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CANSELIET Les Alchimistes et le fluide universel.*
LES ALCHIMISTES ET LE FLUIDE UNIVERSEL
Eugène Canseliet
Article paru dans le numéro 2 de la revue Initiation, Magie et Science, de 1946
(cette revue change de nom en 1947, et devient alors Initiation et Science)
Remettant à l'honneur le but des alchimistes, rajeuni par
une terminologie familière à nos oreilles éduquées, les dernières et
sensationnelles découvertes de la science nous montrent que la réalisation de
ce rêve, naguère encore condamné, relève plus particulièrement de la physique
transcendante que de la chimie matérialisée. Les deux qualificatifs pourront
faire sourire, mais il nous apparaît qu'ils soulignent mieux le divorce scientifique
que Marcelin Berthelot, - sans qu'il l'eût cherché, - mit en lumière chez les Grecs
du plus beau temps de la Gnose, et que le Moyen Age savant exprima en deux substantifs,
aujourd'hui confondus: Spagyrie et Alchimie. Le créateur de la Thermochimie ne sut donc pas établir
cette profonde différence, et, ne voyant lui aussi dans l'alchimie, que la mère
caduque de la chimie, conclut d'une manière imprudente : "Les opérations
réelles que faisaient les alchimistes, nous les connaissons toutes et nous les
répétons chaque jour dans nos laboratoires, car ils sont à cet égard, nos
ancêtres et nos précurseurs pratiques (1)." Bien au contraire, ces
manipulations ne présentent rien de commun avec celles du Grand Oeuvre
alchimique, et c'est en les rattachant aux tâtonnements empiriques des spagyristes
et des souffleurs que le Président d'Espagnet nous dit au canon 6 de son Ouvrage Secret de la Philosophie d'Hermès
:
Les Chymistes
vulgaires qui n'appliquent leurs esprits qu'à des sublimations continuelles, qu'aux
distillations, aux résolutions, aux congélations, à tirer en différentes façons
les esprits et les teintures, et en autres opérations plus subtiles qu'elles ne
sont utiles, s'engageant ainsi dans diverses erreurs, donnent la géhenne à
leurs esprits pour leur plaisir, et jamais par leur propre génie ils ne feront
réflexion sur la simple voie que la nature y tient, ni jamais un rayon de
vérité ne viendra les éclairer, et les guider.
Ainsi, directement successeur de l'ancienne spagyrie, la
chimie moderne, comme elle, reste séparée de l'alchimie, par son refus
d'utiliser les forces spirituelles, que la seconde ne cesse de mettre en jeu. Vox populi, vox Dei; s'il faut en croire
l'axiome, le peuple a toujours raison. Serait-ce alors cette faculté infaillible
qui percerait dans son entêtement à se figurer l'alchimiste avec un long
chapeau pointu, une ample robe constellée, et la baguette magique du sorcier à
la main?
Cependant, ne voyons dans ce portrait dû à l'imagination
populaire, rien d'autre qu'une allégorie outrée de ce que sont la personne même
de l'artiste chimique et la nature secrète de ses travaux. L'alchimiste,- et,
par ce vocable, nous entendons bien le philosophe qui se tient rigoureusement
dans la voie du Grand Oeuvre, - l'alchimiste, disons-nous, dirige tous ses
efforts vers la captation de l'esprit universel,
dont il fera, dans sa création microcosmique, la source de vie et le facteur de
perfection.
L'adepte persévérant et infortuné, connu sous le pseudonyme
de Cyliani (Silène), personnifie le spiritus
mundi des vieux textes dans la nymphe de grande beauté qui est l'artisane
de son succès laborieux, et qui lui parle, en songe, au pied d'un gros chêne :
Mon essence est
céleste, tu peux même me considérer comme une déjection de l'étoile polaire. Ma
puissance est telle que j'anime tout : je suis l'esprit astral, je donne, la
vie à tout ce qui respire et végète, je connais tout. Parle: que puis-je faire
pour toi ? (3).
On s'imagine aisément à quelles erreurs, à quels excès, la
recherche de cet agent merveilleux dut pousser les hommes avides et ignorants,
beaucoup plus enclins à puiser d'immédiates indications dans les recueils de
secrets, qu'à prudemment méditer les théories des classiques réputés dans
l'Art.
De ce point de vue, le Nostoc,
gélatineux et verdâtre, apparaissant subitement dans les allées des jardins,
pour, non moins brusquement, y disparaître sans laisser de trace, eut longtemps
la faveur des souffleurs, selon qu'en témoignent les nombreuses et suggestives
périphrases, dont ils se servirent pour le désigner: Archée du ciel, crachat de lune, beurre magique, vitriol végétal,
crachat de mai, Purgatoire des étoiles, graisse de rosée, écume printanière,
etc... Au, vrai, ces appellations, empruntées aux meilleurs auteurs,
désignent le spiritus mundi, duquel
les archimistes crurent reconnaître,
dans le nostoc, le véhicule vomi, sur la terre, par les astres et les étoiles.
En rapport avec cette conception erronée, un singulier empirique, coiffeur de
son état et auteur de fameux traités de cartomancie, identifie l'esprit universel avec la matière première, et voit celle-ci le
véhiculant dans cette légère mousse qui
croît avec le temps sur les vieux toits de chaume et les ruines des édifices
(4).
Ce phénomène naturel, on pouvait l'admirer chez notre
auteur, de qui le pseudonyme Etteilla cache, par l'épellation à rebours, le
patronyme Alliette. Là, au numéro 48 de la rue de l'Oseille, dans le Marais, l'ingénieux
perruquier montrait, à sa clientèle d'un autre genre, moyennant une honnête
rétribution, les avatars de la matière, au sein du vase philosophal : Les vrais curieux du Grand Oeuvre, ainsi
qu'il en vient chez moi pour suivre les variations du mien, au lieu de donner journellement
trois livres préfèrent à tenir le rang de mes pensionnaires, trente livres par
mois: ce qui les facilite d'amener tantôt un savant, et tantôt un amateur (5).
Assurément, l'esprit, seul, est capable d'influencer la
matière, et les corps ne peuvent agir sur les corps, suivant que le répètent à
l'envi les vieux adeptes. Voilà pourquoi ceux-ci, à l'origine de leur création,
rigoureusement copiée sur celle de Dieu, insistent sur la nécessité que s'y
trouvent unis, pour l'œuvre commune, la matière et l'esprit. Ne faut-il pas les
reconnaître, l'un et l'autre, dans la dualité indispensable, au livre des Proverbes, où il est évident que Dieu
n'aurait pu se manifester sans la Mère primitive (Mater=matière) ? En ce lieu
n'est-elle pas la sagesse par excellence, la Vierge sainte, qui dit d'elle-même
:
Le Seigneur m'a
possédée au commencement de ses voies et j'étais dès l'origine (a principio),
avant
qu'il fit aucune chose
.
J'ai été établie dès l'éternité
(ab eterno), et dès le commencement, avant que la terre fût créée (6)…
Quel est donc ce chaos primordial, duquel Dieu laissa sur la
terre quelques fragments, à la disposition des hommes de bonne volonté? Quelle
est cette prodigieuse substance, dénommée aimant
par le mystérieux Eyrenée Philalèthe, qui est bien l'homme le plus étrange que
l'Angleterre ait produit ? Quelle prophétie cachent ces lignes de son célèbre
traité : Parce
que déjà Elie Artiste est né, et l'on dit des choses admirables de la Cité de
Dieu (7).
S'agirait-il de la longue période de prospérité et de
bonheur promise à l'humanité exsangue, par les découvertes récentes des
physiciens dans le monde atomique? On y attend beaucoup du Betatron, successeur perfectionné du Cyclotron. Peut-être cet appareil titanesque expliquera-t-il le
miracle que l'alchimiste provoque sans le comprendre, et qui revient simplement
à capter, avec le miroir idoine, ce fluide
universel, appelé, dans la terminologie scientifique moderne, rayonnement cosmique.
(1) Marcelin Berthelot, Les
Origines de l'alchimie, Paris, Georges Steinheil, 1885, page 285
(2) Ce petit traité, paru pour la première fois, en latin,
en 1623, acquit tout de suite une grande réputation : il fut également attribué à un adepte
anonyme, seulement connu sous le nom de Chevalier
Impérial
(3) Cyalini, Hermès
dévoilé, Paris, Chacornac, 1915, page 15
(4) Etteilla, Les sept
nuances de l’œuvre, Paris, 1785, page 3
(5) Ibid, page 23
(6) Livre des
Proverbes, chapitre VIII, versets 22 et 23
(7) Eyrenée Philalèthe, L’Entrée
ouverte au palais fermé du Roi, chapitre XIII, paragraphe XXVIII
Eugène Canseliet - Blicourt, 11 mai 1946
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