait autour d’eux. Le Dragon les saisit avec fureur, & même la mère qui pleurait la perte de ses petits. Après cette action le même Dieu qui l’avait envoyé, le rendit beau, brillant, & le changea en pierre à nos yeux étonnés.» Je laisse au Lecteur à en faire l’application.

Principes opératifs en particulier.
La Calcination.

La calcination vulgaire n’est autre chose que la mort & la mortification du mixte, par la sé­paration de l’esprit, ou de l’humide qui liait ses parties. C’est à proprement parler une pulvérisation par le feu, & une réduction du corps en chaux, cendre, terre, fleurs, &c.
La Philosophique est une extraction de la substance de l’eau, du sel, de l’huile, de l’esprit, & le reste de la terre, & un changement d’accidents, une altération de la quantité, une cor­ruption de la substance, de manière cependant que toutes ces choses séparées puissent se réunir pour qu’il en vienne un corps plus parfait. La calcination vulgaire se fait par l’action du feu de des cuisines, ou des rayons concentrés du Soleil la Philosophique a l’eau pour agent, ce qui a fait dire aux Philosophes : Les Chymistes brûlent avec le feu, & nous brûlons avec l’eau ;
d’où l’on doit conclure que la Chymie vulgaire est aussi différente de la Chymie Hermétique, que le feu diffère de l’eau.

Solution.

La solution, chimiquement parlant, est une atténuation ou liquéfaction de la matière sous forme d’eau, d’huile, d’esprit ou d’humeur. Mais la Philosophique est une réduction du corps en sa première matière, ou une désunion naturelle des parties du composé, & une coagulation des parties spirituelles. C’est pourquoi les Philosophes l’appellent une solution du corps & une congélation de l’esprit. Son effet est d’aquéfier, dissoudre, ouvrir, réincruder, décuire, & éva­cuer les substances de leur terrestréités, de décorporifier le mixte pour le réduire en sperme.

Putréfaction.

La putréfaction est en quelque façon la clef de toutes les opérations, quoiqu’elle ne soit pas proprement la première. Elle nous découvre l’in­térieur du mixte : elle est l’outil qui rompt les liens des parties ; elle fait, comme le disent les Philosophes, l’occulte manifeste. Elle est le prin­cipe du changement des formes, la mort des accidentelles, le premier pas à la génération, le com­mencement & le terme de la vie ; le milieu entre le non être & l’être.
Le Philosophe veut qu’elle se fasse, quand le corps dissous par une résolution naturelle, est soumis à l’action de la chaleur putrédinale. La distillation & la sublimation n’ont été inventées qu’à l’imitation de celles de la Nature à l’égard des éléments, dont l’inclination ou la disposition à se raréfier & s’élever, à se condenser & à descendre, font tout le mélange & les produc­tions de la Nature.
La distillation diffère de la sublimation, en ce que la première se fait par l’élévation des choses humides, qui distillent ensuite goutte à goutte, au lieu que la sublimation & l’élévation d’une matière sèche s’attache au vaisseau. L’une & l’autre sont vulgaires.
La distillation & la sublimation, philosophiquement parlant, sont une purgation, subtilisation, rectification de la matière.
La coagulation & la fixation sont les deux grands instruments de la Nature & de l’Art.

Fermentation.

Le ferment est dans l’œuvre ce que le levain est dans la fabrique du pain. On ne peut faire du pain sans levain, & l’on ne peut faire de l’or sans or. L’or est donc l’âme & ce qui déter­mine la forme intrinsèque de la pierre. Ne rou­gissons pas d’apprendre à faire de l’or & de l’ar­gent, comme le boulanger fait le pain, qui n’est qu’un composé d’eau & de farine pétrie, fermentée, qui ne diffère l’un de l’autre que par la cuisson. De même la médecine dorée n’est qu’une composition de terre & d’eau, c’est-à-dire, de soufre & de mercure fermentés avec l’or ; mais avec un or réincrudé. Car comme, on ne peut faire du levain avec du pain cuit, on ne peut en faire un avec l’or vulgaire, tant qu’il demeure or vulgaire,
Le mercure ou eau mercurielle est cette eau, le soufre cette farine, qui par une longue fer­mentation s’aigrissent & sont faits levain, avec lequel l’or & l’argent sont faits. Et comme le levain se multiplie éternellement, & sert toujours de matière à faire du pain, la médecine Philosophique se multiplie aussi, & sert éternellement de levain pour faire de l’or.

Signes ou principes démonstratifs.

Les couleurs qui surviennent à la matière Philosophique pendant le cours des opérations de l’œuvre sont des signes démonstratifs, qui font connaître à l’Artiste qu’il a procédé de manière à réussir. Elles se succèdent immédiatement & par ordre, si cet ordre est dérangé, c’est une preuve qu’on a mal opéré. Il y a trois couleurs principales ; la première est la noire, appelée tête de corbeau, & de beaucoup d’autres noms que nous avons rapportés ci-devant dans l’article inti­tulé, Clef de l’œuvre.
Le commencement de cette noirceur indique que le feu de la Nature commencé à opérer, & que la matière est en voie de solution ; lorsque cette couleur noire est parfaite, la solution l’est aussi, & les éléments sont confondus. Le grain se pourrit pour se disposer à la génération. « Celui qui ne noircira point, ne saurait blanchir, dit Artéphius ; parce que la noirceur est le commencement de la blancheur, & c’est la marque de la putréfaction & de l’altération. Voici comment cela se fait. En la putréfaction qui se fait dans noire eau, il paraît premièrement une noirceur qui ressemble à du bouillon gras, sur lequel on a jeté du poivre. Cette liqueur s’étant ensuite épaissie, devient comme une terre noire ; elle se blanchit en continuant de la cuire.... & de même que la chaleur agissant sur l’humide, produit la noirceur, laquelle est la première couleur qui paraît ; de même la chaleur continuant toujours son action, elle produit la blancheur qui est la seconde principale de l’œuvre. »
Cette action du feu sur l’humide fait tout dans l’œuvre, comme il fait tout dans la Nature, pour la génération des mixtes. Ovide l’avait dit :
.... Ubi temperiem sumpsere humorque calorque
Conciptunt : & ab his oriuntur cungta duobus.
Métam. 1. I.
Pendant cette putréfaction, le mâle Philosophique ou le soufre est confondu avec la femelle, de manière qu’ils ne font plus qu’un seul & même corps, que les Philosophes nomment Her­maphrodite : « C’est, dit Flamel (Loco cit.), l’androgyne des Anciens, la tête du corbeau, & les déments convertis. En cette façon, je te peins ici que tu as deux natures réconciliées, qui peuvent former un embryon en la matrice du vaisseau, & puis t’enfanter un Roi très puissant, invincible, & incorruptible..... Notre matière dans cet état est le Serpent Python, qui ayant pris son être de la corruption du limon de la terre, doit être mis à mort, & vaincu par les flèches du Dieu Apollon, par le blond Soleil ; c’est-à-dire, par notre feu, égal à celui du Soleil. Celui qui lave ou plutôt ces lavements qu’il faut continuer avec l’autre moitié, ce sont les dents de ce serpent que le Sage opérateur, le prudent Cadmus, sèmera dans la même terre, d’où naîtront des soldats, qui se détruiront eux-mêmes, se laissant résoudre en la même nature de terre...... Les Philosophes envieux ont appelé cette confection, Rebis, & encore Numus, Ethelia, Arene, Boritis, Corsusle, Cambar, Albar œres, Duenech, Bauderie, Kukul, Thaburis, Ebisemeth, Ixir, &c. c’est ce qu’ils ont commandé de blanchir. » J’ai parlé assez au long de cette noirceur dans l’article des principes opératifs : le Lecteur pourra y avoir recours.
Le second signe démonstratif ou la deuxième couleur principale est le blanc. Hermès (Sept. chap.) dit : Sachez, fils de la science, que le vautour crie du haut de la montagne, je suis le blanc du noir ; parce que la blancheur succède à la noirceur. Morien appelle cette blancheur la fumée blan­che. Alphidius nous apprend que cette matière ou cette fumée blanche est la racine de l’art, & l’argent-vif des Sages. Philalèthe (Narrat. method. p. 36.) nous assure que cet argent-vif est le vrai mercure des Philosophes. « Cet argent-vif, dit-il, extrait de cette noirceur très subtile, est le mercure tingeant Philosophique avec son soufre blanc & rouge naturellement mêlé ensemble dans leur minière. »
Les Philosophes lui ont entre autres noms donné ceux qui suivent, Cuivre blanc, agneau, agneau sans tache, aibathest, blancheur, aiborach, eau bénite, eau pesante, talc, argent-vif animé, mercure coagulé, mercure purifié, argent, zoti­con, arsenic, orpiment, or, or blanc, azoch, baurach, borax, bœuf, cambar, caspa, céruse, cire, chaia, comerisson, corps blanc, corps im­proprement dit, Décembre, E, électre, essence, essence blanche, Euphrate, Eve, fada, favonius, le fondement de l’art, pierre précieuse de givinis, diamant, chaux, gomme blanche, hermaphrodite, hœ, hypostase, Hylé, ennemi , insipide, lait, lait de vierge, pierre connue, pierre minérale, pierre unique, lune, lune dans son plan, magnésie blan­che, alun, mère, matière unique des métaux, moyen dispositif, menstrue, mercure dans son couchant, huile, huile vive, légume, œuf, phlegme, plomb blanc, point, racine, racine de l’art, racine unique, rebis, sel, sel alkali, sel alerot, sel alembrot, sel fufîble, sel de nature, sel gemme, sel des métaux, savon des sages, seb, secondine, sedine, vieillesse, sesh, serinech, serf fugitif, main gauche, compagnon, sœur, sperme des métaux, esprit, étain, sublimé, suc, soufre, soufre blanc, soufre onctueux, terre, terre feuillée, terre féconde, terre en puissance, champ dans le quel il faut semer l’or, tevos, tincar, vapeur, étoile du soir, vent, virago, verre, verre de Pharaon, vingt-un, urine d’enfants, vautour, zibach, ziva, voile, voile blanc, narcisse, lys, rose blanche, os calciné, coque d’œuf, &c.
Artéphius dit que la blancheur vient de ce que l’âme du corps surnage au-dessus de l’eau comme une crème blanche ; & que les esprits s’unissent alors si fortement, qu’ils ne peuvent plus s’enfuir, parce qu’ils ont perdu leur volatilité.
Le grand secret de l’œuvre est donc de blan­chir le laiton, & laisser là tous les livres, afin de ne point s’embarrasser par leur lecture, qui pourrait faire naître des idées de quelque travail inutile & dispendieux. Cette blancheur est la pierre parfaite au blanc ; c’est un corps précieux, qui, quand il est fermenté, & devenu élixir au blanc, est plein d’une teinture exubérante, qu’il a la propriété de communiquer à tous les autres métaux. Les esprits volatils auparavant sont alors fixes. Le nouveau corps ressuscite beau, blanc, immortel, victorieux. C’est pourquoi on l’a ap­pelé résurrection, lumière, jour, & de tous les noms qui peuvent indiquer la blancheur, la fixité & l’incorruptibilité.
Flamel a représenté cette couleur dans ses figures Hiéroglyphiques, par une femme envi­ronnée d’un rouleau blanc, pour te montrer, dit-il, « que Rebis commencera de se blanchir de cette même façon, blanchissant premièrement aux extrémités tout à l’entour de ce cercle blanc. L’échelle des Philosophes (Scala Philosop.) dit : Le signe de la première partie de la blancheur, est quand l’on voit un certain petit cercle capillaire ; c’est-à-dire, passant sur la tête, qui apparaîtra à l’entour de la matière aux côtés du vaisseau, en couleur tirant sur l’orangé. »
Les Philosophes, Suivait le même Flamel, ont représenté aussi cette blancheur sous la figure d’une épée nue brillante. « Quand tu auras blanchi, ajoute le même Auteur, tu as vaincu les Taureaux enchantés qui jetaient feu & fumée par les narines. Hercule a nettoyé l’étable pleine d’ordure de pourriture & de noirceur. Jason a versé le jus sur les Dragons de Colchos, & tu as en ta puissance la corne d’Amalthée, qui encore qu’elle ne soit que blanche, te peut combler tout le reste de ta vie, de gloire, d’honneur & de richesses. Pour l’avoir, il t’a fallu combattre vaillamment & comme un Hercule. Car cet Acheloüs, ce fleuve humide (qui est la noirceur, l’eau noire du fleuve Esep) est doué d’une force très puissance, outre qu’il se change très souvent d’une forme en une autre. »
Comme le noir & le blanc sont, pour ainsi dire, deux extrêmes, & que deux extrêmes ne peuvent s’unir que par un milieu, la matière, en quittant la couleur noire, ne devient pas blanche tout à coup ; la couleur grise se trouve intermédiaire, parce qu’elle participe des deux.
Les Philosophes lui ont donné le nom de Ju­piter, parce qu’elle succède au noir, qu’ils ont appelé Saturne. C’est ce qui a fait dire à d’Espagnet, que l’air succède à l’eau après qu’elle a achevé ses sept révolutions, que Flamel a nommées Inhibitions. La matière, ajoute d’Espagnet, s’é­tant fixée au bas du vase, Jupiter, après avoir chassé Saturne, s’empare du Royaume, & en prend le gouvernement. A son avènement l’enfant Philosophique se forme, se nourrit dans la ma­trice, & vient enfin au jour avec un visage beau, brillant, & blanc comme la Lune. Cette matière au blanc est dès lors un remède universel à toutes les maladies du corps humain.
Enfin la troisième couleur principale est la rouge : elle est le complément & la perfection de la pierre. On obtient cette rougeur par la seule continuation de la cuisson de la matière. Après le premier œuvre, un l’appelle sperme masculin, or philosophique, feu de la pierre, couronne royale, fils du Soleil, minière de feu céleste.
Nous avons déjà dit que la plupart des Philosophes commencent leurs traités de l’œuvre à la pierre au rouge. Ceux qui lisent ces ouvrages, ne sauraient faire trop d’attention à cela. Car c’est une source d’erreurs pour eux, tant parce qu’ils ne sauraient deviner de quelle matière parlent alors les Philosophes, qu’à cause des opé­rations, des proportions des matières qui sont dans le second œuvre, ou la fabrique de l’élixir, bien différentes de celles du premier. Quoique Morien nous assure que cette seconde opération n’est qu’une répétition de la première, il est bon cependant de remarquer que ce qu’ils appellent feu, air, terre & eau dans l’un, ne sont pas les mêmes choses que celles auxquelles ils donnent les mêmes noms dans l’autre. Leur mercure est appelé mercure, tant sous la forme liquide que sous la forme sèche. Ceux, par exemple, qui lisent Alphidius, s’imaginent, quand il appelle la matière de l’œuvre, minière rouge, qu’il faut chercher, pour le premier commencement des opérations, une matière rouge ; les uns en conséquence travaillent sur le cinabre, d’autres sur le minium, d’autres sur l’orpiment, d’autres sur la rouille de fer ; parce qu’ils ne savent pas que cette minière rouge est la pierre parfaite au rouge, & qu’Alphidius ne commence son ou­vrage que de là. Mais afin que ceux qui liront cet ouvrage, & qui voudront travailler, n’y soient pas trompés, voici un grand nombre des noms donnés à la pierre au rouge. Acide, aigu, adam, aduma, almagra, altum ou élevé, azernard, âme, bélier, or, or vif, or altéré, cancer, cadmie, camereth, bile, chibur, cendre, cendre de tartre, corsuste, corps, corps proprement dit, corps rouge, droite, deeb, déhab, Eté, fer, forme, forme de l’homme, frère, fruit, coq, crête de coq, gabricius, gabrius, gophrith, grain d’E­thiopie, gomme, gomme rouge, hageralzarnard, homme, feu, feu de nature, infini, jeunesse, hebrit, pierre, pierre indienne, pierre indradême, pierre lasule, pierre rouge, litharge d’or, litharge rouge, lumière, matin. Mars, marteck, mâle, magnésie rouge, métros, minière, neusi, huile de Mars, huile incombustible, huile rouge, olive, olive perpétuelle, orient, père, une partie, pierre étoilée, phison, roi, réezon, résidence, rougeur, rubis, sel, sel rouge, semence, sericon, soleil, soufre, soufre rouge, soufre vif, tamne, troisième, treizième, terre rouge, thériaque, thelima, thion, thita, toarech, vare, veine, sang, pavot, vin rouge, vin, virago, jaune d’œuf, vitriol rouge, chalcitis, colchotar, cochenille, verre, zaaph, zahau, zit, zumech, zumelazuli, sel d’urine, &c.
Mais tous ces noms ne lui ont pas été donnés pour la même raison ; les Auteurs dans ces diffé­rentes dénominations n’ont eu égard qu’à la ma­nière de l’envisager, tantôt par rapport à sa cou­leur, tantôt à ses qualités. Ceux, par exemple, qui ont nommé cette matière ou pierre au rou­ge, acide, adam, Eté, almagra, âme, bélier, or, cancer, camereth, cendre de tartre, corsusté, déeb, frère, fruit, coq, jeunesse, kibrit, pierre indradême, marteck, mâle, père, soleil, troi­sième, neusis, olive, thion, verre, zaaph, ne l’ont nommée ainsi qu’à cause de l’altération de sa complexion. Ceux qui n’ont eu en vue que sa couleur, l’ont appelée gomme rouge, huile rouge, rubis, séricon, soufre rouge, jaune d’œuf, vitriol rouge, &c, « En cette opération de rubifiement, dit Flamel, encore que tu imbibes, tu n’auras guère de noir, mais bien du violet, bleu, & de la couleur de la queue du paon : car notre pierre est si triomphante en siccité, qu’incontinent que ton mercure la touche, la nature s’éjouissant de sa nature, se joint à elle, & la boit avidement ; & partant le noir qui vient de l’humidité ne se peut montrer qu’un peu sous ces couleurs violettes & bleues, d’autant que la siccité gouverne maintenant absolument... Or souviens-toi de commencer la rubification par l’apposition du mercure orangé rouge, mais il n’en faut guère verser, & seulement une ou deux fois, selon que tu verras : car cette opération se doit faire par feu sec, sublimation & calcination sèche. Et vraiment je te dis ici un secret que tu trouveras bien rarement écrit. »
Dans cette opération le corps fixe se volatilise ; il monte & descend en circulant dans le vase, jusqu’à ce que le fixe ayant vaincu le volatil, il le précipice au fond avec lui pour ne plus faire qu’un corps de nature absolument fixe. Ce que nous avons rapporté de Flamel doit s’en­tendre de l’élixir donc nous parlerons ci-après ; mais quant aux opérations du premier œuvre, ou de la manière de faire le soufre Philosophique, d’Espagnet la décrit ainsi (Lum. 109.) : « Choisissez un Dragon rouge, comateux, qui n’ait rien perdu de fa force naturelle : ensuite sept ou neuf Aigles vierges, hardies, dont les rayons du Soleil ne soient pas capables d’éblouir les yeux : menez-les avec le Dragon dans une prison claire transparente, bien close, & par-dessus un bain chaud, pour les exciter au combat. Ils ne tarderont pas à en venir aux prises ; le combat sera long & très pénible jusqu’au quarante-cinquième ou cinquantième jour, que les Aigles commenceront à dévorer le Dragon. Celui-ci en mourant infectera toute la prison de son sang corrompu, & d’un venin très noir, à la violence duquel les Aigles ne pouvant résister, expireront aussi. De la putréfaction de leurs cadavres naîtra un corbeau, qui élèvera peu à peu sa tête ; & par l’augmentation du bain, il déploiera ses ailes, & commencera à voler ; le vent, les nuages l’emporteront ça & là ; fatigué d’être ainsi tourmenté, il cherchera à s’échapper : ayez donc soin qu’il ne trouve aucune issue. Enfin lavé & blanchi par une pluie constante, de longue durée, & une rosée céleste, on le verra métamorphosé en cygne. La naissance du corbeau vous indiquera la mort du Dragon. »
« Si vous êtes curieux de pousser jusqu’au rouge, ajoutez l’élément du feu qui manque à la blancheur : sans toucher ni remuer le vase, mais en tonifiant le feu par degrés, poussez son action sur la matière jusqu’à ce que l’occulte devienne manifeste, l’indice sera la couleur citrine. Gouvernez alors le feu du quatrième degré toujours par les degrés requis, jusqu’à ce que par l’aide de Vulcain, vous voyiez éclore des roses rouges qui se changeront en amaranthes, couleur de sang. Mais ne cessez de faire agir le feu par le feu, que vous ne voyiez le tout réduit en cendres très rouges & impalpables. »
Ce soufre Philosophique est une terre d’une ténuité, d’une ignéité & d’une sécheresse extrê­mes. Elle contient un feu de nature très abon­dant, c’est pourquoi on l’a nomme feu de la pierre. Il a la propriété d’ouvrir, de pénétrer les corps des métaux, & de les changer en sa propre nature : on le nomme en conséquence père & semence masculine.
Les trois couleurs noire, blanche & rouge doi­vent nécessairement se succéder dans l’ordre que nous les avons décrites ; mais elles ne sont pas les seules qui se manifestent. Elles indiquent les changements essentiels qui surviennent à la matière : au lieu que les autres couleurs presque infinies & semblables à celles de l’arc-en-ciel, ne sont que passagères & d’une durée très courte. Ce sont des espèces de vapeurs qui affectent plu­tôt l’air que la terre, qui se chassent les unes & les autres, & qui se dissipent pour faire place aux trois principales donc nous avons parlé.
Ces couleurs étrangères sont cependant quel­quefois des signes d’un mauvais régime, & d’une opération mal conduite ; la noirceur répétée en est une marque certaine : car les petits corbeaux, dit d’Espagnet (Can.66.), ne doivent point retourner dans le nid après l’avoir quitté. La rougeur prématurée est encore de ce nombre ; car elle ne doit paraître qu’à la fin, comme preuve de la maturité du grain, & du temps de la moisson.

De l’Elixir.

Ce n’est pas assez d’être parvenu au soufre Philosophique que nous venons de décrire ; la plupart y ont été trompés, & ont abandonné l’œuvre dans cet état-là, croyant l’avoir poussé à sa perfection. L’ignorance des procédés de la Nature & de l’Art sont la cause de cette erreur. En vain voudrait-on tenter de faire la projection avec ce soufre ou pierre au rouge. La pierre Philosophale ne peut être parfaite qu’à la fin du second œuvre qu’on appelle Elixir.
De ce premier soufre on en fait un second, que l’on peut ensuite multiplier à l’infini. On doit donc conserver précieusement cette première mi­nière de feu céleste pour l’usage requis.
L’élixir, suivant d’Espagnet, est composé d’une matière triple ; savoir, d’une eau métallique, ou du mercure sublimé philosophiquement, du ferment blanc, si l’on veut faire l’élixir au blanc, ou du ferment rouge pour l’élixir au rouge, & enfin du second soufre ; le tout selon les poids & proportions Philosophiques. L’élixir doit avoir cinq qualités, il doit être fusible, permanent, pénétrant, tingeant & multipliant ; il tire sa tein­ture & sa fixation du ferment ; sa fusibilité de l’argent-vif, qui sert de moyen pour réunir les teintures du ferment & du soufre; & sa propriété multiplicative lui vient de l’esprit de la quintessence qu’il a naturellement.
Les deux métaux parfaits donnent une tein­ture parfaite, parce qu’ils tiennent la leur du soufre pur de la Nature ; il ne faut donc point chercher son ferment ailleurs que dans ces deux corps. Teignez donc votre élixir blanc avec la Lune, & le rouge avec le Soleil. Le mercure reçoit d’abord cette teinture, & la communique ensuite. Prenez garde à vous tromper dans le mélange des ferments, & ne prenez pas l’un pour l’autre, vous perdriez tout. Ce second œuvre se fait dans le même vase, ou dans un vase sem­blable au premier, dans le même fourneau, & avec les mêmes degrés de feu ; mais il est beau­coup plus court.
La perfection de l’élixir consiste dans le ma­riage & l’union parfaite du sec & de l’humide, de manière qu’ils soient inséparables, & que l’humide donne au sec la propriété d’être fusible à la moindre chaleur. On en fait l’épreuve en en mettant un peu sur une lame de cuivre ou de fer échauffée, s’il fond d’abord sans fumée, on a ce qu’un souhaite.

Pratique de l’Elixir suivant d’Espagnet.

« Terre rouge ou ferment rouge trois parties, eau & air pris ensemble six parties ; mêlez le tout, & broyez pour en faire un amalgame, ou pâte métallique, de consistance de beurre, de manière que la terre soit impalpable, ou insensible au tact ; ajoutez-y une partie & demi de feu, & mettez le tout dans un vase, que vous scellerez parfaitement. Donnez-lui un feu du premier degré, pour la digestion ; vous ferez ensuite l’extraction des éléments par les degrés de feu qui leur sont propres, jusqu’à ce qu’ils soient tous réduits en terre fixe. La matière deviendra comme une pierre brillante, transparente, rouge, & sera pour lors dans sa perfection. Prenez-en à volonté, mettez le dans un creuset sur un feu léger, & imbibez cette partie avec son huile rouge, en l’incérant goutte à goutte jusqu’à ce qu’elle se fonde & coule sans fumée. » Ne craignez pas que votre mercure s’évapore, car la terre boira avec plaisir & avidité cette humeur qui est de sa nature. Vous avez alors en possession votre élixir parfait. Remerciez Dieu de la faveur qu’il vous a faite, faites-en usage pour sa gloire, & gardez le secret.»
L’élixir blanc se fait de même que le rouge ; mais avec des ferments blancs, & de l’huile blanche.
Quintessence.
La quintessence est une extraction de la plus spiritueuse & radicale substance de la matière ; elle se fait par la séparation des éléments qui se terminent en une céleste & incorruptible essence dégagée de toutes les hétérogénéité. Aristote la nomme une substance très pure, incorporée en certaine matière non mélangée d’accidents. Héraclite l’appelle une essence céleste, qui prend le nom du lieu d’où elle tire son origine. Paracelse la dit, l’être de notre ciel centrique ; Pline, une essence corporelle, séparée néanmoins de toute matérialité, & dégagée du commerce de la matière. Elle a été nommée en conséquence un corps spirituel, ou un esprit corporel, fait d’une substance Ethérée. Toutes ces qualités lui ont fait donner le nom de quintessence, c’est-à-dire, une cinquième substance, qui résulte de l’union des parties les plus pures des éléments.
Le Secret Philosophique consiste à séparer les éléments des mixtes, à les rectifier, & par la réunion de leurs parties pures, homogènes & spiritualisées, faire cette quintessence, qui en renferme toutes les propriétés, sans être sujette à leur altération.

La Teinture.

Lorsque les ignorants dans la Philosophie Her­métique lisent le terme de teinture dans les ou­vrages qui traitent de cette Science, ils s’ima­ginent qu’on doit l’entendre seulement de la cou­leur des métaux, telle que l’orangée pour l’or, & la blanche pour l’argent. Et comme il est dit dans ces mêmes ouvrages, que le soufre est le principe de la teinture ; on travaille à extraire ce soufre par des eaux forces, des eaux régales, par la calcination & les autres opérations de la Chymie vulgaire. Ce n’est pas là proprement l’idée des Philosophes, non seulement pour les opérations, mais pour la teinture prise en elle-même. La teinture de l’or ne peut être séparée de son corps, parce qu’elle en est l’âme ; & qu’on ne pourrait l’en extraire sans détruire le corps ; ce qui n’est pas possible à la Chymie vul­gaire, comme le savent très bien tous ceux qui ont voulu tenter cette expérience.
La teinture, dans le sens Philosophique, est l’élixir même, rendu fixe, fusible, pénétrant & tingeant, par la corruption & les autres opéra­tions dont nous avons parlé. Cette teinture ne consiste donc pas dans la couleur externe, mais dans la substance même qui donne la teinture avec la forme métallique. Elle agit comme le safran dans l’eau ; elle pénètre même plus que l’huile ne fait sur le papier ; elle se mêle intime­ment comme la cire avec la cire, comme l’eau avec l’eau, parce que l’union se fait entre deux choses de même nature. C’est de cette propriété que lui vient celle d’être une panacée admirable pour les maladies des trois règnes de la Nature ; elle va chercher dans eux le principe radical & vital, qu’elle débarrasse, par son action, des hétérogènes qui l’embarrassent, & le tiennent en prison ; elle vient à son aide, & se joint à lui pour combattre ses ennemis. Ils agissent alors de con­cert, & remportent une victoire parfaire. Cette quintessence chasse l’impureté des corps, comme le feu fait évaporer l’humidité du bois ; elle con­serve la santé, en donnant des forces au prin­cipe de la vie pour résister aux attaques des ma­ladies, & faire la séparation de la substance véritablement nutritive des aliments d’avec celle qui n’en est que le véhicule.

La Multiplication.

On entend par la multiplication Philosophique, une augmentation en quantité & en quali­tés, & l’une & l’autre au-delà de tout ce qu’on peut s’imaginer. Celle de la qualité est une mul­tiplication de la teinture par une corruption, une volatilisation & une fixation réitérées au­tant de fois qu’il plaît à l’Artiste. La seconde augmente seulement, la quantité de la teinture, sans accroître ses vertus.
Le second soufre se multiplie avec la même matière dont il a été fait, en y ajoutant une pe­tite partie du premier. Selon les poids & mesures requises. Il y a néanmoins trois manières de faire la multiplication si nous en croyons d’Espagnet, qui les décrit de la manière suivante. La première est de prendre une partie de l’élixir parfait rouge, que l’on mêle avec neuf parties de son eau rouge ; on met le vase au bain, pour faire dissoudre le tout en eau. Après la solution on cuit cette eau jusqu’à ce qu’elle se coagule en une matière semblable à un rubis ; on insère ensuite cette matière à la manière de l’élixir ; &, dès cette première opération la médecine acquiert dix fois plus de vertus qu’elle n’en avait. Si l’on réitère ce même procédé une seconde fois, elle augmentera de cent ; une troisième fois de mille, & ainsi de suite toujours par dix.
La Seconde manière est de mêler la quantité que l’on veut d’élixir avec son eau y en gardant cependant les proportions entre l’un & l’autre, & après avoir mis le tout dans un vase de ré­duction bien scellé, le dissoudre au bain, & suivre tout le régime du second en distillant successivement les éléments par leurs propres feux, jusqu’à ce que le tout devienne pierre, on insère ensuite comme dans l’autre, & la vertu de l’élixir augmente de cent dès la première fois, mais cette voie est plus longue. On la réitère comme la première, pour accroître sa force de plus en plus.
La troisième enfin est proprement la multipli­cation en quantité. On projette une once de l’élixir multiplié en qualité sur cent onces de mercure commun purifié ; ce mercure mis sur un petit feu se changera bientôt en élixir. Si on jette une once de ce nouvel élixir sur cent onces d’autre mercure commun purifié, il deviendra or très fin. La multiplication de l’élixir au blanc se fait de la même manière, en prenant l’élixir blanc & son eau, au lieu de l’élixir rouge.
Plus on réitérera la multiplication en qualité plus elle aura d’effet dans la projection ; mais non pas de la troisième manière de multipliée dont nous avons parlé ; car sa force diminue à chaque projection. On ne peut cependant pousser cette réitération que jusqu’à la quatrième ou cin­quième fois, parce que la médecine serait alors si active & si ignée que les opérations deviendraient instantanées ; puisque leur durée s’a­brège à chaque réitération ; sa vertu d’ailleurs est assez grande à la quatrième ou cinquième fois pour combler les désirs de l’Artiste, puisque dès la première un grain peut convertir cent grains de mercure en or, à la seconde mille, à la troisième dix mille, à la quatrième cent mille, &c. On doit juger de cette médecine comme du grain, qui multiplie à chaque fois qu’on le sème.

Des poids dans l’Œuvre.

Rien de plus embrouillé que les poids & les proportions requis dans l’œuvre Philosophique. Tous les Auteurs en parlent, & pas un ne les explique clairement. L’un dit qu’il faut mesurer son feu clibaniquememt (Flamel.) ; l’autre géométri­quement (D’Espagnet & Artéphius.). Celui-là, suivant la chaleur du Soleil depuis le printemps jusqu'en automne ; celui-ci, qu’il faut une chaleur fébrile, &c. Mais le Trévisan nous conseille de donner un feu lent & faible plutôt que fort, parce qu’on ne risque alors que de finir l’œuvre plus tard, au lieu qu’en forçant le feu, on est dans un danger évident de tout perdre.
Le composé des mixtes & leur vie ne subsistent que par la mesure & le poids des éléments combinés & proportionnés de manière que l’un ne domine point sur les autres en tyran. S’il y a trop de feu, le germe se brûle ; si trop d’eau, l’esprit séminal & radical se trouve suffoqué, si trop d’air & de terre, le composé aura ou trop, ou trop peu de consistance, & chaque élément n’aura pas son action libre.
Cette difficulté n’est pas cependant si grande qu’elle le paraît d’abord à la première lecture des Philosophes ; quelques uns nous avertissent (Le Trévisan.) que la Nature a toujours la balance à la main pour peser ces éléments, & en faire ses mélanges tellement proportionnés, qu’il en résulte tou­jours les mixtes qu’elle se propose de faire, à moins qu’elle ne soit empêchée dans ses opéra­tions par le défaut de la matrice où elle fait ses opérations, ou par celui des semences qu’on lui fournit, ou enfin par d’autres accidents. Nous voyons même dans la Chymie vulgaire, que deux corps hétérogènes ne se mêlent point ensemble, ou ne peuvent rester longtemps unis, que lorsque l’eau a dissout une certaine quantité de sel, elle n’en dissout pas davantage ; que plus les corps ont d’affinité ensemble, plus ils sem­blent se chercher, & quitter même ceux qui en ont le moins pour se réunir a ceux qui en ont le plus. Ces expériences sont connues, particulièrement entre les minéraux & les métaux.
L’Artiste du grand œuvre se propose la Nature pour modèle ; il faut donc qu’il étudie cette Na­ture pour pouvoir l’imiter Mais comment trouver ses poids & ses combinaisons ? Quand elle veut faire quelque mixte, elle ne nous appelle pas à son conseil, ni à ses opérations, tant pour voir ses matières constituantes, que son travail dans l’emploi qu’elle en fait. Les Philosophes Her­métiques ne se lassent point de nous recomman­der de suivre la Nature ; sans doute qu’ils la connaissent, puisqu’ils se flattent d’être ses disciples. Ce serait donc dans leurs ouvrages qu’on pourrait apprendre à l’imiter. Mais l’un (Artéphius.) dit « qu’il ne faut qu’une seule chose pour parfaire l’œuvre, qu’il n’y a qu’une pierre, qu’une médecine, qu’un vaisseau, qu’un régime, & qu’une seule disposition ou manière pour faire successivement le blanc & le rouge. Ainsi, quoi que nous disions, ajoute le même Auteur, mets ceci, mets cela, nous n’entendons pas qu’il faille prendre plus d’une chose, la mettre une seule fois dans je vaisseau, & le fermer ensuite jusqu’à ce que l’œuvre soit parfaite & accomplie...... que l’Artiste n’a autre chose à faire qu’à préparer extérieurement la matière comme il faut, parce que d’elle-même elle fait intérieurement tout ce qui est nécessaire pour se rendre parfaire.... ainsi prépare & dispose seulement la matière, & la Nature fera tout le reste. »
Raymond Lulle nous avertit que cette chose unique n’est pas une seule chose prise individuellement, mais deux choses de même nature, qui n’en font qu’une ; s’il y a deux ou plusieurs choses à mêler, il faut le faire avec proportion, poids & mesure. Nous en avons parlé dans l’ar­ticle des signes démonstratifs, sous les noms d’Aigle & de Dragon ; & nous avons aussi donné les proportions des matières requises pour la mul­tiplication. On doit voir par-là que les propor­tions des matières ne sont pas les mêmes dans le premier & le second œuvre.

Règles générales très instructives.

Il ne faut presque jamais prendre les paroles des Philosophes à la lettre, parce que tous leurs termes ont double entente, & qu’ils affectent d’employer ceux qui sont équivoques. Ou s’ils font usage des termes connus & usités dans le langage ordinaire (Geber, d’Espagnet, & plusieurs autres.), plus ce qu’ils disent paraît simple, clair & naturel, plus il faut y soup­çonner de l’artifice. Timeo Danaos, & dona ferentes. Dans les endroits au contraire où ils paraissent embrouillés, enveloppés, & presque inintelligibles, c’est ce qu’il faut étudier avec plus d’attention. La vérité y est cachée.
Pour mieux découvrir cette vérité, il faut les comparer les uns avec les autres, faire une con­cordance de leurs expressions & de leurs dires, parce que l’un laisse échapper quelquefois ce qu’un autre a omis à dessein (Philalèthe.). Mais dans ce recueil de textes, on doit bien prendre garde à ne pas confondre ce que l’un dit de la première préparation, avec ce qu’un autre dit de la troi­sième.
Avant de mettre la main à l’œuvre, on doit avoir tellement combiné tout, que l’on ne trouve plus dans les livres des Philosophes (Zachaire.) aucune chose qu’on ne soit en état d’expliquer par les opérations qu’on se propose d’entreprendre. Il faut pour cet effet être assuré de la matière que l’on doit employer ; voir si elle a véritablement toutes les qualités & les propriétés par lesquelles les Philosophes la désignent, puisqu’ils avouent qu’ils ne l’ont point nommée par le nom sous lequel elle est connue ordinairement. On doit observer que cette matière ne coûte rien, ou peu de choses ; que la médecine, que le Philalèthe (Enarr. Meth. Trium. Gebr. medic.), après Geber, appelle médecine du pre­mier ordre, ou la première préparation, se par­fait sans beaucoup de frais, en tout lieu, en tout temps, par toutes sortes de personnes, pourvu qu’on ait une quantité suffisante de matière.
La Nature ne perfectionne les mixtes que par des choses qui sont de même nature (Cosmopolite.) ; on ne doit donc pas prendre du bois pour perfectionner le métal. L’animal engendre l’animal, la plante produit la plante, & la nature métallique les métaux. Les principes radicaux du métal sont un soufre & un argent-vif, mais non les vul­gaires ; ceux-ci entrent comme complément, comme principes même constituants, mais com­me principes combustibles, accidentels & séparables du vrai principe radical, qui est fixe & inaltérable. On peut voir sur la matière ce que j’en ai rapporté dans son article, conformément à ce qu’en disent les Philosophes.
Toute altération d’un mixte se fait par dissolution en eau ou en poudre, & il ne peut être perfectionné que par la séparation du pur d’avec l’impur. Toute conversion d’un état à un autre se fait par un agent, & dans un temps déterminé. La nature n’agit que successivement ; l’Artiste doit faire de même.
Les termes de conversion, dessiccation, morti­fication, inspissation, préparation, altération, ne signifient que la même chose dans l’Art Hermé­tique. La sublimation, descension, distillation, putréfaction, calcination, congélation, fixation, cération, sont, quant à elles-mêmes, des choses différentes ; mais elles ne constituent dans, l’œuvre qu’une même opération continuée dans le même vase. Les Philosophes n’ont donné tous ces noms qu’aux différentes choses ou changements qu’ils ont vu se passer dans le vase. Lorsqu’ils ont aperçu la matière s’exhaler en fumée subtile, & monter au haut du vase, ils ont nom­mé cette ascension, sublimation. Voyant ensuite cette vapeur descendre au fond du vase, ils l’ont appelée descension, distillation. Morien dit en conséquence : toute notre opération consiste à ex­traire l’eau de sa terre, & à l’y remettre jusqu’à ce que la terre pourrisse & se purifie. Lorsqu’ils ont aperçu que cette eau, mêlée avec sa terre, se coagulait ou s’épaississait, qu’elle devenait noire & puante, ils ont dit que c’était la putréfaction, principe de génération. Cette putréfaction dure jusqu’à ce que la matière soit devenue blanche.
Cette matière étant noire, se réduit en poudre lorsqu’elle commence à devenir grise ; cette ap­parence de cendre a fait naître l’idée de la calcination, incération, incinération, déalbation y & lorsqu’elle est parvenue à une grande blan­cheur, ils l’ont nommée calcination parfaite. Voyant que la matière prenait une consistance solide, qu’elle ne fluait plus, elle a formé leur congélation, leur induration ; c’est pourquoi ils ont dit que tout le magistère consiste à dissoudre & à coaguler naturellement.
Cette même matière congelée, & endurcie de manière qu’elle ne se résolve plus en eau, leur a fait dire, qu’il fallait la sécher & la fixer ; ils ont donc donné à cette prétendue opération, les noms de dessiccation, fixation, cération, parce qu’ils expliquent ce terme d’une union parfaite de la partie volatile avec la fixe sous la forme d’une poudre ou pierre blanche.
Il faut donc regarder cette opération comme unique, mais exprimée en termes différents. On saura encore que toutes les expressions suivantes ne signifient aussi que la même chose. Distiller à l’alambic, séparer l’âme du corps ; brûler ; aquéfier, calciner ; cérer ; donner à boire ; adap­ter ensemble ; faire manger ; assembler ; corriger; cribler ; couper avec des tenailles ; diviser ; unir les éléments ; les extraire ; les exalter ; les con­vertir ; les changer l’un dans l’autre ; couper avec le couteau, frapper du glaive, de la hache, du cimeterre ; percer avec la lance, le javelot, la flèche ; assommer ; écraser ; lier ; délier ; corrom­pre ; folier ; fondre ; engendrer ; concevoir ; mettre au monde ; puiser ; humecter ; arroser ; imbiber ; empâter ; amalgamer; enterrer ; incérer ; laver ; laver avec le feu ; adoucir ; polir ; limer ; battre avec le marteau ; mortifier ; noircir ; putréfier ; tourner au tour ; circuler ; rubé­fier ; dissoudre ; sublimer ; lessiver ; inhumer, ressusciter, réverbérer, broyer ; mettre en pou­dre ; piler dans le mortier ; pulvériser sur le marbre, & tant d’autres expressions semblables : tout cela ne veut dire que cuire par un même régime, jusqu’au rouge foncé. On doit donc se donner de garde de remuer le vase, & de l’ôter du feu; car si la matière se refroidissait, tout serait perdu.

Des vertus de la Médecine.

Elle est, suivant le dire de tous les Philosophes, la source des richesses & de la santé ; puisque avec elle on peut faire l’or & l’argent en abondance, & qu’on se guérie non seulement de toutes les maladies qui peuvent être guéries, mais que, par son usage modéré, on peut les prévenir. Un grain seul de cette médecine ou élixir rouge, donné aux paralytiques, hydropiques, goutteux, lépreux, les guérira, pourvu qu’ils en prennent la même quantité pendant quelques jours seu­lement. L’épilepsie, les coliques, les rhumes, fluxions, phrénésie & toute autre maladie in­terne ne peuvent tenir contre ce principe de vie. Quelques Adeptes ont dit qu’elle, donnait l’ouïe aux sourds & la vue aux aveugles ; qu’elle est un remède assuré contre toutes sortes de maladies des yeux, tous apostêmes, ulcères, blessures, can­cers, fistule, moli me-tangere, & toutes maladies de la peau, en en faisant dissoudre un grain dans un verre de vin ou d’eau, donc l’on bassine les maux extérieurs, qu’elle fond peu à peu la pierre dans la vessie ; qu’elle chasse tout venin & poison en en buvant comme ci-dessus.
Raymond Lulle (Testam. antiq.) assure qu’elle est en géné­ral un remède souverain contre tous les maux qui affligent l’humanité, depuis les pieds jusqu’à la tête ; qu’elle les guérit en un jour, s’ils ont duré un mois, en douze jours, s’ils sont d’une année ; & en un mois, quelque vieux qu’ils soient.
Arnaud de Villeneuve (Rosari.) dit que son effica­cité est infiniment supérieure à celle de tous les remèdes d’Hippocrate, de Galien, d’Alexandre, d’Avicenne & de toute la Médecine ordinaire ; qu’elle réjouit le cœur, donne de la vigueur & de la force, conserve la jeunesse, & fait reverdir la vieillesse. En général, qu’elle guérit toutes les maladies tant chaudes que froides, tant lèches qu’humides.
Geber (Summâ.), sans faire l’énumération des maladies que cette médecine guérit, se contente de dire, qu’elle surmonte toutes celles que les Mé­decins ordinaires regardent comme incurables. Qu’elle rajeunit la vieillesse & l’entretient en santé pendant de longues années, même au-delà du cours ordinaire, en prenant seulement gros comme un grain de moutarde deux ou crois fois la semaine à jeun.
Philalèthe (Introît. Apert. & enarrat. Method.) ajoute à cela qu’elle nettoie la peau de toutes caches, rides, &c. ; qu’elle délivre la femme en travail d’enfant, fût-il mort, en tenant seulement la poudre au nez de la mère ; & cite Hermès pour son garant. Il assure avoir lui-même tiré des bras de la mort bien des malades abandonnés des Médecins. On trouve la manière de s’en servir particulièrement dans les ouvrages de Raymond Lulle & d’Arnaud de Villeneuve.

Des maladies des Métaux.

Le premier vice des métaux vient du premier mélange des principes avec l’argent-vif, & le second se trouve dans l’union des soufres & du mercure. Plus les éléments sont épurés, plus ils sont proportionnellement mêlés & homogènes, plus ils ont de poids, de malléabilité, de fusion, d’extension, de fulgidité, & d’incorruptibilité permanente.
Il y a donc deux sortes de maladies dans les métaux, la première est appelée originelle & incurable, la seconde vient de la diversité du soufre qui fait leur imperfection & leurs mala­dies, savoir, la lèpre de Saturne, la jaunisse de Vénus, l’enrhurmement de Jupiter, l’hydropisie de Mercure, & la galle de Mars.
L’hydropisie du mercure ne lui arrive que de trop de aquosité & de crudité qui trouvent leur cause dans la froideur de la matrice où il est en­gendré, & de défaut de temps pour se cuire. Ce vice est un péché originel donc tous les autres métaux participent. Cette froideur, cette crudité, cette aquosité ne peuvent être guéries que par la chaleur & l’ignéité d’un soufre bien puissant.
Outre cette maladie, les autres métaux ont de plus celle qui leur vient de leur soufre tant interne qu’externe. Ce dernier n’étant qu’acci­dentel peut être aisément sépare, parce qu’il n’est pas du premier mélange des éléments. Il est noir, impur, puant, il ne se mêle point avec le soufre radical, parce qu’il lui est hétérogène. Il n’est point susceptible d’une décoction qui puisse le rendre radical & parfait.
Le Soufre radical purge, épaissie, fixe en corps parfait le mercure radical ; au lieu que le second le suffoque, l’absorbe, & le coagule avec ses pro­pres impuretés & ses crudités ; il produit alors les métaux imparfaits. On en voit une preuve dans la coagulation du mercure vulgaire fait par la vapeur du soufre de Saturne, éteint par celle de Jupiter.
Ce soufre impur fait toute la différence des métaux imparfaits. La maladie des métaux n’est donc qu’accidentelle ; il y a donc un remède pour les guérir, & ce remède est la poudre Philosophique, ou pierre Philosophale, appelée pour cette raison poudre de projection. Son usage est pour les métaux, d’en enfermer dans un peu de cire proportionnellement à la quantité du mé­tal que l’on veut transmuer, & de la jeter sur du mercure mis dans un creuset sur le feu, lorsque le mercure est sur le point de fumer. Il faut que les autres métaux soient en fonte & purifiés. On laisse le creuset au feu jusqu'après la déto­nation, & puis on le retire, ou on le laisse re­froidit dans le feu.

Des temps de la Pierre.

« Les temps de la pierre sont indiqués, dit d’Espagnet, par l’eau Philosophique & Astronomique. Le premier œuvre au blanc doit être terminé dans la maison de la Lune, le second, dans la seconde maison de Mercure. Le premier œuvre au rouge, dans le second domicile de Vénus ; & le Second ou le dernier, dans la maison d’exaltation de Jupiter ; car c’est de lui que notre Roi doit recevoir son sceptre & sa couronne ornée de précieux rubis. »
Philalèthe (Loco cit. p. 156.) ne se lasse point de recomman­der à l’Artiste de bien s’instruire du poids, de la mesure du temps & du feu ; qu’il ne réussira jamais s’il ignore, quant à la médecine du troisième ordre, les cinq choses suivantes.
Les Philosophes réduisent les années en mois, les mois en semaines, & les semaines en jours.
Toute chose sèche boit avidement l’humidité de son espèce.
Elle agit sur cette humidité, après qu’elle en est imbibée, avec beaucoup plus de force & d’ac­tivité qu’auparavant.
Plus il y aura de terre, & moins d’eau, la Solution sera plus parfaite. La vraie solution na­turelle ne peut se faire qu’avec des choses de même nature ; & ce qui dissout la Lune, dissout aussi le Soleil.
Quant au temps déterminé & à sa durée pour la perfection de l’œuvre, on ne peut rien con­clure de certain de ce qu’en disent les Philosophes, parce que les uns, en le déterminant, ne parlent point de celui qu’il faut employée dans la préparation des agents : les autres ne traitent que de l’élixir ; d’autres mêlent les deux œuvres ; ceux qui font mention de l’œuvre au rouge, ne parlent point toujours de la multiplication ; d’autres ne parlent que de l’œuvre au blanc ; d’autres ont leur intention particulière. C’est pourquoi on trouve tant de différence dans les ouvrages sur cène matière. L’un dit qu’il faut douze ans, l’autre dix, sept, trois, un & demi, quinze mois ; tantôt c’est un tel nombre de semaines, un Philosophe a intitulé son ouvrage : L’œuvre de trois jours. Un autre a dit qu’il n’en fallait que quatre. Pline le Naturaliste dit que le mois Philosophique est de quarante jours. Enfin tout est un mystère dans les Philosophes.

Conclusion.

Tout ce traité est tiré des Auteurs ; je me suis servi presque toujours de leurs propres expressions. J’en ai cité de temps en temps quelques-uns, afin de mieux persuader que je n’y parle que d’après eux. Quand je n’ai point cité leurs ouvrages, c’est que je ne les avais pas alors sous ma main. On a dû y remarquer un accord par­fait, quoiqu’ils ne parlent que par énigmes & par allégories. J’avais d’abord dessein de rap­porter beaucoup de traits tirés des douze Clefs de Basile Valentin, parce qu’il a plus souvent que les autres employé les allégories des Dieux de la Fable, & qu’elles auraient eu en conséquence un rapport plus immédiat avec le traité suivant ; mais des énigmes n’expliquent pas des énigmes ; d’ailleurs cet ouvrage est assez com­mun ; il n’en est pas de même des autres.
Pour entendre plus aisément les explications que je donne dans le traité des Hiéroglyphes, on saura que les Philosophes donnent ordinai­rement le nom de mâle ou père, au principe sulfureux, & le nom de femelle au principe mercuriel. Le fixe est aussi mâle ou agent, le volatil est femelle ou parient. Le résultat de la réunion des deux, est l’enfant Philosophique, com­munément mâle, quelquefois femelle, quand la matière n’est parvenue qu’au blanc, parce qu’elle n’a pas encore toute la fixité dont elle est susceptible ; aussi les Philosophes l’ont nommée Lune, Diane ; & le rouge, Soleil, Apollon, Phœbus. L’eau mercurielle & la terre volatile sont toujours femelle, souvent mère, comme Cérès, Latone, Sémélé, Europe, &c. L’eau est ordinairement désignée sous des noms de filles, Nymphes, Naïades, &c. Le feu interne est toujours masculin, & dans l’action. Les impu­retés font indiquées par des monstres.
Basile Valentin, que j’ai cité ci-devant, in­troduit les Dieux de la Fable, ou les Planètes, comme interlocuteurs, dans la pratique abrégée qu’il donne au commencement de son Traité des douze Clefs. En voici la substance.
Dissous du bon or comme la Nature l’enfreigne, dit cet Auteur, tu trouveras une semence qui est le commencement, le milieu & la fin de l’œu­vre, de laquelle notre or & sa femme sont produits ; savoir, un subtil & pénétrant esprit, une âme délicate, nette & pure, & un corps ou sel qui est un baume des Astres. Ces trois choses sont réunies dans notre eau mercurielle. On mena ; cette eau au Dieu Mercure son père, qui l’épousa ; il en vint une huile incombustible. Mercure jeta ses ailes d’aigle, dévora sa queue de dragon & attaqua Mars, qui le fit prisonnier, & constitua Vulcain pour son Geôlier. Saturne se présenta, & conjura les autres Dieux de le venger des maux que Mercure lui avait faits. Jupiter approuva les plaintes de Saturne, & donna ses ordres, qui fu­rent exécutés. Mars alors parut avec une épée flamboyante, variée de couleurs admirables, & la donna à Vulcain pour qu’il exécutât la sentence prononcée contre Mercure, & qu’il réduisît en poudre les os de ce Dieu. Diane ou la Lune se plaignit que Mercure tenait son frère en prison avec lui, & qu’il fallait l’en retirer ; Vulcain n’écouta point sa prière, & ne se rendit même pas à celle de la belle Vénus qui se présenta avec tous ses appas. Mais enfin le Soleil parut couvert de son manteau de pourpre & dans tout son éclat.
Je finis ce traité par la même allégorie que d’Espagnet. La Toison d’or est gardée par un Dragon à trois têtes ; la première vient de l’eau, la seconde de la terre, la troisième de l’air. Ces trois têtes doivent enfin, par les opérations, se réunir en une seule, qui sera assez forte & assez puissante pour dévorer tous les autres Dragons. Invoquez Dieu pour qu’il vous éclaire ; s’il vous accorde cette Toison d’or, n’en usez que pour sa gloire, l’utilité du prochain, & votre salut.


LES FABLES ET LES HIÉROGLYPHES DES EGYPTIENS.

LIVRE PREMIER.

INTRODUCTION.

Tout chez les Egyptiens avait un air de mystère, suivant le témoignage de Saint Clément d’Alexandrie (Stromat, 1.). Leurs maisons, leurs, temples, leurs instruments, les habits qu’ils portaient tant dans les cérémonies de leur culte, que dans les pompes & les fêtes publiques, leurs gestes mêmes étaient des symboles & des représentations de quelque chose de grand. Ils avaient puisé ce goût dans les instruc­tions du plus grand homme qui ait jamais, paru. Il était Egyptien lui-même, nommé Thoth ou Phtath par ses compatriotes, Taut par les Phé­niciens (Euseb. 1.1. c. 7.), & Hermès Trimégiste par les Grecs. La Nature semblait l’avoir choisi pour son fa­vori, & lui avait en conséquence prodigué toutes les qualités nécessaires pour l’étudier & la connaître parfaitement ; Dieu lui avait, pour ainsi dire, infusé les arts & les sciences, afin qu’il en instruisît le monde entier.
Voyant la superstition introduite en Egypte, & qu’elle avait obscurci les idées que leurs pères leur avaient données de Dieu, il pensa sérieusement à prévenir l’idolâtrie, qui menaçait de se glisser insensiblement dans le culte Divin. Mais il sentit bien qu’il n’était pas à propos de dé­couvrir les mystères trop sublimes de la Nature & de son Auteur à un peuple aussi peu capable d’être frappé de leur grandeur, qu’il était peu susceptible de leur connaissance. Persuadé que tôt ou tard ce peuple les tournerai en abus, il s’avisa d’inventer des symboles si subtils, & si difficiles à entendre, que les Sages ou les génies les plus pénétrants serraient les seuls qui pourraient y voir clair, pendant que le commun des hommes n’y trouverait qu’un sujet d’admiration. Ayant cependant dessein de transmettre ses idées claires & pures à la postérité, il ne voulut pas les laisser deviner, sans déterminer leur signi­fication, & sans les communiquer à quelques personnes. Il fit choix pour cet effet d’un certain nombre d’hommes qu’il reconnut les plus pro­pres à- être les dépositaires de son secret, & seulement entre ceux qui pouvaient aspirer au trô­ne. Il les établie Prêtres du Dieu vivant, après les avoir rassemblés, & les instruisit de toutes les sciences & les arts, en leur expliquant ce que signifiaient ; les symboles & les hiérogly­phes qu’il avait imaginés. L’Auteur Hébreu du livre qui a pour titre la Maison de Melchisedech, parle d’Hermès en ces termes : « La maison de Canaan vit sortir de son sein un homme d’une sagesse consommée, nommé Adris ou Hermès. Il institua le premier des écoles, inventa les lettres & les sciences Mathématiques, il apprit aux hommes l’ordre des temps ; il leur donna des lois, il leur montra la manière de vivre en société, & de mener une vie douce & gracieuse, ils apprirent de lui le culte Divin, & tout ce qui pouvait contribuer à les faire vivre heureusement ; de manière que tous ceux, qui après lui se rendirent recommandables dans les arts & les sciences, ambitionnaient de porter le même non d’Adris.»
Dans le nombre de ces arts & sciences, il y en avait un qu’il ne communiqua à ces Prêtres qu’à condition qu’ils le garderaient pour eux avec un secret inviolable. Il les obligea par ser­ment à ne le divulguer qu’à ceux qui, après une longue épreuve, auraient été trouvés dignes de leur succéder : les Rois leur défendirent même de le révéler, sous peine de la vie. Cet art était appelé l’Art des Prêtres, comme nous l’appre­nons de Salamas (De mirabil. nuindi.), de Mahumet Ben Almaschaudi dans Gelaldinus. d’Ismaël Sciachinicia, & de Gelaldinus lui-même. Alkandi fait mention d’Hermès dans les termes suivants :
« Du temps d’Abraham vivait en Egypte Hermès ou Idris second ; que la paix soit sur lui ; & il fut surnommé Trimégiste, parce qu’il était Prophète, Roi & Philosophe. Il enseigna l’Art des métaux, l’Alchymie, l’Astrologie, la Magie, la science des Esprits.... Pythagore, Bentecle (Empédocle), Archélaüs le Prêtre ; Socrate, Orateur & Philosophe ; Platon Auteur politique, & Aristote le Logicien, puisèrent leur science dans les écrits d’Hermès.» Eusebe déclare expressément, d’après Manéthon, qu’Her­mès fut l’instituteur des Hiéroglyphes ; qu’il les réduisit en ordre, & les dévoila aux Prêtres ; que Manéthon, Grand Prêtre des Idoles, les expli­qua en Langue grecque à Ptolomée Philadelphe. Ces Hiéroglyphes étaient regardés comme Sacrés ; on les tenait cachés dans les lieux les plus secrets des Temples.
Le grand Secret qu’observèrent les Prêtres, & les hautes sciences qu’ils professaient, les firent considérer & respecter de toute l’Egypte, tant pendant les longues années qu’ils n’eurent point de communication avec les étrangers, qu’après qu’ils leur eurent laisse la liberté du commerce. L’Egypte fut toujours regardée comme le sémi­naire des sciences & des arts. Le mystère que les Prêtres en faisaient irritait encore davantage la curiosité. Pythagore (S. Clém. d’Alexand 1.1. Strom.), toujours envieux d’ap­prendre, consentit même à souffrir la circonci­sion, pour être du nombre des initiés. Il était en effet flatteur pour un homme de se trouver distingué du commun, non par un secret dont l’objet n’aurai été que chimérique, mais par des sciences réelles, qu’on ne pouvait apprendre sans cela, puisqu’elles ne se communiquaient que dans le fond du sanctuaire (Justin quaest. ad orthod), & seule­ment à ceux que l’on en trouvait dignes, par l’étendue de leur génie, & par leur probité.
Mais comme les lois les plus sages trouvent toujours des prévaricateurs, & que les choses les mieux instituées sont sujettes à ne pas durer toujours dans le même état ; les figures hiérogly-phiques, qui dévoient servir de fondement inébranlable pour appuyer la véritable Religion, & la soutenir dans toute sa pureté, furent une occasion de chute pour le peuple ignorant. Les Prêtres, obligés au secret pour ce qui concernait certaines sciences, craignirent de le violer en expliquant ces Hiéroglyphes quant à la Reli­gion, parce qu’ils s’imaginèrent sans doute, qu’il se trouverait des gens du commun assez clairvoyants pour soupçonner que ces mêmes Hiéro­glyphes servaient en même temps de voile à quel­ques autres mystères ; & qu’ils viendraient enfin à bout d’y pénétrer. Il fallut donc quelquefois leur donner le change, & ces explications for­cées tournèrent en abus. Ils ajoutèrent même quelques symboles arbitraires à ceux qu’Hermès avait inventés ; ils fabriquèrent des fables qui se multiplièrent dans la suite, & l’on s’accoutuma insensiblement à regarder comme Dieux les choses qu’on ne présentait au peuple que pour lui rappeler l’idée du seul & unique Dieu vivant.
Il n’est pas surprenant que le peuple ait donné aveuglément dans des idées aussi bizarres. Peu accoutumé à réfléchir sur les choses qui ne ten­dent pas à sa ruine de ses intérêts, ou au risque de sa vie, il laisse à ceux qui ont plus de loisir, le soin de penser & de l’instruire. Les Prêtres ne raisonnaient guère avec lui que symbolique­ment, & le peuple prenait tout à la lettre. Il eut dans les commencements les idées qu’il devait avoir de Dieu & de la Nature ; il est même vraisemblable que le plus grand nombre les conservèrent toujours. Les Egyptiens, qui passaient pour les plus spirituels & les plus éclairés de tous les hommes, auraient-ils pu donner dans des absurdités aussi grossières, & dans des puérilités aussi ridicules que celles qu’on leur attribue ? On ne doit pas même le croire de ceux d’entre les Grecs qui furent en Egypte, pour se mettre au fait de ces sciences qu’on n’apprenait que par hiéroglyphes. Si les Prêtres ne leur dévoilèrent pas à tous le Secret de l’Art sacerdotal, au moins ne leur cachèrent-ils pas ce qui regardait la Théo­logie & la Physique. Orphée Se métamorphosa, pour ainsi dire, en Egypte, & s’appropria leurs idées & leurs raisonnements, au point que les hymnes, & ce qu’elles renferment, annon­cent plutôt un Prêtre d’Egypte, qu’un Poète Grec. Il fut le premier qui transporta dans la Grèce les fables des Egyptiens ; mais il n’est pas probable qu’un homme, que Diodore de Sicile appelle le plus savant des Grecs, recommandable par son esprit & ses connaissances, aie voulu débiter dans sa patrie ces fables pour des réalités. Les autres Poètes, Homère, Hésiode, auraient-ils voulu de sang froid tromper les peuples, en leur donnant pour de véritables histoires, des faits controuvés, & des acteurs qui n’existèrent jamais en effet ?
Un disciple devenu maître, donne communément ses leçons & ses instructions de la manière & suivant la méthode qu’il les a reçues. Ils avaient été instruits, par des fables, des hiéroglyphes, des allégories, des énigmes, ils en ont usé de même. Il s’agissait de mystères ; ils ont écrit mystérieusement. Il n’était pas nécessaire d’en avertir les Lecteurs ; les moins clairvoyants pouvaient s’en apercevoir. Qu’on fasse seulement attention aux titres des ouvrages d’Eumolpe, de Ménandre, de Melanthius, de Jamblique, d’Evanthe, & de tant d’autres qui sont remplis de fables, on sera bientôt convaincu qu’ils avaient dessein de cacher les mystères sous le voile de ces fictions, & que leurs écrits renferment bien des choses qui ne se manifestent pas au pre­mier coup d’œil, même à une lecture faite avec attention.
Jamblique s’en explique ainsi au commence­ment de Son ouvrage : « Les Ecrivains d’Egypte pensant que Mercure avait tout inventé, lui attribuaient tous leurs ouvrages. Mercure préside à la sagesse & à l’éloquence; Pythagore, Platon, Démocrite, Eudoxe, & plusieurs autres se rendirent en Egypte pour s’instruire par la fréquentation des Savants Prêtres de ce pays-là. Les livres des Assyriens & des Egyptiens sont remplis des différentes sciences de Mercure, & les colonnes les présentent aux yeux du public. Elles sont pleines d’une doctrine profonde ; Pythagore & Platon y puisèrent leur Philosophie. »
La destruction de plusieurs villes, & la ruine de presque toute l’Egypte par Cambyse, Roi de Perse, dispersa beaucoup de Prêtres dans les pays voisins, & dans la Grèce. Ils y portèrent leurs sciences ; mais ils continuèrent sans doute à les enseigner à la manière usitée parmi eux, c’est-à-dire, mystérieusement. Ne voulant pas les pro­diguer à tout le monde, ils les enveloppèrent encore dans les ténèbres des fables & des hié­roglyphes, afin que le commun, en voyant, ne vît rien, & en entendant, ne comprît rien. Tous puisèrent dans cette source ; mais les uns n’en prenaient que l’eau pure & nette, pendant qu’ils la troublaient pour les autres, qui n’y trouvèrent que de la boue.
De là cette Source d’absurdités qui ont inondé la terre pendant tant de siècles. Ces mystères ca­chés sous tant d’enveloppes, mal entendus, nul expliqués, se répandirent dans la Grèce, & de là par toute la terre.
Ces ténèbres, dans le sein desquelles l’idolâ­trie prit naissance, s’épaissirent de plus en plus. La plupart des Poètes, peu au fait de ces mystères quant au fond, enchérirent encore sur les fables des Egyptiens, & le mal s’accrut jusqu’à la venue de Jésus-Christ notre Sauveur, qui détrompa les peuples des erreurs où ces fables les avaient jetés. Hermès avait prévu cette décadence du culte Di­vin, & les erreurs des fables qui devaient pren­dre sa place (In Asclepio.) : « Le temps viendra, dit-il, où les Egyptiens paraîtront avoir inutilement adoré la Divinité avec la piété requise, & avoir observé en vain son culte avec tout le zèle & l’exactitude qu’ils devaient.... O Egypte ! ô Egypte ! il ne restera de ta Religion que les fables ; elles deviendront même incroyables à nos descendants ; les pierres gravées & sculptées seront les seuls monuments de ta piété.» Il est certain qu’Hermès ni les Prêtres d’Egypte ne reconnaissaient point la pluralité des Dieux. Qu’on lise attentivement les Hymnes d’Orphée, particulièrement celle de Saturne, où il dit que ce Dieu est répandu dans toutes les parties qui composent l’Univers, & qu’il n’a point été engendré ; qu’on réfléchisse Sur l’Asclépius d’Hermès, sur les paroles de Parmenide le Pythagoricien, sur les ouvrages de Pythagore même, on y trouvera partout des expressions qui manifestent leur sentiment sur l’unité d’un Dieu, principe de tout, sans principe lui-même; & que cous les autres Dieux dont ils font men­tion ne sont que des différentes dénominations, soit de ses attributs, soit des opérations de la Nature. Jamblique seul est capable de nous en convaincre, par ce qu’il dit des mystères des Egyptiens, lorsque ses disciples lui demandèrent quelle il pensait que fût la première cause & le premier principe de tout.
Hermès & les autres Sages ne présentèrent donc aux peuples les figures des choses comme des Dieux, que pour leur manifester un seul & unique Dieu dans coures choses ; car celui qui voit la Sagesse (S. Denis l’Aréopag.), la providence & l’amour de Dieu manifestées dans ce monde, voit Dieu, même ; puisque toutes les créatures ne sont que des miroirs qui réfléchissent sur nous les rayons de la Sagesse divine. On peur voir là-dessus l’ou­vrage de M. Paul Ernest Jablonski, où il justifie parfaitement les Egyptiens de l’idolâtrie ridicule qu’on leur impute (Panthéon AEgyptiorum. Francorurri, 1751.).
Les Egyptiens & les Grecs ne prirent pas tou­jours ces hiéroglyphes pour de purs symboles d’un seul Dieu ; les Prêtres, les Philosophes de la Grèce, les Mages de la Perse, &c. furent les seuls qui conservèrent cette idée ; mais celle de la pluralité des Dieux s’accrédita tellement parmi le peuple, que les principes de la Sagesse & de la Philosophie ne furent pas toujours assez forts pour vaincre la timidité de la faiblesse humaine dans ceux qui auraient pu désabuser ce peuple, & lui faire connaître son erreur. Les Philosophes paraissaient même en public adopter les absurdités des fables, ce qui fit qu’un Prêtre d’Egypte, gémissant sur la puérile crédulité des Grecs, dit un jour à quelques-uns : Les Grecs sont des enfants & seront toujours enfants (Plato in Timeo.).
Cette manière d’exprimer Dieu, ses attributs, la nature, ses principes & ses opérations, fut usi­tée de toute l’Antiquité & dans tous les Pays. On ne croyait pas qu’il fût convenable de divul­guer au peuple des mystères si relevés & si sublimes. La nature de l’hiéroglyphe & du sym­bole, est de conduire à la connaissance d’une chose, par la représentation d’une autre tout-à-fait différente. Pythagore, selon Plutarque (L. de Osir. & Isid.), fut tellement saisi d’admiration, quand il vit la manière dont les Prêtres d’Egypte enseignaient les sciences, qu’il se proposa de les imiter, il y réussit si bien, que ses ouvrages sont pleins d’é­quivoques ; & ses sentences sont voilées sous des détours, & des façons de s’exprimer très mystérieuses. Moïse, si nous en voulions croire Rambam (In exordio Geneseos), écrivit ses livres d’une manière énigmatique : « Tout ce qui est contenu dans la loi des Hébreux, dit cet Auteur, est écrit dans un sens allégorique ou littéral, par des termes qui résultent de quelques calculs arithmétiques, ou de quelques figures géométriques des caractères changés, ou transposés, ou rangés harmoniquement suivant leur valeur. Tout cela résulte des formes des caractères, de leurs jonctions, de leurs séparations, de leur inflexion, de leur courbure, de leur droiture, de ce qui leur manque, de ce qu’ils ont de trop, de leur grandeur, de leur petitesse, de leur ouverture, &c. »
Salomon regardait les hiéroglyphes, les pro­verbes & les énigmes comme un objet digne de l’étude d’un homme Sage ; on peur voir les louan­ges qu’il leur donne dans tous ses ouvrages. Le Sage s’adonnera (Prov. c. I.) à l’étude des paraboles, il s’appliquera a interpréter les expressions, les sentences & les énigmes des anciens Sages. Il péné­trera (Abenephi.) dans les détours & les subtilisés des para­boles ; il discutera les proverbes pour y découvrir ce qu’il y a de plus caché, &c.
Les Egyptiens ne s’exprimaient pas toujours par des hiéroglyphes ou des énigmes ; ils ne le faisaient que quand il s’agissait de parler de Dieu ou de ce qui se passa de plus secret dans les opérations de la Nature ; & les hiéroglyphes de l’un n’étaient pas toujours les hiéroglyphes de l’autre. Hermès inventa l’écriture des Egyptiens ; on n’est pas d’accord sur l’espèce de caractère qu’il mit d’abord en usage ; mais on sait qu’il y en avait de quatre sortes : la (Ecclis. c. 39.) première était les caractères de l’écriture vulgaire, connue de tout le monde, & employés dans le commerce de la vie. La seconde n’était en usage que parmi les Sages, pour parler des mystères de la Nature ; la troisième était un mélange de caractères & de symboles; & la quatrième était le caractère sa­cré, connu des Prêtres, qui ne s’en servaient que pour écrire sur la Divinité & ses attributs. Il ne faut donc pas confondre toutes ces différentes façons que les Egyptiens avaient pour peindre & corporifier leur pennées. Ce défaut de distinction a occasionné les erreurs où sont tombés nombre d’Antiquaires, qui n’ayant qu’un objet en vue, expliquaient tous les monuments antiques con­formément à cet objet. De là les dissertations multipliées faites par différents Auteurs qui ne sont point d’accord entre eux. Il faudrait, pour réussir parfaitement, avoir des modèles de tous ces différents caractères. Ce qui serait écrit dans les Antiques d’une espèce de caractère, serait expliqué des choses que l’on exprimait par ce caractère. Si c’était le premier des Egyptiens, on pourrait assurer que les choses déduites regarderaient le commerce delà vie, l’histoire, &c. ; si c’était le second, les choses de la Nature ; le quatrième ce qui concerne Dieu, son culte, ou les fables. On ne se trouverait pas alors dans le cas de recourir à la conjecture, & d’expliquer un monument antique d’une chose, pendant qu’il avait un tout autre objet. Mais il ne nous reste proprement de certain sur tout cela que les fables, comme l’avait prévu Hermès dans l’Asclépius d’Apulée que nous avons cité à ce Sujet.
Tout homme sensé qui veut de bonne foi faire réflexion sur les absurdités des fables, ne saurait s’empêcher de regarder les Dieux comme des êtres imaginaires ; puisque les Divinités Païennes tirent leur origine de celles que les Egyptiens avaient inventées. Mais Orphée & ceux qui transportèrent ces fables dans la Grèce, les y débi­tèrent de la manière & dans le sens qu’ils les avaient apprises en Egypte. Si dans ce dernier pays elles ne furent imaginées que pour expli­quer symboliquement ce qui se passe dans la Na­ture, ses principes, ses procédés, ses produc­tions, & même quelque opération secrète d’un art qui imiterait la Nature pour parvenir au même but, on doit sans contredit expliquer les fables Grecques, au moins les anciennes, celles qui ont été divulguées par Orphée, Mélampe, Lin, Homère, Hésiode, &c. dans le même sens, & conformément à l’intention de leurs Auteurs, qui se proposaient les Egyptiens pour modèle. La plupart des ouvrages fabuleux sont parvenus jusqu’à nous, on peut en faire une analyse ré­fléchie, & voir s’ils n’y ont point glissé quelques traits particuliers qui démasquent l’objet qu’ils avaient en vue. Toutes les puérilités, les absurdités qui frappent dans ces fables, montrent que le dessein de leurs Auteurs n’était pas de parler de la Divinité réelle. Ils avaient puisé dans les ouvrages d’Hermès, & dans la fréquen­tation des Prêtres d’Egypte, des idées trop pures & trop relevées de Dieu & de ses attributs, pour en parler d’une manière en apparence si indé­cente & si ridicule. Lorsqu’il s’agit de traiter les hauts mystères de Dieu, ils le font avec beaucoup d’élévation d’idées, de sentiments & d’ex­pressions, comme il convient. Il n’est point alors question d’incestes, d’adultères, de parricides, &c. Ils ne pouvaient donc avoir que la Nature en vue ; ils ont personnifié, à la manière des Egyptiens, les principes qu’elle emploie, & ses opérations ; ils les ont représentés sous différentes faces, & enveloppés sous différents voiles, quoi­qu’ils n’entendissent que la même chose. Ils ont eu l’adresse d’y mêler des leçons de politique, de morale, des traits généraux de Physique, ils ont quelquefois pris occasion d’un fait historique pour former leurs allégories ; mais toutes ces choses ne sont qu’accidentelles, & n’en faisaient pas la base & l’objet. En vain se mettra-t-on donc en frais pour expliquer ces hiéroglyphes fabuleux par leur moyen. Ceux qui ont cru de­voir le faire par l’histoire, ont été dans la nécessité d’admettre la réalité de ces Dieux, Déesses, Héros & Héroïnes, au moins comme des Rois, Reines, & des gens dont on raconte les actions. Mais la difficulté de ranger le tout suivant les règles de la saine chronologie, présente à leur travail, un obstacle invincible : c’est un labyrin­the dont ils ne se tirerons jamais. L’objet de l’histoire fut dans tous les temps de proposer des modèles de vertus à suivre, & des exemples pour former les mœurs ; on ne peut guère penser que les Auteurs de ces fables se soient proposé cet objet ; puisqu’elles sont remplies de tant d’absurdités, & de traits si licencieux, qu’elles sont infiniment plus propres à corrompre les mœurs, qu’à les for­mer. Il serait donc pour le moins aussi inutile de se donner la torture pour leur trouver un sens moral.
On peut cependant probablement distinguer quatre sortes de sens donnés à ces hiéroglyphes, tant par les Egyptiens, que par les Grecs & les autres Nations où ils furent en usage. Les ignorants, donc le commun du peuple est composé, prenaient l’histoire des Dieux à la lettre, de même que les fables qui avaient été imaginées en conséquence : voilà la source des superstitions auxquelles le peuple est si enclin. La seconde classe était de ceux qui sentant bien que ces histoires n’étaient que des fictions, pénétraient dans les sens cachés & mystérieux des fables & des hiéroglyphes, & les expliquaient des causes, des effets & des opérations de la Nature. Et comme ils en avaient acquis une connaissance parfaire, par les instructions secrètes qu’ils se donnaient les uns aux autres successivement, suivant celles qu’ils avaient reçues d’Hermès, ils opérèrent des choses surprenantes en faisant jouer les seuls ressorts de la Nature, dont ils se proposèrent d’imi­ter les procédés pour parvenir au même but. Ce sont ces effets qui formaient l’objet de l’Art sacerdotal ; cet Art sur lequel ils s’obligeaient par serment de garder le secret, & qu’il leur était défendu, sous peine de mort, de divulguer en aucune manière à d’autres qu’à ceux qu’ils jugeraient dignes d’être initiés dans l’Ordre Sacerdotal, d’où les Rois étaient tirés. Cet Art n’était autre que celui de faire une chose qui put être la source du bonheur & de la félicité de l’homme dans cette vie, c’est-à-dire, la source de la santé & des richesses & de la connaissance de toute la, Nature. Ce secret si recommandé ne pouvoir pas avoir d’autres objets. Hermès, en instituant les hiéroglyphes, n’avait pas dessein d’introduire l’idolâtrie, ni de tenir secrètes les idées que l’on devait avoir de la Divinité, son but était même de faire connaître Dieu, comme l’unique Dieu, & d’empêcher que le peuple n’en adorât d’au­tres ; il s’efforça de le faire connaître dans tous les individus, en faisant remarquer dans chacun des traits de la sagesse divine. S’il voilà sous l’ombre des hiéroglyphes quelques mystères su­blimes, ce n’était pas tant pour les cacher au peuple, que parce que ces mystères n’étaient pas à sa portée, & que ne pouvant les contenir dans les bornes d’une connaissance prudente & Sage, il ne manquerait pas d’abuser des instructions qu’on leur donnerait à cet égard. Les Prêtres étaient les seuls à qui cette connaissance était confiée après une épreuve de plusieurs années. Il fallait donc que ce secret eût un autre objet. Plusieurs Anciens nous ont dit qu’il consistait dans la connaissance de ce qu’avaient été Osiris, Isis, Horus & les autres prétendus Dieux ; & qu’il était défendu, sous peine de perdre la vie, de dire qu’ils avaient été des hommes. Mais ces Auteurs étaient-ils bien certains de ce qu’ils avançaient ? & quand même ce qu’ils disent serrait vrai, ce secret n’aurait pas pour objet Dieu, les mystères de la Divinité, & son culte ; puisque Hermès, qui obligea les Prêtres à ce secret, savait bien qu’Osiris, Isis, &c. n’étaient pas des Dieux, & il ne les eût pas donnés comme tels aux Prêtres, qu’il aurait instruit de la vérité, en même temps qu’il aurait induit le peuple en erreur. On ne peut pas soupçonner un si grand homme d’une conduite si condamnable, & qui ne s’accorde en aucune façon avec le portrait qu’on nous en fait.
Le troisième sens dont ces hiéroglyphes étaient susceptibles, fut celui de la morale ou des rè­gles de conduite. Et le quatrième enfin était proprement celui de la haute sagesse. On expliquait, par ces prétendues histoires des Dieux, tout ce qu’il y avait de sublime dans la Reli­gion, dans Dieu, & dans l’Univers. C’est là où les Philosophes puisèrent tout ce qu’ils ont dit de la Divinité. Ils n’en faisaient pas un secret à ceux qui pouvaient le comprendre. Les Philosophes Grecs en furent instruits dans la fréquen­tation qu’ils eurent avec les Prêtres, & l’on en a de grandes preuves dans tous leurs ouvrages. Tous les Auteurs en conviennent ; on nomme même ceux de qui ces Philosophes prirent des leçons. Eudoxe eut, dit-on, pour maître Conophée de Memphis ; Solon, Sonchis de Saïs ; Pythagore, Œnuphée d’Héliopolis, &c. Mais quoi­qu’ils n’eurent rien de caché pour la plupart de ces Philosophes, quant à ce qui regardait la Di­vinité, & la Philosophie tant morale que physique, ils ne leur apprirent cependant pas à tous cet Art sacerdotal donc nous avons parlé. Qui dit Art, dit une chose pratique. La connaissance de Dieu n’est pas un art, non plus que la connaissance de la morale, ni même de la Philosophie. Les anciens Auteurs nous apprennent qu’Hermès enseigna aux Egyptiens l’Art des métaux & l’Alchimie. Le P. Kircher avoue lui-même, sur le témoignage de l’Histoire & de toute l’Antiquité, qu’Hermès avait voilé l’art de faire de l’or sous l’ombre des énigmes & des hiéro­glyphes ; & des mêmes hiéroglyphes qui servaient à ôter au peuple la connaissance des mystères de Dieu & de la Nature. « Il est si constant, dit cet Auteur (Œdypus. Egypt. T. II. p. 2. De Alchym. c. I.), que ces premiers hommes possédaient l’art de faire l’or, soit en le tirant de toutes sortes de matières, soit en transmuant les métaux, que celui qui en douterait, ou qui voudrait le nier, se montrerait parfaitement ignorant dans l’histoire. Les Prêtres, les Rois & les Chefs de famille en étaient les seuls instruits. Cet Art fut toujours conservé dans un grand Secret, & ceux qui en étaient possesseurs gardèrent toujours un profond silence à cet égard, de peur que les laboratoires & le sanctuaire les plus cachés de la Nature, étant découverts au peuple ignorant, il ne tournât cette connaissance au détriment & à la ruine de la République. L’ingénieux & prudent Hermès prévoyant ce danger qui menaçait l’Etat, eut donc raison de cacher cet Art de faire de l’or sous les mêmes voiles & les mêmes obscurités hiéroglyphiques, donc il se servait pour cacher au n peuple profane la partie de la Philosophie qui concernait Dieu, les Anges & l’Univers. » Le P. Kircher n’est point suspect sur cet article, puisqu’il a combattu la pierre Philosophale dans toutes les circonstances où il a eu occasion d’en parler. Il faut donc que l’évidence & la force de la vérité lui aient arraché de tels aveux ; sans cela il est assez difficile de le concilier avec lui-même. Il dit dans fa Préface sur l’Alchimie des Egyptiens : « Quelque Aristarques s’élèvera sans doute contre moi de ce que j’entreprends de parler d’un Art que bien des gens regardent comme odieux, trompeur, sophistique, plein de supercheries, pendant que beaucoup d’autres personnes en ont une idée comme d’une science qui manifeste le plus haut degré de la sagesse divine & humaine. Mais qu’il sache que m’étant proposé d’expliquer, en qualité d’Œdipe, tout ce que les Egyptiens ont voilé sous leurs hiéroglyphes, je dois traiter de cette science qu’ils avaient ensevelie dans les mêmes ténèbres des symboles. Ce n’est pas que je l’approuve, ou que je pense qu’on puisse tirer de cette science aucune utilité quant à la partie qui concerne l’art de faire de l’or ; mais parce que toute la respectable Antiquité en parle, & nous l’a transmise sous le sceau d’une infinité d’hiéroglyphes & de figures symboliques. Il est certain que de tous les arts & de toutes les sciences qui irritent la curiosité humaine, & auxquelles l’homme s’applique, je n’en connais point qui aie été attaquée avec plus de force, & qui ait été mieux défendue. » Il rapporte dans le cours de l’ou­vrage un grand nombre de témoignages d’Auteurs anciens, pour prouver que cette science était connue chez les Egyptiens ; qu’Hermès l’enseigna aux Prêtres ; & qu’elle était tellement en hon­neur dans ce pays-là, que c’était un crime digne de mort de la divulguer à d’autres qu’aux Prêtres, aux Rois & aux Philosophes de l’Egypte.
Le même Auteur conclut, malgré cous ces té­moignages (De Alchym. Ægypt. C.7), que les Egyptiens ne connaissaient point fa pierre Philosophale, & que leurs hiéroglyphes n’avaient point sa pratique pour objet. Il est surprenant que s’étant donner la peine de lire les Auteurs qui en traitent, pour expliquer par eux l’hiéroglyphe Hermétique dont il donne la figure, & que les copiant, pour ainsi dire, mot pour mot à cet effet, tels que sont les douze traités du Cosmopolite, & l’Arcanum Hermeticæ Philosophiæ opus de d’Espagnet, &c. le P. Kircher ose soutenir que cette figure & les autres hiéroglyphes ne regardent pas la pierre Philosophale, dont les Auteurs que je viens de citer traitent, comme on dit, ex professo. Puisque tout ce que ces A meurs disent concerne la pierre Phi­losophale, le P. Kircher n’a dû employer leurs raisonnements que pour cet objet. « Les Egyptiens, dit-il (Loc. cit.) , n’avaient point en vue la pratique de cette pierre ; & s’ils touchent quelque chose de la préparation des métaux, & qu’ils dévoilent les trésors les plus secrets des minéraux ; ils n’entendaient pas pour cela ce que les Alchimistes anciens & modernes entendent ; mais ils indiquaient une certaine substance du monde inférieur analogue au Soleil ; douée d’excellentes vertus, & de propriétés si surprenantes, qu’elles sont fort au-dessus de l’intelligence humaine, c’est-à-dire, une quintessence cachée dans tous les mixtes, imprégnée de la vertu de l’esprit universel du monde, que celui qui, inspiré de Dieu & éclairé de ses divines lumières, trouverait le moyen d’extraire, deviendrait par son moyen exempt de toutes infirmités, & mènerait une vie pleine de douceur & de satisfactions. Ce n’était donc pas de la pierre Philosophale qu’ils parlaient, mais de l’élixir donc je viens de parler. »
Si ce que nous venons de rapportée du Père Kircher n’est pas précisément la pierre Philosophale, je ne sais pas en quoi elle consiste. Si l’idée qu’il en avait n’était pas conforme à celle que nous en donnent les Auteurs, tout ce qu’il dit contre elle ne la regarde pas. On peut en juger, tant par ce que nous avons dit jusqu’ici, que par ce que nous en dirons dans la suite. L’objet des Philosophes Hermétiques anciens ou mo­dernes, fut toujours d’extraire d’un certain sujet, par des voies naturelles, cet élixir ou cette quin­tessence, dont parle le P. Kircher ; & d’opérer, en suivant les lois de la Nature, de manière à le séparer des parties hétérogènes dans lesquelles il est enveloppé, afin de le mettre en état d’agir sans obstacles, pour délivrer les trois règnes de la nature de leurs infirmités ; ce qu’on ne saurait guère nier être possible ; puisque cet esprit universel étant l’âme de la Nature, & la base de tous les mixtes, il leur est parfaitement analogue, comme il l’est par ses effets & ses proprié­tés avec le Soleil ; c’est pourquoi les Philosophes disent que le Soleil est son père, & la Lune sa mère.
Il ne faut pas confondre les Philosophes Her­métiques ou les vrais Alchimistes avec les Souf­fleurs : ceux-ci cherchent à faire de l’or immé­diatement avec les matières qu’ils emploient ; & les autres cherchent à faire une quintessence, qui puisse servir de panacée universelle pour guérir toutes les infirmités du corps humain, & un élixir pour transmuer les métaux imparfaits en or. C’est proprement les deux objets que se proposaient les Egyptiens, suivant tous les Au­teurs tant anciens que modernes. C’est cet Art sacerdotal donc ils faisaient un si grand mystère; & que les Philosophes tiendront toujours enve­loppé dans l’obscurité des symboles & les ténè­bres des hiéroglyphes. Ils se contenteront de dire avec Haled (Comment, in Hermet.): « Qu’il y a une essence radicale, primordiale, inaltérable dans tous les mixtes, qu’elle se trouve dans toutes les choses & en tous lieux ; heureux celui qui peut comprendre & découvrir cette secrète essence, & la travailler comme il faut ! Hermès dit aussi que l’eau est le secret de cette chose, & l’eau reçoit sa nourriture des hommes. Marcunes ne fait pas de difficulté d’assurer que tout ce qui est dans le monde se vend plus cher que cette eau ; car tout le monde la possède, tout le monde en a besoin. Abuamil dit, en parlant de cette eau, qu’on la trouve en tout lieu, dans les plaines, les vallées, sur les montagnes ; chez le riche & le pauvre, chez le fort & le faible. Telle est la parabole d’Hermès & des Sages, touchant leur pierre ; c’est une eau, un esprit humide, dont Hermès a enveloppé la connaissance sous des figures symboliques les plus obscures, & les plus difficiles à interpréter. »
La matière d’où se tire cette essence renferme un feu caché & un esprit humide ; il n’est donc pas surprenant qu’Hermès nous l’ait représentée sous l’emblème hiéroglyphique d’Osiris, qui veut lire feu caché (Kirch. Œdip. Ægypt. T. I. p. 176.), & d’Isis, qui étant prise pour la Lune, signifie une nature humide. Diodore de Sicile confirme cette vérité, en disant, que les Egyptiens qui regardent Osiris & Isis comme des Dieux, disent qu’ils parcourent le monde sans cesse ; qu’ils nourrissent & font croître tout, pen­dant les trois saisons de l’année, le Printemps, Eté & Hiver ; & que la nature de ces Dieux contribue infiniment à la génération des ani­maux, parce que l’un est igné & spirituel, l’au­tre humide & froid ; que l’air est commun à tous deux ; enfin que tous les corps en sont engendrés, & que le Soleil & la Lune perfectionnent la nature des choses. Plutarque nous assure de son côté, que tout ce que les Grecs nous chantent & nous débitent des Géants, des Ti­tans, des crimes de Saturne, & des autres Dieux, du combat d’Apollon avec Python, des courses de Bacchus, des recherches & des voyages de Cérès, ne différent point de ce qui regarde Osiris & Isis ; & que tout ce qu’on a inventé de sem­blable avec assez de liberté dans les fables que l’on divulgue, doit être entendu de la même manière, comme ce qui s’observe dans les mystères sacrés, & que l’on dit être un crime de le dévoiler au peuple.
Tout étant dans la Nature engendré du chaud & de l’humide, les Egyptiens donnèrent à l’un­ie nom d’Osiris, à l’autre celui d’Isis, & dirent qu’ils étaient frère & sœur, époux & épouse. On les prit toujours pour la Nature même, comme nous le verrons dans la suite.
Quand on voudra ne pas recourir à des subti­lités, il sera aisé de découvrir ce que les Egyp­tiens, les Grecs, &c. entendaient par leurs hiéroglyphes & leurs fables. Ils les avaient si ingénieusement imaginés, qu’ils cachaient plusieurs choses sous la même représentation, comme ils n’entendaient aussi qu’une même chose par di­vers hiéroglyphes & divers symboles : les noms, les figures, les histoires mêmes étaient variés ; mais le fond & l’objet n’étaient point différents.
On sait, & il ne faut qu’ouvrir les ouvrages des Philosophes Hermétiques, pour voir au pre­mier coup d’œil qu’ils ont dans tous les temps, non seulement suivi la méthode des Egyptiens pour traiter de la pierre Philosophale, mais qu’ils ont aussi employé les mêmes hiéroglyphes & les mêmes fables en tout ou en partie, suivant la manière dont ils étaient affectés. Les Arabes ont imité de plus près les Egyptiens, parce qu’ils traduisirent dans leur langue un grand nombre des traités Hermétiques & autres, écrits en lan­gue & style Egyptiens. La proximité du pays, & par conséquents la fréquentation & le com­merce plus particulier des deux Nations peut aussi y avoir beaucoup contribué. Cette unani­mité d’idées, & cet usage non interrompu de­puis tant de siècles forment, sinon une preuve sans réplique, du moins une présomption que les hiéroglyphes des Egyptiens & les fables avaient été imaginés en vue du grand œuvre, & inventés pour instruite de sa théorie & de sa pratique quel­ques personnes seulement, pendant qu’à cause des abus & des inconvénients qui en résulteraient, on tiendrait l’une & l’autre cachées au peuple, & à ceux qu’on n’en jugerait pas di­gnes.
Je ne suis donc pas le premier qui ait eu l’idée d’expliquer ces hiéroglyphes & ces fables par les principes, les opérations & le résultat du grand œuvre, appelé aussi pierre Philosophale, & Mé­decine dorée. On les voit répandus presque dans tous les ouvrages qui traitent de cet Art mysté­rieux. Quelques Chymistes ont même fait des traités dans la même vue que moi. Fabri de Castelnaudari donna dans le siècle dernier quelque chose sur les- travaux d’Hercule, sous le titre d’Hercules Philochymicus ; Jacques Tolle voulut embrasser toute la fable dans un petit ouvrage intitulé : Fortuita. Il n’est pas surprenant que l’un & l’autre n’aient pas réussi parfaitement. Le premier paraît avoir lu les Philosophes Her­métiques, mais assez superficiellement, pour n’avoir pas été en état d’en faire une concordance judicieuse, & de pénétrer dans leurs véritables principes. Le second trop entêté de la Chymie vulgaire ne jurait que par Basile Valentin, qu’il n’en entendait sans doute pas, puisqu’il l’explique presque toujours à la lettre, quoique suivant Olaus Bornchius (Prospect. Chym. Celebr.), Basile Valentin soit un des Auteurs Hermétiques des plus difficiles à en­tendre, tant à cause des altérations qu’on a mises dans ses traités, que par le voile obscur des énig­mes, des équivoques, & des figures hiéroglyphiques dont il les a farcis.
Michel Maïer a fait un grand nombre d’ou­vrages sur cette matière ; on peut en voir l’énumération dans le Catalogue des Auteurs Chymistes, métallurgistes, & Philosophes Hermétiques que M. l’Abbé Lenglet du Fresnoy a inséré dans son histoire de la Philosophie Hermétique, D’Espagnet estimait entre autres ouvrages de Maïer son traite des Emblèmes, parce qu’ils représentent, dit-il, avec assez de clarté aux yeux des clairvoyants ce que le grand œuvre a de plus secret, & de plus caché. J’ai lu avec attention plusieurs des traités de Michel Maïer, & ils m’ont été d’un si grand secours, que celui qui a pour titre Arcana Arcanissima, a servi de ca­nevas à mon ouvrage, au moins pour sa distribution, car je n’ai pas toujours suivi ses idées. Cet Auteur embrouillait ses raisonnements quand il ne voulait ou ne pouvait pas expliquer cer­tains traits de la fable, soit que le secret si re­commandé aux Philosophes lui tint fort à cœur, & qu’il craignît d’être indiscret, soit (comme on pourrait le croire) que sa discrétion fût forcée.
Les Philosophes Hermétiques qui ont em­ployé les allégories de la fable, sont pour le moins aussi obscurs que la fable même, pour ceux qui ne sont pas Adeptes ; ils n’ont répandu de lumière sur elle qu’autant qu’il en fallait pour nous faire comprendre que ses mystères n’étaient pas des mystères pour eux. « Souvenez-vous bien de ceci, dit Basile Valentin (Traité du Vitriol.) : travaillez de manière que Paris puisse défendre la belle & noble Hélène ; empêchez que la ville de Troye ne soit ravagée de nouveau par les Grecs ; faites en sorte que Priam & Ménélas ne soient plus en guerre & en affliction ; Hector & Achille seront bientôt d’accord ; ils ne combattront plus pour le sang royal ; ils auront alors une Monarchie qu’ils laisseront même en paix à tous leurs descendants. » Cet Auteur introduit tous les princi­paux Dieux de la fable dans ses douze Clefs. Raymond Lulle parle souvent de l’Egypte & de l’Ethiopie. L’un enfin emploie une fable, l’autre une autre ; mais toujours allégoriquement.
Toutes les explications que je donnerai sont prises de ces Auteurs, ou appuyées sur leurs textes & leurs raisonnements ; elles seront si naturelles, qu’il sera aisé d’en conclure que la véritable Chymie, fut la source des fables, qu’elles en renferment tous les principes & les opérations, & qu’en vain se donne-t-on la torture pour les expliquer nettement par d’autres moyens. Je ne pense pas que tout le monde en convienne ; l’usage s’est introduit d’expliquer les Antiquités par l’histoire & la morale ; cet usage a même pré-valu, & s’est accrédité au point que le préjugé fait regarder toute autre application comme des rêveries. On regardera celles-ci dans tel point de vue qu’on voudra, peu m’importe. J’écris pour ceux qui voudront me lire, pour ceux qui ne pouvant sortir du labyrinthe ou ils se trou­vent engagés, en suivant les systèmes ci-dessus, chercheront ici un fil d’Ariadne, qu’ils y trou­veront certainement ; pour ceux qui, versés dans la lecture assidue des Philosophes Hermétiques, sont plus en état de porter un jugement sain & désintéresse. Ils y trouveront de quoi fixer leurs idées vagues & indéterminées sur la matière du grand œuvre, & sur la manière de la travailler. Quant à ceux qui, aveuglés par le préjugé ou par de mauvaises raisons, prêtent aux égyptiens, aux Pythagore, aux Platon, aux Socrate & aux autres grands hommes des idées aussi absurdes que celles de la pluralité des Dieux, je les prie seulement de concilier, avec ce sentiment, l’idée de la haute Sagesse que l’on remarque dans tous leurs écrits, & qu’on leur accorde avec raison. Je les renverrai à une lecture de leurs ouvrages plus sérieuse & plus réfléchie, pour y trouver ce qui leur avait échappé. Je n’ai garde d’ambition­ner les applaudissements de ceux à qui la Philosophie Hermétique est tout-à-fait inconnue. Ils ne pourraient guère juger de cet ouvrage que comme un aveugle juge des couleurs.

CHAPITRE PREMIER.

Des Hiéroglyphes des Egyptiens.

Lorsqu’on prend à la lettre les fables d’E­gypte, & qu’on les explique de la Divinité, rien de plus bizarre, rien de plus ridicule, rien de plus extravagant. Les Antiquaires ont suivi communément ce système dans leurs ex­plications des monuments qui nous restent. J’a­voue que ce sont très souvent des marques de la superstition, qui prévalut parmi le peuple dans les temps postérieurs à celui où Hermès imagina les hiéroglyphes ; mais pour dévoiler ce qu’ils ont d’obscur, il faut nécessairement remonter à leur institution, & le mettre au fait de l’intention de ceux qui les ont inventés. Ni les idées que le peuple y attachent, ni celles qu’en avaient même des Auteurs Grecs ou Latins, quoique très savants sur d’autres choses, ne doivent nous servir de guide dans ces occasions-là. S’ils n’ont fréquenté que le peuple, ils n’ont pu avoir à cet égard que des idées populaires. Il faut être assuré qu’ils avaient été initiés dans les mystères d’Osiris, d’Isis, &c. & instruits par les Prêtres à qui l’intelligence de ces hiéroglyphes avait été con­fiée. Hermès dit plus d’une fois dans son dia­logue avec Asclepius que Dieu ne peut être représenté par aucune figure; qu’on ne peut lui donner de nom, parce qu’étant seul, il n’a pas besoin d’un nom distinctif ; qu’il n’a point de mouvement parce qu’il est partout, qu’il est enfin son propre principe, & son père à lui-même. Il n’y a, donc pas d’apparence qu’il ait prétendu le représenter par des figures, ni le faire adorer sous les noms d’Osiris, d’Isis, &c.
Plusieurs Anciens peu au fait des vrais sentiments d’Hermès. & des Prêtres ses successeurs, ont donné occasion à ces fausses idées, en débi­tant que les Egyptiens disaient de la Divinité, ce qu’ils ne disaient en effet que de la Nature. Hermès voulant instruire les Prêtres qu’il avait choisis, leur disait qu’il y avait deux principes des choses, l’un bon, & l’autre mauvais ; & si nous en croyons Plutarque, toute la Religion des Egyptiens était fondée là-dessus. Nombre d’autres Auteurs ont pensé comme Plutarque, sans trop examiner si ce sentiment était fondé sur une erreur populaire, & si les Prêtres, chargés d’instruire le peuple, pensaient réellement ainsi de la Divinité, ou des principes des mixtes, l’un principe de vie, l’autre principe de mort. Sur ce sentiment de Plutarque, appuyé par d’autres Au­teurs, des Antiquaires ont hasardé des explica­tions de plusieurs monuments que le temps a épar­gnés, & l’on a adopté leurs idées, parce qu’on n’en trouvait pas de plus vrai semblables. Il est cependant vrai que bien des Antiquaires ont assez de discrétion pour avouer qu’ils ne parlent dans plusieurs cas que par conjectures, & qu’on ne peut expliquer certains monuments qu’en devi­nant (2. p. du T. II. pag. 271. Planche 105.). Le premier qui se présente dans l’Antiquité expliquée de D. de Montfaucon en est un exemple, suivant le système reçu : ce savant nous avertit qu’il s’en trouve bien d’autres de cette espèce dans le cours de son ouvrage. Il n’y a cependant dans ce monument rien de difficile à entendre, & il en est très peu qui présentent les choses plus au naturel. Tout homme un peu versé dans la Science Hermétique, l’aurait com­pris au premier coup d’œil ; & n’aurait pas eu besoin de recourir à un Œdipe, ou à la con­jecture pour en donner l’explication. On en jugera, en comparant l’explication que D. de Montfaucon en a donnée, avec celle que je donnerai. « Ce monument, dit notre Auteur, est une pierre sépulcrale, qu’on appelait Ara, que A. » Herennuleius Hermès a fait pour sa femme, pour lui, pour ses enfants, & pour sa postérité. Il est représenté lui-même au milieu de l’inscription, sacrifiant aux mânes. De l’autre côté de la pierre sont deux serpents, dressés sur leur queue, & mis de face l’un contre l’autre, dont un tient un œuf dans sa bouche, & l’autre semble vouloir le lui ôter. »
M. Fabreti à qui ce monument appartenait, avait voulu expliquer ce symbole ; mais comme il ne satisfaisait pas D. de Montfaucon, celui-ci l’explique dans les termes suivants. « Avant que d’avancer ma conjecture sur ce monument, il faut remarquer qu’on trouve à Rome & dans l’Italie quantité de ces marques des superstitions Egyptiennes, que les Romains avaient adoptées. Celle-ci est du nombre : c’est une image dont la signification ne peut être que symbolique. Les anciens Egyptiens reconnaissaient un bon principe qui avait fait le monde ; ce qu’ils exprimaient allégoriquement par un serpent qui tient un œuf à la bouche ; cet œuf signifiait le monde créé. Ce serpent donc qui tient l’œuf à la bouche sera le bon principe qui a créé le monde & qui le soutient. Mais comme les Egyptiens admettaient deux principes, l’un bon, l’autre mauvais, il faudra dire que l’autre serpent qui dressé sur sa queue, est opposé au premier, sera l’image du mauvais principe qui veut ôter le monde à l’autre. »
Pour mettre le Lecteur en état de juger si mon explication sera plus naturelle que celle de D. de Montfaucon, je vais donner une description de cette pierre prétendue sépulcrale. Les deux serpents sont dressés sur leur queue repliée en cercle ; l’un tient l’œuf entre ses dents, l’autre a la tête appuyée dessus, la bouche un peu ou­verte, comme s’il voulait mordre l’autre, & lui disputer cet œuf. Tous deux ont une crête à peu près carrée. Sur l’autre côté de la pierre, est la figure d’un homme debout, en habit long, les manches retroussées jusqu’au coude ; il tient le bras droit étendu, & une espèce de cerceau à la main, au centre duquel paraît un autre petit cercle, ou un poing. De la main gauche il relève sa robe, en la tenant appuyée sur la hanche. Autour de cette figure sont gravées les paroles sui­vantes : A Herennuleius Hermès fecit conjugi bene merenti Juliæ L. F. Latinæ sibi & fuis posterque cor. Il n’est pas nécessaire de recourir à la Religion des Egyptiens pour expliquer ce monument. Les deux principes qu’admettaient les Prêtres d’E­gypte ne doivent s’entendre que des deux prin­cipes bons & mauvais de la Nature, qui se trou­vent toujours mêlés dans ses mixtes, & qui con­courent à leur composition ; c’est pourquoi ils disaient qu’Osiris & Typhon étaient frères, & que ce dernier faisait toujours la guerre au pre­mier. Osiris était le bon principe, ou l’humeur radicale, la base du mixte, & la partie pure & homogène, Typhon était le mauvais principe, ou les parties hétérogènes, accidentelles, & prin­cipe de destruction & de mort, comme Osiris l’était de vie & de conservation.
Les deux serpents du monument dont il s’agit, représentent à la vérité deux principes, mais les deux principes que la Nature emploie dans la production des individus : on les appelle, par analogie, l’un mâle & l’autre femelle ; tels sont les deux serpents entortillés autour du caducée de Mercure, l’un mâle & l’autre femelle, qui sont aussi représentés tournés l’un contre l’autre, & entre leurs deux têtes une espèce de globe ailé qu’ils semblent vouloir mordre. Les crêtes carrées des deux serpents du monument dont nous parlons, sont un symbole des éléments, dont le grand & le petit monde sont formés, & l’œuf est le résultat de la réunion de ces deux principes de la Nature. Mais comme dans la composition des mixtes il y a des principes purs & homogènes, & des principes impurs & hétérogènes, il se trouve une espèce d’inimitié entre eux ; l’im­pur tend toujours à vouloir corrompre le pur : c’est ce qui se voit représenté par le serpent qui semble vouloir disputer l’œuf à celui qui en est en possession. La destruction des individus n’est pro­duite que par ce combat mutuel.
Voilà ce qu’on peut dire pour expliquer en général cette partie du monument dont nous par­lons. Mais son Auteur avait sans doute une inten­tion moins générale ; il est certain qu’il voulait signifier quelque chose de particulier. Rapprochons toutes les parties symboliques de ce monument : le rapport qu’elles ont entre elles nous dévoilera cette intention particulière.
Celui qui fait faire ce monument se nomme Herennuleius Hermès, & il porte un habit long comme les Philosophes ; il y a donc grande ap­parence que cet Herennuleius était un de ces savants initiés dans les mystères Hermétiques ; (ce qui est désigné par son surnom d’Hermès ), qui, comme je l’ai dit ci-devant, étant instruit de ces mystères, prenait le nom d’Aris ou Hermès. Il tient à la main droite une espèce de cerceau, que D. de Montfaucon a pris sans doute pour une patere ou tasse, & a décidé en conséquence de cette erreur, qu’Herennuleius faisait un sacrifice aux mânes ; rien autre ne peut y désigner cette action. Ce cerceau n’est point une patere ; c’est le signe symbolique de l’or, ou du Soleil terrestre & hermétique, que les Chymistes mêmes vulgaires représentent encore aujourd’hui de cette manière ¤. C’est à cette face du monument qu’il faut rapporter en particulier l’hiéroglyphe des deux serpents & de l’œuf, qui se trouvent sur la face opposée, pour n’en faire qu’un tout, dont le résultat consiste dans cette or Philosophique que présente Herennuleius. Voici donc comment il faut expliquer ce monu­ment en particulier.
Les deux serpents sont les deux principes de l’art sacerdotal ou hermétique, l’un mâle ou feu, terre fixe, & soufre ; l’autre femelle, eau volatile & mercurielle, qui concourent tous deux à la formation & génération de la pierre Herméti­que, que les Philosophes appelaient œuf & petit monde, qui est composé des quatre éléments, représentés par les deux crêtes carrées, mais dont deux seulement sont visibles, la terre & l’eau. On peut aussi expliquer l’œuf du vase, dans le­quel l’œuf se forme, par le combat du fixe & du volatil, qui se réunifient enfin l’un & l’autre, & ne font plus qu’un tout fixe, appelé or Philosophique, ou soleil Hermétique. C’est cet or qu’Herennuleius montre au spectateur comme le résultat de son art. Le plus grand nombre des Philosophes qui ont traité de cette science, ont représenté ses deux principes sous le symbole de deux serpents. On en trouve une infinité de preu­ves dans cet ouvrage. L’inscription de ce monument nous apprend seulement qu’Herennuleius a fait cet or comme une source de santé & de richesses, pour lui, pour son épouse qu’il aimait tendrement, pour ses enfants & sa postérité.
J’ai apporté cet exemple pour faire voir com­bien il est aisé d’expliquer les hiéroglyphes de certains monuments Egyptiens, Grecs, &c. quand on les rappelle à la Philosophie Hermétique, sans les lumières de laquelle ils deviennent inintelligibles & inexplicables. Je ne prétends ce­pendant pas qu’on puisse par son moyen les expliquer tous. Quoiqu’elle ait été la source, la base & le fondement des hiéroglyphes, elle n’a pas été l’objet de tous les monuments hiérogly­phiques qui nous restent. La plupart sont histo­riques, ou représentent quelques traits de la fable, souvent ajustés suivant la fantaisie de celui qui les commandait à l’Artiste, ou celle de l’Artiste même, qui n’étant pas initiés dans les mystères des Egyptiens, des Grecs, des Romains, &c. conservaient seulement le fond, selon les instructions fort défectueuses & peu éclairées qu’ils en avaient ; ils suivaient pour le reste leur goût & leur imagination.
............. Pictoribus atque Poëtis
Quidlibet audendi semper fuit æqua potestas.
Horat, in Art. Poët.
Et Cicéron dans Son Traité de Natura Deorum, dit que les Dieux nous présentent les figures qu’il a plu aux Peintres & aux Sculpteurs de leur don­ner. Nos Deos omnes eâ jade novimus, quâ. Pictores fictoresque voluerunt. Lib. 2 de Nat. Deor.
Il nous reste donc des monuments hiéroglyphi­ques de toutes les espèces ; & ceux des Egyptiens ont ordinairement pour fondement Osiris, Isis, Horus & Typhon, avec quelques traits de leur histoire fabuleuse. Les uns sont défigurés par les Artistes ignorants, les autres conservent la pureté de leur invention, quand ils ont été faits ou conduits par des Philosophes, ou des personnes bien instruites. Nous avons encore aujourd’hui sous nos yeux des exemples de cela. Un Sculp­teur fait un groupe de statues, un Peintre fait un tableau ; l’un & l’autre a un Sujet déterminé ; mais pourvu qu’ils représentent ce sujet de manière à le faire reconnaître au premier coup d’œil, & qu’ils gardent le costume, quant à tout ce qui est nécessaire pour les figures & l’action, combien se trouve-t-il d’Artistes qui y ajoutent des figures inutiles, & pour le dire en termes de l’Art, figures à louer ? combien y mettent-ils des ornements arbitraires & de fantaisies, des coquillages, des fleurs, quelquefois des animaux, des rochers, &c. ? Si les Artistes instruits tombent quelquefois dans ce défaut, que doit-on penser des ignorants qui n’ont souvent qu’une bonne main, & une fougue d’imagination qui enfante tout ce qu’ils mettent au jour ? Folie que vouloir se mettre en tête d’expliquer toutes leurs pro­ductions. Y en a-t-il moins à faire des dissertations pleines de recherches & d’érudition sur des bagatelles & des choses très peu intéressantes, qui se rencontrent dans beaucoup de monuments antiques ?
Il est constant que les hiéroglyphes ont pris naissance en Egypte ; & la plus commune opi­nion en regarde Hermès comme l’inventeur, quoique les plus anciens Ecrivains de l’histoire d’Egypte ne nous apprennent rien d’absolument certain sur l’origine des caractères de l’écriture & des sciences. On ne trouve même rien de positif sur les premiers Rois du monde, qui ne soit susceptible de contradiction. Des Auteurs ont été assez peu sensés pour dire que les premiers hommes sont sortis de la terre comme des champignons, d’autres se sont imaginés que les hommes avaient été formés en Egypte, conjecturants sans doute qu’ils sont venus de la terre, comme ces rats que l’on voit sortir en grand nombre des crevasses du limon du Nil, après que le Soleil en a desséché l’humidité. Diodore de Sicile (L.I.c. 1.), après avoir parcouru la plus grande partie de l’Europe, de l’Asie & de l’Egypte, avoue qu’il n’a pu dé­couvrir rien de certain sur les premiers Rois de tous ces pays. Ce qui nous reste de plus constant, sont les hiéroglyphes Egyptiens, pour ce qui re­garde l’écriture ; mais pour ce qui concerne leurs Rois, nous n’avons que des fables. Le même Diodore dit (Ch.2.), que les premiers hommes ont adoré le Soleil & la Lune comme des Dieux éternels ; qu’ils ont appelé le Soleil Osiris, & la Lune Isis, ce qui convient parfaitement aux idées qu’on nous donne du peuple d’Egypte. Pour nous qui avons appris plus certainement de l’Ecriture Sainte, quel est l’unique vrai Dieu des autres Dieux ; quel fut le premier homme, & la terre qu’il habita, nous gémissons sur la vanité des Egyptiens, qui leur faisait pousser l’antiquité de leur Nation & la généalogie de leurs Rois jusqu’au-delà de vingt mille ans.
Ce n’est pas que les Savants d’Egypte adop­tassent ce sentiment ; ils savaient trop bien qu’il n’y avait qu’un Dieu unique. D’ailleurs, comment auraient-ils pu accorder l’éternité d’Osiris & d’Isis avec la paternité de Saturne ou de Vulcain, desquels, selon eux, Osiris & Isis étaient fils ? Preuve trop évidente que Diodore n’était instruit que des idées populaires. Les Egyptiens entendaient toute autre chose par ces fils de Sa­turne ; nous avons des indices sans nombre, qui démontrent que l’on cultivait en Egypte la Science de la Nature ; que la Philosophie Her­métique y était connue & pratiquée par les Prê­tres & les plus anciens Rois de ce pays-là ; & l’on ne doute plus que pour la communiquer aux Sages leurs successeurs, à l’insu du peuple, ils n’aient inventé les hiéroglyphes pris des ani­maux, des hommes, &c. & qu’enfin pour expli­quer ce que signifiaient ces caractères, ils ima­ginèrent des allégories & des fables, prises de personnes feintes, & des actions prétendues de ces personnes.
Nous parlerons plus au long de ces hiéroglyphes dans la Suite de cet Ouvrage.

CHAPITRE II

Des Dieux de l’Egypte.

On ne peut révoquer en doute que la plu­ralité des Dieux n’aie été admise par le peuple d’Egypte. Les plus anciens Historiens nous assu­rent même que les Grecs & les autres Nations n’avaient d’autres Dieux que ceux des Egyptiens ; mais sous des noms différents. Hérodote (Lib. 2.) comptait douze principaux Dieux que les Grecs avaient pris des Egyptiens avec leurs noms mêmes, & ajoute que ces derniers Peuples dressèrent les premiers des autels, & élevèrent des temples aux Dieux. Mais il n’est pas moins constant que quel­que superstitieuse que fût cette Nation, on y voyait bien des traces de la véritable Religion. Une partie même considérable de l’Egypte, la Thébaïde, dit Plutarque, ne reconnaissait point de Dieu mortel ; mais un Dieu sans commencement & immortel, qui en la langue du pays s’appelait Cneph, & selon Strabon Knuphis. Ce que nous avons rapporté d’Hermès, de Jamblique, &c. prouve encore plus clairement que les mystères des Egyptiens n’avaient point pour objet les Dieux comme Dieu, & leur culte comme culte de la Divinité.
Isis & Osiris sur lesquels roule presque toute la Théologie Egyptienne, étaient à recueillir les sentiments de divers Auteurs, tous les Deux du paganisme. Isis, selon eux, était Cérès, Junon, la Lune, la Terre, Minerve, Proserpine, Thétis, la mère des Dieux ou Cybèle, Vénus, Diane, Bellone, Hécate, Rhamnusia, la Nature même : en un mot, toutes les Déesses. C’est ce qui a donné lieu de l’appeler Myrionyme, ou la Déesse à mille noms. De même qu’Isis se prenait pour toutes les Déesses, on prenait aussi Osiris pour tous les Dieux ; les uns disent qu’Osiris était Bacchus ; d’autres le sont le même que Scrapis, le Soleil, Pluton, Jupiter, Ammon, Pan : d’autres (Hésychius.) sont d’Osiris Attis, Adonis, Apis, Titan, Apollon, Phœbus, Mithras, l’O­céan, &c. Je n’entrerai point dans un détail qu’on peut voir dans beaucoup d’autres Auteurs. Les interprétations mal entendues des hiéro­glyphes inventés par les Philosophes & les Prê­tres, ont donné lieu à cette multitude de Dieux, qu’Hésiode (Théogon.) fait monter à 30 000. Trimégiste, Jamblique, Psellus & plusieurs autres n’en ont point déterminé le nombre ; mais ils ont dit que les cieux, l’air & la terre en étaient remplis. Maxime de Tyr disait, en parlant d’Ho­mère, que ce Poète ne reconnaissait aucun en­droit de la terre qui n’eût son Dieu. La plupart des Païens regardaient même la Divinité comme ayant les deux sexes, & la nommaient Herma­phrodite ; ce qui a fait dire à Valerius Soranus :
Jupiter omnipotens, Regum, rerumque Deûmque
Progenitor, genitrixque Deûm, Deus unus & omnis.
Cette confusion tant dans les noms que dans les Dieux mêmes, doit nous convaincre que ceux qui les ont inventés, ne pouvaient avoir en vue que la Nature, ses opérations & ses productions. Et comme le grand œuvre est un de ses plus ad­mirables effets, les premiers qui le trouvèrent ayant considéré sa matière, sa forme, les divers changements qui lui survenaient pendant les opérations, ses effets surprenants ; & qu’en tout cela elle participait en quelque sorte avec les princi­pales parties de l’Univers (Majer Arcana Arcaniss) telles que le Soleil, la Lune, les étoiles, le feu, l’air, la terre, l’eau, ils en prirent occasion de lui donner tous ces noms. Tout ce qui se forme dans la Nature, ne se faisant que par l’action de deux, l’un agent, l’autre patient, qui sont analogues au mâle & à la femelle dans les animaux ; le premier chaud, sec, igné ; le second froid & humide. Les Prêtres d’Egypte personnifièrent la matière de leur art sacerdotal, & appelèrent Osiris, ou feu caché, le principe actif qui fait les fonctions de mâle, & Isis le principe passif qui tient lieu de femelle. Ils désignèrent l’un par le Soleil, à cause du principe de chaleur & de vie que cet astre répand dans toute la Nature ; & l’autre par la Lune, parce qu’ils la regardaient comme d’une nature froide & humide. Le fixe & le volatil, le chaud & l’humide étant les parties constituantes des mixtes, avec certaines parties hétérogènes qui s’y trouvent toujours mêlées, & qui sont la cause de la destruction des individus, ils y joignirent un troisième, à qui ils donnèrent le nom de Typhon, ou mauvais principe. Mer­cure fut donné pour adjoint à Osiris & à Isis, pour les secourir contre les entreprises de Ty­phon, parce que Mercure est comme le lien & le milieu qui réunit le chaud & le froid, l’hu­mide & le sec, qu’il est comme le nœud au moyen duquel le subtil & l’épais, le pur & l’impur se trouvent associés ; & qu’enfin il ne se fait point de conjonction du Soleil avec la Lune, sans que Mercure, voisin du Soleil, y soit présent.
Osiris & Isis furent donc regardés comme l’é­poux & l’épouse, le frère & la sœur, enfants de Saturne, selon les uns (Diodor. de Sicile.), fils de Cœlus selon d’autres (Kirch. p. 179.) ; Typhon passait seulement pour leur frère utérin, parce que la liaison des parties ho­mogènes, inaltérables & radicales avec les par­ties hétérogènes, impures & accidentelles des mixtes se fait dans la même matrice, ou dans les entrailles de la terre. Toutes les mauvaises qua­lités qu’on attribuait à Typhon, nous découvrent parfaitement ce que l’on avait dessein de signifier par lui. Nous en dirons quelque chose de plus dé­taillé dans la suite.
Ces quatre personnes, Osiris, Isis, Mercure & Typhon, étaient chez les Egyptiens les princi­pales & les plus célèbres, trois passaient pour des Dieux, & Typhon pour un esprit malin. Mais pour des Dieux de la nature de ceux dont Hermès parle à Asclépius, je veux dire des Dieux fabriqués artistement par la main des hommes. A ces quatre ils joignirent Vulcain, inven­teur du feu, que Diodore fait père de Saturne, parce que le feu Philosophique est absolument nécessaire dans l’œuvre Hermétique. Ils leur associèrent aussi Pallas ou la sagesse, la prudence & l’adresse dans la conduite du régime pour les opérations. L’Océan, père des Dieux, & Thétis leur mère vinrent ensuite avec le Nil, c’est-à-dire, l’eau, & enfin la Terre, mère de toutes choses ; parce que suivant Orphée, la terre nous fournît les richesses. Saturne, Jupiter, Vénus, Apollon, & quelques autres Dieux furent enfin admis, & Horus, comme fils d’Osiris & d’Isis.
Non seulement les choses, mais leurs vertus & propriétés physiques devinrent des Dieux dans l’esprit du peuple, à mesure qu’on s’efforçait de lui en démontrer l’excellence. S. Augustin (De Civit. Dei. 4.), Lactance, Eusebe & beaucoup d’autres Auteurs Chrétiens & Païens nous le disent dans différents endroits ; Cicéron (L. 2. de Nat. Deor.), Denis d’Halicarnasse (L. 2. Antiquit, Roman.), pensent que la variété & la multitude des Dieux du Paganisme ont pris naissance dans les observations qu’avaient faites les savants sur les propriétés du Ciel, les essences des Eléments, les influences des Astres, les vertus des mixtes, &c. Ils s’imaginèrent qu’il n’y avait pas une plante, un animal, un métal ou une pierre spé­cifiée sur terre, qui n’eût son étoile, ou son génie dominant.
Outre les Dieux donc nous avons parlé ci-devant, qu’Hérodote (L. 2.) appelle les grands Dieux, & que les Egyptiens regardaient comme célestes suivant Diodore, « ils avaient encore, dit cet Auteur (L. I. c. 2.), des Génies, qui ont été des hommes ; mais qui, pendant leur vie, ont excellé en sagesse, & se sont rendus recommandables par leurs bienfaits envers l’humanité. Quelques-uns d’entre eux, disent-ils, ont été leurs Rois, & se nommaient comme les Dieux célestes ; d’autres avaient des noms qui leur étaient propres. Le Soleil, Saturne, Rhée, Jupiter, appelé Ammon, Junon, Vulcain, Vesta, & enfin Mercure. Le premier se nommait Soleil, de même que l’astre qui nous éclaire. Mais plusieurs de leurs Prêtres soutenaient que c’était Vulcain l’inventeur du feu ; & que cette invention avoir engagé les Egyptiens à le faire leur Roi. » Le même Auteur ajoute qu’après Vulcain, Saturne régna ; qu’il épousa sa sœur Rhée ; qu’il fut père d’Osiris, d’Isis, de Jupiter & de Junon ; que ces deux derniers obtinrent l’empire du monde par leur prudence & leur valeur.
Jupiter & Junon, si nous en croyons Plutarque (De Isid. & Osir.), engendrèrent cinq Dieux, suivant les cinq jours intercalaires des Egyptiens ; savoir, Osiris, Isis, Typhon, Apollon & Vénus. Osiris fut surnommé Denis, & Isis Cérès. presque tous les Auteurs conviennent qu’Osiris était frère & mari d’Isis, comme Jupiter était frère & mari de Junon ; mais Lactance & Minutius Félix disent qu’il était fils d’Isis ; Eusebe l’appelle son mari, son frère & son fils.
S’il est difficile de concilier toutes ces qualités & tous ces titres dans une même personne, il ne l’est pas moins d’expliquer comment, suivant les Egyptiens, Osiris & Isis contractèrent mariage dans le ventre de leur mère, & qu’Isis en sortit enceinte d’Arueris (Manethon, apud Plutar.), ou l’ancien Horus, qui a passé pour leur fils. De quelque manière qu’on puisse interpréter cette fiction, elle paraîtra toujours extravagante à tout homme qui ne la verra que par les yeux des Mythologues, qui voudront l’expliquer historiquement, politique­ment ou moralement : elle ne peut convenir à aucun de ces systèmes ; & celui de la Philosophie Hermétique la développe très clairement, comme nous le verrons dans la suite.
Les Egyptiens, selon le même Plutarque, racontaient beaucoup d’autres histoires qui sont marquées au même coin d’obscurité & de pué­rilité ; que Rhée, après avoir connu Saturne en cachette, eut ensuite affaire au Soleil, puis à Mercure ; & qu’elle mit au monde Osiris ; que l’on entendit au moment de sa naissance (Diodore de Sicile.) une voix qui disait : Le Seigneur de tout est né. Le lendemain naquit Arueris, ou Apollon, ou Ho­rus l’ancien. Le troisième jour, Typhon, qui ne vint pas au monde par les voies ordinaires, mais par une côte de fa mère arrachée par violence, Isis parut la quatrième, & Nephré le cinquième.
Quoi qu’il en soit de toutes ces fables, Héro­dote nous apprend qu’Isis & Osiris étaient les Dieux les plus respectables de l’Egypte, & qu’ils étaient honorés dans tous les pays ; au lieu que beaucoup d’autres ne l’étaient que dans des Nomes particuliers (Ce mot Signifie les différentes Préfectures, ou les différents Gouvernements de l’Egypte.). Ce qui jette beaucoup d’embar­ras & d’obscurité sur leur histoire, c’est que dans les temps postérieurs à ceux qui imaginèrent ces Dieux, & ce qu’on leur attribue, des savants, mais peu instruits des intentions & des idées de Mercure Trimégiste, regardèrent ces Dieux comme des personnes qui avaient autrefois gou­verné l’Egypte avec beaucoup de sagesse & de prudence ; & d’autres, comme des Etres immor­tels de leur nature, qui avaient formé le monde, & arrangé la matière dans la forme qu’elle conserve aujourd’hui.
Cette variété de sentiments fit perdre de vue l’objet qu’avait eu l’inventeur de ces fictions, qui les avait d’ailleurs tellement ensevelies dans l’obscurité & les ténèbres des hiéroglyphes, qu’elles étaient inintelligibles & inexplicables dans leur vrai sens, pour tout autre que pour les Prê­tres, seuls confidents du secret de l’Art Sacerdotal. Quelque crédule que soit le peuple, il faut ce­pendant lui présenter les choses d’une manière vraisemblable. Il s’agissait pour cela de fabriquer une histoire suivie : on le fit ; & ce qu’on y mêla de peu conforme à ce qui se passe communément dans la Nature, ne fut pour le peuple qu’un mo­tif d’admiration.
Cette histoire mystérieuse, ou plutôt cette fiction devint dans la suite le fondement de la Théologie Egyptienne, qui se trouvait cachée sous les symboles de ces deux Divinités, pendant que les Philosophes, & les Prêtres y voyaient les plus grands secrets de la Nature. Osiris était pour les ignorants le Soleil ou l’Astre du jour, & Isis la Lune ; les Prêtres y voyaient les deux prin­cipes de la Nature & de l’art Hermétique. Les étymologies de ces deux noms concouraient même à donner le change. Les uns, comme Plutarque, prétendaient qu’Osiris signifiait très Saint ; d’autres, avec Diodore, Horus-Apollô., Eusebe, Macrobe, disaient qu’il voulait dire, qui a beau­coup d’yeux, celui qui voit clair ; on prenait en conséquence Osiris pour le Soleil. Mais les Philosophes voyaient dans le nom de ce Dieu, le Soleil terrestre, le feu caché de la Nature, le principe igné, fixe & radical qui anime tout. Isis pour le commun n’était que l’Ancienne ou la Lune ; pour les Prêtres, elle était la Nature même, le principe matériel & passif de tout. C’est pourquoi Apulée (Métarn. 1. I.) fait parler ainsi cette Déesse : Je suis la Nature, mère de toutes choses, maîtresse des Eléments, le commencement des siècles, la Souveraine des Dieux, la Reine des Mâ­nes, &c. Mais Hérodote nous apprend que les Egyptiens prenaient aussi Isis pour Cérès, & croyait qu’Apollon & Diane étaient ses enfants. Il dit ailleurs qu’Apollon & Orus, Diane ou Bubastis, & Cérès ne sont pas différences d’Isis ; preuve que le secret des Prêtres avait un peu transpiré dans le public ; puisque, malgré cette contradiction apparente, tour cela se voit en effet dans l’œuvre Hermétique, ou la mère, le fils, le frère & la sœur, l’époux & l’épouse sont réu­nis dans un même sujet. C’est ainsi que les Prê­tres avaient trouvé l’art de voiler leurs mystères, soit en présentant Osiris comme un homme mor­tel, dont ils racontaient l’histoire, soit en disant que c’était, non un homme mortel, mais un astre qui comblait tout l’Univers, & l’Egypte en particulier, de tant de bienfaits, par la fécondité & l’abondance qu’il procure. Ils savaient même donner le change à ceux qui, soupçonnant quel­que chose de mystérieux, cherchaient à s’en instruire, & à y pénétrer. Comme les principes théoriques & pratiques de l’art Sacerdotal ou Hermétique pouvaient s’appliquer à la connaissance générale de la Nature & de ses produc­tions, que cet art se propose pour modèle ; ils donnaient à ces gens curieux, des leçons de Phy­sique ; & bien des Philosophes Grecs puisèrent leur Philosophie dans ces sortes d’instructions.


FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE


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