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ANONYME Dialogue de Marie et d'Aros sur le magistère d'Hermès
Marie la Prophétesse
DIALOGUE DE MARIE ET D’AROS SUR LE MAGISTÈRE D’HERMÈS
Bibliothèque des Philosophes Chimiques 1740
Le philosophe Aros alla trouver Marie la prophétesse, sœur de Moïse, et l’ayant saluée civilement, il lui dit : (1) Madame, j’ai ouï dire fort souvent que vous blanchissiez la pierre en un jour. Oui, répondit Marie, et même en moins d’un jour. Je ne conçois pas, repartit Aros, comment ce que vous dites se peut faire ni par quel moyen on puisse blanchir si promptement par le magistère. Marie répondit : Et ne savez-vous pas qu’il se fait une eau ou une chose qui blanchit en un mois ? Il est vrai, dit Aros, mais il faut longtemps pour faire la chose dont vous parlez. Hermès, reprit Marie, dit dans tous ses livres que les philosophes blanchissent la pierre en une heure. Ô Madame, dit Aros, que vous me dites là une belle chose ! Très belle, répliqua Marie, pour celui qui ne la sait pas. Mais, Madame, répondit Aros, s’il est vrai que tous les corps des métaux, aussi bien que le corps humain, sont composés des quatre éléments, il faut avouer qu’ils peuvent être fixés et modérés et leurs fumées coagulées et retenues en un jour, jusqu’à ce que ce qui en doit être fait soit parachevé. Je vous assure, Aros, dit Marie, et j’en prends Dieu à témoin, que, si vous n’étiez tel que vous êtes, je ne vous déclarerais point ce que je vais vous dire et que j’attendrais à vous le révéler jusqu’à ce que Dieu m’eût inspiré de le faire. Prenez donc de l’alun, de la gomme blanche et de la gomme rouge, qui est le kibric des philosophes, leur or et leur plus grande teinture, et joignez par un véritable mariage la gomme blanche avec la rouge. Je ne sais si vous m’entendez. Oui, Madame, dit Aros, j’entends et je comprends ce que vous dites. Réduisez tout cela en eau coulante, poursuivit Marie, et purifiez sur le corps fixe cette eau véritablement divine, tirée des deux soufres, et faites que cette composition devienne liquide, par le secret des natures, dans le vaisseau de philosophie. M’entendez-vous, Aros ? Oui, Madame, répondit Aros, je vous entends fort bien. Conservez la fumée, reprit Marie, et n’en laissez rien échapper et faites votre feu à proportion qu’est la chaleur du soleil dans les mois de juin et de juillet. Tenez-vous auprès de votre vaisseau et vous y verrez des choses qui vous surprendront. Car, en moins de trois heures, votre matière deviendra noire, blanche et orangée et la fumée pénétrera le corps et l’esprit sera fixé. Le tout se fera ensuite comme du lait, qui se fera incérant, fondant et pénétrant. Et c’est là le secret caché. Aros, prenant la parole, dit : Je ne saurais croire que cela se fasse toujours de la sorte. Voici une chose bien plus admirable, dit Marie, qui n’a point été connue par les Anciens, devant Hermès (2), et qui ne leur a jamais entré dans l’esprit. Prenez de l’herbe blanche, claire, honorée, qui croît sur les petites montagnes. Broyez-la toute fraîche, comme elle est à son heure déterminée, car en elle est le véritable corps, qui ne s’évapore ni ne s’enfuit point du feu. N’est-ce pas là la pierre de vérité, dont vous parlez ? dit Aros. Oui, Aros, ce l’est, reprit Marie, mais les hommes n’en savent pas le régime, parce qu’ils ont trop de hâte et qu’ils veulent faire l’œuvre trop tôt. Qu’y a-t-il à faire après cela ? dit Aros. Il faut, lui dit Marie, rectifier sur ce corps kibrich et zubeth, c’est-à-dire les deux fumées, qui comprennent et qui embrassent les deux luminaires, et mettre dessus ce qui les ramollit et qui est l’accomplissement des teintures et des esprits et les véritables poids de la science. Puis, ayant broyé le tout, il faut le mettre au feu et l’on verra des choses admirables. Au reste, tout le régime consiste à savoir faire le feu modéré. Après quoi, ce sera une chose surprenante de voir comment, en moins d’une heure, cette composition passera d’une couleur à une autre, jusqu’à ce qu’elle vienne à la rougeur et à la blancheur parfaite. Il faut alors défaire le feu et ouvrir le vaisseau, quand il sera refroidi, et on trouvera le corps clair et luisant, comme une perle, de couleur de pavot des champs, entremêlé de blanc. Il est lors incérant, fondant et pénétrant et un poids de ce corps ira sur douze cents de métal imparfait et les convertira en or. Voilà le secret caché. Ici Aros s’étant prosterné le visage contre terre, Marie lui dit : Levez-vous, Aros. Je vais encore vous abréger l’œuvre. Prenez le corps clair, pris sur les petites montagnes, qui ne se fait point par la putréfaction (3), mais par le seul mouvement. Broyez ce corps avec la gomme elzaron, et les deux fumées. Car la gomme elzaron est le corps qui saisit et qui prend l’esprit : Broyez le tout, approchez-le du feu, tout se fondra et, si vous en faites projection sur sa femme, le tout viendra comme de l’eau que l’on distille et il se congèlera à l’air et ce ne sera plus qu’un corps. Que si vous en faites projection sur les corps imparfaits, vous verrez des merveilles. Car c’est là le secret caché de la science. Sachez que les deux fumées, dont je viens de parler, sont les racines de cet art et ce sont le kibric blanc et la chaux humide, à qui les philosophes ont donné toutes sortes de noms. Mais le corps fixe vient du cœur de Saturne, qui comprend la teinture et qui parfait l’œuvre de la sagesse. Le corps que l’on prend sur les petites montagnes est clair et blanc. Et ce sont là les médecines ou les deux matières de cet art, dont l’une s’achète et l’autre se prend sur les petites montagnes. Et je vous avertis, Aros, que les sages ne les ont appelées l’œuvre de la philosophie qu’à cause que la science ne peut point être parfaite sans ces choses et que c’est en elle que se font toutes ces merveilles de l’art. Car il y entre quatre pierres (4) et son régime est véritable, comme je l’ai dit. Et Hermès a fait plusieurs allégories là-dessus en ses livres. Et les philosophes ont toujours prolongé leur régime, en disant qu’il faut bien plus de temps pour le faire qu’il n’en faut effectivement. Et ils ont dit même qu’il fallait faire des opérations qui ne sont point nécessaires et ils ont toujours dit qu’il fallait un an pour faire leur magistère ; ce qu’ils n’ont fait que pour le cacher au peuple ignorant, en leur faisant accroire que leur œuvre ne peut point être parfait qu’en un an. Aussi est-ce un grand secret et il n’y a que Dieu qui le puisse révéler, ceux qui en entendent parler ne pouvant pas en faire l’expérience, à cause qu’ils n’y savent rien. M’avez-vous entendue, Aros ? Oui, Madame, lui dit-il, mais je vous prie de me dire ce que c’est que le vaisseau, sans lequel l’œuvre ne se peut faire. Ce vaisseau, dit Marie, est le vaisseau d’Hermès, que les philosophes ont caché et que les ignorants ne sauraient comprendre, car c’est la mesure du feu philosophique. Aros dit alors : Ô prophétesse ! Dites-moi, je vous prie, si vous avez trouvé dans les livres des philosophes que l’on pût faire l’œuvre d’un seul corps ? Oui, dit-elle, et cependant, Hermès n’en a point parlé, parce que la racine de la science est... et un venin qui mortifie tous les corps, qui les réduit en poudre et qui coagule le mercure par son odeur. Et je vous proteste, par le Dieu vivant, que lorsque ce venin se dissout en une eau subtile, de quelque manière que cette dissolution se fasse, il coagule le mercure en véritable lune à toute épreuve. Et si l’on en fait projection sur Jupiter, il le change en lune. Je vous dis, de plus, que la science se trouve en tous les corps. Mais les philosophes n’en ont rien voulu dire, à cause de la brièveté de la vie et de la longueur de l’ouvrage. Et ils l’ont trouvé plus facilement dans la matière qui contient le plus évidemment les quatre éléments et ils ont multiplié et obscurci cette matière par les divers noms qu’ils lui ont donnés. Ce n’est pas que tous les philosophes ont assez parlé de tout ce qu’il faut faire pour l’œuvre, hormis du vaisseau d’Hermès, parce que c’est une chose divine et que Dieu veut qui soit inconnue aux gentils et idolâtres, ce vaisseau étant d’une si grande nécessité pour le magistère que ceux qui ne le connaissent pas n’en sauront jamais le véritable régime (5).
NOTES
1. Il n’est pas certain que cette Marie fût sœur de Moïse. Mais, dit M. Salomon, quelle que soit la femme qui a fait ce traité, elle est fort ancienne, puisqu’elle a été auparavant Morien, qui la cite et qui vivait dans le VII’ ou ville siècle. On dira, ajoute ce savant commentateur, que cette femme philosophe a véritablement su la science et qu’elle en a parlé en personne qui la possédait et avait fait l’œuvre philosophique.
2. J’ai ajouté ces deux mots, devant Hermès, qui ne sont dans aucun exemplaire, parce qu’Hermès ayant fait le magistère, qui ne se peut faire sans cela, comme il est dit ensuite, il faut qu’il ait eu cette connaissance. Peu après, il y a Broyez-la toute fraîche, parce que, comme dit Philalèthe, si les colombes de Diane sont mortes, lorsqu’on les prend, elles ne peuvent de rien servir. L’auteur ajoute : Est à son heure déterminée, ce qui se rapporte à ce que dit Zachaire, qu’il n’y a qu’une heure pour faire la conjonction des deux matières. M. Salomon.
3. Si la chose dont il est parlé ici ne se fait pas par la putréfaction, elle se doit faire par le mouvement local, je veux dire par la sublimation philosophique. M. Salomon.
4. Ces quatre pierres qui entrent dans l’œuvre sont, à mon avis, les quatre éléments, les philosophes ayant accoutumé de donner à la matière de l’œuvre le nom de l’œuvre même. On sait que l’œuvre des philosophes ne consiste que dans le changement des éléments. M. Salomon.
5. Dans le mercure des philosophes et même dans l’argent vif commun, les éléments sont plus apparents qu’en nul autre mixte ou corps composé qui soit dans la nature.
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