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VAN HELMONT Du Secret de la Liqueur immortelle ou Alkaest


Jean-Baptiste van Helmont (1579 – 1644)

Du Secret de la Liqueur immortelle
ou
de l'Alkaest

Van Helmont


D. Qu'est-ce que l'Alkaest ?

R. C'est un Menstrue, ou Dissolvant universel qu'on peut appeler d'un seul mot eau de feu : c'est un être simple et immortel, qui pénètre toutes choses et les résout en leur première matière liquide : rien ne peut résister à sa vertu ; II agit sans réaction de la chose sur laquelle il agit, et ne souffre que son semblable, qui seul le met sous le joug. Après qu'il a dissout toute autre chose, il demeure tout entier à sa première nature, et n'a pas moins de vertu après avoir servi mille fois, qu'il en avait en sa première action.

D. Quelle est sa substance ?

R. Sa substance est un excellent Sel circulé, préparé d'une manière admirable jusqu'à ce qu'il réponde aux désirs d'un subtil Artiste. Car il ne faut pas s'imaginer que ce soit un Sel corporel, tel que, rendu liquide par une simple disso­lution : mais bien un esprit salin que la chaleur ne saurait épaissir par l'évaporation de son humidité : la substance étant spirituelle, uniforme, volatile à une petite chaleur, et ne laissant rien après son évaporation. Ce n'est point un esprit acide ni alcalisé, mais un esprit salin.

D. Qu'est-ce que vous appelez son semblable ?

R. Si vous connaissiez l'une de ces deux choses, l'autre ne vous serait pas longtemps inconnue. Cherchez, les Dieux ne donnent les Arts, qu'en récompense de l'industrie.

D. Quelle est la matière prochaine de l'Alkaest ?

R. Je vous ai dit que c'est un sel. Le feu environne le Sel, et l'eau engloutit le feu sans l'éteindre : et de cette manière se fait le feu des Philosophes dont on a dit vulgus crema per ignem, nos per aquam.

D. Quel est le plus excellent des Sels ?

R. Le voulez-vous apprendre ? Descendez dans vous-mê­mes, et si vous êtes capable de discernement, vous y recon­naîtrez ce Sel et son Vulcan que vous portez partout avec vous.

D. Dites moi je vous prie, ce que vous entendez par là ?

R. J'entends le sang tiré du corps humain ou d'Urine d'homme. Car l'Urine est un excrément séparé du sang, pour la plupart. L'un et l'autre donnent un Sel volatil, et un Sel fixe : si vous les saviez extraire et les préparer, vous auriez un Baume de vie très précieux.

D. Est-ce que l'Urine des hommes a plus de vertu que celle des autres animaux ?

R. Elle en a infiniment davantage. Car quoique l'Urine des hommes ne soit qu'un excrément, son sel néanmoins n'a point de pareil dans toute la nature.

D. Quelles sont les parties de l'Urine ?

R. L'Urine a des parties volatiles, et des parties fixes, et les unes et les autres sont différemment altérées selon la manière qu'on les traite.

D. Est-ce qu'il se trouve dans l'Urine quelque chose qui diffère de son intime et spécifique nature urineuse ?

R. Sans doute, car on y trouve le flegme aqueux, et le Sel marin que nous prenons dans notre nourriture ; ce der­nier demeurant entier et indigeste dans l'Urine en peut être séparée : et si nous sommes quelques temps sans en prendre suffisamment dans nos repas, on cessera d'en trouver dans nos Urines.

D. D'où procède ce flegme ou humidité acqueuse et insipide qui se trouve dans l'Urine ?

R. Il procède principalement des liqueurs que nous bu­vons, outre que tout ce que nous mangeons a aussi son propre flegme.

D. Expliquez-vous plus clairement.

R. Sachez que l'Urine consiste en partie en ce qui est conduit dans la vessie par la vertu séparatrice, conjointe­ment avec ce que nous buvons, et en partie en Lefas aqueux, ou excrément humide séparé de la masse du sang par l'odeur du Ferment urineux : elle pénètre profondément, et la salure demeure inaltérable à moins qu'elle ne devienne la même, avec la salure du sang ; de sorte que tout ce qui est contenu dans l'Urine autre le sel, est un flegme inutile.

D. Comment peut-on connaître qu'il y ait tant de flegme dans l'Urine.

R. On le connaît par le goût de l'Urine, par son poids et par sa vertu.

D. Expliquez-vous vous-mêmes.

R. Le sel d'Urine contient tout ce qui est essentiel à l'Uri­ne : son odeur est aiguë ; son goût est différent selon la différente manière qu'on l'a travaillé ; en sorte que quel­quefois, il semble un sel d'une salure urineuse.

D. Qu'avez-vous observé à l'égard de son poids ?

R. J'ay observé que trois onces d'Urine ou environ prises d'un homme sain, ont pesé presque 80 grains plus qu'un pareil volume d'eau de fontaine : et j'ai vu une Liqueur distillée de cette Urine, qui était de même poids que cette eau de fontaine : d'où il paraît que la plus grande partie du sel était restée au fond du vaisseau après la distillation.

D. Qu'avez-vous observé de sa vertu ?

R. La congélation de l'Urine au froid est une preuve qu'elle contient du flegme. Car le sel d'Urine dissout dans une très petite quantité d'eau, cette eau ne se glace point au froid comme l'Urine.

D. Ce même flegme exactement séparé par distillation, ne laisse pas de conserver la nature de l'Urine, comme il est facile de s'en convaincre ; par l'odeur et par le goût ?

R. Je vous l'avoue, mais le discernement qu'on en peut faire par le goût est bien faible, et celui qu'on en pourrait faire par le goût et par l'odeur ne serait pas plus certain, que celui qu'on ferait de la même manière, de l'eau pure où l'on aurait dissout du sel d'Urine.

D. Que vous peut apprendre la Pyrotecnie au sujet de l'Urine ?

R. Elle nous apprend à volatiliser son sel.

D. Et quand on a tiré de l'Urine ce Sel volatil que reste-t-il ?

R. Il reste des excréments terrestres noirâtres et puants.

D. L'Esprit qu'on tire de l'Urine est-il entièrement uni­forme ?

R. Encore qu'il le paraisse à la vue, à l'odeur et au goût, il possède néanmoins des qualités contraires, qui le rendent différent.

D. Quelles sont ces qualités ?

R. Par l'une de ces qualités cet esprit par une vertu qui lui est propre, coagule 1e Duelech et par une autre il le dissout.     
   
D. Que remarquez-vous encore dans cet Esprit ?

R. J'y remarque un Esprit vineux, qui se manifeste en la coagulation de l'Urine.

D. Se trouve-t-il un Esprit de cette nature dans l'Urine ?

R. Oui, sans doute, et dans toute sorte d'Urine, même dans celle de l'homme le plus sain, et qu'on peut préparer par Art.

D. De quelle efficace est cet Esprit ?

R. Elle est telle, qu'elle est redoutable aux hommes : et ceux qui en ressentent les effets sont bien à plaindre.

D. Pourquoi ?

R. D'autant que le Duelech, notre plus cruel ennemi, en tire son origine.

D. Voudriez-vous nous donner quelque exemple de la production de cet Esprit ?

   R. Fort volontiers. Prenez de l'Urine, dans laquelle vous ferez dissoudre une quantité suffisante de salpêtre : laissez-la reposer un mois et la faites ensuite distiller, il viendra d'abord un Esprit, qui brûle la langue comme un charbon de feu ; reverses cet Esprit sur ce qui sera demeuré au fond du vaisseau en le cohobant quatre ou cinq fois, et n'en tirant  environ que la moitié à chaque distillation : par ce moyen, cet Esprit devient très pénétrant encore qu'il n'ait pas la moindre aigreur : l'ardeur qui paraissait dans la pre­mière distillation s'adoucissant peu à peu par les suivantes, s'éteint à la fin presque entièrement, si elle ne s'éteint pas tout à fait : de sorte que la douceur de ce second Esprit après cette préparation se reconnaît à l'odeur et au goût, qui étaient très-aigus auparavant dans le premier Esprit.

D. Ou'avez-vous remarqué au premier Esprit ?

R. Si on agite ou secoue un peu le vaisseau qui le con­tient, il parait des veines huileuses aux côtés qui coulent de toutes parts de la même manière qu'on en voit à la chape de l'allembic lorsqu'on distille l'Esprit de vin.

D. De quelle putréfaction se doit-on servir, pour tirer de l'Urine cette sorte d'Esprit ?

R. L'Urine se doit corrompre à une chaleur presqu'insensible. Le vaisseau qui la contient doit être légèrement bouché ou plutôt couvert. Il n'importe qu'il soit tantôt plus chaud ou tantôt plus froid ; pourvu que la chaleur et la froideur en soient médiocres.

D. De quelle manière peut-on rendre cet Esprit vineux très manifeste ?

R. On le peut par une putréfaction qui puisse causer un Ferment et exciter une ébullition, ce qui ne sera pas long temps à arriver, si l'Urine est mise dans un vaisseau de bois en un lieu tempéré, comme derrière un fourneau pendant l'Hyver : où elle doit demeurer jusqu'à ce que le Ferment vienne de lui-même dans l'Urine et excite des bulles : et pour lors vous pourrez tirer de cette Urine un Esprit ardent, qu'on peut dire vineux en quelque manière.

D. Se trouve-t-il encore quelque autre Esprit dans l'Uri­ne ?

R. Oui, car l'Urine corrompue en une douce chaleur pendant quinze jours ou environ, rend un Esprit coagulant qui coagule l'Esprit de vin suffisamment rectifie.

D. De quelle manière prépare-t-on l'Esprit qui forme de lui-même le Duelech, d'une eau très-claire : et l'Esprit qui le dissout ?

R. L'Urine ayant été en putréfaction pendant un mois et demi, en une chaleur semblable à la chaleur du fumier de cheval : si vous la distillez dans un vaisseau convenable, elle vous donnera l'un et l'autre Esprit en belle eau claire a votre volonté.

D. L'un et l'autre de ces Esprits coagule-t-il l'Esprit de vin ?

R. Non. Car on a reconnu que le second Esprit d'Urine manque de cette vertu.

D. Que contient encore l'Urine qu'on a traitée en la ma­nière que vous venez de dire, outre ces deux Esprits ?

R. Elle contient son Sel fixe urineux, et outre cela elle contient encore par accident du Sel marin qui lui est étran­ger.

D. Peut-on faire monter son Sel fixe à une médiocre chaleur, et le faire distiller en forme de Liqueur par l'alam­bic ?

R. On le peut, mais par Art, et par une singulière indus­trie.

D. Où est le flegme de l'Urine ?

R. Il réside dans le Sel : car dans la préparation de la putréfaction, le Sel se corrompt et se mêle dans le flegme, et l'un et l'autre étant confondus, montent ensemble lors de la distillation.

D. Ne peut-on pas l'en séparer ?

R. On le peut : mais tous les Artistes n'en sont pas capables.

D. Que fera cet Esprit quand on l'aura préparé en la manière que vous venez de la dire ?
R. Essayez, et vous admirerez sa vertu à dissoudre les corps.

D. N'est-ce pas l'Alkaest ?

R. L'Alkaest ne se peut faire sans la participation de la vertu du sang humain, et dans l'Urine on en remarque quel­ques traces.

D. C'est donc dans l'Urine et dans le Sang que réside l'Alkaest.

R. La Nature nous donne bien l'Urine et le Sang : mais la Pyrotecnie nous produit un Sel de la nature de ces deux choses, que l'Art circule en Sel circulé de Paracelse.

D. Vous dites trop peu de choses pour qu'on vous enten­de ?

R. J'ajouterai seulement que le Sel du Sang doit être tellement changé par le Ferment urineux, qu'il perde sa dernière vie et ne conserve que sa vie moyenne et sa salure.

D. A quel dessein ?

R. Pour faire connaître l'excellence du Sang humain sur tout autre sang, laquelle doit être communiquée à l'Urine d'homme après qu'on l'a séparée de ses excréments : ce qui la fait surpasser, après cela, toute autre Urine à cause de ses surprenantes vertus.

D. Pourquoi ajoutez-vous l'Urine pour cette production ?

R. Sachez que pour changer les choses on a besoin d'un Ferment corrompant ; et qu'entre les Sels il n'y en a point qui ait cette vertu plus avantageusement que le Sel puant d'urine.

D. Ne peut-on pas séparer de l'Urine, le flegme et Sel chacun à part ?

R. On le peut, pourvu que l'Urine ne soit pas encore corrompue.

D. Quelle quantité de flegme peut-on estimer que con­tienne l'Urine ?

R. De dix parties d'Urine nouvellement rendue, on en séparera environ neuf parties par distillation, qu'on rejet­tera comme flegme inutile. De la dixième partie restante on en tirera par la même voix, tout ce qu'on pourra de liqueur et on la gardera à part. Des restes de l'Urine desséchée qui se trouveront au fond du vaisseau, et qui n'auront pu monter à feu médiocre, on en tirera le Sel avec environ autant d'eau commune que montait la moitié de l'Urine qui a produit ces restes. Cette eau s'étant chargée de ce qu'elle aura pu prendre de Sel, sera versée par inclination, puis filtrée par défaillance et par l'entonnoir de verre, afin de la mieux purifier : puis reversant de nouvelle eau dessus, on réitérera ce travail jusque à ce que le Sel soit très-pur. Vous joindrez ensuite ce Sel puant avec le dernier Esprit que vous aurez mis à part, et cohoberez.

Le Nom du Seigneur soit béni. Amen.