Samuel Cottereau du Clos |
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COTTEREAU DU CLOS Dissertation sur les principes des mixtes naturels.
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DISSERTATION
SUR LES PRINCIPES DES MIXTES
NATURELS.
Samuel Cottereau du Clos
Médecin du roi Louis XIV
Membre fondateur de l'Académie Royale des Sciences
1598-1685
La vérité des choses que nous tâchons de connaître, ne nous paraît souvent
que dans les ombres, qui les suivent ou les précèdent, selon le jour que nous
prenons pour les voir. Les premières conceptions de notre esprit le peuvent
préoccuper; celles qui suivent reçoivent ordinairement du trouble par les
préjugés, & les observations des sens ne sont pas toujours fort exactes. Des
choses qui nous peuvent être connues, les unes sont sensibles & se
connaissent par les sens, aidés de l'Entendement ; les autres sont abstraites
des sens, & l'Entendement seul les peut connaître. La connaissance acquise
par les sens, aidés de l'Entendement, n'a point tant de certitude que celle qui
s'acquiert par l'Entendement seul; car ce qui connaît par soi-même, est plus
certain de ce qu'il connaît, que ce qui connaît par autrui. Le sens apercevant de quelle la chose sensible, connaît bien qu'elle est; mais il ne connaît pas
pourquoi elle est, & n'en fait point les Causes. L'entendement venant au
secours du sens peut connaître pourquoi elle est, & ne connaît quelle
est que par le rapport du sens, si elle est du genre des sensibles, ce qui
fait que cette connaissance est moins certaine.
Ce que les sens nous
annoncent des Mixtes que l'on nomme naturels, est évident. Ils nous
apprennent l'existence de ces Mixtes, & quelques modifications de leur
Être; mais ils ne nous en sont pas connaître toutes les Causes. C'est à
l'Entendement à les chercher, lequel étant informé des générations et des
corruptions de plusieurs choses, juge que ces altérations, qui ne se peuvent
faire sans mouvement, supposent nécessairement en leurs êtres, le concours
de quelques Principes, les uns passifs & seulement mobiles , les autres actifs
& capables de mouvoir. La supposition de ces Principes est bonne & vraie;
mais leur détermination n'est pas facile à l'Entendement , qui les peut
considérer diversement; car le Moteur altératif est au Mobile altérable, ou
seulement externe, ou interne & constitutif faisant partie du sujet, composé
de l'un & de l'autre. La recherche de ces Principes a depuis longtemps exercé
les plus habiles Physiciens. J'ai aussi tâché en diverses manières de m'en
instruire. En travaillant à la résolution chimique des Planètes, je me suis
vainement occupé à réduire ces Mixtes en quelques matières simples, qui
pussent être réputées premières, & passer pour Principes. Le Feu des
fourneaux faisait séparer de toutes les Plantes, de l'Eau, de l'Huile, du Sel &
de la Terre. La portion d'Eau, que je trouvais insipide, me semblait moins
composée, & quoiqu'elle me parût fans mélange de Sel, n'ayant aucune saveur,
je n'étais pas certain qu'elle fût sans quelques particules imperceptibles de
Terre, ou d'autres matière. Je n'avais point aussi d'évidence de la simplicité de
la Terre extraite de ces Plantes, laquelle semblait néanmoins être par la
combustion, privée du mélange des parties huileuses, grasses & inflammables,
& l'être aussi par les lotions de celui des Salines, cette Terre cendreuse
pouvant retenir encore quelques portions des unes & des autres de ces
matières, que le Feu de l'Eau n'en aurait pas totalement séparées pour réduire
cette Terre à la simplicité élémentaire.
Les Eaux qui avaient de la saveur la tenaient vraisemblablement du Sel, reconnus qui en pouvait être en partie séparé; mais je n'avais point de
certitude dans ce qu'il le fût totalement. Les liqueurs huileuses & les autres
matières susceptibles d'inflammation, rendaient du Sel, de l'Eau & de la Terre;
& le Sel condensable au sec, & résoluble à l'humide, n'était point sans Terre
qui le rendait concret, ni sans Eau qui le faisait résoudre. L'acrimonie du Sel
n'était plus sensible après la séparation de ces parties, & ne pouvait être
raisonnablement attribuée á cet assemblage d'Eau & de Terre. S'il y avait
quelque autre Principe de cette acrimonie, il était disparu aussi-bien que celui
des propriétés formelles & spécifiques, dont il ne demeurait rien de
manifeste, ni dans la Terre, ni dans l'Eau, qui restaient seules apparentes dans
ces Analyses extrêmes. Je n'ai pas été mieux instruit des Principes des Mixtes
par la résolution chimique des Animaux, & celle des Minéraux ne m'a pas été
si facile. N'ayant donc pu trouver par ces moyens ce que je cherchais, je me
suis attaché à considérer le gros & total du Globe où nous vivons, pour
observer ce qui concourt aux générations qui s'y font ordinairement.
La matière des Mixtes naturels me semble être prise des lieux où ils sont
produits, & en tous ces lieux il se trouve de la Terre, de l'Eau & de l'Air, qui
sont les pièces matériellement constitutives du Globe que nous habitons. La
Terre dense fait la solidité de la masse de ce Globe ; l'Eau liquide détrempe &
lie ensemble les particules terrestres discontinues , & l'Air rare & subtil
occupe & remplit les espaces qui ne sont pas totalement occupés de la Terre
& de l'Eau.
On observe dans la masse corporelle des Mixtes naturels particuliers, mixtes, des matières semblables à celles qui constituent la masse du Globe terrestre,
& par la considération de ces matières générales il me semble facile de venir à
la connaissance des particulières qui en sont participées dans les Mixtes.
Le corps élémentaire, qui est la Matière de ce Globe, comme tous les Mixtes
particuliers qui sont en lui, a des différences considérables, dont les unes lui
appartiennent comme corps, les autres comme Élément, & d'autres comme
corps élémentaire. Celles qui lui appartiennent comme corps sont l'extension
& la divisibilité, desquelles résulte la quantité, qui est commune à tout corps
comme tel. Celles qui lui conviennent comme Élément, sont des qualités
requises à la condition élémentaire, & qui partagent ce grand Corps pour
avoir chacune un sujet particulier & propre. Ces qualités sont l'humidité qui
convient à l'Élément aqueux & la sécheresse, qui est particulière à l'Élément
terrestre & la froideur, qui est propre à l'Élément aérien. Les affections qui lui
sont attribuées comme corps élémentaire, sont la densité & la rareté, chacune
desquelles a aussi une portion du corps élémentaire pour sujet propre, & les
deux ensemble ont une autre portion de ce corps pour sujet commun. La
rareté est propre à l'Air, & c'est par elle qu'il est capable d'extension & de
compression. La densité convient à la Terre, qui n'est ni extensible ni
compressible, mais dont les particules sont capables de conjonction & de
disjonction. L'Eau qui tient un milieu entre l'Air & la Terre, est capable de
raréfaction divisive du continu, & de condensation réunitive des parties
séparées.
Chacun de ces Éléments a ses fins particulières, selon sa condition
élémentaire. L'Eau en a trois, la première comme humide, la seconde comme
liquide, & la troisième comme vaporeuse. L'Eau comme humide reçoit l'esprit
ignée du Soleil, lequel est l'Auteur des mouvements qui se font dans les
Mixtes particuliers, aussi-bien que dans tout le Globe terrestre. Comme
liquide l'Eau se coule entre les particules terrestres pour les lier ensemble; &
comme vaporeuse elle circule de bas en-haut pour se communiquer à l'Air &
se rendre à la Terre. Les fins principales de l'Air sont deux, l'une lui convient
comme rare, & l'autre comme froid. Comme rare, extensible & compressible,
il occupe les espaces qui ne sont point remplis des deux autres Éléments,
pour conserver le tout en quelque sorte d'union; & comme froid il sert à
tempérer les mouvements de l'esprit ignée, par lesquels la chaleur est produite
sur la Terre & dans les Mixtes, & à remettre l'Eau raréfiée en sa liquidité
coulante pour la rendre à la Terre d'où elle s'était élevée. La Terre a
pareillement deux fins, l'une comme sèche, & l'autre comme dense. Comme
sèche elle tempère l'humidité de l'Eau, & comme dense elle donne de la
solidité à ce qui en a besoin dans le Globe terrestre & dans les Mixtes
particuliers, selon divers degrés pour retenir plus fermement l'esprit ignée, qui
leur est communiqué par le moyen de l'Eau, dans laquelle il s'est
premièrement insinué, comme dans la matière la plus propre à le recevoir.
Ainsi ces trois parties du corps élémentaire se trouvent diversement
considérables. L'Eau comme Élément humide, liquide & vaporeux, que
aqueux, l'humidité rend capable de recevoir l'esprit ignée du Soleil, & de le
communiquer aux deux autres Éléments; qui par sa liquidité coulant au
travers de la Terre, en conjoint & lie ensemble les particules pour les contenir
en masse; & qui étant raréfiés & réduite en vapeur, s'élève des profondeurs de
la Terre vers sa surface & jusques dans l'Air. Ce qui ne sort pas de la Terre
étant retenu par la Glaise ou par la Roche, se condense, liquide, & cherche en
coulant des issues pour faire des sources. Ce qui s'en élève jusques dans l'Air
y reprend sa densité liquide par le froid & retombe en pluie. Ainsi par une
circulation continuelle, cet Élément humecte la Terre & l'Air, pour servir à la
production des Minéraux, à la végétation des Plantes, & à la conservation de
la vie des Animaux. L'Eau n'est point compressible en sa continuité fluide,
elle n'est point aussi extensivement raréfiable, & elle ne se raréfie que par
division en parties séparées les unes des autres, ce qui est improprement
nommé raréfaction.
L'Air doit être considéré comme un Elément froid, rare & subtil, continu &
divisible, capable d'extension & de compression, servant par sa froideur à
tempérer la chaleur conçue dans les deux autres Éléments, aérien, par le
mouvement de l'esprit ignée, étant par son même froid capable de réunir les
particules de l'Eau raréfiée, pour les remettre en leur continuité fluide, &
ayant par fa subtilité de la disposition à s'insinuer dans les intervalles de la
Terre & de l'Eau pour les remplir. Cet Élément rare est compressible, pour
donner lieu aux autres corps poussés & agités, afin qu'ils se puissent mouvoir,
ce qu'ils ne pourraient faire si tout l'espace était rempli de corps non
compressibles, comme sont ceux de la Terre & de l'Eau. Il est pareillement
capable de raréfaction extensive & proprement dite, afin de remplir les
espaces laissés derrière les corps qui sont en mouvement, & qui changeant de
lieu laissent celui qu'ils avoient occupé.
La Terre élémentaire est considérable, comme une multitude de corpuscules
secs & solides, lesquels par leur mélange avec l'Eau & l'Air, qui sont fluides,
donnent diverse consistance aux Mixtes qui en sont composés. La solidité de
ce corps élémentaire fait que sa continuité divisée en plusieurs particules ne se
rétablissant pas de soi & sans le secours d'un fluide pénétrant , reste souvent
en cet état de division. Tout corps ayant de l'étendue divisible peut être résout
en particules séparées, & perdre beaucoup de la continuité de sa masse, qu'il
reprend par la réunion de ses particules homogènes, si en se rejoignant les
unes aux autres, elles se peuvent pénétrer, pour se confondre ensemble. La
fluidité pénétrante de l'Eau & de l'Air facilite en ces deux corps la réunion de
leurs particules séparées pour se remettre en continuité lorsqu'elles se
trouvent homogènes. Mais la sécheresse solide des particules terrestres,
séparées les unes des autres, empêchant leur pénétration, & ne leur
permettant pas de se réunir sans le mélange de quelque humide qui les
pénètre, ne sont point un continu homogène.
Aussi ne voit-on pas de continu simplement terrestre qui soit de grande
étendue. Ces corpuscules denses & solides seraient difficilement mobiles s'ils
étaient grands, & la figure de chacun de ces corps réduite à la dernière
petitesse que leur condition peut souffrir, semble devoir être la plus simple.
La rondeur leur pourrait convenir en cet état, si elle ne répugnait à là
disposition requise en ces particules pour se lier ensemble & donner de la
fermeté aux Mixtes. La figure oblongue & la forme fibreuse sont les plus
convenables pour ces liaisons, comme on le peut observer aux filets des
Araignées, qui se prennent & lient à tout ce qu'ils touchent , parce qu'ils sont
composés de fibres très-déliées. Les matières fibreuses se réduisent facilement
en masse compacte. Le papier, le carton , le feutre, le drap sont fibreux. Les
Plantes & les Animaux n'ont de solidité que par la jonction des fibres de leurs
parties. Celle des Minéraux peut être de-même, & j'ai quelquefois observé
dans l'Or, dissout & précipité de certaine manière, des fibres assez semblables
à celles du gros papier & du linge. Le fer forgé est manifestement fibreux, &
c'est par la flexibilité rigide de ses fibres qu'il fait ressort. La poussière la plus
subtile qui s'amasse dans nos chambres, dessous & dessus les meubles, est
ordinairement fibreuse, & celle qui vole par l'Air dans les maisons, & que
nous n'y voyons que quand les rayons du Soleil y entrent & les éclairent
fortement, nous paraissent comme des fibres très-déliées, dont les plus
courtes semblent être rondes.
Ces trois Éléments corporels, qui constituent matériellement le Globe
terrestre, & qui semblent être aussi les pièces matérielles de tous les Mixtes
naturels particuliers, dans lesquels il se trouve de la Terre & de l'Eau, qui ont
vraisemblablement quelque mélange d'Air, ne sont point altérables en leurs
substances ni en leurs qualités essentielles, & ne se changent point les uns aux
autres. Les Mixtes qui en sont faits ne sont altérables qu'en leur composition,
& en quelques formalités qui sont accidentelles à là matière.
Ces corps mobiles & seulement passifs n'ont dans le Globe terrestre autre
mouvement que celui qui leur vient du divers degré de pesanteur, ou
d'inclination vers le centre de ce Globe, pour prendre autour de lui les places
qui leur conviennent & se contenir ensemble. Les circulations de l'Eau, les
agitations de l'Air, & les secousses de la Terre ont des Causes externes; & si
toute la masse du Globe roule à la manière des Astres Planétaires, c'est
vraisemblablement comme eux par l'impression de la lumière du Soleil. Les
divers Mixtes particuliers qui se trouvent dans ce Globe terrestre, participant
de sa matière, peuvent comme lui recevoir du feu Solaire les mouvements qui
s'y font. Le feu céleste très actif est en mouvement continuel dans les Astres
lumineux, & ces Astres mus par leur propre feu lumineux tournent
incessamment sur leurs centres immobiles, ne recevant impulsion d'aucune
Cause externe plus forte qui les fasse changer de place, comme sont les
Astres Planétaires, desquels n'ayant point d'eux-mêmes cette lumière active &
motrice, n'ont de mouvement que celui qu'ils reçoivent de l'Astre lumineux
dans la sphère d'activité duquel ils se rencontrent. Le feu Solaire qui paraît à
nos yeux par & lumière, & qui se fait sentir par la chaleur que son
mouvement excite dans les corps, contribue si efficacement aux générations
de plusieurs Mixtes naturels, que l'on peut bien le reconnaître pour Causes
des mouvements naturels qui se sont dans la matière corporelle , mobile &
passive de tous les autres.
La Lumière est la première des choses que nous voyons, & l'on ne voit les
autres que par elle. Durant le jour celle du Soleil se répand sur l'un des
Hémisphères du Globe terrestre, & de nuit paraît celle des Astres qui
succèdent au Soleil sur l'Horizon qu'il a quitté. De ces ses Astres les uns
brillent par leur propre lumière, & les autres nous renvoient celle qu'ils
reçoivent du Soleil. Les Astres lumineux & brillants sont en très-grand
nombre , & nos yeux aidés des plus grandes Lunettes , ne les ont point
encore tous aperçus dans les nuits les plus sereines. Si ces Astres lumineux,
que l'on nomme Étoiles fixes, & qui sont beaucoup plus éloignés de nous que
le Soleil qui nous éclaire de jour, sont autant de semblables Soleils , il faut
qu'il y ait bien de la lumière en tout l'Univers, & que la substance lumineuse
soit la chose du Monde la plus étendue.
Dans l'étendue locale des rayons du Soleil, est considérable une espèce de
quantité qui ne les rend pas divisibles en parties , qui subsistent séparées les
unes des autres , comme fait la quantité corporelle, qui est toujours
accompagnée de la divisibilité. Nous observons que les rayons étendus de la
lumière du Soleil peuvent être interceptés par l'opacité de quelque corps
opposé qui termine leur étendue, & la réduit à un espace moindre, sans
division de continuité , ce qui s'étendait plus loin n'y subsistant plus. Nous
observons encore que la lumière du Soleil pénètre des corps diaphanes, dont
la compaction continue & solide ne laisse aucun passage à l'Air, qui est le plus
subtil de tous les corps , comme on le voit dans la Machine pneumatique de
verre. Cette lumière, si elle est considérée comme une qualité, ne subsiste
point séparée de la substance lumineuse, & ne pénètre les corps diaphanes
qu'avec son propre sujet, & c'est ce sujet lumineux , qui passant au travers de
ces corps porte sa lumière au-delà, ce qu'aucun corps ne peut faire. J'appelle
pénétration ce passage du sujet lumineux aux travers d'un corps solide, dont
la perspicuité ne vient que de la continuité de sa masse. Les corps qui ont des
pores anfractueux , causés par la discontinuation de plusieurs particules sont
opaques, parce que les diverses surfaces de ces particules discontinuées font
briser en tant de manières les rayons de la substance lumineuse qui les touche,
que la splendeur de ces rayons s'affaiblit, & ne paraît ni dans ce corps ni audelà
, quoique la substance de ces rayons puisse enfin passer outre.
Ces deux propriétés des rayons solaires, qui ont de l'étendue sans être
divisible, & qui pénètrent les corps continus, font reconnaître que ces rayons
ne sont pas absolument corporels. C'est ce qui me donne occasion d'attribuer
à cette substance lumineuse la dénomination d'Esprit, le terme pouvant être
employé pour signifier un sujet qui tient de l'étendue sans être corps, & qui
diffère aussi de la substance purement incorporelle. Et parce que cet esprit
très-actif excite par son mouvement de la chaleur dans les corps où il
s'insinue, je lui ai ajouté le surnom d'ignée.
Cette esprit igné, que je pense être cause du mouvement dans le corps
élémentaire, de soi purement passif & mobile, ne me semble point être
Moteur premier & principal dans les corps, dont les mouvements sont
ordonnés selon la détermination de leurs fins particulières, comme sont les
mouvements que l'on observe dans les Mixtes naturels qui sont doués de la
vie. L'esprit vital est dans les Animaux l'organe immédiat du Principe qui les
anime. La condition de cet esprit, médiateur entre l'Âme excitatrice &
directrice des mouvements vivifiques, & le corps mobile vivifié & mu par la
vertu que cet esprit reçoit de l'Âme, le rend ensemble Moteur & Mobile. Il
peut avoir de la mobilité , parce qu'il a de l'étendue qui le dispose à être mu
par la cause principale excitatrice & directrice de ces mouvements ordonnés
pour des fins particulières, & selon qu'il est excité il peut mouvoir étant mu.
La cause qui excite & qui dirige les mouvements de l'esprit ignée dans la
matière corporelle des Mixtes naturels, doit être considérée comme
subordonnée à une cause première déterminative des fins; car excitateur ces
mouvements se font dans les Mixtes pour des fins particulières, & l'intention
de ces fins ne peut être qu'à une cause intelligente qui en connaisse les
raisons. Cette cause intelligente, déterminative des fins , étant indépendante
des sujets qu'elle détermine , ne fait point partie de leur constitution, & doit
être considérée comme une cause externe, absolue & première. Le principe
excitateur & directeur des mouvements qui se sont dans les Mixtes pour les
fins de leur destination, a dû être conjoint à l'Esprit moteur dans le corps
passif & mobile de ces Mixtes, pour les constituer en l'état qui leur convient.
Et c'est à ce Directeur interne du mouvement que j'attribue ce qu'Aristote a
dit de la Nature: Que c'est par elle que sont toutes les choses ,qui ayant en
elles un Principe de mouvement parviennent à quelque fin. Ce qui ne doit pas
être entendu d'une simple vertu ou puissance motrice, inhérente au corps de
soi mobile, lequel, comme corps, ne peut être ensemble mobile & moteur de
soi-même par le principe de son être corporel, qui ne lui donne que des
dispositions passives. Le corps mobile, capable d'être mu pour quelque fin, a
besoin d'un principe actif qui le meuve vers cette fin, & pour des fins
naturelles ce principe doit être naturel, c'est-à-dire interne.
La Nature, selon la doctrine des Écoles, est le Principe des mouvements
naturels qu'il excite & qu'il dirige à leurs fins. Et ce principe étant intimement
conjoint à la matière corporelle, constitue le Mixte qui en reçoit la
dénomination de Mixte naturel, distingué du Mixte artificiel, dont le moteur
est externe, & ne fait point partie constitutive du produit. C'est ce principe
interne que l'on 'établit pour objet de la Physique, parce que le Physicien
s'emploie plutôt à rechercher la cause interne du mouvement naturel que le
mouvement en général; car tous les mouvements qui se sont dans la matière
corporelle ne sont pas naturels, & ceux que l'Art produit sont d'une autre
considération, n'ayant que des causes externes; en quoi les effets naturels
différent des artificiels , quoique la Nature & l'Art conviennent en ce que
l'une & l'autre agissent avec raison en ce qu'ils sont. L'Art ne fait rien
témérairement & sans raisons; & la Nature, dont les ouvrages surpassent ceux
de l'Art, n'agit point aussi sans raison, puisqu'elle conduit avec: ordre les
choses naturelles à leurs fins. Mais comme les raisons de l'Art sont dans
l'entendement de l'Artiste, qui se propose le dessein de son ouvrage, en
détermine les faits & en ordonne les moyens; ainsi les raisons des oeuvres de
la Nature sont dans un Entendement supérieur qui détermine les fins, &
duquel la Nature suit les ordres. C'est du Créateur des substances, cause
première & principale, que le principe interne, directeur ministérial des
mouvements qui se sont dans les Mixtes naturels, a reçu les conditions de son
être pour les fins auxquelles il a plu à son Auteur de les déterminer. Les effets
de cette cause interne & seconde doivent être rapportés à la première cause
qui détermine les fins des produits, & prescrit aux causes secondes les
manières d'agir pour ces fins, & d'y conduire les sujets selon ses ordres. Et
parce que les causes secondes naturelles n'agissent pas librement & de leur
mouvement propre, mais nécessairement, selon les manières qui leur sont
prescrites par la cause première & principale, l'on peut avec raison supposer
que Dieu, qui est la première des causes, concourt immédiatement aux
actions naturelles des causes secondes qu'il a créées, qu'il conserve& qu'il fait
agir.
C'est donc par un moteur interne ministérial que le corps mobile est mu dans
les Mixtes naturels, & que ses mouvements sont dirigés selon l'intention & les
ordres de la première cause pour des fins particulières. Le moyen d'union de
ce Principe interne, que l'on nomme Nature, avec le corps élémentaire dans
les Mixtes naturels, n'est pas bien connu dans l'École; mais je pense avoir
quelque droit de supposer, ne jugeant pas possible que deux externes opposés
contradictoirement, comme sont la substance corporelle & l'incorporelle,
s'unissent ensemble sans l'entremise d'une troisième qui tienne de l'une & de
l'autre, comme fait l'esprit igné, lequel étant étendu sans être divisible
participe des qualités des deux autres principes; car il a du rapport à la matière
corporelle par l'étendue,& la nature incorporelle par l'indivisibilité. Cet esprit
médiateur se manifeste assez dans les Mixtes naturels par des effets qui ne
peuvent être attribués qu'à lui seul. La Nature jointe au corps élémentaire par
le moyen de cet esprit igné constitue les Mixtes particuliers, que l'on nomme
naturels, à cause qu'elle se manifeste dans ces Mixtes par leurs dispositions
convenablement ordonnées pour les fins de leurs spécifications, étant le
Principe de leur information.
Ce n'est pas mon dessein de faire ici une Dissertation particulière de la
Nature. Je la considère seulement par rapport aux Mixtes naturels, desquels je
suppose que la matière corporelle est le sujet informable ; que la Nature est la
cause informative, & que l'esprit igné est le moyen d'information. Ces trois
Principes constitutifs des Mixtes naturels subsistent en eux-mêmes hors des
Mixtes particuliers. Le corps élémentaire se trouve dans le Globe terrestre en
triple consistance, dense, rare & moyenne. La portion dense & sèche
s'appelle Terre; on donne le nom d'Air à celle qui est rare & froide, & l'Eau
est cette portion humide, tantôt dense, tantôt rare, qui circule & se mêle avec
la Terre & avec l'Air. Au-delà de cette masse corporelle du Globe composé de
ces trois Éléments, le feu céleste du Soleil se manifeste par sa lumière & son
activité mouvante & échauffante. Le Globe terrestre se rencontrant dans
l'étendue de cet esprit igné en est pénétré & agité dans ses parties & dans son
tout. Et la nature incorporelle n'ayant point d'étendue qui requière un lieu
particulier & séparé, accompagne l'esprit igné & se trouve toujours avec lui,
s'en servant comme de véhicule propre & d'organe immédiat. C'est par cet
esprit igné que la Nature donne & conserve la vie à tout ce qui la participe, &
la vie que ce même esprit tient de la Nature qui l'accompagne, fomente celles
des Mixtes particuliers. Les Animaux qui vivent dans les diverses régions
élémentaires, de la Terre, de l'Eau & de l'Air, ne se peuvent conserver vivants
hors des écoulements vivifiques de l'esprit igné vivifié, par qui la Nature
vivifiante insinuée dans ces Mixtes s'y fortifie. Les Plantes qui ne végètent que
par leur attache à la Terre, en reçoivent de l'esprit qu'elle contient, l'entretien
d'une vie qui se perd quand elles en sont arrachées; & les Métaux tirés hors de
leurs matrices terrestres qui sont les mines, ne retiennent plus cette vie qui les
y faisait croître & se perfectionner.
Ces trois Principes physiques sont facilement reconnus dans les Mixtes
particuliers qu'ils constituent. Ils paraissent dans ces sujets dans leur forme &
dans leurs mouvements. Ils sont très-remarquables dans la construction
mécanique des Animaux, chacun de ces Principes ayant un appartement
séparé pour des fonctions qui les concernent plus particulièrement. Dans la
conformation des mouches, des fourmis, des araignées, & de plusieurs autres
insectes, on voit trois diverses pièces attachées ensemble de file. La tête, la
poitrine & le ventre, comme autant de logements séparés pour des emplois
différents, & propres à chacun de ces Principes constitutifs. Dans les autres
animaux la tête demeure toujours distincte en tronc, qui contient la poitrine &
le ventre, & ces deux sont divisés par un diaphragme qui les sépare. La tête
est reconnue pour le siège principal du Principe directeur des mouvements
naturels, & c'est là où se sont les sensations, qui sont les principaux effets des
facultés de ce Principe. La poitrine toujours située entre la tête & le ventre,
est le retranchement de l'esprit igné, où il se renferme & se concentre pour se
conserver dans le coeur, d'où il répand son influence vitale par les artères dans
les membranes. Et le ventre est la cuisine où les aliments sont préparés pour
la nourriture du corps.
Ce n'est pas seulement dans des sujets physiques qu'il se trouve deux
Principes extrêmes opposés l'un à l'autre,& conjoints par un tiers qui les fait
accorder ensemble. Les Mixtes Logiques, qui sont la Proposition & le
Syllogisme, ont trois Principes analogues à ceux des Mixtes naturels. La
proposition , qui est le premier Mixte Logique, est par un composée de trois
termes, comme de trois Principes constitutifs. L'un Ternaire de ces termes est
le sujet auquel l'attribut, qui est l'autre terme extrême, se joint par la copule
verbale, qui est médiatrice entre l'attribut & le sujet. Le Syllogisme, qui est le
second Mixte Logique, & plus composé que le premier, a trois propositions
constantes chacune de trois termes, & l'attribut de la majeure est joint dans la
conclusion avec le sujet de la mineure par le terme moyen qui se trouve dans
la majeure & dans la mineure de ces propositions. Et c'est ainsi que ces
Mixtes Logiques ont du rapport aux Mixtes Physiques, dans lesquels le
Principe formel s'unit au matériel par un moyen commun. Le Principe
Physique nous est le premier connu, parce qu'il est le plus sensible, est le
corps élémentaire, lequel a des parties diverses pour servir à la diversité
matérielle des Mixtes. De ces parties deux sont extrêmes , & la tierce est
moyenne. Les extrêmes sont la Terre dense & sèche, & l'Air rare & froid. La
moyenne est l'Eau, de soi humide, & par occasion tantôt dense & tantôt rare.
Le Principe adjectif & formel des Mixtes Physiques ne nous est connu que
par les spécifications de ces Mixtes. Ce Principe formel étant diamétralement
opposé au matériel, dont la corporéité consiste dans l'étendue divisible, n'est
point étendu de soi, & ne reçoit d'extension que par union à un sujet qui en
ait. N'ayant point d'étendue, il ne peut avoir de parties diverses. Les diversités
des spécifications qu'il donne aux Mixtes, viennent des impressions de ses
diverses idées. Le Principe conjonctif, qui sert à unir l'adjectif au subjectif,
participant de ces deux extrêmes opposés, a de l'étendue comme le corps
élémentaire, & est indivisible comme la Nature informante.
Le Ternaire principiant, subjectif, adjectif, & conjonctif ayant été reconnu
dans les Mixtes naturels par les Philosophes Hermétiques, a été par eux
employé dans la confection, tant de leur Médecine universelle, que de leur
grand Arcane métallique. Le sel primitif, qu'ils prenaient pour matière de cette
fameuse Médecine, avait en soi pour sujet la plus pure portion du corps
élémentaire, & pour adjoint la Nature, que ces Philosophes désignaient par le
nom d'Âme. L'Esprit igné, qui donnait à ce corps la forme de sel, lui servait
de médiateur pour recevoir de la Nature sa perfection complète. Les
Principes matériels du grand Arcane métallique de ces Philosophes avaient du
rapport à ceux de cette fameuse Médecine. Cet Arcane, pour servir aux
transmutations perfectives des métaux, devait être doué de trois propriétés,
qui sont la Fusibilité, l'Ingrès & la Teinture. Ces Philosophes trouvant la
fusibilité dans le Sel, l'ingrès dans le Mercure, & la teinture dans le Soufre
métallique, ils se servaient de ces matières, & donnaient le titre & la
dénomination de principe au Sel, au Mercure & au Soufre, non point
absolument & simplement, ne reconnaissant pas ces matières principiées
pour substances simples & premières, mais seulement pour pièces
matériellement & prochainement constitutives de cet Arcane. Et pour en faire
quelque rapport aux Principes premiers & généraux de tous les Mixtes
naturels, ils prenaient le Sel pour le corps, le Mercure pour l'esprit, & le
Soufre pour l'âme, ou la Nature spécifiante, jugeant que les disciples de leur
École Cabalistique, accoutumés aux paraboles & aux allégories, sauraient faire
distinction entre ces Principes prochains & particuliers de leur grand Arcane
métallique & les Principes premiers & généraux de tous les Mixtes.
Le vulgaire des Chimistes, à qui ce grand Arcane était aussi peu connu que les
vrais Principes des Mixtes, déçus par l'équivoque du nom de Principe, a pris le
Sel, le Mercure & le Soufre pour Principes généraux. Et ceux qui ont suivi
cette opinion se sont vainement exercés à rajustement de ces trois prétendus
Principes avec les quatre Éléments de l'École, se trouvant fort empêchés à les
ranger en même classe. Le Sel, le Mercure & le Soufre ne peuvent passer pour
substances premières & simples, comme les Éléments, si dans leur résolution
ils sont reconnus composés, si leur être principiant est seulement analogue; &
s'il est principié, comme celui des autres Mixtes, entre lesquels néanmoins ils
peuvent être en quelque considération particulière, comme premiers
composés, s'ils résultent de la première union de l'esprit igné avec le corps
élémentaire.
Les Principes destinés pour constituer les Mixtes naturels seraient incomplets
en eux-mêmes, & inutiles à ce dessein, s'ils demeuraient séparés les uns des
autres. Il est de la perfection des choses, que celles qui doivent être unies
ensemble, ne demeurent pas seules. Chaque chose est pour la fin, & c'est un
défaut de ne l'atteindre pas. Le corps élémentaire serait sans mouvement s'il
n'était agité par l'esprit igné, & cette agitation serait vague & confuse sans la
division de la Nature & par la conduite de laquelle les mouvements fussent
réglés en chacun des Mixtes pour la fin particulière & propre. La relation du
principe formel au matériel, & celle du moyen de leur union à l'un & à l'autre
seraient vaines, si ces Principes ne s'unissaient point ensemble, & n'étant pas
Principes d'eux-mêmes, ni les uns des autres, ils ne le seraient point du tout
s'ils ne s'assemblaient pour constituer les Mixtes.
Et cet assemblage de Principes pour la constitution des Mixtes naturels, les
mouvements de l'esprit igné dans le corps élémentaire me semblent trèsconsidérables.
C'est en eux & par eux que la Nature se manifeste dans les
Mixtes. Cet esprit actif & mouvant agit & meut de soi, selon l'étendue de son
pouvoir; mais n'agissant pas également en divers Mixtes composés des
mêmes matières élémentaires, il faut que cette diversité de mouvements
modifiés procède d'un autre Principe, dans lequel soient les idées typiques des
régies & des modifications de ces mouvements que l'on nomme naturels,
parce que c'est la Nature qui en est la directrice. Elle agit par l'organe de
l'esprit médiateur dans la matière corporelle des Mixtes, à laquelle sans lui elle
ne pourrait être unie. L'esprit igné est bien la cause immédiate des
mouvements qui se font dans les Mixtes; mais il n'est pas Fauteur des
spécifications des Mixtes, & des modifications de leurs mouvements. Ce feu
céleste accompagné de la nature générale, & joint au corps élémentaire,
fortifiant son semblable insinué dans les matières seminables des Mixtes,
excite la vigueur de leur nature spécifique, & dispose ces sujets à la génération
de leurs semblables par la production de nouveaux individus. Ce même feu,
qui donne vigueur aux semences, fomente aussi la vie des Mixtes, qui la
participent & qui ne la reçoivent de la Nature que par le moyen de cet esprit.
Si son mouvement dirigé par la nature vivifiante est seulement affaibli dans
les sujets vivifiés, la vie peut n'être pas éteinte, quoique quelques fonctions
cessent dans l'animal. Mais si ce mouvement n'est pas assez fort pour
conserver la vie, ni en état d'être dirigé par la nature vivifiante, ce mouvement
trop faible, & privé de la direction de la Nature, occasionne la mort, &
produit de la corruption en ce qui reste d'humeur dans le corps du Mixte
privé de la vie. Cet esprit étendu par l'Univers, remplissant les espaces &
pénétrant les corps, se trouve par-tout au-dehors & au-dedans des Mixtes.
C'est par lui que la Nature générale agit dans les Mixtes qu'elle spécifie par
l'impression des caractères de ses idées typiques (je dis typiques, car les
originales sont dans l'entendement de la cause première) & c'est aussi par cet
esprit que les natures particulières des Mixtes ont de l'extension pour agir sur
d'autres Mixtes sans attouchement corporel, & même en distances très notable
d'un corps à l'autre, par la seule médiation de l'esprit qu'ils
participent, & par l'étendue duquel les natures particulières de ces Mixtes
peuvent avoir une certaine sphère d'activité hors des corps qu'elles informent.
L'esprit igné , insinué dans le corps élémentaire, se rend plus manifeste où il
est le moins engagé. Il a moins d'engagement dans les animaux que dans les
plantes, & moins dans les plantes que dans les minéraux. Mais il se trouve
ordinairement plus actif & plus fort où il est le plus concentré, dans le si on
le fait dégager de l'embarras des matières terrestres qui le retiennent. Cet
esprit s'unit au corps élémentaire par la portion de ce corps, qui a plus de
disposition à le recevoir. L'Air par sa froideur résiste au mouvement
échauffant de l'esprit igné. La densité des particules terrestres n'est propre
qu'à le retenir. L'Eau seule par son humidité est capable de la réception de cet
esprit, qui s'insinue sans résistance dans cet Élément humide, lequel étant de
condition moyenne entre l'Air & la Terre, communique à l'un & à l'autre de
ces Éléments l'esprit igné qu'elle a reçu.,
L'union de l'esprit igné avec l'Élément aqueux, n'est pas bien évidente avant
leur mélange avec la Terre pour prendre quelque concrétion , mais elle peut
être reconnue par l'observation de certains effets qui ne peuvent être attribués
qu'à cet esprit, comme sont ceux que l'on remarque au glacement de l'Eau par
un froid extrême. Quand l'Eau se glace en Hiver par la froideur de l'Air dans
les vaisseaux étroits, la surface de cette Eau étant glacée la première, &
empêchant que ce qui est dessous ne prenne air en se glaçant aussi, les
vaisseaux crèvent & se fendent de bas en-haut; mais si avec un stylet ou petit
poinçon l'on fait un trou à la surface glacée avant que le dessous se glace, le
vaisseau ne crève point quand tout le reste de l'Eau vient à se glacer, pourvu
que le trou fait dans la surface soit entretenu toujours ouvert jusqu'à la
portion de l'Eau qui est encore liquide, tant que le tout soit glacé. Cependant
il sort par cette ouverture quelque chose qui pousse une partie de l'Eau &
l'élève assez haut pour former en se glaçant un tuyau, qui se bouche enfin &
fait une espèce de cylindre. L'effort de ce qui fait crever ces vaisseaux, faute
d'ouverture, étant si grand qu'il fait même crever des canons de métal dur,
comme de cuivre ou de fer, remplis d'eau, exactement bouchés & exposés à
l'air très froid , j'ai tâché d'en reconnaître la cause. Pour la trouver je suppose
que ce n'est point la seule raréfaction de l'Eau, Sept ou huit onces d'eau
enfermées dans un canon de pistolet bien bouché ne pourraient, en se
dilatant par le froid, faire tant d'effort; car étant beaucoup plus raréfiées par la
chaleur du Soleil en Été, que par la froideur extrême de l'Air en Hiver, elles ne
feraient point crever ce canon, qui ne crèveraient pas même dans le feu, ce
qui toutefois devrait arriver, si la raréfaction de l'eau pouvait le faire crever,
cette raréfaction se faisant plus grande par la chaleur, qui a la propriété de
raréfier l'Eau, que par la froideur, qui est condensative, & qui resserre les plus
solides métaux. J'ai observé que l'Eau ne se gonflait point en se glaçant,
quand la surface, qui se glace la première par l'attouchement de l'Air, était
percée: d'où j'infère qu'il sort par cette ouverture quelque matière subtile &
invisible, laquelle étant retenue dans cette eau & poussant pour sortir la fait
gonfler quand elle achève de se glacer, & laquelle étant pressée par le froid
extrême qui fait glacer l'Eau, & ne trouvant point d'issue fait crever le
vaisseau qui contient la glace, & qui empêche l'Eau glacée de se gonfler
davantage, pour céder à l'essor de cette matière impatiente du froid.
Je suppose aussi que ce n'est point l'Air retenu & comprimé dans cette glace
qui fait crever les vaisseaux qui contiennent l'Eau glacée. Car l'Air beaucoup
plus pressé dans une Arquebuse à vent ne la fait point crever. Je suppose
encore que cette matière subtile qui sort par le trou que l'on fait dans la
surface glacée, la première doit être celle qui fait crever les vaisseaux qui
contiennent l'Eau quand elle ne trouve point cette issue; & que c'est par la
contrariété de la froideur extrême de l'Air à cette matière subtile, qui pressée
de ce froid contraire tâche de le fuir & de s'en séparer. Cette contrariété
semble manifeste dans l'effet qui suit cet effort , car par cet effort la surface
glacée de l'Eau ne crève pas, quoiqu'elle soit moins dure que le vaisseau qui se
fend. Ce qui ne peut être attribué qu'à la suite du froid, qui est plus grand à la
surface de l'Eau glacée que l'Air touche immédiatement, & qui se glace la
première, à cause de cet attouchement de l'Air. La manière en laquelle se fait
la rupture des vaisseaux par le glacement de l'Eau confirme cette contrariété,
& fait connaître que le mouvement de cette matière subtile, à laquelle la
froideur extrême de l'Air est si contraire, se fait de bas en-haut, & la rupture
des vaisseaux cylindriques, quand ils sont debout se fait perpendiculairement
& non transversalement, étant ordinairement plus grande en la partie basse
où elle commence. Ce qui semble procéder de cette matière subtile, tendant
de soi de bas en-haut & rencontrant le froid plus grand en-haut, à la surface
de l'Eau déjà glacée par l'attouchement de l'Air, qui est plus froid que le
vaisseau, est repoussée de haut en-bas par ce plus grand froid, & dans ce
mouvement perpendiculaire de fuite, elle fait fendre le vaisseau de bas en haut
, si la glace l'occupe tout.
Cette matière subtile à laquelle l'Air est si contraire dans l'excès de sa froideur,
doit être douée de qualités opposées, & ce ne peut être que l'esprit igné qui
est le feu céleste, dont la substance, différente de celle des Éléments
corporels, étant spirituelle & très-active s'insinue dans l'Eau humide, pour se
communiquer avec elle & par elle aux deux autres Éléments, & servir aux
générations & conservations de tous les Mixtes naturels, comme le véhicule &
l'organe immédiat de la Nature. Les minéraux, les plantes & les animaux
s'engendrent & se nourrissent dans l'humide; mais ce n'est point par l'humide,
qui n'est qu'un sujet passif; c'est par l'esprit igné accompagné de la nature
spécifiante & conjoint à l'humide corporel.
Cet esprit igné dans le vin, la bière, le cidre & les autres semblables liqueurs
qui ont beaucoup d'esprit inflammable, se concentre au milieu de ces liqueurs,
quand elles viennent à se glacer fortement, & il laisse ces liqueurs glacées
totalement insipides. Il ne fait point crever les vaisseaux qui contiennent ces
liqueurs glacées, comme il fait ceux qui ne contiennent que de l'Eau, parce
que cet esprit igné est retenu dans la portion saline & sulfurée de ces liqueurs,
laquelle s'est retirée avec lui au milieu de ces glaces. L'Eau simple n'ayant pas
assez de Sel sulfuré pour retenir l'esprit igné , quand elle se glace, cet esprit
insinué dans l'Eau, étant contraint de fuir le froid extrême de l'Air qui la fait
glacer, fait gonfler la glace qui l'enferme, & ce gonflement de la glace fait
crever les vaisseaux qui la contiennent. Dans les métaux l'esprit igné conjoint
à ces matières solides & fixes, s'y concentre aussi par le froid extrême, & en
resserre notablement le volume. Les fruits gelés perdent leur saveur, parce
que le froid en a chassé l'esprit igné qui n'y était pas bien arrêté. Les parties de
notre corps qui participent moins de cet esprit, & qui conséquemment ont
moins de chaleur, comme sont le nez, les oreilles & les pieds, étant gelées, se
mortifient incontinent, & si on les présente au feu elles se mortifient plutôt ,
parce que cette chaleur externe ouvrant les pores de ces parties & les faisant
dégeler, aide à dissiper le reste de l'esprit igné, lequel se peut conserver en
mettant ces parties gelées dans de l'Eau froide où elles se dégèlent peu à peu,
& ce qui reste d'esprit igné y demeure & y conserve la vie.
C'est par le défaut du mouvement de cet esprit igné, affaibli par le froid dans
les Hirondelles que l'on trouve en Hiver au fond des marais vers le Nord, que
ces oiseaux semblent être privés de vie. Car étant portés dans des poêles, dont
la chaleur excite en eux le mouvement de l'esprit igné, ils reprennent vigueur
& s'envolent. Les Lirons, les Marmottes, les Hérissons & plusieurs autres
animaux, en qui les mouvements de cet esprit sont plus lents pendant l'Hiver,
passent cette froide saison endormis sans changer de place, jusqu'au retour de
la chaleur que le Soleil excite en eux.
Ces réflexions sur l'esprit igné, & sur son insinuation dans le corps
élémentaire, sont d'autant plus importantes, que c'est par cet esprit médiateur
entre l'Élément corporel & la nature incorporelle que se sont les générations
des Mixtes naturels, lesquelles différent des Productions artificielles,
quoiqu'elles conviennent en ce que leurs effets font des formes accidentelles.
Les productions de l'Art n'ont pour effets que des formes externes &
superficielles, & la cause efficiente de ces formes ajoutées ne fait point partie
constitutive du sujet. Le Marbre & le Sculpteur ne s'unissent point
intimement ensemble pour constituer une statue, & la production de la figure
d'Alexandre sur ce Marbre n'est pas une génération; car les générations
supposent toujours l'union intime de la cause active au sujet passif, de laquelle
union résulte le Mixte qui reçoit la forme produite de cette matière. La forme
de Marbre a bien été produite par voie de génération dans le Mixte, qui est le
sujet de cette forme. Ça été l'effet d'un Agent naturel intrinsèquement
conjoint à la Matière élémentaire, & cette forme ne périt que par la
destruction du Mixte, laquelle consiste dans la désunion des Principes qui les
constituent, ou par le changement de l'action du Principe informatif dans le
sujet informable. Mais la figure d'Alexandre produite sur ce Marbre ne
constitue rien de nouveau, & en changeant la modification externe des
surfaces de ce Marbre, elle n'altère point fa modification interne, par laquelle
il était & demeure Marbre.
Dans la génération je ne reconnais point de production de substance; le
produit engendré n'est qu'une manière d'être qui procède d'un Agent interne
constitutif du Mixte. Les substances subsistent en elles-mêmes & sont
permanentes. Elles ne peuvent commencer d'être que par voie de création, &
leur destruction n'est pas naturellement possible. Ce n'est que la forme du
Mixte substantiel, comme Mixte, qui est engendrée par l'action d'un Principe
interne uni à la matière du Mixte pour le constituer tel, & l'informer de la
sorte par l'entremise d'un tiers qui tient de l'un & de l'autre. Au
commencement du Monde les substances surent créées de Dieu pour servir
de Principes constitutifs, & la génération des Mixtes naturels, constitués par
l'union de ces Principes, fut l'ouvrage de la Nature, c'est-à-dire de celle de ces
substances participantes, qui avait la puissance d'exciter & de diriger dans ces
Mixtes les mouvements convenables aux fins de leurs spécifications.
C'est ce que l'Auteur du Livre Sacré de la Naissance du Monde a su bien
expliquer en faisant distinction entre les oeuvres de Dieu immédiates, & celles
qui ont été faites par quelque médiation. La création des substances fut
l'ouvrage de Dieu seul; il n'y avait que lui qui pût naissance tirer du néant
quelque chose subsistante en soi. La seule puissance divine fit exister le Ciel,
la Terre, les Eaux, l'Étendue de l'Air, la Lumière & les Astres. Toutes ces
substances surent créées par la volonté de Dieu & par la vertu de sa parole.
Mais pour la génération des Plantes, des Animaux & des autres Mixtes que
l'on nomme naturels, elle fut commise de Dieu à celles de ces substances
créées qu'il avait destinées à cet emploi. Moïse dit que Dieu ordonna à la
Terre de produire des herbes & des arbres avec leurs semences capables de se
multiplier & de perpétuer leurs espèces. Il lui commanda aussi de produire
diverses espèces d'Animaux terrestres. Et les Eaux, tant inférieures que
supérieures, eurent ordre de produire des poissons & des oiseaux. Or cette
puissance productrice des Plantes & des Animaux ne pouvant être attribuée à
la matière corporelle de la Terre & de l'Eau, qui n'étaient que des matières
subjectives & purement passives, la Terre, humectée du mélange de l'Eau,
demeurant vaine & sans vertu, il fut nécessaire qu'un esprit actif, porté sur les
Eaux, s'insinuât avec elles dans la Terre & dans l'Air, pour faire servir ces
corps élémentaires aux générations des Mixtes, qui sont surnommés naturels,
à cause de cet esprit excitateur & directeur des mouvements génératifs, auquel
les Physiciens ont donné le nom de Nature. La lumière, sans laquelle les
autres substances créées demeureraient dans une confusion ténébreuse, servit
d'organe à cet esprit, pour faire distinguer & discerner les spécifications des
Mixtes, & pour les mouvoir selon la détermination de leurs fins particulières.
Dans l'ordre de la création des substances qui devaient servir à la génération
des Mixtes naturels, le triple corps élémentaire de la Terre, de l'Eau & de l'Air,
sut le premier comme matière subjective & passive de soi. Dieu fit ensuite
une substance lumineuse très subtile & très-active, pour illustrer, pénétrer &
mouvoir cette matière corporelle. Et pour régler les mouvements de ce
Principe moteur dans le corps élémentaire, selon diverses fins, Dieu créa une
troisième substance, toute incorporelle, qu'il remplit des idées de toutes les
formes spécifiques des Mixtes naturels, & qu'il doua du pouvoir d'en
empreindre les caractères dans la matière corporelle de ces Mixtes.
Ce que quelques-uns des plus anciens & plus célèbres Docteurs de l'Église
Chrétienne ont dit de l'Esprit de Dieu, qui était porté sur les Eaux dans la
création de l'Univers,peut bien être entendu de ce troisième Principe. Et
l'autorité de ces grands hommes fortifie ma supposition.
Saint Chrysostôme, dans l'Homélie troisième sur le premier Chapitre de la
Genèse, expliquant ce passage, où il est parlé de l'Esprit de Dieu qui était
porté sur les Eaux, dit qu'il lui semble que cela signifie que les Eaux furent
accompagnées d'une vertu vitale & efficace pour produire ce que Dieu leur
ordonna. Ces Eaux n'étant pas un simple Élément destiné pour demeurer
inutile & sans vertu. Cette vertu vitale que Saint Chrysostôme attribue à l'Eau
pour produire & vivifier des poissons & des oiseaux, ne devait pas être une
simple qualité ajoutée à la condition première & essentielle de cet Élément de
soi purement passif. Il n'est pas dit qu'il fut changé ; mais qu'il fut
accompagné d'une vertu vitale, qui devait être une substance active différente
de la matière de l'Eau, & désignée par le nom d'esprit, à cause de son activité
productive & vivifiante, & qui pour son excellence est dite Esprit de Dieu.
Saint Augustin n'a pas fait difficulté d'écrire, que cet Esprit de Dieu porté sur
les Eaux dans la création du Monde, était une créature invisible à laquelle il
donne le nom de Nature. C'est au Livre qu'il avait commencé sur la Genèse,
pour l'expliquer à la lettre, où il dit: Que par cet Esprit de Dieu qui était porté
sur les Eaux, on peut entendre une substance créée, mouvante & vivifiante,
diffuse dans tous les corps & dans tous le monde visible, laquelle Dieu toutpuissant
doua d'une certaine vertu, qui la rendait capable d'être employée par
ses ordres dans la production des choses qui le sont par voie de génération,
cui creaturae vitali Deus omnipotent tribuit vim quandam fibi serviendi, ad operandum in
iis, quae gignuntur. Ce sont les propres termes de ce Saint Docteur, qui donne
ensuite la raison pour laquelle cette créature invisible est appelée Esprit de
Dieu, disant que c'est parce qu'elle excelle par-dessus toutes les créatures
corporelles & visibles, & qu'elle est l'ouvrage de Dieu, à qui toutes les
créatures appartiennent. Il ajoute, comme par répétition de ce qu'il avait dit
de la condition de cet Esprit, que si nous entendons de la seule créature
visible ce qui est dit, Qu'au commencement Dieu fit le Ciel & la Terre, nous
pouvons entendre par ce qui est dit de cet Esprit, lequel au commencement
de la fabrique du Monde était porté sur la matière des choses visibles, que cet
Esprit invisible était aussi une substance créée. Qui spiritus etiam ipse creatura
effet, id est, non Deus, sed à Deo facta & instituta Natura. Ce Saint Docteur, dans
ses rétractations, avertit bien qu'il a laissé ce Livre imparfait, c'est-à-dire qu'il
ne l'a pas achevé; mais il ne se rétracte point de ce qu'il y a écrit. Ce que les
Écritures Sacrées enseignent des Principes, que je suppose dans cette
Dissertation, me fait espérer que mes conjectures fortifiées de leur autorité,
selon l'exposition de ces très-doctes Théologiens que je viens de citer, ne
passeront pas pour vaines & mal fondées.
C'est par la supposition de ces trois Principes que je trouve facile de démêler
les raisons de plusieurs effets que j'observe dans les Mixtes. Et c'est même par
la connaissance de ces Principes constitutifs des Mixtes naturels, qu'il me
semble aisé de monter à celle du Créateur de ces substances relatives, &
premier Auteur de toutes leurs productions- Je nomme ici relatif ce qui est
pour quelque autre que soi, comme sont ces substances principiantes, par
l'assemblage desquelles tous les Mixtes naturels sont constitués. Ces
substances primitives ont relation aux Mixtes qu'elles constituent ,& sont
pour eux : elles ont aussi relation entre elles, & cette relation est diverse, l'une
ayant raison de sujet matériel, comme le corps élémentaire ; l'autre de cause
efficiente & formelle, comme la Nature; & une troisième servant de
médiatrice entre la Nature & l'Élément corporel, comme l'esprit igné. Ainsi
ces trois substances simples & générales sont les unes pour les autres, &
toutes ensembles pour les Mixtes qui en sont composés. Or ce qui est pour
autre que pour soi n'a point l'être de soi-même; car ce qui a le pouvoir d'être
de soi-même, pouvant aussi prendre de soi les conditions de son être, se
donne les meilleures, & il est mieux d'être seulement pour soi. Les substances
principiantes relatives n'étant donc point d'elles-mêmes , doivent avoir leur
être relatif d'un Principe absolu, qui soit en soi, de soi, par soi & pour soi
seul. Cette production des substances principiantes relatives n'a pu être par
émanation, car le produit aurait été de même condition que le produisant, &
l'absolu se rendant relatif, aurait déchu de la perfection de son être. C'est
donc par création que ces substances principiantes relatives ont été faites, n'y
ayant rien auparavant dont elles pussent être tirées. Ainsi de la connaissance
de ces Principes créés on vient à celle du Créateur, Principe premier & absolu
de tous les êtres qui subsistent en eux-mêmes par lui.
L'Auteur de l'Univers, étant très-bon , très-sage, & tout-puissant, n'a rien fait
qui ne fût très-bien. Il a voulu, il a su & a pu créer & faire de rien les
substances qui constituent le Monde, & leur donner les dispositions
convenables aux fins de leur destination. Et à ce que l'ouvrage fût parfait,
pour avoir un digne rapport à la perfection & à la sagesse de son Auteur, les
substances principiantes ont dû avoir leurs différentes propriétés, & chacune
son office particulier, pour concourir à la constitution des Mixtes particuliers,
qui par leurs diversités & leurs vicissitudes sont l'ornement, la beauté & la
perfection accomplie de l'Univers. Ce concours ne s'est pu faire sans
mouvement, lequel suppose toujours le sujet mobile & la cause motrice; &
parce que les mouvements qui se sont pour des fins déterminées doivent être
convenablement ordonnés, le moteur immédiat organique a dû être dirigé par
une cause pareillement constitutive, qui connût les fins ,& qui fit régler les
mouvements, disposer & employer les moyens pour y atteindre, sans autre
secours, à ce que l'Univers eût en soi. tout ce qui est acquis à sa perfection,
comme l'ouvrage accompli d'un Auteur très-sage qui n'a rien laissé de
défectueux qui dût être immédiatement supposé par lui même. Le sujet
mobile est le corps, le Moteur est l'Esprit, & & le directeur est comme l'Âme.
Ces trois suffisent pour la constitution du Mixte naturel, sans qu'il soit besoin
de cause externe, que de celle qui a pu seule produire ces Principes
constitutifs, & déterminer leurs fins avant leur production; cette
détermination ne dépendant point des sujets déterminés, qui n'ont pu
déterminer eux-mêmes les fins d'un être qu'ils n'avaient point encore. Cette
première cause efficiente, déterminative des fins de tous les êtres, est comme
l'unité simple & absolue,de laquelle procède le nombre novénaire de tous les
Mixtes naturels, dont la racine est le ternaire des substances principiantes &
constitutives, duquel rapporté à l'unité qui l'a produit, résulte le quaternaire
qui comprend le dénaire de tous les êtres.
Si ce que j'ai dit de la Nature dans cette Dissertation, semble à quelques uns
semble moins recevable, je n'insisterai point à leur vouloir persuader mes
conjectures Il me suffit que ceux qui ne les approuveront pas, n'en puissent
raisonnablement tirer des conséquences contraires à mon intention. Je ne
prétends pas démontrer avec certitude, mais je suppose comme
vraisemblable, qu'il y a dans les Mixtes, que l'on appelle naturels , un Principe
directeur des mouvements qui s'y sont pour les fins de leurs spécifications,
lequel Principe interne & constitutif ne détermine point les fins pour
lesquelles il agit; mais il peut être qu'il les connaisse en quelque sorte, puisqu'il
agit convenablement à leur acquisition. Si ce Principe directeur agit de soi,
c'est comme cause seconde & subordonnée à une première toute intelligente,
laquelle détermine les fins de tous les Mixtes naturels, ordonne les moyens
propres à l'acquisition de ces fins déterminées, & de laquelle dépend
immédiatement la fin, l'être & l'opération de la Nature.
Pour m'expliquer plus clairement sur ce que j'ai eu intention de dire, en
supposant dans les Mixtes naturels un Principe interne doué de quelque
connaissance de leurs fins, pour y diriger les mouvements qu'il excite dans ces
Mixtes, j'ajoute les raisons qui suivent, & dis: En quelle
1. Que les mouvements réglés, que l'on observe dans les Mixtes naturels se
font pour quelque fin
2. Que les causes qui agissent pour quelque fin, agissent & meuvent, ou leur
propre motif, & par la résolution qu'elles en ont prise d'elles-mêmes; ou par
l'ordonnance d'une autre.
3. Que les causes qui agissent de leur propre motif, pour quelque fin qu'elles
se proposent, doivent être douées d'intelligence, pour savoir les raisons de
cette fin, & les moyens convenables à son acquisition.
4. Que les causes qui agissent pour quelque fin, par le vouloir &
l'ordonnance d'une cause supérieure, n'ont pas besoin d'être intelligentes,
pour déterminer elles-mêmes ce qui l'est déjà par un autre, & qui n'est pas de
son choix. Il suffit que celles qui agissent pour la production d'un sujet dont
elles sont parties constitutives, comme est la Nature, soient douées de vertu
active convenable, qu'elles soient touchées du désir de la fin qui leur est
proposée, & qu'elles en aient quelque notion. Ignoti nulla cupido.
5. Que la connaissance qui peut être attribuée à la Nature est de deux sortes.
L'une infuse, que l'on nomme instinct; l'autre acquise dans les Mixtes animés
par quelque sensation. Ces deux manières de connaître suffisent pour
l'acquisition de la fin, l'intelligence n'étant pas requise pour la détermination
de la fin & des moyens de l'acquérir, laquelle détermination passe le pouvoir
de la Nature, & n'appartient qu'à la première cause qui est Dieu.
Je ne prends donc pas la Nature pour substance intellectuelle, quoiqu'elle soit
sans corporéité, & douée de quelque connaissance, en la manière que je viens
d'expliquer. Les idées que je suppose être en elle, avec la vertu d'en
empreindre les caractères dans les Mixtes pour les spécifier, y sont seulement
typiques, & c'est en Dieu qu'elles sont intellectuelles. Ainsi l'idée d'une
Médaille est premièrement dans l'entendement du Graveur: le type de cette
idée intellectuelle passe dans le poinçon. ou dans le carveau, & le métal en
reçoit le caractère.
Je ne prends pas aussi la Nature pour l'Âme du Monde. Et je ne pense pas
nécessaire que la multitude des choses, qui se trouvent dans l'Univers, soit
réduite à l'unité, par quelque animation qui en fasse un seul & grand individu
vivifié, lequel contienne tout ce qui est doué d'une vie particulière, pour avoir
par cette unité du rapport à l'unité de la première cause. La toute-puissance
du Créateur ne peut être terminée par aucune multitude: Et l'Univers peut
être considéré comme un Tout composé d'un nombre indéfini de parties,
dont l'assemblage dépend de la subordination & de l'accord qu'elles ont entre
elles, sans avoir besoin d'une Âme générale, pour les unir, & les faire servir à
une seule & même vie. La Providence de la première cause conduit toutes
choses à leurs fins, tant particulières que générales, par la vertu qu'elles ont
reçue d'elle immédiatement. Et cette conduite de la Providence immédiate de
Dieu est plus noble & meilleure, que celle d'une Âme générale, qui dépendrait
en quelque sorte de la matière des parties qu'elle animerait, comme les Âmes
particulières en dépendent dans les sujets qu'elles animent, dans lesquels les
erreurs de l'âme, occasionnées par la matière corporelle, sont de moindre
importance, que dans tout l'Univers animé, où le désordre serait plus grand.
Je ne considère donc point la Nature comme l'Âme du Monde, ne jugeant pas
que l'Univers soit un grand animal, constitué par l'assemblage des mêmes
principes, qui constituent les Mixtes naturels particuliers. Si la Nature est
diffuse dans toute la masse du Monde, il ne s'ensuit pas qu'elle soit en la
même manière que dans les Mixtes animés. Nous trouvons bien quelques
portions de tout le corps élémentaire dans les Mixtes naturels particuliers,
mais nous n'observons point que le reste de cette matière corporelle, qui en
est la plus grande part, ait des informations pareilles à celles que quelques
moindres parties de cette grande masse ont dans les Mixtes animés. Et la
Nature, qui se manifeste dans les Mixtes particuliers, par leurs dispositions
convenablement ordonnées pour leurs fins, ne nous paraît point agir de
même manière dans toute la matière du Monde, laquelle nous ne voyons
point être organisée pour des fonctions animales. Cet Esprit divin, lequel au
commencement de la fabrique du Monde était porté sur les Eaux, pour leur
donner de la fécondité, aussi-bien qu'à la Terre, & que Saint Augustin dit que
l'on peut prendre pour la Nature, ne fut pas créé de Dieu pour animer tout
l'Univers, mais pour servir aux générations des Mixtes naturels particuliers ,
ad operandum in iis, quae gignuntur.
Je me suis, jusques ici, suffisamment expliqué sur ce que je pense de la
Nature, & je soumets ce que j'en ai dit au jugement de ceux qui sont plus
éclairés que moi, qui connais assez mon faible. Homo sum & huinani nihil à me
alienum puto.
Si ce que j'ai dit aussi de l'esprit igné semble moins probable à ceux qui
prennent la lumière céleste pour une simple qualité corporelle, j'en dois dire
encore quelque chose, pour fortifier mon hypothèse. Il n'y a l'esprit que les
aveugles qui puissent douter de l'existence de la Lumière, & il est inutile de
prouver à ceux qui la voient, que c'est une chose réelle. Mais il n'est pas si
évident que ce soit accident ou substance, corps ou non. Si la Lumière est
considérée comme une qualité, elle doit avoir un sujet qui lui soit propre.
Nous observons que la lumière du Soleil se répand & est reçue dans le corps
diaphane de l'Air; mais elle n'est pas inhérente à l'Air, comme une qualité qui
l'informe. Les rayons lumineux, qui passent dans une chambre, & dont une
partie de l'Air, contenu dans la chambre, est illuminée à l'endroit de ce
passage, ne sont point agités, ni poussés de côté, par le mouvement de cette
portion d'Air que le vent chasse & fait changer de lieu, sans qu'elle conserve
cette illumination directe, qui ne la fuit pas. Ainsi l'Air n'étant point le sujet de
cette lumière, il faut qu'elle subsiste en quelque autre, qui lui soit propre, &
qui subsiste en soi-même.
Cette substance lumineuse a des propriétés essentielles, dont quelques-unes
conviennent à la substance corporelle, & les autres ne lui peuvent convenir.
Celles qui conviennent au corps sont l'extension, qui est commune à tous les
corps, l'intention & la rémission; que l'on peut nommer raréfaction &
condensation, proprement dites, & qui conviennent particulièrement à l'Air.
Celles qui ne peuvent convenir à aucun des corps sont l'épanchement
instantané, la pénétration, l'indivisibilité, & le mouvement actif.
On ne peut douter de l'extension de la Lumière, puisque nous la voyons partir
du sujet lumineux & s'étendre fort loin. Ses réflexions & ses pénétrations font
juger qu'elle est poussée, & c'est par cette impulsion que les rayons du Soleil
empêchent la fumée du feu de sortir par l'extrémité des tuyaux des
cheminées, & la sont rabattre dans les chambres de-même que fait le vent.
Cette impulsion des rayons du Soleil fait aussi mouvoir la poussière subtile,
dont l'Air est rempli, & dont le mouvement se rend visible dans les lieux
obscurs , où ses rayons entrent par quelques ouvertures. Et il peut être que
cette impulsion des rayons du Soleil, lequel tourne incessamment sur son
centre immobile, soit la cause du mouvement circulaire des Planètes autour
de l'Astre lumineux, d'où ces rayons partent sphériquement, & se répandent
sur ces Globes ténébreux; dont les masses, sans pesanteur, diversement
placées dans un espace où il ne se trouve rien qui résiste à leur mouvement,
peuvent être facilement agitées.
Les rayons du Soleil condensés, très-lumineux & très-forts dans le Globe de
cet Astre, se raréfient d'autant qu'ils s'étendent p'us loin, & se vont
affaiblissants par cette raréfaction. Mais si étant ainsi éloignés de l'Astre qui
les pousse, ils se peuvent recondenser, ils reprennent beaucoup de force,
comme nous le voyons quand ils se concentrent par les miroirs concaves, qui
en font réfléchir plusieurs ensemble dans un même point; ou par des verres
transparents convexes, qui les font concentrer par réfraction. Si la force de
ces rayons concentrés par les miroirs est telle en cet éloignement de son
origine, qu'elle fait fondre les matières les moins fusibles, & qu'elle met en feu
celles qui sont inflammables, ils doivent être beaucoup plus actifs dans le
Globe du Soleil, où ils sont plus condensés, d'où ils partent pour se répandre,
& où ils sont tout de feu. Ces rayons solaires ne doivent pas être considérés
comme de simples lignes droites, qui soient contiguës proche du Soleil, & qui
aillent s'écartant les uns des autres en s'éloignant de cet Astre. Ils sont
toujours continus, & ne souffrent point de séparation ni d'écart. Leur
raréfaction est seulement extensive, comme celle de l'Air, de laquelle toutefois
elle diffère en ce qu'elle ne peut être forcée, à cause de l'incorporéité de sa
substance, laquelle fait aussi que ses rayons lumineux, en leur condensation,
se pénétrant les uns les autres, ne souffrent point de violence, qui les
contraigne, & les oblige, comme l'Air comprimé, à faire effort pour s'étendre
& se remettre dans leur premier état.
La substance lumineuse étendue, étant capable de raréfaction proprement
dite, & de condensation, a donc en cela du rapport à la Lumiére corporelle;
mais n'étant pas capable de division en parties, qui puissent subsister séparées
les unes des autres, cette indivisibilité marque en la Lumière de l'incorporéité,
aussi-bien. que fait sa pénétration dans les corps continus diaphanes, & son
immobilité dans les diaphanes qu'elle pénètre, & avec lesquels elle ne change
point de place, ne suivant pas le mouvement de leur agitation; parce, comme
je l'ai déjà dit, qu'elle n'y est pas inhérente, & que ces corps en peuvent être
privés sans aucune altération.
Cet épanchement si soudain de la Lumière, qui traverse en un instant des
espaces immenses, est encore une preuve de son incorporéité, car le
mouvement le plus vite des corps les plus subtils, & de ceux qui sont poussés
avec plus d'impétuosité, se fait toujours successivement & en quelque temps.
Ce qui n'a pu jusques à-présent être bien observé du mouvement de la
lumière des Astres.
C'est donc avec beaucoup de raison que je prends la Lumière pour une
substance moyenne entre la corporelle & l'incorporelle, & que je lui donne le
nom d'esprit. L'efficacité de celle du Soleil, observée dans les Mixtes naturels,
la peut bien faire passer pour un de leurs Principes constitutifs. Cette chaleur
qu'elle produit dans le Globe terrestre est manifestement cause de la fertilité.
C'est par elle que la Nature excitée fait les productions sur la Terre, & donne
la vie à tout ce qui est capable de la recevoir. La grande activité de cette
Lumière solaire, comparable à celle du feu, m'a donné sujet d'ajouter le
surnom d'igné au nom d'esprit que j'ai jugé convenable à cette substance
moyenne. Réflexion Ce que j'ai die du corps élémentaire, que je suppose être
le Principe matériel & subjectif des Mixtes naturels, n'a pas besoin de plus
grande explication. Les choses corporelles sont sensibles, & la notion du
corps est facile & commune; sans beaucoup d'étude on apprend que c'est une
corps substance étendue, divisible, mobile, & qui ne se meut point de soimême.
Ces conditions la rendent passive, & cette qualité lui est essentielle.
C'est par la passivité du corps, que sur l'observation des actions , qui se font
en lui, la raison nous fait connaître qu'il y a des choses incorporelles, & que
les corporelles, tant celles qui sont absolument telles , que celles qui tiennent
en quelque sorte de la corporéité, ou qui ont du rapport au corps, pour s'unir
avec lui, ne sont point d'elles-mêmes , & qu'elles dépendent toutes d'une
cause première & absolue.
Tous les Mixtes naturels ont de la corporéité, & c'est par elles qu'ils sont
perceptibles à nos sens. Mais nous observons aussi dans ces Mixtes des
actions qui ne peuvent être raisonnablement attribuées au corps, choses
lequel étant de soi purement passif ne peut agir de soi-même. Il faut donc
que ce qui agit dans les choses corporelles, ayant de l'activité opposée à la
passivité qui est essentielle au corps, ne soit pas corps. La puissance active &
motrice, dont les effets paraissent dans les animaux vivants, n'y est plus quand
ils sont morts, quoiqu'en cet état de mort , ils aient encore la corporéité qu'ils
avoient pendant leur vie. Cette puissance ne demeurant point avec le corps de
l'animal mort, fait connaître qu'elle ne venait pas de lui, & elle ne peut être
justement attribuée qu'au même Principe actif par lequel le corps de l'animal
était vivifié. Ce Principe actif & vivifique est donc incorporel; & comme
l'activité, qui lui est propre, se trouve opposée à la passivité, qui est la
propriété essentielle & inséparable du corps, les autres qualités qui suivent la
passivité, lui sont pareillement opposées, & ne lui peuvent convenir.
L'incorporel n'est donc ni étendu, ni divisible, ni mobile, puisqu'il n'est point
passif de soi, comme le corporel. Je dis de soi, car ainsi que par occasion les
choses corporelles passives peuvent agir, par le moyen des incorporelles
actives, de-même les incorporelles peuvent partir par leur union aux
corporelles.
Si de la considération du corporel passif & sensible on peut passer à la
connaissance de l'incorporel actif & seulement intelligible, le même sujet
corporel peut porter notre entendement à reconnaître une première cause,
absolument incorporelle, très-active de soi, existante par soi, de laquelle
dépend tout ce qui n'est point de soi-même. La substances corporelle étant
purement passive de soi, ne peut agir de soi, & ne pouvant agir de soi , elle n'a
pu se donner l'être qu'elle a. C'est d'une cause incorporelle qu'elle l'a reçu,
laquelle cause est absolue & abstraite de toute corporéité, & par laquelle a été
fait, non seulement ce qui est purement corporel, comme le corps élémentaire
des Mixtes; mais aussi ce qui participe de quelques qualités corporelles,
comme l'Esprit igné, & ce qui a du rapport au corps pour se joindre avec lui,
comme la Nature.
Ayant ainsi passé de la considération des choses corporelles & sensibles aux
incorporelles & seulement intelligibles, j'ai conçu l'idée d'un système général
des choses qui subsistent en elles-mêmes, & qui ont le nom de substance, la
première différence desquelles se prend de la corporéité & de l'incorporéité.
La substance corporelle est celle qui est purement passive de soi, &
l'incorporelle lui est opposée par l'activité qui lui est propre. La substance
incorporelle, active de soi, se trouve sous deux genres; en l'un de ces genres
elle a du rapport au corps; en l'autre elle n'en a point, & est absolument &
purement incorporelle. Le rapport de la substance incorporelle du premier
genre au corps est de deux sortes, l'une par participation, l'autre par la seule
conjonction. La substance incorporelle, qui participe de la corporéité , par
certaines qualités qui lui sont communes avec le corps, comme l'étendue en la
Lumière, & quelque mobilité, est celle que je nomme Esprit igné, & la
substance incorporelle, qui n'ayant aucune des qualités corporelles, se
rapporte au corps par la seule union qu'elle contracte avec lui dans les Mixtes
naturels, est celle à qui le nom de Nature convient. Cette substance, purement
incorporelle de soi, a quelque participation de l'intellectualité, qui
accompagne l'incorporéité pure & simple ; mais cette intellectualité est
affaiblie dans la Nature par la corporéité des Mixtes qu'elle informe. C'est en
Dieu que l'incorporéité est absolue, l'intellectualité pure, & la perfection
substantielle accomplie.
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