LA SOMME DE LA PERFECTION
ou l’abrégé du magistère parfait de
GEBER
Philosophe arabe
Auteur : Apocryphe latin du XIIIe siècle signé GEBER, philosophe arabe.
Traduit en français au XVIIe S.
Rien n’indique qu’il s’agisse d’une transcription
de l’œuvre du philosophe arabe DJÂBER - VIII - IXe S. .
DIVISÉ EN DEUX LIVRES.
LIVRE PREMIER
AVANT PROPOS ET CHAPITRE I
De la manière d’enseigner l’Art de Chimie, et de ceux qui sont capables de l’apprendre.
J‘ai réduit brièvement en cette Somme de la Perfection toute la Science de Chimie, ou de la Transmutation des Métaux. Dans mes autres Livres, j’en avais fait plusieurs Recueils que j’avais tirés et abrégés des Ecrits des Anciens : mais en celui-ci j’ai achevé ce que je n’avais qu’ébauché en ceux-là. J’y ai ajouté en peu de paroles ce que j’avais omis dans les autres ; j’y ai mis tout au long ce que je n’avais dit ailleurs qu’imparfaitement, et j’y ai déclaré entièrement et aux mêmes endroits ce que j’avais celé dans mes autres Œuvres. Et je l’ai fait afin de découvrir aux personnes intelligentes et sages l’accomplissement et la perfection d’une si excellente et si noble partie de la Philosophie. Ainsi, ô mon cher Fils ! Je puis t’assurer avec vérité que dans les Chapitres généraux de ce Livre, j’ai mis suffisamment le Procédé de cet Art tout entier et sans nulle diminution. Et je proteste devant Dieu, que quiconque travaillera comme ce Livre enseigne de le faire, aura la satisfaction d’avoir trouvé la véritable fin de cet Art, et d’y arriver. Mais, mon Cher, je t’avertis aussi que celui qui ignorera les Principes naturels de la Philosophie, est fort éloigné de cette Connaissance, parce que le véritable fondement, sur lequel il doit appuyer son dessein, lui manque ; comme au contraire en est bien près celui qui connaît déjà les Principes naturels des Minéraux. Ce n’est pas que pour cela il ait encore la véritable racine, ni la fin profitable de cet Art très caché : mais ayant plus de facilité à en découvrir les Principes que celui qui forme quelque projet de notre Œuvre sans en connaître la voie ni la manière, il est aussi moins éloigné que lui de l’entrée de cette Science. Mais que celui qui connaîtra tous les Principes de la Nature, quelles sont les Causes des Minéraux, et de quelle manière la Nature les forme, il n’y a que fort peu à dire qu’il ne sache l’Œuvre toute entière, quoique sans ce peu là qui lui manque, il soit absolument impossible de faire notre Magistère. Parce que l’Art ne peut pas imiter la Nature en toutes ses Opérations, mais il l’imite seulement autant qu’il lui est possible. Et c’est ici un Secret que je te révèle, mon Fils, qui est que ceux qui recherchent cet Art, et les Artistes même, manquent tous en ce qu’ils prétendent imiter la Nature en toute l’étendue et en toutes les différences et les propriétés de son action. Applique-toi donc soigneusement à étudier nos Livres, et attache-toi surtout à celui-ci. Considère et médite mes paroles attentivement et très souvent, afin que t’étant rendu familière notre manière de parler, et entendant notre idiome ou langage particulier, tu puisses pénétrer dans notre véritable intention et la découvrir. Car tu trouveras dans les Livres sur quoi faire un Projet assuré de ce que tu cherches ; tu y apprendras à éviter toutes les erreurs, et par ce même moyen tu sauras en quoi tu peux imiter la Nature dans l’artifice de notre Œuvre.
CHAPITRE II
Division de ce Livre en quatre Parties.
Voici l’ordre que je tiendrai en ce livre : Premièrement, je parlerai succinctement des obstacles qui peuvent empêcher l’Artiste de réussir et de parvenir à la fin véritable (de l’Art). A quoi j’ajouterai les qualités que doit avoir celui veut s’y appliquer. Secondement, je convaincrai les Ignorants et les Sophistes, lesquels, à cause qu’ils ne peuvent comprendre cet Art, et que par toutes les recherches qu’ils en font, ils n’en retirent jamais l’avantage ni le profit qu’ils s’étaient proposés, prétendent en détruire la vérité, en soutenant que ce n’est rien du tout. Pour cet effet, je rapporterai premièrement toutes leurs raisons, que je détruirai si évidemment qu’il n’y a personne de bon sens qui ne voie que tout ce qu’ils allèguent contre, n’a ni en tout, ni en partie, nulle apparence de vérité. Troisièmement, je traiterai des Principes naturels, c’est-à-dire des Principes dont la Nature sert à faire ses productions ; j’expliquerai la manière dont ils se mêlent ensemble dans les Mixtes, selon qu’il se connaît par les Ouvrages de la Nature ; et je parlerai de leurs Effets suivant l’opinion des Anciens Philosophes. En quatrième et dernier lieu, je déclarerai quels sont les Principes que l’on doit employer pour la Composition de notre Magistère, en quoi nous pouvons imiter la Nature, et la manière de mêler et d’altérer ces Principes selon le cours et la manière d’agir ordinaire de la Nature ; avec leurs Causes et les Expériences manifestes qu’on en peut faire, afin de donner moyen à l’Artiste industrieux d’appliquer ces choses, et de s’en servir à l’usage de notre Œuvre.
PREMIÈRE PARTIE DU PREMIER LIVRE
Des empêchements à cet Art.
CHAPITRE III
Division des empêchements.
Ces empêchements en général viennent, ou de l’impuissance naturelle de l’Artiste, ou de ce qu’il n’a pas le moyen de faire la dépense nécessaire, ou de ce qu’il n’y peut vaquer à cause de ses autres occupations. A l’égard de l’impuissance naturelle de l’Artiste, elle vient, ou de ses organes, qui sont ou faibles, ou tout à fait corrompus; ou elle vient de son esprit qui ne peut agir librement, soit par la mauvaise disposition des mêmes organes, qui sont ou pervertis, ou gâtés, comme je l’ai dit, ainsi qu’il se voit aux Fous et Insensés; soit parce que l’Esprit est plein de fantaisies, et qu’il passe facilement d’une opinion à une autre toute contraire; soit enfin qu’il ne sache ce qu’il veut précisément, ni à quoi se devoir déterminer
CHAPITRE IV
Des Empêchements à l’Œuvre, qui peuvent venir de la mauvaise disposition du Corps de l’artiste
Voilà en gros quels sont les Empêchements à cet Œuvre. Nous allons maintenant les examiner en détail, et l’un après l’autre. Je dis donc que l’Artiste ne pourra jamais faire notre Œuvre, s’il n’a ses organes entiers et sains : par exemple, s’il est aveugle, ou s’il est estropié des mains et des pieds ; parce que devant être le Ministre de la Nature, il ne pourra pas s’en aider pour faire les travaux nécessaires, et sans lesquels l’Œuvre ne peut être parfaite. Il en sera de même, s’il a le Corps infirme ou malade, comme ceux qui ont la fièvre, ou qui sont ladres, à qui les membres tombent par pièces ; s’il est dans la décrépitude, et dans une extrême vieillesse : car il est certain qu’un Homme qui aura quelques-unes de ces imperfections ne pourra de lui-même, (et travaillant seul), faire l’Œuvre, ni la conduire à sa dernière perfection.
CHAPITRE V
Des Empêchements qui viennent de l’esprit.
Ce sont là les Empêchements que l’Artiste peut avoir de la part du Corps. Ceux qui peuvent lui survenir du côté de l’Esprit sont encore plus considérables et plus nuisibles à l’accomplissent de l’Œuvre. Les voici. Un Homme, qui n’a pas l’esprit naturellement assez bon pour rechercher subtilement les Principes naturels, et pour découvrir quels sont les fondements de la Nature, et les artifices par lesquels on peut imiter cette grande Ouvrière dans ses Opérations, celui-là ne trouvera jamais. La véritable racine, ni le commencement de cet Art très précieux. Car il y en a beaucoup qui ont la tête dure, qui n’ont pas l’Esprit de faire aucune recherche, qui ont de la peine à concevoir ce qu’on leur dit le plus clairement, et dans les termes les plus intelligibles et les plus usités ; et qui ne sauraient qu’avec difficulté comprendre les ouvrages qui se font ordinairement devant leurs yeux. Il y en a d’autres qui conçoivent aisément tout ce qu’ils veulent, et qui, à cause de cette facilité qu’ils ont, croyant bien souvent avoir découvert la vérité, ils se heurtent opiniâtrement à leur sens, quoique ce qu’ils s’imaginent ne soit qu’une fantaisie vaine, absurde, et tout à fait éloignés de la raison ; parce qu’elle n’a aucune conformité avec les Principes naturels. Cela vient de ce que ces Gens-là, ayant la tête remplie d’imaginations et de vapeurs, sont incapables de recevoir les impressions et les véritables notions des choses naturelles. Il y en a aussi qui n’ont pas l’esprit ferme ni arrêté, qui passent facilement d’une opinion et d’un dessein à un autre ; qui croient parfois une chose comme certaine, et qui s’y attachent sans nulle raison ; puis ils changent aussitôt de sentiment et de volonté, avec aussi peu de fondement. Et comme ils ont l’esprit volage, ils entreprennent plusieurs ouvrages qu’ils ne font seulement qu’ébaucher, sans en achever jamais aucun. Il y en a d’autres, stupides comme des Bêtes, qui ne sauraient comprendre aucune vérité en ce qui concerne les choses naturelles ; comme sont les Fous, les Imbéciles et les Enfants. D’autres ont simplement du mépris pour notre Science, ne pouvant croire qu’elle soit Possible ; et ceux-là, la Science les méprise tout de même, et elle les éloigne d’elle, comme indignes d’arriver jamais à l’accomplissement d’une Œuvre si précieuse Enfin il y en a qui sont Avares et Esclaves de leur argent. Ceux-là voudraient bien trouver notre Art, ils sont persuadés qu’il est véritable, et ils le cherchent même par raisonnement ; mais ils craignent la dépense, et leur avarice est cause qu’ils ne font rien. Tous ces Gens-là ne sauront jamais notre Œuvre. Car comment ceux qui l’ignorent, ou qui ne se soucient pas de la chercher, pourraient-ils en avoir la connaissance?
CHAPITRE VI
Des Empêchements extérieurs.
Après avoir parlé dans les deux chapitres précédents de tous les Obstacles Subvenant des deux parties essentielles de 1’homme, qui peuvent l’empêcher de réussir en cette Œuvre, il nous reste à dire un mot des Empêchements qui, lui survenant de dehors, peuvent tout de même rendre son dessein inutile. Il y a des Gens spirituels et adroits, qui ne sont pas même ignorants dans les Ouvrages de la nature, qui la suivent et l’imitent en ses principes, et en toutes ses Opérations, autant qu’on le peut faire ; et qui outre cela, ont l’imagination assez forte pour pénétrer dans toutes les choses qui se font régulièrement ici-bas par les actions de la Nature. Et cependant ces Gens-là, avec toutes ces lumières et tous ces avantages, sont contraints d’abandonner le Magistère, tout admirable qu’il est, et ils ne sauraient y travailler, pour être dans la dernière nécessité, et ne pouvoir faire la moindre dépense. Il s’en trouve d’autres qui ont de la curiosité pour cette Science ; mais soit parce qu’ils sont ou embarrassés dans les vanités du monde, ou occupés dans lés grands emplois, ou accablés de soins ; soit parce qu’ils se donnent entièrement aux affaires de la vie, notre Science les fuit et s’éloigne d’eux. Voilà tous les Obstacles qui empêchent les Hommes de réussir dans notre Art.
CHAPITRE VII
Conclusion de cette première Partie. Quel doit être l’artiste.
On voit par les choses que nous venons de dire, que celui qui se veut appliquer à notre Œuvre doit avoir plusieurs qualités. Premièrement, il doit être savant et consommé dans la Philosophie naturelle. Car quoiqu’il fût riche, qu’il eût bien de l’esprit et beaucoup d’inclination pour notre Art, il ne le saura jamais, n’ayant pas étudié ni appris la Philosophie naturelle : parce que cette Science lui donnera des lumières et des ouvertures que son esprit, quelque vif qu’il soit, ne lui saurait suggérer. Et ainsi l’étude réparera le défaut de l’intelligence naturelle. En second lieu, il faut que l’Artiste ait naturellement un esprit vif, pénétrant et industrieux, parce que quand il posséderait toutes les Sciences, si naturellement il n’a de l’industrie et de l’adresse, il ne sera jamais Philosophe. Car venant à faillir dans son travail, il y remédiera sur l’heure par son industrie ; ce qu’il ne ferait pas, si, pour corriger sa faute, il n’avait nulle autre aide que sa Science toute seule. Comme par la Science, qu’il aura acquise, il lui sera pareillement facile d’éviter beaucoup de fautes, où il pourrait tomber sans elle, et s’il n’avait que sa seule industrie pour l’en garantir. Parce que l’Art et l’Esprit s’entraident mutuellement, et suppléent au défaut l’un de l’autre. Il est encore nécessaire que notre Artiste soit ferme et résolu dans ce qu’il aura entrepris, et qu’il ne s’amuse pas à changer incessamment, en faisant tantôt un essai et tantôt un autre. Etant très certain que notre Art ne consiste point en la pluralité des choses. Et ce n’est point assurément en cela que gît sa perfection. Car il n’y a qu’une seule Pierre, qu’une seule Médecine, et qu’une seule Cuisson : Et c’est en cela uniquement que consiste tout notre Magistère, auquel nous n’ajoutons aucune chose étrangère, et nous n’en diminuons rien aussi, si ce n’est que dans la préparation que nous lui donnons, nous en ôtons ce qui est d’inutile et de superflu.
Une des choses qui est encore fort nécessaire à l’Artiste, c’est qu’il doit s’attacher soigneusement à son travail, jusqu’à ce qu’il l’ait entièrement achevé ; et il ne doit point l’abandonner à moitié fait, autrement son Ouvrage, ainsi imparfait, au lieu de lui donner du profit et de l’instruction, ne lui causerait que du dommage et du désespoir.
Il est encore nécessaire qu’un Artiste connaisse les Principes et les Racines principales, et qui sont de l’essence de notre Œuvre. Car celui qui ne saura par où il faut le commencer, n’en trouvera jamais la fin. C’est pourquoi je te parlerai bien au long de tous ces Principes en ce Livre, et ce que j’en dirai sera assez clair et intelligible aux Sages et aux Avisés, et suffira pour leur donner l’intelligible de notre Art.
Il faut, de plus, que l’Artiste soit modéré, et qu’il ne soit pas sujet à s’emporter, de peur que venant à se dépiter, il ne gâtât, dans son emportement, l’ouvrage qu’il aurait commencé.
Il ne lui est pas moins nécessaire de conserver et d’épargner son argent, qu’il ne doit pas dissiper en de folles dépenses, et mal à propos, sur la vaine confiance du succès de son Ouvrage, de crainte que s’il ne réussisse pas il ne tombât dans la nécessité et dans le désespoir ; ou que peut-être, lorsque par son industrie et par son raisonnement il approcherait de la vérité, et qu’il l’aurait presque découverte, il n’ait pas de quoi la mettre en exécution, pour s’être inconsidérément épuisé. Il en est de même de ceux qui ne sachant rien, lorsqu’ils commencent de s’appliquer à cet Art, font des dépenses excessives et se ruinent en mille choses inutiles. Car s’ils viennent ensuite à découvrir la vérité, et la véritable voie qu’il faut tenir, ils n’ont pas de quoi pouvoir travailler. Ce qui les afflige en deux manières ; et parce qu’ils ont inutilement dépensé leur argent, et qu’ils ont perdu le moyen d’acquérir facilement et bientôt une Science si admirable. Cette Science n’est donc pas pour les Pauvres ni pour les Misérables ; au contraire elle est leur Ennemie, et leur est entièrement opposée.
Mais je t’avertis qu’il n’est point nécessaire que tu dépenses ton bien à cette recherche Car je t’assure que si tu sais une fois les Principes de cet Art, et que tu comprennes bien ce que je t’enseignerai, tu parviendras à l’entière perfection de l’Œuvre sans qu’il t’en coûte guère, et sans que tu sois obligé à faire aucune dépense considérable en tout ton travail. Après cela, si tu perds ton argent pour avoir méprisé de suivre les avis et les enseignements que je te donne dans ce Livre, tu auras tort de me maudire et de t’en prendre à moi, de ce que tu devras n’imputer qu’à ton ignorance et à ta sotte présomption.
Voici un autre avis fort important que j’ai encore à te donner. Ne t’amuse point aux Sophistications qu’on peut faire en cet Art ; mais applique-toi uniquement à la seule perfection. Car notre Art ne dépend que de Dieu seul, qui le donne et qui l’ôte à qui lui plaît. Et comme il est tout puissant et infiniment adorable, et juste autant que miséricordieux, il te punirait infailliblement des tromperies que tu ferais par tes Ouvrages sophistiques. Et non seulement il ne permettrait pas que tu eusses la connaissance de notre Art, mais il t’aveuglerait et te ferait tomber de plus dans l’erreur, et de l’erreur il te plongerait dans la misère et dans le malheur, d’où tu ne sortirais jamais. Et certes il n’est rien de si misérable et de si malheureux qu’un Homme à qui Dieu refuse la grâce de pouvoir connaître et de voir la vérité, et de savoir s’il a bien ou mal fait, après avoir longtemps travaillé, et avoir poussé son Ouvrage jusqu’à la fin parce qu’il demeure toujours dans l’erreur. Et quoiqu’il travaille incessamment, il ne sort jamais de la misère et du malheur où il est ; et perdant ainsi la plus grande consolation et la plus grande joie qu’on puisse avoir en ce Monde, il passe toute sa vie dans la pauvreté et dans l’affliction, sans avoir de quoi se survenir ni se pouvoir consoler.
Au reste, lorsque tu travailleras, prend bien garde à tous les signes qui paraissent en chaque Opération ou Cuisson ; retiens les soigneusement en ta mémoire, et tâche d’en découvrir la Cause, en étudiant attentivement les Livres de cette Science.
Ce sont là les qualités nécessaires à un véritable Artiste. Que s’il lui en manque quelqu’une, je lui conseille de ne se point appliquer à notre Art.
Fin de la première partie du premier livre
SECONDE PARTIE DU PREMIER LIVRE
Où sont rapportées et réfutées les Raisons de ceux qui nient l’Art de Chimie.
CHAPITRE VIII
Division de ce qui sera contenu en cette seconde Partie.
Ayant traité dans la première Partie de ce Livre de ce qui peut empêcher de réussir en notre Art ; et ayant suffisamment parlé des qualités que doit avoir celui qui s’y veut appliquer, suivant l’ordre que nous nous sommes proposés, il faut maintenant examiner ce que les Sophistes et les Ignorants ont à dire contre la possibilité de notre Science. Voyons donc premièrement quelles sont leurs raisons, et nous les réfuterons ensuite, faisant voir clairement aux Personnes intelligentes qu’elles n’ont rien de solide ni de véritable.
CHAPITRE IX
Raisons de ceux qui nient simplement l’art.
Il y a de deux sortes de Gens qui nient notre Art, et qui tâchent de le détruire. Les uns le nient absolument, et les autres ne le nient que sur diverses suppositions qu’ils font. Voici comment raisonnent les premiers.
1. Toutes les choses, disent-ils, sont distinguées en plusieurs Espèces différentes. Et cela vient de ce que dans la composition des Mixtes les Eléments ne sont pas mêlés ni unis en même proportion en tous. Ainsi, ce qui fait qu’un Cheval est d’une espèce différente que celle d’un homme, c’est que la proportion des Eléments est toute autre dans la composition d’un Cheval que dans celle d’un Homme. Il en est généralement de même des autres différences qui se remarquent en toutes choses, et il en est par conséquent de même dans les Minéraux. Car le mélange et la proportion des Eléments dans les Mixtes est ce qui leur donne la forme et la perfection ; et par ainsi c’est ce qui en fait la différence d’avec les autres choses. Or il est certain que cette proportion nous est entièrement inconnue. Comment donc pouvoir former un Mixte, et en faire le mélange et la composition ? Que s’il est vrai, comme il l’est en effet, que nous ignorions quelle est la véritable proportion des Eléments dans l’Or et dans l’Argent, il s’ensuit nécessairement de là que nous ne saurons jamais comment il les faut former. Et partant, concluent-ils, l’Art que vous dites, qui fait l’Or et l’Argent, est inutile et impossible.
2. D’ailleurs, quand on connaîtrait même exactement la véritable proportion des Eléments, et combien il entre de chacun d’eux dans la Composition de l’Or et de l’Argent, on ne saurait pas pour cela la manière de bien mêler et unir ces mêmes Eléments ensemble pour en faire ces deux Métaux ; parce que la Nature ne les formant que dans les Mines, qui sont cachées dans le profond de la Terre, on ne la voit point travailler Ne sachant donc de quelle manière se fait le mélange des Eléments, dans la composition de l’Or et de l’Argent, il est certain, par conséquent, qu’on ne les saurait faire.
3. Mais supposé qu’on sût au juste, et la proportion des Eléments, et la manière de les mêler, il ne s’ensuivrait pas qu’en faisant leur mélange, on pût bien proportionner la chaleur, qui est l’Agent par le moyen duquel le Mixte se fait tel qu’il est, et est rendu parfait. Car pour former les Métaux, la Nature se sert pour chacun d’eux d’un certain degré de chaleur qui nous est inconnu. Comme nous ne connaissons point non plus toutes les autres différentes Causes efficientes, sans le concours desquelles la Nature ne saurait produire ni achever ses Ouvrages. Et partant, puisque toutes ces choses nous sont inconnues, il s’ensuit évidemment que nous devons aussi ignorer la manière de faire le Magistère.
4. Outre ces raisons qu’ils allèguent, ils se servent encore de l’expérience. Car ils disent premièrement que depuis plus de mille ans en ça, on sait que plusieurs Personnes fort sages se sont appliquées à la recherche de cette Science ; de sorte que si on l’eût pu faire par quelque manière que ce fût, il est sans doute que depuis un si longtemps, elle devrait avoir été faite plus de mille fois ; cependant on n’en a jamais ouï parler. Ils disent secondement qu’il y a plusieurs Princes et plusieurs Rois qui ne manquaient ni de richesses ni d’Hommes fort savants et forts éclairés, lesquels ont souhaité passionnément de trouver cet Art, qui ne l’ont pourtant jamais trouvé, quelque étude et quelque dépense qu’ils aient faite pour cela. Ce qui est une preuve convaincante que ce n’est qu’une pure imagination.
5. De plus, les Philosophes qui ont fait semblant d’enseigner cette Science dans leurs Livres ne l’ont pourtant point enseignée, et on n’y a jamais pu découvrir cette vérité. Ce qui fait voir évidemment que cette Science n’est rien du tout.
6. Voici une autre de leurs raisons. Nous ne saurions imiter la Nature dans les Compositions les plus faibles et les plus aisées à détruire. Par exemple, nous ne saurions faire un Cheval, ni quelque autre Mixte semblable, quoiqu’ils soient d’une Composition très faible, et qui est presque sensible. Donc à plus forte raison nous en saurions faire la mixtion des deux Métaux, laquelle est très forte ; comme il se voit par la grande difficulté qu’il y a de les résoudre, et de les réduire en leurs propres Eléments et en leurs premiers Principes. Outre que nous ne saurions même connaître leur mixtion, ni par nos sens, ni par aucune épreuve.
7. On ne voit point, disent-ils, qu’une Espèce se change en une autre, ni qu’elle puisse y être réduite par aucun artifice. Par exemple, que d’un Bœuf il s’en fasse une Chèvre. Comment donc pouvoir changer les uns en les autres les Métaux qui sont de différente espèce entre eux, et du Plomb en faire de l’Argent ? C’est une chose qui paraît ridicule et qui est tout à fait éloignée de la vérité, fondée sur les Principes même de la Nature.
8. Ils disent de plus : Il est certain que la Nature emploie mille ans à purifier les Métaux imparfaits, et à leur donner la perfection de l’Or. Comment donc un Homme, qui pour l’ordinaire ne vit pas cent ans, pourra-t-il vivre assez de temps pour transmuer en Or les Métaux, imparfaits, puisqu’il lui faudrait mille ans pour le faire ? Que si on voulait dire que les Philosophes achèvent en peu de temps, par leur Art, ce que la Nature ne fait qu’en un grand nombre d’années, parce qu’en beaucoup de choses l’Art supplée au manquement de la Nature. Ils répondent que cela ne se peut point faire, surtout dans les Métaux ; parce que les Métaux n’étant faits que de vapeurs très subtiles, et par ainsi n’ayant besoin, pour leur cuisson, que d’une chaleur tempérée, qui épaississe également en eux-mêmes leur humidité particulière, afin qu’elle ne s’enfuie ni ne les quitte point, par quelque chaleur que ce soit, et qu’ils ne demeurent pas privés de cette humidité, qui n’est autre chose que le Mercure *, qui leur donne la malléabilité et l’extension, il est certain que si par artifice on veut abréger le temps que la Nature met à faire la cuisson des Minéraux, et des Corps métalliques, cela ne se pourra faire qu’en se servant d’une chaleur plus forte que celle dont la Nature se sert. Et ainsi cette chaleur excessive, au lieu d’épaissir également le Mercure, qui est l’humidité métallique, elle le dissoudra et le dissipera en le faisant sortir de la composition. Car c’est une Maxime assurée, qu’il n’y a que la chaleur douce et modérée qui puisse épaissir l’humidité (Mercurielle) et lui faire prendre Corps, ni qui en fasse une parfaite mixtion ; et que la chaleur trop violente la détruit.
9. Ils font encore une autre objection. L’Etre et la perfection des choses vient, disent-ils, des Astres, comme étant les premières Causes qui, dans les Corps sublunaires, influent la Forme et la perfection, et qui impriment dans la Matière le mouvement qui tend à la génération et à la production, pour produire ou pour détruire les Individus des Espèces. Or cela se fait tout à coup et dans un instant, (lorsqu’un seul ou plusieurs Astres, par leur mouvement régulier, sont arrivés dans le Firmament à un certain point fixe et déterminé, duquel vient l’Etre ou la forme et la perfection.) Car toutes les choses d’ici-bas reçoivent dans un moment leur Forme et leur Etre d’une certaine position des Astres. Et comme il y a plusieurs de ces positions, et non pas une seule, et qui toutes sont différentes les unes des autres, de même que leurs Effets sont aussi différents entre eux, il n’est pas possible que l’on puisse remarquer ni distinguer exactement une telle diversité, et une si grande différence de positions ; parce qu’y en ayant une infinité, elles nous sont inconnues. Quelle apparence donc qu’un Philosophe supplée et répare en son Œuvre le défaut qui y arrivera, pour ne pas connaître la différence des diverses positions où les Astres se trouvent successivement par leur mouvement continuel Mais supposons qu’un Philosophe connaisse même certainement quelle est la véritable position d’une ou de plusieurs Etoiles qui donne la perfection aux métaux ; il ne fera pas encore pour cela ce qu’il prétend. Car l’artifice ne saurait en un instant préparer ni disposer quelque Matière que ce puisse être à recevoir une forme. Parce que la disposition, que l’on donne à la Matière, est un mouvement qui ne se peut faire que successivement et peu à peu. Et partant, les Astres influant la Forme en un instant, et l’Artiste ne pouvant en un instant disposer la Matière à la recevoir, il est certain que la Matière, sur laquelle on prétend introduire la Forme de l’Or, ne la recevra jamais.
10. Enfin, nous voyons, disent-ils, que régulièrement dans les choses naturelles, il est bien plus facile de détruire une chose que de la faire. Or il est constant que c’est une chose très difficile que de détruire l’Or : Comment donc prétendre de le faire ?
C’est par ces raisons, et par quelques autres, qui n’ont pas plus d’apparence, que ceux qui nient simplement notre Art, prétendent en faire voir l’impossibilité. Mais toutes ces raisons ne sont que des Sophismes, que je réfuterai après avoir premièrement établi la vraie intention pour l’accomplissement de notre Œuvre. Après quoi je rapporterai et réfuterai aussi les raisons de ceux qui nient cet Art sous quelques conditions.
CHAPITRE X
Que l’Art ne doit et ne peut pas même imiter exactement la Nature en toute l’étendue de ses différentes actions ; où il est parlé des Principes des Métaux.
Avant de répondre à toutes ces questions, il faut remarquer les Principes qui servent de Matière et de fondement à la Nature pour former les Métaux, et qui selon quelques Philosophes sont le Soufre et l’Argent-Vif, ont une composition et une union très forte et resserrée par ensemble. Et de là vient qu’il est fort difficile de dissoudre et de définir ces Principes. Parce que ces deux Matières étant mêlées, elles ne s’épaississent et ne s’endurcissent ensemble autant qu’il est nécessaire pour être rendues malléables, (c’est-à-dire pour pouvoir être étendues sous le marteau) sans se casser, sans se désunir, qu’à cause que leur mélange et leur digestion ne se faisant dans les Mines que peu à peu, que successivement et durant un long temps, par une chaleur fort douce et fort modéré qui les épaissit ; il ne se perd et ne s’exhale rien de leur humidité visqueuse.
Mais il faut tenir pour une Maxime générale et assurée : Premièrement, que nulle Matière humide ne peut s’épaissir qu’auparavant ses plus subtiles parties ne s’évaporent et que les plus grossières ne demeurent, si dans la Composition il y a plus d’Humide que de Sec. Secondement, que le véritable et l’exact mélange du Sec et de l’Humide consiste en ce que l’Humide soit tempéré par le Sec, et le Sec par l’Humide ; et que des deux il se fasse une seule Substance, laquelle soit homogène en toutes ses parties, qui soit tempérée entre le dur et le mou, et qui puisse s’étendre sous le marteau. Ce qui n’arrive que par le mélange, qui se fait durant un long temps, de l’Humide gluant et visqueux, et d’une Terre très subtile, qui se mêlent ensemble exactement par leurs moindres parties, jusqu’à ce que l’Humide soit la même chose que le Sec, et le Sec le même que l’Humide. Or cette Substance subtile, que nous avons dit qui devait s’exhaler de l’Humide ne se résout et ne s’évapore pas tout à coup ; mais cela se fait lentement et peu à peu, et en plusieurs milliers d’années ; parce que la Substance des Principes dont la Nature se sert est homogène et toute uniforme ; c’est-à-dire entièrement semblable. Si donc cette Substance subtile s’exhalait soudainement, comme l’Humide n’est pas une chose différente du Sec (puisqu’à cause de leur mélange si exact, ils ne sont tous deux qu’une même chose) il est sans doute que l’Humide ne pourrait s’exhaler qu’avec le Sec : et par ainsi tout s’en irait en fumée ; et dans la résolution qui se ferait de l’Humide, il ne pourrait point être détaché ni séparé du Sec, étant si fortement unis l’un avec l’autre. Nous en avons une expérience convaincante dans la Sublimation des Esprits. Car ces Esprits venant à se résoudre soudainement par la Sublimation, (c’est-à-dire une partie de ces Esprits, qui s’élèvent dans le Vaisseau, se détachant de l’autre qui demeure au fond) l’Humide n’est point séparé du Sec, ni le Sec de l’Humide, en sorte qu’ils soient divisés entièrement dans les parties dont ils sont faits, c’est-à-dire séparés dans leurs premiers Principes ; mais leur Substance monte toute entière, ou s’il se fait quelque dissolution de leurs parties, ce n’est que bien peu. Il est donc vrai que ce qui fait épaissir les Métaux, (ou leur Matière), c’est l’évaporation qui se fait successivement et également de l’Humide subtil et vaporeux. Or nous ne pouvons point faire cet épaississement de la manière que la Nature le fait ; et par conséquent nous ne saurions imiter la Nature en cela. Aussi il ne nous est pas possible de l’imiter en toutes les différences de ses propriétés : comme nous l’avons dit dans l’avant-propos de ce Livre. Nous ne prétendons donc pas imiter la Nature à l’égard de ses Principes, ni dans la proportion qu’elle garde lorsqu’elle mêle les Eléments, ni dans la manière dont elle les mêle les uns avec les autres, ni dans l’égalité de la chaleur par laquelle elle épaissit et corporifie les Métaux, d’autant que ce sont des choses qui toutes nous sont impossibles, et qui nous sont absolument inconnues. Cela étant présupposé, nous allons maintenant réfuter les raisons de ceux qui, par leur ignorance, nient un Art si excellent.
CHAPITRE XI
Réfutation des Raisons de ceux qui nient l’Art absolument.
Quand ils disent donc que nous ignorons la proportion des Eléments, que nous ne savons pas de quelle manière ils sont mêlés, que nous ne connaissons point au juste le degré de la chaleur qui épaissit et corporifie les Métaux, et que plusieurs autres causes, aussi bien que les accidents que la Nature produit par ses actions, nous sont inconnues : nous en demeurons d’accord. Mais il ne s’ensuit pas pour cela que notre Science soit impossible. Car si nous ne pouvons pas savoir toutes ces choses, nous ne nous soucions pas aussi de les savoir ; puisque la connaissance que nous en aurions ne pourrait de rien servir à notre Œuvre : et que pour la faire, nous nous servons d’un autre Principe et d’une autre manière de produire les Métaux ; en quoi nous pouvons imiter la Nature.
A ce qu’ils nous objectent que les Philosophes et les Rois ont recherché cette Science inutilement, je réponds en un mot que cela n’est point vrai ; parce qu’il est certain qu’il y a eu des Rois (quoique fort peu), surtout parmi les Anciens, qui l’ont sue, et que de notre temps, même, s’il y a des Personnes sages qui l’ont trouvée par leur seule industrie. Mais ils n’ont point voulu la révéler ni de vive voix, ni par écrit à ces sortes de Gens, comme en étant indignes. De sorte que ces Gens-là, n’ayant jamais connu personne qui la sût, se sont imaginés faussement que personne ne l’a jamais sue.
Pour ce qui est de ce qu’ils disent avec aussi peu de raison que, ne pouvant imiter la Nature dans les plus faibles mixtions qu’elle fait des Eléments, comme dans la composition d’un Ane et d’un Bœuf, il s’ensuit que nous pouvons encore moins l’imiter dans les mixtions qui sont plus fortes (telles que sont celles de Métaux), il est aisé de leur faire voir qu’ils se trompent lourdement en plusieurs choses : Car premièrement leur raisonnement n’étant fondé que sur une comparaison qu’ils font, ou sur une conséquence qu’ils tirent du plus au moins. Cette conséquence n’est pas de nécessité, mais de contingence ; c’est-à-dire que cela ne conclut pas nécessairement ; mais il prouve seulement que cela peut être, comme il peut être en plusieurs occurrences. Et ainsi ce n’est pas une conviction qui puisse nous forcer à avouer l’impossibilité de notre Art. Secondement, il y a un autre moyen de leur faire connaître leur erreur, en ce qu’ils ne font point voir qu’il y ait aucune ressemblance, pas même apparente, entre la composition faible des Animaux et la mixtion forte et serrée des Minéraux. Et la raison en est parce que ce qui donne la perfection aux Animaux et aux Végétaux, qui ont une Composition faible, ce n’est pas la proportion (des Eléments), ni la Matière qui est mêlée avec proportion, ni les qualités de cette Matière dont la mixtion est faite, ni la mixtion même qui est l’effet de l’action et de la passion de ses qualités, et qui n’est que l’union et l’assemblage des premières qualités. Ce n’est, dis-je, nulle de ces choses qui donne la perfection aux Animaux et aux Végétaux : mais, selon l’opinion de plusieurs, c’est l’Ame sensitive et végétative, laquelle vient des secrets de la Nature ; c’est-à-dire, ou de la Quintessence, ou du premier Agent. Ce que nous avançons sur le sentiment de plusieurs, parce que c’est une chose que nous avouons qui nous est cachée et inconnue. C’est pourquoi encore que la composition des Animaux et des Végétaux soit faible, nous ne saurions pourtant ni les faire, ni leur donner la perfection ; parce que nous ne saurions leur donner l’Ame, qui est ce qui les rend parfaits. D’où il est évident que si nous ne pouvons donner, la perfection à un Bœuf, où à une Chèvre, le défaut n’en vient pas de ce que nous n’en saurions faire la mixtion, mais de la part de l’Ame, que nous ne saurions leur donner. Car pour ce qui est de faire une Composition moins forte, ou plus forte, comme d’en faire une moins faible, ou une plus faible, nous en viendrons aisément à bout par notre artifice, en imitant la voie et le cours de la Nature. N’est donc pas vrai ce qu’ils disent, qu’il y a plus de perfection dans les Métaux que dans les choses vivantes ; puisqu’au contraire il y en a moins, à cause que la perfection des Métaux consiste plus dans la proportion et dans la composition des Eléments qu’en autre chose : c’est-à-dire que dans l’Ame, qui donne la vie. Et partant, comme les Métaux ont moins de perfection que les Animaux et les Végétaux, il nous est aussi plus facile de les parfaire qu’eux. C’est ainsi que Dieu diversifie les perfections de ses Créatures. Car dans celles dont la Composition naturelle est faible, il a mis une plus noble et une plus grande perfection, par le moyen de l’Ame qu’il leur a donnée. Et à celles dont il a fait la Composition plus forte et plus ferme (comme sont les Pierres et les Minéraux), il leur a donné une perfection beaucoup moindre et moins noble, parce qu’elle ne consiste que dans la seule manière de leur mixtion. La comparaison qu’ils font n’est donc pas juste ni bonne ; car la composition d’un Bœuf et d’une Chèvre n’est pas ce qui nous empêche de former un Bœuf et une Chèvre ; mais c’est la Forme (ou l’Ame) qui donne la perfection à ce Bœuf et à cette Chèvre, laquelle est plus excellente et plus inconnue que n’est la Forme qui donne la perfection au Métal.
Ils ne sont pas plus véritables lorsqu’ils disent qu’une Espèce ne se change point en une autre Espèce. Car une Espèce se change en une autre lorsqu’un Individu d’une Espèce se change dans l’Individu d’un autre. Car nous voyons qu’un Ver se change naturellement, et même par artifice, en une Mouche, laquelle est d’une Espèce différente du Ver. D’un Taureau, qu’on suffoque, il en naît des Mouches à miel. Le Blé dégénère en Ivraie, et d’un Chien mort il se forme des Vers, par la fermentation de la putréfaction. Il est vrai que ce n’est pas nous qui les faisons ; mais c’est la Nature, à laquelle nous fournissons les choses nécessaires pour agir. Il en est la même chose de la Transmutation des Métaux. Ce n’est pas nous qui les transmuons, c’est la Nature, à laquelle, par notre artifice, nous préparons la Matière et lui disposons les voies ; parce que d’elle-même elle agit toujours immanquablement, et nous ne sommes que ses Ministres dans les Opérations que nous lui faisons faire par notre Art.
Ils prétendent fortifier ce raisonnement par cet autre, qui n’est pas moins imaginaire, en disant que la Nature emploie mille ans à former et à parfaire les Métaux, qui est un terme auquel la vie d’un Homme ne saurait atteindre. A quoi je réponds que selon l’opinion des anciens Philosophes, il est vrai que la Nature, agissant sur ces Principes, y met ce temps là. Mais soit que la Nature fasse la perfection des Métaux en mille ans, ou en plus de temps, ou en moins, ou même dans un moment, cela ne fait rien contre nous ; parce que nous ne pouvons point imiter la Nature en ses Principes ; ainsi que nous l’avons déjà prouvé, et comme nous le ferons encore voir plus amplement dans la suite. Il y en a pourtant, et qui sont même sages et bien éclairés, qui soutiennent que la Nature fait bientôt son Opération ; c’est-à-dire en un jour, et même en moins de temps. Mais quand cela serait vrai, il ne nous serait pas moins impossible d’imiter la Nature, en la mixtion de ces Principes, comme nous l’avons suffisamment prouvé. Le surplus de leur raisonnement étant véritable, je ne le veux point aussi contester.
A ce qu’ils disent que la production et la perfection des Métaux vient de la position d’une ou de plusieurs Etoiles, que nous ignorons, je réponds que nous ne nous mettons point en peine de la position ni du mouvement des Astres, et que cette connaissance ne nous servirait de rien en notre Art, et par conséquent elle n’est point nécessaire. Car il n’y a point d’Espèce de choses sujettes à la génération et à la corruption, dont il n’y en ait tous les jours de particulières, qui soient produites, et d’autres qui ne soient détruites ou corrompues. Ce qui fait voir évidemment que la position des Astres est tous les jours très propre, tant pour la production que pour la destruction des choses particulières, en toute sorte d’Espèce. Il n’y a donc nulle nécessité que l’Artiste observe, ni qu’il attende la position des Etoiles ; quoique néanmoins cela pût servir Mais il suffit de préparer les choses à la Nature, afin qu’elle, qui est sage et prévoyante, les dispose aux positions propres, et aux aspects favorables des Corps mobiles. Car la Nature ne saurait faire son action, ni donner la perfection à quoi que ce soit sans le mouvement et la position des Corps mobiles. Et par ainsi, si vous préparez comme il faut votre artifice à la Nature, et que vous preniez bien garde que tout ce qui doit se faire dans le Magistère soit bien disposé, il est sans doute qu’il recevra sa perfection par la Nature, sous une position qui lui sera convenable, sans qu’il soit nécessaire que vous observiez cette position.
Aussi quand on voit un Ver se former d’un Chien, ou d’un autre Animal pourri, nous n’avons que faire d’observer immédiatement la position des Etoiles pour connaître comment ce Ver a été produit. mais il suffit seulement de remarquer les qualités de l’air où est cet Animal qui pourrit, et les autres Causes qui en sont la pourriture, sans le concours de la position des Astres. Et cela seul nous apprend tout ce qu’il faut faire pour produire des Vers à l’imitation de la Nature. Parce que la Nature trouve d’elle-même la position des Astres qui est nécessaire pour cela, encore qu’elle nous soit inconnue.
Pour l’autre Objection qu’ils font, en disant que la perfection s’acquiert en un instant,, et cependant que notre préparation ne se pouvant pas faire en un instant, il s’ensuit nécessairement de là, que le Grand Œuvre ne saurait être parfaite par l’artifice, et par conséquent que l’Art de Chimie n’est rien du tout. Je réponds qu’ils ne sont pas raisonnables, et que c’est parler en Bêtes et non pas en Hommes. Car les propositions d’où ils tirent cette conséquence n’ont nulle liaison avec elle. Ainsi leur raisonnement est comme qui dirait : Un Ane court, donc tu es une Chèvre. Et la raison en est, qu’encore que la préparation ne puisse se faire en un instant, cela n’empêche pas toutefois que la Forme ou la perfection n’arrive en un instant à la chose qui est préparée pour la recevoir. Car la préparation n’est pas la perfection ; mais c’est une habilité ou une disposition à recevoir la Forme.
Enfin, ils allèguent pour dernière raison qu’il est plus facile à l’Art de détruire les choses naturelles que de les faire : ainsi, comme ils soutiennent que nous ne pouvons détruire l’Or, ils concluent qu’il nous est encore moins possible de le faire. A quoi je réponds que leur raisonnement ne conclut pas nécessairement pour nous forcer à croire que l’on ne puisse pas faire l’Or par artifices Car il est vrai que comme il est difficile de le détruire, il est encore plus difficile de le faire : Mais il ne s’ensuit pas de là qu’il soit impossible. Et la difficulté qu’il y a à détruire l’Or vient de ce que ses parties ayant une forte union entre elles, il est évident que sa dissolution doit être difficile à faire. Et par ainsi il est malaisé de dissoudre l’Or. Et l’erreur où ils sont de croire qu’il soit impossible de faire l’Or ne provient que de ce qu’ils ne savent pas l’artifice de le dissoudre, suivant la manière d’agir ordinaire de la Nature. Ils auront bien pu connaître, par divers essais qu’ils auront fait pour détruire l’Or, que la Composition de l’Or était très forte ; mais ils n’ont pas reconnu jusqu’où pouvait aller cette force, et ce qui la pouvait vaincre, et en faire la dissolution.
J’ai ce me semble répondu suffisamment aux raisons imaginaires des Sophistes : Il reste maintenant, mon Fils, à satisfaire à ce que je vous ai promis, qui est d’examiner les raisons qu’ont ceux qui nient notre Art à de certaines conditions, et selon quelques suppositions qu’ils font. Ensuite nous traiterons des Principes dont la Nature se sert à la Composition des Métaux, lesquels nous examinerons encore plus à fond dans la suite ; après quoi nous parlerons des Principes de notre Magistère, et nous traiterons premièrement de chacun de ses Principes en particulier, nous réservant d’en faire un Discours général dans le Livre suivant. Commençons par mettre les raisons des premiers, et par les réfuter.
CHAPITRE XII.
Différents Sentiments de ceux qui supposent l’Art véritable.
Ceux qui supposent que cet Art est véritable ne sont pas tous de même sentiment. Ce qui fait qu’il se trouve différentes opinions touchant la véritable Matière pour faire l’Œuvre. Car les uns soutiennent qu’il faut la prendre dans les Esprits. D’autres assurent que c’est dans les Corps, ou Métaux, qu’elle se trouve : D’autres dans les Sels et Aluns, les Nitres et les Borax. Et d’autres enfin, disent que c’est dans toutes les choses végétables qu’il faut la chercher. De tous ces Gens-là, il y en a qui disent vrai en partie, mais qui se trompent aussi en partie ; et il y en a d’autres qui se trompent en tout, et qui trompent tous ceux qui lisent leurs Livres, et qui suivent leur Doctrine. Une si grande diversité d’opinions fausses m’a bien donné de la peine et m’a fait faire bien de la dépense. Et ce n’a été que par une longue conjecture, et après plusieurs expériences bien pénibles et bien ennuyeuses, que j’ai développé la vérité parmi tant de faussetés. Je puis dire même que de fausses opinions m’ont souvent détourné du bon chemin où j’étais, parce qu’elles étaient opposées à mon raisonnement, et qu’elles m’ont souvent jeté dans le désespoir. Que tous ces Fourbes soient donc maudits à jamais, puisque par leur fausse Doctrine ils n’ont laissé à toute la Postérité que des sujets de leur donner des malédictions, et qu’au lieu d’enseigner la vérité, ils n’ont laissé dans leurs Ecrits que des erreurs et des mensonges diaboliques pour abuser tous ceux qui s’appliquent à la Philosophie. Et que je sois maudit moi-même si je ne corrige leurs erreurs, et si en traitant de cette Science, je ne dis et je n’enseigne entièrement la vérité, autant qu’on le peut faire dans une chose si admirable. Car on ne doit pas traiter notre Magistère en des termes qui soient tout à fait obscurs ; ni on ne doit pas aussi l’expliquer si clairement qu’il soit intelligible à tous. Je l’enseignerai donc de telle manière qu’il ne sera nullement caché aux Sages, quoiqu’il soit pourtant bien obscur aux Esprits médiocres ; mais pour les Stupides et les Fous, je déclare qu’ils n’y pourront jamais rien comprendre.
Revenons à notre propos. Ceux qui ont cru que la Matière de notre Œuvre se devait prendre dans les Esprits sont différents entre eux. Car les uns ont dit que c’était dans l’argent-vif, les autres dans le Soufre, et d’autres dans l’arsenic, qui a grande affinité avec ce dernier. Quelques uns ont soutenu que c’était dans les Marcassites, d’autres dans la tutie, d’autres dans la Magnésie, et d’autres enfin dans le Sel Ammoniac. Il n’y a pas moins de diversité entre ceux qui ont cru que c’était dans les Corps ou Métaux qu’on trouvait cette Matière ; parce qu’il y en a qui ont dit que c’était Saturne, d’autre Jupiter, et d’autres enfin, quelqu’un des autres Corps. Il y en a encore d’autres qui assurent qu’il faut la chercher dans le Verre ; d’autres dans les Pierres précieuses ; d’autres dans les Sels, dans les différentes sortes d’Aluns, de Nitres et de Borax. Il y en a d’autres enfin, qui croient que l’Art se fait indifféremment de toutes sortes de Végétaux ; de sorte que dans les différentes suppositions qu’ils font, ils sont tous opposés les uns aux autres, et ceux qui ne croient nulle de ces différentes opinions, ou qui en combattent quelqu’une, se persuadent que par ce moyen ils détruisent absolument la Science. Et à dire le vrai, ni les uns ni les autres ne disent presque rien de véritable.
CHAPITRE XIII
Raisons de ceux qui nient que l’Art soit dans le Soufre.
Ceux qui ont cru que le Soufre était notre véritable Matière, après avoir travaillé sur ce Minéral sans connaître en quoi consiste la perfection de sa préparation, ont laissé leur Ouvrage imparfait. Car ils s’imaginaient qu’en le nettoyant et le purifiant, il serait parfaitement préparé. Et comme cette préparation se fait par la Sublimation, ils crurent qu’il n’y avait qu’à sublimer le Soufre pour lui donner toute la perfection qu’il peut acquérir par la préparation, et que c’était la même chose de l’Arsenic, qui est semblable au Soufre. Mais venant à faire la projection, ils ont vu que leur Soufre, ainsi préparé, au lieu d’altérer les Corps métalliques et les transmuer, comme il le devait faire, se brûlait et s’en allait tout en fumée, et que non seulement il ne s’attachait pas inséparablement aux Métaux, mais même qu’il s’en séparait en peu de temps, sans qu’il en restât rien du tout ; et que les Corps, sur lesquels ils en avaient fait la projection, se trouvaient plus impurs qu’ils ne l’étaient auparavant. Comme ils virent donc qu’ils s’étaient trompés à faire leur Œuvre, et étant néanmoins persuadés (pour avoir longtemps pensé et ruminé là-dessus) que la Science consistait dans le Soufre tout seul, et ne s’y trouvant pas, et croyant d’ailleurs qu’elle ne peut se trouver en nulle autre chose, ils ont inséré de là quelle était impossible.
CHAPITRE XIV
Réfutation de ce que l’on vient de dire.
C‘est ainsi que raisonnent ceux qui cherchent notre Science dans le Soufre. Mais il est aisé de faire connaître en peu de mots à ces Gens-là qu’ils n’entendent rien du tout dans le Magistère : et parce qu’ils supposent que le seul Soufre vulgaire est notre Matière, et à cause qu’encore que ce qu’ils supposent fût vrai, ils se trompent dans la manière de le préparer, croyant qu’il n’y a autre chose à faire qu’à le sublimer. Ressemblant en cela à un Homme qui depuis sa naissance jusqu’à sa vieillesse aurait demeuré enfermé dans une maison : lequel s’imaginerait que tout le Monde n’aurait pas plus d’étendue que la maison où il serait, et qu’il n’y aurait autre chose au Monde que ce qu’il voit dans cette maison. Car ces Gens-là n’ont jamais travaillé sur plusieurs Matières, et ils ne se sont jamais appliqués à beaucoup d’opérations, ni ne se sont pas beaucoup peinés à faire des expériences. Ainsi ils n’ont pu connaître d’où notre Matière se doit tirer et d’où elle ne peut pas être prise. Et comme d’ailleurs ils n’ont pas beaucoup travaillé, ils ne savent pas aussi quelle est l’Opération nécessaire pour donner la perfection à l’Œuvre, et qui sont celles qui ne la peuvent pas donner. Mais ce qui a fait que leur Ouvrage est demeuré imparfait, c’est (qu’après leur préparation) leur Soufre est demeuré adustible et volatil, qui est ce qui gâte et corrompt les Corps métalliques au lieu de les perfectionner.
CHAPITRE XV
Raisons de ceux qui nient que l’arsenic soit la Matière de l’Art, et leur Réfutation
Il y en a d’autres qui étant persuadés que notre Médecine se devait nécessairement trouver dans le Soufre et dans l’arsenic, qui lui est semblable, et considérant plus attentivement que les premiers ce qui empêchait sa perfection, ils l’ont non seulement purgé de sa sulphuréité brûlante en le sublimant, mais ils ont encore tâché de le dépouiller de sa terrestréité, ou de ses parties terrestres et grossières, n’ayant pu néanmoins lui ôter la volatilité. Et ceux-là ont été trompés aussi bien que les autres, lorsqu’ils ont voulu en venir à la projection, parce que leur Médecine ne s’est pas intimement ni fortement unie aux Corps sur lesquels ils l’ont jetée ; mais elle s’est évaporée peu à peu, et a laissé les Corps métalliques tels qu’ils étaient et sans aucun changement. Ce qui leur a fait dire, comme aux premiers, que la Science n’était rien. Nous leur faisons aussi la même réponse que nous avons déjà faite aux premiers ; et nous assurons de plus que notre Science est véritable, par ce que nous la savons indubitablement, pour l’avoir vue de nos yeux, et touchée de nos propres mains.
CHAPITRE XVI
Raisons de ceux qui nient que la Matière de l’Art soit dans le Soufre, L’Argent-vif, la Tutie, la Magnésie, la Marcassite, le Sel Ammoniac ; et leur Réfutation.
Il s’en est trouvé d’autres, qui ayant pénétré plus avant dans la nature du Soufre, 1’on purifié, lui ont ôté sa volatilité et son adustion, et l’ont par ce moyen rendu fixe, terrestre et mort : de sorte qu’étant mis sur le feu, il ne se fondait pas bien, mais il se vitrifiait. Ce qui était Cause que dans la projection qu’ils faisaient de cette Médecine sur les Corps, elle ne pouvait pas se mêler avec eux, ni par conséquent les altérer ni changer. D’où ils tirent la même conséquence que les premiers (que l’Art est impossible, et nous leur répondons aussi comme nous avons fait aux premiers, qu’ils ont laissé l’Ouvrage imparfait et tronqué, ne sachant pas comment il le fallait parachever ; parce qu’ils n’ont pas su rendre leur Médecine entrante et pénétrante, qui est sa dernière perfection. Il en est de même touchant la préparation des autres Esprits, et on y fait les mêmes fautes, si ce n’est que dans l’Argent-vif et dans la Tutie, nous sommes délivrés du plus grand travail qu’il y ait à faire (dans la préparation des autres), qui est de leur ôter l’adustion. Car ces deux choses-là n’ont point de Soufre adustible et inflammable: mais ils ont seulement une Matière volatile et une terrestréité impure.
A l’égard des Magnésies et des Marcassites, elles ont toutes un Soufre adustible, et la Marcassite en a encore plus que la Magnésie. Toutes sont aussi volatiles, mais l’Argent-vif et le Sel Ammoniac le sont davantage que la Magnésie. Le Soufre est moins volatil que l’Argent-vif ni que le Sel Ammoniac ; l’Arsenic, qui ressemble au Soufre, est moins volatil que lui, la Marcassite moins que l’Arsenic ; la Magnésie ne l’est pas tant que la Marcassite, et la Tutie l’est moins que la Magnésie, et que tous les autres Esprits. Toutes ces choses ont pourtant de la volatilité, mais les unes en ont plus que les autres. Et c’est cette volatilité qu’ont tous les Esprits qui a fait que ceux qui ont voulu faire des expériences et travailler dessus, se sont lourdement trompés dans les Opérations qu’ils ont faites pour les préparer, et dans la projection qu’ils ont essayé d’en faire. Et de là ils ont inféré l’impossibilité de l’Art, de même que ceux, que nous avons dit, qui supposaient l’Œuvre dans le Soufre. Ainsi nous n’avons autre chose à leur répondre que ce que nous avons déjà répondu à ceux-là.
CHAPITRE XVII
Raisons de ceux qui nient que la Matière de l’Art soit dans les Esprits, conjointement avec les Corps qu’ils doivent fixer.
Il y en a d’autres qui, s’étant appliqués à faire des expériences, ont tâché de fixer les Esprits dans les Corps, sans avoir donné auparavant nulle préparation aux Esprits pour arrêter leur volatilité : mais s’étant trompés tout de même, ils n’en ont eu que du déplaisir et du chagrin. De manière que, désespérant de réussir, ils ont été forcés de mépriser la Science et de déclamer contre elle, comme la croyant fausse. Ce qui les a troublé, et qui les a jeté dans cette incrédulité, c’est que dans la fusion des Corps, laquelle ne se fait que par un feu violent, les Esprits qu’on Jette alors dessus, ne pouvant souffrir l’ardeur du feu à cause de leur volatilité qu’on ne leur a point ôtée, ne s’attachent point fortement aux Corps, mais les quittent et s’évaporent, et il n’y a que les Corps qui restent tous seuls dans le feu. Ces Gens-là se trouvent encore parfois abusés d’une autre manière. Car il arrive souvent que les Corps même s’en vont du feu avec les Esprits ; parce que les Esprits qui ne sont pas fixes, et dont les parties sont très subtiles, s’étant attachés et unis intimement aux Corps, ces Esprits, venant à s’évaporer par la violence du feu, enlèvent et emportent nécessairement les Corps avec eux (à cause que dans cette Composition des Corps et des Esprits ; il y a plus de volatil que de fixe). Ce qui leur fait dire, comme aux premiers, que l’Œuvre est impossible. A quoi nous répondons aussi comme nous avons fait à ce qu’ont dit les premiers.
Voici la cause de leur erreur. Le Philosophe dit: Fils de la Science, si vous voulez faire la Conversion ou la Transmutation des Corps, d’imparfaits en parfaits, si cette Transmutation se peut faire par quelque matière que ce puisse être, il faut nécessairement qu’elle se fasse par les Esprits. Or il n’est pas possible que les Esprits, qui ne sont pas fixés auparavant, s’attachent et s’unissent si bien aux Corps que leur union puisse être de quelque utilité ; comme il a été dit ci-dessus, puisqu’ils s’exhalent et s’enfuient au feu, et qu’ils laissent les Corps sans les avoir nullement changés, et sans leur avoir rien ôté de leurs impuretés. Que si les Esprits sont rendus fixes, ils sont encore inutiles ; parce qu’en cet état ils ne peuvent pas pénétrer les Corps, étant par la fixation devenus Terre, qui n’a point de fusion. Et quand bien même ils paraîtraient être fixes, après avoir pénétré les Corps, à cause qu’étant dans une chaleur faible ils ne s’évaporent pas, ils ne sont pourtant point fixes ; parce qu’étant mis dans une forte chaleur, ils se séparent des Corps, ou bien et eux et les Corps s’en vont ensemble en fumée. Donc, puisque l’Art ne se peut trouver dans la Matière la plus prochaine, et qui a le plus d’affinité avec les Métaux, à plus forte raison ne se trouvera-t-il pas dans une Matière éloignée et étrangère. Et par conséquent il ne peut se trouver en nulle chose.
C’est le raisonnement qu’ils font. A quoi je réponds qu’ils ne savent pas tout ce qu’on peut savoir là-dessus : C’est pourquoi ils ne trouvent pas tout ce qui se peut faire. Et parce qu’ils ne peuvent faire ce qu’ils ne savent pas, ils tirent de leur incapacité une preuve, qu’ils croient très forte, de l’impossibilité de l’Art.
CHAPITRE XVIII
De ceux qui nient que la matière de l’Art se trouve dans les Corps, et premièrement dans le Plomb blanc, ou l’étain, qu’on appelle Jupiter, et leur réfutation.
Quelques-uns ont cru que la Matière de l’Art se trouvait dans les Corps: mais ayant essayé d’y travailler, ils se sont trompés, parce qu’ils croient que les deux Espèces de Plomb, c’est-à-dire, le livide ou noir, et le blanc (qui n’a pourtant pas une blancheur nette et pure), étaient fort semblables et s’approchaient fort de la nature du Soleil et de la Lune ; le livide beaucoup de soleil, et non pas tant de la Lune ; et le blanc beaucoup de la Lune, et peu du Soleil. C’est ce qui fit croire à quelques uns d’entr’eux, que Jupiter n’était différent de la Lune que par ce qu’il avait le cric, qu’il était mou, et qu’il se fondait fort promptement. De sorte que s’imaginant que sa fusion si prompte et sa mollesse ne provenaient que d’une humidité superflue qu’il avait ; et que ce qui causait son cric, c’était un Argent-vif volatil, qui était entremêlé dans sa Substance : ils le mirent au feu et le calcinèrent, après quoi ils le tinrent dans un feu tel qu’il le pouvait souffrir, jusqu’à ce que sa chaux fût devenue blanche. Mais après cela, le voulant remettre en son premier état, c’est-à-dire le remettre en Corps malléable, comme il était auparavant, ils ne le purent faire: ce qui leur persuada que c’était une chose impossible. D’autres ont fait reprendre Corps à quelque peu de sa chaux par un feu fort violent ; mais ils ont trouvé qu’il avait encore le cric, comme auparavant, et qu’il était aussi facile à fondre, et cela leur a fait croire qu’on ne saurait lui ôter ces deux défauts par cette voie-là, et qu’il était impossible de trouver le moyen de l’endurcir.
D’autres s’étant opiniâtrés à travailler sur ce Métal, l’ont calciné et remis en son premier état, puis ôtant sa Scorie, ils l’ont recalciné à plus grand feu, et remis une seconde fois en Corps: de manière qu’en réitérant ces opérations, ils ont trouvé qu’il s’était endurci, et qu’il n’avait plus le cric. Mais n’ayant pu lui ôter entièrement sa prompte fusion, ils se sont faussement persuadés qu’on ne le saurait faire.
Il y en a eu d’autres, qui ayant essayé de lui donner de la dureté, et le rendre en état de ne pouvoir être fondu que difficilement, en mêlant avec lui des Corps durs, se sont trompés tout de même, parce qu’il a rendu aigre et cassant quelque Corps que ce soit qu’on lui ait ajouté ; sans que toutes les préparations, qu’ils aient pu leur donner, leur aient de rien servi. Ainsi n’ayant pu lui donner la perfection, ni par le mélange des Corps durs, ni par aucun régime de feu, étant rebutés par la longueur du temps qu’il faudrait pour découvrir le Magistère (qu’ils croient trouver par là), ils ont assuré que c’était une chose impossible.
D’autres enfin s’étant avisés de mêler plusieurs drogues différentes avec l’Etain, et voyant que non seulement il n’en était point changé, et qu’elles n’avaient nul rapport ni affinité avec lui, mais qu’au contraire elles le gâtaient, et faisaient un effet tout contraire à ce qu’ils en attendaient, ils ont jeté les Livres par dépit, et secouant la tête, ils ont dit que notre divin Art n’était qu’une niaiserie toute pure. Et à tous ces Gens-là je réponds comme j’ai déjà fait aux autres ci-devant.
CHAPITRE XIX
Raisons de ceux qui nient que l’Art soit dans le Plomb.
On ne réussit pas mieux à travailler sur le Plomb. Il est vrai qu’étant mêlé avec les Corps, il ne les rend pas cassants comme fait l’Etain, et qu’après sa calcination il reprend corps, et revient plutôt à sa nature que lui. Mais ceux qui travaillent sur ce Métal ne sauraient lui ôter sa noirceur, parce qu’ils n’en savent pas le moyen. Ainsi ils ne peuvent point lui donner de blancheur qui soit permanente, et quoi qu’ils aient pu s’imaginer, il ne leur a pas été possible de l’unir si fortement aux Corps fixes, qu’étant mêlé avec eux, il ne s’enfuie à fort feu. Et ce qui, dans la préparation de ce Métal, a le plus trompé ceux qui ont cru que la Science ne pouvait se trouver que dans lui seul, c’est qu’après qu’il a été deux fois calciné, et autant de fois remis en Corps, tant s’en faut qu’il s’endurcisse en nulle manière, qu’au contraire il devient plus mou qu’il n’était auparavant ; et qu’avec tout cela il ne perd aucune de ses mauvaises qualités, qui sont la noirceur et la facilité qu’il a à se fondre soudainement. C’est pourquoi n’ayant pu rien faire de bon de ce Métal, dans lequel ils avaient cru qu’on pouvait facilement trouver la plus véritable et plus prochaine Matière de la Science, ils ont conclu de là que l’Art n’était qu’une pure imagination. De manière que ces Gens-là étant dans la même erreur que ceux dont nous venons de parler, nous ne leur répondrons que la même chose.
CHAPITRE XX
Raisons de ceux qui soutiennent que l’Art n’est pas dans le mélange des Corps durs avec les durs, et des mous avec les mous.
Il y en a qui ont essayé de mêler les Corps durs ensemble, et les mous aussi ensemble, à cause de la ressemblance qui est entre eux, et qui ont cru que par ce moyen ils se perfectionneraient les uns les autres, et qu’ainsi ils seraient mutuellement transmués. Mais ils ont été pareillement trompés, parce que cela n’est pas possible. Pour mêler, par exemple, le Cuivre ou quelque autre Métal semblable avec l’Or et l’Argent, ces Métaux imparfaits ne sont pas transmués véritablement en Or ou en Argent pour cela ; et ils ne peuvent point soutenir longtemps un feu violent sans se séparer d’avec les parfaits, qui demeurent toujours, au lieu que les imparfaits sont ou entièrement consumés, ou réduits en leur première nature, qu’ils reprennent. Il y en a néanmoins qui durent et qui subsistent plus longtemps dans la composition et dans le mélange qu’on en fait: et d’autres moins, pour les raisons que nous dirons ensuite. Les mauvais succès, que par leur ignorance ces Gens-là ont eus, dans toutes leurs brouilleries, les ont obligés à douter de la vérité de la Science, et à soutenir que ce n’était qu’une imposture.
CHAPITRE XXI
Pourquoi ceux qui ont mêlé les Corps durs avec les mous, et les parfaits avec les imparfaits ont nié la Science.
Il y en a eu d’autres qui ont cherché plus avant, et qui ont cru mieux rencontrer. Ceux-ci se sont imaginés, en unifiant les Corps durs avec les mous, de trouver le moyen de donner à cette composition une dureté stable à toute épreuve, et de donner aussi la perfection aux Métaux imparfaits, en les unissant tout de même avec les parfaits ; et que généralement ils se transmueraient, et seraient transmués les uns par les autres d’une véritable transmutation. Pour cet effet, ils ont tâché de trouver la ressemblance et l’affinité qui est entre les Métaux, en subtilisant les Corps grossiers et durs ; tels sont le Cuivre et le Fer, et en épaississant ceux de qui la substance est plus subtile, comme est l’Etain et le Plomb, qui est son semblable. Ce qu’ils ont essayé de faire (tant par des drogues qu’ils y ont ajoutées) que par le régime du feu. Mais ceux qui ont fait ces essais se sont trompés dans le mélange qu’ils ont fait des Corps. Car ou ils ont rendu leur composition entièrement aigre et cassante, ou bien ils l’ont trouvée trop molle, sans avoir été altérée par le mélange des Corps durs, ou trop dure sans avoir été changée par les Corps mous qu’ils y avaient mêlés. Et par ainsi, n’ayant pu rencontrer la convenance ni l’affinité des Métaux, ils ont dit que l’Art n’était qu’une supposition.
CHAPITRE XXII
Que l’Art ne se trouve ni dans l’extraction de l’âme (ou Teinture), ni dans le régime du feu.
D’autres ayant encore considéré la chose de plus près, ont prétendu altérer ou changer les Corps par l’extraction de leurs Ames (c’est-à-dire de leurs Teintures), et par ce même moyen d’altérer encore tous les autres Corps. Mais quelques essais qu’ils en aient fait, ils n’ont pu y réussir. Et ainsi ils ont été trompés dans leur espérance et dans leurs opérations, aussi bien que ceux qui ont tenté de donner la perfection aux imparfaits par le seul régime du feu. Ce qui a été cause que les uns et les autres ont cru l’Art impossible. Et à tous ceux-là, nous faisons la même réponse que nous avons faite ci-devant.
CHAPITRE XXIII
Raisons de ceux qui soutiennent que l’Art n’est ni dans le Verre, ni dans les Pierreries.
Ceux qui ont cru que la Matière de l’Art se devait chercher dans le Verre et dans les Pierreries, s’étant imaginé que ces deux choses pouvaient altérer les Corps, se sont trompés tout de même. Parce que ce qui n’entre pas dans les Corps et ne les pénètre pas, ne les peut altérer, ni y faire aucun changement. Or il est certain que ni le Verre, ni les Pierreries, n’étant pas véritablement fusibles, ne peuvent ni entrer dans les Corps, ni les pénétrer. Et par conséquent, ces deux choses ne peuvent point altérer les Corps. Et quoique ceux qui ont travaillé là-dessus aient fait tous leurs efforts pour unir le Verre avec les Corps, quand ils l’auraient pu faire (quoique ce soit pourtant une chose très difficile), ils n’eussent pas fait pour cela ce qu’ils prétendaient. Parce que tout ce qu’ils auraient pu faire, c’eût été de vitrifier les Corps (c’est-à-dire les réduire en une Matière semblable au Verre, transparente et cassante comme est le verre). Cependant, quoique ce défaut vienne de la Matière dont ils se servent, ils l’attribuent à la Science, et ils soutiennent qu’elle ne saurait faire autre chose. Ainsi ils infèrent, de là qu’elle est fausse. Mais je réponds à ces Gens-là que, ne travaillant pas sur la véritable Matière, on ne doit pas s’étonner s’ils finissent mal et s’ils ne réussissent pas ; outre qu’ils n’ont pas raison d’accuser la Science de leur propre erreur.
CHAPITRE XXIV
Motif de ceux qui nient que l’Art soit dans les moyens Minéraux, dans les Végétables, et dans le mélange de quelque chose que ce soit.
En voici d’autres qui s’imaginent qu’ils feront l’Œuvre avec les Sels, les Aluns, les Nitres et les Borax ; mais quelque opération qu’ils puissent faire sur ces Minéraux, je suis sûr qu’ils n’y trouveront pas ce qu’ils cherchent. Et partant, si après avoir bien fait des expériences sur ces Matières par leur Solution, leur Coagulation, leur Assation, et par plusieurs autres opérations, ils ne trouvent presque rien qui puisse servir à la Transmutation, ils ne doivent pas inférer de là que ce divin Art n’est pas véritable, puisque c’est un Art qui se fait nécessairement, et qu’il y en a plusieurs qui le savent. Ce n’est pas qu’à prendre tout cela en général, on ne puisse y trouver de quoi faire quelque altération ; mais il faudrait l’aller chercher bien loin. et se donner bien de la peine pour cela.
Ceux qui soutiennent que l’Œuvre se peut faire de tous les Végétaux, réussiraient encore plus difficilement. Ainsi, quoique ce qu’ils disent soit possible, on peut dire néanmoins que c’est une chose impossible à leur égard. Parce que leur vie ne suffirait pas pour pouvoir faire ce qu’ils prétendent. Et ainsi, si ces Gens-là ne trouvent jamais l’Œuvre en se servant seulement des Végétaux, ils ne doivent pas conclure pour cela qu’on ne la puisse jamais faire par nul autre moyen.
Au reste, tous ceux de qui nous venons de rapporter les erreurs, n’ont supposé chacun qu’une seule Matière pour être la véritable, et ils ont condamné généralement toutes les autres, et nous les avons tous réfutés les uns après les autres. Il y en a plusieurs, et même presque une infinité d’autres, qui prétendent que pour faire l’Œuvre, on doit faire une Composition de toutes ces diverses choses, ou au moins de la plus grande partie, et les mêler en différentes proportions. Mais ces Gens-là sont tout à fait ignorants et ne savent ce qu’ils veulent faire. On peut dire même qu’ils se trompent infiniment, parce qu’il y a une infinité de différentes choses qui peuvent être mêlées les unes avec les autres, et elles peuvent être mêlées en tant de sortes, et par tant de différentes proportions, que ces manières et ces proportions sont tout de même infinies en nombre. Et de là il s’ensuit évidemment qu’ils peuvent se tromper en une infinité de façons ; soit dans le trop, soit dans le moins. Quoique pourtant ils se puissent redresser, pourvu qu’ils commencent à travailler dans la véritable Matière. Pour moi, sans m’amuser à faire de longs discours là-dessus, à réfuter cette infinité, j’enseignerai en peu de mots toute la Science, et ce qui peut servir pour la connaître. Et par ce moyen, les Personnes sages qui m’entendent, pourront éviter une infinité d’erreurs qu’ils commettraient dans le choix ‘de la Matière et dans leur travail. Mais nous examinerons auparavant les Principes naturels des Métaux ; nous en donnerons la Définition, et nous en rapporterons les Causes, autant qu’il est expédient pour notre divin Magistère ; comme je l’ai fait espérer au commencement de ce Livre.
Fin de la deuxième partie.
TROISIÈME PARTIE DU PREMIER LIVRE
Des principes naturels et de leurs effets.
CHAPITRE XXV
Des Principes naturels et des Corps Métalliques, selon l’opinion des Anciens.
Suivant l’opinion des Anciens, qui, comme nous, ont soutenu la vérité de notre Art, je dis que les premiers Principes naturels, je veux dire ceux dont la Nature se sert pour former les Métaux, sont l’Esprit fétide et l’Eau vive, qu’on appelle autrement Eau sèche. Or j’ai dit ci-devant qu’il y a deux Esprits fétides, l’un qui est blanc en son intérieur, et rouge au dehors ; et l’autre qui est noir. L’un et l’autre, néanmoins, dans l’Œuvre du Magistère, ont disposition à devenir rouge. J’expliquerai succinctement, mais suffisamment et sans rien omettre, la Nature de, ces deux Principes, comment et de quelle Matière ils sont formés. Je serai obligé, pour cet effet, d’étendre mon Discours, et de faire un Chapitre particulier de chaque Principe naturel. Ces Principes ont néanmoins en général cela de commun entre eux, que chacun d’eux est d’une Composition très forte, et d’une Substance qui est uniforme et homogène: parce que dans leur Composition, les plus petites parties de la Terre sont tellement et si fortement unies avec les moindres parties de l’Air, de l’Eau et du Feu, que nulle d’entre. elles ne peut être séparée d’aucune des autres, dans la résolution qui se fait de tout le Composé. Au contraire, elles se résolvent toutes ensemblement, et l’une avec l’autre, à cause de l’étroite liaison qu’elles ont par ensemble, ayant été mêlées et unies par leurs plus simples et plus petites parties. Et cela par le moyen de la chaleur naturelle, laquelle dans les entrailles de la Terre, a été condensée et multipliée également, selon le cours et la manière ordinaire d’agir de la Nature, et que leur Essence le requiert. Ce que je dis conformément au sentiment de quelques anciens Philosophes.
CHAPITRE XXVI
Des Principes naturels des Métaux, selon l’opinion des Modernes.
Il y en a d’autres qui ne sont pas de ce sentiment, et qui croient que ni le Vif-Argent, ni le Soufre, tels qu’ils sont naturellement, ne sont pas les Principes (c’est-à-dire la Matière prochaine des Métaux), mais qu’auparavant ils doivent être altérés et changés en une Matière terrestre. Ainsi, ils soutiennent que le Principe dont la Nature se sert pour former les Métaux est une chose toute différente de l’Esprit fétide (c’est-à-dire du Soufre) et de l’Esprit fugitif (ou de l’Argent-vif). Et ce qui les a obligé à le croire, ç’a été premièrement que dans les Mines d’Argent, et dans celles des autres Métaux, l’on n’a jamais trouvé un Argent-vif ni un Soufre tels que nous les voyons et que la Nature les a produits ; et qu’au contraire on ne les trouve faits comme ils sont que séparément, et chacun dans sa Mine particulière. Secondement à cause, disent-ils, qu’on ne va point d’une extrémité à l’autre sans passer par une disposition qui tienne le milieu (entre ces deux extrémités). Et partant, il est impossible (qu’une Matière) passe de la mollesse de l’Argent-vif à la dureté d’aucuns des Métaux, que par une disposition moyenne entre la mollesse de l’un, et la dureté de l’autre. Or dans les Mines on ne trouve aucune Matière qui ait cette consistance entre le dur et le mou, et qui participe également de ces deux choses. D’où ils concluent que ni le Vif-Argent, ni le Soufre ne sont les Principes que la Nature emploie à former les Métaux ; mais que ce doit être quelque chose qui se fait par l’altération de leur Essence ; laquelle se change naturellement en une Substance terrestre. Ce qui, selon eux, se fait de cette sorte.
L’Argent-vif et le Soufre se changent premièrement en une espèce de Terre. Et ensuite, de ces deux Substances terrestres, il sort une vapeur fort subtile et fort pure par le moyen de la chaleur renforcée dans les entrailles de la Terre, et cette double vapeur est la Matière prochaine, ou le principe des Métaux. Car cette vapeur étant cuite et digérée par la chaleur tempérée de la Mine, il s’en fait une certaine manière de Terre, et par ce moyen elle devient en quelque façon fixe. Après quoi l’Eau minérale venant à couler au travers de la Mine, et des pores de la Terre, elle la dissout et s’unit ainsi avec elle également, par une union naturelle et solide. Ils disent donc que l’Eau, qui coule par les cavités de la Terre, venant à trouver une Substance terrestre, aisée à dissoudre, elle la dissout et s’unit avec elle en égale proportion, jusqu’à ce que cette Substance ainsi dissoute de la Terre, et de l’Eau qui y coule et qui la dissout, ne fassent qu’une même chose par une union naturelle, et que ces deux choses soient changées en nature Métallique, dans laquelle tous les Eléments se rencontrent dans une proportion nécessaire ; y étant mêlés et unis par leurs moindres parties, jusqu’à ce que de ce mélange, il se fasse une Substance uniforme et homogène. Ensuite ce mélange s’épaissit et s’endurcit en Métal, par une continuelle et longue digestion de la chaleur des Mines. Voilà quelle est leur opinion, qui n’est pas tout à fait conforme à la vérité, quoiqu’elle en approche beaucoup.
CHAPITRE XXVII
Division de ce qu’il y a dire des trois Principes.
Nous avons dit en général quels sont les Principes naturels des Métaux ; il faut maintenant en traiter en particulier. Ainsi, comme il y a trois Principes, nous ferons un Chapitre de chacun, dont le premier sera du Soufre, le second de l’Arsenic, et le troisième de l’Argent-vif. Après quoi nous parlerons des Métaux, qui sont les effets, et qui sont formés de ces Principes et nous ferons tout de même un Chapitre particulier de chacun d’eux. Et enfin nous parlerons des fondements et des opérations du Magistère, et nous en déclarerons les causes.
Le Soufre est une graisse de la Terre qui s’est épaissie dans les Mines par le moyen d’une cuisson modérée, jusqu’à ce qu’elle devienne dure et sèche, et lors elle s’appelle Soufre. Or le Soufre a une composition très forte, et il est d’une Substance qui est semblable et homogène en toutes ses parties. C’est pourquoi on n’en saurait tirer l’huile par la distillation, comme on fait des autres choses qui en ont. Et ceux qui entreprennent de le calciner sans rien perdre de sa Substance qui soit utile et considérable perdent leur peine, ne pouvant être calciné qu’avec beaucoup d’artifice, et (sans) qu’il ne se fasse une grande dissipation de sa Substance. Car de cent livres de Soufre que l’on mettra à calciner, à peine en trouvera t on trois de reste après la calcination. On ne saurait non plus le fixer, qu’il n’ait été ‘calciné auparavant. Néanmoins, en le mêlant avec quelque autre Substance, on peut empêcher qu’il ne s’envole et ne s’enfuie si promptement, et le garantir de l’adustion. Il se calcinera même étant mêlé. Mais si on voulait tirer de lui la Matière de l’Œuvre, en le préparant par lui-même, on n’y réussirait pas. parce qu’il ne se parfait qu’étant mêlé avec autre chose, et sans lui le Magistère est si long à faire, qu’on est contraint d’en abandonner l’Ouvrage. Que si on le joint avec son pareil, l’Arsenic, il se change en Teinture, et il donne à chaque Métal le poids des Métaux parfaits ; il lui ôte ses impuretés, et il le rend resplendissant. Il est rendu parfait par le moyen du Magistère, sans lequel il ne peut rien faire de tout ce que je viens de dire au contraire, il gâte et noircit les Corps avec qui on le mêle. C’est pourquoi on ne doit jamais s’en servir sans le Magistère.
Mais si, dans la préparation, on peut trouver le moyen de le mêler et de le joindre amiablement aux Corps, c’est-à-dire de l’unir si bien à eux qu’il n’en puisse plus être séparé, on découvrira par ce moyen un des grands Secrets de la Nature ; et on saura une des voies de la perfection : parce qu’il y a plusieurs voies qui tendent et qui conduisent au même effet. Il y en a pourtant une qui est plus parfaite que l’autre.
Un autre effet du Soufre est qu’il augmente assurément le poids de quelque Métal que ce soit que l’on calcine avec lui, et qu’avec le Soufre on peut rendre le Cuivre semblable à l’Or. Il se joint aussi avec le Mercure. Et si on les sublime tous deux ensemble, on en fait du Cinabre. Enfin on calcine aisément tous les Corps ou Métaux avec le Soufre, hormis l’Or et l’Etain ; et le premier encore plus difficilement que l’autre. Mais il n’est point vrai que le Soufre puisse coaguler véritablement, et avec quelque profit le Vif-argent en Soleil et en Lune, et que cela se fasse aisément et sans beaucoup d’artifice, comme quelques Fous se le sont imaginés. Néanmoins, les Métaux qui ont moins d’Argent-vif, et par conséquent moins d’humidité, se calcinent plus facilement par le Soufre ; et au contraire, ceux qui ont beaucoup d’Argent-vif ou d’humidité, sa calcinent aussi plus difficilement. Mais je proteste par le Dieu très haut, que c’est le Soufre qui illumine, c’est-à-dire qui donne l’éclat, et qui perfectionne tous les Corps, ou Métaux ; parce qu’il est de lui-même Lumière et Teinture.
Le Soufre a cela de plus qu’il ne se dissout qu’avec peine ; parce que parmi ses parties, il n’y en a point qui tiennent de la nature du Sel, en ayant seulement d’oléagineuses, lesquelles ne se dissolvent pas aisément dans l’Eau. J’en dirai la raison ci-après dans le Chapitre du Dissolvant, où je ferai voir manifestement ce qui peut être dissous dans l’Eau, et ce qui ne le peut point être.
Au reste le Soufre se sublime, parce que c’est un Esprit. Si on le mêle avec Vénus, et que des deux on en fasse une Composition, on en fait une couleur violette fort belle. Il se mêle tout de même avec le Mercure. et par la cuisson il s’en fait un Azur fort agréable. Il ne faut pas pourtant s’imaginer pour cela que le Soufre puisse lui-même servir à faire l’Œuvre des Philosophes. Car ce serait une erreur, comme je le ferai voir clairement dans la suite. Pour le choisir, il le faut prendre massif et clair. En voilà assez pour le Soufre.
CHAPITRE XXIX
De l’Arsenic.
L’Arsenic est fait tout de même d’une Matière subtile, et il est fort semblable au Soufre. C’est pourquoi on ne doit point le définir autrement. Il y a néanmoins cette différence entre eux, que l’Arsenic donne facilement la Teinture blanche, et fort difficilement la rouge ; au lieu que le Soufre teint aisément en rouge, et difficilement en blanc. Or il y a de deux sortes de Soufre et d’Arsenic ; l’un qui est jaune et l’autre rouge, qui tous deux servent à notre Art, les autres espèces n’y pouvant de rien servir. L’Arsenic se fixe comme le Soufre ; mais l’un et l’autre se subliment mieux si on les mêle avec des Métaux réduits en chaux. Mais ni le Soufre, ni l’Arsenic ne sont la Matière qui donne la perfection à notre Œuvre, parce qu’ils ne sont pas parfaits pour pouvoir donner la perfection. Ils peuvent néanmoins y contribuer avec condition. On doit choisir l’Arsenic qui soit clair, par écaille, et point pierreux.
CHAPITRE XXX
De l’Argent-vif.
L’Argent-vif, qui selon l’usage des Anciens s’appelle autrement Mercure, est une Eau visqueuse, faite d’une Terre blanche sulfureuse, très subtile, et d’une Eau très claire, lesquelles ont été cuites et digérées dans les entrailles de la Terre par la chaleur naturelle des Mines, et mêlées et unies fort exactement par leurs moindres parties, jusqu’à ce que l’Humidité ait été également tempérée par le Sec, et le Sec par l’Humide. C’est pourquoi il coule fort aisément sur une superficie égale et unie, à cause de la fluidité et de l’humidité de son Eau : et il ne s’attache point à ce qu’il touche, encore que sa matière soit visqueuse et gluante ; parce que la sécheresse qui est renfermée dans lui tempère cette humidité et l’empêche de s’attacher à ce qu’il touche. C’est lui, qui selon l’opinion de quelques Anciens, étant joint avec le Soufre, est la Matière des Métaux. Il s’attache facilement à Saturne, à Jupiter et au Soleil ; plus difficilement à la Lune, et plus difficilement encore à Vénus qu’à la Lune, mais jamais à Mars, si ce n’est par artifice ; et de là l’on peut découvrir un grand secret. Car il est ami des Métaux, et étant de leur nature, il s’unit aisément avec eux, et il sert de moyen ou milieu pour joindre les Teintures: Et il n’y a que l’Or seul qui aille au fond du Mercure, et qui se noie dans lui. Il dissout Jupiter, Saturne, la Lune et Vénus, et ces Métaux se mêlent avec lui, et sans lui l’on ne saurait dorer nul Métal. Il se fixe, et il devient une Teinture d’une rougeur très exubérante, pour parfaire les Corps imparfaits, et d’une très grande splendeur : Et il ne se sépare jamais du Corps auquel il est joint, tandis qu’il demeure en sa nature. Le Mercure n’est pas néanmoins notre Matière, ni notre Médecine, à le prendre tel que la Nature le produit: mais il peut y contribuer avec condition, aussi bien que le Soufre.
CHAPITRE XXXI
Des Effets des Principes naturels, qui sont les Corps Métalliques.
Nous avons maintenant à parler des Corps Métalliques, qui sont les effets, et qui sont formés de ces Principes. Il y en a six en tout: l’Or, l’Argent, le Plomb, l’Etain, l’Airain ou Cuivre, et le Fer. Le Métal est un corps minéral fusible, et qui se forge et s’étend sous le marteau en toute dimension. Il est d’une Substance serrée, et d’une très forte et ferme composition. Les Métaux ont grande affinité entre eux. Les parfaits ne communiquent pourtant point la perfection aux imparfaits, étant mêlés avec eux. Par exemple, si l’on mêle du Plomb avec de l’Or, lorsque ces deux Métaux sont en fusion, le Plomb ne deviendra pas Or par ce mélange. Car en mettant après cette Composition au feu, le Plomb se séparera de l’Or et se consumera, partie par évaporation, et partie par adustion, l’Or demeurant tout entier en cette Opération qui est une de ses épreuves. Il en est de même des autres Métaux imparfaits, selon la voie ordinaire de la Nature. Mais il n’en est pas ainsi en notre Magistère, où le Parfait aide et perfectionne l’Imparfait, et ou l’Imparfait reçoit de soi-même la perfection, sans qu’on lui ajoute rien d’étranger, et où enfin l’Imparfait est encore élevé à la perfection par notre même Magistère. Et je prends Dieu à témoin, qu’en ce Magistère le Parfait et l’Imparfait se changent et se perfectionnent l’un l’autre ; qu’ils sont changés et perfectionnés l’un par l’autre, et que chacun d’eux se perfectionne par soi-même, sans le secours d’aucun autre.
CHAPITRE XXXII
Du Soleil ou de l’Or.
Nous avons parlé en général des Corps, ou des Métaux ; il faut maintenant faire un Discours particulier de chacun d’eux. Commençons par l’Or. L’or est un Corps métallique jaune, pesant, qui n’a point de son, et fort brillant, qui a été également digéré dans la Mine et lavé pendant un long temps par une Eau minérale, qui s’étend sous le marteau, qui se fond par la chaleur du feu, et qui, sans se diminuer, souffre la Coupelle et le Ciment. C’est là la Définition de l’Or, d’où l’on doit inférer que nulle chose ne doit être censée. Or, si elle n’a toutes les Causes et les Différences ou Propriétés qui sont contenues en cette Définition, il est certain néanmoins que ce qui peut donner véritablement et radicalement la Teinture, l’uniformité et la pureté de l’Or à quelque Métal que ce soit, peut généralement de tous les Métaux en faire de l’Or. Et j’ai remarqué que le Cuivre, ayant été converti en Or par un effet de la Nature, il s’ensuit qu’il peut l’être aussi par l’artifice. Car j’ai vu dans les Mines de Cuivre, d’où il coulait de l’Eau qui, entraînant avec elle des paillettes de Cuivre fort déliées, et les ayant lavées et nettoyées continuellement et pendant un long temps ; cette Eau venant ensuite à tarir, et ces paillettes ayant demeuré trois ans ou environ dans du Sable tout sec, j’ai reconnu, dis-je, que ces paillettes ont été cuites et digérées par la chaleur du Soleil, et j’ai trouvé parmi ces mêmes paillettes de l’Or très pur. Ce qui m’a fait croire qu’ayant été nettoyées par l’Eau qui coulait, et puis également digérées par la chaleur du Soleil, dans la sécheresse du Sable, elles avaient acquis l’homogénéité et l’uniformité que nous voyons qu’a l’Or dans toutes ses parties. C’est pourquoi, en imitant la Nature, autant qu’il nous est possible, nous faisons la même altération et le même changement, quoiqu’en cela pourtant nous ne puissions ni ne devions pas même imiter la Nature en tout.
L’Or est encore le plus précieux de tous les Métaux, et c’est lui qui donne la Teinture rouge, parce qu’il communique sa Teinture et sa perfection à tous les autres Corps métalliques. On le calcine, et on le dissout même ; mais cela se fait sans nulle utilité, et c’est une Médecine qui réjouit et qui conserve le Corps dans la vigueur de la jeunesse. L’Or se rompt et se met en pièces facilement, si on l’amalgame avec le Mercure ; l’odeur du Plomb fait aussi le même effet. De tous les Métaux il n’y en a point qui approchent effectivement de sa Substance que Jupiter et la Lune, ni qui se mêlent mieux avec lui. Saturne lui ressemble dans le poids, et en ce qu’il n’a point de son, non. plus que lui, et qu’il est aussi bien que lui exempt de rouille et de pourriture. Vénus approche plus de l’Or par la Couleur, comme elle lui est encore plus semblable en puissance ; et après elle la Lune, puis Jupiter et Saturne, et enfin Mars le moins de tous. Et en cela gît l’un des secrets de la Nature. Les Esprits peuvent aussi être mêlés et unis à l’Or, et il les rend fixes par un grand artifice, qui ne tombera jamais dans l’esprit d’un Homme qui aura l’intelligence sure et qui sera hébété.
CHAPITRE XXXIII
De la Lune ou Argent.
La Lune, qu’on appelle ordinairement Argent, est un Corps Métallique blanc d’une blancheur pure, qui est net, dur, sonnant, qui souffre la Coupelle, qui s’étend sous le marteau, et qui est fusible par la chaleur du feu. La Lune est donc la Teinture de la blancheur. Elle endurcit Jupiter, et par artifice elle le change en sa nature. Elle se mêle avec le Soleil, sans le rendre aigre ni cassant mais à moins que d’en savoir l’artifice, elle ne demeure pas avec lui à toutes épreuves. Qui pourrait néanmoins la subtiliser, puis l’épaissir et la fixer, en l’unissant ensuite à l’Or, elle demeure avec lui dans le feu, et elle ne s’en sépare plus du tout. On la met sur le suc des acides, tels que sont le Vinaigre, le Sel Ammoniac et le Verjus, et il s’en fait un fort beau Bleu céleste. L’Argent est un Corps fort noble, mais il l’est moins que l’Or. Il a sa Mine particulière et séparée, encore que parfois il s’en trouve dans les Mines des autres Métaux ; mais cet Argent-là n’est pas si bon que l’autre. On peut le calciner et le dissoudre par un grand travail, mais cela ne peut servir de rien.
CHAPITRE XXXIV
De Saturne ou du Plomb.
Le Plomb est un Corps noirâtre, métallique, terrestre, pesant, qui n’a point de son, et fort peu de blancheur, mais beaucoup de lividité, qui ne souffre ni la Coupelle ni le Ciment, qui est mou et aisé à étendre sur le marteau, sans beaucoup d’effort ; et enfin qui se fond facilement sans s’enflammer auparavant,. ni rougir au feu. Quelques Ignorants s’imaginent que de sa nature, le Plomb s’approche de l’Or, et qu’il lui est fort semblable ; mais ce sont des Gens qui n’ont ni sens ni entendement, et qui ne sauraient d’eux-mêmes découvrir aucune vérité, ni l’inférer des choses qui sont un peu subtiles : ainsi ils en jugent seulement selon leur sens, et selon les apparences extérieures. Car ce qui les oblige à croire qu’il y a beaucoup d’affinité entre ce Métal et l’Or, c’est qu’ils voient qu’il est fort pesant, qu’il n’a point de son, et qu’il ne pourrit point non plus que l’Or. Mais ils se trompent manifestement en cela ; comme nous le ferons voir ensuite. Le Plomb a beaucoup de terrestréité ; c’est pourquoi on le lave, et par ce moyen on le change en Etain. Ce qui fait voir que l’Etain est plus proche que lui de la perfection. On brûle le Plomb, et il s’en fait du Minium, et en le mettant sur la vapeur du Vinaigre, il s’en fait de la Céruse ; et quoiqu’il soit beaucoup éloigné de la perfection, il se change pourtant fort aisément en Argent par notre Art, et dans la transmutation qui s’en fait, il ne retient pas le même poids qu’il avait étant Plomb : mais son poids diminue, et il se réduit au véritable poids de l’Argent, et cela se fait par le moyen du Magistère. Le Plomb sert aussi à éprouver l’Argent dans la Coupelle, nous en dirons la raison ci-après.
CHAPITRE XXXV
De Jupiter ou de l’étain.
L’Etain est un Corps Métallique blanc d’une blancheur impure, livide, un peu sonnant, participant d’un peu de terrestréité, qui a radicalement en soi le Cric. Il est mou, et se fond aisément et soudainement sans se rougir au feu ; il ne souffre ni la Coupelle ni le Ciment, et s’étend en toute dimension sous le marteau ; de sorte qu’il peut être réduit en feuilles fort déliées. Jupiter donc de tous les Corps ou Métaux imparfaits, est celui qui a le plus de ressemblance naturelle avec les Corps parfaits, et qui s’approche le plus du Soleil et de la Lune. Mais pourtant plus de la Lune que du Soleil, comme je le ferai voir clairement ci-après. Au reste, comme ce Métal a reçu beaucoup de blancheur par les Principes de sa composition, cela fait qu’il blanchit les autres Corps ou Métaux qui ne sont pas blancs. Il a néanmoins ce défaut qu’il rend aigres et cassants les Corps à qui on le joint, hormis Saturne et le Soleil très pur. Jupiter a encore cette propriété, qu’il s’attache fortement au Soleil et à la Lune. C’est pourquoi fi ne s’en sépare pas facilement dans les épreuves. Dans la Transmutation qui s’en fait par notre Magistère, il reçoit une Teinture rouge, qui le rend fort brillant, et il acquiert le véritable poids de l’Or. On peut l’endurcir et le purifier plus aisément que Saturne, comme je le dirai ensuite. Et qui saurait le Secret de lui ôter le défaut qu’il a de rendre aigres et cassants (les Métaux auxquels on le mêle), il aurait un moyen infaillible de s’enrichir bientôt. Parce qu’ayant beaucoup d’affinité avec le Soleil et la Lune, il s’attacherait à eux, sans pouvoir jamais en être séparé.
CHAPITRE XXXVI
De Vénus ou du Cuivre.
Vénus est un Corps métallique livide, qui tient beaucoup d’une rougeur obscure, qui rougit au feu, s’étend sous le marteau, résonne fortement, et ne souffre ni Coupelle ni Ciment. Vénus contient donc en apparence, dans la profondeur de sa Substance, la couleur et l’essence de l’Or. Elle se forge et s’enflamme sans se fondre, comme font l’Argent et l’Or. D’où l’on peut tirer un Secret. Car elle est le milieu du Soleil et de la Lune ; elle se change facilement en l’un et en l’autre de ces deux Métaux, et la transmutation qui s’en fait est fort bonne, sans beaucoup de déchet, et est aisée à faire. Elle a une très grande affinité avec la Tutie, qui lui donne une bonne couleur d’Or ; d’où l’on peut tirer du profit. Et comme elle n’a point besoin d’être endurcie pour pouvoir rougir au feu sans se fondre, on doit se servir d’elle plutôt que des autres Métaux, dans la petite Œuvre et dans la moyenne (dont il sera parlé dans le second Livre), mais non pas dans la grande. Elle a néanmoins un défaut, que n’a pas Jupiter, qui est qu’elle devient aisément livide, et que les choses âcres et acides la tachent. Et ce n’est pas un petit artifice que de lui pouvoir ôter ce défaut-là, tant il est profondément enraciné en elle.
CHAPITRE XXXVII
De Mars ou de Fer.
Mars ou le Fer est un Corps métallique fort livide, qui a peu de rougeur, qui participe d’une blancheur impure, qui est dur et inflammable, qui n’est pas fusible au moins d’une fusion, laquelle se fasse directement (ou sans addition), qui est malléable, et qui a beaucoup de son. Or le Fer est d’un rude travail (et difficile à être mis en Œuvre), à cause qu’il ne peut pas être fondu. Que si on le fond sans y ajouter la Médecine qui change sa nature, on le joindra au Soleil et à la Lune, et il n’en pourra être séparé par quelque épreuve que ce soit, qu’avec un grand artifice. Que si on le prépare auparavant que de le joindre (aux Corps imparfaits), on ne saurait plus trouver le moyen de l’en séparer ; pourvu que, sans changer sa nature et sa fixité, on ne lui ôte seulement que les impuretés qu’il a. Il peut donc aisément servir de Teinture pour le rouge, mais difficilement pour le blanc ; et si on le mêle avec le Soleil et la Lune, il ne change point leur couleur ; au contraire, il l’augmente en quantité.
CHAPITRE XXXVIII
De la différence des Métaux imparfaits à l’égard de la perfection.
De ce que nous venons de dire, il est évident que de tous les Corps imparfaits, Jupiter est le plus éclatant, le plus ,lumineux, et qui a le plus de perfection. Ainsi, dans la transmutation, il se change en Soleil et en Lune avec bien moins de déchet que pas un. Mais quoique l’Œuvre, que l’on fait de lui, ne soit pas difficile à faire, toutefois le travail en est long, à cause qu’il se fond fort promptement. Après Jupiter, Vénus se transmue le plus parfaitement. Elle est néanmoins difficile à manier: mais le travail en est plutôt fait que celui de Jupiter. Saturne vient ensuite, car il ne se transmue pas si bien ni si parfaitement que Vénus ; il se manie pourtant fort aisément, mais le travail qu’on fait sur lui dure fort longtemps, et est long à faire. Enfin Mars est celui de tous les Métaux imparfaits qui se transmue avec le plus de déchet, qui est le plus malaisé à manier, et celui de qui le travail dure le plus. Moins donc les Corps imparfaits ont de disposition à être promptement fondus, tels que sont Vénus et Mars, plus ils sont difficile à être transmués. Et ceux qui se fondent plus aisément reçoivent très facilement la transmutation. Ceux aussi qui sont plus livides, plus impurs, et qui ont le plus de crasses terrestres, se transmuent avec plus de peine, et reçoivent le moins de perfection. Or toutes les différences de perfections que nous venons de remarquer se trouvent dans la moindre et la moyenne Œuvre seulement: car dans la grand Œuvre, toutes les perfections sont égales ; c’est-à-dire que les Métaux imparfaits, qui sont transmués, reçoivent tous une même et égale perfection, quoiqu’ils ne soient pas aussi aisément et aussi entièrement transmués les uns que les autres, comme nous venons de le faire voir. Il reste à dire quelle est la disposition, dans les Métaux imparfaits, qui fait qu’il y en a qui sont plus aisés à manier les uns que les autres, et que le travail en est ou plus long et plus court.
Nous avons parlé des Principes naturels des Corps métalliques, et nous avons traité de chacun de ces Principes et de ces Corps séparément dans autant de Chapitres particuliers, et nous n’avons rien avancé qui ne soit conforme au sentiment et à la doctrine de ceux qui ont pénétré dans le plus profond de la nature, et qui l’ont vue à découvert, et que nous n’ayons appris et éprouvé par les longues et laborieuses expériences que nous en avons faites. Il reste maintenant, pour l’accomplissement de cet Ouvrage, à expliquer par ordre, en cette dernière Partie, de tous les Principes du Magistère, et à découvrir la perfection que nous avons vue, et en déclarer les Causes.
Fin de la troisième partie.
QUATRIÈME ET DERNIÈRE PARTIE DU PREMIER LIVRE
Qui traite des Principes artificiels de l’Art.
CHAPITRE XXXIX
Division des choses contenues en cette Partie, où il est parlé en passant de la perfection, de laquelle il sera traité dans le second livre.
Nous avons deux choses à faire en cette dernière Partie. Premièrement à parler des Principes (artificiels) du Magistère, et en second lieu de la perfection. Ces Principes sont les diverses Opérations dont l’Artiste se sert pour faire le Magistère. Il y eh a de plusieurs sortes, car la Sublimation, la Descension, la Distillation, la Coagulation, la Fixation, et la Cération , sont autant d’Opérations particulières, et qui sont toutes différentes les unes des autres. Nous traiterons de chacune séparément. Pour ce qui est de la perfection ; elle consiste à avoir la connaissance de plusieurs choses : premièrement de celles par le moyen desquelles on peut parfaire l’Œuvre ; secondement de celles qui contribuent à la perfection ; puis de la chose même qui donne la dernière perfection. Et enfin des choses par le moyen desquelles on connaît si le Magistère a toute la perfection qu’il doit avoir, ou s’il ne l’a pas. Les choses par lesquelles on parvient à l’accomplissement de l’Œuvre consistent dans une Substance manifeste, dans les couleurs pareillement manifestes, et dans les Poids de chacun des Corps (ou Métaux) qui doivent être transmués, et de ceux qui ne doivent point recevoir de transmutation, les considérant dans la Racine de leur nature ; je veux dire tels qu’ils sont naturellement, sans qu’il intervienne aucun artifice ; et les considérant aussi dans leur Racine, tels qu’ils peuvent devenir par l’artifice ; en considérant encore les Principes de ces mêmes Corps, selon leur profondeur, et tels qu’ils sont dans leur intérieur ; et selon leur manifeste ou extérieur, comme ils sont dans leur nature, tant sans artifice que par artifice. Car si l’on ne connaissait les Corps et leurs Principes dans le profond, et dans l’extérieur de leur nature, tels qu’ils peuvent être par l’artifice, et tels qu’ils sont sans artifice, l’on ne connaîtrait pas ce qu’ils ont de superflu, ni ce qui les approche de la perfection, ni ce qui les en éloigne ; et ainsi l’on ne pourrait jamais parvenir à la perfection de leur transmutation.
La considération des choses qui aident à la perfection consiste à connaître, premièrement la nature des choses que nous voyons d’elles-mêmes et sans artifice s’attacher au Corps, et y causer quelque changement , comme sont la Marcassite, la Magnésie, la Tutie, l’Antimoine et la Pierre Lazuli. Secondement à connaître ce qui nettoie les Corps, sans néanmoins s’y attacher, comme sont les Sels, les Aluns, les Nitres, les Borax et toutes les autres choses qui sont de même nature. Et enfin à connaître la vitrification, laquelle purifie et nettoie par la ressemblance de nature.
A l’égard de ce qui fait la perfection, elle consiste dans le choix de la pure Substance, c’est une Matière qui a pris son origine de la Matière de l’Argent-vif, et qui en a été produite. Cette matière n’est pas pourtant l’Argent-vif en sa nature, ou tel qu’il est naturellement, ni en toute sa Substance ; mais c’en est seulement une partie. Encore n’est-ce pas une partie de l’Argent-vif à le prendre tel qu’il est présentement, c’est-à-dire au sortir de la Mine, mais lorsque notre Pierre est faite. Car c’est notre Pierre qui illumine et qui empêche que les Métaux imparfaits ne soient brûlés, et qu’ils ne s’enfuient de dessus le feu, ce qui est une marque de la perfection.
Enfin, ce qui fait connaître si le Magistère a ou n’a pas toute sa perfection, consiste dans les épreuves que l’on fait par la Coupelle, par le Ciment, par l’ignition, par l’exposition que l’on fait du Métal transmué sur la vapeur des Acides, par l’Extinction, par l’addition ou le mélange du Soufre qui brûle les Corps ; par la Réduction qui se fait des Corps (en leur propre nature) après avoir été calcinés ; et enfin par la facilité ou la difficulté qu’ont les Corps à s’attacher à l’argent-vif. Nous allons expliquer toutes ces choses, avec leurs Causes, et avec des expériences aisées, par le moyen de quoi l’on connaîtra qu’en tout ce que j’ai avancé, je n’ai rien dit qui ne soit véritable. Car ces expériences seront si évidentes qu’il n’y aura personne qui n’en demeure d’accord. Mais premièrement nous parlerons des Principes (extérieurs ou artificiels) du Magistère, ou des Opérations (dont on se sert pour le faire), en commençant par la Sublimation, et continuant de suite dans l’ordre que nous jugerons être le plus nécessaire.
CHAPITRE XL
De la Sublimation en général, et pourquoi on l’a inventée.
La raison pour laquelle on a imaginé et inventé la Sublimation, ç’a été parce que ni les Anciens ni nous n’avons rien, trouvé, et que ceux qui viendront après nous ne pourront jamais rien trouver qui puisse s’unir aux Corps que les Esprits, ou au moins que ce qui a tout ensemble la nature du Corps et de l’Esprits Or l’expérience nous fait voir que les Esprits, sans être purifiés par quelque préparation, étant projetés sur les Corps, ou Métaux imparfaits, où ne leur donnent pas de couleur parfaite, ou les corrompent entièrement, et les brûlent, et les noircissent. Et cela plus ou moins selon la diversité des Esprits. Car il y a des Esprits qui brûlent et qui noircissent, comme le Soufre, l’Arsenic et la Marcassite ; et ceux là corrompent et salissent entièrement les Corps. Et il y en a d’autres qui ne brûlent pas mais qui sont volatils, et qui s’enfuient par la chaleur, telles que sont toutes les sortes de Tuties et le Vif-Argent. Et ceux là ne donnent aux Corps que des Couleurs imparfaites. En voici les raisons. La première sorte d’Esprits brûlent et noircissent (les Corps sur lesquels on les projette), ou parce que l’on ne leur a pas ôté leur onctuosité adustive et brûlante qui s’enflamme facilement, et par conséquent qui noircit ; ou parce qu’on leur a laissé leur terrestréité, laquelle noircit tout de même. Et ce qui fait que la seconde sorte d’Esprits ne donne pas de Couleur qui soit parfaite, c’est la seule terrestréité (qui ne leur a pas été ôtée), et qui donne aux Corps une Couleur livide et noirâtre, lorsqu’on en fait projection sur eux. L’adustion fait aussi le même effet.
Pour éviter ces inconvénients, les Chimistes ont imaginé un moyen d’ôter l’onctuosité (qui est ce qui fait l’adustion) aux Esprits qui en ont, et d’ôter à tous les Esprits en général les fèces terrestres qui causent cette couleur livide. Ce qu’ils n’ont pu faire par nulle autre opération que par la Sublimation seule. Car le feu, en élevant les Esprits, lorsqu’on les sublime, en élèvent toujours les parties les plus subtiles. Et par conséquent les parties les plus grossières demeurent dans le fond du vaisseau. Ce qui fait voir évidemment que la Sublimation purifie les Esprits, en séparant d’eux la terrestréité qui empêchait qu’ils ne fussent entrants ; c’est-à-dire qu’ils ne pussent pénétrer les Corps, et qui était la cause de la couleur imparfaite et impure que ces Esprits leur communiquaient. Or on voit manifestement que par la Sublimation les Esprits sont dépouillés de cette terrestréité ; parce qu’ayant été sublimés, ils sont plus resplendissants et plus diaphanes ; qu’ils entrent et pénètrent avec plus de facilité dans l’épaisseur des Corps, et qu’il ne leur impriment pas une couleur désagréable, comme ils faisaient avant que d’avoir été sublimés. Il est encore évident que la Sublimation ôte l’adustion aux Esprits parce que l’Arsenic, qui, avant que d’être sublimé, était mauvais et prenait feu tout aussitôt ; après l’avoir été, il ne s’enflamme plus : mais étant mis sur le feu, il s’évapore sans brûler. Ce qui se fait tout de même dans le Soufre, comme on le trouvera, si l’on veut l’éprouver. Les Chimistes ayant donc remarqué qu’il n’y avait que les Esprits tous seuls qui, en s’attachant aux Corps et en les pénétrant, peuvent les changer et les altérer ; et n’ayant rien trouvé qu’ils pussent substituer aux Esprits, et avec quoi ils pussent faire le même effet, il a fallu nécessairement les préparer et les purifier par la Sublimation, n’y ayant que cette Opération qui le puisse faire. Et partant ç’a été la cause pour laquelle on l’a inventée. Nous allons dire maintenant ce que c’est, et de quelle manière elle se fait, sans rien omettre.
CHAPITRE XLI
Ce que c’est que la Sublimation. comment se fait celle du Soufre et de l’arsenic, et des trois degrés du feu qu’il y faut observer.
La Sublimation est l’élévation qui se fait par le feu d’une chose sèche, en sorte qu’elle s’attache au vaisseau. Il y a de diverses sortes, selon la différence des Esprits que l’on doit sublimer. Car l’une se fait avec une forte ignition, ou inflammation du (Vaisseau et de la Matière), l’autre avec un feu médiocre ; et l’autre enfin par un feu lent et doux. Le Soufre et l’Arsenic doivent être sublimés de cette dernière façon. Car comme ils ont de deux sortes de parties, les unes très subtiles, et les autres grossières, qui toutes sont jointes ensemble également et très fortement, si l’on venait à sublimer ces deux sortes d’Esprits par un feu violent, toute leur Substance monterait sans aucune séparation de leurs parties subtiles d’avec les grossières ; elle monterait même non seulement sans être purifiée, mais encore étant toute noire et brûlée. Pour pouvoir donc séparer la Substance terrestre et impure de ces Esprits d’avec la partie subtile, il faut nécessairement se servir de deux moyens. Le premier est d’avoir un régime de feu bien proportionné, et l’autre de purifier ces deux Esprits en les mêlant avec des fèces, parce que les fèces avec lesquelles on les mêle (ayant auparavant mis le tout en poudre) s’attachent aux parties les plus grossières et les retiennent avec elles, affaissées dans le fond de l’Aludel (c’est-à-dire du Vaisseau sublimatoire) et les empêchent de monter. C’est pourquoi l’Artiste se doit servir de trois différents degrés de feu pour la Sublimation de ces Esprits. Le premier doit être proportionné de telle sorte qu’il n’y ait que ce qui a été altéré, purifié, et rendu plus lucide, qui monte, et que l’on voit manifestement que ce qui s’élève est effectivement purifié et nettoyé, par les fèces terrestres qu’on y a mêlées. Le second degré de feu consiste à faire élever et sublimer par un feu plus fort tout ce qui est de pure Substance, qui, dans la première Sublimation, a demeuré engagé dans les fèces, de manière que l’Aludel et les fèces même rougissent, ce que l’Artiste remarquera visiblement. Le troisième degré est de faire un feu fort doux, sans mêler plus aucunes fèces à ce qui a été déjà sublimé et purifié par leur moyen et leur mélange dans les précédentes Sublimations ; de manière qu’il n’en monte presque rien, et que ce qui montera par ce degré de feu soit très subtil. Ce qui est une chose absolument inutile à l’Œuvre, parce que c’est cela même, qui dans l’Arsenic et dans le Soufre, est cause qu’ils s’enflamment et se brûlent. La raison donc pour laquelle on fait la Sublimation du Soufre et de l’Arsenic, c’est afin qu’en séparant leur terrestréité impure par un régime de feu qui soit propre et convenable, et font exhaler leurs parties les plus subtiles et vaporeuses (qui est ce qui les rend adustible, et qui cause la corruption), il ne nous en reste que cette partie qui consiste en une égalité (c’est-à-dire qui n’est ni trop subtile, ni trop grossière, et qui fait une simple fusion sur le feu sans aucune adustion, qui s’exhale et s’en aille en fumée, et sans qu’elle s’enflamme).
Au reste, il est aisé de faire voir que ce qui est le plus subtil est ce qui rend adustible, ou qui cause l’adustion. Car le feu change facilement en sa nature tout ce qui lui est semblable. Or dans toutes les choses adustibles, c’est-à-dire qui brûlent facilement, tout ce qu’elles ont de subtil est plus semblable au feu et ce qui est encore plus subtil lui est encore plus semblable : Et par conséquent, ce qui sera très subtil le sera aussi beaucoup plus. L’expérience le démontre tout de même. Car le Soufre et l’Arsenic, qui n’ont point été sublimés, s’enflamment et prennent feu tout d’abord, et le Soufre encore plutôt que l’Arsenic ; mais quand on les a sublimés, ils ne s’enflamment plus directement, c’est-à-dire d’eux-mêmes ; mais ils se fondent et se liquéfient, puis ils s’évaporent, et s’exhalent sans s’enflammer. D’où il est évident que ce que nous avons avancé est véritable.
CHAPITRE XLII
Des Fèces des Corps Métalliques, qu’il faut ajouter aux Esprits pour les sublimer, et quelles doivent être leur quantité et leur qualité.
Il faut prendre les fèces d’une Matière qui ait le plus de rapport avec les Esprits que l’on veut sublimer et avec laquelle ils se puissent mêler mieux et plus intimement ; parce qu’une Matière, à laquelle les Esprits s’uniront plus exactement, retiendra beaucoup mieux leurs fèces et leurs terrestréités quand on les sublimera, qu’une autre qui n’aurait aucune affinité avec eux. Et la raison en est assez évidente d’elle-même. Il est d’ailleurs aisé de faire voir qu’il faut mêler des fèces dans la Sublimation des Esprits ; parce que si on sublimait le Soufre et l’Arsenic avec les fèces de quelque chose de fixe, leur Substance se sublimerait nécessairement toute entière sans être purifiée et sans aucune séparation du pur d’avec l’impur, comme le savent ceux qui en ont fait l’expérience. Or qu’il faille que les fèces aient du rapport avec ces deux Esprits, et qu’ils se mêlent ensemble exactement et en toute leur Substance, la raison en est parce que si ce mélange ne se faisait pas de la sorte, il vaudrait autant n’y rien ajouter : à cause que la Substance des Esprits monterait et se sublimerait toute entière, sans qu’il se fît nulle séparation du pur d’avec l’impur, et sans être nullement purifiée. Car puisque lorsqu’on sublime ces Esprits sans les mêler avec les fèces, leur Substance monte et se sublime toute, il faudrait aussi qu’il arrivât la même chose en les sublimant avec des fèces avec lesquelles ils ne seraient pas mêlés parfaitement. J’en parle comme savant, et comme l’ayant vu par expérience. Car ayant fait ma Sublimation sans y ajouter des fèces, ou en y en mettant, sans que les Esprits s’unissent à elles jusque dans le profond, j’ai perdu ma peine, n’ayant point trouvé que les Esprits eussent été purifiés après avoir été sublimés de la sorte. Mais les ayant sublimé ensuite avec la Chaux de quelque Corps Métallique, mon Opération a bien réussi, et j’ai trouvé que ces Esprits avaient été facilement et parfaitement purifiés par ce moyen. Les fèces doivent donc être prises de la Chaux des Métaux, parce qu’avec ces Chaux, la Sublimation se fait facilement, et elle est fort difficile à faire avec quelque autre chose que ce soit. Il n’y a donc rien dont on se puisse servir au lieu de ces fèces ou de ces Chaux. Ce n’est pas que la Sublimation ne se puisse absolument faire sans la Chaux des Corps, mais je puis assurer que sans cela elle est ‘fort difficile, et d’un travail à désespérer ceux qui le feront, à cause de sa longueur. Il est vrai que la Sublimation qui se fait sans fèces et sans aucune Chaux des Corps a cet avantage qu’elle est plus abondante, au lieu qu’elle est beaucoup moindre encore avec les Chaux. Mais aussi il n’y a pas tant de peine, et il ne faut pas tant de temps à la faire.
Après la Chaux des Corps, il n’y a rien dont on se puisse plus utilement servir dans la Sublimation, que des Sels préparés, et de tout ce qui est de même nature qu’eux. Car avec les Sels, la Sublimation est fort abondante, et on sépare fort facilement ce qui a été sublimé d’avec les fèces et d’avec les Sels, parce que ceux-ci se dissolvent, ce que ne fait nulle autre chose dont on se sert pour intermède.
Pour ce qui est de la proportion des fèces, on les doit mettre en égale quantité, c’est-à-dire poids pour poids, avec ce qui doit être sublimé. Mais il suffira à un Artiste, qui saura tant soit peu son métier, de ne mettre que la moitié de fèces à proportion de ce qu’il sublimera. Et il fera un mal habile Homme s’il s’y trompe. Mais un Artiste expert ne mettra qu’une fort petite portion de fèces, à l’égard de ce qu’il doit sublimer : parce que moins il y en aura, et plus abondante sera la Sublimation, pourvu toutefois qu’on diminue le feu à proportion de la diminution des fèces. Car il faut donner le feu dans la Sublimation, à proportion des fèces. Ainsi il faut faire le feu doux, quand il y a peu de fèces, et l’augmenter s’il y en a plus, et le faire fort quand il y en a beaucoup.
Mais parce que l’on ne saurait mesurer le feu, et qu’un Homme, qui n’est pas Artiste, s’y peut facilement tromper, tant à cause de la diverse proportion des fèces (que l’on doit observer) qu’à cause de la différence des Fourneaux, et du bois dont on se sert, et même de la diversité des Vaisseaux, et de la manière de les ajuster dans le Fourneau : qui sont des choses à quoi l’Artiste doit soigneusement prendre garde. Voici une règle générale que l’on doit suivre pour tout cela. Il faut d’abord faire un feu fort doux, pour tirer tout ce qu’il y a de phlegme dans ce que l’on veut sublimer. Après quoi, si par ce premier degré de feu l’on voit qu’il ait monté quelque autre chose que le phlegme, il ne faudra pas augmenter le feu tout à coup, mais peu à peu, afin de pouvoir tirer, par le même degré du feu fort doux, la partie la plus subtile de la Matière que l’on sublime, et qu’il faut ou mettre à part, ou jeter, parce que c’est ce qui fait l’adustion. Et il faudra augmenter le feu quand il aura monté quelque peu de cette partie subtile, ou du moins une quantité qui ne soit pas considérable. Pour le connaître, on n’aura qu’à passer une languette de drap ou un tuyau enveloppé de soie ou de laine, dans le trou qui est au haut de l’Aludel. Car s’il ne s’attache que peu de chose à la languette, ou que ce qui s’y attachera soit bien pur, ce sera une marque que le feu est trop doux, et qu’il faut l’augmenter. Que si au contraire il s’en attache beaucoup, ou si ce qui s’y attachera est impur, c’est un signe que le feu est trop fort, et qu’il le faut diminuer. Mais s’il s’en attache beaucoup, et de bien pur, on aura trouvé le véritable degré du feu, selon la proportion des fèces. Or on connaîtra, en retirant la languette de l’Aludel si ce qui sublime est pur ou impur: Comme de la quantité et de la pureté ou de l’impureté de ce qui s’y attachera, on pourra facilement imaginer y trouver quel doit être le véritable régime du feu dans toute la Sublimation sans s’y pouvoir tromper.
A l’égard de la nature des fèces, dont on se doit servir pour la Sublimation, les meilleures sont les Ecailles ou Paillettes de Fer, ou bien de Cuivre brûlé, qu’on appelle communément (Æs Ustum) parce qu’ayant moins d’humidité, elles boivent plus aisément le Soufre et l’Arsenic, et s’y attachent plus fortement comme le savent ceux qui en ont fait l’expérience.
CHAPITRE XLIII
Des fautes que l’on peut faire, et qu’il faut éviter, à l’égard de la quantité des fèces et de la disposition du Fourneau en sublimant le Soufre et l’arsenic. De la manière de faire les Fourneaux, et de quel bois on se doit servir.
Afin donc que l’Artiste évite toutes les fautes qu’il pourrait faire par ignorance en sublimant ces deux Esprits, je l’avertis premièrement que s’il y mêle beaucoup de fèces, rien de l’Esprit ne se sublimera, à moins qu’il n’augmente le feu à proportion, comme je l’ai déjà dit en enseignant la manière de bien proportionner le feu. Que s’il se met fort peu de fèces ou que ces fèces ne soient de la chaux des Métaux, et s’il manque à trouver la proportion du feu, les Esprits, qu’on veut sublimer, monteront tous tels qu’ils sont, sans être nullement purifiés. J’ai tout de même enseigné le moyen de trouver cette proportion. On peut encore manquer par le Fourneau. Car un grand Fourneau fait un grand feu, et s’il est petit, il en fait un petit, pourvu que le bois qu’on y met, et que les Registres (ou les trous) qu’on fait aux Fourneaux pour donner de l’air, soient faits à proportion. Si l’on mettait donc beaucoup de Matière à sublimer sur un petit Fourneau, il ne donnerait pas assez de chaleur pour la pouvoir élever. Et si l’on en mettait peu dans un grand Fourneau, le trop grand feu dissiperait toute la Matière, et la réduirait en fumée. De même, quand le Fourneau est fort épais, il fait un feu resserré fort, et s’il est mince, le feu en est rare et faible ; et en cela on se peut aussi tromper. Si les Registres du Fourneau sont grands, il fera un feu clair et grand, et le feu sera faible s’ils sont petits. De même, quand le Vaisseau est posé, s’il y a une grande distance entre lui et les côtés du Fourneau, il fera un grand feu, qui sera moindre s’il y a moins d’espace entre eux. Et en tout cela on fait souvent de grandes fautes.
Pour les éviter, l’Artiste doit faire son Fourneau conforme au degré du feu qu’il veut donner. Ainsi, s’il veut faire un feu fort et violent, il doit faire son Fourneau épais avec de grands Registres, et si large qu’il ait un grand espace entre son Vaisseau sublimatoire et les côtés du Fourneau. Que s’il veut que son feu soit médiocre ou faible, il doit donner à toutes ces choses une étendue plus médiocre et plus petite.
Je vais t’enseigner le moyen de trouver toutes ces proportions, et celle qui sera la plus propre pour quelque Opération que tu veuilles faire, et je te dirai comment tu en dois faire l’expérience pour en être assuré.
Si tu veux donc faire une grande Sublimation, tu dois avoir un Aludel si grand, que toute la Matière que tu mettras dans le fond de ton Vaisseau ne tienne qu’un empan de hauteur. Tu mettras ensuite cet Aludel dans un Fourneau si large que, le Vaisseau étant posé au milieu, il y ait tout au moins deux pouces de distance entre lui et les côtés du Fourneau, auquel il faudra faire des trous, ou Registres, qui soient espacés également, afin que la chaleur se communique également partout. Après tu mettras une barre de fer épaisse d’un pouce au milieu du Fourneau, qui soit fortement appuyée sur les deux côtés et élevée au-dessus du fond du Fourneau d’un bon empan, sur laquelle tu poseras ton Aludel, que tu joindras d’espace en espace au Fourneau, afin qu’il soit plus ferme. Alors fais du feu, et prends garde si la fumée sort bien, et si la flamme va librement par tout le Fourneau, et si elle est tout autour de l’Aludel. Car si cela est, ce sera une marque que la proportion est bien observée ; sinon la proportion n’est pas bonne, et il faudra élargir les Registres. Après quoi, si l’opération se fait mieux, cela sera bien de la sorte ; sinon la faute proviendra de ce qu’il n’y aura pas assez d’intervalle entre le Fourneau et l’Aludel. Ainsi il faudra ratisser les côtés du Fourneau, pour donner plus d’ouverture et de jour ; puis essayer comment cela fera continuant à ratisser les côtés du Fourneau et à agrandir les Registres jusqu’à ce qu’il ne reste plus de fumée au dedans, que la flamme paraisse claire autour de l’Aludel, et que la fumée sorte librement par les Registres. Cette instruction suffit, quelque quantité de Matière que l’on veuille sublimer, pour imaginer et pour trouver la juste proportion du Fourneau, celle de la grandeur des Registres qu’il y faut faire, et celle encore de la distance qu’il doit y avoir entre l’Aludel et le Fourneau.
Pour ce qui est de l’épaisseur du Fourneau, elle dépend du feu que vous y voulez faire. Car si votre feu doit être grand, il faut que le Fourneau ait plus d’épaisseur ; et cette épaisseur doit être toujours d’un bon empan. Que si le feu est médiocre, le Fourneau sera assez épais de la largeur de la main. Et si le feu est petit, il suffira que le Fourneau ait deux pouces d’épaisseur. Cette même proportion se doit encore prendre du bois dont l’Artiste se sert. Car le bois solide et serré fait un feu fort, et qui dure beaucoup. Celui qui est spongieux et léger fait un feu faible et qui ne dure guère. Le bois sec fait un grand feu, mais de peu de durée. Le bois vert, au contraire, fait le feu faible, et qui dure longtemps.
C’est donc par l’espace qui est entre l’Aludel et les côtés du Fourneau, par la grandeur et la petitesse des Registres, par l’épaisseur ou la délicatesse des murs du Fourneau, et par la diversité du bois, que l’on connaîtra véritablement les divers régimes et les différents degrés du feu. Comme ce sera de l’ouverture, grande ou petite, tant des Registres que des Portes, par où l’on met le bois dans le Fourneau, et de la quantité et différence du bois dont on se sert, que l’on connaîtra quelle doit être précisément la durée du feu, et combien chaque sorte de feu durera également, dans un même degré. Ce qui est très nécessaire et d’une grande utilité à l’Artiste ; parce que cette connaissance lui épargnera plus de peine qu’on ne saurait croire. C’est pourquoi on doit mettre en pratique, et faire expérience de tout ce que nous venons de dire ; n’y ayant que la pratique et l’exercice qui puisse rendre un Homme habile et expert en toutes ces choses.
CHAPITRE XLIV
De quelle matière et de quelle figure l’Aludel doit être.
Pour avoir un bon Aludel, ou Vaisseau sublimatoire, il faut qu’il soit fait de verre et fort épais. Car il ne serait pas bon de toute autre matière, n’y ayant que le verre qui soit capable de retenir les Esprits, les empêcher de s’exhaler et d’être consumés par le feu ; à cause que le verre n’a point de pores ; au lieu que les autres matières étant poreuses, les Esprits sortent et s’en vont peu à peu au travers de leurs pores. Les Métaux même ne valent rien à faire ces sortes de Vaisseaux ; parce que les Esprits ayant une grande affinité avec eux, ils les pénètrent, s’y attachent, et passent par conséquent aisément tout au travers, comme on le doit inférer de ce que nous avons dit ci-devant, et comme l’expérience le fait voir. D’où il s’ensuit qu’il n’y a point d’autre matière que le verre seul, dont nous puissions utilement nous servir à faire les Vaisseaux sublimatoires.
Il faut donc faire une Cucurbite de verre qui soit ronde, dont le fond ne soit pas fort arrondi, mais presque plat, au milieu de laquelle R faut faire en dehors un cercle ou ceinture de verre, qui l’environne tout autour ; et sur ce cercle il faut élever une paroi ronde, qui avance autant en dedans que le couvercle de la Cucurbite a d’épaisseur ; afin que dans cet espace le couvercle puisse entrer à l’aise et sans peine, et il faut que ce couvercle ait autant de hauteur ou environ, qu’en a la paroi de la Cucurbite au-dessus du cercle. De plus, il faut faire deux couvercles à proportion de la concavité de ces deux parois, lesquels soient égaux, de la grandeur d’un empan, qui soient faits en pointe ou en pyramide ; au sommet de chacun desquels il y ait deux trous égaux, et assez grands pour y pouvoir faire entrer une grosse plume de poule, comme il se verra plus clairement par ce que je dirai ci-après. Or la raison en général pour laquelle on doit faire l’Aludel de la manière que je viens de dire, c’est afin que l’Artiste en puisse tourner et remuer le couvercle, comme il lui plaira ; et que ces deux pièces joignent si exactement l’une à l’autre, que s’il est besoin qu’elles demeurent sans être lutées, les Esprits pour cela ne puissent point en sortir ; que si quelqu’un peut imaginer quelque chose de mieux et de plus propre (pour faire cette Opération), ce que j’enseigne ici ne doit pas l’empêcher de s’en servir.
Il y a encore une autre raison particulière qui oblige à faire l’Aludel comme je l’ai dit ; qui est, afin que la partie supérieure de la Cucurbite (c’est-à-dire tout ce qui est au-dessus de la ceinture de verre) entre entièrement dans son couvercle, et qu’ainsi la Cucurbite y entre jusqu’à moitié. Car la fumée ayant cela de propre qu’elle monte toujours et qu’elle ne descend jamais ; je crois avoir trouvé par là le meilleur moyen qu’on puisse imaginer pour empêcher que les Esprits ne s’échappent et ne se dissipent point ; ce que par l’expérience l’on trouvera être vrai.
Au reste, il y a une Maxime générale qu’il faut observer en toutes les Sublimations, qui est que l’on doit nettoyer et vider fort souvent le haut du couvercle de l’Aludel, en ôtant ce qui aura monté, de crainte que s’il s’y assemblait trop de Matière, elle ne retombât dans le fond du Vaisseau ; et qu’ainsi, comme il faudrait recommencer souvent, la Sublimation ne fût trop longtemps à se faire. Il faut encore avoir soin d’ôter et de mettre à part la Poudre qui aura monté, et qui se trouvera proche du trou qui est au haut du couvercle, et ne la pas mêler avec ce qui sera fondu et entassé par grumeaux, et avec ce qui se trouvera clair et transparent ; soit qu’il soit demeuré au fond, soit qu’il soit monté, et qu’il se soit attaché aux côtés du Vaisseau: parce que toutes ces Matières ont moins d’adustion que ce qui aura monté proche du trou du couvercle, comme je l’ai fait voir ci devant par raison et par expérience.
Au reste, on connaîtra que la Sublimation sera bonne et bien faite si la Matière sublimée est claire et luisante, et si elle ne se brûle et ne s’enflamme point. C’est ainsi que se doit faire la Sublimation du Soufre et de l’Arsenic pour être parfaite. Que si l’on ne trouve pas la Matière telle que nous venons de le dire, il faudra la resublimer par elle-même (c’est-à-dire sans y rien mêler), en observant toutes les circonstances que nous avons marquées, jusqu’à ce qu’elle soit de la manière que nous avons dit.
CHAPITRE XLV
De la Sublimation du Mercure.
Nous avons maintenant à parler de la Sublimation de l’Argent-vif, et à dire pourquoi on la doit faire. Cette Sublimation ne consiste qu’à purger parfaitement le Vif-argent de sa terrestréité, et à lui ôter son aquosité ou humidité superflue. Car n’ayant point d’adustion (c’est-à-dire ne se pouvant brûler),. nous ne devons point nous mettre en peine de la lui ôter.
Le meilleur moyen qu’il y ait de séparer la terrestréité superflue de l’Argent-vif, c’est de le mêler avec des fèces, ou avec des choses avec lesquelles il n’ait nulle affinité. Pour cet effet on se servira, par exemple, de toutes les sortes de Talc, ou bien de Coquilles d’œuf calcinées, ou de verre pilé fort menu, et de toutes les sortes de Sels, après les avoir préparés (ou décrépites). Car tout cela le nettoie et le purge fort bien. Au lieu que tout ce qui a affinité avec lui, à la réserve des Corps parfaits, non seulement ne les nettoie point, mais le corrompt et le noircit ; parce que ce sont des choses qui toutes ont un Soufre combustible, lequel, dans la Sublimation, venant s’élever avec l’Argent-vif, le gâte et le corrompt. Ce qui se voit manifestement par l’expérience. Car si l’on sublime le Mercure avec de l’Etain ou du Plomb, on trouvera que cette Sublimation l’aura rendu tout noir. Il vaut donc mieux la sublimer avec qui n’a nulle ressemblance naturelle avec lui, qu’avec les choses qui lui sont semblables. D est vrai néanmoins que si ces choses-là n’avaient point de mauvais Soufre, la Sublimation de l’Argent-vif se ferait mieux avec elles qu’avec toutes les autres : parce que, comme il s’unirait mieux avec elles, elles le nettoieraient aussi beaucoup mieux. Ainsi le Talc est le meilleur intermède, ou moyen qu’on puisse employer pour sublimer le Mercure, parce que ces deux Matières n’ont nulle affinité, et que d’ailleurs le Talc n’a point de Soufre.
Pour ôter de l’Argent-vif l’humidité superflue, lorsqu’on le mêle aux chaux, avec lesquelles on le doit sublimer, il faut le broyer et le mêler avec elles en arrosant l’Amalgame avec du vinaigre, ou avec quelque autre liqueur semblable, jusqu’à ce qu’il ne paraisse point de Mercure. Et ensuite on fera évaporer, sur un feu doux, la liqueur dont on l’aura arrosé. Car par ce moyen l’aquosité du Mercure s’évaporera aussi. Mais il faut prendre garde que la chaleur soit si douce qu’elle ne fasse pas monter toute la Substance du Mercure. En l’arrosant donc, le broyant et le faisant évaporer doucement par plusieurs fois, on lui ôtera la plus grande partie de son humidité, et ce qui en restera s’en ira en le sublimant une seconde fois. Or lorsqu’on le verra plus blanc que la neige, et qu’il demeurera attaché au côté du Vaisseau sublimatoire, comme s’il était mort (n’ayant plus nul mouvement) ou il faudra lors recommencer à le sublimer par lui-même, sans aucunes fèces, à cause que ce qu’il a de fixe s’attache aux fèces, et il y tiendrait si fortement qu’il n’y aurait plus moyen de l’en pouvoir séparer, ou bien il faudra par après en fixer une partie, comme je l’enseignerai ensuite dans une Chapitre que je ferai exprès pour cela ; et resublimer sur cette partie fixe ce qui restera, afin de le fixer tout de même, et le mettre à part. Et pour savoir s’il sera fixe, on en fera l’essai en le mettant sur le feu. Car s’il fait une bonne fusion, on doit être assuré que la partie qui n’est pas fixe a été suffisamment sublimée. Que si cette partie n’est pas bien fondante, vous lui ajouterez quelque peu d’Argent-vif qui ait été sublimé, mais qui ne soit pourtant pas fixe, et vous le resublimerez jusqu’à ce qu’il devienne fusible. Et quand vous le verrez fort blanc, luisant et transparent, c’est une marque qu’il est parfaitement sublimé et purifié. Et s’il n’a pas toutes ces qualités, ce sera un signe que la Sublimation n’est pas parfaite.
N’épargnez donc point votre peine à le purifier par la Sublimation. Car telle que sera la purification que vous lui aurez donnée, telle sera aussi la perfection qui s’en suivra, dans la projection que vous en ferez sur les Corps imparfaits et sur l’Argent-vif cru, c’est-à-dire qui n’aura point été préparé. C’est pourquoi il y en eu qui, par la projection qu’ils en ont faite sur les Corps imparfaits, l’ont changé ou en Fer, ou en Plomb, ou en Cuivre, ou en Etain. Ce qui n’est provenu que de ce qu’il n’a pas été bien purifié, c’est-à-dire qu’on ne lui a pas ôté sa terrestréité et son aquosité superflue, ou qu’on n’en a pas séparé le Soufre ou l’Arsenic qui étaient mêlés avec lui. Que si on le purifie parfaitement par la Sublimation, et si on lui donne la perfection qu’il peut avoir, ce sera une Teinture pour le blanc fixe et véritable, qui n’aura pas sa pareille.
CHAPITRE XLVI
De la Sublimation de la Marcassite.
Après avoir suffisamment parlé de la Sublimation de l’Argent-vif, et pourquoi on la fait, voyons maintenant comment on doit sublimer la Marcassite. On la sublime en deux manières: l’une sans faire rougir l’Aludel, et l’autre en le faisant rougir. Ce qui se fait ainsi, à cause qu’elle est composée de deux différentes Substances qui sont un Soufre pur, mais qui n’est pas fixé, et un Argent-vif mortifié. La première de ces Substances peut servir de Soufre, et l’autre peut tenir lieu d’Argent-vif mortifié et médiocrement préparé. Nous pouvons donc prendre cette dernière Substance de la Marcassite, et nous en servir au lieu d’Argent-vif, et ainsi nous n’aurons que faire de l’Argent-vif, ni de prendre la peine de le mortifier. Or pour sublimer la Marcassite, il la faut broyer et la mettre dans l’Aludel, et faire sublimer tout son Soufre par une chaleur qui soit si bien conduite que le Vaisseau ne rougisse point ; ayant soin d’ôter fort souvent le Soufre qui se sublimera, pour la raison que nous en avons dite ; augmentant ensuite le feu peu à peu, jusqu’à ce que l’Aludel et la Marcassite même deviennent rouges. Et la première Sublimation de la Marcassite se doit faire dans le Vaisseau sublimatoire, jusqu’à ce que le Soufre en soit séparé ; puis continuer tout de suite l’opération dans le même Vaisseau, jusqu’à ce que toutes les deux parties sulfureuses de la Marcassite soient sorties. Ce que tu reconnaîtras évidemment par les expériences suivantes.
Quant tout le Soufre sera sublimé, tu verras que ce qui ce sublimera par après, sera d’une couleur très blanche, mêlée d’un bleu céleste, fort clair et fort agréable. Tu le connaîtras encore de la manière que je vais te dire. Tout ce qui sera de nature sulfureuse brûlera, prenant feu et jetant une flamme semblable à celle que fait le Soufre. Au lieu que ce qui est sublimé à la seconde fois, et après que tout le Soufre sera monté, ne s’enflamme point et n’a nulle des autres propriétés du Soufre, c’est-à-dire qu’il n’en a ni la couleur, ni l’odeur ; mais il ressemblera à de l’Argent-vif mortifié par plusieurs Sublimations.
CHAPITRE XLVII
Du Vaisseau propre à bien sublimer la Marcassite.
On ne peut point avoir de cette Matière qu’en sublimant la Marcassite d’une manière toute particulière. Pour cet effet, il faut avoir un Vaisseau de terre bien fort et bien cuit, qui soit long de la moitié de la hauteur d’un homme, c’est-à-dire environ de trois pieds, et large à y pouvoir mettre la main. Ce Vaisseau sera de deux pièces, afin que le fond, qui doit être fait de la forme d’un plat fort creux, puisse se démonter et se rejoindre au corps du Vaisseau ; et il faut qu’il soit plombé bien épais, depuis la bouche jusqu’à une palme près du fond. Après quoi on lui appliquera un chapiteau, ou chappe, qui doit avoir un bec fort large. Voilà quel doit être le Vaisseau pour faire cette Sublimation. Ayant bien joint ensemble avec de bon lut les deux pièces de ce Vaisseau, mis la Marcassite dans le fond et ajusté le Chapiteau, on le posera dans un Fourneau, qui soit propre à donner une forte ignition à la Matière, c’est-à-dire qui la fasse bien rougir, comme est celle qu’on donne à l’Argent et au Cuivre pour les fondre, en cas que l’on ait besoin d’un tel degré de feu. On fermera l’ouverture du Fourneau avec une plaque ou un rond qui ait une ouverture au milieu, par où l’on fera passer le Vaisseau, et on lutera cette plaque tout autour du Fourneau et du Vaisseau, de peur que si le feu venait à passer entre deux, il ne nuisit à l’opération, et qu’il n’empêchât la Matière qui se sublimera, de s’attacher aux côtés du Vaisseau. Il faudra faire à cette plaque quatre petits Registres, que l’on pourra laisser ouverts et fermer quand il sera besoin, ou pour donner plus d’air, ou même pour jeter par là du charbon dans le Fourneau. On fera encore quatre autres Registres semblables dans les côtés du Fourneau, qu’on placera de telle manière que chacun de ceux-ci se trouve entre deux de ceux qui seront à la plaque. Et ces Registres serviront tout de même à jeter du charbon dans le Fourneau. On fera encore six ou huit petits trous, larges à pouvoir y mettre le petit doigt, qui demeureront toujours ouverts, afin que la fumée du Fourneau puisse librement sortir par là. Il faut que ces trous soient faits entre la plaque et les côtés du Fourneau.
Au reste, un Fourneau, pour être propre à donner une bonne ignition, doit avoir les côtés hauts de deux coudées, et il faut qu’au milieu il y ait une plaque de fer percée de plusieurs petits trous, qui soit fortement lutée avec les côtés du Fourneau. A l’égard des trous, on doit les faire étroits par haut, allant toujours en élargissant par bas, et ils doivent ressembler à une pyramide ronde. On les fait de cette manière afin que la cendre, les charbons et les autres choses qui tomberont dedans en sortent plus aisément, et que par ce moyen ces trous, demeurant toujours ouverts, l’air entre plus librement par là dans le Fourneau. Car plus un Fourneau reçoit d’air par les trous d’en bas, plus il est propre à donner un grand feu, et à faire une forte ignition, c’est-à-dire à enflammer et à rougir la Matière, comme l’expérience te le fera connaître si tu mets la main à l’œuvre.
La raison pour laquelle le Vaisseau, dont on se sert pour sublimer la Marcassite, doit être fort long, c’est afin que la plus grande partie, étant hors du Fourneau, et par conséquent fort éloignée de la chaleur, elle ne s’échauffe point, et que les vapeurs qui monteront de la Matière qui sublime, rencontrant les côtés du Fourneau frais, elles s’y attachent, et qu’elles ne trouvent point d’issue, ni rien qui les consume, ni qui les détruise, comme elles feraient si le Fourneau était largement échauffé partout. Je le sais par expérience, car ayant voulu faire cette Sublimation dans de petits Aludels, je trouvai que rien ne s’était sublimé, par ce que l’Aludel étant fort court, il avait été autant échauffé en haut qu’en bas. Ce qui avait été cause que tout ce qui sublimait s’exhalait continuellement en fumée et sans que rien s’attachât aux côtés du Fourneau, tout s’en allait peu à peu par les pores que la chaleur avait ouverts. C’est donc une règle générale pour toutes les Sublimations, que le Vaisseau doit être long, afin qu’il y en ait une bonne partie qui ne ressente point la chaleur, et qui soit toujours froide.
J’ai dit qu’il fallait plomber ou vernir la plus grande partie de l’Aludel (pour faire : bien la Sublimation de la Marcassite). C’est afin qu’à l’endroit où on le plombera, il n’y ait point de pores ; parce que autrement les vapeurs qui monteraient pendant la Sublimation s’échapperaient par là. C’est pourquoi on plombe tout l’endroit du Vaisseau où elles montent, afin de les empêcher de sortir. Mais on ne plombe point le fond, parce que comme le Vernis, qu’on fait au Vaisseau de terre avec du Plomb, est une vitrification, et que le fond de l’Aludel, étant continuellement dans le feu, il rougit, ce Vernis ou cette vitrification se fondrait ; et par conséquent la Matière se fondrait, et se vitrifierait aussi ; le verre ayant cela de particulier, que (lorsqu’il est en fusion) il n’y a rien qu’il ne détruise, et qu’il ne change en sa nature.
L’Artiste ayant considéré toutes ces choses, et en sachant les causes et les raisons, comme nous venons de les dire, il allumera le feu sous son Aludel, qu’il continuera d’entretenir toujours jusqu’à ce qu’il soit assuré par les épreuves qu’il en fera, que tout ce qui pouvait se sublimer de sa Matière soit monté. Cette épreuve se fait par le moyen d’une petite verge de terre, qui soit bien cuite, et qui ait reçu un trou au milieu qui la perce jusqu’à moitié de sa longueur, qu’on fera entrer dans l’Aludel par le trou qui est en haut, et qu’on approchera à un pouce près de la Matière qui se sublime. Et après que l’on aura tenu là quelque temps cette verge, on la retirera. Et si l’on voit qu’il soit entré quelque chose de la Matière dans le trou de cette verge, ce sera une marque assurée que la Sublimation ne sera pas achevée. Que s’il n’y a rien, tout sera entièrement sublimé. Cette épreuve servira pour toutes les autres Sublimations.
CHAPITRE XLVIII
De la Sublimation de la Magnésie et de la Tutie, et des Corps imparfaits.
La Sublimation de la Magnésie et de la Tutie se fait pour la même raison et de la même manière que nous venons de dire que se sublime la Marcassite. Car toutes ces Matières ne peuvent être sublimées sans une forte ignition (c’est-à-dire sans que la Matière et l’Aludel ne rougissent et ne demeurent longtemps en cet état). C’est pourquoi ces Matières se subliment toutes pour la même raison, ont les mêmes causes, les mêmes expériences, et conviennent toutes généralement en cela, que toutes les Matières qui se subliment avec ignition, ou inflammation, se subliment sans aucune addition de fèces ; parce qu’elles en ont assez en elles-mêmes, et plus qu’il n’est nécessaire ; ce qui est cause qu’elles sont si difficiles à sublimer.
Tous les Corps imparfaits se subliment de la même manière. Et il n’y a point d’autre différence, si ce n’est que le feu doit être bien plus fort pour faire leur Sublimation, que pour celle de la Magnésie, de la Marcassite et de la Tutie. Il n’y a point de différence non plus entre les Sublimations particulières de chaque Corps, si ce n’est qu’il y en a quelques uns qui ne sauraient se sublimer si on ne leur ajoute quelque Matière qui leur aide, et qui les élève, au lieu que les autres n’en ont point besoin.
Or il y a deux choses à observer dans la Sublimation des Corps, qui la rendent plus aisée, comme l’expérience l’a fait voir. La première est qu’il ne faut pas mettre beaucoup de Matière tout à la fois dans le fond de l’Aludel, parce que s’il y en avait quantité, la Sublimation ne s’en ferait pas bien. L’autre est que le fond de l’Aludel, soit tout plat et nullement creux, afin que le Corps, dont on ne fera qu’une couche fort mince, et toute unie dans le fond du Vaisseau, puisse être élevée partout également. Vénus et Mars sont les deux Corps qui ont besoin d’addition pour les élever, à cause qu’ils sont fort longs à fondre. On ajoute pour cet effet de la Tutie à Vénus, et de l’Arsenic à Mars ; et avec ces deux Matières, ces Métaux se subliment facilement, parce qu’ils ont grande conformité avec eux. Avec cette précaution, on les sublimera de la même manière que la Tutie et les autres Matières, et on observera la même méthode et la même épreuve que dans la Marcassite.
CHAPITRE XLIX
De la Descension et du Moyen de purifier les Corps avec les Pastilles.
Arès la Sublimation, nous avons à parler de la Descension, de laquelle nous dirons les usages et la pratique toute entière. On l’a inventée pour trois usages. Le premier, afin que la Matière qui a été enfermée dans le Vaisseau, qu’on appelle le Descensoire chimique, étant en fusion, descende et sorte par le trou qui est au fond de ce Vaisseau, et que nous connaissions par là, que cette Matière s’est fondue d’elle-même.
Le second usage de la Descension est qu’elle garantit de la Combustion les Corps qui sont faibles (c’est-à-dire qui s’évaporent facilement étant en fusion), quand ils ont repris corps après avoir été calcinés. Car quand on veut faire reprendre corps aux Métaux qui ont été réduits en chaux, comme c’est une chose qui ne se peut pas faire tout à la fois, mais successivement, et une partie après l’autre : si la partie, qui est redevenue en sa première nature de Métal, ne se séparait pas d’abord du reste, qui est en chaux ; et si elle devait demeurer en fusion jusqu’à ce que toute la chaux soit fondue, et eût repris corps ; il est certain qu’une bonne partie de ce qui s’est premièrement fondu s’exhalerait. Il a donc fallu trouver une invention pour séparer d’abord ce qui se fond, afin de l’ôter de dessus le feu, qui le fait exhaler : Et cela se fait par le moyen du Vaisseau Descensoire.
Le dernier usage de la Descension, c’est qu’elle dépure les Corps, en les séparant des choses qui leur sont étrangères. Car tout ce qui est de pur, se fond et descend, et par ainsi, tout ce qui n’est pas de sa même nature demeure dans le Vaisseau. Voilà les usages de la Descension.
Disons maintenant comment elle se fait, et comment doit être fait le Vaisseau dont on se sert pour la faire. Il faut que ce Vaisseau soit fait en pointe, et que ses côtés, qui doivent être fort unis, aillent toujours en étraississant également par bas, se terminant en pointe dans le fond, comme un entonnoir, afin que tout ce qui se fondra descende facilement dans le fond, sans que rien ne l’arrête. Le couvercle de ce Vaisseau (s’il en doit avoir un) sera fait comme un plat tout uni, et de telle manière qu’il joigne fort exactement au Vaisseau ; et tous deux doivent être faits de bonne terre, et bien ferme, qui ne se fêle ni ne se crevasse pas aisément au feu, quelque fort qu’il puisse être. On mettra dans ce Vaisseau la Matière qu’on a dessein de faire descendre, étant en fusion, sur des verges rondes qui soient faites de terre bien cuite, et qu’on appliquera dans le Vaisseau de telle manière quelles soient plus proches du couvercle que du fond. Après quoi on y mettra le couvercle, qu’on joindra exactement au Vaisseau, et ensuite on allumera des charbons sur ce couvercle, que l’on entretiendra continuellement avec le soufflet, jusqu’à ce que toute la Matière étant fondue, elle descende dans le Vase qui est au-dessous. Que si la Matière est difficile à fondre, au lieu de la mettre sur ces verges de terre, on la posera sur une plaque, ou toute unie, ou tant soit peu creuse, de laquelle elle puisse couler facilement lorsqu’elle sera fondue, en inclinant le haut du Vaisseau Descensoire pour la faire tomber. Car de cette manière la Matière, se tenant mieux et plus longtemps sur la plaque que sur des verges de terre, elle en recevra aussi mieux l’impression du feu ; et par conséquent elle se fondra beaucoup mieux. Outre qu’en penchant de fois à autres le Vaisseau Descensoire, on pourra connaître plus aisément quand la Matière sera fondue.
Voilà quelle est la manière de purger les Corps par la Descension. Mais on les purge encore mieux de leurs terrestréités par les Pastilles, en leur faisant reprendre Corps après les avoir calcinés. Et cette façon de les purifier est la même que celle qui se fait par le Descensoire. En voici la manière. Il faut prendre le Corps qu’on veut purifier et le mettre, ou en menues pièces, ou en limaille, ou, pour mieux faire, en chaux, et le mêler avec quelque chaux qui ne soit point fusible. Puis mettre le tout dans le Descensoire, et le fondre à fort feu, jusqu’à ce que le tout, ou la plus grande partie, se soit remise en Corps. Car nous avons trouvé par expérience que les Corps sont nettoyés par ce moyen de beaucoup de terrestréité. Ce n’est pas pourtant que par là ils soient entièrement purifiés, comme ils le peuvent être parce que nous savons être capable de donner la perfection. Mais c’est une mondification qui leur est utile, et qui les rend plus propres à la transmutation, lorsque l’on fait projection sur eux de la Médecine pour leur donner la perfection ; étant pour eux une préparation à la recevoir. Nous dirons dans la suite tout ce qui est nécessaire pour cela.
CHAPITRE L
De la Distillation ; de ses Causes, et des trois manières de la faire ; par l’Alambic, par le Descensoire, et par le Filtre.
Nous avons maintenant à parler de la Distillation et de ses Causes. La Distillation est une élévation qui se fait des vapeurs aqueuses dans un Vaisseau propre. Il y en a de plusieurs sortes, selon la diversité des choses qu’on peut distiller. Ainsi il y en a une qui se fait par le feu, et l’autre sans feu : La première se fait en deux manières, ou par l’élévation des vapeurs dans l’Alambic, ou par le Descensoire chimique, par le moyen duquel on tire l’huile des Végétaux. La Distillation qui se fait sans feu est celle que l’on fait par le Filtre. Le principal usage de toutes les Distillations en général, c’est pour purifier les Liqueurs des fèces, lesquelles, étant mêlées et confondues avec elles, les rendent troubles ; et pour les empêcher aussi par ce moyen de ce gâter et de se corrompre.
L’usage particulier de la Distillation, qui se fait par l’élévation et par le moyen de l’Alambic, c’est pour avoir une Eau pure, sans mélange d’aucunes fèces. Car l’expérience fait voir évidemment que l’Eau qui a été distillée deux ou trois fois, ne laisse ni ne dépose nulles fèces terrestres. Or ce qui oblige d’avoir des Liqueurs ainsi purifiées, c’est afin que si on a besoin d’abreuver, ou de faire quelque imbibition sur les Esprits, ou sur les Poudres médicinales, on la puisse faire avec une Eau si pure, qu’après qu’elle sera exhalée par la chaleur, elle ne laisse aucune impureté qui infecte, ni qui gâte nos Médecines, ni les Esprits que nous aurons purifiés.
Pour ce qui est de la Distillation qui se fait par bas ou par le Descensoire, on ne l’a inventée qu’afin de tirer, de ce que l’on distille, l’huile toute pure et naturelle. Parce que l’on ne peut la tirer naturelle ni combustible par l’Alambic, et on la tire ainsi par le Descensoire, afin de conserver sa couleur, qui est mêlée parmi sa Substance. Car il peut arriver qu’on ait besoin de cette couleur.
L’autre espèce de Distillation, qui se fait sans feu par le moyen du Filtre, est pour avoir seulement de l’Eau bien claire. Nous allons voir maintenant comment l’on doit faire toutes ces Distillations, et nous en dirons par même moyen les Causes et les Expériences.
La Distillation par l’élévation des vapeurs ou par l’Alambic se fait en deux manières: ou en posant une Cucurbite dans une terrine pleine de cendres qui servent d’intermède, ou en mettant la Cucurbite dans un Chaudron ou dans quelque autre Vaisseau de cuivre plein d’eau, et en l’accommodant tout autour avec des herbes ou de la laine, de peur que si elle n’était ainsi arrêtée et soutenue, elle ne vacillât dans l’eau, et qu’elle ne se rompît en venant à heurter contre les bords du Vaisseau, avant que la Distillation fût achevée. Or il y a cette différence entre ces deux Distillations, que celle qui se fait avec les cendres se fait à un feu plus grand, plus âpre, et plus fort ; et que celle du bain se fait par une chaleur douce et lente, parce que l’eau, qui sert d’intermède ou de milieu dans cette dernière espèce de Distillation, ne s’échauffe pas si fortement que fait la cendre. Et c’est pour cela que dans celle-ci, ce qui distille est coloré, et que les parties les plus grossières et terrestres montent aussi bien que les subtiles ; au lieu que dans celle qui se fait au bain il n’y a que les parties les plus subtiles qui s’élèvent, sans être colorées, et elles ressemblent bien plus à de l’Eau toute simple. D’où il s’ensuit que dans la Distillation au bain, il se fait une séparation plus subtile des parties de la Matière qu’on distille, que par celle qui se fait au feu de cendres. Ce que je sais par expérience. Car ayant distillé de l’huile par le feu de cendres, je trouvai mon huile qui avait passé dans le Récipient, sans que presque elle eût été altérée ; et pour faire la séparation de ses parties, je fus contraint de la distiller par le bain, sans quoi je ne l’aurais jamais pu faire. Mais’ l’ayant distillée au bain pour la seconde fois, je séparai mon huile en ses parties élémentaires, et je tirai une Eau très blanche et très claire d’une huile qui était parfaitement rouge. De sorte que toute la rougeur de l’huile demeura dans le fond de la Cucurbite. Ce qui fait voir évidemment que c’est par le seul moyen de cette Distillation que l’on peut faire la véritable séparation des Eléments de tous les Végétaux, de tout ce qui en provient, et de toutes les choses qui leur ressemblent ; comme c’est par le Descensoire qu’il faut tirer l’huile des mêmes Végétaux, et de tout ce qui leur est semblable. Et c’est aussi par le Filtre que l’on clarifie toutes sortes de Liqueurs, ainsi que le savent ceux qui en ont fait l’expérience: comme au contraire ceux qui ne savent pas ceci n’ont jamais travaillé aux Distillations, étant une chose aisée à apprendre à ceux qui voudront la pratiquer.
Pour faire la Distillation au feu des cendres, il faut avoir une terrine qui soit forte, et la poser sur un Fourneau semblable à celui que nous avons décrit pour faire la Sublimation: prenant garde qu’il y ait la même distance entre la terrine et les côtés du Fourneau, et que le Fourneau ait tout les mêmes Registres, pour la raison que nous avons dite en cet endroit-là. On met dans le fond de la terrine des cendres tassées d’un pouce d’épais, et dessus ces cendres on pose la Cucurbite, que l’on couvre tout autour des mêmes cendres jusqu’au cou. Après quoi l’on met dans cette Cucurbite ce que l’on veut distiller ainsi. Puis l’on y ajuste le Chapiteau, de telle sorte que le cou de celle-là entre entièrement dans le cou de celui-ci, et qu’il aille jusqu’à son rebord, de peur que rien de ce que l’on veut distiller, et surtout les Esprits, ne puissent sortir. Cela fait, on lute bien le Chapiteau et la Cucurbite ensemble, par l’endroit où ils se joignent ; puis on applique le Récipient, dans le cou duquel le bec du Chapiteau doit entrer jusqu’à moitié ; et ensuite on enveloppe l’endroit par où ces deux Vaisseaux se joignent, d’un linge trempé d’un blanc d’œufs, de crainte que rien ne s’exhale par là. Enfin le linge étant sec et toutes choses bien disposées, on fait du feu dans le Fourneau pour faire la Distillation. Or la Cucurbite et son Chapiteau doivent être de verre. Et pour ce qui est du feu ; il le faut augmenter autant qu’il sera nécessaire pour faire la Distillation, et jusqu’à ce qu’il ait tiré toute l’humidité de la Matière.
La Distillation qui se fait au bain est semblable à celle qui se fait au feu des cendres, à l’égard de la Cucurbite et de l’Alambic. Mais elle en est différente, en ce qu’au lieu d’une terrine, on se sert d’une chaudière de fer, ou plutôt de cuivre, que l’on ajuste sur un Fourneau, de la même manière que nous avons dit ci-devant. Et dans le fond de la Chaudière, on fait une couche de foin, de laine, ou de quelque autre matière semblable, de l’épaisseur de trois travers de doigts. Et sur cette couche l’on pose la Cucurbite avec son Alambic, accommodés et lutés comme nous venons de le dire : En sorte qu’il y ait du foin tout autour de la Cucurbite, jusqu’au cou de l’Alambic, de peur qu’elle ne vint à se casser. Sur cette couche on met de petites baguettes déliées, ou des sarments, et par dessus tout cela de gros grais, ou cailloux, afin que par leur pesanteur, faisant enfoncer le Vaisseau Distillatoire, et le foin que l’on a mis autour, il tienne par ce moyen le Vaisseau ferme et assujetti, et qu’il l’empêche de vaciller et de s’élever sur l’eau ; ce qui pourrait le faire rompre, et être cause que la Distillation serait entièrement perdue. Ensuite on remplit d’eau la Chaudière, et on fait du feu dessous pour la faire bouillir (ayant soin de la remplir d’autre Eau chaude, à mesure que celle qui est dedans s’exhale), continuant de le faire jusqu’à ce que tout soit distillé.
On fait la Distillation par le Descensoire avec un Vaisseau de verre, auquel on applique un couvercle de même matière, y ayant mis auparavant ce que l’on veut faire distiller. On les lute ensemble, on fait du feu dessus, et la Distillation descend dans le Récipient ou le Vaisseau, qui est dessous pour le recevoir.
A l’égard de la Distillation qui se fait par le Filtre, ou par la Languette, on la fait de cette sorte. On met dans un Bassin de verre ou de terre la Liqueur que l’on veut filtrer. On aura des Languettes (de drap blanc faites en pointe) bien lavées et bien nettes ; on les trempera dans de l’Eau, on couchera le bout le plus large dans le fond de la terrine, et le bout le plus étroit pendra hors du Bassin, sur un autre Vaisseau qu’on mettra pour recevoir la Liqueur. L’Eau dont la Languette sera abreuvée distillera la première, puis la Liqueur du Bassin se filtrera : et si l’on trouve qu’elle soit louche, on la remettra dans le Bassin, et on la refiltrera jusqu’à ce quelle soit bien claire et bien nette.
Je ne m’amuserai point à prouver ces Opérations, parce qu’elles sont si aisées d’elles-mêmes quelles n’ont besoin d’aucunes preuves.
CHAPITRE LI
De la Calcination, tant des Corps que des Esprits, de ses Causes, et de la manière de la faire.
Après la Distillation, nous avons à parler de la Calcination. La Calcination est la Réduction qui se fait d’une chose en poudre, par la privation de l’humidité, qui lie et unit ses parties ensemble. L’usage pour lequel on l’a inventée est afin d’ôter, par l’action du feu, le Soufre brûlant qui gâte et qui infecte les Corps où il se trouve. Il y a plusieurs sortes de Calcinations selon la diversité des choses qui doivent être calcinées. Car on calcine les Corps ou Métaux, on calcine les Esprits, et on calcine les autres choses étrangères, c’est-à-dire qui n’ont nulle affinité ni avec les Corps ni avec les Esprits, et toutes ces Calcinations se font pour des fins toutes différentes. Premièrement les Métaux imparfaits étant de deux sortes, les uns durs, comme sont Vénus et Mars, les autres mous, tels que sont Jupiter et Saturne, on les calcine pour diverses intentions : l’une générale et l’autre particulière. La première, c’est pour leur ôter par la violence du feu ce Soufre qui les corrompt et les rend noirs. Car ce n’est que par la Calcination qu’on peut brûler et consumer le Soufre adustible de quelque chose que ce puisse être. Les Métaux, par exemple, étant des Corps solides et épais, et leur mauvais Soufre étant caché et renfermé dans la Substance de l’Argent-vif, qui est répandue et mêlée par tout le Métal (puisque c’en est la partie principale, et celle qui fait la liaison et la continuité de toutes les autres), c’est par conséquent l’Argent-vif qui empêche ce Soufre de pouvoir être brûlé (lorsqu’on met les Métaux dans le feu, et qu’ils y fondent ou qu’ils y rougissent). Ainsi il faut nécessairement rompre et diviser la continuité du Métal, afin que le feu agissant librement sur toutes ses moindres parties, il puisse plus facilement brûler ce Soufre, qui ne sera plus défendu par l’humidité et la liaison de l’Argent-vif.
La Calcination se fait encore pour un autre dessein, qui concerne généralement tous les Métaux: Qui est que par ce moyen on les purifie de leur terrestréité. Car l’expérience nous a fait connaître qu’en calcinant plusieurs fois les Métaux, et en les remettant par après en Corps, ils se purifient et se raffinent, comme nous le ferons voir ensuite.
Pour ce qui est de la Calcination des Corps, ou Métaux mous, outre qu’elle les dépouille de leur mauvais Soufre, et qu’elle les purifie de leur terrestréité, ce que la Calcination fait en tous les Corps, elle sert encore en particulier à les endurcir et à les rendre capables de rougir au feu, pourvu qu’on fasse cette Opération plusieurs fois avec adresse. Nous en parlerons plus particulièrement dans le second Livre. Car l’expérience nous fait voir évidemment que par cette invention, les deux Métaux mous s’endurcissent, et Jupiter encore davantage et plutôt que Saturne.
On calcine les Esprits pour les mieux disposer à devenir fixes, et à se résoudre en Eau. Car tout ce qui est calciné est plus fixe, et se dissout plus aisément que ce qui ne l’est pas. Et la raison en est par ce que les parties de ce qui a été calciné, étant devenues plus subtiles par l’action du feu (qui en a séparé la terrestréité et l’humidité volatile, ainsi qu’il a déjà été dit), ces parties se mêlent plus facilement avec l’Eau, et elles se changent aussi par conséquent plus facilement en Eau, comme on le connaîtra si l’on en fait l’expérience.
A l’égard des choses étrangères (c’est-à-dire qui ne sont ni Métaux, ni Esprits), on les calcine pour servir à la préparation qu’il est nécessaire de donner aux Esprits et aux Corps, de laquelle nous traiterons plus amplement dans le Livre suivant. Mais cette calcination ne contribue en rien à la perfection des Corps, ni à celle des Esprits.
Il est donc évident qu’il y a plusieurs sortes de Calcinations, et que cette diversité ne provient que de la différence des choses qui peuvent être calcinées. Car les Corps se calcinent tout autrement que les Esprits, et que les autres choses. Et les Corps même ne se calcinent pas tous de la même manière, parce qu’ils sont différents entre eux. Ainsi les Corps mous peuvent être calcinés en général, ou par le feu seulement, sans y rien ajouter, ou en y ajoutant le Sel préparé, ou en l’y mettant tel qu’il est sans nulle préparation.
Pour faire la Calcination par le feu seulement, on prend un Vaisseau de terre fait comme un plat, bien fort et bien cuit, qu’on pose sur le Fourneau Calcinatoire, lequel doit être fait de la manière que nous avons ci-devant décrit le Fourneau à donner une forte ignition, et dont nous parlerons encore ensuite. Et l’on pose ce Vaisseau de telle sorte dans le Fourneau, que l’on ait la liberté d’y mettre des charbons dessous, et qu’il y ait assez d’espace pour les souffler. On met ensuite du Plomb ou de l’Etain dans ce Vaisseau, qui est fortement appuyé sur un trépied de fer, ou sur trois cailloux, et qui est encore affermi par trois ou quatre autres cailloux, que l’on serre entre lui et les côtés du Fourneau, afin qu’il ne puisse branler. Après quoi, on fait sous le Vaisseau assez de feu pour faire fondre le Plomb ou l’Etain que l’on y a mis. Quand le Métal sera fondu, et que l’on verra une peau noire se former dessus, par le moyen du feu, on la retirera avec une Spatule de fer, ou de quelque autre matière qui ne se puisse brûler, pour de cette peau en faire la chaux. Et on continuera à ôter cette peau (à mesure qu’elle se formera) jusqu’à ce que tout le Métal soit réduit en poudre. Que si c’est le Saturne que l’on calcine, il faudra mettre les peaux que l’on en aura tirées (et qui se mettront en poudre), sur un plus grand feu que celui avec lequel on l’aura fondu, et les y tenir jusqu’à ce que sa chaux devienne fort orangée. Que si l’on calcine du Jupiter, il faudra mettre ses peaux sur un feu qui ne soit pas si fort (que celui où l’on mettra le Saturne) et l’y laisser jusqu’à ce que sa chaux soit parfaitement blanche.
Mais il y a ici une chose à quoi l’Artiste doit prendre garde, qui est que Saturne, étant réduit en chaux, reprend Corps fort aisément, ce que Jupiter ne fait qu’avec peine ; parce qu’autrement il pourra faillir, si, lorsqu’il aura retiré les peaux, ou la poudre de Saturne, et qu’il l’aura mise sur un plus grand feu, il ne prend garde à si bien régler ce feu, qu’il empêche que ce Métal ne reprenne Corps, avant que sa chaux soit parfaite, et qu’elle devienne orangée. Je l’avertis donc que pour bien faire cette Opération, il doit donner le feu fort tempéré, et ne l’augmenter que peu à peu, et par degrés, jusqu’à ce que Saturne soit bien calciné, afin qu’il ne reprenne pas Corps, et qu’ainsi l’on puisse sûrement augmenter le feu pour parfaire entièrement sa chaux.
Voici une autre précaution que l’Artiste doit prendre lorsqu’il calcinera Jupiter. Car si à cause de la difficulté qu’il y a de le remettre en Corps, après qu’il est calciné, il arrivait qu’il ne pût pas l’y remettre, mais où il demeurât toujours en chaux, ou que cette chaux se vitrifiât, il se tromperait s’il croyait que pour cela il fût impossible de faire reprendre Corps à ce Métal, lorsqu’il serait une fois calciné. Je l’avertis donc que s’il ne donne le feu fort à la chaux de Jupiter, il ne le remettra point en Corps : et il se peut faire même qu’il ne l’y remettra pas encore pour cela, parce qu’il pourra se vitrifier. Car Jupiter, dans le profond de sa Substance, a un Argent-vif volatil, qui s’enfuit lorsque l’on tient ce Métal longtemps dans le feu: et par ce moyen il demeure privé de son Humidité propre et naturelle. De sorte qu’en cet état il sera plus propre à se changer en Verre qu’en Métal, étant une Maxime assurée, que tout ce qui a perdu son Humidité naturelle ne se peut fondre que pour se vitrifier. D’où il s’ensuit que pour mettre Jupiter en Corps (après sa Calcination), il faut faire un feu violent qui fasse fondre sa chaux d’abord et tout à coup, autrement il ne s’y remettra point. La pratique et le travail t’apprendront la manière de bien faire cette Opération.
On calcine ces deux Métaux par l’addition du Sel, qui contribue beaucoup par son acuité à les calciner, en jetant dessus, lorsqu’ils sont en fusion, plusieurs pincées de Sel l’une après l’autre, que l’on mêle, en remuant fortement avec une Verge de fer, le Métal lorsqu’il est en fusion, et jusqu’à ce que par ce mélange il soit réduit en poudre. Après quoi on achève de parfaire leur chaux de la manière, et avec toutes les précautions que nous venons de dire. Il y a encore cette différence dans cette dernière Calcination de ces deux Corps, que Saturne, après avoir été calciné la première fois, reprend plus aisé ‘ ment Corps que Jupiter ; mais que sa chaux n’est pas plus aisée à parfaire que celle de Jupiter ; ce qui provient de ce que Saturne a une humidité plus fixe, et qu’il a bien plus de terrestréité, que n’en a Jupiter.
Vénus et Mars se calcinent aussi, mais comme ces deux Métaux sont fort difficiles à fondre, on ne les calcine d’aucune des deux manières dont nous venons de parler. Cela se fait ainsi. On fait des Lamines de ces deux Métaux, que l’on met dans un fort feu, mais qui ne soit pourtant pas si fort qu’il les puisse fondre. Car comme ces Métaux ont beaucoup de terrestréité et de Soufre adustible et volatil, ils se calcinent aisément de cette sorte. Parce que la grande quantité de terrestréité, qui est mêlée parmi leur Argent-vif, en sépare la continuité, en empêchant que les parties de cet Argentvif ne soient unie et contiguës les unes aux autres. Ce qui fait qu’il y a des pores dans ces Métaux, par où le Soufre, trouvant un passage libre, sort et s’en va en fumée ; et dans lesquels le feu, entrant pareillement avec liberté, brûle ce Soufre et l’élève en vapeur. Et par ce moyen les parties de ces Métaux, se trouvant plus éloignées les unes des autres, cet éloignement et cette discontinuité sont cause quelles sont aussi plus facilement réduites en poudre. Et il est aisé de juger par J’expérience que cela se fait ainsi. Car si vous mettez une Lamine de Vénus dans un fort feu, vous verrez qu’il en sortira une flamme bleuâtre, telle qu’est celle que fait le Soufre, et vous trouverez ensuite, au dessus de votre Lamine, plusieurs écailles qui se mettront en poudre. Parce que le Soufre se brûle plus facilement dans les parties qui sont les plus exposées au feu, et sur lesquelles il agit plus fortement, telles que font les parties extérieures.
A l’égard du Fourneau, dont on se doit servir pour faire cette Calcination, il doit être le même que celui de la Distillation, dont nous avons parlé ci-devant, si ce n’est qu’il doit y avoir une grande ouverture en haut, afin que la fumée puisse librement sortir. Il faut mettre au milieu du Fourneau les Lamines de ces deux Métaux que l’on veut calciner, afin que le feu les environne également, et de tous côtés. Et pour ce qui est du Vaisseau où l’on mettra ces Lamines, il doit être d’une terre forte et bien cuite, de crainte qu’il ne vint à fondre par la violence du feu, et il doit être fait comme une terrine, ou un plat bien épais.
Reste à parler de la Calcination des Esprits. Elle se fait lorsqu’étant presque fixes, on leur donne un feu qu’on augmente par degrés et peu à peu, jusqu’à ce qu’ils puissent souffrir un feu très fort. Le Vaisseau, dans lequel on les mettra pour les calciner, doit être rond et d’un verre bien épais, de peur qu’il ne se fonde, que l’on bouchera fort exactement, et qu’on posera ensuite dans un Fourneau, tel qu’est le dernier que nous avons décrit.
On se sert du même Vaisseau et du même Fourneau pour calciner toutes les autres choses ; néanmoins nous ne sommes point embarrassés à les retenir, ni à les empêcher de s’exhaler, qui est ce qui donne le plus de peine dans la Calcination des Esprits ; parce que rien ne fuit ni n’est volatil que les seuls Esprits, et ce qui a affinité avec leur nature.
CHAPITRE LII
De la Dissolution.
La Dissolution, c’est la Réduction qui se fait d’une chose solide et sèche en Eau ou en Liqueur. Cela se fait par le moyen des Eaux subtiles, âcres et politiques ou mordicantes, qui n’ont nulles fèces : comme est le Vinaigre distillé, le Verjus, les Prunes aigres, et les Poires qui ont beaucoup d’acrimonie, le Jus de Grenades pareillement distillés, et les autres Liqueurs semblables. On l’a inventée pour rendre par son moyen plus subtiles les choses qui ne sont pas bien fondantes ni entrantes, et qui ont des Esprits fixes fort utiles, qui sans cette Opération se perdraient aussi bien que les autres choses qui sont de la nature des Esprits. Car il est certain que tout ce qui se dissout est nécessairement ou Sel ou Alun, ou d’une nature semblable. Or les Sels et les Aluns ont cela de propre, qu’ils rendent fusibles les choses auxquelles on les ajoute avant qu’elles se vitrifient. Et par ainsi les Esprits étant dissous ; ils donneront une fusion toute semblable. Et comme ces Esprits ont naturellement une grande affinité, tant avec les Corps qu’entre eux-mêmes, s’ils ont la fusion, il s’ensuit nécessairement qu’ils entrent dans les Corps, qu’ils les pénètrent, et qu’en les pénétrant, ils les transmuent. Or, afin qu’ils puissent faire cet effet, il faut qu’après qu’un Corps a été dissous et coagulé, on lui ajoute, avec grand artifice, quelque Esprit qui ait été purifié auparavant, sans pourtant qu’il ait été rendu fixe, et les sublimer tous deux ensemble, tant de fois que l’Esprit demeure uni avec le Corps qui lui communique une fusion plus prompte, et que dans la profusion l’empêche de se vitrifier. Car les Esprits ont cela de particulier, qu’ils ne se vitrifient jamais, et qu’ils empêchent les choses auxquelles ils sont mêlés de se vitrifier, tandis qu’ils demeurent avec elles. L’Esprit, donc, qui retient plus la nature de l’Esprit, sera celui qui garantira le mieux de la vitrification. Or l’Esprit qui n’est que purifié est moins altéré, et a plus la nature d’Esprit que celui qui est purifié, fixé, calciné et dissous. C’est donc cette sorte d’Esprit qu’il faut ajouter (au Sel et à l’Alun), car par leur mélange il se fait une bonne fusion, un ingrès, ou facilité d’entrer et de pénétrer, et une fixation permanente et durable.
Nous avons dit qu’il n’y avait que les Sels, les Aluns et les choses semblables qui se dissolvent. Ce que nous pouvons prouver par l’expérience que nous en avons faite sur toutes les choses naturelles ; c’est-à-dire sur les Minéraux, les Végétaux et les Animaux. Car ayant essayé sur toutes ces choses, nous avons trouvé qu’il n’y a que cela seul qui puisse se dissoudre. D’où nous inférons que tout ce qui se dissout doit nécessairement être de leur nature. Et partant, puisque nous voyons que ce qui a été calciné et dissous plusieurs fois se dissout après cela fort facilement, nous jugeons de là que tout ce qui est calciné participe de la nature des Sels ou des Aluns, et qu’il a toutes les mêmes propriétés.
Or il y a deux manières de faire la Dissolution: l’une par le fumier échauffé, et l’autre par l’eau bouillante, qui toutes deux se font pour la même fin, et font tout le même effet. La première se fait en mettant ce qui est calciné dans un Matras de verre, sur quoi on versera une fois autant de vinaigre distillé, ou de quelque autre Liqueur semblable ; et ayant bien luté la bouche du Matras, en sorte que rien ne puisse exhaler, on l’enterrera dans du fumier échauffé, et on l’y laissera trois jours durant pour se dissoudre. Après quoi on séparera par le Filtre ce qui aura été dissous, et ce qui n’aura pas été, on le calcinera une seconde fois, puis on le remettra en Dissolution, comme on a déjà fait ; continuant à faire cette Opération, jusqu’à ce que tout soit entièrement dissous, ou au moins le plus grande partie, selon le besoin qu’on en aura.
La Dissolution qui se fait par l’eau bouillante est beaucoup plus tôt faite, et est meilleure. Voici comment on la fait. On met tout de même ce qui a été calciné dans un Matras avec du Vinaigre. On bouche bien le Matras, de peur que rien n’exhale. On le pose ensuite dans une Chaudière pleine d’eau et de foin, de la même manière que nous avons dit qu’il fallait faire pour la Distillation au bain. Après cela on fait du feu dessous. On fait bouillir l’eau une bonne heure. On distille ce qui est dissous, que l’on met à part ; et on calcine une seconde fois ce qui a demeuré sans se dissoudre, jusqu’à ce que tout soit entièrement dissous.
CHAPITRE LIII
De la Coagulation, de ses Causes et des divers moyens de coaguler le Mercure et les Médecines dissoutes.
La Coagulation est une Opération par laquelle on réduit une chose liquide en une Substance solide, en lui ôtant son aquosité ou humidité. On l’a inventée pour deux usages. L’un est pour endurcir l’Argent-vif, l’autre pour dessécher les Médecines qui sont dissoutes, en ôtant l’humidité mêlée avec elles. Il y a donc autant de différentes Coagulations qu’il y a de diverses choses à coaguler. Car l’Argent-vif se coagule d’une manière, et les Médecines et les autres choses dissoutes d’une autre. Il y a même deux manières différentes de coaguler l’Argent-vif ; l’une en lui ôtant toute son humidité naturelle ; l’autre en épaississant cette humidité jusqu’à ce qu’elle s’endurcisse. De quelque manière néanmoins que l’on veuille faire cette Coagulation, elle est très difficile ; et il faut être bien habile et fort adroit pour la faire, à cause de l’union et de la composition très forte de ses parties. J’enseignerai dans ce Chapitre tout ce qu’il y à faire pour cela.
Il y en a eu qui se sont imaginé que pour le coaguler, il n’y avait qu’à le conserver et à le tenir longtemps dans un feu modéré ; mais ayant cru l’avoir congelé par ce moyen, après l’avoir retiré de dessus le feu, ils ont trouvé qu’il était aussi coulant qu’auparavant. Ce qui les ayant étourdis et surpris, ils ont soutenu fortement que sa Coagulation était impossible. Il y en a d’autres, lesquels supposant par les Principes naturels que tout ce qui est humide se dessèche par la chaleur du feu, ont cru qu’ils le coaguleraient en continuant à le tenir longtemps dans un feu qui lui fût propre. Et en effet ils l’ont poussé jusque là qu’ils en ont fait, les uns une Pierre ou Poudre blanche, et les autres une Pierre ou Poudre rouge et orangée, mais qui n’était ni fondante ni entrante. Et n’ayant pu deviner d’où provenait la cause de cette diversité, ils ont laissé cette Opération comme une chose inutile. D’autres ont essayé de le coaguler avec des Médecines, et ils se sont trompés. Car, ou ils ne l’ont point coagulé, ou l’ayant rendu plus subtile par la chaleur, ils l’ont fait évaporer insensiblement ; ou la Coagulation qu’ils en ont faite n’était pas en forme de Métal. De sorte que ne sachant à quoi attribuer un effet si contraire à leur intention, ils ont désespéré d’en venir à bout. D’autres ont fait, avec beaucoup d’industrie et d’artifice, certaines Compositions, desquelles, ayant fait projection sur le Mercure, ils l’ont coagulé ; mais inutilement, parce qu’ils l’ont converti en un Corps ou Métal imparfait, dont ils n’ont point connu la cause non plus que les autres, n’ayant pas assez d’expérience pour cela. J’expliquerai ici toutes ces Causes, afin que l’Artiste puisse découvrir par là le moyen d’en faire la Coagulation.
Mais pour mieux connaître ces Causes, on doit remarquer auparavant que l’Argent-vif, comme je l’ai déjà dit plusieurs fois, est d’une Substance uniforme ; je veux dire qu’il a ses parties toutes semblables et d’une même nature. D’où il s’ensuit qu’il n’est pas possible, en le tenant peu de temps sur le feu, de lui ôter son aquosité, ni de l’épaissir. Et partant, les premiers dont nous avons parlé n’ont pas réussi à le coaguler, pour s’être trop précipités à faire leur Opération. L’Argent-vif d’ailleurs, étant d’une Substance subtile, il s’enfuit de dessus le feu. C’est pourquoi le trop grand feu fait faillir ceux qui le font exhaler. De plus, l’Argent-vif se mêle plus facilement avec le Soufre, l’Arsenic et la Marcassite, parce qu’il est de même nature qu’eux. Et c’est ce qui fait qu’étant mêlé avec ces Minéraux, il semble qu’il soit coagulé, non pas pourtant qu’en cet état il ait l’apparence d’un Corps métallique: mais il paraît seulement comme si on l’avait amalgamé avec du Plomb, ou comme si c’était de l’Antimoine, ou quelque autre chose semblable ; parce que ces Matières, avec lesquelles on le mêle, étant volatiles, elles ne peuvent pas le conserver ni le maintenir dans le feu, jusqu’à ce qu’il puisse se faire Corps : mais elles s’en vont et s’évaporent avec lui par la chaleur. Et c’est ce qui trompe ceux qui prétendent le coaguler en le mêlant ainsi. Outre cela, le Vif-argent a beaucoup d’humidité en sa composition naturelle, que l’on n’en saurait séparer, si l’on n’a l’adresse de faire un feu violent, et de l’y tenir sans qu’il puisse s’échapper ; et si l’on ne trouve le moyen de le conserver dans un feu qui lui soit propre et convenable. Or j’appelle un feu propre et convenable à l’Argent-vif celui qu’on augmente à proportion qu’il le peut souffrir, jusqu’à ce qu’on lui ôte enfin son humidité, ne lui en laissant qu’autant qu’il lui en faut pour être fusible, comme le sont les Métaux ; parce que s’il n’y avait point du tout d’humidité, il ne serait pas fusible. Et c’est là la faute que font ceux qui le coagulent en une Pierre blanche ou rouge, qui n’a nulle fusion.
Pour ce qui est des Couleurs qui surviennent à cette poudre, il est aisé d’en deviner la cause, si l’on considère que l’Argent-vif a naturellement en soi des parties sulfureuses, l’un plus, l’autre moins, lesquelles peuvent en être séparées par artifice. Le Soufre ayant donc cette propriété, qu’étant mêlé en plus grande ou en moindre quantité avec l’Argent-vif, il rend toute la Composition rouge ou orangée, ainsi que l’expérience le fait voir dans le Cinabre artificiel, qui n’est fait que de ces deux Matières. Le Soufre étant séparé du Vif-argent, celui-ci ne produira par conséquent que la Couleur blanche par le moyen du feu. C’est donc là ce qui fait cette diversité de Couleurs, lorsque l’Argent-vif a été coagulé en Pierre ou en Poudre. Le Vif-argent a encore une impureté terrestre et sulfureuse mêlée dans sa Composition, qui infecte nécessairement toutes les Coagulations que l’on en saurait faire. Et de là vient le manquement de ceux qui, en le coagulant, en font un Corps ou un Métal imparfaits Et c’est encore pour cela, que selon la différence des Médecines dont on se sert pour le coaguler, il s’en forme différents Corps ou Métaux. Car si la Médecine ou l’Argent-vif que l’on coagule ont un Soufre qui ne soit pas fixe, de cette Composition il s’en fera un Corps ou Métal mou, comme il s’en fera un dur si le Soufre est fixe. De même si le Soufre est blanc, le Corps ou Métal qui s’en formera sera blanc : et si le Soufre est rouge, le Corps sera pareillement rouge. Que si le Soufre n’est pas tout à fait blanc, le Corps qui en sera formé, ne sera pas aussi parfaitement blanc ; ni parfaitement rouge si le Soufre n’est pas tout à fait rouge, Enfin, si le Soufre est terrestre et livide, le Corps sera impur: comme au contraire il sera pur si le Soufre n’a point d’impureté terrestre. Car c’est une Maxime constante, que tout Soufre (Métallique) qui n’est fixe, forme un Corps livide, ce que ne fait jamais le Soufre fixe, au moins de lui-même. Ainsi, selon que la Substance du Soufre sera pure ou impure, le Corps ou Métal, qui s’en formera, sera pur ou impur.
La même diversité peut provenir du Vif-argent seul, sans le mélange du Soufre, et il fera tout de même des effets tout différents, selon qu’il aura été purifié et préparé par les Médecines qui le coaguleront. C’est pourquoi l’on peut en manquer tout de même dans la Coagulation du Mercure, et il se peut changer différemment par les Médecines que l’on emploiera pour la faire. Ainsi, parfois l’Argent-vif se coagule en Plomb, parfois en Etain, d’autrefois en Cuivre, et quelquefois en Fer. Ce qui arrive à cause de l’impureté des Médecines: Comme lorsqu’il se coagule en Or ou en Argent, ce changement ne peut provenir que de la bonté ou de la pureté de ce qui en fait la coagulation.
Voyons maintenant de quelle manière on peut coaguler l’Argent-vif. Cela se fait en le précipitant souvent, c’est-à-dire en le faisant tomber du haut du Vaisseau dans le fond, par le moyen d’un feu fort et violent, parce qu’un tel feu lui ôte facilement son aquosité ou humidité (qui est ce qui empêche la Coagulation). Pour cet effet, il le faut mettre dans un Vaisseau qui soit fort haut, afin que lorsqu’il viendra à s’élever, il trouve un lieu frais, où il puisse demeurer attaché , aux côtés du Vaisseau, qui n’auront pas été échauffés à cause de sa hauteur. Ce Vaisseau doit être exactement bouché, de crainte que le Vif-Argent n’en sorte et ne s’enfuie, mais qu’il y demeure jusqu’à ce que, par une forte chaleur, le Vaisseau ayant rougi, il se précipite et retombe au fond, et qu’il remonte et retombe à plusieurs reprises, et tant de fois qu’enfin il devienne fixe.
C’est là la première manière de le coaguler. En voici une autre. Il faut le tenir longtemps sur un feu qui lui soit propre et proportionné, l’ayant mis dans un Matras de verre qui ait le cou fort long et la panse large, qu’on laissera tout ouvert, afin que l’humidité de l’Argent-vif puisse s’évaporer insensiblement.
On le coagule encore autrement par une Médecine qui lui est propre, la composition de laquelle j’enseignerai ci-après plus clairement, et autant qu’il est nécessaire : Et pour ne laisser rien à dire sur ce sujet, je vais la décrire ici par avance, selon l’expérience que j’en ai faite plusieurs fois. C’est une Médecine qui le pénètre et s’unit intimement à lui par ses moindres parties, avant qu’il puisse s’évaporer par la chaleur du feu. Et de là on doit inférer nécessairement que cette Médecine doit être faite de choses qui aient beaucoup de conformité avec lui : comme sont tous les Corps Métalliques, et le Soufre, et l’Arsenic, qui sont des Esprits. Mais comme nous ne voyons point que nul des Corps puisse donner à l’Argent-vif une Coagulation permanente et véritable : et qu’au contraire il les quitte et se détache d’eux par la chaleur, quelque grande affinité qu’ils aient ensemble: Il s’ensuit de là que nul des Corps Métalliques ne le pénètre, ni ne s’attache intimement à lui. Et par conséquent la Médecine dont nous parlons, doit être d’une Substance plus subtile, et avoir une fusion plus liquide que n’ont les Corps Métalliques. D’ailleurs, nous ne voyons point aussi que les deux autres Esprits, demeurant en leur nature, et tous tels qu’ils sont, fassent sur l’Argent-vif une Coagulation fixe et permanente, mais entièrement volatile, impure et noire. Volatile parce que les Esprits le sont ; noire et impure à cause du mélange de leur Substance terrestre et adustible. Et par ainsi il s’ensuit évidemment que de quelque Matière que ce soit que ce prenne cette Médecine, ce doit être nécessairement une chose dont la Substance soit très subtile et très pure, qui s’unisse intimement à l’Argent-vif par la conformité de sa nature ; qui ait une fusion très facile et fort liquide, et qui soit coulante comme de l’Eau, ou de la Cire, et de l’Huile ; et enfin qui soit fixe et permanente, résistant à tous les efforts du feu. La Médecine qui aura toutes ces propriétés coagulera l’Argent-vif, et le transmuera en Or et en Argent.
Je viens de te déclarer le moyen d’inventer cette médecine, et je t’ai dit comment tu la pourras découvrir, te l’ayant indiquée en termes propres. C’est à toi maintenant à t’appliquer soigneusement à la rechercher, et tu la trouveras. Néanmoins, afin que tu n’aies pas sujet de te plaindre que je n’en aie pas assez dit, j’ajoute que cette Médecine se prend des mêmes Corps Métalliques préparés avec leur Soufre ou Arsenic, et même du Soufre seul et de l’Arsenic seul préparé, et encore des Corps Métalliques tous seuls. Mais je t’avertis qu’elle se fait plus facilement, plus prochainement, et plus parfaitement de l’Argent-vif tout seul. Car la Nature embrasse plus aimablement sa propre nature ; elle s’unit et se plaît mieux avec elle qu’avec toute autre qui lui serait étrangère. Outre que l’Argent-vif étant effectivement composé d’une Substance très subtile ; il est aussi beaucoup plus facile de tirer de lui cette Substance subtile (qui est nécessaire pour faire la Médecine) que de quelqu’autre chose que ce soit. Pour ce qui est de la manière de faire cette Médecine, ce doit être par la Sublimation, comme je l’ai déjà suffisamment dit. Et à l’égard de la fixation (qu’il lui faut donner), j’en parle dans un chapitre exprès.
Il reste à dire un mot de la Coagulation des Corps qui ont été dissous ; elle se fait en les mettant dans un Matras, que l’on posera dans une terrine pleine de cendres, l’y enterrant jusqu’au cou, et tenant ces Vaisseaux sur un feu doux et tempéré, jusqu’à ce que toute l’aquosité de la Matière qu’on veut coaguler soit évaporée.
CHAPITRE LIV
De la Fixation, de ses Causes, et de la Manière différente de fixer les Corps et les Esprits.
La Fixation est une Opération par laquelle une chose qui s’enfuit du feu est rendue en état de le pouvoir souffrir sans s’évaporer. La raison pour laquelle on l’a inventée, c’est afin que la Teinture, le changement et l’altération que fait la Médecine dans le Corps qu’elle altère, y demeurent toujours, sans que cette Teinture et cette altération changent, ni qu’elles puissent en être séparées par quelque degré de feu que ce soit.
Il y a de plusieurs sortes de Fixations, selon la diversité des choses qui peuvent être rendues fixes. Ces choses sont, premièrement quelques Corps ou Métaux imparfaits, tels que sont Saturne, Jupiter et Vénus. Secondement les Esprits, savoir le Soufre et l’Arsenic dans le premier degré ; Mercure dans le second ; et dans la troisième la Marcassite, la Magnésie, la Tutie et les autres choses de cette nature.
Pour ce qui est des Corps ou Métaux imparfaits, on les fixe en les calcinant et en leur faisant ensuite reprendre Corps. Car par la Calcination ils sont purifiés du Soufre combustible et volatil qui les corrompt, c’est-à-dire de leur imperfection, comme il a été suffisamment expliqué dans le Chapitre précédent, où nous avons traité de la Calcination.
Le Soufre et l’Arsenic se fixent en deux manières. La première se fait en les sublimant tant de fois par eux-mêmes dans un Aludel, qu’ils deviennent fixes. Ainsi le tout consiste à les fixer promptement. Et pour cet effet il faut trouver le moyen de faire et de réitérer en peu de temps plusieurs Sublimations de ces deux Matières. Ce qui se fera par le moyen de deux Aludels avec leur double couvercle, de telle manière que la Sublimation s’en fasse continuellement, et sans interruption, jusqu’à ce que ces deux Esprits soient rendus fixes. De sorte que l’on mettra d’abord, dans le second Aludel, tout ce qui sera sublimé et monté dans le couvercle du premier, en continuant à faire ainsi les Sublimations de suite, et l’une après l’autre, sans laisser s’arrêter et s’attacher au côté de l’Aludel ce qui s’élève de ces deux Matières ; les faisant sublimer incessamment, tant qu’il ne s’élève ni se sublime plus rien par la chaleur du feu. Car plus on fera de Sublimations en moins de temps, et plutôt et mieux on les fixera.
Et c’est cela même qui a fait imaginer la seconde manière de faire la Fixation de ces deux Esprits, laquelle se fait en précipitant et faisant tomber au fond du Vaisseau ce qui monte à mesure qu’il se sublime, afin qu’il demeure toujours dans la chaleur, jusqu’à ce qu’il soit fixe. Et cela se fait avec un Vaisseau de verre fort haut, duquel on doit luter le fond, parce qu’autrement il se casserait: puis avec une spatule de fer ou de pierre, on fait tomber en bas (ou est la chaleur) ce qui monte et s’attache au côté du Vaisseau, continuant à faire toujours tomber ce qui s’élève, jusqu’à ce qu’il se fixe et qu’il ne monte plus.
Pour ce qui est de l’Argent-vif, la Fixation se fait de même que celle du Soufre et de l’Arsenic ; si ce n’est qu’on ne saurait fixer ces deux derniers, si auparavant, par cette dernière manière de Fixation, on ne sépare avec adresse leurs plus subtiles parties qui sont inflammables. Ce qu’il n’est pas nécessaire de faire à l’Argent-vif, parce qu’il ne s’enflamme ni ne se brûle point au feu. On doit donner aussi au Soufre et à l’Arsenic une chaleur beaucoup plus tempérée pour les fixer, qu’à l’Argent-vif. Il y a encore cette différence, qu’il faut bien plus dé temps à les fixer qu’à fixer l’Argent-vif, et que comme ils s’élèvent beaucoup plus que lui, à cause qu’ils sont plus subtils, il faut aussi que le Vaisseau, dans lequel on les sublimera, soit plus haut.
On fixe ainsi la Marcassite, la Magnésie et la Tutie. Après qu’on les aura sublimées une fois, et que, par cette Sublimation, on en aura eu ce qu’on en veut avoir, il en faudra jeter les fèces ou ordures, puis on les resublimera par elles-mêmes, en remettant ce qui se sera élevé au haut du Vaisseau sur ce qui aura resté dans le fond, jusqu’à ce que ces Matières deviennent fixes.
CHAPITRE LV
De l’incinération.
L’Incinération est le ramollissement qui se fait d’une chose dure ou sèche, et qui n’est pas fusible, pour la rendre liquide et coulante. D’où il est aisé de juger que cette Opération n’a pas été inventée qu’afin une chose, qui par défaut de fusion ne pouvait entrer dans un Corps Métallique pour l’altérer et le changer, fût tellement ramollie qu’elle devint fluide et entrante. Ce qui a fait croire à quelques uns que l’incinération se devait faire avec des choses liquides, telles que sont les Huiles et les Eaux. Mais cela n’est point vrai, étant une chose tout à fait opposée aux Principes naturels du Magistère, et condamnée manifestement d’erreur par la manière d’agir de la Nature. Car nous ne voyons point que l’humidité que la Nature a mise dans les Corps Métalliques, par la nécessité qu’ils avaient d’être fondus et ramollis, soit une humidité qui puisse être bientôt consumée (comme est l’humidité des Huiles et des Liqueurs), puisqu’au contraire c’est une humidité permanente, et qui dure autant que les Métaux eux-mêmes. Et de vrai, si cette humidité pouvait être évaporée en peu de temps par la chaleur du feu, il faudrait nécessairement qu’après que les Métaux auraient été ou rougis au feu, ou fondus une fois seulement, ils n’eussent plus du tout d’humidité. D’où il s’ensuivrait qu’on ne pourrait plus ni forger ni fondre quelque Métal que ce fut, qui aurait été une fois rougi dans le feu.
Afin donc d’imiter la Nature dans ses Opérations, autant que nous le pourrons, nous devons faire l’incération comme elle la fait. Or il est certain que la Nature a incéré les Corps qui sont fusibles, en leur donnant pour Principe et pour fondement de leur Incération, l’humidité même qui les rend fusibles, laquelle souffre et soutient la chaleur du feu plus que nulle autre humidité, telle qu’elle puisse être. Nous devons donc incérer nécessairement avec la même humidité. Or cette humidité incérative ne se peut mieux trouver nulle part que dans les Esprits. Je veux dire quelle se trouve dans le Soufre et dans l’Arsenic prochainement ; mais plus prochainement, et mieux encore dans l’Argent-vif. Car après que leur résolution est faite, nous ne voyons point que leur humidité se sépare de leur terre, tant la Nature a fortement uni ces deux choses ensemble, lorsqu’elle en a fait le mélange et la composition ; au lieu que dans la résolution de toutes les autres choses, qui ont une humidité intérieure, on voit par expérience que cette humidité se sépare de leur Substance terrestre ; après quoi il ne leur reste nulle humidité. Ce qui n’arrive pas de même dans les Esprits, et surtout dans l’Argent-vif Et partant, rien ne nous peut empêcher de nous servir d’Esprits pour faire l’incération.
Pour cet effet, il faut les sublimer tant de fois avec le Corps, à qui par leur moyen nous voulons donner l’Incération, que sans que ces Esprits perdent rien de leur humidité, ils s’unissent avec lui, et que par ce moyen le Corps devienne facilement fusible. Ce que les Esprits ne peuvent faire, s’ils ne sont auparavant nettoyés et dépouillés entièrement de tout ce qui peut causer de la corruption. Je trouverais plus à propos que leurs Huiles fussent premièrement fixées avec de l’Huile de Tartre ; après quoi ces Esprits pourraient être utiles à donner quelque Incération que ce soit, dont on puisse avoir besoin en cet Art.
Fin du premier Livre.