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RABELAIS Pantagruel (1532) - 2ère partie







Comment Panurge enseigne une maniere bien
nouvelle de bastir les murailles de Paris.
Chap. xi.
Pantagruel quelque iour pour se recreer de son estude se pourmenoit vers les
faulxbourgs sainct Marceau voulant veoir la follie Gobelin, et Panurge estoit
avecques luy, ayant tousiours le flaccon soubz la robbe, et quelque morceau de
iambon: car sans cela iamais ne alloit il, disant que c'estoit son garde corps: & aultre
espée ne portoit il. Et quand Pantagruel luy en voulut baillier une, il respondit,
qu'elle luy eschaufferoit la ratelle.
Voire mais, dist Epistemon, si l'on se assailloit comment te defendroys tu? A grands
coups de brodequin, respondit il, pourveu que les estocz feussent descenduz.
A leur retour Panurge consideroit les murailles de la ville de Paris, & en irrision dist
à Pantagruel. Voy ne cy pas de belles murailles, pour garder les oysons en mue? Par
ma barbe, elles sont competentement meschantes pour une telle ville comme est
ceste cy, car une vasche avecques ung pet en abattroit plus de six brasses. O mon
amy, dist Pantagruel, scez tu pas bien ce que dist Agesilaus, quand on luy demanda:
Pourquoy la grande cité de Lacedemone n'estoit pas ceincte de murailles? Car
monstrant les habitans et citoyens de la ville tant bien expers en discipline militaire,
tant forz & bien armez. Voicy, dist il, les murailles de la cité. Signifiant qu'il n'est
murailles que de os, et que les villes ne sçauroient avoir muraille plus seure & plus
forte que de la vertuz des habitans. Ainsi ceste ville est si forte par la multitude du
peuple bellicqueux qui est dedans, qu'ilz ne se soucient point de faire aultres
murailles. Et davantaige, qui la vouldroit emmurailler comme Strasbourg ou
Orleans, [ou Carpentras,] il ne seroit possible, tant les frays seroient excessifz.
Voire mais, dist Panurge, si faict il bon avoir quelque visaige de pierre quand on est
envahy de ses ennemys, et ne feust ce que pour demander, qui est là bas? Et au
regard des frays enormes que dictes estre necessaires si l'on la vouloit murer, si
messieurs de la ville me veullent bien donner quelque bon pot de vin, ie leur
enseigneray une maniere bien nouvelle, comment ilz pourront bastir à bon marché.
Et comment? dist Pantagruel. Ne le dictes donc pas, respondit Panurge, si ie vous
l'enseigne. Ie voy que les callibistrys des femmes de ce pays, sont à meilleur marché
que les pierres. D'iceulx fauldroit bastir les murailles en les arrangeant en bonne
symmetrie d'architecture, & mettant les plus grans au premiers rancz, et puis en
taluant à doz d'asne arrangeant les moyens & finablement les petitz. Et puis faire
ung beau petit entrelardement à poinctes de diamens comme la grosse tour de
Bourges, de tant de vitz qu'on couppa en ceste ville es pouvres Italiens à l'entrée de
la Reyne. Quel diable desferoit une telle muraille? Il n'y a metal qui tant resistat aux
coups. Et puis que les couillevrines se y vinssent froter. Vous en verriez par dieu
incontinent distiller de ce benoist fruict de grosse verolle menu comme pluye. Sec
au nom des diables. Davantaige la fouldre ne tomberoit iamais dessus. Car
pourquoy? ilz sont tous benitz ou sacrez. Ie n'y voys qu'ung inconvenient. Ho ho ha
ha ha, dist Pantagruel. Et lequel? C'estque les mousches en sont tant friandes que
merveilles, & se y cueilleroient facillement & y feroient leur ordure, & voilà
l'ouvrage gasté & diffamé. Mais voicy comme l'on y remedroit. Il fauldroit tresbien  
les esmoucheter avecques belles quehues de renards, ou bons gros vietz d'azes de
Provence. Et à ce propos ie vous veulx dire, nous en allant pour soupper ung bel
exemple.
Au temps que les bestes parloient (il n'y a pas troys iours) ung pouvre lyon par la
forest de Biere se pourmenant & disant ses menus suffrages passa par dessoubz ung
arbre auquel estoit monté ung villain charbonnier pour abattre du boys. Lequel
voyant le lyon, luy getta la coignée, & le blessa enormement en une cuysse. Dont le
lyon cloppant tant courut & tracassa par la forest pour trouver ayde, qu'il rencontra
ung charpentier, lequel voulentiers regarda la playe, et la nettoyat le mieulx qu'il
peust, & l'emplyt de mousse, luy disant, qu'il esmouchast bien la playe, que les
mousches ne y cuyllassent point, attendant qu'il yroit chercher de l'herbe au
charpentier. Ainsi le lyon guery, se pourmenoit par la forest, à quelle heure une
vieille sempiternelle ebuschetoit et amassoit du boys par ladicte forest, laquelle
voyant le lyon venir, tumbat de peur à la renverse de telle façon, que le vent luy
renversa la robbe, cotte, & chemise iusques au dessus des espaules. Ce que voyant
le lyon, accourut de pitié, veoir si elle s'estoit point faict mal, & consyderant son
comment à nom? dist. O pouvre femme, qui t'a ainsi blessée: et ce disant, apperceut
ung regnard, lequel il appella, disant. Compere regnard, hau ça ça, & pour cause.
Quand le regnard fut venu, il luy dist. Compere mon amy, l'on a blessé ceste bonne
femme icy entre les iambes bien villainement & y a solution de continuité
manifeste, regarde que la playe est grande, depuis le cul iusques au nombril mesure
quatre, mais bien cinq empans et demy: c'est ung coup de coignée, ie me doubte que
la playe soit vieille, pourtant affin que les mousches n'y prennent, esmouche la bien
fort, ie t'en pry, & dedans & dehors, tu as bonne quehue & longue, esmouche mon
amy, esmouche ie t'en supply, & ce pendant ie voys querir de la mousse, pour y
mettre. Car ainsi nous fault il secourir & ayder l'ung l'autre, dieu le commande.
Esmouche fort, ainsi mon amy esmouche bien: car ceste playe veult estre
esmouchée souvent, autrement la personne ne peult estre à son ayse. Or esmouche
bien mon petit compere, esmouche, dieu t'a bien pourveu de quehue, tu l'as grande
et grosse à l'advenant, esmouche fort & ne t'ennuye point, ie n'arresteray gueres.
Puis s'en va chercher force mousse, & quand il fut quelque peu loin il s'escrya
parlant au regnard. Esmouche bien tousiours compere, esmousche, & ne te fasche
iamais de bien esmoucher, par dieu mon petit compere ie te feray estre à gaiges,
esmoucheteur de la reyne Marie ou bien de dom Pietro de Castille. Esmouche
seulement, esmouche et riens plus.
Le pouvre regnard esmouchoit fort bien & deça & delà & dedans & dehors, mais la
saulve vieille vesnoit & vessoit puant comme cent diables, & le pouvre regnard
estoit bien mal à son ayse: car il ne sçavoit de quel cousté se virer, pour evader le
parfum des vesses de la vieille: & ainsi qu'il se tournoit il veit qu'il y avoit au
derriere encores ung aultre pertuys, non pas si grand que celluy qu'il esmouchoit,
dont luy venoit ce vent tant puant & infect. Le lyon finablement retourne portant
plus de troys balles de mousse: commença en mettre dedans la playe, à tout ung ung
baston qu'il aporta, et y en avoit ià bien mys deux balles & demye, & s'esbahyssoit
que diable ceste playe est parfonde, il y entreroit de mousse plus de deux charretées,
et bien puisque dieu le veult, et tousiours fourroit dedans.
Mais le regnard l'advisa. O compere lyon mon amy, ie te pry ne metz pas icy toute
la mousse, gardes en quelque peu, car il y a encores icy dessoubz ung aultre petit  
pertuys, qui put comme cinq cens diables. Ien suis empoisonné de l'odeur tant il est
punays.
Ainsi fauldroit il garder ces murailles des mousches, & mettre des esmoucheteurs à
gaiges.
Lors dit Pantagruel. Et comment scez tu, que les membres honteux des femmes sont
à si bon marché: car en ceste ville il y a force preudefemmes chastes & pucelles.
Et ubi prenus? dist Panurge. Ie vous en diray non pas mon opinion, mais vraye
certitude & asseurance. Ie ne me vante pas d'en avoir embourré quatre cens dix et
sept depuys que suis en ceste ville, et s'il n'y a que neuf iours, voire de mangeresses
d'ymaiges & de theologiennes. Mais à ce matin iay trouvé ung bon homme, qui en
ung bissac tel comme celluy de Esopet, portoit deux petites fillotes de l'aage de
deux ou troys ans au plus, l'une devant, l'aultre derriere. Il me demanda l'aulmosne,
mais ie luy feis responce que iavoys beaucoup plus de couillons que de deniers. Et
apres luy demande. Bonhomme ces deux filles sont elles pucelles? Frere dist il. Ià
deux ans a que ainsi les porte & au regard de ceste cy devant, laquelle ie voy
continuellement en mon advis qu'elle est pucelle, toutesfois ie n'en vouldroys pas
metre mon doigt au feu: quant est de celle que ie porte derriere, ie n'en sçays sans
faulte riens.
Vrayment dist Pantagruel, tu es gentil compaignon, ie te veulx habiller de ma livrée.
Et le feist vestir galantement selon la mode du temps qui couroit: excepté que
Panurge voulut que la braguette de ses chausses feust longue de troys pieds, &
quarrée non pas ronde, ce que feut faict, & la faisoit bon veoir. Et disoit souvent,
que le monde n'avoit point encores congneu l'esmolument et utilité qui est de porter
grande braguette, mais le temps leur enseigneroit quelque iour, comme toutes
choses ont esté inventées en temps. Dieu gard de mal, disoit il, le compaignon à qui
la longue braguette a saulvé la vie, Dieu gard de mal à qui la longue braguette a
valu pour ung iour cent escuz, Dieu gard de mal, qui par sa longue braguette a
saulvé toute une ville de mourir de faim. Et par dieu ien feray ung livre de la
commodité des longues braguettes, quand iauray ung peu plus de loysir. Et de faict
en composa ung beau & grand livre avecques les figures, mais il n'est encores
imprimé, que ie saiche.

Des meurs & conditions de Panurge.
Cha. xii.
Panurge estoit de stature moyenne nu trop grand ny trop petit, et avoit le nez ung
peu aquillin faict à manche de rasouer. Et pour lors estoit de l'aage de trente & cinq
ans ou environ, fin à dorer comme une dague de plomb, bien galand homme de sa
personne, sinon qu'il estoit quelque peu paillard, & subiect de nature à une maladie
qu'on appeloit en ce temps là, faulte d'argent, c'est douleur non pareille: toutesfois il
avoit soixante & troys manieres d'en trouver tousiours à son besoing, dont la plus
honnorable & la plus commune estoit par façon de larrecin furtivement faict,
malfaisant, bateur de pavez, ribleur s'il y en avoit en Paris: & tousiours machinoit
quelque chose contre les sergeans & contre le guet. A l'une foys il assembloit troys
ou quatre de bons rustres & les faisoit boire comme Templiers sur le soir, & apres
les menoit au dessoubz de saincte Geneviefve, ou aupres du colliege de Navarre, &
à l'heure que le guet montoit par là, ce que il congnoissait en mettant son espée sur
le pavé & l'oreille aupres, & lors qu'il ouyoit son espée bransler, c'estoit signe
infaillible que le guet estoit pres: à l'heure doncques luy & ses compaignons
prenoient ung tombereau, et luy bailloient le bransle le ruant de grand force contre
la vallée, & ainsi mettoit tout le pouvre guet par terre comme porcs, & puys s'en
fuyoient de l'aultre cousté: car en moins de deux iours, il sceut toutes les rues,
ruelles & traverses de Paris comme son Deus det. A l'aultre fois il faisoit en quelque
belle place par ou ledict guet debvoit passer une trainée de pouldre de canon, & à
l'heure que le guet passoit, il mettoit le feu dedans, et puis prenoit son passetemps à
veoir la bonne grace qu'ilz avoient en s'en fuyant, pensans le feu sainct Antoine les
tint aux iambes. Et au regard des pouvres maistres es ars & theologiens, il les
persecutoit sur tous aultres, quand il rencontroit quelqu'ung d'entre eulx par la rue,
iamais ne failloit de leur faire quelque mal, maintenant leurs mettant ung estronc
dedans leur chaperons à bourlet, maintenant leur atachant petites quehues de
regnard, ou des oreilles de lievres par derriere, ou quelque aultre mal. Et ung iour
que l'on avoit assigné à tous les theologiens de se trouver en Sorbone pour examiner
les articles de la foy, il fist une tartre bourbonnoyse composée de force de hailz, de
galbanum, de assa fetida, de castoreum, d'estroncs tous chaux, et la destrampit de
sanie de bosses chancreuses, & de fort bon matin engressa & oignit theologalement
tout le treilliz de Sorbonne, en sorte que le diable n'y eust pas duré. Et tous ces
bonnes gens rendoient là leurs gorges devant tout le monde, comme s'ilz eussent
escorché le regnard, et en mourut dix ou douze de peste, mais il ne s'en soucioit pas.
Et en son saye y avoit plus de vingt & six petites bougettes & fasques tousiours
pleines, l'une d'ung petit deaul de plomb, & d'ung petit cousteau affilé comme une
aiguille de peletier, dont il couppoit les bourses, l'aultre de aigrest, qu'il gettoit aux
yeulx de ceulx qu'il trouvoit, l'aultre de glaterons empennés de petites plumes de
oysons ou de chappons, qu'il gettoit sur les robbes & bonnetz des bonnes gens, &
aulcunesfois leur en faisoit de belles cornes qu'ilz portoient par toute la ville,
aulscunesfois toute leur vie. Aux femmes aussi par dessus leurs chapperons au
derriere aulcunesfois en mettoit faictz en forme d'ung membre d'homme. En l'aultre
ung tas de cornetz tous plains de pusses & de poux, qu'il empruntoit des guenaulx
de sainct Innocent & les gettoit à tout belles petites cannes ou plumes dont on  
escript, sur les colletz des plus sucrées damoiselles qu'il trouvoit, & mesmement en
l'esglise: car iamais ne se mettoit au cueur au hault, mais tousiours demouroit en la
nef entre les femmes, tant à la messe, à vespres, comme au sermon. En l'aultre,
force provision de haims & claveaux, dont il acouploit souvent les hommes et les
femmes en compaigniez où ilz estoient serrez: & mesmement celles qui portoient
robbe de taffetas armoisy, & à l'heure qu'elles se vouloient departir elles rompoient
toutes leurs robbes. En l'aultre ung fouzil garny d'esmorche, d'allumettes, de pierre à
feu, & tout aultre appareil à ce requis. En l'aultre deux ou troys mirouers ardens,
dont il faisoit enrager aulcunesfois les hommes et les femmes, & leur faisoit perdre
contenance à l'esglise, car il disoit qu'il n'y avoit qu'ung antistrophe entre femme
folle à la messe, & femme molle à la fesse. En l'aultre avoir provision de fil, &
d'aiguilles dont il faisoit mille petites diableries. Une fois à l'issue du Palays à la
grant salle que ung cordelier disoit sa messe de messieurs il luy ayda à soy habiller
et revestir, mais en l'acoustrant il luy cousit l'aulbe avecques sa robbe & chemise, et
puis se retira quant messieurs de la court se vindrent asseoir pour ouyr messe. Mais
quant ce fust à l'ite missa est, que le pouvre frater se voulut devestir son aulbe, il
emporta ensemble & habit & chemise qui estoient bien cousuz ensemble, et se
rebrassit iusques aux espaules monstrant son callibistris à tout le monde, qui n'estoit
pas petit: sans doubte. Et le frater tousiours tiroit, mais tant plus ce descouvroit il,
iusques à qu'ung de messieurs de la court dist. Et quoy ce beaupere nous veult il icy
faire l'offrande et bayser son cul? le feu sainct Antoine le bayse. Et des lors feut
ordonné que les pouvres beatzperes ne se despouilleroyent plus devant le monde,
mais en leur sacrifice, mesmement quand il y auroit des femmes, car ce leur seroit
occasion de pecher du peché d'envie.
Et le monde demandoit, Pourquoy est ce que ces fraters avoient la couille si longue?
mais ledict Panurge soulut tresbien le probleme, disant ce que faict les oreilles des
asnes si grandes, ce n'est sinon par ce que leurs meres ne leur mettoyent point de
beguin en la teste comme dit de Alliaco en ses suppositions. A pareille raison, ce
que faict la couille des pouvres beatz peres tant sainct Antoine large, c'est qu'ilz ne
portent point de chausses foncées, & leur pouvre membre s'estend à sa liberté à
bride avallée, & leur va ainsi triballant sur les genoulx comme font les patenostres
aux femmes? Mais la cause pourquoy ilz l'avoient gros à l'equipollent, c'estoit que
en ce triballement les humeurs du corps descendent audit membre, car selon les
Legistes agitation et motion continuelle est cause de attraction.
Item avoit ung aultre poche toute pleine de alun de plume dont il gettoit dedans le
doz des femmes, qu'il voyoit les plus acrestées, & les faisoit despouiller devant tout
le monde, les aultres dancer comme iau sur breze ou bille sur tambour, les aultres
courir les rues, & luy apres couroit, & à celles qui se despouilloyent, il mettoit sa
cappe sur le doz, comme homme courtoys & gracieux. Item en ung aultre il avoit
une petite guedoufle plaine de vieille huyle, et quand il trouvoit ou homme ou
femme qui luy semblissent bien glorieux, et qui eussent quelque belle robbe, il leur
engraissoit & guastoit tous les plus beaulx endroictz de leurs habillemens soubz le
semblant de les toucher & dire. Voicy de bon drap, voicy bon satin, bon tafetas, ma
dame dieu vous doint ce que vostre noble cueur desire, vous avez robbe neufve,
nouvel amy, dieu vous y maintienne, & ce disant leur mettoit la main sur le collet,
& ensemble la male tache y demouroit perpetuellement, que le diable n'eust pas
ostée, puis à la fin leur disoit. Ma dame donnez vous guarde de tumber: car il y a icy 
ung grand trou devant vous. En ung aultre avoit tout plain de Euphorbe pulverisé
bien subtilement, & là dedans mettoit ung mouschenez beau & bien ouvré qu'il
avoit desrobé à la belle lingiere des Galleries de la saincte chappelle, en luy ostant
ung poul dessus son sain, lequel toutesfoys il y avoit mis. Et quand il se trouvoit en
compaignie de quelques bonnes dames, il leur mettoit sus propos de lingerie, & leur
mettoit la main au sain, demandant, & cet ouvraige est il de Flandres ou de
Haynault: & puis tiroit son mouschenez disant, tenez tenez, voy en cy de l'ouvrage,
elle est de Fonterabie, et le secouoit bien fort à leurs nez, & les faisoit esternuer
quatre heures sans repos.
Et ce pendant il petoit comme ung roussin, & les femmes se ryoient luy disant,
comment: vous petez Panurge? Non fois, disoit il, madame: mais ie accorde au
contrepoint de la musicque que sonnez du nez.
En l'aultre ung daviet, ung pellican, ung crochet, & quelques aultres ferremens dont
il n'y avoit porte ny coffre qu'il ne crochetast. En l'aultre tout plain de petitz
goubeletz, dont il iouoit fort artificiellement: car il avoit les doigs faictz à la main
comme Minerve ou Arachné. Et avoit aultrefois cryé le theriacle. Et quand il
changeoit ung teston, ou quelque aultre piece, le changeur n'eust esté plus fin que
maistre mousche, si Panurge n'eust faict evanouyr à chascune fois cinq ou six
grands blancs visiblement, appertement, manifestement, sans faire lesion ne
blesseure aulcune, dont le changeur n'en eust senty que le vent.
Ung iour ie le trouvay quelque peu escorné et taciturne, & me doubte bien qu'il
n'avoit denare, dont ie luy dys. Panurge vous estes malade à ce que ie voy à vostre
physionomie, & ientens le mal, vous avez ung fluz de bourse: mais ne vous souciez.
Iay encores six sols & maille, qui ne virent oncques pere ny mere, qui ne vous
fauldront non plus que la verolle, en vostre necessité.
A quoy il me respondit. Et bren pour l'argent. ie n'en auray quelque iour que trop:
car iay une pierre philosophalle qui me attire l'argent des bourses, comme l'aymant
attire le fer. Mais voulez vous venir gaigner les pardons? dist il.
Et par ma foy ie luy respons, Ie ne suis pas grand pardonneur en ce monde icy, ie ne
sçay si ie le seray en l'aultre: & bien allons au nom de dieu, pour ung denier ny plus
ny moins.
Mais (dist il) prestez moy doncques ung denier à l'interest.
Rien rien, dis ie, Ie vous le donne de bon cueur, grates vobis dominos, dist il.
Ainsi allasmes commençant à sainct Gervays, & ie gaigne les pardons au premier
tronc seulement: car ie me contente de peu en ces matieres, & puis me mis à dire
mes menuz suffrages, et oraisons de saincte Brigide: mais il gaigna à tous les
troncz, & tousiours bailloit argent à chascun des pardonnaires. De là nous
transportasmes à nostre Dame, à sainct Iehan, à sainct Antoine, & ainsi des aultres
esglises ou avoit bancque de pardons, de ma part ie n'en gaignoys plus: mais luy à
tous les troncz, il baysoit les relicques, & à chascun donnoit. Brief quand nous
fusmes de retour il me mena boire au cabaret du chasteau et me montra dix ou
douze de ses bougettes plaines d'argent.
A quoy ie me seigny faisant la croix, disant. Dont avez vous tant recouvert d'argent
en si peu de temps?
A quoy il me respondit, que il l'avoit prins des pardons: car en leur baillant le
premier denier (dist il) ie le mis si soupplement, que il sembla que feust ung grand
blanc, par ainsi d'une main ie prins douze deniers, voire bien douze liards ou  
doubles pour le moins, et de l'aultre troys ou quatre douzains: et ainsi par toutes les
esglises où nous avons esté.
Voire mais (dis ie) vous vous damnez comme une sarpe & estes larron & sacrilege.
Ouy bien, dist il, comme il vous semble, mais il ne me le semble pas quand à moy.
Car les pardonnaires me le donnent, quand ilz me disent en presentant les relicques
à bayser, centuplum accipies, que pour ung denier ien prene cent: car accipies est dit
selon la maniere des Hebrieux qui vient du futur en lieu de l'imperatif, comme avez
en la loy, dominum deum tuum adorabis et illi foli servies, diliges proximuum
tuum, & sic de aliis. Ainsi quand le pardonnigere me dit, centuplum accipies, il
veult dire, centupluim accipe, & ainsi l'expose rabi Quimy & rabi Aben Ezra, &
tous les Massoretz. Et davantaige le pape Sixte me donna quinze cens livres de rente
sur son dommaine & tresor ecclesiasticque, pour luy avoir guery une bosse
chancreuse, qui tant le tourmentoit, qu'il en cuyda devenir boyteux toute sa vie.
Ainsi ie me paye par mes mains: car il n'est tel, sur ledict tresor ecclesiasticque. Ho
mon amy disoit il, si tu sçavoys comment ie fis mes choux gras de la croysade, tu
seroys tout esbahy. Elle me valut plus de six mille fleurins.
Et où diable sont ils allez? dis ie, car tu n'en as pas une maille.
Dont ilz estoient venuz (dist il) ilz ne firent seulement que changer de maistre. Mais
ien employai bien troys mille à marier non pas les ieunes filles: car elles ne trouvent
que trop marys, mais de grand vieilles sempiternelles qui n'avoient dentz en gueulle.
Consyderant, ces bonnes femmes icy ont tresbien employé leur temps en ieunesse &
ont ioué du serrecropiere à cul levé à tous venans, iusques à ce qu'on n'en a plus
voulu. Et par dieu ie les feray saccader encores une foys devant qu'elles meurent. Et
par ainsi à l'une donnoit cent flourins, à l'aultre six vingtz, à l'aultre troys cens, selon
qu'elles estoient bien infames, detestables, & abhominables: car d'autant qu'elles
estoient plus horribles & execrables, d'autant il leur failloit donner davantaige,
aultrement le diable ne les eust pas voulu besoigner. Incontinent ie m'en alloys à
quelque porteur de coustretz gros & gras, & faysois moy mesmes le mariage, mais
premier que luy monstrer les vieilles, ie luy monstroys les escuz, disant. Compere,
voicy qui est à toy, si tu veulx fretinfretailler ung bon coup. Des lors les pouvres
hayres arressoient comme vieulx mulletz, & ainsi leur faisoys bien aprester &
bancqueter, & boire du meilleur & force espiceryes pour mettre les vieilles en
appetit & en chaleur. Fin de compte ilz besoignoient comme toutes bonnes ames,
sinon que à celles qui estoient horriblement villaines & defaictes, ie leur faisoys
mettre ung sac sur le visaige. Davantaige ien ay perdu beaucoup en proces.
Et quelz proces as tu peu avoir? disoys ie, tu ne as ny terre ny maison.
Mon amy (dist il) les damoiselles de ceste ville avoient trouvé par instigation de
diable d'enfer, une maniere de colletz ou cachecoulx à la haulte façon, qui leur
cachoient si bien les seins, que l'on n'y povoit plus mettre la main par dessoubz: car
la fente d'iceulx elles avoient mise par derriere, & estoient tous clos par devant, dont
les pouvres amans dolens contemplatifs n'estoient pas bien contens, ung beau iour
de Mardy ien presentay resqueste à la court, me formant partye contre lesdictes
damoyselles et remonstrant les grans interestz que ie pretendoys protestant que à
mesme raison ie feroys coudre la braguette de mes chausses au derriere, si la court
n'y donnoit ordre, somme toute les damoiselles formerent syndicat et passerent
procuration à defendre leur cause, mais ie les poursuivy si vertement que par arrest
de la court y fut dist, que ces haulx cachecoulx ne seroient plus portez, sinon qu'ilz

feussent quelque peu fenduz par devant. Mais il me cousta beaucoup. Ieuz ung
aultre proces bien ord & bien sale contre maistre Fify & ses suppotz, à ce qu'ilz
n'eussent point à lire clandestinement les livres de Sentences de nuyct, mais de beau
plain iour et ce es escholles de Sorbonne, en face de tous les theologiens, ou ie fuz
condemné es despens pour quelque formalité de la relation du sergeant. Une aultre
foys ie formay complaincte à la court contre les mulles des Presidens, Conseilliers,
& aultres: tendant à fin que quand en la basse court du Palays l'on les mettroit à
ronger leur frain, que les Conseilleres leur feissent de belles baverettes affin que de
leur bave elles ne gastassent point le pavé en sorte que lespaiges du palays peussent
iouer dessus à beaulx detz, ou au reniguedieu à leur ayse, sans y rompre leurs
chausses aux genoux. Et de ce en euz bel arrest: mais il me couste bon. Or sommez
à ceste heure combien me coustent les petitz bancquetz que ie fays aux paiges du
palays de iour en iour.
Et à quelle fin? dis ie. Mon amy (dist il) tu ne as nul passetemps en ce monde. Ien
ay moy plus que le roy. Et si tu vouloys te rallier avecques moy, nous serions
diables.
Non non (dis ie) par sainct Adauras: car tu seras une foys pendu.
Et toy (dist il) tu seras une foys enterré, lequel est plus honorable ou l'air ou la terre?
He grosse pecore, Iesuchrist ne fut il pas pendu en l'air. Mais à propos ce pendant
que ces paiges bancquettent ie garde leurs mulles, & tousiours ie couppe à
quelqu'une l'estriviere du cousté montouer qu'elle ne tient que à ung fillet. Et quand
le gros enflé de Conseillier ou aultre a prins son bransle pour monter sus, ilz
tombent tous platz comme porcs devant tout le monde: & aprestent à rire pour plus
de cent frans. Mais ie me rys encores davantaige, c'est que eulx arrivez au logis ilz
font foueter monsieur du page comme seigle vert, par ainsi ie ne plains point ce que
m'avoit cousté à les bancqueter.
Fin de compte il avoit (comme ay dit dessus) soixante & troys manieres de
recouvrer argent: mais il en avoit deux cens quatorze de le despendre, hors mis la
reparation de dessoubz le nez.

Comment ung grand clerc de Angleterre vouloit
arguer contre Pantagruel, & fut vaincu par Panurge.
Chap. xiii.
En ces mesmes iours ung grandissime clerc nommé Thaumaste ouyant le bruyt &
renommée du sçavoir incomparable de Pantagruel vint du pays de Angleterre en
ceste seule intention de veoir icelluy Pantagruel & le congnoistre, & esprouver si tel
estoit son sçavoir comme en estoit la renommée. Et de faict arrivé à Paris se
transporta vers l'hostel dudict Pantagruel qui estoit logé à l'hostel sainct Denys, &
pour lors se pourmenoit par le iardin avecques Panurge, philosophant à la mode des
Peripateticques. Et de premiere entrée le voyant tressaillit tout de peur, le voyant si
grand & si gros: puis le salua, comme est la façon, courtoysement luy disant.
Bien vray est il ce que dit Platon le prince des philosophes, que si l'ymage de
science & sapience estoit corporelle & spectable es yeulx des humains, elle
exciteroit tout le monde en admiration de foy. Car seulement le bruyt d'icelle
espandu par l'air, s'il est receu es oreilles des studieux et amateurs d'icelle, qu'on
nomme Philosophes, ne les laisse dormir ny reposer à leur ayse, tant les stimule &
embrase de acourir au lieu, & veoir la personne, en qui est dicte science avoir
estably son temple, et depromer les oracles. Comme il nous feut manifestement
demonstré en la Reyne de Saba, qui vint des limites d'Orient & mer Persicque pour
veoir l'ordre de la maison du saige Salomon & ouyr sa sapience. En Anatharsis qui
de Scythie alla iusques en Athenes pour veoir Solon. En Pythagoras, qui visita les
Vaticinateurs Memphiticques. En Platon qui visita les Mages de Egypte & Architas
de Tarente, & en Apollonius Tyraneus qui alla iusques au mont Caucasus, passa les
Scythes, les Massagetes, les Indiens, transfeta le vaste fleuve de Physon, iusques es
Brachmanes, pour veoir Hiarchas. Et en Babyloine, Chaldée, Mede, Assyrie,
Parthie, Syrie, Phoenice, Arabie, Palestine, Alexandrie, iusques en Ethipie, pour
veoir les Gymnosophistes. Pareil exemple avons nous de Tite Live, pour lequel
veoir et ouyr plusieurs gens studieux vindrent en Rome, des fins limitrophes de
France & Hespaigne. Ie ne me ose pas recenser au nombre & ordre de ces gens tant
parfaictz: mais bien ie veulx estre dit studieux, & amateur, non seulement des letres,
mais aussi des gens letrez. Et de faict ouyant le bruyt de ton sçavoir tant
inestimable, ay delaissé pays, parens, maison, & me suis icy transporté, riens ne
estimant la longueur du chemin, l'attediation de la mer, la nouveaulté des contrées,
pour seullement te veoir, & conferer avecques toy d'aulcuns passaiges de
Philosophie, de Magie, de Alkymie, & de Caballe, desquelz ie doubte, & ne m'en
puis contenter mon esprit, lesquelz si tu me peulx souldre, ie me rens des à present
ton esclave moy & toute ma posterité: car aultre don ne ay ie que assez ie estimasse
pour la recompense. Ie les redigeray par escript et demain le feray assavoir à tous
les gens sçavans de la ville, affin que devant eulx publicquement nous en disputons.
Mais voicy la maniere comment ientens que nous disputerons. Ie ne veulx point
disputer, pro et contra, comme font ces folz sophistes de ceste ville & d'ailleurs.
Semblablement ie ne veulx point discuter en la maniere des Academicques par
declamations, ny aussi par nombres, comme faisoit Pythagoras, & comme voulut
faire Picus Mirandula à Rome. Mais ie veulx disputer par signes seulement, sans  
parler: car les matieres sont tant ardues que les parolles humaines ne seroient
suffisantes à les explicquer à mon plaisir, par ce il plaira à ta magnificence de soy y
trouver, ce sera en la grande salle de Navarre à sept heures de matin.
Ces parolles achevées, Pantagruel luy dist honnorablement. Seigneur, des graces
que Dieu m'a donné, Ie ne vouldroys denier à nully en departir à mon povoir: car
tout bien vient de luy de lassus, & son plaisir est que soit multiplié quand on se
trouve entre gens dignes ydoines de recepvoir ceste celeste manne de honneste
sçavoir. Au nombre desquelz par ce que en ce temps, comme ià bien apperçoy, tu
tiens le premier ranc. Ie te notifie que à toutes heures tu me trouveras prest à
obtemperer à une chascune de tes requestes, selon mon petit povoir. Combien que
plus de toy ie deusse apprendre que toy de moy, mais comme as protesté nous
confererons de tes doubtes ensemble, et en chercherons la resolution, dont il la fault
trouver toy à moy. Et loue grandement la maniere d'arguer que as proposée, c'est
assavoir par signes sans parler: car ce faisant toy & moy, nous nous entendrons, &
serons hors de ces frappemens de mains, que font ces sophistes quand on argue:
alors qu'on est au bon de l'argument. Or demain ie ne fauldray à me trouver au lieu
et heure que me as assigné: mais ie te pry que entre nous n'y ait point de tumulte, &
que ne cherchons point l'honneur ny applausement des hommes, mais la serenité
seule.
A quoy respondit Thaumaste, Seigneur: dieu te maintienne en sa grace te remerciant
de ce que ta haulte magnificence tant se veult condescendre à ma petite vilité. Or a
dieu iusques à demain. A dieu dist Pantagruel.
Messieurs vous aultres qui lisez ce present escript, ne pensez pas que iamais il y eut
de gens plus elevez & transportez en pensée, que furent tout celle nuyct, tant
Thaumaste que Pantagruel. Car ledict Thaumaste dist au concierge de l'hostel de
Cluny, auquel il estoit logé, que de sa vie ne s'estoit trouvé tant alteré comme il
estoit celle nuyct. Il m'est (disoit il) advis que Pantagruel me tient à la gorge:
donnez ordre que beuvons ie vous prie [, et faictes tant que ayons de l'eaue fresche
pour me guarguariser le palat]. De l'aultre cousté Pantagruel entra en la haulte game
& de toute la nuyct ne faisoit que ravasser apres le livre de Beda de numeris &
signis, & le livre de Plotin de inenarrabilibus, & le livre de Proclus de magia, & les
livres de Artemidoras perionirocriticon, de Anaxagoras peri semion, Dynarius peri
aphaton, & les livres de Philistion, & Hipponax peri anecphoneton, ung tas
d'aultres, tant que Panurge luy dist, Seigneur laissez toutes ces pensées & vous allez
coucher: car ie vous sens tant esmeu en voz espritz, que bien tost tomberiez en
quelque fiebvre ephemere par c'est exces de pensement: mais premier beuvant vingt
& cinq ou trente bonnes foys retirez vous et dormez à votre aise, car de matin ie
respondray et argueray contre monsieur l'Angloys, & au cas que ie ne le mette ad
meta non loui, dictes mal de moy, dont dist Pantagruel.
Voire mais mon amy Panurge, il est merveilleusement sçavant, comment luy
pourras tu satisfaire?
Tresbien, respondit Panurge, Ie vous pry n'en parlez plus, et m'en laissez faire, y a il
homme tant sçavant que sont les diables?
Non vrayement dist Pantagruel, sans grace divine speciale.
Et toutesfoys, dist Panurge, iay argué maintesfoys contre eulx, et les ay faictz
quinaulx et mys de cul. Par ce soyez asseuré de cet Angloys, que ie vous le feray
demain chier vinaigre devant tout le monde.

Ainsi passa la nuyct Panurge à chopiner avecques les paiges et iouer toutes les
aiguillettes de ses chausses à primus & secundus, ou à la vergette. Et quand ce vint
à l'heure assignée il conduysit son maistre Pantagruel au lieu constitué. Et
hardiment qu'il n'y eut petit ny grand dedans Paris qu'il ne se trouvast au lieu:
pensant, ce diable de Pantagruel, qui a convaincu tous les Sorbonicoles, à cest heure
aura son vin, acr cest Angloys est ung aultre diable de Vauvert, nous verrons qui en
gaignera. Ainsi tout le monde assemblé, Thaumaste les attendoit. Et lors que
Pantagruel & Panurge arriverent à la salle, tous ces grymaulx, artiens, & intrans
commencerent à frapper des mains, comme est leur badaude coustume, mais
Pantagruel s'escrya à haulte voix, comme si ce eust esté le son d'ung double canon,
disant.
Paix de par le le diable paix, par dieu coquins si vous me tabustez icy, ie vous
coupperay la teste à trestous.
A laquelle parolle ilz demourent tous estonnez comme cannes, & ne osoient
seulement tousser, voire eussent ilz mangé quinze livres de plume. Et feurent tant
alterez de ceste seule voix qu'ilz tiroient la langue demy pied hors de la gueule:
comme si Pantagruel leur eust gorge sallé.
Lors commença Panurge à parler disant à l'Angloys. Seigneur tu es icy venu pour
disputer contentieusement de ces propositions que tu as mis, ou bien pour apprendre
& en sçavoir la verité?
A quoy respondit Thaumaste. Seigneur, aultre chose ne me ameine sinon bon desir
de apprendre & sçavoir ce, dont iay doubté toute ma vie, & n'ay trouvé ny livre ny
homme qui me ayt contenté en la resolution des doubtes que iay proposez. Et au
regard de disputer par contention, ie ne le veulx faire, aussi est ce chose trop vile, et
la laisse à ces maraulx de Sophistes.
Doncques dist Panurge, si moy qui suis petit disciple de mon maistre monsieur
Pantagruel, te contente & te satisfoys en tout et par tout, ce seroit chose indigne d'en
empescher mondict maistre, par ce mieulx vauldra qu'il soit cathedrant, iugeant de
noz propos, & te contentent au parsus, s'il te semble que ie ne aye satisfaict à ton
studieux desir.
Vrayement, dist Thaumaste, c'est tresbien dit. Commence doncques.
Or notez, que Panurge avoit mis au bout de sa longue braguette ung beau floc de
soye rouge, blanche, verte, & bleue, & dedans avoit mis une belle pomme d'orange.
Adoncques tout le monde assistant & speculant en bonne silence, Panurge sans mot
dire, leva les mains, & en feit ung tel signe: car de la main gauche il ioignit l'ongle
du doigt indice à l'ongle du pouce, feisant au meillieu de la distance comme une
boucle, & de la main dextre ferroit tous les doigts au poing, excepté le doigt indice,
lequel il mettoit & tiroit souvent par entre les deux aultres susdictz de la main
gauche, puis de la dextre estendoit le doigt indice & le meillieu, les esloignant le
mieulx qu'il povoit, et les tirant vers Thaumaste: et puis mettoit le poulce de la main
gauche sur l'anglet de l'oeil gauche estendant toute la main comme une aesle
d'oyseau, ou une pinne de poisson, et la meuvanrt bien mignonnement deça & delà,
et autant en faisoit de la dextre sur l'anglet de l'oeil dextre: & ce dura bien par
l'espace d'ung bon quart d'heure.
Dont Thaumaste commença à paslir & trembler, & luy fit tel signe, que de la main
dextre, il frappa du doigt meillieu contre le muscle de la vole, qui est au dessoubz le  
pouce, et puis mis le doigt indice de la dextre en pareille boucle de la fenestre: mais
il le mist par dessoubz, non par dessus, comme faisoit Panurge.
Adoncques Panurge frappe la main l'une contre l'aultre, et souffle en paulme, & ce
faict met encores le doigt indice de la dextre en la boucle de la gauche le tirant &
mettant souvent: & puis esten,dit le menton regardant intensement Thaumaste, dont
le monde qui n'entendoit riens à ces signes, entendit bien qu'en ce il demandoit, sans
dire mot, à Thaumaste que voulez vous dire là?
Et de faict Thaumaste commença à suer grosses gouttes, et sembloit bien un homme
qui estoit ravy en haulte contemplation. Puis se advisa, & mist tous les ongles de la
gauche contre ceulx de la dextre, ouvrant les doigts, comme si ce eussent esté
demys cercles, & elevoit tant qu'il povoit les mains en ce signe. A quoy Panurge
soubdain mist le poulce de la main dextre soubz les mandibules, & le doigt
auriculaire d'icelle en la boucle de la main gauche, & en ce point faisoit sonner les
dentz bien melodieusement les basses contre les haultes.
Dont Thaumaste de grand ahan se leva, mais en se levant il fist ung gros pet de
boulangier: car le bran vint apres, & puoit comme tous les diables, & les assistans
commencerent à se estouper les nez: car il se conchioit de angustie, puis leva la
main dextre la clouant en telle façon, qu'il assembloit les boutz de tous les doigts
ensemble, & la main gauche assist toute plaine sur la poictrine.
A quoy Panurge tira la longue braguette avecques son floc, qu'il estendit d'une
couldé et demie, & la tenoit en l'air de la main gauche, & de la dextre print la
pomme d'orange, et la gettant en l'air par sept foys, la huytieme la cacha au poing de
la main dextre, la tenant en hault tout coy, et puis commença à secouer sa belle
braguette, en la monstrant à Thaumaste.
Apres cella Thaumaste commença à enfler les deux ioues comme ung cornemuseur
& souffler, comme s'il enfloit une vessie de porc.
A quoy Panurge mist ung doigt de la gauche au trou du cul, & de la bouche tiroit
l'air comme quand on mangeve des huytres en escalle, ou quand l'on hume sa
souppe, & ce faict ouvre quelquepeu la bouche, et avecques le plat de la main dextre
en frappoit dessus, faisant en ce ung gran son et parfond, comme s'il tenoit de la
superficie du diaphragme par la trachée artere: & le feit par seize foys.
Mais Thaumaste, souffloit tousiours comme une oye. Adoncques Panurge mist le
doigt indice de la dextre dedans la bouche, le ferrant bien fort avecques les muscles
de la bouche, et puis le tiroit & le tirant faisoit ung grand son, comme quand les
petits garsons tirent d'ung canon de seux avecques belles rabbes, & le fist par neuf
foys.
A quoy Thaumaste s'escrya. Ha messieurs, le grand secret, & puis tira ung poignard
qu'il avoit, le tenant par la poincte contre bas.
A quoy Panurge print sa longue braguette, & la secouoit tant qu'il povoit contre ses
cuisses, & puis mist ses deux mains lyéez en forme de peigne, sur la teste, tirant la
langue tant qu'il povoit, et tournant les yeulx en la teste, comme une chievre qui se
meurt.
Ha ientends, dist Thaumaste, mais quoy? faisant tel signe, qu'il mettoit le manche de
son poignard contre la poictrine, et sur la pointe mettoit le plat de la main en
retournant quelque peu le bout des doigts.
A quoy Panurge baissa la teste du cousté gauche et mist le doigt meillieu en l'oreille
dextre, elevant le poulce contre mont. Et puis croisa les deux bras sur la poictrine,  
toussant par cinq foys, & à la cinquiesme frappant du pied droit contre terre, & puis
leva le bras gauche, & ferrant tous les doigtz au poin, tenoit le poulce contre le
front, frappant de la main dextre par six fois contre la poictrine.
Adoncques se leva Thaumaste & ostant son bonnet de la teste, remercia ledict
Panurge doulcement: puis dict à haulte voix à toute l'assistence. Seigneurs à ceste
heure puis ie bien dire le mot evangelicque, Et ecce plusquam Solomon hic. Vous
avez icy ung tresor incomparable en vostre presence, c'est monsieur Pantagruel,
duquel la renommée me avoit icy attiré du fin fonds de Angleterre, pour conferer
avecques luy des doubtes inexpugnables tant de Magie, de Caballe, de Geomantie,
de Astrologie, que de Philosophie, lesquelz ie avoys en mon esprit. Mais de present
ie me courrouce contre la renommée, laquelle me semble estre envieuse contre luy:
car elle n'en raconte point la milliesme partie, de ce que en est par efficace. Vous
avez veu, comment son seul disciple me a contenté et m'en a plus dit que ie ne
demandoys, & d'abundant m'a ouvert et ensemble soulu d'aultres doubtes
inestimables. En quoy ie vous puys asseurer qu'il m'a ouvert le vray puys & abysme
de Encyclopedie, voire en une sorte que ie ne pensoys pas trouver homme qui en
sceut les premiers elemens seulement, est quand nous avons disputé par signes sans
dire mot ny demy. Mais à tant ie redigeray par escript ce que avons dit & resolu,
affin que l'on ne pense point que ce ayent esté mocqueries & le feray imprimer à ce
que chascun y apreigne comme ie ay faict. Dont povez iuger, ce qu'eust peu dire le
maistre, veu que le disciple a faict telle prouesse: car Non est discipulus supra
magistrum. en tout cas dieu soit loué, & bien humblement vous remercie de
l'honneur que nous avez faict à cest acte, dieu vous le retribue eternellement.
Semblables actions de graces rendit Pantagruel à toute l'assistence, & de là partant
mena disner Thaumaste avecques luy & croyez qu'ilz beurent comme toutes bonnes
ames le iour des mortz, le ventre contre terre, iusques à dire, dont venez vous?
Saincte dame comment ilz tiroient au chevrotin [, et flaccons d'aller, et eulx de
corner, tyre baille, paige, vin boute de par le dyable boute], il n'y eut par sans faulte
celluy qui n'en beust xxv. ou xxx muys. Et sçavez vous comment: sicut terra sine
aqua: car il faisoit chault, & davantaige se estoient alterez. Et au regard de
l'exposition des propositions mises par Thaumaste, et des significations des signes
desquelz ils userent en disputant ie vous les exoseroys selon la relation de entre eulx
mesmes: mais l'on m'a dit que Thaumaste en feist ung grand livre imprimé à
Londre, auquel il declaire tout sans riens laisser: par ce ie m'en deporte pour le
present.

Comment Panurge fut amoureux d'une haulte dame
de Paris, & du tour qu'il luy fist.
Cha. xiiii.
Panurge commença à estre en reputation en la ville de Paris par ceste disputation
qu'il obtint contre l'Angloys, & faisoit des lors bien valoir sa braguette, & la feist au
dessus esmoucheter de broderie à la Tudesque. Et le monde le louoit
publicquement, & en fut faict une chanson, dont les petitz enfans alloient à la
moustarde: & estoit bien venu en toutes compaignies de dames et damoyselles, en
sorte qu'il devint glorieux, si bien qu'il entreprint de venir au dessus d'une des
grandes dames de la ville. De faict laissant ung tas de longs prologues et
protestations que font ordinairement ces dolens contemplatifz amoureux de
quaresme, luy dit ung iour.
Ma dame, ce seroit ung bien fort utile à toute la republicque, delectable à vous,
honneste à vostre lignée, & à moy necessaire, que feussiez couverte de ma race, &
le croyez, car l'experience vous le demonstrera.
La dame à ceste parolle le reculla plus de cent lieues, disant. Meschant fou vous
appertient il de me tenir telz propos? Et à qui pensez vous parler? allez, ne vous
trouvez iamais devant moy car si n'estoit pour ung petit, ie vous feroys coupper bras
& iambes?
Or (dist il) ce me seroit tout ung d'avoir bras & iambes couppez, en condition que
nous fissions vous & moy ung transon de chere lie iouant des manequins à basses
amrches: car (monstrant sa longue braguette) voicy maistre Iehan ieudy, qui vous
sonneroit une antiquaille, dont vous vous sentiriez iusques à la mouelle des os: car il
esrt galland, & vous sçait bien trouver les alibitz forains & petitz poullains grenez
en la ratouere, que apres luy il n'y a qu'espousseter.
A quoy respondit la dame. Allez meschant allez, si vous m'en dictes encores ung
mot, ie appelleray le monde, & vous feray icy assommer de coups.
Ho (dist il) vous n'estes pas si male que vous dictes, non: ou ie suis bien trompé à
vostre physionomie: car plus tost la terre monteroit es cieulx & les haulx cieulx
descendroient en l'abysme & tout ordre de nature seroit perverty, qu'en si grande
beaulté & elegance comme la vostre, y eust une goutte de fiel, ny de malice. L'on
dit bien que à grand peine veit on iamais femme belle, qui aussi ne feust rebelle:
mais cella est dit de ces beautez vulgaires. Toutesfois la vostre est tant excellente
tant singuliere, tant celeste, que ie croy que nature l'a mise en vous comme en
parangon pour nous donner à entendre combien elle peult faire, quand elle veult
employer toute sa puissance & tout son sçavoir. Ce n'est que miel, ce n'est que
sucre, ce n'est que manne celeste, de tout ce qu'est en vous. C'estoit à vous à qui
Paris debvoit adiuger la pomme d'Or, non à Venus non, ny à Iuno, ny à Minerve:
car oncques n'y eut tant de magnificence en Iuno, tant de prudence en Minerve, tant
de elegance en Venus, comme il y a en vous. O dieux desses celestes, que heureux
sera celluy à qui ferez ceste grace de vous accoller, de vous bayser, & de frotter son
lart avecques vous. Par deiu ce sera moy, ie le voy bien: car desià vous me aimez
tout plain ie le congnoys. Doncques pour gaigner temps, faisons: et la vouloit  
embrasser, mais elle fist semblant de se mettre à la fenestre pour appeller les voisins
à la force.
Adoncques s'en sortit Panurge bien tost et luy dit en fuyant. Ma dame attendez moy
icy, ie les voye querir moy mesme, n'en prenez pas la peine.
Ainsi s'en alla, sans grandement se soucier du refus qu'il avoit eu, & n'en fist
oncques pire chere. Le lendemain il se trouva à l'esglise à l'heure qu'elle alloit à la
messe, & à l'entrée luy bailla de l'eaue beniste se enclinant parfondement devant
elle, et apres se alla agenouiller aupres d'elle familierement, & luy dist. Madame
saichez que ie suis tant amoureux de vous, que ie n'en peuz ny pisser ny fianter, ie
ne sçay comment l'entendez. Si m'en advenoit quelque mal, qu'en seroit il?
Allez allez, dist elle, ie ne m'en soucie pas: laissez moy icy prier dieu.
Mais (dist il) equivoquez sur A beau mont le vicomte.
Ie ne sçauroys, dist elle.
C'est (dist il) à beau con le vit monte. Et sur cella priez dieu qu'il me doint ce que
vostre noble cueur desyre, & me donnez ces patenostres par grace?
Tenez, dit elle, et ne me tabustez plus.
Et ce dit luy vouloit tirer ses patenostres qui estoient de cestrin avecques grosses
manches d'or. Mais Panurge promptement tira ung de ses cousteaulx, & les couppa
tresbien & les emporta à la fryperie luy disant, voulez vous mon cousteau?
Non non, dist elle.
Mais (dist il) à propos, il est bien à vostre commandement corps & biens, tripez &
boyaulx.
Ce pendant la dame n'estoit pas fort contente de ses patenostres: car c'estoit une de
ses contenances à l'esglise. Et pensoit, ce bavart icy est quelque esventé, homme
d'estrange pays, ie ne recouvreray iamais mes patenostres, que m'en dira mon mary?
Il s'en courroucera à moy: mais ie luy diray qu'ung larron me les a couppées dedans
l'esglise, ce qu'il croira facillement, voyant encores le bout du ruban à ma ceinture.
Apres disner Panurge l'alla veoir portant en sa manche une grande bourse pleine de
gettons, et luy commença à dire. Lequel des deux ayme plus l'aultre ou vous moy,
ou moy vous?
A quoy elle respondit. Quant est de moy ie ne vous hays point: car comme dieu le
commande, ie ayme tout le monde.
Mais à propos (dist il) n'estes vous pas amoureuse de moy?
Ie vous ay (dist elle) ià dit tant de foys que vous ne me tenissiez plus telles parolles,
si vous m'en parlez encores ie vous monstreray que ce n'est pas à moy à qui vous
debvez ainsi parler de deshonneur allez vous en, & me rendez mes patenostres, que
mon mary ne me les demande.
Comment (dist il) ma dame voz patenostres? non feray par mon segreant, mais ie
vous en veulx bien donner d'aultres, en aymerez vous mieulx d'or bien esmaillé en
forme de grosses spheres, ou de beaux laz d'amours, ou bien toutes massifves
comme gros lingotz d'or? ou si en voulez de Ebene, ou de gros Iyacinthes taillez,
avecques les marches de fines Turquoyses, ou de beaulx Topazes marchez de
dyamans à vingtehuyt quarres. Non non, c'est trop peu. Ien sçay ung beau chappelet
de fines Esmerauldes marchées de Ambre gris, et à la boucle ung Union Persicque
gros comme une pomme d'orange: elles ne coustent que vingt & cinq mille ducatz,
ie vous en veulx faire ung present, car ien ay du content.
Et ce disoit faisant sonner ses gettons comme si ce feussent escuz au soleil.

Voulez vous une piece de veloux violet cramoysi tainct en grene, une piece de satin
broché ou bien cramoysi. Voulez vous chainez, doreures, templettes, bagues, il ne
fault que dire ouy. Iusques à cinquante mille ducatz, ce ne m'est riens cela.
Par la vertuz desquelles parolles il luy faisoit venir l'eau à la bouche. Mais elle luy
dist. Non, ie vous remercie ie ne veulx riens de vous.
Par dieu (dist il) si veulx bien moy de vous: mais c'est chose qui ne vous coustera
riens, & n'en aurez de riens moins, tenez: monstrant sa longue braguette, voicy
[maistre Iehan chouart] qui demande logis: & apres la vouloit accoller. Mais elle
commença à s'escryer, toutesfoys non pas trop hault. Et adoncques Panurge tourna
son faulx visaige, & luy dict.
Vous ne voulez doncques aultrement me laisser ung peu faire? Bren pour vous. Il ne
vous appartient pas tant de bien ny de honneur, mais par Dieu ie vous feray
chevaucher aux chiens, & ce dict, s'en fouyt le grand pas de peur des coups.
Or notez que le lendemain estoit la grand feste du corps dieu, à laquelle toutes les
femmes se mettent en leur triumphe de habillemens, & pour ce iour ladicte dame
s'estoit vestue d'une tresbelle robbe de satin cramoysi, et d'une cotte de veloux blanc
bien precieux. Ce iour de la vigile Panurge chercha tant d'ung cousté & d'aultre,
qu'il trouva une chienne qui estoit en chaleur, laquelle il lya avecques sa ceincture
& la mena en sa chambre, & la nourrit tresbien cedit iour & toute la nuyct, & au
matin la tua, & en prit ce que sçavent les Geomantiens Gregeoys, et le mist en
pieces le plus menu qu'il peut, & les emporta bien cachées, et s'en alla à l'esglise ou
la dame debvoit aller pour suyvre la procession, comme c'est de coustume à ladicte
feste. Et alors qu'elle entra Panurge luy donna de l'eau beniste bien courtoisement la
saluant, & quelque peu de temps apres qu'elle eut dit les menuz suffrages il s'en va
ioingdre à elle en son banc, & luy bailla ung Rondeau par escript en la forme que
s'ensuyt.

Rondeau.

Pour ceste foys, que à vous dame tresbelle
Mon cas disoit, par trop feutes rebelle
De me chasser, sans espoir de retour:
Veu que à vous oncq ne feis austere tour
En dict ny faict, en soubson ny libelle.
Si tant à vous desplaisait ma querelle,
Vous povyez par vous sans maquerelle
Me dire, amy partez d'icy entour
Pour ceste foys.
Tort ne vous foys, si mon cueur vous decelle
En remonstrant, comme le ard l'etincelle
De la beaulté que vouvre vostre atour:
Car riens ny quiers, sinon qu'en vostre tour
Me faciez dehait la combrecelle
Pour ceste foys.

Et ainsi qu'elle ouvroit le papier pour veoir que c'estoit, Panurge promptement sema
la drogue qu'il avoit sur elle en divers lieux et mesmement au repliz de ses manches
et de la robbe, & puis luy dist. Ma dame, les pouvres amans ne sont pas tousiours à  
leur ayse. Quant est de moy iespere que les malles nuycts, les travaulx & ennuytz,
auxquelz me tient l'amour de vous, me seront en deduction d'autant des peines de
purgatoire. A tout le moins priez dieu qu'il me doint mon mal en patience.
Panurge n'eut pas achevé ce mot, que tous les chiens qui estoient en l'esglise ne s'en
vinssent à ceste dame pour l'odeur des drogues qu'il avoit espandues sur elle, petitz
& grans, gros & menuz tous y venoient tirant le membre & la sentant & pissant
partout sur elle. Et Panurge les chassa quelque peu et print congié d'elle, et s'en alla
en quelque chapelle pour veoir le deduyt: car ces villains chiens la conchioent toute
& compissoient tout ses habillemens, tantq u'il y eut ung grand levrier qui luy pissa
sur la teste & luy culletoit son collet par derriere, les aultres aux manches, les
aultres à la crope: & les petitz culletoient ses patins. En sorte que toutes les femmes
de là autour avoient beaucoup affaire à la saulver. Et Panurge de rire, dist à
quelqu'ung des seigneurs de la ville. Ie croy que ceste dame là est en chaleur, ou
bien que quelque levrier l'a couverte fraischement. Et quand il veit que tous les
chiens grondoient bien à l'entour d'elle comme ilz font autour d'une chienne
chaulde, il s'en partit, & alla querir Pantagruel, et par toutes les rues où il trouvoit
des chiens, il leur bailloit ung coup de pied, disant. Et ne yrez vous point à voz
compaignons aux nopces, devant devant. Et arrivé au logis dist à Pantagruel,
maistre ie vous pry venez veoir tous les chiens de ceste ville qui sont assemblez à
l'entour d'une dame la plus belle de ceste ville & la veullent iocqueter. A quoy
voulentiers consentit Pantagruel, & veit le mystere qu'iltrouva fort beau & nouveau.
Mais le bon fut à la procession: car il se trouva plus de six cens chiens à l'entour
d'elle, qui lui faisoient muille hayres: et partout où elle passoit les chiens frays
venuz la suyvoient à la trace, pissans par le chemin ou ses robbes avoient touché. Et
tout le monde se arrestoit à ce spectacle consyderant les contenances de ces chiens
qui luy montoient iusques au col, et luy gasterent tout ses beaulx acoustremens,
qu'elle ne sceut y trouver remede, sinon s'en aller à son hostel. Et chiens d'aller
apres, & quand elle fut entrée en sa maison et fermé la porte apres elle, tous les
chiens y accouroient de demy lieue, et compisserent si bien la porte de sa maison,
qu'ilz y feirent ung ruysseau de leurs urines, ou les cannes eussent bien noué.

Comment Pantagruel partit de paris ouyant nouvelles
que les Dipsodes envahissoient le pays des Amaurotes.
Et la cause pourquoy les lieues sont tant petites en
France. Et l'exposition d'ung mot escript en ung
anneau.
Chap. xv.
Peu de temps apres Pantagruel ouyt nouvelles que son pere Gargantua avoit esté
translaté au pays des phées par Morgue, comme fut iadis Enoch & Helye, ensemble
que le bruyt de sa translation entendu, les Dipsodes estoient issuz de leurs limites,
avoient gasté ung grand pays de Utopie, et tenoient de present la grande ville des
Amaurotes assiegée, dont partit de Paris sans dire adieu à nully: car l'affaire
requeroit diligence, & s'en vint à Rouen. Or en cheminant voyant Pantagruel que les
lieues de France estoient petites par trop au regard des aultres pays, en demanda la
cause & raison à Panurge, lequel luy dit une histoires que met Marotus du Lac
monachus es gestes des roys de Canarre. Disant que d'ancienneté les pays n'estoient
poinct distinctz par lieues miliaires, ny parasanges, iusques à ce que le roy
Pharamond les distingue, ce que fut faict en la maniere que s'ensuyt. Car il print
dedans Paris cent beaux ieunes & gallans compaignons bien deliberez, & cent belles
garses picardes: & les feit bien traicter & bien penser par huict iours puis les appella
& à ung chascun sa garse avecques force argent pour les despens, leur faisant
commandement qu'ilz s'en allassent en divers lieux par cy & par là. Et à tous les
passaiges qu'ilz chevaucheroient leurs garses qu'ilz missent une pierre, & ce feroit
une lieue. Par ainsi les compaignons ioyeusement partirent, et pour ce qu'ilz estoient
frays & de seiour ilz chevauchoient à chasque bout de champ et voylà pourquoi les
lieues de France sont tant petites. Mais quand ilz eurent long chemin parfaict &
estoient ilz las comme pouvres diables & qu'il n'y avoit plus d'olif en ly caleil, ilz ne
chevauchoient pas si souvent et se contentoient bien (ientends quant aux hommes)
de quelque meschante paillarde foys le iour. Et voylà qui faict les lieues de
Bretaigne, d'Elanes, d'Allemaignes, et aultres pays plus esloignez, si grandes. Les
aultres mettent d'aultres raisons mais celle là me semble la meilleure.
A quoy consentit voulentiers Pantagruel. Partans de Rouen arriverent à Hommefleur
où se mirent sur mer Pantagruel, Panurge, Epistemon, Eusthenes, & Carpalim.
Auquel lieu attendant le vent propice & calfretant leur nef receut d'une dame de
Paris (laquelle il avoit entretenu bonne espace de temps) unes lettres inscrites au
dessus. Au plus aymé des belles, & moins loyal des preux, P N T G R L. Laquelle
inscription leue il fut bien esbahy, & demandant au messagier le nom de celle qui
l'avoit envoyé, ouvrit les lettres & riens ne trouva dedans escript, mais seulement
ung aneau d'or avecques ung Dyament en table. Et lors appella Panurge & luy
monstra le cas.
A quoy Panurge luy dist, que la feuille de papier estoit escripte, mais c'estoit par
telle subtilité que l'on n'y veoit point d'escripture. Et pour le sçavoir, la mist aupres
du feu pour veoir si l'escripture estoit faicte avecques du sel Ammoniac destrempé
en eau. Puis la mist dedans de l'eau pour sçavoir si la letre estoit escripte du suc de  
Tithymalle. Puis la monstra à la chandelle, si elle estoit point escripte du ius
d'oingnons blans. Puis en frotta une partie de huyle de noix, pour veoir si elle estoit
point escripte de lexif de figuyer. Puis en frotta ung coing de cendres d'ung nic de
Arondelles, pour veoir si elle estoit escripte de la rousée qu'on trouve dedans les
pommes de Alicacabut. Puis en frotta ung aultre bout de la sanie des oreilles, pour
veoir si elles estoit escripte de fiel de corbeau. Puis les trempa en vinaigre pour
veoir si elle estoit escripte de laict d'espurge. Puis les greffa d'ayunge de souriz
chauves, pour veoir si elle estoit escripte avecques sperme de baleine qu'on appelle
ambre grys. Puis la mist tout doulcement dedans ung bassin d'eau fraische, &
soubdain la tira pour veoir si elle estoit escripte avecques alum de plume. Et voyant
qu'il n'y congnoissoit riens, appella le messagier & luy demanda. Compaing la dame
qui t'a icy envoyé, t'a elle point baillé de baston pour apporter? pensant que ce feut
la finesse que met Aulle Gelle, & le messagier luy respondit. Non monsieur.
Adoncques Panurge luy voulut faire raire les cheveulx pour sçavoir si la dame avoit
point faict escrire avecques fort moret sur sa teste raise, ce qu'elle vouloit mander:
mais voyant que ses cheveulx estoient fort grans, il s'en desista, considerant qu'en si
peu de temps ses cheveulx n'eussent pas creuz si longs.
Alors dit à Pantagruel. Maistre par les vertuz dieu ie n'y sçauroys que faire ny dire.
Ie ay employé pour congnoistre si rien y a icy esté escript, une partie de ce qu'en
met Messere Francesco di Nianto le Thuscan qui a escript la maniere de lire lettres
non apparentes: & ce que escript Zoroaster peri grammaton acriton. Et Calphurnius
bassus de literis illegibilibus, mais ie n'y voy riens, & croy qu'il n'y a aultre chose
que l'aneau. Or le voyons.
Lors en le regardant trouverent escript par le dedans en hebrieu Lamah hazabtani,
dont appellerent Epistemon, luy demandant que c'estoit à dire? A quoy respondit
que c'estoit ung nom hebraicque signifiant, pourquoy me as tu laissé: dont soubdain
replicque Panurge, Ientends le cas, voyez vous ce dyament, c'est ung dyament faulx.
Telle est doncques l'exposition de ce que veult dire la dame. Dy amant faulx
pourquoy m'as tu laissée?
Laquelle exposition entendit Pantagruel incontinent: et luy souvint comment à son
departir il n'avoit point dit à dieu à la dame & s'en contristoit, & voulentiers feust
retourné à Paris pour faire la paix avecques elle. Mais Epistemon luy reduyt à
memoire le departement de Eneas d'avecques Dido, et le dict de Heraclides
Tarentin, qu'à la navire restant à l'ancre, quand la necessité presse, il fault coupper
la chorde plus tost que perdre temps à la delyer. Et qu'il debvoit laisser tous
pensemens pour parvenir à la ville de sa nativité, qui estoit en dangier. De faict une
heure apres se leva le vent nommé Nordnordwest auquel ilz donnerent pleines
voilles & prindrent la haulte mer, & en briefz iours passans par Porto sancto, & par Medere, firent scalle es isles de Canarre. De là partant passerent par Cap blanco, par
Senege, par Cap Virido, par Gambre, par Sagres, par Melli, par le Cap de bona
sperantza, piedsmont scalle au royaulme de Melinde, de là partant firent voile au
vent de la transmontane, & passant par Meden, par Uti, par Uden, par Gelasim, par
les isles des phées, iouxte le royaulme de Achorie, distant de la ville des Amaurotes
de troys lieues, & quelque peu davantaige.
Et quand ilz furent en terre quelque peu refraischiz. Pantagruel dist. Enfans la ville
n'est pas si loing d'icy, devant que marcher oultre il feroit bon de deliberer ce qu'est
à faire, affin que ne semblons es Atheniens qui ne consultoient iamais sinon apres le  
cas. N'estes vous pas deliberez de vivre & mourir avecques moy? Seigneur ouy,
dirent ilz tous, & vous tenez asseuré de nous, comme de voz doigts propres. Or (dist
il) il n'y a qu'ung poinct que me tiengne suspend et doubteux, c'est que ie ne sçay en
quel ordre, ny en quel nombre sont les ennemys qui tinnent la ville assiegée: car
quand ie le sçauroys, ie m'y en iroys en plus grande asseurance, par ce advisons
ensemble du moyen comment nous le pourrons sçavoir. A quoy tous ensemble
dirent, Laissez nous y aller veoir, & nous attendez icy: car pour tout le iourd'huy
nous vous en apporterons nouvelles certaines.
Moy, dist Panurge, Ientreprends d'entrer en leur camp par le meillieu des gardes &
du guet, & bancqueter avecques eulx à leurs despens, sans estre congneu de nully,
& de visiter l'artillerie, les tentes de tous les capitaines et me prelasser par les
bandes sans iamais estre descouvert car le diable ne m'affineroit pas, car ie suis de
la lignée de Zopyrus.
Moy, dist Epistemon, ie sçay tous les stratagemates & prouesses des vaillans
capitaines & champions du temps passé, & toutes les ruses & finesses de discipline militaire, ie iray, & encores que feusse descouvert & decelé, ieschapperay en leur faisant croire de vous tout ce que me plaira: car ie suis de la lignée de Sinon.
Moy, dist Eusthenes, ie entreray par atravers leurs tranchées, maulgré le guet & tous
les gardes: car ie leur passeroy sur le ventre et leur rompray bras & iambes, et
feussent ilz aussi fors que le diable: car ie suis de la lignée de Hercules.
Moy, dist Carpalim, ie y entreray si les oyseaulx y entrent: car iay le corps tant
allaigre que ie auray saulté leurs tranchées & percé oultre tout leur camp, devant
qu'ilz me ayent apperceu. Et ne crains ny traict, ny flesche, ny cheval tant fois legier
et feusse Pegasus de Perseus, ou Pacollet, que devant eulx ie n'eschappe guaillart et
sauf. Ientreprens de marcher sur les espiz de bled, sur l'herbe des prez, sans qu'elle
flechisse dessoubz moy: car ie suis de la lignée de Camille Amazone.

Comment Panurge, Carpalim, Eusthenes, et
Epistemon,compaignons de Pantagruel, desconfirent
six cens soixante chevaliers bien subtilement.
Chapitre. xvi.
Ainsi qu'il disoit cela ilz vont adviser six cens soixante chevaliers montez à
l'advantaige sur chevaulx legiers, qui accouroient là veoir quelle navire c'estoit qui
estoit de nouveau abordée au port, et couroient à bride avallée pour les prendre s'ilz
eussent peu. Lors dist Pantagruel. Enfans retirez vous en la navire: car voicy de noz
ennemys qui accourent, mais ie vous les tueray icy comme bestes & feussent ilz dix
foys autant: ce pendant retirez vous, & en prenez vostre passe temps. Adonc
respondit Panurge. Non seigneur, il n'est pas de raison que ainsi faciez: mais au
contraire retirez vous en la navire & vous & les aultres. Car moy tout seul les
desconfiray icy: mais y ne fault pas tarder, avancez vous. A quoy dirent les aultres,
c'est bien dist. Seigneur retirez vous, & nous ayderons icy Panurge, & vous
congnoistrez que nous sçavons faire. Adoncq Pantagruel dist. Or ie le veulx bien,
mais au cas que feussiez les plus foybles, ie ne vous fauldray.
Alors Panurge tira deux grandes chordes de la nef, et les atacha au tour qui estoit sur
le tillac, & les mist en terre & en fist ung long circuyt, l'ung plus loin, l'aultre
dedans cestuy là. Et dist à Epistemon, entre vous en dedans la navire, et quand ie
vous sonneray tournez le tour diligentementen ramenant à vous ces deux chordes.
Puis dist à Eusthenez et à Carpalim. Enfans attendez icy & vous offrez à ces
ennemys franchement, & obtemperez à eulx & faictes semblant de vous rendre:
mais advisez, que n'entrez point au cerne de ces chordes, retirez vous tousiours hors.
Et incontinent entra dedans la navire, et print ung fes de paille & une botte de
pouldre de canon & l'espandit par le cerne des chordes, et à tout une migraine de feu
se tint aupres. Tout soubdain arriverent à grande force les chevaliers, et les premiers
chocquerent iusques au pres de la navire, & par ce que le rivage glissoit, tumberent
eulx & leurs chevaulx iusques au nombre de quarante & quatre. Quoy voyans les
aultres approcherent pensans qu'on leur eust resisté à l'arrivée. Mais Panurge leur
dist. Messieurs ie croy que vous soyez faict mal, pardonnez le nous: car ce n'est pas
de nous, mais c'est de la lubricité de l'eau de mer, qui est tousiours unctueuse. Nous
nous rendons à vostre bon plaisir: autant en dirent les deux compaignons &
Epistemon qui estoit sur le tillac, & ce pendant Panurge s'esloignoit & veoit que
tous estoient dedans le cerne des chordes, & que ses deux compaignons s'en estoient
esloignez faisant place à tous ces chevalliers qui à foulle alloient pour veoir la nef &
qui estoit dedans, dont tout soubdain crya à Epistemon, tire tire. A quoy Epistemon
commença de tirer au tour, & les deux chordes se se vont empestrer entre les
chevaulx & les ruyoent par terre bien aysement avecques les chevaucheurs: mais
eulx ce voyant tirerent à l'espée & les vouloient desfaire, dont Panurge met le feu en
la trainée & les fist tous là brusler comme ames damnées, hommes & chevaulx nul
n'en eschappa, exepté ung qui estoit monté sur un cheval turcq, qui gaingnoit à fuyr:
mais quand Carpalim l'apperceut, il courut apres en telle hastiveté & allaigresse
qu'il le attraipa en moins de cent pas, & saultant sur la croupe de son cheval
l'embrassa par derriere & l'amena en la navire. Ceste desconfiture parachevée, 
Pantagruel fut bien ioyeux, & loua merveilleusement l'industrie de ses
compaignons, & les fit refraischir & bien repaistre sur le rivage ioyeusement &
boire d'autant le ventre contre terre, & leur prisonnier avecques eulx familierement:
sinon que le pouvre diable n'estoit point asseuré que Pantagruel ne le devorast tout
entier, ce qu'il eust faict, tant il avoit la gorge large, aussi facilement que feriez ung
grain de dragée, & ne luy eust monstré en sa bouche non plus qu'ung grain de mil en
la gueulle d'ung asne.
Ainsi qu'ilz bancquetoient Carpalim dist. Et ventre sainct Quenet ne mangerons
nous iamais de venaison? Ceste chair sallée me altere tout. Ie m'en voys vous
apporter icy une cuysse de ces chevaulx que avons faict brusler, elle sera assez bien
roustie. Tout ainsi qu'il se levoit pour ce faire apperceut à l'orée du boys ung beau
grand gras chevreul, qui estoit yssu du fort voyant le feu de Panurge, à mon advis.
Et incontinent se mist apres à courir de telle roiddeur, qu'il sembloit que feust ung
carreau d'arbaleste, & l'atrapa en moins d'ung riens, [et en courant print de ses
mains en l'air quatre grandes otardes, six bitars, vingt & six perdrix grises, & trente
& deux pigeons ramiers,] et en courant tua des pieds dix ou douze que chevraulx
que lapins qui ià estoient hors de page. Doncq il frappa le chevreul de son malcus à
travers la teste et le tua, & en l'apportant recueillit ses levraulx.
Et de tant loing que peust estre ouy, il s'escrya, disant. Panurge mon amy, vinaigre
vinaigre.
Dont pensoit le bon Pantagruel, que le cueur luy fit mal, & commanda qu'on luy
apprestat du vinaigre: mais Panurge entendit bien, qu'il y avoit levrault au croc, &
de faict le monstra au noble Pantagruel comment il portoit à son col ung beau
chevreul et toute sa ceinture brodée de levraulx. Incontinent Epistemon fist deux
belles broches de boys à l'anticque & Eusthenes aydoit à escorcher. Et Panurge mist
deux belles selles d'armes des chevaliers en tel ordre qu'elles servirent de landiers,
& firent leur roustisseur de leur prisonnier: et au feu où brusloient les chevaliers,
firent roustir leur venaison. Et apres grand chere à force vinaigre, au diable l'ung qui
se faignoit, c'estoit triumphe de les veoir bauffrer.
Lors dist Pantagruel, pleut à dieu que chascun, de vous eussent deux paires de
sonnettes de sacre au menton, & que ie eusse au mien les grosses horologes de
Renes, de Poictiers, de Tours, & de Cambray, pour veoir l'aubade que nous
donnerions au remuement de noz badigoinces. Mais, dist Panurge, il vault mieulx
penser de nostre affaire ung peu, & par quel moyen nous pourrons venir au dessus
de noz ennemys. C'est bien advisé, dist Pantagruel.
Et pourtant demanda à leur prisonnier. Mon amy, dys nous icy la verité & ne nous
mens en riens, si tu ne veulz estre escorché tout vif: car c'est moy qui mange les
petitz enfans. Contes nous entierement l'ordre, le nombre, & la forteresse de l'armée.
A quoy respondit le prisonnier. Seigneur sachez pour la verité qu'en l'armée y a
troys cens geans tous armez de pierre de taille grans à merveilles, toutesfoys non
tant du tout que vous, excepté ung qui est leur chef, & a nom Loupgarou, & est tout
armé d'enclumes Cyclopicques. Il y a cent soixante & troys mille pietons tout armez
de peaulx de lutins, gens fors & courageux: troys mille quatre cens homme d'armes,
troys mille six cens doubles canons, & d'espingarderie sans nombre: quatre vingt
quatorze mille pionniers: quatre cens cinquante mille putains belles comme deesses
(voylà pour moy dist Panurge) dont les aulcunes sont Amazones, les autres
Lyonneses, les aultres Parisiennes, Tourangelles, Angevines, Poictevines,   
Normandes, Allemandes, de tous pays & toutes langues y en a. Voire mais (dist
Pantagruel) le roy y est il? Ouy seigneur, dist le prisonnier, il y est en personne: &
nous le nommons Anarche roy des Dipsodes, qui valent autant à dire comme gens
alterez: car vous ne veistes oncques gens tant alterez, ny beuvans plus voulentiers.
Et a sa tente en la garde des geans.
C'est assez, dist Pantagruel. Sus enfans n'estes vous pas deliberez d'y venir avecques
moy?
A quoy respondit Panurge. Dieu confonde qui vous laissera. Iay ià pensé comment
ie vous les rendray tous mors comme porcs, qu'il n'en eschappera au diable le iarret.
Mais ie me soucye quelque peu d'ung cas.
Et qu'est ce? dist Pantagruel.
C'est, dist Panurge, comment ie pourray avanger à braquemarder toutes les putains
qui y sont en ceste apres disnée, qu'il n'en eschappe pas une, que ie ne passaige en
forme commune.
Ha ha ha, dist Pantagruel.
Et Carpalim dist. Au diable de biterne, par dieu ien embourreray quelqu'une.
Et moy, dist Eusthenes, quoy? qui ne dressay oncques puis que bougeasmes de
Rouen, au moins que l'agueille montast sur les dix ou unze heures, voire encores
que l'aye dur & fort comme cent diables.
Vrayment, dist Pantagruel, tu en auras des plus grasses & des plus refaictes.
Comment dist Epistemon, tout le monde chevauchera et ie meneray l'asne, le diable
emport qui en fera riens. Nous ferons du droict de guerre, qui potest capere capiat.
Et le bon Pantagruel ryoit à tout, puis leur dist. Vous comptez sans vostre hoste. Iay
grand peur que devant qu'il soit nuict, ie ne vous voye en estat, que n'aurez pas
grand envie d'arresser, & qu'on vous chevauchera à grand coup de picque & de
lance.
Non non, dist Epistemon. Ie vous les rends à roustir ou bouillir, à fricasser ou mettre
en pasté. Ilz ne sont pas si grand nombre comme estoit Xerces: car il avoit trente
cens mille combatans si croyez Herodote & Troge Pompone. Et toutesfois
Themistocles à peu de gens les desconfit. Ne vous souciez pour dieu.
Merde merde, dist Panurge. Ma seule braguette espoussetera tous les hommes, &
sainct Balletrou qui dedans y repose, decrottera toutes les femmes.
Sur doncques enfans, dist Pantagruel, commençons à marcher.

Comment Pantagruel erigea ung Trophée en memoire
de leur prouesse, & Panurge ung aultre en memoire
des levraulx. Et comment Pantagruel de ses petz
engendroit les petiz hommes, & de ses vesnes les
petites femmes. Et comment Panurge rompit ung gros
baston sur deux verres.
Chapitre xvii.
Devant que partons d'icy, dist Pantagruel, en memoire de la prouesse que avez
presentement faict ie veulx eriger en ce lieu ung beau Trophée. Adoncques ung
chascun d'entre eulx en grand liesses & petites chansonnettes villaticques dresserent
ung grand boys, auquel y pendirent une selle d'armes, ung chamfrain de cheval, des
pompes, des estrivieres, des esperons, ung haubert, ung hault appareil asseré, une
hasche, ung estoc d'armes, ung gantelet, une masse, des goussetz, des greues, ung
gorgery, & aussi de tout appareil requis à ung Arc triumphal ou Trophée. Puis en
memoire eternelle escrivit Pantagruel le dicton victorial, comme s'ensuyt.


Ce fut icy que apparut la vertuz
De quatre preux & vaillans champions,
Qui non d'harnoys, mais de bon sens vestuz
Comme Fabie, ou les deux Scipions,
Firent six cens soixante morpions
Puissans ribaulx, brusler comme une escorce:
Prenez y tous roys, ducz, rocz, & pions
Enseignement, que engin mieulx vault que force.
Car la victoire
Comme est notoire,
Ne gist qu'en heur.
Du consistoire,
Où regne en gloire
Le hault seigneur,
Vient, non au plus fort ou greigneur:
Mais à qui luy plaist, com fault croire:
Doncq a & chevance & honneur
Cil qui par foy en luy espoire.
En ce pendant que Pantagruel escrivoit les carmes susdictz Panurge emmancha en
ung grand Pal les cornes du chevreul, & la peau, & le pied droict de devant d'iceluy.
Puis les oreilles de troys levraulx, & le rable d'ung lapin, les manidbules d'ung
lievre [, les aesles de deux bitars, les piedz de quatre ramiers], une guedofle de
vinaigre, une corne où ilz mettoient le sel, leur broche de boys, une lardouere, ung
meschant chaudron tout pertuysé, une breusse où ilz saulsoient, une saliere de terre,
& ung goubelet de Beauvoys. Et en imitation des vers & Trophée de Pantagruel
escrivit ce que s'ensuyt.
Ce fut icy, que à l'honneur de Bacchus

Fut bancqueté par quatre bons pyons:
Qui gayement, tous mirent abaz culz
Soupples de rains comme beaux carpions:
Lors y perdit rables & cropions
Maistre levrault, quand chascun si efforce:
Sel & vinaigre, ainsi que Scorpions
Le poursuyvoient, dont en eurent l'escorce.
Car l'inventoire
D'ung defensoire
En la chaleur,
Ce n'est qu'à boire
Droit et net, boire
Et du meilleur:
Mais manger levrault, c'est malheur
Sans de vinaigre avoir memoire:
Vinaigre est son ame & valeur,
Retenez le en point peremptoire.

Lors dist Panstagruel. Allons enfans, c'est trop musé icy à la viande: car à grand
peine voit on arriver, que grans bancqueteurs facent beaux faictz d'armes. Il n'est
umbre que d'estandart, il n'est fumée que de chevaulx, & n'est clycquetis que de
harnoys.
A quoy respondit Panurge. Il n'est umbre que de cuysine. Il n'est fumée que de
tetins, & n'est clycquetis que de couillons. Puis se levant fist ung pet, ung sault, &
ung sublet, & crya à haulte voix ioyeusement: vive tousiours Pantagruel.
Ce que voyant Pantagruel en voulut autant faire, mais du pet qu'il fist, il engendra
plus de cinquante mille petitz hommes nains & contrefaictz: & d'une vesne
engendra autant de petties femmes acropies comme vous en voyez en plusieurs
lieux, qui iamais ne croissent, sinon comme les quehues de vache, contre bas, ou
bien comme les rabbes de Lymousin, en rond.
Et quoy, dist Panurge, vos petz sont ilz tant fructueux? Par dieu voicy de belles
savates d'hommes, et de belles vesses de femmes, il les fault marier ensemble. Ils
engendreront des mousches bovynes.
Ce que fist Pantagruel: et les nomma Pygmées. Et les envoya vivre en une ville là
aupres, où ilz se sont fort multipliez depuis. Mais les Grues leur font
continuellement la guerre. Desquelles ilz se defendent courageusement, car ces
petitz boutz d'hommes (lesquelz en Escosse l'on appelle manches d'estrilles) sont
voulentiers cholericques. La raison physicale est par ce qu'ilz ont le cueur pres de la
merde. En ceste mesme heure Panurge print deux verres qui là estoient tous deux
d'une grandeur, & en mist l'ung sur une escabelle, & l'aultre sur une aultre les
esloignant à part par la distance de cinq pieds puis apres print le futz d'une iaveline
de la grandeur de cinq pieds & demy, & le mist dessus les deux verres, en sorte que
les deux boutz du futz touchoient iustement les bors des verres. Cela faict print ung
gros pau, & dist à Pantagruel & es aultres.
Messieurs considerez comment nous aurons victoire facilement de nos ennemys.
Car tout ainsi comme ie rompray ce futz icy dessus les verres sans que les verres en
soient en riens rompuz ny brisez, encores qui plus est, sans qu'une seulle goutte
d'eau en sorte dehors: tout ainsi nous romprons la teste à nos Dipsodes, sans ce que 
nul de nous soit blessé, & sans perte aulcune de noz besoignes. Mais affin que ne
pensez qu'il y ait enchantement, tenez, dist il à Eusthenes, frappez de ce pau tant
que pourrez au meillieu. Ce que fist Eusthenes, & le futz rompit en deux pieces tout
net, sans qu'une goutte d'eau tombast des verres. Puis dist, ien sçay bien d'aultres,
allons seulementen asseurance.

Comment Pantagruel eut victoire bien estrangement
des Dipsodes, & des geans.
Cha. xviii.
Apres tous ces propos Pantagruel appella leur prisonnier & le renvoya, disant. Va
t'en à ton roy en son camp, et luy dys nouvelles de ce que tu as veu, & qu'il delibere
de me festoyer demain sur le midy: car incontinent que mes galleres seront venues,
qui sera de matin au plus tard. Ie luy prouveray par dix huyct cens mille combatans
et sept mille geans tous plus plus grans que tu ne me veoys, qu'il a faict follement &
contre raison de affaiblir ainsi mon pays. En quoy faingnoit Pantagruel qu'il eust
son armée sur mer. Mais le prisonnier respondit qu'il se rendoit son esclave & qu'il
estoit content de iamais ne retourner à ses gens, mais plus tost combatre avecques
Pantagruel contre eulx, & pour dieu qu'ainsi le permist. A quoy Pantagruel ne
voulut consentir, ains luy commanda que partist de là briesvement & allast ainsi
qu'il avoit dist: & luy bailla une boette pleine de euphorbe & de grains de
coccognide, luy commandant la porter à son roy & luy dire que s'il en povoit
manger une once sans boire, qu'il pourroit à luy resister sans peur. Adonc le
prisonnier le supplya à ioinctes mains qu'à l'heure de la bataille il eust de luy pitié,
dont luy dist Pantagruel. Apres que tu auras annoncé à ton roy, Ie ne te dys pas
comme les caphars Ayde toy dieu te aydera: car c'est au rebours ayde toi, le diable
te rompra le col. Mais ie te dys, metz tout ton espoir en dieu, & il ne te delaissera
point. Car de moy encores que soye puissant comme tu peuz veoir, & aye gens
infiniz en armes, toutesfois ie n'espere point en ma force, ny en mon industrie: mais
toute ma fiance est en dieu mon protecteur, lequel iamais ne delaisse ceulx qui en
luy ont mys leur espoir & pensée. Ce faict, le prisonnier s'en alla: & Pantagruel dist
à ses gens. Enfans iay donné à entendre à ce prisonnier que nous avons armée sur
mer, ensemble que nous ne leur donnerons l'assault que iusques à demain sur le
midy, à celle fin qu'eulx doubtans la grande venue de gens, cette nuyct se occupent
à mettre en ordre & soy remparer: mais en ce pendant mon intention est que nous
chargeons sur eulx environ l'heure du premier somme.
Mais laissons icy Pantagruel avecques les Apostoles. Et parlons du roy Anarche &
de son armée. Quand doncques le prisonnier fut arrivé il se transporta vers le Roy,
et luy compta comment il estoit venu ung grand geant nommé Pantagruel qui avoit
desconfit & faict roustir cruellement tous les six cens cinquante & neuf chevaliers,
& luy seul estoit saulve pour en porter les nouvelles. Davantaige avoit charge dudict
geant de luy dire qu'il luy aprestast au lendemain sur le midy à disner: car il se
deliberoit de le envahir à ladicte heure. Puis luy bailla celle boette ou estoient les
confictures. Mais tout soubdain qu'il en eut avallé une cueillerée il luy vint ung tel
chauffement de gorge avecques ulceration de la luette, que la langue luy pela. Et
pour le remede ne trouva allegement quiconques sinon de boire sans remission: car
incontinent qu'il ostoit le goubelet de la bouche, la langue luy brusloit. Par ainsi l'on
ne faisoit que luy entonner vin avecques ung embut. Ce que voyans les capitaines
Baschatz, & gens de garde, tastirent desdictes drogues pour esprouver si elles
estoient tant alteratives: mais y leur en print comme à leur Roy. Et tous se mirent si
bien à flaconner, que le bruyt en vint par tout le camp, comment le prisonnier estoit  
de retour, & qu'ilz debvoient avoir au lendemain l'assault, & qu'à ce ià se preparoit
le roy & les capitaines ensemble les gens de la garde, & ce par boire à tyrelarigot.
Parquoy ung chascun de l'armée se mist à martiner, chopiner, & tringuer de
mesmes. Somme ilz beurent si bien, qu'ilz s'endormirent comme porcz sans nul
ordre parmy le camp.
Or maintenant retournons au bon Pantagruel, & racomptons comment il se porta en
cest affaire. Partant du lieu du Trophée, print le mast de leur navire en sa main
comme ung bourdon, &mist dedans la hune deux cens trente & sept poinsons de vin
blanc d'Aniou du reste de Rouen, & atacha à sa ceincture la barque tout pleine de
sel aussi aysement comme les lansquenests portent leurs petitz peniers. Et ainsi se
mist à chemin avecques ses compaignons. Et quand il fut pres du camp des
ennemys, Panurge luy dist. Seigneur voulez vous bien faire? Devallez ce vin blanc
d'Aniou de la hune, & beuvons icy à la Tudesque. A quoy se condescendit
voulentiers Pantagruel, et beurent si bien qu'il n'y demoura la seule goutte des deux
cens trente & sept poinsons excepté une ferriere de cuir bouilly de Tours que
Panurge emplyt pour soy: Car il l'appeloit son vademecum, et quelques meschantes
baissieres pour le vinaigre. Apres qu'ilz eurent bien tiré au chevrotin, Panurge donna
à manger à Pantagruel quelque diable de drogues composées de trochitz d'alkekangi
& de cantharides [, de lithontripon, nephrocatariicon, coudinar cantharidize] et
aultres especes diureticques.
Ce faict Pantagruel dist à Carpalim, Allez vous en la ville en gravant comme ung rat
la muraille, comme bien sçavez faire, et leur dictes qu'à heure presente ilz sortent &
donnent sur les ennemys tant roiddement qu'ilz pourront: & ce dit, descendez vous
en, prenant une torche allumée,avecques laquelle vous mettrez le feu dedans toutes
les tentes & pavillons du camp: et ce faict, vous cryerez tant que pourrez de vostre
grosse voix, qui est plus espovantable que n'estoit celle de Stentor qui fut ouy par
sur tout le bruit de la bataille des Troyans, & vous en partez dudict camp.
Voire mais, dist Carpalim, seroit ce pas bon que ie enclouasse toute leur artillerie?
Non non, dist Pantagruel, mais bien mettez le feu en leur pouldres.
A quoy obtemperant Carpalim partit soubdain & fist comme avoit esté decreté par
Pantagruel, & sortirent de la ville tous les combatans qui y estoient. Et lors qu'il eut
mys le feu par les tentes & pavillons, passoit legierement par sur eulx sans qu'ilz en
sentissent rien tant ilz ronfloient & dormoient parfondement. Il vint au lieu où estoit
l'artillerie & mist le feu en leurs munitions. Mais, o la pitié, le feu fut si soubdain
qu'il cuyda embraser le pouvre Carpalim. Et n'eust esté sa merveilleuse hastiveté et
celerité, il estoit fricassé: mais il s'en partit si roiddement qu'ung carreau d'arbaleste
ne va pas plus tost. Et quand il fut hors des tranchées il s'escrya si
espovantablement, qu'il sembloit que tous les diables feussent deschainés. Auquel
son s'esveillerent les ennemys, mais sçavez vous comment? aussi estourdys que le
premier son de matines, qu'on appelle en Lussonoys, frotecouille. Et ce pendant
Pantagruel commença à semer le sel qu'il avoit en sa barque, et par ce qu'ilz
dormoient la gueule baye & ouverte, il leur en remplit tout le gouzier, tant que ces
pouvres haires toussissoient comme regnards, cryans.
Ha Pantagruel, tant tu nous chauffes le tizon.
Mais tout soubdain print envie à Pantagruel de pisser, à cause des drogues que luy
avoit baillé Panurge, & pissa parmy leur camp si bien & copieusement qu'il les noya
tous: & y eut deluge particulier dix lieues à la ronde. Et dit l'histoire, que si la grand  
iument de son pere y eust esté & pissé pareillement, qu'il y eust eu deluge plus
enorme que celluy de Deucalion: car elle ne pissoit foys qu'elle ne fist une riviere
plus grande que n'est le Rosne. Ce que voyans ceulx qui estoient issuz de la ville,
disoient.
Ilz sont tous mors cruellement, voyez le sang courir.
Mais ilz y estoient trompez, pensans de l'urine de Pantagruel que feust le sang des
ennemys: car ilz ne le veoyent sinon au lustre du feu des pavillons & quelque peu
de clarté de la lune. Les ennemys apres soy estre reveillez voyans d'ung cousté le
feu en leur camp, & l'inundation & deluge urinal, ne sçavoient que dire ny que
penser. Aulcuns disoient que c'estoit la fin du monde & le iugement final, qui doibt
estre consommé par le feu: les aultres, que les dieux marins, Neptune & les aultres,
les persecutoient: & de faict c'estoit eau marine & sallée.
O qui pourra maintenant racompter comment se porta Pantagruel contre les troys
cens geans. O ma muse, ma Calliope, ma thalye, inspire moy à ceste heure, restaure
mes espritz: car voicy le pont aux asnes de Logicque, voicy le tresbuchet, voicy la
difficulté de povoir exprimer l'horrible bataille qui fut faicte. A la mienne voulenté
que ie eusse maintenant ung boucal du meilleur vin que beurent iamais ceulx qui
liront ceste histoire tant veridicque.

Comment Pantagruel deffit les troys cens geans
armez de pierre de taille, Et Loupgarou leur
capitaine.
Cha. xix.
Les geans voyans que tout leur camp estoit submergé, emporterent leur roy Anarche
à leur col le mieulx qu'ilz peurent hors du fort, comme fist Eneas son pere Anchises
de la conflagration de Troye. Lesquelz quand Panurge apperceut, dist à Pantagruel.
Seigneur voilà les geans qui sont issuz, donnez dessus de vostre mast
[gualantemment] à la vieille escrime. Car c'est à ceste heure qu'il se fault monstrer
homme de bien. Et de nostre cousté nous ne vous fauldrons point. Et hardiment que
ie vous en tueray beaucoup. Car quoy? David tua bien Goliath facillement. Moy
doncques qui en battroys douze telz qu'estoit David: car en ce temps là ce n'estoit
qu'ung petit chiart, n'en defferay ie pas bien une douzaine. Et puis ce gros paillard
de Eusthenes qui est fort comme quatre boeufz, ne s'y espargnera pas. Prenez
courage, chocquez à travers d'estoc & de taille.
Or, dist Pantagruel, de couraige ien ay pour plus cinquante frans. Mais quoy?
Hercules ne osa iamais entreprendre contre deux.
C'est, dist Panurge, bien chien chié en mon nez, vous comparez vous à Hercules?
vous avez plus de force aux dentz, & plus de sens au cul, que n'eut iamais Hercules
en tout son corps & ame. Autant vault l'homme comme il s'estime.
Et ainsi qu'ilz disoient ces parolles, voicy arriver Loupgarou avecques tous ses
geans. Lequel voyant Pantagruel tout seul fut esprins de temerité & oultrecuydance,
par espoir qu'il avoit de occire le pouvre Pantagruel, dont dist à ses compaignons
geans.
Paillars de plat pays, par Mahon si nul de vous entreprent de combatre contre ceulx
qui sont icy, ie vous feray mourir cruellement. Ie veulx que me laissez combatre
tout seul: ce pendant vous aurez vostre passetemps à nous regarder.
Adonc se retirerent tous les geans avecques leur roy là aupres où estoient les
flaccons, & Panurge & ses compaignons avecques eulx, qui contrefaisoit ceulx qui
ont eu la verolle: car il tortoit la gueule & retiroit les doigts, & en parolle enrouée
leur dist.
Ie renye dieu compaignons, nous ne faisons point la guerre, donnez nous à repaistre
avecques vous ce pendant que nos maistres s'entrebattent.
A quoy voulentiers le roy & les geans se consentirent, & les firent bancqueter
avecques eulx. Et ce pendant Panurge leur contoit des fables, & les exemples de
sainct Nicolas. Alors Loupgarou s'adressa à Pantagruel avecques une masse toute
d'acier pesante neuf mille sept cens quintaux d'acier de Calibbes, au bout de laquelle
y avoit treize poinctes de dyamens, dont la moindre estoit aussi grosse comme la
plus grand cloche de nostre dame de Paris, il s'en failloit par avanture l'espesseur
d'ung ongle, ou au plus que ie mente, d'ung doz de ces couteaulx qu'on appelle
couppeoreille: mais pour ung petit, ne avant ne arriere. Et estoit phée en la maniere
que iamais ne povoit rompre, mais au contraire, tout ce qu'il en touchoit rompait
incontinent. Ainsi doncques comme il approchoit en grand fierté, Pantagruel iectant  
les yeulx au ciel se recommanda à dieu de bien bon cueur, faisant veu tel comme
s'ensuyt.
Seigneur dieu qui tousiours a esté mon protecteur & mon servateur, tu voys la
destresse en laquelle ie suis maintenant. Riens icy ne me amene, sinon zele naturel
comme tu as concedé es humains de garder & defendre soy, leurs femmes, enfans,
pays, & famille en cas que ne seroit ton negoce propre, qui est la foy: car en tel
affaire tu ne veulx nul coadiuteur: sinon de confession catholicque, & ministere de
ta parolle: & nous as defenduz toutes armes & defenses: car tu es le tout puissant,
qui en ton affaire propre, & où ta cause propre est tirée en action, te peulx defendre
trop plus qu'on ne sçauroit estimer: toy qui as milliers de centaines de millions de
legions d'anges, duquel le moindre peut occire tous les humains, & tourner le ciel &
la terre à son plaisir, comme bien appareut en l'armée de Sennacherib. Doncques s'il
te plaist à ceste heure me estre en ayde comme en toy seul est ma totalle confiance
& espoir, Ie te fays veu que par toutes contrées tant de ce pays de Utopie que
d'ailleurs où ie auray puissance & auctorité, Ie feray prescher ton sainct Evangile,
purement, simplement, & entierement, si que les abuz d'ung tas de papelars & faulx
prophetes, qui ont par constitutions humaines & inventions depravées envenimé
tout le monde, seront d'entour moy exterminées.
Et alors fut ouye une voix du ciel, disant. Hoc fac, & vinces: c'est à dire. Fays ainsi,
& tu auras victoire. Ce faict voyant Pantagruel que Loupgarou approchoit la gueulle
ouverte, vint contre luy hardiment & s'escrya tant qu'il peut. A mort ribault à mort,
pour luy faire peur, selon la discipline des Lacedemoniens, par son horrible cry.
Puis luy getta la barque, qu'il portoit à sa ceincture, plus de dix & huit cacques de
sel, dont il luy emplit & gorge & gouzier, & le nez & les yeulx. Dont irrité
Loupgarou luy lancea ung coup de sa masse, luy voulant rompre la cervelle. Mais
Pantagruelfut abille & eut tousiours bon pied & bon oeil, par ce demarcha du pied
gauche ung pas en arriere, mais il ne sceut si bien faire que le coup ne tombast sur
sa barque, laquelle rompit en six pieces et versa le reste du sel en terre. Quoy voyant
Pantagruel desploya ses bras & comme est l'art de la hasche, luy donna du gros bout
de son mast, en estoc au dessus de la mamelle, et retirant le coup à gauche en
taillade luy frapa entre col & collet, puis avanceant le pied droict luy donna sur les
couillons ung pied du hault bout de son mast, à quoy rompi la hune, et versa troys
ou quatre poinssons de vin qui estoient de reste. Dont Loupgarou pensa qu'il luy
incisé la vessie, et du vin que ce feut son urine qui en sortit. De ce non content
Pantagruel vouloit redoubler au coulouer: mais Loupgarou haulsant sa masse
avancea son pas sur luy, & de toute sa force la vouloit enfoncer sur Pantagruel, &
de faict en donna si vertement que si Dieu n'eust secouru le bon Pantagruel, il l'eust
fendu despuis le sommet de la teste iusques [au fond de] la ratelle: mais le coup
declina à droict par la brusque hastiveté de Pantagruel. Et entra sa masse plus de
soixante pieds en terre à travers ung gros rochier dont il feit sortir le feu plus gros
qu'ung tonneau. Ce que voyant Pantagruel, qu'il s'amusoit à tirer ladicte masse qui
tenoit en terre entre le roc, luy court sus, & luy vouloit avaler la teste tout net: mais
son mast de male fortune toucha ung peu au fust de la masse de Loupgarou qui
estoit phée (comme avons dit devant) par ce moyen son mast luy rompit à troys
doigts de la poignée. Dont il feut plus estonné qu'ung fondeur de cloches, &
s'escrya. Ho Panurge où es tu? Ce que ouyant Panurge, dist au roy & aux geans. Par
dieu ilz se feront mal, qui ne les despartira. Mais les geans en estoient ayses comme  
s'ilz feussent de nopces. Lors Carpalim se voulut lever de là pour secourir son
maistre: mais ung geant luy dist.
Par Goulfarin nepveu de Mahon, si tu bouges d'icy ie te mettray au fons de mes
chausses comme on faict d'ung suppositoire, aussi bien suis ie constipé du ventre, &
ne peulx gueres cagar: sinon à force de grincer des dentz.
Puis Pantagruel ainsi destitué de baston, reprint le bout de son mast, en frappant
torche lorgne, dessus le geant, mais il ne luy faisait mal en plus que feriez baillant
une chiquenaude sus ung mail de forgeron: & ce pendant Loupgarou tiroit de terre
sa masse & l'avoit ià tirée & la paroit pour en ferir Pantagruel: mais Pantagruel qui
estoit soubdain au remuement declinoit tous les coups, iusques à ce qu'une foys
voyant que Loupgarou le menassoyt, disant. Meschant à ceste heure te hascheray ie
comme chair à patez. Iamais tu ne altereras les pouvres gens, luy frappa du pied ung
grand coup contre le ventre, qu'il le getta en arriere à iambes redindaines, & vous le
trainoit ainsi à l'escorche cul plus d'ung trait d'arc. Et Loupgarou s'escryoit rendant
le sang par la gorge, Mahon, Mahon, Mahon.
A laquelle voix se leverent tous les geans pour le secourir. Mais Panurge leur dist,
Messieurs n'y allez pas si m'en croyez: car nostre maistre est fol & frappe à tors & à
travers, et ne regarde point où, il vous donnera malencontre.
Mais les geans n'en tindrent contre, voyans que Pantagruel estoit sans baston: &
comme ilz approchoient, Pantagruel print Loupgarou par les deux pieds, & du corps
de Loupgarou armé d'enclumes frappoit parmy ces geans armez de pierre de taille,
& les abattoit comme ung maçon faict de couppeaulx, que nul n'arrestoit devant luy
qu'il ne ruast contre terre, dont à la rupture de ces harnoys pierreux fut faict ung si
horrible tumulte, qu'il me souvint, quand la grosse tour de beurre qui estoit à sainct
Estienne de Bourges, fondit au soleil. Et Panurge ensemble Carpalim et Eusthenes
ce pendant esgorgetoient ceux qui estoient portez par terre. Faictes vostre compte
qu'il n'en eschappa ung seul & à veoir Pantagruel sembloit ung faulcheur, qui de la
faulx (c'estoit Loupgarou) abbatoit l'herbe d'un pré (c'estoient les geans). Mais à
ceste escrime, Loupgarou perdit la teste, ce feut, quand Pantagruel en abbatit ung,
qui avoit nom Moricault [Riflandouille], qui estoit armé à hault appareil, c'estoit de
pierres de gryphon, dont ung esclat couppa la gorge tout oultre à Epistemon: car
aultrement la plus part d'entre eulx estoient armez à la legiere, c'estoit de pierres de
tuffe, & les aultres de pierre ardoysine. Finablement voyant que tous estoient mors,
getta le corps de Loupgarou tant qu'il peut contre la ville, & en tombant du coup tua
ung chat bruslé, une chatte mouillée, une canne petiere, & ung oyson bridé.

Comment Epistemon qui avoit la teste tranchée, fut
guery habillement par Panurge. Et des nouvelles des
diables, & de damnez.
Cha. xx.
Ceste desconfite gygantale parachevée Pantagruel se retira au lieu des flaccons, &
appela Panurge & les aultres, lesquelz se rendirent à luy sains & saulves, excepté
Eusthenes qu'ung des geans avoit esgratigné quelque peu au visaige, ainsi qu'il
l'esgorgetoit. Et Epistemon qui ne comparoit point. Dont Pantagruel fut si dolent
qu'il se voulut tuer soymesmes, mais Panurge luy dist. Dea seigneur attendez ung
peu, nous le chercherons entre les mors, & verrons la verité du tout. Ainsi doncques
comme ilz cherchoient, ilz le trouverent tout roidde mort & la teste entre ses bras
toute sanglante. Dont Eusthenes s'escrya. Ha male mort, nous as tu tollu le plus
parfaict des hommes. A laquelle voix se leva Pantagruel au plus grand deuil qu'on
veit iamais au monde: mais Panurge dist. Enfans ne pleurez point, il est encores tout
chault. Ie vous le gueriray aussi sain qu'il fut iamais. Et ce disant print la teste & la
tint sus sa braguette chauldement qu'elle ne print vent, &Eusthenes & Carpalim
porterent le corps au lieu où ilz avoient bancquetté: non par espoir que iamais
guerist, mais affin que Pantagruel le veist. Toutesfois Panurge les reconfortoit,
disant. Si ie ne le guerys ie veulx perdre la teste (qui est le gaige d'ung fol) laissez
ces pleurs & me aydez. Adonc nettoya tresbien de beau vin blanc le col, & puis la
teste: & y synapiza de pouldre [de diamerdys] de Aloes qu'il portoit tousiours en
une de ses fasques: apres les oignit de ie ne sçay quel oingnement, & les aiusta
iustement vene contre vene, nerf contre ner, spondyle contre spondyle, affin qu'il ne
feut torty colly (car telz gens il hayssoit de mort) & ce faict luy fist deux ou troys
poins de agueille, affin qu'elle ne tombast de rechief: puis mist à l'entour ung peu de
unguent, qu'il appelloit resuscitatif. Et soubdain Epistemon commença à respirer,
puis à ouvrir les yeulx, puis à baisler, puis à esternuer, puis feist ung gros pet de
mesnage, dont dist Panurge, à ceste heure il est guery asseurement: & luy bailla à
boire d'ung grand villain vin blanc avecques tout une roustie succrée. En ceste façon
fut Epistemon guery habilement, excepté qu'il fut enroué plus de troys sepmaines, et
eut ung toux seiche, dont il ne peut oncques guerir, sinon à force de boire.
Et là commença parler, disant. Qu'il avoit veu les diables, & avoit parlé à Lucifer
familierement, & faict grand chere en enfer, et par les champs Elisées. Et asseuroit
devant tous que les diables estoient bons compaignons. Et au regard des damnez, il
dist, qu'il estoit bien marry de ce que Panurge l'avoit si tost revocqué en vie. Car ie
prenoys, dist il, ung singulier passetemps à les veoir.
Comment? dist Pantagruel.
L'on ne les traicte pas, dist Epistemon, si mal que vous penseriez, mais leur estat est
changé en estrange façon. Car ie veis Alexandre le grand qui repetassoit de vieilles
chausses, & ainsi gaignoit sa vie. Xerces cryoit la moustarde. Darius estoit cureur
de retraictz. Scipion Africain cryoit la lye en ung sabot. Pharamond estoit lanternier.
Hannibal estoit coquetier. Priam vendoit les vieulx drapeaulx. Lancelot du lac estoit
escorcheur de chevaulx mors. Tous les chevaliers de la table ronde estoient pouvres
gaignedeniers à tirer à la ramer & passer les rivieres de Coccytus, Phlegeton, Styx, 
Acheron, Lethé, quand messieurs les diables se veulent esbattre sur l'eau comme
font les bastelieres de Lyon & Venize. Mais pour chascune passade ilz n'en ont
qu'une nazarde, & sus le soir quelque morceau de pain chaumeny. Les douze pers
de France sont là & ne font riens que ie aye veu, mais ilz gaignent leur vie à endurer
force plameuses, chinquenaudes, alouettes, & grans coups de poing sus les dentz.
[Hector, estoit fripesaulse. Paris estoit pouvre loqueteux. Achile boteleur de foing.
Cambyses muletier. Ataxerces escumeur de potz.] Neron estoit vielleux, &
Fierabras estoit son varlet mais il luy faisoit mille maulx, et luy faisoit manger le
pain bis, & boire le vin poulsé: et luy mangeoit & buvoit du meilleur. Iason &
Pompée estoient goildronneurs de navires. Valentin & Orson servoient aux estuves
d'enfer, & estoient racletoretz. Giglan & Gauvain estoient pouvres porchiers.
Geoffroy à la grand dent estoit allumetier. Godeffroy de Billon estoit dominotier.
Dom Pietre de Castille porteur de rogatons. Morgant brasseur de byere. Huon de
Bourdeaulx estoit relieur de tonneaulx. Iulles Cesar souillart de cuisine. Antiochus
estoit ramonneur de cheminées. Romulus estoit rataconneur de bobelins. Octavien
estoit ratisseur de papier. Charlemaigne estoit houssepaillier. Le pape Iules crieur de
petitz pastez. Iehan de Paris gresseur de botes. Artus de Bretaigne degresseur de
bonnetz. Perceforest portoit une hotte: ie ne sçay pas s'il estoit porteur de coustretz.
Nicolas pape tiers estoit papetier. Le pape Alexandre estoit preneur de ratz. Le pape
Sixte estoit gresseur de verolle.
(Comment? dist Pantagruel, y a il des verollez de par delà? Certes, dist Espitemon,
Ie n'en veiz oncques tant, il y en a plus cent millons. Car croyez que ceulx qui n'ont
eu la verolle en ce monde icy, l'ont en l'aultre. Cor dieu, dist Panurge, ien suis
doncques quitte: Car ie ay esté iusques au trou de Iubathar [et remply les bondes
d'Hercules], & ay abatu des plus meures).
Ogier de le dannoys estoit frobisseur de harnoys. Le roy Pepin estoit recouvreur.
Galien Restauré estoit preneur de taulpes. Les quatre filz Aymon estoient arracheurs
de dentz. Melusine estoit souillarde de cuisine. Matabrune lavandiere de buées.
Cleopatra estoit revenderesse d'oignons. Helene esttoit courratiere de chambrieres.
Semyramis estoit espouilleresse de bellistres. Dido vendoit des mousserons.
Penthasilée estoit croissonniere.
En ceste façon ceulx qui avoient esté gros seigneurs en ce monde icy, gaingnoient
leur pouvre meschante et paillarde vie là bas. Et au contraire les philosophes, et
ceulx qui avoient esté indigens en ce monde, de par delà estoient gros seigneurs en
leur tout. Ie veiz Diogenez qui se prelassoit en magnificence avec une grand robbe
de pourpre, et ung sceptre: & faisoit enrager Alexandre le grand, quand il n'avoit
pas bien repetassé les chausses, & le payoit en grans coups de baston. Ie veiz Patelin
[thresorier de Rhadamantus] qui marchandoit des petitz pastez que cryoit le pape
Iules: & luy demanda combien la douzaine? troys blancs, dit le pape. Mais dist
Patelin, trois coups de barre, baillez icy villain baillez, & en allez querir d'aultres: &
le pouvre pape s'en alloit pleurant, & quand il fut devant son maistre patissier, il luy
dist, qu'on luy avoit ostez les pastez. Adonc le patissier luy bailla l'anguillade si
bien que la peau n'eust riens vallu à faire cornemuses. Ie veiz maistre Iehan le
mayre qui contrefaisoit du pape, & à tous ces pouvres roys & papes de ce monde
faisoit baiser ses pieds: & en faisant du grobis leur donnoit la benediction, disant.
Gaingnez les pardons coquins, gaignez, ilz sont à bon marché. Ie vous absouz 
de pain & de souppe: et vous dispense de ne valoir iamais riens, & [ne faire iamais nul  
bien. Adoncq il] appela Caillete & Triboulet, [et d'aultres qui leur sembloient,]
disant. Messieurs les cardinaulx depeschez leurs bulles, & chascun ung coup de pau
sus les reins: ce que fut faict incontinent. Ie veiz maistre François Villon qui
demanda à Xerces combien la denrée de moustarde? ung denier, dist Xerces, à quoy
dist ledict de Villon: Tes fiebvres quartaines villain, la blanchée n'en vault qu'ung
pinart, & tu nous faiz icy les vivres: & adoncques pissa dedans son bacq, comme
font les moustardiers à Paris.
Or, dist Pantagruel, reserve nous ces beaulx comptes à une aultre foys. Seulement
dys nous comment y sont traictez les usuriers:
Adoncq dist Epistemon, Ie les veiz tous occupez à chercher les espingles rouillées
& vieulx clous, parmy les ruisseaux des rues, comme vous voyez que font les
coquins en ce monde. Mais le quintal de ses quinquailleries ne vault qu'ung boussin
de pain, encores y en a il maulvaise depesche: par ainsi les pouvres malautruz sont
aulcunesfoys plus de troys sepmaines sans manger morceau ny miette: & à travailler
iour & nuict attendant la foire à venir: mais de ce travail et de malheureté y ne leur
souvient point tant ilz sont mauldictz & inhumains, pourveu qu'au bout de l'an ilz
gaingnent quelque meschant denier.
Or, dist Pantagruel, faisons ung transon de bonne chere, & beuvons ie vous en prie
enfans: car il fait beau boire. Lors degainnerent flaccons à tas, & des munitions du
camp feirent grand chere. Mais le pouvre roy Anarche ne se povoit esiouyr.
Dont dist Panurge, & de quel mestier ferons nous monsieur du Roy icy? affin que il
soit ià tout expert à l'art quand il sera de par delà à tous les diables.
Vrayment, dist Pantagruel, c'est bien advisé à toy, or fays en à ton plaisir: ie te le
donne. Grant mercy, dist Panurge, le present n'est pas de refus & l'ayme de vous.

Comment Pantagruel entra en la ville des Amaurotes.
Et comment Panurge maria le roy Anarche, & le feist
cryeur de saulce vert.
Chap. xxi.
Apres celle victoire merveilleuse Pantagruel envoya Carpalim en la ville des
Amaurotes dire & annoncer comment le roy Anarche estoit prins, & tous leurs
ennemys defaictz. Laquelle nouvelle entendue, sortirent au devant de luy tous les
habitans de la ville en bon ordre & en pompe triumphale avecques une liesse divine
le conduisirent en la ville. Et furent faictz beaulx feux de ioye par toute la ville, &
belles tables rondes garnies de force vivres dressées par les rues. Ce fut ung
renouvellement du temps de Saturne, tant il fut faict alors grand chere.
Mais Pantagruel tout le Senat assemblé dist, Messieurs ce pendant que le fer est
chault il le fault battre, aussi devant que nous desbauscher davantaige, ie veux que
allions prendre d'assault tout le royaulme des Dipsodes. Par ainsi ceulx qui
avecques moy vouldront venir, se aprestent à demain apres boire: car lors ie
commenceray à marcher. Non pas qu'il me faille gens davantaige pour me ayder à le
conquester: car autant vaudrait il que ie le tinsse desià, mais ie voy que ceste ville
est tant pleine des habitans qu'ilz ne peuvent se tourner par les rues. Docnques ie les
meneray comme une colonie en Dipsodie, & leur donneray tout le pays, qui est
beau, salubre, fructueux, et plaisant sus tous les pays du monde, comme plusieurs
de vous sçavent qui y estes allez aultrefoys. Ung chascun de vous qui y vouldroit
venir soit prest comme iay dit.
Ce conseil & deliberation fut divulgué par la ville, & le lendemain se trouverent en
la place devant le palays iusques au nombre de dix huyt cens cinquante mille, sans
les femmes & petitz enfans. Ainsi commencerent à marcher droict en Dipsodie en si
bon ordre qu'ilz ressembloient es enfans d'Israel quand ilz partirent d'Egypte pour
passer la mer rouge.
Mais devant que poursuyvre ceste entreprinse ie vous veulx dire comment Panurge
traicta son prisonnier le roy Anarche. Il luy souvint de ce que avoit raconté
Epistemon comment estoient traictez les roys & riches de ce monde par les champs
Elisées, & comment ilz gaingnoient pour lors leur vie à vilz & salles mestiers.
Pourtant ung iour habilla son dict roy d'ung beau petit pourpoint de toille tout
deschiquetté comme la cornette d'ung Albanoys, et de belles chausses à la
mariniere, sans soulliers: car (disoit il) ilz luy gasteroient la veue, & ung petit
bonnet pers avecques ung grand plume de chappon. Ie faux, car il m'est advis qu'il y
en avoit deux: & une belle ceincture de pers & vert, disant que ceste livrée luy
advenoit bien, veu qu'il avoit esté pervers.
En tel point l'amena devant Pantagruel, & luy dist. Congnoissez vous ce rustre? Non
certes, dist Pantagruel. C'est monsieur du Roy de troys cuittes. Ie le veulx faire
homme de bien: ces diables de roys icy ne sont que beaulx, & ne sçavent ny ne
valent riens, sinon à faire des maulx es pouvres subiectz, & à troubler tout le monde
par guerre pour leur inique & detestable plaisir. Ie le veulx mettre à mestier, & le
faire cryeur de saulce vert. Or commence à cryer, Vous fault il point de saulce vert?

Et le pouvre diable cryoit. C'est trop bas, dist Panurge, et le print par l'oreille,
disant. Chante plus hault, en g sol ré ut. Ainsi diable tu as bonne gorge, tu ne fuz
iamais si heureux que de n'estre plus roy.
Et Pantagruel prenoit tout à plaisir. Car ie ose bien dire que c'estoit le meilleur
homme qui fut d'icy au bout d'ung baston. Ainsi fut Anarche bon cryeur de saulce
vert. Et deux iours apres Panurge le maria avecques une vieille lanterniere, luy
mesmes fist les nopces à belles testes de mouton, bonnes hastilles à la moustarde, &
beaulx tribars aux ailz, dont il en envoya cinq sommades à Pantagruel, lesquelles il
mangea toutes, tant il les trouva appetissantes: & à boire belle biscantine & beau
corme. Et pour les faire dancer, loua ung aveugle qui leur sonnoit la note avecques
la vielle. Et apres disner les maena au palays & les monstra à Pantagruel, & luy dist
monstrant la mariée. Elle n'a garde de péter.
Pourquoy? dist Pantagruel.
Par ce, dist Panurge, qu'elle est bien entommée.
Quelle parabolle est cela? dist Pantagruel.
Ne voyez vous pas, dist Panurge, que les chastaignes qu'on faict cuyre au feu, si
elles sont entieres elles petent que c'est raige: & pour les engarder de peter l'on les
entomme. Aussi ceste mariée est bien entommée par le bas, ainsi elle ne petera
point.
Et Pantagruel leur donna une petite loge aupres de la basse rue, et ung mortier de
pierre à piller la saulce. Et frient en ce point leur petit mesnage: & fut aussi gentil
cryeur de saulce vert que feust oncques veu en Utopie. Mais l'on m'a dit despuis que
sa femme le bat comme plastre, & le pouvre sot ne se ose desfendre, tant il est nies.

Comment Pantagruel de sa langue couvrit toute une
armée, & de ce que l'auteur veit dedans sa bouche.
Cha. xxii.
Ainsi que Pantagruel avecques toute sa bande entrerent es terres des Dipsodes, tout
le monde se rendoit à luy: & de leur franc vouloir luy apportoient les clefz de toutes
les villes où il alloit, excepté les Almyrodes, qui voulurent tenir contre luy, et
feirent response à ses heraulx, qu'ilz ne se rendroient point, sinon à bonnes
enseignes.
Et quoy, dist Pantagruel, en demandent ilz de meilleures que la main au pot, & le
verre au poing? Allons, & qu'on me les mette à sac.
Adoncq tous se mirent en ordre comme deliberez de donner l'assault. Mais au
chemin passans une grande campaigne, furent saisys d'une grosse houzée de pluye.
A quoy ilz commencerent à se tremousser & se serrer l'ung l'aultre. Ce que voyant
Pantagruel leur fist dire par les capitaines que ce n'estoit riens, & qu'il voyait bien
au dessus des nues que ce ne seroit qu'une petite venue: mais à toutes fins qu'ilz se
missent en ordre & qu'il les vouloit couvrir. Lors se mirent en bon ordre & bien
serrez. Adoncques Pantagruel tira la langue seulement à demy, & les en couvrit
comme une gelline faict ses poulletz.
Ce pendant ie qui vous fays ces tant veritables contes, m'estoys caché dessoubz une
feuille de Bardane, qui n'estoit point moins large que l'arche du pont de Monstrible:
mais quand ie les veiz ainsi bien couverts ie m'en allay à eulx rendre à l'abrit: ce que
ie ne peuz tant ilz estoient comme l'on dit, au bout de l'aulne fault le drap. Doncques
le mieux que ie peu ie montay dessus & cheminay bien deux lieues sus sa langue,
tant que ie entray dedans sa bouche. Mais o dieux & desses, que veiz ie là? Iuppiter
me confonde de la fouldre trisulque si ien mens. Ie y cheminois comme l'on faict en
Sophie à Constantinople, & y veiz de grans rochiers, comme les monts des
Dannoys, ie croy que c'estoient les dentz: & de grans prez, de grans foretz, & de
fortes & grosses villes non moins grandes que Lyon ou Poictiers. Et le premier que
y trouvay, ce fut ung bon homme qui plantoit des choulx. Dont tout esbahy luy
demanday. Mon amy que fays tu icy?
Ie plante, dist il, des choux.
Et à quoy ny comment? dys ie.
Ha monsieur, dist il, nous ne povons pas estre tous riches. Ie gaigne ainsi ma vie: &
les porte vendre au marché en la cité qui est icy derriere.
Iesus (dys ie) il y a icy ung nouveau monde.
Certes (dist il) il n'est mie nouveau: mais l'on dit bien que hors d'icy il y a une terre
neufve où ilz ont et soleil et lune et tout plain de belles besoingnes, mais cestuy cy
est plus ancien.
Voire mais (dis ie) mon amy, comment a nom ceste ville où tu portes tes choulx.
Elle a (dist il) nom Alpharage, & sont Chrestiens gens de bien, & vous feront grang
chiere.
Brief ie me deliberay d'y aller. Or en mon chemin ie trouvay ung compaignon, qui
tendoit aux pigeons. Auquel ie demanday. Mon amy dont vous viennent ces pigeons
icy?

Sire (dist il) ilz viennent de l'aultre monde.
Lors ie pensay que quand Pantagruel baisloit, les pigeons à pleines vollées entroient
dedans sa gorge, pensant que feust ung columbier. Puis m'en entray à la ville,
laquelle ie trouvay belle, bien forte, et en bel air, mais à l'entrée les portiers me
demanderent mon bulletin, de quoy ie fuz fort esbahy, & leur demanday, messieurs
y a il icy dangier de peste?
O seigneur (dirent ilz) l'on se meurt icy aupres tant que le chariot court par les rues.
Iesus (dys ie) & où?
A quoy me dirent, que c'estoit en Laryngues & Pharyngues, qui sont deux grosses
villes telles comme sont Rouen & Nantes riches & bien marchandes. Et la cause de
la peste a esté pour une puante & infecte exhalation qui est sortie des abysmes
despuis na guieres, dont ilz sont mors plus xxi. cens mille personnes, despuis huyct
iours. Lors ie pense & calcule, & trouve que c'estoit une puante alaine qui estoit
venue de l'estomach de Pantagruel alors qu'il mangea tant d'aillade, comme nous
avons dit dessus. De là partant passay par entre les rochiers, qui estoient ses dentz,
& feis tant que ie montay sus une, & là trouvay les plus beaulx lieux du monde,
beaulx grans ieux de paulme, belles galleries, belles prariez, force vignes, & une
infinité de cassines à la mode Italicques par les champs plains de delices: et là
demouray bien quatre moys & ne feis oncques telle chere que pour lors. Puis me
descendis par les dentz du derriere pour m'en venir aux baulievres: mais en passant
ie fuz destroussé des brigans par une grand forest qui est vers la partie des oreilles:
puis trouvay une petite bourgade à la devallée, iay oublyé son nom, où ie feis
encores meilleure chere que iamais, & gaignay quelque peu d'argent pour vivre. Et
sçavez vous comment? à dormir: car l'on loue les gens à iournée pour dormir, &
gaignent cinq à six solz par iour, mais ceulx qui ronflent bien fort gaignent bien sept
solz & demy. Et contoys aux senateurs comment on m'avait destroussé par la vallée:
lesquelz me dirent que pour tout vray les gens de par delà les dentz estoient mal
vivans & brigans de nature. A quoy ie congneu que ainsi comme nous avons les
contrées de deça & de delà les monts, aussi ont ilz deça & delà les dentz. Mais il
faict beaucoup meilleur de deça & y a meilleur air. Et là commençay à penser qu'il
est bien vray ce que l'on dit, que la moitié du monde ne sçay comment l'aultre vit.
Veu que nul n'avoit encores escript de ce pays là où il y a plus de xxv. royaulmes
habitez, sans les devers, & ung gros bras de mer: mais ien ay composé ung grand
livre intitulé l'Histoire de Guorgias: car ainsi les ay ie nommez par ce qu'ilz
demouroient en la gorge de mon maistre Pantagruel. Finablement ie m'en vouluz
retourner & passant par la barbe me gettay sus ses espaules, & de là me devalle en
terre & tumbe devant luy. Et quand il me apperceut, il me demanda.
Dont viens tu Alcofrybas?
Et ie luy responds, de vostre guorge monsieur.
Et despuis quand y es tu? dist il.
Despuis (dis ie) que vous alliez contre les Almyrodes.
Il y a (dist il) plus de six moys. Et de quoy vivoys tu? que mangeoys tu? que
beuvoys tu?
Ie responds. Seigneur de mesmes vous, & des plus fryans morceaux qui passoient
par vostre guorge ie prenoys le barraige.
Voire mais (dist il) où chyois tu?
En vostre guorge monsieur, dys ie.

Ha ha tu es gentil compaignon, dist il. Nous avons avecques l'ayde de dieu
conquesté tout le pays des Dipsodes ie te donne la chastellenie de Salmigondin.
Grant mercy (dys ie) monsieur [vous me faictes du bien plus que n'ay desservy
envers vous].

Comment Pantagruel fut malade, & la façon
comment il guerit.
Cha. xxiii.
Peu de temps apres le bon Pantagruel tumba malade, & fut tant prins de l'estomach
qu'il ne povoit boire ny manger, & par ce qu'ung malheur ne vient iamais seul, il luy
print une pisse chaulde, qui le tormenta plus que ne penseriez: mais ses medecins le
secoururent tresbien & avecques force de drogues [lenitives &] diureticques le
feirent pisser son malheur. Et son urine estoit si chaulde que despuis ce temps là elle
n'est point encores refroidye. Et en avez en france en divers lieux selon qu'elle print
son cours: & l'on l'appelle les bains chaulx, comme à Coderetz, à Limous, à Dast, à
Balleruc, à Neric, à Bourbonensy, et ailleurs. En Italie à Mons grot, à Appone, à
Sancto Pedro dy Padua, à Saincte Helene, à Casa Nova, à Sancto Bartholomeo. En
la comté de Bouloigne à la Porrette, et mille aultres lieux. Et m'esbahys grandement
d'ung tas de folz philosophes & medecins, qui perdent temps à disputer dont vient la
chaleur de cesdictes eaux, ou si c'est à cause du Baurach, ou du Soulphre, ou
l'Allun, ou du Salpestre qui est dedans la minere: car ilz n'y font que ravasser, &
mieulx leur vauldroit se aller froter le cul au panicault, que de perdre ainsi le temps
à disputer de ce dont ilz ne sçavent l'origine, que lesdicts bains sont chaulx par ce
qu'ilz sont issuz par une chauldepisse du bon Pantagruel. Or pour vous dire
comment il guerit de son mal principal ie laisse icy comment pour une minorative il
print quatre quintaulx de Scammonée Colophaniacque, six vingtz & dix huyt
chartées de Casse. Onze mille neuf cens livres de Reubarbe, sans les aultres
barbouillemens. Il vous fault entendre que par le conseil des medecins fut decreté
qu'on osteroit ce que luy faisoit le mal à l'estomach. Et de faict l'on fist xvii. grosses
pommes de cuyvre plus grosses que celle qui est à Romme à l'aiguille de Virgile, en
telle façon qu'on les ouvroit par le meillieu & fermoit à ung ressort. En l'une entra
ung de ses gens portant une lanterne & ung flambeau allumé. Et ainsi l'avalla
Pantagruel comme une petite pillule. En cinq aultres entrerent d'aultres gros varletz
chascun portant ung pic à son col. En troys aultres entrerent troys paysans chascun
ayant une pasle à son col. Es sept aultres entrerent sept porteurs de coustretz
chascun ayant une gourbeille à son col. Et ainsi furent avallées comme pillules. Et
quand furent en l'estomach, chascun desfit son ressort & sortirent de leurs cabanes,
& premier celluy qui portoit la lanterne, & ainsi chercherent plus de demye lieue où
estoient les humeurs corrumpues. Finablement trouverent une montioye d'ordures:
alors les pionniers fraperent sus pour les desrocher & les aultres avecques les pasles
en emplirent les gourbeilles: & quand tout fut bien nettoyé, chascun se retira en sa
pomme. Et ce faict Pantagruel se parforce de rendre sa guorge, & facillement les
mist dehors, & ne monstroient en sa guorge en plus qu'ung pet en la vostre, & là
sortirent hors de leurs pillules ioyeusement. Il me souvenoit quand les Gregeoys
sortirent du cheval en Troye. Et par ce moyen fut guery & reduyt à sa premiere
convalescence. Et de ces pillules d'arain en avez une en Orleans sus le clochier de
l'esglise de saincte Croix.
Or messieurs vous avez ouy ung commencement de l'histoire horrificque de mon
maistre & seigneur Pantagruel. Icy ie feray fin à ce premier livre: car la teste me  
faict ung peu mal, & sens bien que les registres de mon cerveau sont quelque peu
brouillez de ceste purée de Septembre.
Vous aurez le reste de l'histoire à ces foires de Francfort prochainement venantes: &
là vous verrez comment [Panurge fut marié & coqu des le premier moys de ces
nopces, et comment Pantagruel] trouva la pierre philosophalle [et la maniere pour la
trouver, et la maniere d'en user]. Et comment il passa les monts Caspiens, comment
il naviga par la mer Athlanticque & desfit les Caniballes & conquesta les isles de
Perlas. Comment il espousa la fille du roy de Inde dit Prestre Iehan. Comment il
combatit contre les diables, & feist brusler cinq chambres d'enfer [& mit à sac la
grant chambre noire, et getta Proserpine au feu], et rompit iiii. dentz à Lucifer &
une corne au cul. Comment il visita les regions de la lune, pour sçavoir si à la verité
la lune n'estoit pas entiere: mais que les femmes en avoient iii. quartiers en la teste.
Et mille aultres petites ioyeusetez toutes veritables: ce sont beaux textes d'evangilles
en françoys. Bonsoir messieurs, pardonnate my, & ne pensez pas tant à mes faultes
que vous ne pensez bien es vostres.

FINIS

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