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SAVORET Hermétisme et poésie.
HERMETISME ET POESIE
André Savoret
(Paru dans la Tourbe
des Philosophes n°7 - 2ème trimestre 1979)
Pour beaucoup, un poète est qualifié d'hermétique, lorsque
son ou ses textes révèlent plus ou moins du monde trouble de l'infraconscient
ou d'un évident mépris des lois de la syntaxe et de la ponctuation.
Mépris regrettable, car ce qui distingue les écrits, vers ou
prose, authentiquement hermétiques, c'est qu'ils sont rédigés en un langage
correct, par des auteurs remarquablement conscients de ce qui est à dire, à
suggérer (ou à faire) et que leurs expressions imagées ou techniques témoignent
d'un constant souci d'intelligibilité.
J'entends ici qu'ils se veulent intelligibles à ceux qui
relèvent de la même discipline qu'eux. Ce n'est ni en malmenant la syntaxe, ni
en s'abandonnant aux fantaisies de leur subconscient, voire à ses cauchemars,
qu'ils écrivent de façon à demeurer obscurs aux autres.
Parallèlement, la riche iconographie alchimique, conçue pour
suggérer ce que la plume se retient de nommer ou de décrire, est aux antipodes
des productions anarchiques qui apparentent visiblement certaines œuvres
picturales d'aujourd'hui aux gribouillages des bambins ou aux dessins, plus ou
moins visionnaires, des aliénés.
Il suffit de compulser L'Anthologie de la poésie hermétique,
du regretté Claude d'Ygé, ou l'admirable Hortulus Sacer, de Douzetemps pour
mesurer le fossé qui sépare les deux ordres de productions.
J'apporterai cette fois la modeste pierre à l'édifice de la
poésie hermétique, en évoquant une alchimiste authentique, que je crois pouvoir
qualifier d'Adepte, presque contemporaine et dont les œuvres sont à peu près
introuvables. Il s'agit d'Irène Hillel-Erlanger qui, après avoir fait publier
chez Crès, en 1919, ses Voyages en kaléidoscope (1) - savamment
commenté par Eugène Canseliet (Note de
L.A.T. : in « Mithriaque
alchimique », n° 286 de la revue Atlantis, janvier-février 1976), -
disparut de la circulation, ainsi que toute l'édition commerciale de l'ouvrage.
Seuls quelques exemplaires dédicacés peuvent de loin en loin passer des
bibliothèques particulières chez quelque bouquiniste. Livre singulier dont la
gangue baroque dissimule ou protège une dizaine de pages précieuses,
constituant le témoignage que laisse traditionnellement tout Adepte au temps de
sa métamorphose, soit selon le sort commun aux mortels soit - et c'est sans
doute le cas ici - en un avatar d'un tout autre ordre.
Quoi qu'il en soit, notre alchimiste était ou est également
poète. Et sous le pseudonyme de Claude Lorrey (que je me garderai de
décrypter), elle publia, à tirage réduit, plusieurs recueils de vers, presque
aussi rarissimes que son livre terminal. J'ai justement sous les yeux l'un de
ces recueils dont je tairai la dédicace pour ne révéler que la devise de
l'ex-libris : " Siccat flamma lacrimas ". L'ouvrage est intitulé
simplement Poésie et édité à Bruges, en 1909. L'ensemble contient de belles
pièces en vers fort classiques, bien antérieures à leur publication si j'en
appelle à l'évidence interne. Le déchirement d'une passion sans espoir ni
vouloir de retour s'y exprime avec énergie :
Je souffre de ne plus souffrir - l'apaisement
Pour mon cœur est semblable à quelque cataclysme.
L'amour brisé, vaincu, sans joie, sans héroïsme ;
Plein d'un mortel poison, expire
mollement...
Mais de tels vers, étrangers à mon sujet, ne m'attarderont
pas. Par contre, I'Allégorie liminaire qui ouvre le recueil et que je tiens
pour le dernier en date, est un morceau hermétique non équivoque, à la fois
mystérieux et précis dans ses allusions.
Allégorie liminaire
L'écorce sans éclat de la grenade close
Recèle un pur trésor lucide et savoureux ;
Le miel, rayon brillant, parmi l'ombre se pose ;
Et dans l'obscurité, bien souvent tu reposes,
Eau limpide et glacée, cristal délicieux.
L'ivoire et le carmin des roses qui se fanent
Embaument d'un parfum plus doux la paix du soir ;
Et, sereine beauté, loin du regard profane,
Rêve de marbre lisse et de splendeur diaphane,
Dort la blanche statue au fond du temple noir.
Sous le feu du soleil, à la lueur de l'ourse,
Le pèlerin gravit des sentiers sourcilleux.
Mais, parvenu enfin au terme de sa course,
En un jardin secret, il trouvera la source,
La grenade et la rose et le temple d'un dieu.
Heureux qui sait garder un beau trésor intense :
Cœur et mains purs, amour, espoir, recueillement,
Et, dédaignant la vie et le sort sans clémence,
Comme en un bois sacré plein d'ombre et de silence,
Dans la divine paix peut rentrer par moment.
Je voudrais commenter le moins possible... Le premier
quintet s'ouvre sur une allusion á la Grenade emblématique, présente dans
nombre d’écrits et de gravures alchimiques comme dans les curieuses sculptures
de mainte " demeure philosophale ".
Elle nous indique la Voie choisie par l'Adepte, celle de
l'aridité apparente du minéral en gestation, aridité ignée sous quoi se
dissimule cette " eau limpide et glacée, cristal délicieux " (2) -
faute de quoi l’œuvrant ne serait qu'un simple chimiste, pour ne pas dire un
" souffleur ".
Le second fait une allusion directe aux couleurs de l’œuvre,
et nous avertit que la " blanche statue dort au fond du temple noir
". " Qui ne noircit pas, ne blanchira pas " est une sentence souvent
reprise par les bons auteurs. Et le terme " statue " n'est pas pour y
contrevenir, n'étant autre que celle qui illustra le nom de Pygmalion.
Sur le troisième, je serai peu prolixe. En lieu et place
d’exégèse, je me contenterai de décrire l'un des Emblèmes gravés par Girolamo
Porro (XVIe siècle) : " Quittant un rocher entouré d’eau, un aigle s’élève
vers l’Ourse soutenue par une nuée ». Et je n'aurais que l'embarras du
choix si je voulais citer l'un des textes hermétiques qui, à toutes époques,
recommandent au chercheur avisé de se guider sur l'étoile polaire ou sur la
constellation de l'Ourse.
Les deux derniers vers associent la Source, la Grenade et la
Rose : trois étapes capitales de l’Œuvre, si j'en crois les bons auteurs.
Quant au quatrième quintet, il est un peu, si j'ose dire, un
hors d’œuvre, encore qu'il renferme certaine allusion répondant à l'une des
propriétés attribuées á la Pierre parfaite.
Mon propos n'est pas d'élucider l'hermétisme de ce poème,
mais de faire sentir que cet hermétisme existe et qu'il s'exprime avec maîtrise
et discrétion en une forme qui l'oppose aux contrefaçons d'une certaine poésie
chaotique, qui peut parfois piquer la curiosité, mais non la satisfaire.
(1) Réédité depuis, par J. Laplace.
(2) On lit dans L'Escalier des Sages de Barent Coender Van
Helpen : " Vous saurez... que la Menstrue des Philosophes est une matière
luisante, à laquelle les vrais Philosophes ont aussi pour cela donné le non de
Aqua glacialis lucida, qui est à dire : De l'eau glacée luisante. "
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