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HENRI DE LINTHAUT Commentaire sur le "Trésor des Trésors" de Christofle de Gamon (1610) - 3ème partie





Vignette de couverture du commentaire du "Trésor des trésors" 
d'Henri de Linthaut


COMMENTAIRE DE HENRI DE LINTHAUT

SUR LE "TRÉSOR DES TRÉSORS"

DE CHRISTOFLE DE GAMON


1610


(3ème partie)


Voila le chemin ouvert pour parvenir à ce grand secret, & le tempérer à la nature
duquel métal imparfait qui on voudra, principalement de celui auquel le Mercure
vulgaire se peut égaler étant préparé, cuit & fermenté, & aussi aux qualités du
Soufre dudit métal, lequel le doit congeler, car

Le Mercure des métaux imparfaits tient le milieu entre le Mercure cru,
& le cuit, comme le verjus tient le milieu, entre l’eau & le vin.

Le Mercure vulgaire requiert de nous cette proportion en l’échauffant,
dessèchent & fermentant proportionnellement. Et quand il est ainsi approprié au
Mercure des corps imparfaits, il n’est plus vulgaire, mais Philosophal, & lors il n
est nécessaire de le préparer : car il y a certain corps dans lequel le Mercure des
Philosophes est caché, mais le moyen de l’en tirer est fort difficile. Or ne
pouvant aisément avoir celui-ci, il le faut faire monter, afin qu’il lui ressemble,
& l’arrêter sur le sommet de cette proportion. Mais c’est une maxime que

Si la préparation du Mercure vulgaire n’est enseignée par un artiste,
ou révélée divinement, il est hors de la puissance humaine d’y
parvenir.

Nous réservons donc ce grand secret sous la clef du silence, ayants assez fait de
vous avertir, avec notre Poète, de ne mêler le Mercure cru avec l’Or, sans l’avoir
préparé, afin que vous ne perdiez votre temps & votre dépense, & ne soyez
contraint par le désespoir de démentir cet art véritable.

Je me ris donc de ceux dont l’espérance fière
Pense enfanter cet œuvre, ignorant la matière :
Car qui ne fait l’entrée au bout n’arrivera,
Et qui ne sais qu’il quiert, ne sait qu’il trouvera.
Je me ris bien de ceux qui laissant la prochaine,
Veulent réduire l’Or en matière lointaine :
Comme si l’animal, engendrant, ne donnait
Le sperme, sa matière, ainsi en poudre retournait.
Mais je veux que pat eux l’Or se soit vu détruire,
(Si l’art le peut défaire, aussi bien que construire :
Vu qu’il souffre, indompté, la froidure & l’ardeur)
Quels refaiseurs si grands referont sa grandeur ?
Je me ris de tous ceux qui cherchent les teintures
De l’Or & de l’Argent, ès étranges natures,
Es yeux de maintes bêtes, ès herbes, ès cheveux,
Es serpents, scorpions, vers, & coques des œufs,
Es, fols, pensent parfaire une œuvre si divine,
Par le sang, les crapauds, la fiente, ou l’urine.
Ils veulent, aveuglés, par la laide noirceur
De l’encre & du charbon, former une blancheur :
Ils amusent le Monde, & abusent encore,
Ils déshonorent l’art, & l’art les déshonore :
Mais ils sèment l’ordure, ils la moissonneront,
Car les choses, sans plus, donnent ce qu’elles ont.

a) Le Poète se moque galamment, & se rit ici à bon droit de trois sortes de
Philosophastres, les uns travaillants confusément, les autres voulant faire plus
que l’art ne peut ni ne requiert, les derniers cherchant des choses étranges &
illégitimes, pour la matière de notre œuvre. Nous commencerons par la première
bande la plus sotte & plus blâmable, vu que la chute d’un savant est plus lourde
que celle d’un ignorant. Certes la confusion est dangereuse en tous états,
mêmement là où la simplesse l’accompagne à tâtons. Et est une grande misère
que ces misérables souffleurs ne veulent ni ne peuvent considérer la possibilité
de la Nature, qui ne va point d’une extrémité à l’autre, sans passer par le milieu.
Ainsi se montrent-ils les plus ignorants de tous. Car si l’on fait conter à un
enfant une rangée d’écus, ne commencera-cil pas par un bout, pour venir par
ordre jusqu’à la fin ? Un oiseau saurait-il voler d’un arbre à l’autre, sans battre
le vide de l’air qui est entre-deux ? De penser seulement le contraire, ce serait
démentir ses propres sens. Le mouvement le plus vite comme de la balle du
canon, & de la foudre, a son commencement, son milieu, & sa fin. Comment
feraient-ils donc ce grand œuvre, n’en sachant seulement par le mariage du mari
rouge & sa blanche femelle, afin de, procurer par une mutuelle altération la
concurrence des spermes des deux, faisant naître l’azoth, ou Lion vert, tant
souhaité des Sages? Comment pourraient-ils, d’une flèche acérée atteindre
L’Aigle blanc, & surprendre le Lion rouge en sa chaude tanière ? Mais comment
congèleront-ils le Mercure comme il faut, qui ne savent-pas seulement le joindre
légitimement avec son agent, qui lui sert, de présure, comme la chardonneret te
au lait ? Comment, dis-je, le congèleront-ils, quand ils n’ont commencé par la
solution de son ferment, base de la fixation ? Car

Ce qui congèle le Mercure, le fixe, & le teint par même moyen.

Ainsi, faisant cette faute, ils ne produisent que des sophistications, dont la
moindre est- quelquefois suffisante de faire gagner à son maître le Paradis par
escalade.

b) Les seconds pensent faire plus que le huitième des Sages de Grèce, quand ils
espèrent rendre leur Or en la matière dont Nature s’est servie en la procréation
de l’esprit corporel du Monde, ou en la semence du Mercure hermaphrodite,
lequel ni l’air, ni le feu, ni la Terre, ni le Soufre, ni l’Antimoine ni les
Marcassites, ni chose aucune ne pourraient détruire. Toutes choses naturelles ne
peuvent rien en l’Or, moins en la matière qu’on tire de lui. Car tant plus ils
agissent eu icelle, plus elle devient noble & forte. Comment donc déferont-ils ce
nœud, où toutes ces choses si violentes ne savent rien faire, tant ce corps
approche de la simplicité ? Car plus on le presse à la séparation, ou matière
divisible, à laquelle ces rêveurs le pensent faire reculer, plus il s’avance vers la
simplicité complète, de laquelle il est le plus proche. Notez donc que l’Or ne
peut être divisé en deux parties différences, mais en deux égales, donc l’une sera
rouge, l’autre blanche, ou terre volatile, &l’autre fixe. Non que la partie volatile
soit de son corps (comme le Mercure des imparfaits peut être séparé de son
Soufre ou sel) laissant sa partie fixe en bas : mais on peut prendre certaine
quantité de l’Or, & la sublimer, & en réduire une autre quantité (sous la
conservation de sa fixité) en un corps transparent & propre pour fixer derechef
l’autre quantité volatile. Car

L’Or monte tout en sublimant, ou demeure tout au fond en se
clarifiant.

Je ne nie point qu’il ne faille réduire l’Or en sa première matière, & cela ou par
voie manuelle, comme quand on en fait le Soufre arsenical, en sublimant, ou par
la procédure de la Nature & l’art, en le dissolvant, & altérant par son menstrue, ou par le Mercure des Philosophes. Car la réduction est la première règle en la pratique de l’œuvre, où l’artiste défait en peu de temps tout ce que la Nature a
bâti en beaucoup d’années, réduisant son œuvre en sa première matière
métallique, à savoir en forme mercurielle ou soufreuse, & non en matière
aquatique ou poudreuse, par laquelle, quand cela ferait bien possible, tout serait
perdu, Car

Il n’est qu’en la puissance de la Nature de faire le Mercure, en
prenant de l’eau & de la terre.

c) La troisième escadre semble porter envie aux deux autres troupes. Car
concevant mal le sens des Philosophes, ils ne produisent que choses
monstrueuses. Ils tâchent à assouvir leur appétit désordonné d’avarice, par des
viandes descendues des médecins Philosophes, ou hébétés d’une supine
ignorance, élisent pour base de leurs bâtiments des étoffes ruineuses & étranges,
& les cherchent ès herbes, ès coquilles des œufs, au sang & autre ordures que leur reproche nonce Poète. Mais quand ils ont bien sué, ils n’ont rien fait, &
demeurent en leur erreur, trompés de ce que les Philosophes disent, La matière
de la Pierre est en toute chose, comme nous avons dit ci-dessus. D’autre
part il y en a qui ne sont point sots, mais très méchants, qui usent de choses
improportionnables, pour décevoir les gens de bien, & de ces choses tâchent de
tirer du vif argent, des huiles & des eaux, qu’ils nomment les quatre Eléments.
Item sel Armoniac, Arsenic Soufre & Orpiment, dont ils auraient plutôt fait de
les acheter tous faits par la main de la Nature. Ils cherchent aussi des teintures
dans des choses végétales & sensibles pleines de combustibilité & terrestréité, ainsi, presque du tout exemptes d’humidité : & laissant l’Or & l’Argent, dont la semence leur pourrait par un labeur légitime & l’aide de la Nature, apporter du fruit sans fin. De fait en iceux est ce que nous cherchons, & non en autre chose du Monde, car le reste plein de puanteur & d’imperfection, ne peut endurer l’examen du feu. Il y a outre ces trois sortes d’Alchimistes, d’autres plus sages,
prenants pour leur sujet les quatre esprits capitaux, comme le Soufre vulgaire,
l’Arsenic, l’Orpiment, & le sel Armoniac, & pensent en produire une bonne
teinture. Mais ils ne le peuvent, comme il appert par cet axiome définitif,
Teindre n’est autre chose, que réduire le teint en sa nature, & demeurer avec lui,
sans transformation, en enseignant la nature de batailler contre le feu. Car la nature du teignant s’accorde à celle du teint.

De fait, si vous teignez avec l’Or ou l’Argent l’Etain, le plomb ou autre
semblable, l’accord est aux natures, parce que tous ont pris leur origine du
Mercure. Le mûr est ici joint avec le non mûr, afin que le non mûr devienne
parfait par le mûr. Mais ces quatre esprits susdits, étant différents en nature
d’avec les métaux, je demande s’ils doivent teindre, s’ils seront convertis, ou
s’ils convertiront. S’ils doivent être convertis, ils ne sont point teinture, comme
il appert par la définition susdite, S’ils doivent convertir, ils convertiront la
chose teinte en leur nature, laquelle est terrestre & étrangère aux métaux. C’est
pourquoi ils ne peuvent, en teignant, faire un métal. Et qu’en teignant, ils
convertissent le teint en leur nature se prouve par cet axiome, 

Tout ce qui engendre produit son semblable.

A cette raison étant la teinture de ces quatre esprits génératifs, la Terre
engendrera une chose semblable à soi, & terrestre. Pourtant fuyez toutes ces
choses qui ne s’accordent à la Nature, comme les cheveux fumants, le cerveau,
la salive, le lait des femmes, le sang, l’urine, la fiente, l’embryon, le menstrue, le
sperme, les os des morts, les poissons, les oiseaux, les vers, crapauds, & basilics
naturels & artificiels, où gît une grande fable. Ne cherchez aussi les sucs des
végétaux, & mêmement les deux Simples, nommez l’un Lunaire, l’autre Solaire.
Gardez vous de prendre aucune chose dont les Philosophes se sont servis de
comparaison, comme quand ils disent, Prenez de l’Arsenic blanc, du
Soufre vif, Thériaque, Lune fixe, &c. parce qu’ils entendent autre chose par
ces mors là. Ceux qui feront le contraire se tromperont eux-mêmes, car en
trompant les autres, voulant par une chose méchante faire une chose bonne, &
par une chose défectueuse suppléer au défaut de la Nature. Croyez donc notre
Poète, que celui qui sème l’ordure ne moissonnera point le froment : fuyez
comme conseille le bon Trévisan, tous sels, aluns, couperoses, Attraments,
vitriols, borax, pierre d’aimant, & autres pierres minérales précieuses, & le talc, & le gypse. Laissez tous métaux seulet : car bien que par eux soit l’entrée, vous n’en feriez rien, & moins des moyens minéraux. Car bien qu’on en puisse faire des métaux, ils ne le seront qu’en apparence. C’est donc folie de chercher en une
chose ce qu’elle n’a point en soi. Je vous veux toutefois sceller qu’on trouve au
centre de la Terre une terre vierge, laquelle purgé par l’eau & le Leu de son
péché originel, comme dit le docte Penot, est le sujet de toutes merveilles. Car
d’icelle, moyennant le Mercure du grand Monde, l’art peut tirer tout ce que la
Nature engendre ès entrailles de la Terre, soient métaux parfaits ou imparfaits, &
sept sortes de sels, autant de Mercures, & autant de Soufres, avec la gomme
Azotique de Raymond Lulle, sa Lunaire, polaire, Ciel, Tartre, sel Armoniac, &c.

Mais (a) poursuivons notre œuvre, & qu’ils suivent leurs voies :
Ils se trouvent enfin, orphelin de leurs joies,
Et quoique l’on leur crie, ô pauvres obstinés,
Ils aigrissent leur mal, étant médicinés !
Comment donc, pour n’errer, opere ores le Sage ?
Du (b) Soufre & du Mercure il fait un mariage,
Qui par (c) un juste poids, en vertu modéré,
Engendre au clair vaisseau, (d) l’Elixir désiré.
Car c’est d’un tel surnom que l’Arabe l’appelle,
Pour receler, prudent, une poudre si belle,
Qu’on nomme Pierre (e) aussi, parce que fixement,
Sa fermeté subsiste en un feu véhément.

a) La folie a tellement congelé, & fixé l’humeur visqueuse & lunatique du
cerveau de nos Alchimistes, que je crois que ni le Ciel, ni le Mercure des
Philosophes mêmes, ne pourrait résoudre en sa première matière cette pierre
dure qui va roulant dans la tête sophistique de ces obstinés. Mais quand on
l’aurait amollie, je m’assure que tout l’Ellébore d’Auvergne, de Languedoc, ni
des Pyrénées alambiqué & rendues purgatif spécifique pourrait en purgeant,
vider cette humeur gluante. Et quand on les aurait ramenés en leur bon sens, par
l’aide du grand Elixir, ils se prendraient encore à leur Médecin, fâchés qu’il leur
ôtât ce plaisir, où ils se baignent se promettant en idée mille félicités &
richesses, ne respirant que des Baronnies, des Comtés, voire des Royaumes, &
enfin un pouvoir sans limite. Mais ils ne se prennent garde, que, bâtissant leur
palais imaginaires, il leur arrive le plus souvent comme à ce Tharsis, qui de
pauvre Pêcheur, croyant devenir grand Seigneur, & chantant sa fortune future,
tomba dans la Mer, qu’il vouloir abandonner par mépris, & dont notre Poète
même chante plaisamment le destin dans ses premières œuvres, où l’ayant fait
parler, il conclut en ces mots,

Ainsi chantait Tharsis, n’ayant rien si a cœur,
Que d’accroître, ébloui, son renom & son heur
Mais il se vit trompé : La malheureuse pente
Du roc qui le portait, fut sous lui trop glissante,
Car le pauvre Tharsis, s’en voulant aller,
Se sentit du plus haut jusqu’au gouffre couler :
Il s’agrafe des mains, l’ongle & les bras lui faillent.
Il chet, la Mer en bruit, lors les ondes qui baillent.
Le baillent aux poissons, & lui qui auparavant
Des troupeaux de Neptune, gaillard, allait vivant,
Se voyant ore appât des troupeaux de Neptune,
De maints cris éclatants importune Portune
Glauque s’en ébat : L’escadron argenté
Des Nymphes de Thétis, la rivagère AEté :
Duryméduse & Thée, & Janire attrayante,
Accoutrent de vitesse, à la roche noyante :
Mais connaissant Tharsis, en lieu de l’assister,
Aux flots & aux poissons le laissent emporter !
Et lors le malheureux, par cette mort cruelle,
(Comme Icare jadis) fit la Mer immortelle.

De même en avaient-il à nos pauvres Alchimistes, qui bâtissant leur fortune sur
des fondements ruineux, se trouvent enfin précipités du faîte de leurs prétentions
en l’abyme du désespoir. Mais revenons à notre sujet.

b) Nous avons dit ci-devant que c’est que Mercure, & Soufre des Philosophes, à
savoir deux substances homogènes & de même nature, qui sont le Mercure
animé, & l’Or, qui ne diffèrent sinon en ce que l’un est masculin congelé & fixe par Nature, & l’autre féminin, volatile, & animé part art, lesquels, assemblés selon l’intention des Philosophes, & gouvernés par une due proportion du feu, engendrent un corps plus parfait que celui dont ils ont puisé leur origine. Or
pour parvenir à cette perfection, le Philosophe dépouille le Roi de ses ornements
Royaux, le mène au bord de la fontaine, & là le hache en pièces bien menues, & le jette dans ladite fontaine, son amie, pour être régénéré en un corps plus beau,
& changer sa vieillesse stérile à une fertile jeunesse, par laquelle il acquière le
moyen de s’habiller d’habits dix fois plus beaux qu’auparavant, par le dot que
lui apporte la fontaine son amoureuse, qui lui avait fait l’amour si longtemps. De
fait c’est le naturel de la femelle d’attirer le mâle à ses amours, & non celui du
mâle d’attirer la femelle. Car la Nature non jamais oisive, agit en elles, les
émouvant à la génération de leur espèce, afin de se multiplier & perpétuer. Donc
ce mariage du Soufre & du Mercure est appelé des Philosophes, Rebis, ferment,
(toutefois manuel,) parce que ledit Soufre ou Or est le vrai Levain de l’Elixir,
maintenant un vrai mariage du mâle & de la femelle, qui donne espérance à leur
sage Tuteur d’en voir en son temps de la lignée, qui est la Pierre qu’ils déguisent
ainsi, pour abuser les ignorants, qui ne regardent qu’à l’extérieur de leurs écrits.
c) Celui qui veut dûment exercer cet art, & faire une multiplication, fixation, ou
minière, doit savoir sur le doigt le poids de chaque chose. En ceci se trompent la
plus part de non Alchimistes. Car s’ils mettent trop de la chose volatile en la
fixe, la patrie volatile emporte la meilleure partie fixe. Au contraire si la fixe est
plus forte que la volatile, elle retient la meilleure partie volatile avec soi. Pour ce
il faut modérer un poids selon la vertu des étoffes & en cela nécessairement
suivre la Nature. Mais comment le feront-nous : Qui est d’entre les voyageurs
des royaumes Plutoniques, qui ait jamais trouvé aucune balance ès boutiques de
la Natures. Nous en attendons encore le rapport, & cependant le poids est
nécessaire. Notez donc, que le poids, comme dit le Comte Trévisan, n’est requis
là où il n’y a qui une chose, car il n’est question que du poids en vertu. Mais où
il y en a deux, il les faut peser, pour les proportionner selon la quantité requise.
Ainsi le poids des Philosophes se donne au regard du Soufre qui est au Mercure,
& en ceci consiste tout le secret, dont remarquez cette maxime, que

Le feu qui ne domine point au Mercure, est celui qui digère la
matière.

Imaginez donc combien le feu est plus subtil que l’eau, l’air ou la Terre, &
combien il en faut pour pouvoir vaincre les autres. Par ainsi le poids est en la
première composition élémentaire du Mercure, & n’est autre chose, comme dit
le susdit Trévisan. Si vous êtes Philosophe, vous jugerez qu’il faut que la Nature
fasse le poids : car elle ne peut errer, & ne prend plus qu’il ne lui faut, vu quelle
est la juste & sage dispensière des trésors de l’Eternel. Il faut donc que vous
fassiez premièrement la conjonction ou composition, puis altérant, &
mixtionnant, l’union se fera, là où vous n’aurez à faire du poids. Pour ce si vous
désirez être vrai artiste & bon disciple de la Nature, il la faut imiter en tous les
faits, proportionnant votre poids au sien : autrement vous vous en pourrez
repentir, comme dit à ce propos le Code de toute retiré, Si tu fais mixtion sans
poids, il adviendra de la retardation par laquelle tu seras découragé.
Abugazab maître de Platon, a laissé par écrit en fort peu de paroles, mais
vraiment dorées, tout le secret du poids des Philosophes, disant, La puissance
terrienne sur son résistant, selon la résistance différée, est l’action de
l’agent en cette matière. Ces paroles sont le vrai fondement du poids,
lesquelles le bon Trévisan a épiloguées, & ne les a voulu expliquer, pour ne
rompre son vœu fait à Dieu, à la raison & aux Sages, comme nous le faisons
aussi pour n’encourir leur juste indignation.

d) Elixir est un mot Arabe, comme dit fort bien notre Poète, qui le prend ici pour
la Pierre parfaite en sa blancheur ou rougeur. Car
La pierre des Philosophes n’est autre chose que la très parfaite
teinture de l’Or & de l’Argent.

Geber nous en donne trois ordres, dont le premier est un Soufre blanc, toutefois
non exactement fixe, pour ce n’arrête-t-il le Mercure que de même. Le second
est un Soufre blanc fixant parfaitement le Mercure. Le tiers un Soufre blanc &
rouge, qui se peut multiplier en vertu & quantité, & fait projection sur les
imparfaits métaux. Isaac Hollandais est un peu différent en ces trois fortes de
médecine ou Elixir. Car par le premier il fixe parfaitement, par le second il fixe
& fait projection sur les métaux mondifiés, & par le tiers fait projection
indifféremment sur les métaux impurs, sans les préparer aucunement. Mais en
voici la vraie définition pour bien distinguer tout ce qui est requis pour ce
regard.

Elixir n’et autre chose que le corps résout en eau Mercuriale.

Et comme dit Trévisan en sa lettre responsive, Elixir est dit de E, qui lignifie ex,
& Lixis qui signifie Aqua, parce que de cette eau, à savoir Mercuriale, toutes
choses sont faites. Il en donne un bel exemple, quand il dit, En la médecine
on joint l’eau simple de la fontaine en la première décoction par
élixivation avec la chair d’un poulet, & par le premier degré de la
décoction apparaît du jus, & une décoction bonne & parfaite, étant en effet dissoutes en l’eau les parties aqueuses &aérées de la chair dudit poulet, quoique la terre & le feu y soient aussi en effet. Mais afin que ladite médecine devienne un restaurant plus parfait, on broie la chair cuite, & y joint-on le jus, avec un feu plus fort ose distille le tout : de sorte que ce n’est plus qu’une chose, où le subtil de la terre & le feu
se sont mêlés avec les parties aqueuses & aérées du poulet, dont toute
la vertu est en cette liqueur. De même se fait-il en notre Elixir, oui l’esprit
cru minéral, comme l’eau, est joint avec son corps, qui est notre Soufre, le
dissolvant en la première décoction, & premier degré du feu. Ainsi de ces deux
choses est composé l’Elixir, à savoir d’une eau teinte, ce qu’il faut noter pour
bien entendre le Poète.

e) Nous avons dit ci-dessus que la Pierre n’est autre chose que la très parfaite
teinture de l’Or & de l’Argent, mais il faut noter, qui il y a trois sortes de Pierre,
minérale, végétale, & animale, donc chicane est double, à savoir blanche &
rouge. Mais le grand Rosaire dit que la Pierre est dite toute chose, parce qui elle
a de soi & en soi toute chose servant à sa perfection. Et Vincent dit en son miroir
naturel, Notre Elixir est dit Pierre & non Pierre : Pierre parce qui il
peut être broyé, & non Pierre, parce qu’il se fond, & comme dit notre
Poète, parce qu’il demeure fixe dans le feu. En fin il est au (fi dit Pierre, parce
que le Philosophe y bâtît toute sa félicité, après Dieu, en cette vie.

Mais dois-je être ébloui d’une vaine apparence,
Préférer, veuf de pitié, mon envieux silence,
Au seul respect de ceux dont la crainte a caché
De cet œuvre divin le secret recherché ?
Certes, ma franche humeur le vrai ne peut dédire :
Car le Dieu dont l’amour si grand chose m’inspire,
N’enseigne le savoir par qui l’Ouvrier est fait
D’un Alchimiste faux, lachrymide parfait.
Quand donc l’Artiste a mis la matière en sa place,
Jusqu’au temps accompli sa main ne la déplace :
Elle est comme l’enfant, qui ne doit être ôté
Du ventre maternel, jusqu’au terme arrêté.
Car l’air refroidissant sa chaleur naturelle,
Détruirait la vertu de son âme nouvelle.
L’âme n’est que chaleur, & la matière après,
Ne pourrait d’aucun feu se parfaire jamais.
Voilà donc décelé ce tant scellé mystère,
Que l’enfant est enclos dans la Lune sa mère :
Car que peut voir notre œil sous le cours du Soleil,
Quand soit mieux que le verre à la Lune pareil :
Le verre à la couleur clairement pâlissante,
La Lune à la couleur pâlement éclairante :
Lui reçoit près du feu les couleurs des vapeurs,
Elle aussi les reçoit du Dieu porte-chaleurs.

Le Poète découvre ici un grand secret à savoir que depuis que l’Hyménée du
Soufre & du Mercure est fait, le Philosophe qui en a été le Paranymse ne visite
plus la chambre nuptiale, jusqu’à ce que le mariage est accompli, & l’enfant
conçu & né. Il fait comparaison de cet Embryon agissant à celui de l’animal
raisonnable, qui ne peut ni ne doit être visité, jusqu’à ce que de soi-même il
ouvre la matrice & désire la lumière : Comparaison que le vrai Philosophe doit
bien éplucher. Le Saturne donc opère le premier en l’union des deux menstrues,
en congelant & éteignant, au premier mois, par sa froidure & siccité, la matière en une masse. Le second mois Jupiter opère par sa chaleur bénigne, digérant
ledit congelé en quelque masse charnue, qui lors s’appelle Embryon,
commençant à démontrer les signes de son genre, toutefois communs à tous
animaux. Le troisième mois Mars agit dans la matière par une chaleur & siccité
haussée & plus forte, par laquelle il la divise, & dispose les membres. Le
quatrième le Soleil, comme Seigneur de cette génération, infuse l’esprit, & lors
elle commence à se mouvoir & vivre. Le cinquième mois Mercure prend sa
place en ce travail, faisant les trous & respiraux. Le sixième Vénus dispose les
sourcils, les yeux, les parties honteuses & autres semblables. Le septième vient
la Lune, & avec son humidité & frigidité travaille à sortir l’enfant, & s’il naît en ce temps il vit avec difficulté, & ne naissant point, se débilite. Dont Saturne
reprend le gouvernement au huitième mois, contraignant l’acception de l’enfant
par sa froideur & sécheresse, & s’il naissait lors ne pourrait vivre. Le neuvième mois le débonnaire Jupiter rentre en besogne, & par sa chaleur vivifiante recrée les forces débilitées de l’enfant, en le nourrissant, & lors étant renforcé, l’enfant change sa chambre obscure à cette grande & lumineuse Sale de l’Univers. Les mêmes considérations faut-il avoir en la génération de notre Pierre. Notant en
outre que l’eau conserve trois mois durant notre matière dans la matrice, qui et
notre vaisseau. Autant de temps le garde & fomente notre feu, auquel succède en
même opération l’air chaud par trois mois. Toutefois notre enfant ne peut sortir
du ventre de son vaisseau que les vents dudit air ne soient discutés par le feu
Solaire, mais après il sort, ouvre la bouche, & désire qu’on l’allaite, c’est-à-dire
qu’on le refasse & incère. Par là vous êtes instruit d’égaler la dose en vertu avec
la propre matière, la mettre dans le vaisseau où il la faut enfermer, sans l’en
tirer, jusqu’à la fin de l’œuvre. Il faut seulement user des degrés requis &
proportionnés à la température de la Nature, qui seule nous produira ce que nous
désirons. Au contraire, si nous faillons en ces choses, elle nous produira un faux
germe, ou quelque autre nouveauté. Tout le mystère de l’œuvre se fait donc par
une seule voie & pratique sans lever la matière de son vaisseau, ni la refroidir
aucunement. Car

L’or, résout une fois en esprit, s’il sent le froid, se perd avec tout
l’œuvre.

Donc si la matière congelée après la dissolution, & desséchée, se refroidissait,
elle s’endurcirait & restreindrait tellement ses pores, qu’elle éteindrait &
dissiperait ses esprits, sans les pouvoir jamais restaurer, parce que la douceur du
feu requise à sa décoction, ne pourrait pénétrer jusqu’au profond de la masse
trop compacte, ni l’échauffer également, sans fortifier le feu, ce que faisant, on
la brûlerait, ou la contraindrait-on de s’en aller : Car l’air serait évanouir son
esprit, sans le pouvoir rappeler, comme il arrive au bas or des rivières, lequel
emporté par grains en forme de sablon, par l’impétuosité des torrents passants
par les minières, & brisants les vaisseaux naturels, avant sa parfaite décoction,
ne peut après par aucun feu artificiel, être parfait, comme il l’eut été par le soin
de la Nature, s’il fût demeuré dans son vaisseau, & sur la chaleur continue
qu’elle lui administrait, comme nous l’avons montré ci-devant en la génération
des métaux. C’est ce que veut dire notre Poète, touchant la comparaison de
l’enfant avec notre divin œuvre.

Dirai-je que le feu, père à cette grande Pierre,
Semble au feu qui contourne & féconde la Terre?
Car comme le grand Roi des clairs flambeaux des Cieux
Fait que la vapeur monte au Vide spacieux,
Et faisant sur la Terre une céleste ronde,
Fertilise du Ciel tout le terrestre Monde :
Ainsi le feu cuisant du sage opérateur
Pousse sur sa matière une lente vapeur,
Pour, contournant toujours la matière croissante,
Former l’œuvre plus beau que la Nature enfante.
Quand après l’âpre Hiver, le souverain Flambeau
Ramène sur la Terre un jeune Renouveau,
Sa fertile chaleur, art commencement douce,
En émouvant le germe, ès racines se pousse,
Les racines après ressentant ce doux chaud,
Joyeuses d’enfanter, tirent leur sève en haut,
Cette sève se pousse ès branches ocieuses
Qui lors vêtent leurs bras de verdeurs gracieuses,
Puis le chaud peu à peu, renforçant ses vertus,
Durcît le poil nouveau des arbres revêtus,
Les arbres souffrent puis une chaleur plus forte,
Et la forte chaleur la maturité porte.
Mais si quand l’Hiver triste a tondu la verdeur,
Le Soleil, tout d’un coup, renflammait son ardeur,
Brûlant les arbres nus & séchés de froidure,
Il viendrait, non produire, mais détruire Nature :
Ainsi pour procréer cet ouvrage excellent,
Lorsque le feu commence, il doit être plus lent,
Puis montant par degrés, doit la Nature ensuivre,
Qui soudain peut tuer, mais soudain ne fait vivre,
Vu que plutôt qu’au naître, à la mort tend toujours
L’ouvrage où de la hâte est admis le secours.
Pour ce du lait bénin la viande légère
Est des tendres enfants la pâture première,
Puis quand ce mets liquide a fait leurs os plus forts,
De plus forte viande on sustente leurs corps.
Comme un corps mort ne cuit, lors qu’un Damon y entre,
Par faute de chaleur, ce qu’il met dans son ventre,
Ainsi l’esprit moteur dont l’aide opère ici,
Sans ce chaud naturel, ne le digère aussi.

Le Poète nomme ici le feu, Père de la Pierre, & est le feu naturel. Ensuite il traite
du feu extérieur, & de son gouvernement, dont il donne trois exemples pris du
Soleil en la permute saison de l’année, de l’estomac, & d’un jeune enfant,
concluant toutefois que si le feu naturel n’est en la matière, ou est éteint par
l’ignorance ou négligence de l’artiste, que l’extérieur n’y peut plus rien faire,
dont il amène la comparaison d’un esprit étranger en un corps mort. Quant au
reste, il est assez clair, toutefois je dirai en passant qu’il faut que votre feu
allume le feu de dans le vaisseau, & le garde de s’éteindre, comme veut Ripley,
quand il dit en ses douze portes Qu’est-ce que vous vous amusez à
l’entour de votre feu, faites votre feu dans votre, vaisseau. Ainsi nous
avons double feu, le Soufre naturel, ou de la Nature, & le feu instrumental,
aidant l’un à l’autre. Si bien que le feu est tout l’art dont s’aide Nature. Le
Trévisan dit qu’il a mis son vaisseau au bain & au fient, mais pour néant, & sur le feu de charbon qui était encore pis : car sa matière sublimait. Notez par là que
la chaleur des minières est nulle, ou comme insensible, car si elle y était, son
ouvrage se ferait tout à coup. Donc il nous faut un moteur catcheur pour hâter la
besogne, & n’importe qu’il soit feu de lampe, de fient ou de charbon, étant
appliqué selon la proportion de la matière changeante de nature en nature, &
selon que le moteur intérieur du vaisseau pousse soi-même à l’action. Il faut
donc, comme dit le Trévisan, faire feu digérant, continuel, non violent, subtil,
environnant, aéreux, clos, incomburant, & altérant, & En mon vrai Dieu, (dit-il) je t’ai dit tante la manière du feu. Or qu’il ne le faut précipiter, oyez ce
que dit le grand Rosaire, Gardez de vouloir parfaire votre solution avant
le temps requis, car cette hâte est signe de privation de conjonction. A
ce propos dit aussi Marie prophétesse, Le feu fort garde de faire la
conjonction. Et notez ce secret, que le Mercure est tout notre feu, comme feu
de cendres, de bain, & de charbon nu, & cela selon qu’il est vif, ou mortifié,
blanchi ou rougi, changement que vous devez suivre, proportionnant votre feu
extérieur à la chaleur du bain, des cendres du sablon, & du feu nu. Si vous êtes
maintenant bon artiste &Philosophe, vous entendrez ce que doit être votre feu.
Regardez ce que dit à ce propos la lumière d’Aristote, Le Mercure se doit
cuire en un triple vaisseau, pour évaporer & convertir l’activité de la
sécheresse du feu, en l’humidité vaporeuse de l’air circuissant la
matière. Et le Trévisan en sa pratique allégorique met un mur circuissant un
creux de chêne, dans lequel est la fontaine où se baigne le Roi. Voilà donc un
triple vaisseau. Et Geber dit, Le feu ne digère point notre matière, mais sa
chaleur altérante bonne, qui est estimée sèche par l’air qui est la
moyenne région, où le feu ait à se mouvoir & s’amortir. Enfin c’est le
feu, qui peut faire ou détruire notre œuvre, comme disent Aros & Calib, le
Mercure & le feu suffisent, au milieu & à la fin, mais non au commencement où il est question d’une petite chaleur de feu, & le Rebis.

(a) C’est ici le secret de Jupiter, qui donne Un doux
embrassement à sa douce Latone. Ils sont dedans une île & l’île
c’est le vaisseau, Junon y vient du Ciel, c’est du creux chapiteau,
Par où découle au fond mainte humeur aérée, Et trouve, en
descendant, cette Nymphe sacrée, Dont Diane & Phébus en
Délos vont naissant, Qui sont le blanc Trésor, l’autre rougissant.
Comme le haut Soleil, quand au Mouton il monte Surpasse la
froideur qui Saturne surmonte, L’inférieur Soleil qui cet œuvre
accomplît, De la matière au four la froideur abolît.
C’est ici (b) que l’épreuve à l’artiste déclare
Cet antique secret de Dédale & d’Icare,
Qui père & fils enclos, leur forme déguisant,
Au labyrinthe étroit du vaisseau reluisant,
Ont du visqueux amas des matières subtiles,
Dessus leurs flancs cirés mis des plumes mobiles,
Et d’un vol ondoyant, parmi l’air emmuré,
Ore haut, ore bas, fendent le Ciel verré.

a) Le Poète ayant bien amplement enseigné ci-dessus le gouvernement du feu
extérieur, retourne au mariage du Soufre & du Mercure, & décrit le coït de
Jupiter & Latone, dont se fait la conjonction des deux précieux gémeaux, Phébus
& Diane, qui naissent en l’île de Délos. Par Latone donc il entend le Soufre
impur & altéré, ou le bas de la Pierre, par Jupiter l’eau Mercuriale animée, ou le
haut de ladite Pierre, ou le Soufre plus subtil, & par Junon le corps du Mercure
aérien lequel descendant du Ciel ou chape du vaisseau, va trouver ledit Soufre
impur, à savoir Latone, laquelle engrossée par le Soufre subtil ou Or spirituel,
enfante l’Élixir blanc & rouge. Car alors la froidure, (comparée à Saturne) est
surmontée par la douce chaleur de Jupiter, ou de l’inférieur Soleil. Ainsi le haut
se fait comme ce qui est en bas, & le bas comme ce qui est en haut, selon
l’axiome de notre grand Hermès, c’est-à-dire que l’Or qui est fixe & terrestre,
par sa pesanteur tombe toujours eu bas, cherchant son Elément, parce qu’il est
seul entre les métaux qui tombe au fond du Mercure, & tous les autres nagent
dessus, & le Mercure, parce qu’il est volatil , recherche le haut, qui est l’air :
mais sentant l’Or, le dissout en sa forme de Mercure coulant, comme lui , le fait
esprit léger & sperme masculin, aéré , & prêt à monter en sa région suprême & éthérée. Ainsi le bas est monté en haut, & faut maintenant que notre Mercure (ou Jupiter) descendant bas, afin que le haut & volatil soit semblable à ce qui était en bas, qui est l’Or. Car le corps est devenu esprit, & faut maintenant que l’esprit devienne corps.

b) Dédale signifie en la pratique de notre œuvre, le Soufre variable, parce qu’il
le change d’une couleur & nature en autre, car Dédale signifie, choses diverses.
Ce Soufre est le père de l’autre subtil & fusible, ou Or spirituel dans notre
double mercure, qui est cet Icare fils de Dédale. Par le Labyrinthe les Poètes
entendent notre œuf ou vaisseau, ou plutôt la pierre vile, se montrant sous le
masque hideux de la noirceur. Quant aux ailes dont ils tâchent à s’envoler, ce
sont les choses qui servent à la sublimation. Ainsi sous cette fable ils cachent la
vraie distillation des Philosophes. Car des gouttes montent au haut du vaisseau
par la sublimation, lesquelles sentant la réverbérante chaleur de l’Artiste, ne s’y
peuvent arrêter, mais tombent derechef dans le reste de l’eau subsistante en bas,
& ainsi fondant ses ailes tombe dans la Mer, ou amas visqueux dont parle notre
Poète. Les ignorants n’ont entendu cette fable, ni cette distillation, de laquelle
Morien dit en la Tourbe, Après la sublimation ajoutez incontinent la
distillation.

a) Mon Dieu le grand plaisir, lorsque l’Ouvrier voit naître Les
signes qui lui font son ouvrage connaître ! Tantôt (b) il voit le
noir corrompu de poison, Puis le gris qui du noir montre la
guérison :

Puis diverses couleurs, qui ne trouvant issue,
Semblent au bigarré dune liquide nue
Se recourbant en arc, quand Phébus darde au creux
De l’humide nuau, ses rayons chaleureux.
Ore (c) il voit éclater une blancheur parfaite,
Montrant que sa matière est entièrement nette :
Tantôt (d) une rougeur, qui sèche, fait paraître
La plus grande pureté qu’au Monde on puisse voir.
Mais ainsi qu’un enfant peut vivre au mois septième,
Aussi bien que ceux-là que produit le neuvième :
Car les Planètes ont sur lui versé leurs rais,
Et fait, en le purgeant, tous ses membres parfaits :
Mais l’enfant ne saurait, quoique les femmes disent,
Quand leurs sales larcins aux gens elles pallient,
Vivre au huitième mois, où Saturne nuisant
Des nouvelles humeurs dedans lui va causant.
Ainsi cette matière, en sa blancheur naïve,
Aussi bien qu’en la rouge est entièrement vive :
Mais lorsqu’elle commence à perdre sa blancheur,
Jusqu’au rouge parfait elle perd sa vigueur.
Non pas que de son eau la force intérieure
Qu’on ne restaurerait, en ce changement meure,
Mais étant pour le blanc prête en perfection,
Le feu plus continu lui perd cette action.

a) La Pierre passant d’une extrémité en l’autre, en sorte qu’elle ne reçoive courts
les couleurs du Monde, comme pense la troupe errante des Alchimistes, est
susceptible de toutes les moyennes en général, dires moyennes pour ce sel
respect. Premièrement paraît la noire, puis la grise, puis la blanche susceptible
en puissance, non en effet, de toutes couleurs, puis la tannée, à laquelle succède
la rougeâtre, puis la rouge, & enfin l’autre rouge qui surmonte les Rubis en toute
beauté. En cet endroit, il faut noter que lorsque la matière commence à prendre
sa blancheur, il apparaît un plumage de toutes couleurs dans le ventre du matras
de la couleur de l’Iris, laquelle s’engendre des rais du Soleil retenus &
réverbérés dans la concavité de la nue humide, comme remarque notre Poète.
Car la matière ayant encore un peu d’humidité, que le quart degré du feu élève
dans le concave du matras blanc & diaphane, rend une couleur rutilante, qui se
recourbe dans le creux da vaisseau, pour ce qu’elle ne peut sortir, & par les
rayons du feu extérieur, reçoit diverses couleurs. Ce qui a fait dire aux
Philosophes qu’on voit en notre Pierre toutes les couleurs du Monde.

b) Il y a trois couleurs principales qui se doivent montrer en l’œuvre : le noir, le
blanc, le rouge. La noirceur, première couleur, est nommée des anciens Dragon
venimeux, quand ils disent, Le Dragon dévorera sa propre queue. Les
autres la nomment, le serpent engrossant soi-même. Les autres, la tête ou le bec
du Corbeau, la noirceur de la Mer, le noir plus noir que le noir, & Aigle noir.
Geber & Danthyn disent de cette couleur, Réjouissez-vous, parce que sous
cette noirceur la blancheur est cachée. Certes si l’œuvre demeure toujours
blanc & n’apparaît aucune noirceur, l’opérateur la doit abandonner, comme les
Corbeaux abandonnent au nid les Corbillats, jusqu’à ce que leur duvet qui
demeure blanc l’espace de sept ou huit jours, se change en plumage noir, comme
celui de leurs père & mère, qui lors les reconnaissants, les tiennent pour leurs, & les nourrissent. Ainsi notre Pierre avant sa dissolution, & quelque temps après, est blanche, qui ne laisse aisément juger si la dissolution requise est parachevée,
jusqu’à ce qu’elle a revêtu le noir. Ce qu’avenant, l’opérateur doit reconnaître
son œuvre pour légitime, & la nourrir jusqu’à sa perfection. Cette noirceur est
aussi dite l’Elément terrestre, & un venin mortel, & ce en premier lieu à cause
de la putréfaction qu’elle a engendrée, car toute corruption de matière, de
quelque qualité quelle soit, la rend mortelle. En second lieu, pour déclarer
l’action des Dragons & des Lions qui se sont entretués, & finalement, à cause
des matières qui étaient morcelles & inutiles, si Nature ne les eût animées, pour
les enfanter visiblement. A quoi nous ne saurions parvenir sans la noirceur au
ventre de sa mère, jusqu’au temps de l’enfantement, qui se faisant le septième
mois, est parfait au blanc, & peut vivre, comme l’enfant qui naît audit mois,
ainsi que notre Poète allègue fort à propos.

c) La blancheur est la fin de la sublimation, & la vraie fixation des Philosophes,
pourtant dite, Lune fixe, chaux vive, minière, Soufre blanc, Reine des métaux,
mère des perles, Elixir blanc, le blanc plus blanc que le blanc, Lion blanc, Aigle
blanc, lait virginal. Enfin ils lui ont donné tous les noms de ce qui porte une
extrême blancheur.

d) La rougeur est la dernière couleur & la fin du premier travail du Philosophe,
& est dite, Pierre, minière, Soufre & Lion rouge, le Roi des métaux, père des
Rubis, Elixir & œuvre rouge, le rouge plus rouge que le rouge, sang humain,
portant enfin tous noms de route chose rouge, corps glorifié, qui vit de siècle en
siècle jusqu’à la consommation du Monde. Roi immortel, & comme dit Hermès,
C’est la force forte de toute force, vainquant toute chose. Dont tous ses ennemis,
les métaux imparfaits, sont contraints faire paix avec lui. Si bien que le
Philosophe voyant cette belle & céleste rougeur a de quoi se réjouir, & rendre
grâces au Soleil éternel par la grâce & lumière duquel ce beau Phébus s’est
rendu son domestique, & par ses rayons lui a donné la gloire du Monde
universel, & la clarté qui chasse les ombres de toute obscurité & mensonge.

(a) Donc quand la cuisson est du tout achevée, En sa haute
rougeur la Pierre est élevée :
Telle que notre sang, qui lorsqu’il est bien cuit,
Par la chaleur du foie, en rougeur est réduit.

(b) Ore elle est ce Vautour, qui sur la droite côte D’un mont
grandement haut, chante d’une voix haute, Je suis noir, & tantôt
vais tout gris paraissant, Tantôt blanc comme neige, & tantôt
rougissant. Voilà donc, abusez, comme il vous faut entendre

Que les quatre Eléments se viennent ici rendre :
Car la Terre est le noir, le feu l’autre couleur,
L’onde est la blancheur pure, & l’air c’est la rougeur.
C’est donc, c’est donc alors que tressautant de joie,
L’ouvrier va louant Dieu, qui ce bien lui envoie.
C’est (c) alors qui il a vu ce qui montre de fait
Que le feu doit un jour purger le Monde infect.
C’est alors qu’il a vu ce que l’ancien cache
Sous le veillant Pasteur de la fille d’Inache :
Car comme d’yeux d’Argus les Pans sont bigarrés,
Cette matière abonde en signes colorés.
C’est alors qui il a vu que sur la fraîche Terre,
Pyrrhe & Deucalion vont ruant mainte pierre :
Les femmes que fait Pyrrhe est l’Argent-vif fixé.
Les hommes que fait l’autre est le Soufre annexé,
Bref, c’est lors qu’il a vu cette Gorgone dure,
Changeant ceux qui elle œillade, en pierreuse nature :
Mensonge qui fait voir l’effet non mensonger
De ce divin Trésor, qu’en Pierre ou voit changer.

a) Le Poète ne compare sans cause cette dernière décoction se montrant sous la
couleur vermeille, à la rougeur du sang dûment cuit par la transmutante chaleur
du foie. Car comme le sang ainsi altéré, nourrissant les membres, est changé en
leur substance, cette rougeur prise par la bouche, peut-être transmuée & servir
de restauratif & médecine unique. C’est pourquoi les Philosophes appellent cette
rougeur sang humain, & Lion rouge, en sorte qu’aucuns nomment ainsi l’Or,
avant son altération, comme étant ce Lion, sang, ferment, & teinture en pouvoir,
& élaboré par l’art, est tel en effet : étant autrement dit, Or Astral, ou Electre des
Philosophes.

b) Il y a eu de tous temps des Alchimistes si ignorants, qu’ayants amené l’œuvre
à la perfection d’une rougeur absolue, ils l’ont quitté pensants qu’il ne valait
rien, parce qu’il ne fluait point, & n’avait ingrès quand ils l’ont voulu jeter sur le
Mercure ou sur les métaux imparfaits. Dont ils ont conclu l’art être ou faux, ou
impossible. Certes ils avaient quelque raison, car ils n’avaient qu’une terre
rouge, qui avait perdu son humidité, comme dit Geber, Les esprit qui ont
perdu leur humidité par sublimation & fixation ne peuvent rien faire
de bon, tandis qu’ils sont terre, ou aussi secs. Et telle est notre rougeur,
qui étonne les ignorants, ne sachant qu’il lui faut rendre son humidité perdue,
allaitant ce jeune Lionceau avec le propre lait de sa mère : & ne quitter l’œuvre
là où il la faut recommencer. De fait, ce Vautour leur crie de la haute côte qui est
cette haute couleur, qu’ils ne le délaissent point afin qu’il ne les délaisse : &
qu’il est noir, gris, blanc, rouge, voulant dire qu’il faut refaire l’œuvre, par une
même procédure, par laquelle apparaissent derechef tous ces signes & couleurs
que l’ignorance a pris pour des œuvres particuliers, pour en bâtir après ce grand
& universel œuvre. Ce qui est contre la Nature & l’expérience comme l’ont
montré le Trévisan, Isaac & tous les autres vrais Philosophes, entre autres Geber
qui dit que l’œuvre se fait en un seul fourneau, & en un seul vaisseau, où il se
dissout, se putréfie, se congèle, conjoint, sublime, fixe, & incère soi-même, se
rendant fusible comme la cire. Il se sépare soi-même, nous faisant voir sous un
même régime de feu, & sans le bouger, ce qu’on nomme les quatre Eléments.
Car premièrement nous avons vu l’eau & la Terre, qui sont l’Or & le Mercure, lesquels avaient en leur occulte feu & l’air. Mais ceux-ci n’étaient susceptibles qu’à l’intellect. Après non, avons vu de nos yeux le blanc, qui est dit air,
provenu de l’eau ou Mercure, & maintenant le rouge, qui est comme feu procréé
par l’action du Soufre vainqueur. C’est pourquoi les anciens ont nommé ces
couleurs les quatre Eléments, quoique en effet il n’en soit que deux : à savoir
Eau & la Terre, d’où naît par le troisième, qui est le Soufre médiateur, ce
glorieux ternaire, première & prochaine matière de toutes choses composées,
lesquelles, tant en leur composition que résolution font voir ces quatre couleurs
comme leurs enfants, lesquels nos pauvres Aristotéliciens ont pris pour les pères
mêmes, à savoir pour l’agent & le patient, ou l’Eau & la Terre. De fait ces deux sont la seule & première matière récitée par le législateur de la race Abrahamide, & confirmée par Hermès Trismégiste, & enfin par les descendants des vrais Philosophes : auxquels s’accorde l’invincible expérience des vrais Alchimistes, lesquels expérimentent tous les jours que de deux par le troisième toutes choses proviennent. C’est ce qui se voit en la composition du Mercure simple des Philosophes, en celle de l’Azoth, en l’incération, en la fermentation de l’œuvre,
& enfin au commencement & parachèvement d’icelui, sans voir ni avoir à faire du quatrième, comme veulent nos quadrateurs du cercle, lesquels laissant
couronner faussement leur cercle de ce laurier carré, je recourus à notre Poète.

c) Le Poète fait ici une belle comparaison, montrant que comme le Monde à été
une fois purgé par l’eau & le sera en fin par le feu : qu’aussi l’eau à
premièrement lavé les fèces extérieures de l’œuvre, & le feu à sur la fin, seul,
nettoyé & consumé tontes les ordures & fèces intérieures de la Pierre. C’est
pourquoi les Philosophes disent que l’azoth & le feu purgent & lavent Latone,
laquelle nous avons dit être cette terre impure que Jupiter va trouver en Délos.
En ceci consiste tout le secret de notre science, à savoir qu’il faut que toutes
choses meurent & soient régénérées par l’eau & le feu, & qu’après elles
deviennent un corps spirituel, dit quintessence, ou Magnésie : comme nous
enseigne le divin dialogue du fils de Dieu avec Nicodème. Enfin cette rougeur
naît en pouvoir après que le Mercure a tranché la tête d’Argus & les couleurs
sont évanouies, lesquelles nous appelons la queue du Paon. C’est aussi, comme
dit notre Poète, cette façon d’engendrer mâles & femelles, par la comparaison de
Pyrrha & Deucalion, par laquelle est bonifiée la projection de l’œuvre blanc &
rouge : œuvre, qui après, augmenté en vertu, est notre Gorgone convertissant les
métaux imparfaits, (qui sont nos hommes de la parenté de la Pierre) en vraies
Pierres : Ce qui se fait par adaptation, comme dit Hermès, en sa table
d’émeraude, & ainsi ils participent à la gloire de leur Roi, comme dit la pratique
allégorique du bon Trévisan.

Or (a) afin qu’ès métaux sa matière ait entrée,
De Lune ou de Soleil il la rend incérée :
Et (b) par sa poudre blanche alors il va changeant,
Jetant un poids sur dix, l’imparfait en argent :
Ou jetant sur cent poids un poids de rouge extrême,
Son argent vient un or, qui sur l’autre est suprême,
Ainsi l’essai fait voir que l’imparfait métal
Tient un Soufre d’essence, un autre accidentel.
Celui-ci qui puant, n’est enfermé qu’au pore,
Sans gâter les métaux, d’avec eux s’évapore :
Mais celui-là demeure, & s’il ne demeurait,
La forme des métaux, soudain se détruirait.
L’essentielle humeur jamais ne se divise
De son propre sujet, qu’elle ne le détruise.
Que si je le prouvais, je dirai les Humains
En produire en leurs corps des exemples certains :
Car quand l’aigre santé fait dans nous résidence.
L’humeur qui de nos corps l’état tranquille offense,
Soudain par la fureur, ou l’art médicinal,
Se séparant de nous, nous sépare du mal :
Mais si c’était l’humeur par l’essence sortie,
La perdant, nous perdrions & l’humeur & la vie,
Comme ceux qui poussés d’un funeste dessein,
Font perdre tout leur sang, perdent l’âme soudain.

a) Il y a deux sortes d’incération ; dont la première est la plus vraie & plus
naturelle, laquelle se fait quand par une longue décoction & même régime de
feu, la Terre commence à croître & s’épaissir, & l’eau à se diminuer. Danthyn le Philosophe dit : Il faut distraire sa sueur, & la lui faire boire après


Pour ce les Philosophes appellent cette opération, Cibation, mêlant ce lait à la terre
feuillée. Mais il faut faire cela par mesure, afin que sa blancheur, sa rougeur, sa
bonté, a quantité & sa vertu, croisse & s’augmente. Or l’autre sorte d’incération est celle dont parle ici le Poète, & est de rendre fusible une chose dure, & qui ne se peut fondre, afin que la médecine ait ingrès. Car après qu’on a par un long travail, produit la Pierre au blanc & au rouge, elle ne peut pourtant faire la projection : parce qu’elle ne se pourrait résoudre, mais demeurerait terre rouge
ou blanche, dont on voit aisément qu’il lui défaut la fluxibilité, laquelle il lui
faut donner, afin qu’elle ait entrée dans les métaux. Nos pauvres Alchimistes
Evangélisant ont cherché cette incération dans des huiles étranges, comme en
celle d’Antimoine, d’Arsenic, & semblables, mais en vain, puisque la Nature ne
se nourrit que de ce qui est de sa Nature, qui est le Mercure : car

Les corps des métaux parfaits, altérés selon l’art, boivent subitement,
& naturellement leur Mercure.

En ceci consiste le fondement des minières & de la projection, à savoir que le
Mercure corporel, parfait & coulant, augmente en quantité, & donne ingrès, & le Mercure fixé, blanc ou rouge, fermente, & augmente aussi en quantité. Par ce moyen vous avez des minières, si vous voulez, & pouvez faire projection quand il vous plaira. Sur quoi j’ai assez dit au bon entendeur.

b) Le Poète ne parle en ce qui s’enfuit que de la projection, & de la
transmutation qu’elle fait, grande ou petite, selon la perfection de la médecine.
Car plus elle est subtilisée & teinte, plus elle opère abondamment, & ainsi
suivant la Nature, nous achevons les imparfaits métaux. Donc il faut noter,
comme dit notre Poète, que lesdits métaux imparfaits ont double Soufre, à savoir
homogène, par lequel avec une même eau Mercurielle, ils ne sont que Mercures
: & un accidental par lequel ils sont congelés en plomb, étain, cuivre, en fer,
voire en or ou argent selon la perfection ou imperfection dudit Soufre, comme il
a été dit en la génération des métaux, en laquelle la principale vertu de la
congélation gît au Soufre, par lequel le Mercure diversement congelé par la
Nature, lui baille, sa forme selon ledit Soufre. Or une matière ne saurait endurer
deux formes, donc, si l’on veut introduire une forme meilleure dans les métaux
imparfaits, il les faut, selon Aristote, réduire en leur première matière, en
séparant la susdite forme accidentale. C’est ce que fait parfaitement notre
médecine par la projection, par laquelle elle se joint au Mercure des métaux,
lequel elle purge, fixe, & rend en la perfection de l’Or & de l’Argent, séparant le Soufre combustible & accidental, qu’elle expose au feu de la consumtion. Il
appert donc que nous ne nous vantons point proprement de faire de l’Or, ni
transmuer, introduisant une forme étrange, comme la calomnie le voudrait faire
croire car nous guérissons seulement le Mercure malade des imparfaits métaux,
par la vertu d’un Mercure parfait en médicament & tout ainsi que par une
médecine on guérît le corps humain, comme dit très à propos notre Poète, lequel
en tout le reste est assez clair.

Qu’est ce donc maintenant, l’âme à son corps se range,
Et nonobstant tout art, d’un étrange s’étrange ?
Montrez-vous pas à clair, sous cette fiction,
O Philosophes vieux, votre projection,
Et qu’il faut que la chose où la forme s’adresse,
Pour tant ont mieux s’animer, soit de semblable espèce ?
Aussi de vrai le feu, quand à l’onde il est joint,
Car l’eau ne lui est propre, il ne l’anime point.
Mais comme une chandelle (où le suif & la flamme,
Sont celui-là le corps, celle-ci comme l’âme)
Va soudain contre bas une autre rallumant,
Qui demi pied dessous, éteinte, va fumant,
Lors contre sont instinct, pour trouver nourriture,
Le feu léger descend par la fumée obscure :
Ainsi de l’Elixir l’ouvrage ores parfait,
Vraie forme & vraie âme à tout métal infect,
Mettant ès noirs métaux de sa splendeur extrême,
S’e réjouit de tomber data son espèce même.

La sympathie qui est entre notre Elixir & la substance moyenne ou Mercurielle,
est la cause de cette tant soudaine teinture & illumination des métaux. C’est
aussi ce que montre clairement notre Poète par la flamme d’une chandelle
rallumant sous soi contre son instinct la mèche demi éteinte. Montrant en outre
par là, que si les métaux n’avaient le pouvoir d’être animez, ce suprême Elixir
ne leur saurait donner vie, non plus que le feu à la chandelle plongée dans l’eau.
Donc cette huile incombustible ne peut entretenir sa lumière que par la mèche de
cet alun plumeux, qui est en tout métal en pouvoir. Donc le faisant bouillir dans
ladite huile incombustible, il rend un feu ou lumière qui ne s’éteint jamais, dont
nous tiendrons le secret de nos lampes caché sous les lettres hiéroglyphiques
d’Égypte, de peur que la superstition de ce siècle trop curieux en éteigne les
flammèches.

Voila (a) comme le Roi, pompeux d’habits Royaux,
Sortant de la fontaine, enrichît ses vassaux :
Parce que d’imparfaits, tous les corps métalliques,
Par ce Roi des trésors sont rendus magnifiques :
Et tel que le Soleil sur les Astres moins clairs,
Tel est ce surgeon d’or sur let métaux divers.
Celui là vigoureux, donne aux Astres lumière,
L’autre aux impurs métaux sa puissance plénière :
Semblable (b) à l’odorant & rougeâtre safran,
Prends en un petit brin, puis après le répand
Par-dessus beaucoup d’eau, tu verras l’eau se faire
De fade, bien flairante, & jaunâtre de claire.
Qu’est-ce (c) donc de Vulcain, laid du Ciel élancé,
Et dedans l’île après, des Singes avancé,
Que ce Roi que, difforme, au vase se précipite.
Où celui le nourrît qui la Nature imite ?
Quand donc (d) il est parfait, on croit en qualité
La suprême grandeur de ce Roi souhaité.
Et faut que par l’Ouvrier l’œuvre alors soit refaite,
Si l’ouvrier veut avancer son œuvre plut parfaite.
Car tomme plus Vulcain, fait incarnat le fer,
Plus il croît sa vertu pour pouvoir échauffer :
Ainsi plus on recuit cette Pierre admirable,
Plus cette Pierre accroît sa force incomparable :
Si (e) qu’enfin seul brin de ce rare trésor,
(Si elle était vif-argent) rendrait la Mer en or !

a) Le bon Trévisan feint une fontaine dans laquelle le gain d’or, qu’il nomme
son livret d’or, étant jeté, meurt renaît, & devient un Roi très puissant, lequel
rafraîchit, c’est-à-dire incéré, ressort, ayant la chair très vermeille, laquelle il
donne à manger à ses vassaux, qui sont les imparfaits métaux, & lors leur désir
est accompli, dont ils possèdent d’un droit entier la couronne de leur Roi. Ainsi
comme dit notice Poète, lesdits métaux imparfaits sont rendus magnifiques, bien
que ce Roi retienne pour soi une splendeur aussi excellente que le Soleil sur les
autres Astres.

b) Le Poète montre par sa comparaison du Safran la vertu teingente de cet Elixir.
Car comme une partie de Safran teint l’eau & lui donne sa bonne odeur, de
même un seul grain de cet Elixir corrige & teint en sa nature une grande quantité
de métal imparfait.

c) Les Philosophes nomment les trois couleurs capitales trois Soleils, un blanc,
un noir, un rouge. Dont notre Poète admirant la beauté de ce Roi rougement
flamboyant, retourne à l’extrême noirceur & laideur, dont il était barbouillé
quand il suait en la fontaine où il était appelé le Soleil noir, ou Vulcain, que les
Poètes ont dit fils de Jupiter & de Junon , & à cause de sa difformité , jeté en
l’île de Lemnos, où il fut nourri des Singes. Par Vulcain ils ont entendu ce
Soufre, ou ce Roi noir, que nous avons ci-devant nommé, le feu des
Philosophes, lequel pour son onctuosité se sépare d’avec l’Azoth, ou Mercure
double, nommé Jupiter & Junon. Pourtant disent-ils que ce Vulcain ou Soufre
est le fils séparé de leur ventre. C’est quand il nage sur l’eau Mercuriale, &
après tombe au fond du vaisseau, lequel ils représentent par Lemnos, ou ce
Vulcain est nourri des Singes, qui sont les artistes, vrais imitateurs de la Nature.
Ce qui se fait en la cibation, en laquelle ils donnent à manger & boire peu à peu
à ce Soufre son propre lait : comme nous avons dit sur l’incération naturelle.

d) Le Poète parle ici de l’augmentation en vertu qui est en faisant croître par
réitérée réfection ou répétition de l’œuvre, le Soufre d’icelui, auquel seul
consiste la vertu de la congélation & de la fixation du Mercure des métaux, à
savoir eu le dissolvant derechef, puis le fermentant & incérant : car

La vertu du Soufre ne s’étend que jusqu’à certaine proportion d’un
terme.

Donc l’opération réitérée est cause que l’œuvre croît en Soufre, & par
conséquent en vertu de congeler plus de Mercure, & par la fermentation croît en
quantité ledit Soufre. Semblable au fer qui plus il le rougît au feu, plus il
augmente sa chaleur & vertu de brûler, comme dit fort bien notre Poète.

e) L’œuvre ainsi souvent recuite, deviendrait infiniment puissante en vertu
médicinale. Ce que notre Poète veut dire, comparant la vertu transmutatoire
d’une fort petite quantité de ce Trésor à l’immense grandeur de la Mer. Certes si
l’Océan était vif-Argent, il pourrait par continuelle projection être transmué en
Or & en Argent. Mais laissons ces montagnes d’Atlas, & ces souhaits de Midas, & entendons notre Poète plus sainement, prenant la Mer pour notre Mercure limité dans l’entour du vaisseau, & dont un seul brin de notre poudre rouge jeté dedans, le peut tout congeler en fin Or. Ainsi nous laisserons cette augmentation infinie au seul infini : de peur qu’entreprenants trop, & voulant, comme Phaéton, mener ce chariot ardant mal à propos, nous ne nous précipitions du faîte de la félicité dans l’abîme de tout malheur. Il nous suffira doriques de subvenir par
cette suprême médecine à la défectueuse & quasi mourante pratique des
Galénistes, & cependant par ce moyen annoncer le glorieux pouvoir de Dieu en
la Nature. Thomas d’Aquin a réputé très grand pêché de receler le secret de
l’augmentation à l’infini, lequel croyants, nous retiendrons nos désirs & nos
langues dans les bornes de la modestie.

(a) Voilà donc et Phénix, dont l’essence immortelle En
cendres convertie, au feu se renouvelle. Voilà comme l’art
trouve un robuste animal, Qui étant végétable, encore fait
minéral. Voilà celui qui dit, Que ton soin ne me quitte, Et
mon loyal secours ne laira ton mérite. Et voilà comme on
peut un trésor découvrir, Pour pouvoir tous les jours cent
miles hommes nourrir. Car comme on peut donner de la
vive Lumière Sans amoindrir du feu la clarté coutumière :
Celui sur qui le Ciel à versé ce grand bien,
Riche, en peut impartir sans l’amoindrir en rien.
Moins heureux (b) sont les Rois : Leurs grandeurs
menacées
Ne les font, bien souvent, riches, que de pensées :
Pour trouver l’heur au Monde, ils se font malheureux,
Ils commandent aux gens, les gens disposent deux :
Ils n’osent bien souvent, pareils à ce Tantale,
Tenter d’avoir le bien qui devant eux s’étale :
Où celui qui prudent, jouit de ce beau don,
Plus riche qu’il ne veut, semble au grand Salomon
O Secret des secrets ! Ô Richesse infinie !
Bien qui, trop envié, contre aucun n’as envie!
Que tu fais bien douer & l’esprit & le corps.
L’un d’une grande science, & l’autre de trésors !
T’oy-je pas dire aussi, La Mort suit ma nature,
Je suis le froment pur qu’ont sème en terre pure :
Je porte grand & seul, des noms grands & divers,
Et qui jouît de moi jouît de l’Univers ?

a) Les Poètes voulant voiler ce Trésor des Trésors, & son augmentation, ont
feint un Phénix, qui mourant produit toujours de soi-même, un autre de son
espèce naissant, mourant, & se revivifiant au feu. De sorte que sous cette fable,
ils nous ont voulu faire entendre comme le vrai Phénix, qui est ce divin Elixir est
né du feu, à savoir du Soufre : & est converti en cendres dans le feu, quand
l’œuvre est derechef résout en Soufre noir : & se ressuscite dans le feu, quand il
redevient Soufre ou Elixir rouge. Ainsi il est toujours le même & unique oiseau,
se sacrifiant aux rayons du Soleil, ce qui se fait en notre fermentation, réitérée
par l’Or le Soleil des métaux. C’est aussi ce Phénix, lequel, comme dit notre
Poète, bien qui il soit animal, par ce qu’il vivifie tout, est aussi végétal, parce
qu’il croît en quantité & en vertu, & minéral pour le regard de la matière d’où il naît. C’est aussi cet oiseau qui étant né, crie que l’artiste ne le quitte point afin
qu’il ne quitte l’artiste : ainsi qu’on lui dresse le bûcher, afin qu’il le puisse
brûler, revivifier, & multiplier en infini. Augmentation par laquelle on peut
parvenir à tant d’utilités, qu’il serait impossible de les raconter. Nous en
réciterons seulement quelqu’une, commençants à celle qui fait aboyer après cet
ait Royal, non seulement le sale Bouvier, mais les grands Princes, Rois &
Monarques, le docte & l’ignorant, le Page & l’idiot, & en général tout homme de quelque état qu’il soit. Ce qui les pousse donc à cette recherche est le désir
immodéré des richesses du Monde. De fait, elles sont le vrai antidote contre les
misères qu’enfante la pauvreté, laquelle n’entraîne qu’incommodités, tue
souvent le corps & l’esprit, trouble l’entendement, & tient toujours la porte
ouverte au désespoir. Or ce Trésor des Trésors y remédie, car le possesseur
d’icelui ne peut avoir faute de rien, soi, eu temps de paix ou de guerre,
d’abondance ou de stérilité. Rien ne le peut empêcher de voir tous les jours
augmenter les biens. Son héritage le suit partout, partout lui ouvre les portes, lui
acquiert la faveur des grands & l’amitié des petits. Cependant il n’a que faire de
Courtisan, ni de mendier rien du Prince. Son esprit repose, & ne sait que c’est
des élancements de la bourrelant Envie. Le voilà donc bienheureux, & assuré
contre ce misérable naufrage qui accompagne sa naissance, & menace sa
vieillesse. Outre cela, il tient en sa main l’unique instrument pour pouvoir
exécuter à toute heure les effets de cette tant recommandée Charité, par laquelle
l’homme se peu, seul montrer vrai homme. Et cependant plus il fait de largesse,
plus il a le moyen d’en faire ; comme montre notre Poète fort clairement, par sa
comparaison de la lumière d’une chandelle.

b) Ce bon compagnon eut raison, lequel ayant demandé au Tyran de Syracuse de
jouir seulement un jour de son Trône Royal, révoqua sa folle requête, voyant la
félicité qu’il s’imaginait en recevoir, ne tenir qu’à un filet, & être fermentée par
l’horreur & la menace d’un dangereux cimeterre. Aussi ce Roi ne fut Tyran,
lorsque par un si doux breuvage il apaisa la folle soif de cet altéré, montrant, par
ce stratagème, à combien de dangers est sujet l’état des Rois & des Princes : Etat
le plus souvent sanglant & funeste, tant en le pourchassant, qu’en le possédant,
& le délaissant. Témoin en sont les quatre Monarchies éteintes, & celle du Turc.

Dont on peut dire justement que cette sentence de Solon à Crésus, NEMO
ANTE OBITUM BEATUS, s’adresse principalement aux grands de la Terre.
Pour ce notre Poète dit fort bien que les Rois sont moins heureux que le
possesseur de ce Trésor incomparable, qui ne peut jamais périr, comme les
sceptres & les Trésors des Grands. Car soit qu’il soit en l’eau, en la terre, ou au
feu, il s’y maintient sans pouvoir rétrograder en un pire état, comme l’image
Monarchique de Daniel, de laquelle la tête d’Or dégénérait en une poitrine
d’Argent, celle-ci en un ventre de Cuivre, & celui-ci en des cuisses de Fer &
d’argile. Ce que nous savons être advenu sous les Monarchies des Babyloniens,
sous les Perses, les Grecs, & enfin sous les Romains, terreur de l’Univers, dont il
ne nous reste plus que l’argile. Où contraire, ce Trésor inépuisable naît du Fer,
du quelle se fait le Cuivre, du Cuivre l’Argent, de l’Argent, l’Or, & de cet Or ce
Phénix véritable, qui par sa mort même le rend plus durable & plus glorieux,
donnant en la dextre de son possesseur le moyen pour vivre longuement, & en sa
gauche les richesses & les honneurs. Au reste cet Astre, vainqueur de toute
lumière, lui sert de guide assuré pour acquérir sapience, développant son esprit
du brouillard de cette vulgaire & routière doctrine des Péripatéticiens : Doctrine
qu’il dédaigne à bon droit, voyant qu’elle n’est rien au prix de ce secret des
secrets, par lequel rien ne lui peut être secret.

Je (a) ne veux raconter que cette digne Pierre,
Rend, ô merveille utile ! Infrangible le verre,
Qu’elle fait mainte gemme, & sa forte liqueur
Donne à la vieille Perle une vive couleur.
Mais (b) faut-il taire ici l’assistance divine
Que fait aux corps humains cette grande Médecine ?
Hélas ! Père éternel, tu n’et comme l’ami,
Qui promettant beaucoup, fait plaisir à demi.
D’autant que l’homme peut, comblé de ta largesse,
En avançant ses biens, retarder sa vieillesse.
Car si l’Or mis en poudre, ou l’Or qu’on fait bouillir,
Peut, sans se digérer, la santé rétablir,
Ne pourra cette Pierre, sèche tempérée,
Qui pour se cuire en sang, au foie est digérée,
Chaude, nous restaurer la radicale humeur,
Et changer le poil blanc, une humide froideur ?
Que si l’art a fait voir cet Elixir suprême,
Par un feu modéré, s’être amandé soi-même,
Et s’il guérit parfait, les imparfaits métaux,
Pourquoi ne pourra-t-il nous priver de tous maux ?
C’est cette Pierre aussi que les fils de Science,
Nomment, pour la cacher, Fontaine de jouvence :
Car rien dessous le Ciel n’a semblable vertu
Pour relever le corps de vieillesse abattu.
Qu’on (c) ne s’étonne point, par l’art & Nature,
L’homme, de soi non pur, fait une œuvre si pure :
Il faudrait s’étonner si homme qui fut fait
Noble, accort, raisonnable, ignorait ce secret.
Car hé ! Pourquoi serait cette commune mère,
La bénigne Nature, aux Humains plus sévère,
Qu’aux Aigles, aux Corbeaux, aux Cerfs, & aux Serpents,
Qui savent ce qui peut les dépouiller des ans ?
Et pourquoi, si celui dont l’esprit sans culture,
De ses bœufs vigoureux pourfend la Terre dure,
Sait des cheveux dorés de son champ non ingrat,
Et des peuples volants la matière & l’état,
L’excellent fils de l’art n’aura-t-il connaissance
Des principes certains de si rare science,
Et ne pourra l’esprit qui peut au Ciel monter,
Des terrestres boyaux les replis feuilleter ?

a) Le Sage dit que l’oisiveté est l’oreiller du Diable, sur lequel l’homme,
s’endormant ne songe qu’aux vices, & n’en peut être réveillé que par le travail
& l’occupation. C’est pourquoi notre Poète, ne voulant que celui qui aura atteint
le but de la science qu’il enseigne, languisse en une morne oisiveté, ou s’adonne
des exercices illicites, lui découvre une occupation, où il pourra l’employer avec
autant de plaisir que d’utilité. Il dit donc que notre Pierre rend le verre
malléable, renouvelle la Perle, & que sa forte liqueur fait mainte gemme. De fait
la liqueur du componé blanc fait les Perles : celle du rouge les Rubis. Aussi l’on
peut tellement préparer, comme disent les Philosophes anciens, ledit composé
blanc, que jeté sur le Cristal il l’endurcît en Diamant : & celui du rouge préparé
& jeté sur ledit Cristal le transmue en escarboucle. L’huile rouge, tiré de l’Aigle
blanc, a telle vertu, que si une Améthyste obscure y est jetée & fomentée en
icelle par une chaleur douce, l’espace d’un mois, elle devient un Rubis haut en
couleur, meilleur que les autres, & endurant toutes épreuves. Enfin toutes pierres
précieuses y étant plongée durant vingt & quatre heures, & nourries par une
chaleur modérée, montent à si haut degré qu’elles font honte à leurs semblables.
Vous laisserez donc les jeux &les vils exercices aux enfants, & courrez après ces précieux joyaux, desquels toutefois vous n’enrichirez point vos doigts, mais les
vendant, en achèterez de plus précieux, qui font l’assistance des pauvres, des
orphelins, & des veuves, & la bénédiction de l’Éternel, afin de changer votre
Trésor d’ici bas, à celui qui enrichît éternellement, l’âme & le corps.
Notre Poète déclare ici la miséricorde infinie de Dieu envers l’homme, plus
grande, sans comparaison, que celle de l’homme envers son prochain. Car non
content de donner aux enfants d’Adam du contentement à leur esprit, & des
richesses leurs souhaits, il leur donne encore les remèdes aux maladies de leurs
corps, & aux incommodités de la vieillesse. Cette vieillesse n’est autre chose
que la destruction & séparation des trois principes, Sel, Soufre, & Mercure,
assemblés dès le commencement en la composition du corps. Séparation par
laquelle le sujet se dissout, & retourne en ce de quoi il avait été composé. Dont
on peut colliger que si lesdites qualités de ces trois parties, se pouvaient toujours
maintenir proportionnellement force & action, sans que l’une surmontât l’autre,
le corps ne mourrait jamais. Tel est l’Or en ce parfait Elixir, auquel ces parties
étant incorruptibles, si elles font dissoutes en matière digestible, sans doute elles
peuvent infuser leur vertu au corps humain. Non que l’homme, par ce moyen, se
puisse immortaliser, mais il se peut, sans excès, maintenir en sa force & vigueur,
jusqu’au terme préfixé par la loi Divine. Cette Pierre est donc, comme dit notre
Poète, la fontaine de jouvence, tant célébrée par les Philosophes, bien que la
plupart de nos médecins putatifs, aussi bien que l’ignorante populace, estiment
que ce soient fables & folies. Cependant ils disent eux-mêmes que la seule odeur
de l’Or qui entre est ès restaurants, étant en liqueur convenable ou pris par la
bouche en poudre (qui ne se peut aucunement digérer) restaure le corps &
rajeunît l’homme : & de fait, comme dit notre même, Poète en sa Semaine,

Certes l’Or sert au corps : la macule il efface
Qui peu civilement se perche sur sa face :
L’impudente verrue il sape peu à peu,
Et mis au départir de l’incarnat du feu,
Tout rouge, au rouge vin, les membres fortifies,
Par sa douce liqueur notre cœur vivifie,
De polypes, de dartre, & de teigne rend net,
Aide aux esprits vitaux, & l’étique remet.

Que s’il sert ainsi contre certaines maladies, ce grand Elixir rendu potable par
une réitérée multiplication digéré en sang & se joignant à l’humeur radical,
opère bien plus au corps humain, par voie de restauration, que l’odeur, ou
poudre corporelle de l’Or. Toutefois si l’on en donne a l’homme extérieurement
ensafrané de l’humeur du fiel, & intérieurement jaune d’avarice, il lui pourra
beaucoup profiter. Car lui baillant couleur de l’Or, on pourrait faire que Nature
par une extase de joie, redoublant les forces du patient, chasserait
miraculeusement ce qu’auparavant elle ne pouvait, destituée de la vigueur du
malade. Voilà la jaunisse guérie par leur poudre d’Or : voire comme la fille
d’une grande Dame d’auprès de Calices en Albigeois, laquelle peinée de cet
humeur jaunâtre, prit des mains d’un Charlatan se disant dogmatique, de la
poudre d’Or, & de la limaille de fer, mêlés ensemble. Mais elle devint encore
plus jaune, voire teinte jusqu’à plus de vingt & quatre carats. Cependant la ruse
de sa gouvernante attendit l’enfantement de cet amalgame fécal, lequel reçu
dans un pot de chambre de verre, elle lava, comme la sage femme nettoie
l’enfant des barbouillements de la matrice, puis me le bailla pour éprouver si ce
Roi des métaux n’avait été détruit par l’estomac demoiselle. Je trouvai que non :
mais doutant que la bonne femme n’eût assez lavé ce couple métallique je le fis
baigner dans la fontaine de l’ancien Roi de Crète, puis passer par les foudres de
Vulcain. Ainsi nous trouvâmes que l’Or y était en même poids, & plus beau
qu’auparavant, excepté quelque grain qui se pouvait être égaré dans le dédale
des boyaux de la Damoiselle. J’ai voulu insérer ici ce stratagème Galénique,
parce qu’il me fait croire que cet erreur invétéré n’est venu que de bailler au
patient les remèdes tous crus, sans séparer l’impur d’avec le pur. Que puisque
l’estomac attire la vertu de l’Or qui est si fixe, massif & corporel, sans que
même il le digère, pourquoi ne pourrait-il séparer la vertu d’un médicament sans
comparaison plus digestible, voire bien souvent alimenteux. La Damoiselle
susdite pourra nier la majeur, au moins en ce qui était de sa maladie, & pour moi
si j’étais juge de ce différent, je ne condamnerai seulement cette sorte de gens à
vider des bonnes villes, comme jadis de Rome, ainsi que pestes de la
République, mais les confinerais avec leurs sales cuisiniers au centre de nos
Antipodes, ou du moins leur interdirai l’eau & le feu, afin qu’ils mangeassent
leurs perdrix, chapons & viandes toutes crues, & sans laver. Nous démontrerons les erreurs infinis de cette sorte de Médecins, en notre Arsenal Spagyrique, s’il plaît à Dieu d’allonger encore nos jours, pour faire paraître les munitions au premier bruit de guerre, accompagnées de nos escadrons invincibles, marchant sous le guidon de l’expérience. Mais à propos de l’expérience, vertu tant
nécessaire, en la Médecine, elle a découvert depuis peu de temps, un Simple
dont la vertu quasi incroyable, a été de toue inconnue de Dioscoride, de
Matthiole, & même de Dalestham, qui a surchargé l’herbier d’environ cent
Simples inconnus auparavant. Cette herbe miraculeuse s’appelle Lit à part,
spécifie selon l’expérience d’un grave Médecin contre l’asthme & les
dépendances : & fut ordonné pour tout remède à un gentilhomme Français,
travaillé de ce fâcheux mal, d’en prendre tous les jours une partie, & sa femme
l’autre. Chose prodigieuse, de guérir en partie le mari par l’usage de cette herbe
prise en partie par sa femme, & qui magnifie & prouve aussi bien la vérité de
l’art Hippocratique, que les cautères achevant à guérir les maladies délaissées, &
que l’acte d’un certain Médecin qui se fit arracher les dents à un charlatan, pour
vérifier ce que dit Paracelse, qu’ils ne savent guérir avec toute leur science un
simple mal de dent.

c) Hermès le trois fois grand, ayant diligemment considéré l’être de l’homme, &
le comparant à celui des autres Créatures, s’écrie, en disant : O homme
vraiment animal admirable, qui mériterait d’être adoré ! En un autre
lieu, Il connaît les genres des Démons, il communique avec Dieu, voire
pourrait être déifié. Et David au huitième Psaume, Tu l’as fort peu rendu
inférieur aux Anges. Mais qu’eût dit Hermès, s’il eût vécu lorsque Dieu
même se rendit notre frère, adoptant notre nature humaine ? Dont restaurés en
notre félicité perdue, nous pouvons avoir la connaissance de toutes choses, si
nous la de mandons d’un cœur non feint à celui qui est la voie, la vie & la vérité.
Ce que considérant, notre Poète a raison d’alléguer que si les oiseaux & autres
Créatures irraisonnables savent choisir ce qui sert à prolonger leur vie & leur
santé : à plus forte raison le doit savoir le Roi légitime de toutes Créatures. Et
que si l’homme peut pénétrer jusque dedans le Ciel, il peut bien encore mieux
pénétrer dans les secrets de la Terre.

(a) N’est-ce pas un grand cas que tant de maladies Par ce seul
Elixir puissent être bannies ? Un seul mal se guérit d’un seul
médicament, Car une cause enfante un effet seulement. Pauvres
gens ! &’ je dis qu’une seulette chose, Selon qui la prend,
diverses causes cause. Voit-on pas d’un seul coup, faire des
faits divers Sur la boue & la cire, à l’œil de l’univers ? Aussi de
ce grand bien la substance parfaite, Quoiqu’une seule chose,
entant qu’elle est extraite Des Eléments premiers, & retient leur
pouvoir, Des effets différents nous peut bien faire voir. De vrai,
(b) je ne crois pas qu’aussi sans cette Pierre, Ces Perses qui,
premiers, possédèrent la Terre, Eussent peu si longtemps dedans
se dépêtrer, Voire à cinq fois cent ans sainement engendrer. Je
sais qu’on tient que Dieu faisait croître leur âge, Pour voir
plutôt par eux croître l’humain lignage :
Que plus près ils sortaient des mains de leur Auteur,
Plus un bon naturel renforçait leur verdeur :
Et que les âmes fruits, avant l’âpre vengeance
Du flot universel, avaient plus de substance :
Mais je sais bien qu’aussi le premier des Mortels
Savait des faits de Dieu les effets naturels,
Et sa prudence être une chose durable,
Qui pût rendre longtemps, un corps incorruptible :
Si bien que par cabale on a puisé des siens,
De ce grand Elixir les incroyables bien.
Je n’ignore pourtant que le Ciel en tout âge,
D’un secret si sacré n’a découvert l’usage.
De toujours le grand Roi sur tous Rois élevé,
S’est dans son cabinet maint trésor réservé,
Pour mieux de temps en temps, montrant leur excellence,
Témoigner de ses biens l’immortelle abondance.
Ceux qui depuis cent ans, d’un beau désir guidés,
Dans des logis de pin, de cordage guindés.
N’ont craint, nouveaux Typhis, de tenter la fortune
Sur les flots insolents du perfide Neptune,
Ont découvert au monde un Monde qui nouveau,
Semble de ce grand Tout receler le plus beau :
Ainsi dès quelque temps, ceux à qui l’exercice
A d’un art se divin enseigné la notice,
Ont déterré ce bien, qu’un long & morne oubli,
Es cendre d’ignorance avait enseveli.

a) Tout ce qui est épars en effet en la circonstance d’un cercle, est amassé au
centre d’icelui en pouvoir. Ainsi la lumière éparse par le vaste circuit du Ciel en
effet, est ramassé en un en pouvoir, à savoir en un seul Soleil. De même toutes
les vertus médicinales parsemées en une infinité de plantes, de poissons,
d’oiseaux, d’animaux terrestres, minéraux & pierres précieuses, est ramassée en
effet en notre Soleil Léonin. Voila pourquoi il peut, seul, guérir toutes sortes de
maladies, comme le vrai Apollon & l’unique Roi des médicaments. Les autres
choses naturelles, n’ayant cette vertu qu’en petites étincelles, ne peuvent guérir
chacune qu’une seule maladie. Mais ce Soleil vigoureux peut, seul autant que
tous les simples du Monde : préserve les corps humains de toute corruption &
maladie, les maintient en leur beauté, & retarde leur vieillesse & leur mort,
jusqu’au terme que la sagesse de Dieu a prescrit à toute Créature. Tellement que
ce seul moyen nous peut redimer, durant le temps que nous avons à vivre, des
incommodités qui font que le vieillard, comme dit notre Poète en une naïve
description de la vieillesse,

Chétif ! Tremble, rechigne, est d’émois attaqué,
Est provoqué sans peine, à peine révoqué.
Se dût, traîne ses ans affaissé de misère,
Souffre les lois d’airain de l’âge plus sévère,
Croule, plaint, rêve, & semble, en recourbant son dos,
De sa bouche ridée entamer ces propos :
Ore que des saisons les courses retournées
Aggravent de langueur mon corps rouillé d’année,
O Terre, enterre-moi, borne mes maux passés,
Et dans ton creux giron prends mes membres lassés.

Or que cet Elixir, étant une seule chose, puisse causer divers effets, le Poète le
prouve ici élégamment par la diverse action du Soleil sur la cire & la boue. Si
bien que c’en est comme du Soleil, qui, bien qu’il ne sot qu’une chose simple,
n’étant ni froid ni chaud, ni sec ni humide, supédite le tout où il est besoin :
échauffant le froid & refroidissant le chaud, humectant le sec, & séchant
l’humide, endurcissant le mou, & amollissant le dur. Ainsi cette Médecine est la
Créature du Monde la plus parfaite, absolue en tous ses nombres, &
inexpugnable à tous les efforts du Temps. Toutefois aucuns fols Médecins
veulent maintenir qu’on peut trouver des Simples, tant minéraux que végétaux,
qui sont de la Nature de l’Or, & desquels on peut tirer une médecine universelle,
imitant la vertu de la notre. Mais sauf leur honneur ils se trompent, & épargnent
la vérité. Car il n’y a rien, ni dedans ni dehors les mines, qui égale l’Or en vertu
médicinale. Donc il ne se faut étonner si cet Apollon, faisant sa charge de
médecin, peut guérit toute sorte de maux.

b) Le Poète allègue ici les rainons de ceux qui plutôt poussés d’envie que
d’expérience contre ce bel art, tâchent par des imaginations frivoles, d’obscurcir
le lustre de cette divine Médecine : par laquelle, comme il est vraisemblable,
ceux qui ont vécu devant & après le déluge ont fomenté leur longue vie par une
santé vigoureuse. Tout ce qu’on pourrait apporter au contraire ne fait que pour
nous. Car quant à la bénédiction de Dieu, elle doit être plus grande maintenant
envers ceux qui, voyants des yeux de la foi, celui par qui sont bénites toutes les
nations de la Terre, & vivants selon sa loi, peuvent, suivant sa promesse,
atteindre une longue vie. D’ailleurs, nous pouvons par cette Médecine vraiment
alimenteuse, suppléer au défaut de nos nourritures, & leur faire recouvrer
l’efficace que leur avait contribué le premier âge. Car cet Elixir nourrit l
l’humeur radicale, & redouble toutes les facultés naturelles, principalement la
digestive, & la vertu séparative. En outre, comme analogique au Soleil céleste, il
vivifie ce qu’on prend par la bouche, & le transmue en baume, vraie nourriture
du baume de l’homme, l’augmentant, le clarifiant, & dissipant les froides
humeurs, & enfin désopilant d’ordinaire les passages de l’esprit de vie ; dont
l’opilation est la seule cause des maladies & de la mort. Ces admirables vertus
ont souvent incité les Sages à illustrer leur siècle par la découverte de ce riche
joyau. Dont si notre âge s’étonne d’ouïr parler d’aucuns qui en ont la possession,
il faut qu’il s’étonne aussi des inventions inconnues aux siècles précédents,
comme de la triomphante découverte des Indes dont parle notre Poète, jadis
inconnue même au grand Chevalier de l’air, le fils de Danaé, & à son frère
l’indomptable Thébain : Témoins les colonnes ou plutôt montagnes portant
encore son nom. Pour retourner à la longue vie, je renvoie le lecteur curieux au
Dialogue de Démorgorgon, & de Raimond Lulle, comme aussi au traité de
l’admirable puissance de l’art & de Nature de Roger Bacon Anglais, & au
discours des deux parties sur la longue vie d’un certain Juif errant, allégué par
Cayer dans son histoire de la France.

C’est le seul Or potable, & le seul fruit de vie :
C’est le Nectar non feint, & la vraie Ambroise :
C’est l’herbe dont jadis l’amante de Jason,
Déchargera de ses ans le décrépit Æson

Touchant l’Or potable, il ne sera hors de propos d’en parler en passant , parce
que c’est le sujet qui trotte le plus parmi les discours de ces deux extrémités de
Médecins, Galénistes & Paracelsistes, les uns le prisant comme savants, les
autres le méprisant comme ignorants , imitant le Renard qui méprisait le fruit
que les difficile accès ne lui permettait de goûter. Quant à la qualité du sujet l’or
est en sa nature & en sa forme métallique plus chaud que tous les Simples du
Monde, toutefois non excessivement, mais tempérament, n’ayant en soi aucune
chaleur nuisante & corrosive, tant en sa composition qu’en sa réduction en huile.
Il n’a aussi aucune humidité ni sécheresse qui empêche sa durée ni notre santé.
Car il est tempéré en toutes ses qualités, & les a dans soi si harmonieusement & proportionnément unies, qu’il en naît cette sympathie, par laquelle l’une
maintient l’autre sans discord. C’est ce qui le rend incorruptible, & fait mêmes
que le feu démesuré, qui consume & dévore toute autre chose, n’y peut faire
brèche, mais le purge, l’embellît & l’enrichît, comme nous avons dit ci-devant.
Car il est la matière en pouvoir de la vraie Salamandre des Philosophes, qui se
réjouit dedans le feu, & fait avec vérité ce que le mensonge attribue à l’animal
qui porte ce nom. C’est pourquoi les Sages le prennent, & en font leur Or
potable particulier & spécifique pour le cœur, & un remède excellent pour mêler avec les autres spécifiques servants aux parties nobles & ignobles, en quoi il fait merveilles. Mais ce n’est encore le vrai Or potable, dont parle notre Poète : car il
n’entend de l’Or potable commun qui n’a la vertu de notre grand Elixir. Ce qui
se prouve par l’action que l’un & l’autre a sur les métaux : qui est un grand
secret à noter Il faut donc que le grain de l’Or meure & soit altéré, puis étant
ressuscité il est cette Médecine générale & vraiment Apollonienne, vivifiant
toutes choses Médecine par laquelle mêmes un Roi d’Egypte nommé Xophar
prolongea sa pie jusqu’à trois cents ans, comme récite Crinot qui a été très
excellent Philosophe entre les Allemands. Enfin cet Or potable est figuré par le
remède de Médée envers le père de son amant, comme allègue notre Poète.

Ce (a) n’est donc pas votre art, ô coureurs Alchimistes,
O trompeurs, ô larrons, ignorants, & Sophiste :
Ce n’est votre art, Souffleurs, aux regards enfumés,
Que vos biens & le temps pour néant consumés,
Et qui toujours souffrants la noire odeur du Soufre,
Rassemblés (b) ces Esprits du Plutonique gouffre.
Aussi ne fait votre art la jeunesse fleurir,
Mais la jeunesse enfin par votre art peut mourir :
Témoins ceux qui perdant moyens honneur & vie.
Récompensent, trompés, leurs grandes tromperies.
Qu’ainsi puissent toujours les Sages qui sans fin,
Crèvent leur estomac contre votre art malin,
Vous voir trouver la Mort, & perdre le mystère
Dont on met ès métaux quelque teint adultères.
Si (c) ne faut-il pourtant, ô vous à qui les Cieux
Ont daigné découvrir ce trésor précieux,
Estimer que de soi, jamais l’humaine engeance
Vers un secret si haut guinde sa connaissance :
Car Dieu l’a révélé, pour montrer aux Mortels
Combien plus seront beaux les biens spirituels,
Que si vous l’employez à nourrir votre vice,
Ou pareils à Midas, ôtes noirs d’avarice,
Etant riches de biens, & pauvres de raison,
Vous aurez le corps sain, l’âme sans guérison.
J’ai (d) donc ores sans mât, sans antennes, sans voile,
Au seul & doux aspect d’une infaillible Etoile,
Découvert un Pérou, plus fécond mille fois
Que les jugeons dorés des plus riches Indois.
J’ai fait qu’or ce savoir n’est tel que la Vipère,
Où le facile accès au grand secret n’adhère :
Car somme Prométhée, (& n’en déplaise aux Dieux)
Pour parfaire un grand art, j’ai volé jusqu’aux Cieux,
Et Voilà (mon Damon) comme parfois ma Muse
Sur des champs écartés, en se jouant s’amuse :
Car souvent il vaut mieux suivre un rare sujet,
Que le train tant frayé d’un familier objet.

a) L’expérience atteste tous les jours que toute, Créature tend vers son centre, ou
lieu de son origine. Je tairai ici les corps célestes, & les choses sous lunaires, & ne parlerai que de l’homme, lequel déchu de sa félicité, par le délit de son
premier père, ne laisse pourtant de sentir quelque fois les élancements des
rayons divins dont il jouissait en ce bienheureux séjour d’Eden. C’est pourquoi
il ne peut reposer, mais son âme flottant en ce corps caduc, comme en une
nacelle combattue de vagues contraires, n’aspire qu’au port désiré, auquel ne
pouvant surgir avant qu’avoir payé le tribut qu’il doit à la Nature, il embrasse
l’ombre de ce qu’il connaît représenter aucunement le contentement de son âme
prisonnière. De là naît la diversité des états, dont l’un cherche son souverain
bien en la domination, l’autre en la justice, l’autre en la Médecine, l’autre en
d’autres vacations plus ou moins nobles, selon que son âme est plus ou moins
brouillée par les vapeurs du tempérament du corps. Mais ceux sont les plus
heureux qui savent choisir, comme la Madeleine, la meilleure part, la
contemplation de la Loi de Dieu. Or quelque état que ce soit ne pouvant
subsister sans les trésors souterrains, tous aboient après & y a des Philosophes
en chacun d’iceux. De ces Philosophes, aucuns, mais peu, ont recherché de tous
temps, ce bel art, par une étude méthodique, & en sont venus à bout, après un
travail vraiment Herculéen : les autres y parviennent, favorisés de l’assistance
Divine, & de l’aide de leur bien heureux Astre, qui dès leur naissance les pousse
à la recherche de cet art Royal, comme à la possession de leur vrai héritage. A
tels donc appartient cette science, non à ceux que notre Poète baptise ici
diversement selon leurs mérites, les appelant en premier lieu, coureurs
Alchimistes. De fait ceux-ci ne vont publiant que des recettes fausses &
erronées, lesquelles le plus souvent ils n’entendent eux-mêmes. L’un dira avoir
une projection d’un poids sur dix, l’autre sur vingt : l’autre se vante de force
tiercelets, pars cum parte, & médiums pour le rouge, l’un à dix & huit carats, l’autre à vingt, l’autre à l’Or d’écu, l’autre à l’Or de Ducat, l’autre à la plus
haute couleur qui ait jamais été. Les uns se vantent d’en savoir qui soutiennent
la fonte, les autres tous jugements. Que si vous en voulez pour le blanc, ils ce
manqueront de vous en vendre, à savoir un blanc à dix deniers, l’autre à onze,
l’autre à argent de téton, l’autre à blanc du feu, l’autre à la touche. Mais voici
des marchands bien autrement assortis, qui sont les porteurs de teintures, dont
l’une sera nommée, l’œuvre d’un tel Pape, Roi, Evêque, ou de tels autres, noms,
afin qu’on y ajoute plus de foi, & qu’on se laisse tromper à crédit sous le bruit
incertain que ces grands personnages ont eu ces œuvres ou teintures. Mais il s’en
faut enquêter, & examiner ou faire examiner ces galants avec leurs
marchandises, de peur que le mensonge gagne, à votre désavantage, la place de
la vérité. C’est grand cas que plusieurs grands Seigneurs & braves esprits ne
peuvent encore être faits sages par l’exemple d’autrui, ni tenir la bride à leur
légèreté, pour ne laisser aller leur croyance aux persuasions de ces pipeurs, &
principalement en chose si importante, où il va de l’honneur de leur maison, &
la perte de leurs moyens. Or ce mal est si enraciné en plusieurs, poussés d’un
insatiable désir des richesses, dont ces Sophistes promettent un Monde, que pour
les guérir il les faudrait refondre, ou du moins cémenter avec le sel d’Ellébore.
Mais n’y a-t-il point d’autre cause, me dira quelqu’un, pourquoi l’on se laisse
ainsi attraper au glu de ces maudits oiseleurs. Il yen a plusieurs voire & bien
différentes, dont la plus commune est l’incapacité de savoir discourir en
l’entendement la possibilité de la Nature, & ne pouvoir considérer que si ce que
ces ignorants promettent, était, ils se feraient premièrement riches eux-mêmes,
s’arrêteraient chez eux, & n’auraient que faire de courir ainsi le pays. De Fait ce
qui les pousse n’est pas tant le désir d’enseigner leur savoir à leur prochain, que
celui qu’ils ont de lui attraper la bourse. C’est pourquoi notre Poète les appelle à
bon droit, larrons & Sophistes, parce que parvenus au bout de leur carrière, ils
s’amusent la plupart, contraints par la pauvreté, à donner sur le nez des Rois &
des Princes, & attrapés sur ce bel exercice, se trouvent riches pour jamais. Or le
plus convenable épithète que le Poète leur baille ici est, quand il les a pelle
Ignorants : mais il les eut encore mieux accommodés de les appeler fols en
cramoisi. J’en veux faire monter quelques uns sur le théâtre, dont le premier a
joué une très belle farce en un village en Hollande, nommé Egmont sur mer,
appartenant au Seigneur qui en porte le nom. Celui-ci ayant résidé longtemps à
Rome, & là grabelé quelques passages de l’Ecriture sainte, & de la Physique, car il était autrement bon Péripatéticien, se fonda sur les principes de la Création du
Monde, à savoir que l’eau étant la première matière dont Dieu fit la Terre, il
fallait aussi faire une terre de l’eau, & en icelle semer l’Or, & là-dedans le
rétrograder en minière. Et parce que les Poètes & Philosophes disent que Vénus
est née de l’écume de la Mer, il estimait qu’il en fallait prendre en la pleine
Lune. De fait ledit Comte d’Egmont le vit un jour qu’il s’était mis jusqu’aux
genoux dans la Mer, où il recueillait l’écume des vagues. Ce que voyant ledit
Seigneur, ravi de ce spectacle, lui demanda ce qu’il voulait faire de cette bave de
Neptune. Lors il lui conta avec une gravité magistrale son grand mystère,
accompagné de force passages des saintes lettres, & de plusieurs raisons
Aristotéliques : car l’un n’eût rien valu sans l’autre. Mais ledit Seigneur ne
pouvant croire que telle folie peut tomber en l’esprit de celui qu’il pensait bon
Philosophe, en voulut voir la fin, qui fut qu’il avait rempli un grand matras de
cette eau salée jusqu’à la tierce partie, & sigillé hermétiquement puis le mit à
congeler sous un feu de lampe. Je crois qu’il est encore après, tant il s’opiniâtra
au contenu de sa recette, & vous ai présenté celui-ci, comme le Prince des fols
Alchimistes.

Le second aimait mieux besogne faire, & se tenait en une petite ville du même
Comté de Hollande, appelé Vuorden. Celui-ci ayant vu un petit Traité du docte
Henry Conrad Allemand, intitulé DE CHAO PHISICO PHYSICOCHIMICE
CATHOLICO ET MAGNO, auquel il avait lu que le sujet dont les Philosophes
tirent leur menstrue pour dissoudre l’Or était une chose commune, & que chacun
foulait aux pieds, en lieu que l’autre prenait de l’eau, prit de la terre grasse,
laquelle il disait être le vrai Catholicon, & en distillait un esprit sulfureux
aucunement inflammable comme l’eau de vie. Ce que voyant, le pauvre homme
pensait déjà être en Colchos, ne se donnant de garde que de la terre qu’il prenait
pour son sujet, on faisait une sorte de mottes que, les Hollandais nomment
Tourbes, lesquelles sont pleines de Soufre, & n’y use-t-on d’autre chose pour le
feu, à cause du défaut du bois.

Le troisième, qui était à Utrecht en Hollande, n’était du tout si malavisé, mais
amalgamant l’Or avec le Mercure vulgaire, en fit un amalgame qu’il mit dans un
matras à long col, le sigillant, & le tint trois ans durant à la réverbération du
Soleil, disant que cette chaleur était le vrai feu des Philosophes. Car il faut noter
que ce Philosophe était Anabaptiste, ou plutôt âne bâté, du tout confit, comme sa
secte, en la spiritualité, dont il lui faut pardonner s’il usait d’un feu de même.
Venons la Hayes où est la Cour des Etats des Provinces unies, & le droit chemin
d’Egmont en France. Il y avait là un docte personnage, lequel ayant vu le
passage où Hermès dit, Honorez les Pierres, car en icelles est une âme
Divine : l’entendant à la lettre, prit des cailloux blancs & transparents, & les
calcina & en tira le sel, lequel il distilla en un esprit, pour en icelui attirer l’âme
du Phébus terrestre ou de l’Or, & ainsi produire le dissolvant radical, mais en
vain, comme l’expérience lui montra.

Faisons une escapade jusqu’en Angleterre, & nous y verrons dans Londres
certain gentilhomme, qui s’étant promené en la grande sale du Château Royal dit
Westminster, & ayant là jeté la vue sur les riches vitres & leurs peintures, y vit
représentés, entre autres choses rares, les faits de Jason en Colchos. Lors il
s’imagina que cette histoire (qui couvre allégoriquement l’œuvre des
Philosophes) n’y était peinte sans quelque grand mystère. Dont s’étant bien
flatté en son esprit, il se mit à travailler sur le verre, pour en tirer ce verre rouge,
ou escarboucle des Philosophes : & s’y est si fort opiniâtré, qu’il a servi de fable
& de risée à tout le Monde.

Voyons maintenant si nous ne trouverons point de ces enfarinés de folie en
France. Je puis dire y en avoir connu un nombre infini durant ma résidence, &
parce qu’il faut que chaque mâle ait sa femelle, nous marierons les fols de
Flandres & d’Angleterre avec les fols de France. Donc une certaine Damoiselle
demeurant à trois ou quarte lieues d’Abeville, ayant lu, comme elle me confessa,
que le Soufre était l’Agent du grand œuvre, & le Mercure la matière, les maria
ensemble, & les ayant pulvérisé, les mit au Soleil à blanchir, les humectant tous
les jours avec une eau qu’elle avait tirée du Fer, selon sa recette. Et disait que
par cette petite chaleur du Soleil, & la vertu incérante du fer, tout se tournerait
en poudre rouge comme cinabre, qui ferait merveille sur les métaux. Je crois que
si celle-ci eut été avec l’Anabaptiste ci-devant mentionné, ils eussent fait
quelque chose de bon, étant tous bien d’accord, chose pourtant rare, touchant le
feu Céleste.

J’en pourrais alléguer quelques unes de la Cour, n’était le respect d’une dame,
dont les obligations que je lui ai me feront pardonner à celles de sa qualité. Je
m’en vais donc jusqu’à Angers, où je trouve la plus subtile en Philosophie que
notre Siècle ait enfantée. C’est une damoiselle, qui, comme la précédente,
entendant mal les Sages, quand ils commandent de prendre le sang d’un homme
colérique, voulut encore subtiliser ces paroles, disant que le sang d’un homme
était incertain à cause de l’excès que l’incontinence lui peut faire commettre, &
qu’il vaudrait mieux prendre le sang d’un enfant colérique encore puceau, car
elle craignait peut-être de faire une Pierre Philosophale vérolée. Si bien qu’elle
épia l’heure qu’un jeune garçon vint mendier à sa porte, lequel, pour inciser sa
colère, elle fit rabrouer & injurier par sa servante. L’enfant, à cette aumône
inespérée, s’émeut, & rue des pierres contre la chambrière, ce qui témoigna son
naturel colérique, & la dignité de son sang magnanime, pour en faire ce grand
Elixir.

On l’amadoue donc, & par je ne sais qu’elle subtilité particulière, on lui fait
trouver bon de lui tirer du sang. Ce qui fut fait, voire en tel lieu, & telle quantité,
que cet enfant perdit la vue. Pour ce qui est advenu depuis, je m’en rapporte à
Messieurs d’Angers. Au reste, quand je pense à ces fines folies, & celles que je
pourrais encore réciter, je pers espérance d’en pouvoir sortir. Pour ce je
m’arrêterai ici, de peur de trop fâcher ce sexe, que j’ai toujours honoré, comme
je fais encore : & en contre échange du récit que j’ai fait de deux d’icelles,
finirai ce propos par un genre masculin, comme je l’ai commencé par icelui.
C’est qu’un certain coureur persuada un grand seigneur se tenant lors près de
Rennes en Bretagne, que la matière de la Pierre se tirait de la cervelle de toute
sorte de petits oiseaux. Ce Seigneur, ou le croyant, ou voulant éprouver ses
piperies, lui permit de tirer sur ses terres ; ce qu’il exécuta si bien, secondé de
plusieurs bons arquebusiers, qu’il dépeupla en peu de temps, toute la forêt dudit
Seigneur. Enfin il distilla les cervelles de cette infortunée chasse, pour en tirer
l’eau mercurielle selon Ripley, qui dit en ses douze portes, que les oiseaux nous
apportent le sujet de la Pierre. Pour leur chair, je crois que les chiens de ce
Seigneur en eurent la moindre partie, & qu’elle ne fut fripée par Mons.
L’Alchimiste sans la bien amalgamer avec la meilleure eau Mercurielle de
Bacchus, dont la cave dudit Seigneur est toujours bien fournie.

b) Ceux que notre Poète compare aux Esprits du Plutonique gouffre, sont nos
bourreaux des Soufres, principalement de l’Arsenic & Réagal, qui semblables à
des Dragons venimeux , infectent tellement par leur vaporante haleine, nos
Philosophastres, qu’aux uns les dents tombent, les autres est rapportent la
Phtisie, le haut mal, & d’autres maladies, dont notre Poète dit fort bien que leur
art ne fait fleurir la jeunesse, mais la fait mourir, infectant le baume du corps. Je
me suis souvent rencontré sur les plus plaisants spectacles du Monde, trouvant
monsieur le rêveur entre les ruines de ses fourneaux, faisant une mine, comme
un second Enée plaignant son désastre, parmi les ruines de Troie. Vous eussiez
vu des fourneaux pétardés, des alambics sellés, des matras crevés, des retortes
fondues, des creusets cassés, voire, qui est plus de dommage, des pélicans
décollés, & leurs ailes coupées. Pour les métaux, tout s’était sauvé par la retraite,
& ne restait pour le souffle vent en la bataille de Vulcain, que la fiente minérale,
viande condigne à tels opérateurs. Que si tous ceux dont l’intention n’est bonne
au pourchas de cette Royale Philosophie, étaient toujours servis de mêmes mets
l’appétit de prodiguer leur temps & le bien de leur prochain leur serait ôté, &
cette noble science ne servirait plus de fable parmi ceux qui se servent des abus
de ces pipeurs pour la blasonner. J’exhorte aussi tous ceux qui déjà pourront
avoir goûté quelque expérience en cet art véritable, de ne croire plus de léger
ceux qui semblent prostituer leurs teintures de si grand prix, & qu’ils les
examinent avant que les mettre en besogne. Car ce grand œuvre dont parle ici le
Poète, & les grandes teintures ne font pas du gibier de ces affronteurs, qui
cherchant dans les Soufres communs, & se hâtant pour s’enrichir tout à coup,
perdent beaucoup de bon Or, & ne trouvant la vraie teinture, blâment l’art,
comme faux, & divertissent par ce moyen les novices de cette science, les
aveuglants par leurs courts & particuliers mensonges. De fait ils ne savent que
c’est que des teintures grandes, & ignorent la différence d’entre une teinture
humide, & une sèche. Ils n’entendent point quand le Soufre noir doit être éteint
par son propre feu liquide ou Azotique, ni quand on doit étouffer le Lion ardant
en son propre sang, & quand on le doit ressusciter. Ils n’entendent encore quand
la première solution est achevée & rompue, & quand les dernières couleurs
terrestres doivent paraître en la décoction. Enfin ces ignorants parfaits ne
sauraient bien appliquer une Teinture sur un métal. Demandez donc
diligemment comment la Teinture qu’on vous promet s’achèvera par
l’Opérateur. Car la Teinture sèche est amenée à la blancheur par la viscosité sans
apparition d’aucune couleur, & l’humide se produit & blanchît par la solution &  ascension : puis pat l’extinction des couleurs célestes & Philosophales. 


Donc le Philosophe qui n’entendra tout ceci avant que commencer à travailler, ne fera
jamais rien qui vaille en cette science universelle. Que s’il parvenait à quelque
petite chose, ce serai, par hasard, comme un aveugle qui frapperait un oiseau
d’un coup de flèche, & ne pourrait après en refaire autant. C’est ainsi qu’il en
arrive aux ignorants, qui sans y penser, trouvent quelque vérité & science mais
voulant recommencer n’y peuvent revenir, mais sont contraints de tout quitter &
s’abandonner eux-mêmes au désespoir.

c) Le Poète remontre ici le grand bien que Dieu fait à ceux à qui il permet de
trouver ce Trésor inestimable, dont considérant la grandeur & le difficile accès,
il dit que le Philosophe doit fuir toute présomption, afin qu’il n’estime y être
parvenu par sa propre capacité. Ce qui est impossible comme dit Geber en sa
Somme, disant que celui qui présume trouver cet art par les livres, y parviendra
bien tard. Parce, dit-il en un autre lieu, que nous avons écrit la vraie
pratique pour nous même, y mêlant la façon d’enquérir. C’est pourquoi i
l y a mis aussi sa procédure en divers chapitres. Et Alphidus dit, Les
Philosophes qui nous ont précédés ont caché leur principale intention
sous divers énigmes. Et Geber en sa Médecine Solaire, Les Philosophes
n’ont écrit la science inventée que pour eux-mêmes. C’est donc pourquoi
l’homme ne la peut trouver de soi-même en lisant les livres des Philosophes,
pour les grandes difficultés qui h y voit. Car qu’est-ce qui peut engendrer plus
de difficultés que la rencontre d’une contrariété si grande entre tant d’auteurs
renommés, voire entre les écrits d’un même Auteur ? Comme témoignent les
écrits de Rasis quand il dit au livre des Lumières, J’ai assez montré en mes
livres le vrai ferment requis pour la multiplication des Teintures des
métaux, lequel j’ai affirmé ailleurs n’être le vrai levain, en délaissant
la vraie connaissance à celui qui aura le jugement de le connaître.
Touchant la matière de notre divin œuvre, si l’un écrit qui elle est de vil prix,
trouvée sur les fumiers, & que les riches, & pauvres l’ont, comme dit Zeno, & autres en la Tourbe des Philosophes : incontinent Barseus dira, Ce que vous
cherchez n’est par de peu de prix. D’autre part un autre dira qu’elle est fort
précieuse, & ne peut être trouvé qu’à grands frais. Pour les instruments, si l’un a
dit qu’il faut préparer notre œuvre en divers vaisseaux & fourneaux, comme
Geber en sa Somme, il y en a d’autres qui assureront qu’il ne faut qu’un seul
vaisseau & fourneau pour tout, comme font Lulle, Rasis, Alphidius & autres.
Puis les uns mettent neuf mois à la procréation de notre vrai Phénix ou grand
œuvre, comme Rasis : & Rosinus & Platon veulent un an. Au reste on trouve les termes de cette science si divers, qu’il nous est impossible, comme dit Raimond
Lulle, de découvrir la vérité entre tant de diversités, si Dieu ne nous inspire par
son S. esprit, ou ne nous la révèle par quelque savant Philosophe. Voilà
pourquoi nous n’en voyons guère qui l’entendent, & n’en savons rien jusque
après leur mort : parce qu’ayants acquis cette science à si grand peine, ils la
scelleraient à eux-mêmes, s’il était possible, en lieu de la communiquer aux
autres. Il ne faut donc trouver étrange, si l’on ne voit personne qui se vante
d’avoir fait ce divin œuvre, mais s’étonner comme il y en a aucun qui soit
parvenu à cette connaissance. Ainsi il en faut donner à Dieu l’honneur, puisqu’il
donne ce secret, comme dit Geber, à celui qu’il lui plaît, & lui ôte quand bon lui
semble. Vous vous garderez donc d’employer les fruits de cet arbre doré
autrement qu’en œuvres charitables, afin que ce bien ne soit le dernier que vous
recevrez de Dieu : & ne vous en servirez point, comme dit notre Poète, pour
nourrir votre vice, si vous considérez la grandeur de celui qui vous en a choisi
pour possesseur entre tant de millions de personnes, & mesurez l’excellence du
don, & la félicité immortelle que ce Trésor inépuisable vous peut faire concevoir
aucunement que Dieu vous prépare encore si vous faites valoir ce riche talent à
sa louange & à sa gloire.

d) Le Poète prenant congé de son cher ami, qu’il nomme son Damon, faisant
allusion à la fidèle & réciproque amour de Damon & de Pythias, dit avoir
découvert des vraies Terres neuves, & montré la connaissance de cette grande
science. Or pour en faire comme une brève récapitulation, je dis que le sujet
d’icelle comprend en soi le vrai fléau des métaux, lequel régénéré en un autre
être que les anciens nomment leur première matière, produit des bêtes très
furieuses, le Lyon, le Crocodile, & le Dragon, qui dévorent, broient, & rendent, en leur colère, l’imparfait parfait. Cependant le Lyon engendre en sa propre
force l’Aigle, qui lui apporte sa viande, & le nourrit. Après, le Crocodile dévore
le Lyon, & le Crocodile est mangé par le Lion ardant. Prenez-le donc, & le sang du Lion & le brûlez à grande force avec l’Aigle, & de ces trois se feront un. Ce sera l’arbre d’Or susdit, lequel portera en tout temps ses fruits & semences, dont naîtront des pommes délicieuses. On peut couper des jetons & des branches de cet arbre, & les enter ou transplanter, afin qu’ils portent aussi force fruits, & de diverse façon qui ne dégénéreront de l’arbre dont ils seront coupés, quoiqu’on les ente sur un sauvageon infertile, mais l’orneront & l’anobliront. Tout ceci le doit faire en leur Printemps afin qu’ils donnent des bons fruits en Eté, s’augmentant petit à petit, & enfin, se multipliant à l’infini par la voie de
l’adaptation admirable, dont fait mention Hermès Trismégiste en là table
d’émeraude. Voilà donc amplement déclarée cette science vraiment haute, & qui
seule surpasse infiniment toutes celles où l’ambition pousse les âmes désireuses
des honneurs & des richesses du Monde. Donc mettant fin à mon discours sur
l’œuvre de notre Poète, je dirai avec lui,

Mon luc peu de chose demande.
Mais son chant aime la hauteur :
Car mieux vaut une chose grande,
Que beaucoup de peu de valeur.

FIN.

PERMISSION,
Il est permis à Claude Morillon, d’imprimer le présent livre, avec défense en tel
cas requises. Fait ce quinzième Mars, mil six cens dix.

SEVE.

Extrait du Privilège du Roi.

Par grâce & Privilège du Roi, il est permis à Claude Morillon, Libraire &
Imprimeur de Lyon, imprimer, ou faire imprimer, vendre & distribuer, un livre
intitulé, Commentaires de Henry de Linthaut, Sieur de Mont lion,
docteur en Médecine ; Sur le Trésor des Trésors de Christofle de
Gamon, revu & augmenté par l’Auteur. Et ce pour le temps & terme de six
ans consécutifs : Avec défenses à tous autres Libraires & Imprimeurs du
Royaume de France, de quelques Provinces qu’ils soient des sujets du Roi,
d’imprimer, faire imprimer, vendre, débiter, tenir & acheter, ni échanger ou
trafiquer dedans & dehors le dit Royaume, aucuns desdits livres, ni les
augmenter ou diminuer, ni extrait d’aucune chose, sans le su & consentement
dudit Morillon, aux peines & amendes applicables ainsi que plus amplement est
contenu ès lettres parentes de sa Majesté. Données à Paris au moi, de Mars
1610. Et de son règne le vingt et unième.

Achevé d’imprimer le 30. Mars 1610.



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