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Frontispice de l'édition allemande de 1723 |
LA NATURE DÉVOILÉE
ou
THÉORIE DE LA NATURE
La Chaîne d’Or d’Homère (Aurea Catena Homeri)
et l’Anneau de
Platon (Annulus Platonis)
Anton Josef Kirchweger
Version de 1772 en langue françoise, traduction de Pierre de
Fournelle
Basée sur l’édition originale de 1723 à Leipsic, en langue
allemande
Aurea catena Homeri oder eine Beschreibung von dem
Ursprung der Natur und natürlichen Dingen
Franckfurt und Leipzig, 1723
TOME PREMIER
PREFACE
Le premier pas que doit faire celui qui désire parvenir à la
connoissance de la Nature est d’examiner, avec la plus grande attention,
comment et de quoi prennent naissance toutes les choses naturelles, telles que
les météores, les animaux, les végétaux et les minéraux; comment elles se conservent,
et comment elles se détruisent. Il verra que ces différens effets s’opèrent par
une même cause; que chaque chose contient en soi un principe de vie, qui est
aussi celui de sa destruction; que ce principe est le même dans toutes; et que
c’est cet agent universel, qui, suivant ses différentes manières d’agir, opère
toutes les générations et les dissolutions qui entretiennent et renouvellent sans
cesse ce vaste univers.
C’est ce que je me propose de démontrer dans cet ouvrage,
qui est le fruit de mes observations et de mes expériences. Je l’ai écrit
particulièrement en faveur des Amateurs de la Chymie, qui, faute de connoître
la marche de la Nature, travaillent au hazard, suivent aveuglément les procédés
qu’ils ont devant les yeux, et s’égarent continuellement dans leurs recherches,
au détriment de leur santé et de leur fortune. Ils y trouveront une théorie
claire, palpable, et qui a l’avantage d’être aisée à vérifier par la pratique,
sans laquelle on ne peut se flatter d’être véritablement instruit.
Je l’ai divisé en deux parties. Dans la première, j’examine
comment et de quoi toutes choses ont pris et prennent naissance. Dans la
seconde, comment elles se détruisent; et j’ai soin d’appuyer tous les
raisonnemens sur des faits connus ou des expériences faciles.
Je préviens qu’on ne trouvera point dans ce traité
l’élégance et la pureté du style; d’autant plus que j’écris dans une langue qui
m’est étrangère. Mais dans un ouvrage de la nature de celui-ci, l’on doit considérer
les choses, plutôt que la manière dont elles sont exprimées.
Je préviens aussi qu’en traitant philosophiquement de la
Nature, je n’ai point prétendu m’écarter des vérités révélées, étant persuadé
que ma théorie ne pourroit être que fausse, si je n’étois point d’accord avec
elles.
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Page de titre de l'édition allemande de 1723 |
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Symbolisme de la Chaîne d'Or dans l'édition de 1723
(Absent de l'édition française de 1772) |
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Symbolisme de la Chaîne d'Or dans l'édition de 1723
(Absent de l'édition française de 1772) |
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Symbolisme de la Chaîne d'Or dans l'édition de 1723
(Absent de l'édition française de 1772) |
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Symbolisme de la Chaîne d'Or dans "The Golden Chain of Homer"
Traduction en anglais, par R.A.M.S, de l'édition allemande de 1781
Edité en 2012 par Hamilton & Wheeler |
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Symbolisme de la Chaîne d'Or dans "The Golden Chain of Homer"
Traduction en anglais, par R.A.M.S, de l'édition allemande de 1781
Edité en 2012 par Hamilton & Wheeler |
De la génération de toutes les choses naturelles.
Ce que c’est que la Nature.
La Nature est la masse de tous les êtres qui composent ce
monde visible, et le principe distingué de Dieu, quoiqu’émané de lui qui
l’anime.
De l’origine de la Nature, ou
de quoi ont pris naissance toutes les choses naturelles.
Dieu a tiré la Nature du néant par la vertu de son Verbe
qu’il avoit engendré de toute éternité. Il voulut, et le Verbe engendra une
vapeur, un brouillard ou une fumée immense, et y imprima sa vertu,
c’est-à-dire, un esprit plein de force et de puissance. Cette vapeur se
condensa en une eau que les Philosophes ont nommée universelle et chaotique, ou
simplement le chaos, c’est de cette eau que l’univers a été formé: c’est elle
qui a été, comme elle l’est encore et le sera toujours, la matière première de
toutes les choses naturelles.
La génération du monde par le Verbe n’est, sans doute, pas
moins incompréhensible que la génération de ce Verbe divin; mais il nous suffit
de sçavoir, pour l’intelligence de la Nature, que tout ce qui existe n’étoit au
commencement qu’une vapeur animée de son esprit, et que celle-ci est devenue
palpable en forme d’eau.
On n’aura pas de peine à concevoir que le monde ait été
formé d’une vapeur qui s’est condensée en eau, si l’on considère non-seulement
que l’eau se résout en vapeurs, et que celles-ci se réduisent en eau, mais que
tous les corps se changent en vapeurs et en eau dans leur dissolution, comme
nous le démontrerons dans la seconde partie de cet ouvrage.
Il est facile d’observer que l’eau se résout en vapeurs,
nous voyons principalement en temps d’été, lorsque le soleil échauffe les eaux
des lacs, des rivières, des fontaines, etc., qu’il s’en élève des vapeurs qui
se répandent dans l’air. De même, lorsqu’il est tombé de la pluie, et
qu’ensuite le soleil y darde ses rayons nous voyons que les toits mouillés par
cette pluie fument et donnent des vapeurs qui se dissipent dans l’air.
Un Païsan voit dans son foyer, lorsqu’il fait bouillir de
l’eau dans une marmite, que l’eau donne des vapeurs qui s’exhalent en fumée, et
s’il veut, il peut, par l’ébullition, réduire et changer toute son eau en
vapeurs.
Nous voyons aussi que les vapeurs se changent en eau:
lorsque les brouillards se sont épaissis en nuées, ces nuées se résolvent en
pluie ou en neige, et retournent à leur origine.
Le Païsan n’ignore pas cet effet, et l’éprouve à sa grande
incommodité; lorsqu’il est forcé de travailler dans les grandes chaleurs, tout
son corps transpire, et les vapeurs qui en sortent se résolvent en eau, qui
ruisselle le long de son dos, et que nous appelons communément sueur. Tous les
distillateurs voient aussi que les liqueurs s’élèvent en forme de vapeurs dans
le chapiteau de leur alembic, s’y condensent et coulent par le bec, goutte à
goutte, ou par petits ruisseaux.
Enfin nous ne voyons rien autre chose entre le ciel et la
terre que vapeurs, fumée et eau, qui, poussées par la chaleur centrale de la
terre, se sont sublimées et élevées de notre sphère composée de terre et d’eau
dans la région de l’air; et si nous pouvions appercevoir les subtiles
émanations ou les vapeurs subtiles des cieux, nous verrions leurs influences,
qui descendent de haut en bas, se mêler et s’unir avec les vapeurs terrestres
qui se subliment en haut; mais si nous ne pouvons pas les voir à cause de la foiblesse
de notre vue, nous devons les concevoir par notre esprit, ensuite les rendre
palpables par la pratique de la Chymie, et sentir que tout ce qui arrive dans
le microcosme arrive aussi dans le macrocosme, et que ce qui est en haut est
comme ce qui est en bas.
Nous pouvons donc regarder comme certain que la première
matière de ce grand monde est l’eau chaotique ou une vapeur réduite en eau, et
il y a deux choses à considérer dans cette eau universelle: l’une visible qui
est l’eau, et l’autre l’esprit invisible qui lui est inhérent; en sorte que l’on
peut dire que cette eau est double, c’est-à-dire, deux choses en une.
L’eau sans esprit seroit sans force, et l’esprit sans l’eau seroit
sans action, parce qu’il faut nécessairement qu’il ait un corps pour opérer des
choses corporelles; et Dieu a voulu que ce soit l’eau qui est le moyen par
lequel cet esprit peut opérer tout en toutes choses; parce qu’elle a la propriété
de se mêler facilement avec toutes choses; et que, par son moyen, l’esprit peut
pénétrer, amollir, former et détruire tout.
L’eau est donc le sujet ou le patient, le corps,
l’habitation et l’instrument; et l’esprit est l’agent qui opère tout en elle et
par elle, le point séminal et central de toutes les choses naturelles.
Que celui qui désire pénétrer dans les secrets de la Nature
considère bien ce point, qu’ensuite de ce point central, il aille à la
circonférence, comme il sera dit dans les chapitres suivans; et il trouvera que
toutes choses sont renfermées dans toutes choses, c’est-à-dire, que cet esprit
avec la puissance générative est réparti dans tous les sujets du monde entier,
et que, comme toutes choses prennent de lui leur existence, elles retournent
aussi en lui, et s’y rejoignent après leur dernière dissolution; c’est-à-dire,
que par une vicissitude continuelle la circonférence revient au centre, et le
centre à la circonférence. S’il comprend bien ceci, rien ne pourra plus
l’arrêter dans l’analyse de la Nature; car d’un volatil il fera un fixe, du
doux il fera un aigre, d’une odeur mauvaise une agréable, d’un poison une
thériaque, et d’une thériaque un poison; parce qu’il connoîtra ce qui est le
but de toutes nos recherches, à sçavoir que toutes ces choses tirent leur
origine de la même racine et qu’elles peuvent être réduites en elle. En effet,
elles ne sont pas détruites quant à la matière, mais seulement quant aux
accidens, suivant leur degré de volatilité, de fixité ou de digestion. C’est
pour cela que tous les Philosophes s’écrient: " Notre matière est en
toutes choses, dans tout ce qui nous environne; par-tout et à chaque moment on
la touche avec les mains, ou on la foule aux pieds: elle vole devant nos yeux,
et nous heurte, pour ainsi dire, à chaque instant." Ils nous avertissent néanmoins
de ne pas chercher cet esprit dans tous les sujets indistinctement, mais
seulement dans ceux où il réside en plus grande quantité, où il est d’une
meilleure qualité, et où on peut le trouver plus facilement; car, encore qu’il
se trouve dans tous les sujets quelconques, il ne laisse pas d’être dans l’un
en plus grande quantité, force et pureté que dans l’autre; mais au reste il est
tout en toutes choses.
Comment toutes choses ont pris
naissance.
Au commencement l’eau chaotique universelle étoit crystalline,
claire, transparente, sans odeur ni goût particulier; elle étoit aussi dans un
parfait repos, et tous les élémens y étoient confondus; mais bientôt, par
l’action de l’esprit invisible qui y étoit renfermé, elle s’est mise en
mouvement, a fermenté, s’est troublée, a fait naître de soi-même une terre,
s’est putréfiée et est devenue puante.
Lorsqu’elle fut arrivée à son terme de putréfaction,
l’esprit moteur, obéissant aux ordres du Créateur, sépara les parties subtiles
des grossières avec ordre et par degrés, et chacune se placèrent au rang qui
leur convenoit: les subtiles au-dessus, et les grossières au-dessous, suivant
l’ordre que nous appercevons dans la Nature. Les plus subtiles composèrent ce
que nous appelons le ciel ou le feu, et les subséquentes par degrés l’air et
l’eau, jusqu’aux plus grossières qui composèrent la terre.
Mais il faut bien remarquer que ces quatre élémens ne
diffèrent les uns des autres que par leurs degrés de subtilité ou de fixité, et
que c’est toujours l’eau chaotique qui, de trouble qu’elle étoit dans son
origine, est devenue quadruple par la séparation des élémens.
Après cette séparation, Dieu voulut que la sphère de chaque
élément fût peuplée de toutes sortes de créatures d’une nature analogue à son
degré de subtilité; que le ciel produisît des corps lumineux; l’air ses
météores; l’eau ses animaux, ses plantes, ses minéraux; la terre également ses
plantes, ses animaux, ses minéraux; et que toutes ces créatures eussent la
faculté de se multiplier. Aussi-tôt l’esprit générateur, exécutant sa volonté,
en produisit les semences dans chaque sphère, et leur donna la forme, d’après
les modèles tracés dans l’Intelligence suprême; et c’est le même esprit qui, par
la vertu multiplicative presque infinie dont il étoit doué, devoit en opérer la
reproduction; étant devenu, en se spécifiant dans tous les individus, le point
séminal et central de chaque microcosme, comme il étoit celui du macrocosme.
Dieu voulut aussi que chaque élément produisît son semblable
ou poussât continuellement de son centre une semence, et que de ces semences
réunies naquît une eau de même nature que l’eau chaotique primordiale pour la
génération, conservation, destruction et régénération de toutes les choses
créées. J’appelle cette eau chaotique régénérée, semence universelle, et même ame
et esprit du monde, parce qu’elle n’est autre chose que l’esprit universel non
spécifié rendu visible en forme d’eau.
J’expliquerai dans les chapitres suivans ce que c’est que
cette eau, et comment elle s’engendre. Je ferai voir qu’elle est entre les mains
de tout le monde; que nous pouvons même la soumettre à nos expériences; et ces
expériences, en démontrant qu’elle a toutes les qualités que j’ai attribuées à l’eau
chaotique primordiale, prouveront en même temps la vérité de ma théorie sur le développement
de la création de l’univers.
De la génération de la semence
universelle, et comment elle se fait.
L’esprit moteur, agissant sans cesse dans le sein de chaque
élément, y excite un mouvement continuel qui produit la chaleur, et cette chaleur
en fait sortir des vapeurs à peu près comme il s’en exhale de tous les corps
par la transpiration. Ces vapeurs ou émanations se nomment ordinairement influences,
lorsqu’elles viennent d’en haut, et exhalaisons, lorsqu’elles viennent d’en
bas.
Ce sont ces émanations du ciel, de l’air, de l’eau et de la
terre qui, comme autant de semences particulières, engendrent par leur réunion la semence
universelle. La semence du ciel se mêle d’abord avec celle de l’air, la semence de la terre avec
celle de l’eau; ensuite, de l’union de ces deux composés comme de la
conjonction du mâle et de la femelle, naît une eau chaotique régénérée pour la
naissance, conservation, destruction et régénération de toutes choses, et cela
jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu de détruire cet univers.
Le ciel et l’air sont le père, l’agent ou la partie active;
l’eau et la terre sont la mère, le patient ou la partie passive: par où l’on
voit que, quoique les quatre élémens paroissent très-opposés, si l’on compare
une extrémité avec l’autre; et qu’en agissant d’une manière contraire, ils ne
puissent jamais rien produire, ils opèrent cependant, lorsqu’ils s’unissent
dans l’ordre, et font tout ce que le Créateur leur a commandé de faire, sans
exception.
On ne peut aller d’une extrémité à l’autre, sans passer par
un milieu. Cet axiome des Philosophes est et sera toujours vrai, et les
Artistes doivent bien se l’inculquer; car il y en a une infinité qui errent,
faute d’observer et de considérer assez ce point essentiel.
En effet le ciel ne sçauroit jamais se réduire en terre que
par le moyen de l’eau et de l’air; et la terre ne peut jamais devenir ciel,
sans l’eau et l’air, comme choses moyennes entre le ciel et la terre; de même
le ciel se réduira très-difficilement en eau, sans l’air; et la terre ne
deviendra jamais air que par le moyen de l’eau.
Le ciel est subtil, pur, clair et très-volatil; la terre au
contraire est grossière, épaisse, ténébreuse et très-fixe; et si quelqu’un
entreprenoit d’unir et de fixer ensemble le ciel, qui est très-volatil, avec la
terre, qui est très-fixe, il n’y réussiroit jamais; mais le très-volatil
s’envoleroit à la moindre petite chaleur, et retourneroit dans son chaos, en
abandonnant le fixe.
Qu’un Artiste ait donc continuellement ce point devant les
yeux, à sçavoir que jamais, en quelque chose que ce soit, le très-subtil et le très-fixe
ne se laissent lier et unir ensemble, sans leur moyen convenable; autrement il
perdra sa matière, son temps et ses frais.
Ainsi quiconque voudra réduire le ciel ou feu en terre, doit
les unir auparavant avec leur milieu; alors ils s’uniront dans le moment; au
lieu que, sans cela, il faudroit, pour ainsi dire, toute une éternité pour les
unir.
Faites descendre le ciel dans l’air, comme son milieu; ils
s’uniront sans combat, parce qu’ils sont tous deux d’une nature subtile:
lorsqu’ils seront unis, donnez-leur de l’eau, comme un milieu entre l’air et la
terre, ils s’uniront encore dans le moment; ensuite donnez-leur de la terre; de
cette manière l’union se fera par les degrés intermédiaires convenables, en
descendant d’un degré très-subtil à un subtil, d’un subtil à un plus épais, de
celui-ci a un très-épais, et non pas tout d’un coup d’un très-subtil à un très-épais.
Au contraire réduisez la terre en air par l’eau ou par le moyen de l’eau, l’eau
en air par l’air, et celui-ci en ciel par le ciel; car ils sont tous une même
chose, quant à leur matière et à leur origine; aussi l’un doit être l’aide et
le conducteur de l’autre, et l’on doit préparer l’un par l’autre.
Cela ne peut être autrement, et on ne sçauroit transgresser
cette règle de la Nature. Unissez le ciel avec l’air, l’air avec l’eau, l’eau
avec la terre; et au contraire unissez la terre avec l’eau, l’eau avec l’air,
l’air avec le ciel ou feu; de cette manière le ciel deviendra terre, et la
terre ciel. Le ciel est très-subtil: l’air est subtil aussi, mais pourtant d’un
degré plus grossier que le ciel: de même l’eau est d’un degré plus épaisse et
grossière que l’air, et la terre d’un degré plus épaisse et grossière que l’eau;
ainsi il faut procéder par degrés dans l’ordre de la Nature même. Cela doit
être observé dans toutes les opérations chimiques; sans cela on ne réussira à
rien ou à très-peu de choses. Mais, me dira-t-on: est-ce qu’un élément ne seroit
que d’un degré plus grossier que celui qui le précède immédiatement ? Ne
voyons-nous pas au contraire que l’eau est de plusieurs degrés plus grossière que
l’air, et de même la terre de plusieurs degrés plus grossière que l’eau ?
Oui, sans doute, le ciel et l’air, ainsi que l’eau et la
terre, sont divisés en leurs degrés de subtilités; aussi n’est-ce pas la terre
la plus grossière qui se mêle immédiatement avec l’eau subtile, ni aussi l’eau
la plus grossière avec l’air le plus subtil, ou l’air le plus épais avec le
ciel subtil; mais le très-subtil du ciel s’unit d’abord avec le plus subtil, et
celui-ci avec le subtil. Lorsque ceux-ci sont unis, ils influent dans l’air le
plus subtil, et ensuite après leur union, toujours dans un plus épais, après quoi
ils influent dans l’eau la plus subtile, celle-ci dans l’eau plus épaisse
jusqu’à la très-épaisse; et c’est alors seulement qu’elle commence à se mêler
avec la terre subtile, jusqu’à ce qu’elle devienne de plus en plus épaisse et
grossière, et qu’enfin le tout se réduise en pierre.
Il ne faut pourtant pas s’imaginer que ces degrés soient
placés l’un sur l’autre, comme dans une sphère particulière. La Nature a mêlé
ensemble la terre subtile et la grossière, et a forcé le feu d’y entrer aussi
avec l’eau et l’air; elle a aussi mêlé de la même manière l’eau, le ciel et
l’air; si bien que nos yeux n’y peuvent appercevoir qu’une très-petite
différence. Ce n’est que dans l’analyse qu’on voit comme le subtil se détache
du grossier, monte en haut s’en sépare.
Voici une expérience qui prouve que la Nature ne mêle jamais
les choses ensemble confusément, mais toujours en se conformant à leurs
différens degrés de subtilité. Prenez une terre quelconque des champs ou des
prés, versez-y de l’eau et broyez-les ensemble pour les bien mêler; laissez-les
ensuite reposer pendant quelque tems. Vous verrez que l’eau laissera tomber la
terre grossière, et se chargera seulement de la subtile qui est le sel; le sel,
comme terre vierge, s’unissant avec l’eau. Lorsque cette partie terrestre en
est tirée, l’eau ne peut plus agir sur la terre grossière qui reste; parce
qu’elle est trop foible pour cela. C’est pourquoi il faut qu’auparavant vous
réduisiez aussi en eau avec elle et par elle la terre vierge dont elle est
imprégnée, c’est-à-dire que vous la distilliez en une eau spiritueuse; par ce
moyen, elle acquerra de nouveau la force de séparer dans la terre restante les
parties les plus subtiles des plus grossières, de les rendre semblables à elle
et de les réduire également en eau, laquelle agira de nouveau sur la terre
restante.
C’est de cette manière que la Nature opère, tant en
résolvant qu’en coagulant, dans toutes les choses de l’Univers, sans jamais
franchir les degrés intermédiaires et convenables.
De ceci un Artiste peut comprendre que la Nature dans toutes
ses opérations observe toujours la règle, le poids et la mesure, et ne mêle
rien ensemble au hazard, encore qu’à nos yeux les choses paroissent
différemment. Un Artiste ne doit pas s’arrêter aux surfaces, mais pénétrer dans
ce qui est caché, et approfondir la Nature, à l’aide de l’expérience: une
manipulation le conduira à une autre, et il acquerra tous les jours de
nouvelles lumières.
Pour revenir à l’eau chaotique régénérée ou semence
universelle, nous disons donc qu’elle est
formée des émanations du ciel, de l’air, de l’eau et de la
terre, par la rétrogradation de ces élémens en leur première matière. Les élémens,
comme nous l’avons déjà observé, sont absolument homogènes, et ne diffèrent que
par les accidens. La terre est un ciel fixe; le ciel est une terre volatile;
l’air est une eau raréfiée ou atténuée; l’eau est un air condensé et épaissi;
et comme ils sont provenus du chaos qui n’étoit qu’eau et esprit, deux choses
comprises en une; ils ne sont aussi tous les quatre qu’eau et esprit jusque
dans leurs moindres molécules. De-là vient qu’ils peuvent se transmuer l’un
dans l’autre, et se réunir sous la même forme qu’ils avoient avant leur
séparation.
Nous avons dit que c’étoit le mouvement excité par l’esprit
moteur dans le centre des élémens qui étoit la cause de leurs émanations; mais
il faut observer que l’action de cet esprit n’est pas immédiate dans tous les élémens.
L’on sçait que, plus une chose est subtile, plus elle est
pure, vive et mobile; que plus elle est grossière, plus elle est immobile, paresseuse et endormie.
Réciproquement plus une chose est mobile, plus elle est spirituelle, et conséquemment plus
s’accroît sa mobilité. Le ciel, comme le plus subtil des élémens, est donc
aussi le plus mobile: c’est lui qui reçoit l’impulsion immédiate de l’esprit
moteur, et qui communique son mouvement à l’air, son plus proche voisin;
celui-ci le communique à l’eau, et l’eau à la terre. De cette manière tout
procède dans le plus bel ordre, et comme dans une horloge où le mouvement se
communique de proche en proche, depuis la première roue jusqu’à la dernière. Or
le mouvement cause la chaleur, et l’intensité de celle-ci est en raison de l’intensité
de l’autre: ainsi le ciel qui, par sa subtilité est toujours en mouvement,
s’échauffe par ce mouvement perpétuel; cet échauffement fait que le ciel, parce
qu’il est une eau et fait d’eau, donne des vapeurs et exhalaisons, qu’il sue et
dégoutte; cette vapeur ou cette sueur ne pouvant monter plus haut par les
bornes que Dieu lui a imposées, est forcée de tendre vers le bas, et descend
ainsi dans l’air, par lequel ce qu’elle a de plus grossier est pris et retenu;
le plus subtil remonte en haut par son attraction, et voltige d’un côté et
d’autre, jusqu’à ce que, par la circulation, il s’épaississe et devienne
grossier au point que l’air le puisse retenir.
C’est-là l’influence et la semence astrale que nous recevons
du ciel par le moyen de l’air: ce dernier aussi bien que l’eau et la terre
donnent également leurs émanations en raison du mouvement qui leur est
communiqué; et c’est ainsi que tous les élémens fournissent la matière de la
semence universelle. Mais il est bon d’examiner encore dans un plus grand
détail la nature des élémens, de quelle manière se font leurs émanations, et
comment elles s’unissent pour former la semence universelle ou l’esprit du
monde.
Du ciel, et de ses influences.
Après la séparation du chaos, le ciel est devenu l’être le
plus subtil, le plus incompréhensible et le plus élevé, une vapeur aqueuse très-subtile,
légère, pure, volatile; ce qui est cause qu’il s’est élevé en haut, et qu’il a
pris la place la plus élevée: il est la partie la plus subtile, la plus remplie
de vie et de puissance active.
C’est pourquoi le ciel est le premier agent et le père de
toutes choses, la semence masculine, l’ame et la liqueur vivifiante de la vie,
le nectar, l’ambrosie, un air, une eau subtilisée et une terre volatile.
Le ciel et l’air, comme nous l’avons dit ci-dessus, n’ont
pas leurs émanations par le haut, mais par le bas vers la sphère terrestre et
aquatique, conformément à la volonté absolue du Créateur. Comme les premiers
renvoient leurs émanations en bas, de même l’eau et la terre renvoient les
leurs en haut vers l’air et le ciel.
Le ciel, comme le plus mobile, s’échauffe par son mouvement
perpétuel, s’allume, commence à bouillir, à donner des vapeurs, à suer et à
exhaler d’une manière imperceptible et invisible, tout ce dont il n’a pas
besoin pour sa consistance. Comme il est destiné pour émaner ses vapeurs et ses
influences par le bas, et non par le haut, cette vapeur descend dans la sphère
la plus prochaine, qui est l’air: et comme celle-ci n’est ni trop épaisse, ni
trop subtile, elle s’y laisse prendre, s’y mêle, s’unit et se coagule avec la
vapeur subtile de l’air, se digère et circule de côté et d’autre par un mouvement
perpétuel, jusqu’à ce qu’unies intimement ensemble, elles soient propres à se
joindre aux émanations inférieures de la terre et de l’eau, pour procréer et
régénérer la semence universelle, ou l’esprit du monde, ou l’eau chaotique.
Ainsi, quand une fois le ciel s’est insinué dans l’air, l’air se dispose et se
rend propre aussi à être uni avec l’eau qui en est l’élément le plus voisin.
Un Amateur ne doit pourtant pas s’imaginer qu’il faille
beaucoup de tems au ciel pour s’unir avec l’air, ni à l’air pour s’unir avec
l’eau et la terre: dès qu’ils se rencontrent, l’union se fait, parce qu’ils s’y
préparent de plus en plus, en chemin faisant, par l’extension et atténuation de
leurs parties, par la circulation ou le mouvement; ensuite ils se mêlent
intimement ensemble et s’unissent, dans leur rencontre, comme la fumée avec la
fumée, et l’eau avec l’eau. Comme cette quadruple conjonction du ciel, de
l’air, de l’eau et de la terre, se fait par une vapeur claire et subtile, un
brouillard, ou une fumée en manière de vapeur; il est aisé de comprendre qu’une
vapeur ou fumée s’insinue et se mêle très-facilement avec une autre, et une eau
avec une autre; sur-tout lorsque toutes ces parties y sont naturellement
disposées, qu’elles sont d’une même matière et qu’elles ont une même origine.
Quelqu’un pourra demander si le ciel, par ses émanations
continuelles, ne perd rien de sa quantité et de sa force; parce que
naturellement il paroît impossible qu’une chose donne des émanations continuelles
sans perdre beaucoup de sa substance et de sa force, si elles ne sont point
remplacées par d’autres: tout comme un homme, qui sueroit fortement et
continuellement, ne pourroit manquer de devenir foible et abattu.
Il est aisé de répondre à cette difficulté; le noeud va en
être dénoué par les réflexions et considérations suivantes.
Il n’est pas moins certain que visible à nos yeux que ce
grand espace, qui est entre le ciel et la terre, est continuellement plein de
vapeurs, de brouillards, de fumées, de nuées et d’exhalaisons; que ces vapeurs,
pour peu qu’elles se condensent, se résolvent en pluie, neige, rosée, frimats
et grêles, dans le même instant; et qu’ensuite les exhalaisons d’en bas et d’en
haut recommencent: de manière qu’il n’y a aucune interruption dans la
production de telles vapeurs, auxquelles nous donnons le nom général d’air.
Tout ce qui évapore ou exhale, a de soi-même une tendance à
attirer à soi son semblable. Lorsque ce qui a été attiré s’est mêlé dans sa
substance, et qu’il a passé par tous ses membres; il est naturellement forcé
d’évacuer son superflu, ou l’excrément par les voies qui y sont destinées: de même
que l’homme, quand il est dans un endroit où sa respiration n’est pas libre, ou
qu’il est épuisé par les sueurs, est obligé, sous peine de perdre la vie, de
prendre l’air, de la nourriture, de la boisson, et de les attirer à lui comme
lui étant analogues; et cela par un désir et une force naturelle qui le porte à
remplacer ses dissipations, à rafraîchir son corps et à fortifier sa vie.
Mais comme tout ce qu’il prend, soit de l’air, soit de la
nourriture et de la boisson, ne parvient pas en totalité à former la substance
de sa vie; il chasse le superflu par les voies qui y sont destinées, le plus
subtil par les sueurs, le moins subtil par les urines, par le nez, par la morve
et les crachats, et le plus grossier par les selles et les vomissemens.
Lorsqu’il s’est débarrassé de ces choses, il recommence naturellement
l’attraction de l’air frais, de la nourriture, de la boisson, et en fait de nouveau
un superflu, ou excrément pour le pousser encore dehors.
Or, comme l’air, la nourriture et la boisson, changent dans
l’homme entièrement d’espèce et de nature, et sont totalement transmués et
changés par l’archée humain en la propre substance de l’homme: au point que les
excrémens ne donnent pas même la moindre indication de la nature précédente de
l’air, de la nourriture et de la boisson: mais que tout est d’une figure
entièrement différente, et qui est imprégnée de la substance humaine et de ses
esprits vitaux, c’est-à-dire d’un sel volatil, comme l’analyse le démontre: de
la même manière le ciel, l’air, l’eau et la terre remplacent leurs diminutions
par des parties qui leur sont semblables: le ciel reçoit les vapeurs qui montent
de bas en haut, qui en chemin ont été préparées, subtilisées au plus haut
point, et qui ont été attirées à travers la région de l’air, jusqu’au
firmament, et delà au plus haut pour remplacer les émanations du ciel; le ciel
en prend autant qu’il en a besoin, les change en sa nature, et lorsqu’il s’en
est rassasié, il expulse le superflu ou les excrémens par une impulsion
naturelle dans le firmament et dans l’air, l’air s’en rassasie aussi,
s’épaissit par les vapeurs qui viennent sans discontinuation d’en haut et d’en
bas, résout le superflu en pluie et en rosée, et les pousse comme un excrément
vers la sphère inférieure de l’eau, l’eau décharge également ses superfluités
épaisses, et les donne à la terre; la terre regorge et se rassasie aussi de ses
influences, et chasse dehors les parties superflues de cette eau par la chaleur
centrale et naturelle qu’elle contient, les résout de nouveau en vapeurs,
exhalaisons, brouillards et fumée, et les pousse ainsi dans l’air. Ce changement
d’augmentation et de diminution, d’attraction et d’expulsion a été communiqué à
la Nature par un ordre très-sage du Créateur, pour les continuer ainsi jusqu’à
ce que le monde finisse par sa volonté.
Un Amateur voit maintenant et clairement que tout doit
reprendre son entretien de ce qu’il rejette; mais seulement après que
l’altération y a précédé. Ce que nous appelons excrémens, ou expulsions,
redevient de nouveau notre nourriture, l’homme mange du pain et du fruit, boit
du vin, de la bierre, etc., dont il fait ses excrémens qui sont reportés aux
champs; on y sème les grains, et ainsi il croît de nouveau de la nourriture de
ses propres excrémens: de même un arbre perd ses feuilles en hiver, elles
tombent sur la terre, pourrissent et deviennent un suc qui se glisse dans sa racine,
engraisse et nourrit de nouveau l’arbre dont il est sorti.
C’est en observant toutes ces choses qu’on connoîtra le
supérieur et l’inférieur d’Hermès, la chaîne d’or d’Homère, l’anneau de Platon,
et que l’on sera convaincu qu’une chose se transmue en l’autre et redevient,
par la vicissitude des choses, la même ou semblable à celle qu’elle a été
auparavant.
Il n’est pas difficile de conclure, puisque tout à été une
seule et unique matière, de laquelle tout a pris son origine, qu’il faut
nécessairement qu’une chose se change par rétrogradation dans la même, dont
elle a tiré ses principes; tout ayant été eau, tout doit aussi retourner en
eau, puisque l’eau étoit son premier principe. Appliquez maintenant cette règle
à tout ce qui suivra dans ce traité; ce ne sera pas un petit avancement pour notre
Art. Examinons à présent, suivant l’ordre des matières, ce que c’est que l’air.
De l’air, et de ses influences.
L’air est le second principe après la séparation du grand
chaos; il est conjointement avec le ciel, le père et le forgeron, le mâle et le
premier agent, la semence masculine et le principe actif de toutes choses: le
ciel est l’ame et la vie; l’air est l’esprit et le réceptacle de l’ame et de la
vie, et par conséquent l’esprit vital du macrocosme: l’air est une vapeur
subtile aquatique, ou une eau changée en vapeur, une vapeur un peu plus épaisse
et plus grossière que le ciel, et par cette raison de son épaisseur, il
embrasse l’influence subtile du ciel, et la fixe pour la changer en sa propre
substance et nature aërienne; il reçoit aussi les vapeurs inférieures encore
plus épaisses, aquatiques et terrestres, comme ses semblables par rapport à
leur origine, et en fait la conjonction avec lui-même et avec le ciel; outre
cela, par une motion et circulation continuelle, il les réduit à l’unité; il
s’épaissit finalement par les vapeurs qui surviennent sans discontinuation d’en
haut et d’en bas, se résout en rosée, pluie, neige, frimats, et ces météores se
précipitent vers nous sur l’eau et sur la terre, pour y être travaillées
davantage.
On voit donc que l’air est le premier moyen pour unir le
ciel avec l’eau et la terre, que sans lui le ciel ne sçauroit s’assimiler à
l’eau et à la terre; qu’il est le premier qui reçoit l’influence entière du ciel;
qu’il conjoint, unit et lie cette influence céleste avec les émanations
inférieures, aquatiques et terrestres, pour former dans sa sphère le principe
de la semence universelle de toutes choses.
Car une vapeur, comme il est dit plus haut, se mêle très-volontiers
avec une autre vapeur, une eau avec une autre eau, une terre avec une autre
terre; mais une terre n’embrasse pas facilement une vapeur, ni ne se mêle pas
avec une vapeur subtile; et quand même il arriveroit qu’elle en retint une partie
qui seroit la plus fixe, cependant la plus grande partie s’envole; si au
contraire la vapeur devient eau, plus cette eau est épaisse, plus elle se mêle
aisément avec la terre, et devient même terre à force de s’épaissir; de même la
terre, en se subtilisant de plus en plus par le moyen de l’eau et de l’air, se
change enfin en eau et en air, ainsi la Nature travaille par des moyens ou
choses moyennes, et ne va pas immédiatement d’un extrême à l’autre.
La terre et l’eau doivent devenir fumée et vapeur, ainsi que
nous le voyons journellement, tout comme le ciel et l’air: alors ils s’unissent comme étant
choses semblables, forment par leur mélange une semence qui se résout en rosée
et en pluie, etc.; cette rosée ou pluie tombe sur l’eau et sur la terre, comme
étant le centre et le réceptacle de toutes les vertus célestes, et par elles se
fait la génération, corruption et régénération de tous les animaux, végétaux et
minéraux, comme dit Marie la Prophétesse: une fumée ou une vapeur embrasse ou
fixe l’autre; ainsi l’air embrasse et fixe le ciel; le ciel uni à l’air est
fixé encore davantage par l’eau; la terre reçoit et fixe encore plus l’eau unie
avec l’air et le ciel, jusqu’au point d’en faire une pierre et un métal. De
cette manière le ciel devient terrestre et une terre corporelle, visible,
sensible et palpable; et au contraire l’eau résout la terre; l’air résout ou
subtilise l’eau et la terre en vapeur et fumée; l’air, conjointement avec
l’eau, est résous et subtilisé par le ciel qui le transmue en sa propre nature;
ainsi l’une se change en l’autre, et devient tantôt fixe, tantôt volatile par
un perpétuel changement. Le ciel devient terre, et l’eau devient air, ce qui
revient encore à l’aurea catena Homeri, à l’anunnculus Platonis,
et au superius et inferius Hermetis, le supérieur est semblable à
l’inférieur, l’inférieur au supérieur.
Finalement on peut appeler l’air, à juste titre, les reins,
ou les testicules du macrocosme, parce que c’est dans son sein que l’extrait de
tout l’univers se rassemble, et que toutes les humeurs radicales et
substantielles du macrocosme s’y élaborent sans cesse pour former la semence
universelle.
De l’eau, et de ses émanations.
L’eau et la terre se tiennent ensemble, comme le ciel et
l’air, et tous les quatre se tiennent encore ensemble. Pareillement l’eau doit
avoir de la terre, et la terre de l’eau, comme le ciel doit avoir de l’air, et
l’air du ciel et tous ensemble doivent se contenir l’un l’autre; car l’un ne
pourroit subsister ni avoir d’action sans l’autre.
L’eau est le troisième principe après la séparation du
chaos, et le premier patient ou partie souffrante, la semence féminine, ou le
menstrue du macrocosme qui doit apporter la nourriture à toutes les créatures
sublunaires: elle est, conjointement avec la terre, la mère de toutes choses.
L’eau est une vapeur condensée, un ciel coagulé, un air
épaissi, une terre fluide; elle est aussi le second moyen par lequel le ciel
uni avec l’air, comme premier moyen, est incorporé et mêlé à la terre où il se
terrifie et se fixe.
Aussi-tôt que le ciel est devenu air, et l’air eau, rosée,
pluie ou neige, ils tombent sur la terre et sur l’eau qui sont inférieurs et
plus épais, se mêlent avec elles, commencent à s’échauffer par l’esprit primordial
qui y est implanté, à fermenter, à se putréfier, et ils agissent les uns sur
les autres, jusqu’à ce qu’ils mettent au jour et fassent naître tels ou tels
fruits, suivant les matrices où se fait la génération.
De tout ceci un Artiste intelligent doit comprendre qu’elle
est la sagesse de la Nature, et voir qu’elle ne se contente pas d’un seul
moyen, comme l’air, pour terrifier le ciel, mais qu’elle en emploie deux, l’air
et l’eau; ainsi il doit se régler sur la Nature, et y conformer son Art.
Combien y en a-t-il qui suent sang et eau pour faire la conjonction de leur
oeuvre, sans pouvoir y réussir ? Leurs matières surnagent l’une sur l’autre,
comme l’huile et l’eau, ou comme l’eau et la terre, ou bien elles combattent
ensemble aussi vivement que les deux feux jusqu’à casser le verre: c’est ici qu’il
doit chercher adroitement un moyen pour conjoindre, et il est aisé de le
trouver. Je découvrirai dans la suite la voie et la manière de le faire. Si un
seul moyen ne suffit pas, qu’il en prenne deux; et si ceux-ci ne suffisent pas
encore, qu’il en prenne trois; homogènes toutefois, et non hétérogènes.
Ainsi, par exemple, les minéraux conviennent aux minéraux,
les végétaux aux végétaux, et de même les animaux aux animaux: les minéraux
conviennent aussi aux végétaux, et les végétaux aux animaux; car il y a une très-petite
différence entr’eux, comme étant sortis d’une seule et même matière. Les
minéraux sont des végétaux fixes; les végétaux sont des minéraux volatils,
comme les végétaux sont des animaux fixes, et les animaux des végétaux
volatils. L’un peut se changer en l’autre avec beaucoup de facilité; car les
végétaux servent de nourriture aux hommes et aux bêtes, qui par leur archée les
rendent de nature animale. Lorsqu’un homme ou une bête meurt, on les enterre,
et il en renaît de nouveau des végétaux. Les végétaux se nourrissent de vapeurs
minérales qui par leur volatilité percent à travers la terre jusqu’à leur
racine, et deviennent toutes végétales. Les végétaux, lorsqu’ils pourrissent et
qu’ils sont devenus d’une nature saline et nitreuse, se résolvent par les eaux,
et sont portés par les sentes et crevasses de la terre, ou par les rivières jusqu’à
la mer, et de-là au centre de la terre, d’où ils remontent à la nature
minérale.
En faisant attention à toutes ces choses, un Amateur
comprendra comme l’un se change très-naturellement en l’autre. L’un devient
fixe, l’autre volatil; et suivant qu’il acquiert plus de degrés de fixité et de
volatilité, il acquiert aussi une qualité différente; parce que tous les corps,
comme il est dit ci-dessus, ne diffèrent que par les accidens, ainsi que les élémens
dont ils sont composés.
Le ciel et l’air sont donc le père et la semence masculine
de toutes choses; l’eau est la semence féminine et le menstrue; la terre est la
matrice et le vase dans lequel les trois susdits supérieurs opèrent toutes les
générations qui leur sont ordonnées par le Créateur.
Nous montrerons amplement dans le chapitre de la terre de
quelle manière la terre et l’eau font leurs émanations dans l’air, et exhalent
des vapeurs et fumées pour la procréation de la semence universelle de l’esprit
du monde, et la régénération du chaos.
De la terre, et de ses
émanations.
La terre est le quatrième et dernier principe après la
séparation du chaos, et la partie la plus basse, comme le ciel est la plus
haute; l’air et l’eau celle du milieu. Le ciel est ce qu’il y a de plus subtil,
la terre ce qu’il y a de plus grossier: le ciel est volatil, et la terre est
fixe: l’eau et l’air sont mitoyens; ils diffèrent néanmoins, suivant leurs
degrés de volatilité et de fixité.
La terre est la seconde partie patiente, et le sperme
féminin la matrice de toutes les choses sublunaires; c’est un ciel fixe
coagulé, une eau fixe coagulée, un air condensé, une vapeur convertie en terre,
un être fixe coagulé, le centre, le vase de toutes les influences célestes et
de la semence universelle, de laquelle dans la terre et par la terre prennent
naissance tous les minéraux, végétaux et animaux.
Pour démontrer en peu de paroles de quelle manière la terre
et l’eau deviennent vapeur, air, fumée, brouillard et exhalaison pour la
procréation de la semence universelle, ou la génération du chaos, et comment
elles s’élèvent dans l’air jusqu’au plus haut du ciel, il n’y a qu’à faire
attention à ce qui suit.
Avant toutes choses, le Lecteur s’appliquera à bien
comprendre ma pensée, que, par le ciel, je n’entends pas le ciel Empirée, dans lequel Dieu fait son
séjour avec ses Elus, lequel est privilégié et exempt de toutes altérations et
opérations naturelles; parce que ce n’est qu’au-dessous de lui que se font les
altérations par le commandement exprès de Dieu tout-puissant, sans qu’elles
puissent aller jusqu’à lui.
Après cette déclaration, le Lecteur fera attention, comme je
l’ai dit ci-dessus, que le ciel par sa très-grande subtilité est la chose la
plus mobile de toutes, qui, tant que Dieu laissera subsister le monde dans le
même état, ne cessera jamais de se mouvoir; que ce mouvement se communique à ce
qui lui est le plus proche, qui est l’air; mais en s’affoiblissant; que l’air
par son mouvement agite aussi l’eau et celle-ci la terre; mais que tous ces
mouvemens deviennent successivement toujours plus foibles et plus lents.
On voit que l’air est agité par le ciel, parce qu’il y a
continuellement un air ou vent agité plus ou moins. Il n’est pas nécessaire de
prouver que l’air agite l’eau; les navigateurs sçavent que souvent, dans le tems
même qu’ils sont empêchés de continuer leur route, et obligés de s’arrêter par
les calmes, l’eau est extrêmement agitée par les vagues et les courans. Pour
être convaincu que l’eau agite la terre, on n’a qu’à observer qu’elle entraîne
continuellement avec elle du sable, des pierres, etc., qui sont une terre
brisée qu’elle excave et arrache d’un endroit pour la porter dans un autre. Là elle
les répand, ici elle les accumule et en fait des montagnes et des vallées,
suivant la disposition des lieux.
Chaque mouvement cause une chaleur, soit perceptible, soit
imperceptible. Dans les animaux terrestres la chaleur est très-sensible; mais dans les
animaux aquatiques on n’apperçoit point ou très-peu de chaleur, et même, pour
ainsi dire, plutôt une froideur. Cependant toute vie doit être causée nécessairement
par le mouvement et par la chaleur qui en résulte; car le froid éteint la vie.
Cela étant, on peut conclure hardiment qu’il y a une chaleur
sensible et une insensible; je n’en fais mention, que parce qu’elle est
implantée dans tous les élémens, tantôt sensible, tantôt insensible; et d’une
manière ou d’autre, elle procrée toujours, soit que la chaleur du soleil ou
celle du feu central s’y joigne, ou non. Chaque chose, quelque petite qu’elle
soit, fut-elle même impalpable pour la petitesse et invisible à nos yeux,
contient cependant la ciel avec tous les autres élémens, or si elle contient le
ciel, elle a nécessairement en soi le mouvement, soit visible, soit invisible,
sensible ou insensible, car le ciel est toujours en mouvement à cause de son
extrême mobilité, et quoiqu’il paroisse être en repos, il ne laisse pas d’avoir
ses émanations, ses actions et ses forces.
Par exemple, une pierre précieuse, une racine, ou une herbe
arrachée de sa matrice, ou du lieu de sa naissance, est desséchée, paroît comme
morte, parce qu’elle est empêchée dans sa croissance; le ciel y est pourtant,
qui ne se repose point; mais par l’insensible transpiration, il cause de très-grands
effets, jusqu’au point que cette pierre prise intérieurement, et même seulement
appliquée extérieurement, sans diminution de son volume et de son poids, et
sans rien perdre de sa force, cause aux hommes la maladie, ou la guérison,
suivant ses qualités et ses vertus naturelles.
L’Amateur voit par-là de quelle force chaque chose tire son
opération, c’est-à-dire du ciel et de son mouvement toujours actif, de sa
tiédeur, de son échauffement et de sa grande chaleur: c’est pourquoi il seroit
inutile de chercher aucune chose sur la terre, grande ou petite, dans laquelle
le ciel et tous les autres élémens ne soient point concentrés. La raison dicte
aussi que chaque chose doit avoir en soi les qualités et les propriétés de ce
dont elle a tiré son origine. Or tout est venu du chaos, comme matière
première, et le chaos n’étoit qu’eau et esprit: chaque chose doit donc avoir les
propriétés de l’eau et de l’esprit; mais l’esprit est le moteur et ce qui
échauffe, et cet esprit est répandu par tout l’univers, de sorte que la moindre
petite goutte d’eau et le plus petit atôme de terre en sont remplis. Il est
également dans le liquide et dans le sec; et comme la goutte d’eau est eau dans
toutes ses parties, aussi bien que l’atôme de terre est terre, cet esprit
réside dans toutes les parties de l’un et de l’autre, encore qu’il soit coagulé
dans la terre, et que dans l’eau il soit fluide et dissous.
La raison pour laquelle la terre et l’eau ne sont pas si
mobiles que le ciel, vient de leur épaississement ou grossièreté, de leur
coagulation ou concentration. Réduisez la terre à la volatilité du ciel, elle
sera aussi prompte dans son mouvement que le ciel; ce qui prouve encore que la différence
et la distinction de toutes choses ne consiste que dans leur volatilité et leur
fixité, c’est-à-dire, que le fixe et le volatil opèrent les variations et les
changemens des formes de toutes choses, sans exception. Le seul but et le terme
de la Nature est de rendre le ciel fixe, pour le rendre utile et salutaire à
toutes les créatures sublunaires. Il est visible que toutes les choses sublunaires
sont, en comparaison du ciel, grossières, épaisses et peu mobiles; c’est
pourquoi le ciel, pour leur devenir utile, doit nécessairement devenir
terrestre. Comment pourroient-elles, sans cela, s’approprier une vapeur si
subtile, qui est d’une volatilité et d’une subtilité extrême, si elle ne leur étoit
communiquée par l’air, l’eau et la terre.
C’est pourquoi Dieu a ordonné que le ciel passât par tous
les élémens, et se changeât en eux; comme aussi de leur côté, les autres élémens
se changeassent en ciel par une extrême subtilisation, pour le bien et
l’utilité, pour la naissance, consommation, destruction et régénération de tous
les êtres sublunaires.
Pour démontrer par quel moyen l’eau, la terre et l’air
deviennent vapeur, fumée et brouillard, et de quelle manière ces choses
deviennent air et ciel, l’Amateur doit bien retenir dans sa mémoire que non-seulement
le ciel et les autres élémens sont par-tout mêlés et présens dans toutes
choses, tant grandes que petites; mais qu’aussi le ciel conjointement avec
l’air manifeste par-tout, même dans les pierres et les os, sa force et sa
puissance motrice. Qu’il les fasse connoître peu ou beaucoup, n’importe; c’est
assez qu’il s’y montre présent. Une chose subtile, déliée et ouverte, comme les
animaux, montrera plutôt sa force et son mouvement qu’un grand arbre immobile
qui tient ferme à la terre, ou qu’une pierre qui paroît tout-à-fait privée de
vie.
La terre et l’eau sont toujours jointes ensemble; car dans
l’eau il y a de la terre, parce que l’eau coule sur la terre: dans la terre il
y a de l’eau; car les sources, les fontaines et les rivières en viennent: on
trouve aussi de très-grands lacs dans la terre. Ceci une fois connu, il est conséquemment
évident que le ciel est dans l’air, et l’air dans le ciel; que le ciel, l’air,
l’eau et la terre sont toujours ensemble; et l’un dans l’autre, aucun n’est
privé de l’autre dans toutes ses parties; et comme il est impossible qu’un
homme puisse vivre sans ame et sans esprit, ainsi il est impossible qu’un élément
puisse se passer de l’autre.
L’eau et la terre sont donc remplies de ciel et d’air. L’eau
doit humecter la terre, afin qu’elle produise du fruit. Cette humectation et
cet engrossement par le ciel et l’air qui y sont renfermés, et par l’esprit
moteur qui se trouve dans le mélange de tous les deux, conjointement avec la
chaleur extrême du soleil et de la chaleur centrale interne, causent un
mouvement, le mouvement une tiédeur, la tiédeur une chaleur: cette chaleur
occasionne dans l’eau des vapeurs et des exhalaisons.
Plus la chaleur et la quantité d’eau sont grandes, plus elle
évapore, bout et exhale. Cette vapeur, lorsqu’elle est poussée dans l’air, est
encore agitée davantage par l’air et la chaleur du soleil qui l’environnent, et
par les vents. Plus elle est agitée, plus elle se subtilise, de sorte qu’elle
monte de plus en plus: plus elle s’élève et s’approche du ciel, plus elle est
voisine de la source du mouvement. Par-là cette vapeur se subtilise et se
volatilise de plus en plus jusqu’au plus haut degré: or, plus elle devient
volatile, plus elle approche de la nature du ciel, jusqu’à ce que par le ciel
elle soit changée en nature céleste, comme nous avons dit plus haut: de même,
plus le ciel est près de la terre, plus il devient terrestre, jusqu’à ce que
par la terre, il soit réduit en terre et en pierres.
Jusqu’ici nous avons expliqué de quelle manière cette vapeur
est changée en air et en ciel: à présent nous examinerons ce que c’est que
cette vapeur, et ce qu’elle contient.
Tout le monde sçait que la terre et l’eau, lorsqu’elles sont
échauffées, évaporent, bouillent et exhalent par la chaleur naturelle qu’elles
contiennent et qui les fait évaporer nécessairement. Or cette vapeur est double
et même quadruple: elle est double, parce qu’elle est composée d’eau et de
terre; et quadruple, parce qu’elle est composée des quatre élémens, attendu
qu’elle tire elle-même son origine de la première matière, de laquelle tous les
quatre, à sçavoir le ciel, l’air, l’eau et la terre sont composés, et dont aucun,
comme nous l’avons dit, ne peut être sans l’autre.
La raison pour laquelle je divise cette vapeur en deux, à sçavoir
en eau et en terre, c’est qu’en comparaison du ciel et de l’air, elles sont
fixes, et qu’elles sont des vapeurs fixées; mais lorsqu’elles deviennent
subtiles par le mouvement, l’eau et la terre deviennent air et ciel. Personne
ne doutera que cette vapeur n’ait été une eau; mais plusieurs doutent qu’il y
ait de la terre renfermée dans cette vapeur. Ils cesseront d’en douter, s’ils observent
qu’un élément, comme je l’ai déjà dit ci-dessus, change l’autre en sa nature.
Le ciel résout et subtilise l’air; l’air, l’eau: l’eau résout et amollit la
terre, et au contraire la terre épaissit et condense l’eau; l’eau condense
l’air, et l’air le ciel: ainsi l’un est l’aimant de l’autre, l’attire, le
résout, le coagule, le volatilise et le fixe.
Un Artiste doit encore observer que, comme le chaos a été
divisé en quatre parties, comme en ses degrés propres, chacune de ces quatre
parties est encore divisée en ses degrés: ainsi le ciel le plus proche de
l’air, n’est pas si subtil que celui qui touche au ciel Empirée; de même l’air
le plus haut qui approche du ciel, n’est pas si épais et si grossier que celui
qui approche de la sphère aquatique: l’eau la plus haute n’est pas si épaisse
que celle qui est au fond, ni que cette substance visqueuse, aqueuse, qui
s’attache aux pierres et aux autres productions qui croissent sous l’eau, comme
de la gomme ou de la colle.
La terre est divisée également en ses parties, car non-seulement
les pierres et le sable sont terre, mais il se trouve aussi des sueurs
terrestres, comme sel, poix, résine, cire, qui croissent dedans et dessus la
terre, et sont également terre, et seulement distinctes dans leurs degrés, c’est-à-dire
suivant leur volatilité et fixité. Toute terre n’est pas autant fixe que les
pierres; mais il y a aussi des terres volatiles, qui pourtant peuvent devenir
fixes.
C’est cette terre volatile que l’eau amollit et résout,
qu’elle prend en soi et anime par la chaleur; elle l’entraîne avec soi en forme
de vapeur au haut de l’air, et la porte même par un mouvement continuel
jusqu’au ciel. Il est aisé de prouver et de conclure sans difficulté dans
l’épreuve et la pratique du chaos régénéré, que nous indiquerons ci-après, que
le ciel le plus épais se réduit plus facilement en air que le plus subtil, et
que l’air le plus subtil se change plus facilement en ciel que le plus épais,
le plus grossier et le plus inférieur; de même l’air le plus grossier et plus bas
devient plus facilement eau que le subtil et élevé, et l’eau la plus basse,
épaisse et gluante devient plutôt terre, que l’eau supérieure trop claire, trop
fluide et trop volatile, et au contraire la terre est d’une dissolubilité
facile, principalement dans ses parties vierges, salines, qui se laissent
plutôt réduire en eau qu’une pierre ou du sable qui sont déjà desséchés. L’eau
subtile se laisse plutôt réduire en air et en vapeur par le feu que celle qui
est épaisse et grossière. Il en est de même de l’air et du ciel.
Nous avons assez démontré le premier commencement de la
Nature, et comment par le Dieu Tout-puissant et sa parole, de vapeur qu’elle étoit,
elle est devenue eau; comment cette eau double a été divisée en suite en quatre
parties, et comment ces quatre parties, tirant leur origine d’une vapeur, brouillard,
fumée, exhalaison et bouillonnement, ont reçu le commandement de se multiplier
et de produire des fruits; elles doivent aussi de la même manière mettre au
jour et produire toutes les créatures, comme elles ont été produites
elles-mêmes auparavant.
Comme elles tirent leur origine d’une vapeur primordiale,
ces quatre parties doivent aussi continuellement et conjointement produire une
pareille vapeur entièrement de la même matière et substance sans aucune
défectuosité. Cette vapeur doit aussi devenir eau, et même par régénération une
eau chaotique, de laquelle toutes les choses doivent être engendrées de
nouveau, conservées, détruites et régénérées sans aucune discontinuation
jusqu’à la fin des siècles.
Il étoit de toute nécessité, par la volonté de Dieu, que les
quatre élémens produisissent une telle eau, et même par des raisons naturelles,
compétentes, cela ne pouvoit être autrement; car ils étoient enfans de la même
mère; ainsi ils ont la puissance de reproduire la même semence qu’ils en ont reçue:
tous les individus qui en résultent sont faits à l’image de ces quatre genres.
Tous ces quatre ensemble étant réunis engendrent le germe,
ou la semence universelle, pour la procréation, conservation, destruction et régénération de
toutes choses: or comme ces quatre ensemble dans leur union produisent d’un commun accord une
semence universelle; de même aussi chacun d’eux en particulier a reçu la vertu
de mettre au jour une production uniforme dans sa sphère; car le ciel est ce
qu’il y a de plus subtil, de plus pur, de plus transparent et de plus clair par-dessus
tous les autres, aussi a-t-il produit de soi-même de pareils fruits sans le
concours des autres, c’est-à-dire ses étoiles pleines de vie et de lumière.
L’air a produit ses météores; l’eau, ses animaux, ses plantes, ses minéraux, et
la terre aussi ses plantes, ses animaux et ses minéraux; les espèces sont faites
particulièrement des semences propres de leur sphère, tant les étoiles et les
autres luminaires, que les météores, les animaux, les plantes et les minéraux.
Comme chaque sphère en son particulier a produit ses espèces
de sa propre semence, ces espèces divisées en individus ont également reçu le
commandement de produire leur semence et de multiplier suivant le modèle de la
matière première, si bien que non-seulement chaque étoile par sa pureté a
acquis la puissance de se conserver et de vivre très-long-tems; mais aussi on a
vu de siècles en siècles qu’il a apparu de nouvelles étoiles, et que d’autres
se sont perdues; choses dont je recommande la recherche aux Astronomes pour les
approfondir. Pour moi, je retourne à l’air.
Il se forme tous les jours dans l’air de nouveaux météores;
à peine l’un passe et s’évanouit, que la même matière donne naissance à un
autre qui lui succède; mais cette reproduction continuelle des êtres est plus
facile à observer dans la sphère aquatique et terrestre.
Nous voyons que chaque animal et chaque plante, lorsqu’elle
est parvenue à sa perfection, acquiert la puissance de produire son semblable,
et cette puissance multiplicative va presque à l’infini: à peine l’un meurt et
périt, qu’il en renaît un autre à sa place, ou dix fois autant. On voit la même
chose dans les substances, les pierres et les minéraux, qui paroissent privés
de vie; car si on tiroit de la terre encore autant de pierres qu’on en tire, et
qu’on les employât des milliers d’années à faire des grands et des petits
bâtimens, on n’en trouveroit jamais la fin, puisque jusqu’à présent on n’en a
pas apperçu la moindre diminution, et les hommes trouveront toujours en
abondance des montagnes, des pierres et des minéraux.
De ceci le Lecteur doit conclure qu’encore que chaque sphère
procrée ses individus qui nous paroissent distincts les uns des autres;
cependant les genres célestes, aussi bien que ceux de l’air, de l’eau et de la
terre, ne sont différens qu’à raison de leur volatilité et de leur fixité, et
que chaque individu se distingue aussi des autres dans sa sphère particulière
de la même manière.
Si le ciel produit des créatures lumineuses, diaphanes, ce
n’est que par sa pureté, subtilité et clarté. Les élémens inférieurs produisent
de même, suivant leur degré de subtilité ou de grossièreté, des créatures
subtiles ou grossières, et toutes sont distinctes les unes des autres; il n’y a
pourtant point d’autre différence que par la raison de leur plus ou moins
grande fixité et volatilité.
Le ciel n’est pas si volatil dans toutes ses parties, qu’il
ne renferme aussi quelque chose de fixe, qui est une terre subtile, suivant la
fixité de laquelle il est lui-même plus ou moins fixe. L’air contient aussi sa
fixité, suivant sa nature. Il en est de même de l’eau et de la terre, comme le
volatil de la terre est, en comparaison de celui du ciel, une fixité; de même
la fixité du ciel comparée à celle de la terre, est une fluidité, ou plutôt une
volatilité. Il faut pourtant l’entendre de cette sorte. Par-tout où il y a de
la terre (et il y en a dans tout plus ou moins, aussi bien que des autres élémens),
il y a une fixité; et un être est capable de fixation, suivant qu’elle excède
en quantité: au contraire par-tout où il y a du ciel, il y a de la volatilité,
et suivant qu’une chose contient plus de l’un ou de l’autre, il faut la juger volatile
ou fixe et l’appliquer en conséquence.
Nous avons assez parlé de la régénération du chaos, ou
vapeur universelle: nous allons maintenant considérer cette vapeur réduite en
eau et prouver par le raisonnement et par l’expérience que cette eau n’est pas
différente de l’eau chaotique primordiale, qu’elle en a et en aura toujours
jusqu’à la consommation des siècles la puissance et la force, afin qu’un
Artiste touche au doigt et à l'oeil le sujet de ses recherches, et qu’en
descendant de degrés en degrés, il en ait une entière certitude.
Dans lequel on découvre la
véritable semence universelle, le chaos régénéré, l’ame du
monde ou l’esprit universel.
Nous avons dit ci-dessus que le ciel, l’air, l’eau et la
terre tirent leur origine et leur esprit de l’eau chaotique; qu’ils ont reçu le
commandement de produire une semence universelle et de régénérer le chaos
primordial pour la multiplication, la naissance, la conservation, la
destruction et la régénération de toutes choses.
Ils produisent donc cette semence, comme nous l’avons
démontré, par leurs exhalaisons, et poussent tous quatre cette vapeur dans
l’air où elle est agitée de côté et d’autre jusqu’à ce que, par de nouvelles
vapeurs qui s’y joignent perpétuellement et sans discontinuation d’en haut et
d’en bas, elle s’épaissit, et par cet épaississement, se résout en eau. Cette
eau est appelée communément rosée, pluie, neige, frimats, gelés, grêle, mais
dans le fond c’est la véritable semence et le véritable chaos régénéré, le vrai
esprit et l’ame du monde duquel tous les sujets sublunaires tirent leur naissance,
leur conservation, leur destruction et leur régénération. En voici la preuve.
Si cette eau est telle qu’elle puisse procréer et produire
tout ce qui a tiré son essence de l’ancien chaos primordial, elle doit avoir
aussi la puissance et la force de contenir en soi les quatre élémens, le ciel,
l’air, l’eau et la terre; et si elle a cette qualité en soi, il faut aussi
nécessairement qu’elle contienne et opère tout ce que contiennent et opèrent
ces quatre élémens.
Nous disons donc que chaque chose doit retourner et se
résoudre en ce dont elle a tiré son origine, et que le même moyen par lequel
elle a été faite, est aussi celui par lequel elle rétrograde, se résout et se
réduit dans sa première nature: ex quo aliquid fit, in illud iterum
resolvitur, et per quod aliquid fit, per illud ipsum resolvi, atque reduci in
suam primam materiam, atque naturam necesse est. Les élémens ont pris leur origine de l’eau et de l’esprit, ils
doivent donc se réduire de nouveau en esprit et en eau, par l’esprit et par
l’eau.
Que la rosée et la pluie soient un tel esprit et une telle
eau, ou un chaos régénéré, de la même nature que le premier, cela se voit par
les effets journaliers, plus connus peut-être des Païsans et des Jardiniers,
que des prétendus Philosophes qui demeurent dans les villes. L’analyse prouve
aussi que par eux, les quatre élémens sont produits.
L’expérience journalière prouve encore que non-seulement
toutes les plantes et les herbes tirent de cette eau leur végétation et leur
accroissement, mais aussi que les minéraux et les animaux en sont procréés,
conservés, détruits et régénérés. Les animaux en prennent leur nourriture et accroissement,
puisqu’ils respirent continuellement l’air, et qu’ensuite ils se servent des
végétaux qui sont produits de cette eau, pour le maintien de leur vie.
Il seroit superflu de prouver que les végétaux en tirent
leur accroissement; chaque Païsan le voit clairement.
Nous prouverons dans un chapitre particulier que les
minéraux tirent également leur naissance de cette eau et de cette semence.
Jusqu’à présent nous avons démontré par la théorie que la
rosée et la pluie sont le chaos universel régénéré, la semence universelle et
générale du macrocosme, l’esprit et l’ame du monde, de laquelle et par le moyen
de laquelle tout ce qui existe est non-seulement conservé jusqu’à son terme,
mais encore détruit et régénéré, et le sera jusqu’à la fin du monde, comme nous
le ferons bientôt voir plus au long dans un chapitre particulier.
A présent nous examinerons par l’analyse cette semence
universelle connue, ou ce chaos régénéré pour découvrir ce qui y est renfermé.
Pour cela prenez et amassez de la rosée, ou de la pluie, de
la neige, des frimats, ou de la gelée, lesquels vous voudrez (le procédé sera plus court et
meilleur, si vous prenez de l’eau de pluie, sur-tout lorsqu’il tonne); mettez-la dans un tonneau propre,
et passez-la auparavant par un filtre, afin qu’elle ne retienne point de saleté
des toits, ou du tonnerre: vous aurez une eau crystalline, claire et transparente,
qui n’a point de goût particulier, et qui ressemble à l’eau de fontaine, bref,
une eau très-limpide, très-pure et très-bonne à boire.
Mettez cette eau en un endroit tiède sous un toit où le
soleil, la lune, le vent ni la pluie ne puissent donner, couvrez-la d’un linge,
ou d’un fond de tonneau, afin qu’aucune impureté n’y puisse tomber; laissez-la
dans cet état pendant un mois sans la remuer; vous y verrez pendant ce tems-là une
grande altération dans sa nature: elle commencera bientôt à être mise en
mouvement par l’esprit qui y est implanté; elle tiédira et s’échauffera
insensiblement, se putréfiera, deviendra puante et nébuleuse.
On y verra l’esprit ou l’archée opérer une séparation du
subtil d’avec le grossier, du clair d’avec l’épais; car il s’y élèvera une
terre qui s’augmentera de plus en plus, deviendra pesante, et tombera au fond.
Cette terre que l’archée sépare est de couleur brune, spongieuse, aussi douce
au tact qu’une laine fine, gluante, visqueuse et oléagineuse. C’est le
véritable guhr universel.
Le Curieux verra sensiblement deux choses, à sçavoir l’eau
et la terre dans lesquelles le ciel et l’air sont cachés; car nous ne pouvons
pas voir le ciel à cause de la foiblesse de notre vue; nous voyons bien l’air,
lorsqu’il vole dans sa sphère en forme de vapeur, fumée, ou brouillard; mais
ici l’air est réduit en eau, et est contenu dans l’eau de même que le ciel. L’Amateur
y trouvera donc deux élémens visibles, l’eau et la terre. Auparavant il n’y avoit
qu’une eau volatile, à présent la terre s’est rendue visible, par la bénignité
de la putréfaction, ou de la tiède digestion quant au ciel et à l’air, il faut
que nous les cherchions par une autre voie.
Après que l’eau de pluie s’est ainsi troublée, remuez bien
le tout ensemble; versez-la dans un matras de cuivre que vous mettrez sur un fourneau; faites-y
du feu par dessous, afin que l’eau commence à s’évaporer; et vous verrez sortir du matras une
vapeur, exhalaison, fumée ou brouillard; voilà l’air qui renferme en soi le ciel. Si vous
voulez prendre l’air et le réduire en eau, conjointement avec le ciel, vous
n’avez qu’à adapter au matras un chapiteau à bec, avec son vase de rencontre,
comme font les distillateurs d’eau-de-vie; cette vapeur s’élèvera dans le
chapiteau, et se condensera en forme d’une eau claire et crystalline dans le
récipient; distillez la quatrième partie de l’eau que vous avez mise dans le
matras, vous aurez le ciel et l’air joints ensemble, et séparés de l’eau et de
la terre, sous la forme d’une belle eau. Vous y distinguerez le ciel par son
éclat lumineux; car cette eau, sur-tout si elle a été rectifiée, sera beaucoup
plus éclatante qu’elle n’étoit auparavant, ou que n’est une eau de fontaine,
quelque limpide qu’elle soit: ce qui démontre clairement qu’elle contient une
vertu supérieure, ou qu’elle renferme en soi une qualité céleste.
Après que vous aurez distillé l’air et le ciel, vous les
mettrez à part, adapterez un autre récipient, et continuerez à distiller
jusqu’à une consistance épaisse comme du miel fondu; mais point jusqu’à siccité;
car vous brûleriez la terre vierge encore tendre, et qui n’a pas acquis la
suprême fixité; vous mettrez à part cette seconde eau distillée qui est le
troisième élément.
Pour ce qui est resté dans le matras, c’est-à-dire la terre
encore beaucoup humide, vous la retirerez proprement et la mettrez dans un plat
de verre, que vous exposerez au soleil pour la dessécher tout-à-fait, jusqu’à
ce que vous puissiez la réduire en poudre avec les doigts: ainsi vous aurez les
quatre élémens séparés devant vos yeux.
Assurons-nous maintenant que ce sont les véritables élémens;
car sans cela ce que nous en avons dit seroit faux; à sçavoir que c’est d’eux
que toutes les choses sublunaires prennent naissance. Il ne faut pas que
personne aille s’imaginer de pouvoir produire avec cette eau, des étoiles, des
météores; parce que cette eau est elle- même une production météorique; ainsi
je n’en parlerai point: nous examinerons seulement si cette eau quadruple peut
procréer ce qui nous est nécessaire, à sçavoir les animaux, les végétaux et les
minéraux, lesquels servent à nos usages et dont nous tirons notre subsistance.
Prenez donc de cette terre, et si vous voulez en faire des
minéraux, humectez-la un peu avec son eau dans un matras, et exposez-la à la
chaleur du soleil dans un endroit où ses rayons ne puissent darder: lorsqu’elle
sera sèche, humectez-la de nouveau avec son eau, mais point avec le ciel et
l’air, ou avec celle qui renferme le ciel et l’air: répétez ces humectations et
dessiccations plusieurs fois, et si vous voulez, vous réduirez par-là toute la
terre en terre minérale; vous trouverez que par les humectations et
dessiccations la terre sera devenue pesante et sablonneuse; notez qu’il suffira
que le matras soit toujours bouché avec un bouchon de papier seulement, et même
pas trop serré, afin que l’air y puisse mieux pénétrer.
Lorsque vous verrez que la terre sera réduite en sable, vous
ne douterez plus que le sable ne soit un minéral; car sûrement il n’est ni dans
la classe des végétaux, ni dans celle des animaux; par conséquent il ne sçauroit
être qu’un minéral. Lorsque vous aurez quantité de ce sable, prenez-en un peu;
faites-en un essai, comme on le fait, avec une terre minérale, et vous y verrez
un vestige d’or et d’argent.
Si de la terre susdite vous voulez tirer un végétal, prenez
de cette terre desséchée et pulvérisée par la chaleur du soleil deux parties de
son eau et une partie de ciel et d’air: mêlez ces eaux ensemble et humectez-en
la terre, comme font les Jardiniers, de manière qu’elle ne soit ni trop sèche,
ni trop humide; exposez-la à l’air, non au soleil; et vous y verrez croître
toutes sortes de petites herbes. Si vous y mettez de la graine d’une plante, le
fruit de cette semence ne manquera pas d’y croître; par-là vous aurez une
procréation végétale.
Si vous voulez en tirer de l’animal, vous prendrez de la
susdite terre desséchée au soleil et pulvérisée, et vous la détremperez avec
une partie d’eau et deux ou trois parties de ciel et d’air mêlés ensemble, y
ajoutant de ce mélange, jusqu’à ce que la terre soit de consistance d’un miel clair
fondu; mettez-la dans un endroit tiède à une petite chaleur du soleil, de
manière qu’il n’y darde pas trop ses rayons; vous y verrez dans peu de jours un
remuement et un fourmillement de toutes sortes de petits animaux de différentes
espèces: si l’eau et l’humidité diminuoient trop, vous l’humecterez de nouveau
avec le même mélange d’eau; afin que tout reste dans la même consistance
mielleuse. Vous verrez que les premiers animaux disparoîtront en partie; qu’il
en naîtra d’autres; que quelques-uns serviront en partie de nourriture à
quelques autres qui en tireront leur subsistance et leur accroissement.
J’enseignerois volontiers ici une manipulation, par laquelle
on pourroit produire toutes sortes d’animaux de l’espèce qu’on voudroit; mais, afin qu’on ne me
taxe point de m’ingérer dans les fonctions du Créateur, j’aime mieux en garder
le silence. On devroit pourtant raisonner avec plus de solidité et penser que
Dieu a créé tout de rien et sans matière: au lieu que nous, en voulant l’imiter
foiblement, nous ne sçaurions nous passer de la matière déjà faite et créée.
Dieu ne nous a pas défendu de nous recréer dans ses ouvrages et ses créatures;
mais il le commande plutôt à ses Elus, et le leur a révélé en secret comme une
science cabalistique par laquelle ils peuvent parvenir de plus en plus à la connoissance
de Dieu.
La plupart des hommes ne s’occupent que de vaines
contestations; c’est-là justement la source de toute erreur, et ce qui les
empêche de parvenir à la connoissance de Dieu; ils disputent tous de Dieu, et à
la fin de leur dispute, ils ne sont pas plus avancés qu’auparavant.
Pour moi, je dis que celui qui veut acquérir cette connoissance,
doit commencer par la terre, et au moyen de celle-ci s’élever jusqu’au ciel comme
d’un degré à un autre; autrement il sera dans le cas de se trouver du nombre de
ceux sur qui tomba le reproche fait par Jésus-Christ: Vous n’entendez pas ce qui est terrestre, et devant vos yeux; comment
prétendez-vous comprendre ce qui est céleste ?
Puisque l’eau de pluie et la terre qu’elle renferme
deviennent fertiles et peuvent produire toutes sortes de choses, comme nous
venons de le faire voir, nous pouvons donc regarder comme certain que cette eau
est la semence universelle de laquelle peut être procréé tout ce qui a été
produit de la première. Un Païsan et un Jardinier n’auront pas de peine à
croire ce que nous disons de la fécondité de cette eau; ils voient
journellement dans leurs champs que tout ce qui est humecté croît très-bien;
mais il y a peu de gens qui connoissent la cause de cette fécondité. Chacun sçait
véritablement, et ne manquera pas de dire que c’est l’esprit, aidé de l’eau qui
fait croître: oui, assurément, c’est l’esprit; mais n’étant qu’un esprit
volatil, il ne fera pas grand effet dans les choses sublunaires; il faut
nécessairement, pour qu’il puisse leur être utile, qu’il ait et qu’il prenne en
lui-même un corps sensible, palpable et visible; car ce qui doit faire
fructifier les choses corporelles et terrestres, doit pareillement être ou
devenir corporel et terrestre avec elles.
C’est pourquoi, comme la semence végétale, animale et
minérale est palpable et visible, il faut aussi que cet esprit soit semblable ou le devienne.
Bien des gens touchent souvent de leurs mains cet esprit
corporifié, et l’on peut le recueillir en quantité; mais malgré cela, il y en a très-peu qui connoissent
cette semence corporelle, quant à son origine; la raison en est qu’elle porte
un autre nom que celui qu’elle devroit avoir; car selon sa vraie origine et sa
racine, on devroit l’appeler la semence du macrocosme, l’esprit universel, le
chaos régénéré, visible, corporel et palpable. C’est-là le titre qui lui
convient, puisqu’elle est la semence concentrée, coagulée, condensée,
corporelle et l’esprit du monde dans un corps diaphane et visible comme un crystal;
une eau qui est une eau sèche qui ne mouille point les mains; une terre qui est
une terre aqueuse et pleine de feu, qui contient aussi du froid comme la glace;
un ciel coagulé, un air coagulé, une chose plus excellente et plus précieuse
que tous les trésors du monde.
Pour présenter cet esprit visible et corporel sous vos yeux,
et le mettre dans vos mains, afin que vous le puissiez considérer suffisamment,
prenez de l’eau putréfiée du tonneau ci-dessus plein un vase de verre, ou un
chaudron; faites-la évaporer sur le feu jusqu’au tiers; laissez-la refroidir jusqu’à
la petite tiédeur; filtrez-la bien de toutes les fèces dans un vase ou plat
d’étain, de verre ou de bois; plongez ce vase dans une eau fraîche; vous verrez
dans une nuit cet esprit du monde s’y montrer en deux différentes formes, ou y
prendre deux corps différens, l’un crystallin, diamantin et transparent, qui
s’attachera aux côtés et aux bords du vase; et si on met dans le vase des petits
morceaux de bois, il s’y attachera aussi, et l’autre restera au fond en une
forme tirant un peu sur le brun.
Prenez séparément celui qui s’est attaché aux côtés et aux
bords du vase; conservez-le bien proprement; retirez aussi celui qui est au fond en versant
l’eau par inclination; séchez-le bien au soleil ou doucement sur un fourneau
tiède; conservez-le aussi séparément; adressez-vous avec ces deux au boiteux
Vulcain; il vous dira qui ils sont et comment ils s’appellent.
Jettez le premier qui s’est attaché aux côtés du vase sur
des charbons ardens; son inflammation subite vous apprendra que c’est le nitre.
Jettez aussi le second sur les mêmes charbons; au bruit qu’il fera vous reconnoîtrez
le sel, un sel ordinaire alkalin et décrépitant.
De ces deux, à sçavoir le nitre et le sel, toutes les choses
sublunaires et visibles naissent et se conservent, se détruisent et se régénèrent. Dans l’air ils
sont volatils et sont des météores volatils; dans la terre ils sont corporels
et sont aussi, suivant leurs degrés de fixité, des choses fixes, plus fixes et très-fixes;
enfin on ne trouvera aucun sujet sublunaire, dans la résolution duquel ces deux
choses ne se trouvent; tout ce qui existe en prend son existence, comme nous le
dirons et prouverons ci-après plus amplement.
Le nitre est acide et le sel est alkali.
Celui-là
est l’ame et l’esprit, Celui-ci
est le corps,
le père, la
mère,
la semence masculine, la semence
féminine,
le soufre primordial, le sel
primordial et le mercure,
le ciel et l’air, l’eau
et la terre,
l’acier, l’aimant,
le marteau, l’enclume,
l’actif, le
passif,
Et tous
les deux ensemble constituent la Semence universelle.
Au commencement, cette semence étoit volatile dans toutes
ses parties; ce que vous pourrez connoître en faisant distiller de l’eau de pluie, dès que
vous l’aurez ramassée, et avant sa putréfaction; vous verrez qu’elle passera toute et sera très-volatile.
Ce n’est qu’après sa putréfaction qu’elle acquiert une base de fixité par la
précipitation de la terre, qui est renfermée en elle.
La volatilité de cette eau donne la naissance aux animaux;
lorsqu’elle devient un peu plus fixe, elle produit des végétaux; et lorsqu’elle
est tout-à-fait fixe, elle fait les minéraux. Si de cette eau vous voulez faire
des minéraux, vous en prendrez les parties les plus fixes et les plus grossières;
c’est-à-dire, l’eau avec la terre, comme je l’ai dit ci-devant. Si vous voulez
avoir des végétaux, vous y ajouterez un peu de ciel et d’air. Si vous voulez en
faire des animaux, vous y ajouterez du volatil en plus grande quantité,
c’est-à-dire plus de l’esprit vivifiant du ciel et de l’air; car les végétaux
tiennent le milieu entre les minéraux et les animaux, et on peut en faire aussi
facilement une pierre qu’un animal, comme nous le démontrerons plus amplement
dans la suite.
La cause qui nous a fait parvenir à rendre la semence
universelle, visible et palpable, nous a fourni la principale clef qui ouvre et
qui délie tout lien et toutes les serrures naturelles, à sçavoir la putréfaction.
Ce qui cause la putréfaction, est cet esprit implanté qui n’est jamais en repos
et qui agit continuellement, pourvu qu’il ait son instrument propre, par le
moyen duquel il opère tout, c’est-à-dire l’eau; alors il travaille sans
discontinuation visiblement et invisiblement, sensiblement et insensiblement;
il faut d’un volatil un fixe, et au contraire d’un fixe un volatil et il
continue alternativement ce travail sans aucun relâche; il brise les pierres
qu’il a coagulées lui-même, et les réduit en sable et en poussière; il cause la
vermoulure des arbres, pourrit les animaux, fait un arbre de la pierre réduite
en poussière, ou d’un animal pourri; de l’arbre vermoulu un animal, une pierre ou
un minéral; et cela sans cesse. Un Païsan connoît tous ces effets, quoiqu’il en
ignore la cause; car il a le chagrin de voir tous les jours devant sa porte que
les vers rongent son bois, et que de ses anciennes murailles ruinées il renaît
des arbres et des plantes; il voit aussi que les mouches produites par un boeuf
pourri, remplissent sa chambre et sa maison.
Nous avons démontré, en descendant par degrés du premier
principe, comment de la vapeur primordiale a été formé le chaos; que celui-ci a été divisé
en quatre parties, en ciel, air, eau et terre, et que ceux-ci ont reçu le
commandement de régénérer sans cesse la vapeur primordiale, et de celle-ci l’eau
chaotique.
Nous avons montré la semence volatile invisible et
impalpable; de son invisibilité nous l’avons rendue visible; de son
impalpabilité, nous l’avons rendue palpable, afin qu’un chacun puisse la voir de
ses propres yeux, et qu’en poussant ses recherches plus loin, il en puisse
admirer la force.
Il est essentiel de remarquer que le nitre et le sel tirés
du chaos régénéré ou de l’eau de pluie, ne diffèrent pas sensiblement du nitre
et du sel communs; ils fulminent ou décrépitent également dans le feu; ils
produisent aussi les mêmes effets dans toutes les opérations; et l’on peut unir
indifféremment le nitre tiré de l’eau de pluie avec son sel ou avec le sel
commun, et le nitre commun avec le sel tiré de l’eau de pluie, à moins que l’un
n’ait été plus purifié que l’autre; mais s’ils sont d’une égale pureté, l’un
vaut autant que l’autre, et un Artiste ne doit pas s’y laisser tromper. Si
quelqu’un disoit: ceci est du nitre vulgaire, mais l’autre est le nitre des
Philosophes, ce seroit une pure supercherie: puisque le nitre commun me fait le
même effet que je désire, comme cela ne manquera pas d’arriver, il me sert
autant que le nitre des Philosophes.
Mais enfin quel doute en peut-on former ? Les Artistes peu
expérimentés veulent avoir toutes les choses doubles; l’une doit être appelée
sujet vulgaire, qui est ordinairement méprisée; l’autre doit être appelée le
sujet des Philosophes. C’est celui-ci qu’ils préfèrent, et après avoir tant
épluché, ils ne sçavent pas eux-mêmes lequel est un sujet vulgaire ou un sujet
des Philosophes; alors ils décident que l’esprit humain est trop borné pour le
discerner; qu’il faut que Dieu fasse toujours un miracle et qu’il révèle ce
sujet en songe ou par un adepte; quoique, la plupart du tems, il ne faille s’en
prendre qu’à l’incapacité personnelle de celui qui travaille, parce qu’il
n’examine point la nature du sujet qu’il a entre les mains et sur lequel il
travaille, ni quel en peut être l’effet; il ne considère pas les circonstances,
et ne cherche pas par une mûre réflexion à tirer un plus grand avantage d’une
chose qu’il aura trouvée par hazard; il ne dira pas: une telle chose en a
produit une telle, comment cela s’est-il fait ? Si j’y ajoutais une telle
chose, ou que j’en ôtasse telle autre, qu’est-ce
qu’il en résulteroit ? Il laisse tout passer devant ses yeux sans y faire
attention, quoiqu’il sçache très-bien le proverbe qui dit: inventis facile
est addere.
Qu’un maçon ignorant bâtisse une maison suivant sa capacité;
lorsqu’elle sera achevée, il observera avec le tems les fautes qu’il aura
faites à quelques endroits; de-là il conclura d’abord: si j’avois fait ces
endroits d’une telle manière, ils seroient plus commodes; ici je devois mettre
au mur une barre de fer pour le rendre plus fort; là je devois mettre une
poutre, ou une grosse et bonne pierre; en cet endroit je devois bâtir un
appartement quarré, haut ou bas, etc. S’il ne vouloit plus garder cette maison
et qu’il la vendît pour s’en bâtir une autre, n’auroit-il pas déjà bien de
l’avantage pour la mieux construire que la précédente ? Un disciple qui
travaille en Chymie, ne doit-il pas faire de même et examiner avec soin,
lorsqu’il a fait une faute, en quoi elle consiste, ce qu’il a mis de trop, ou
de trop peu, quel effet produit une chose et quel retardement ou avancement
donne telle autre ?
Mais pour cela il doit approfondir la nature et la propriété
de chaque chose, afin de ne pas mêler ensemble des contraires.
Pour comprendre que le nitre universel tiré de l’eau de
pluie n’est pas meilleur que le nitre vulgaire, le Lecteur doit considérer que
celui-ci tire son origine du premier, et conclure de-là que le sang de cet
enfant est de la même nature que celui de son père; et si l’enfant a toutes les
qualités du père et la même vertu dans toutes les opérations, n’est-il pas dans
toute sa substance le père lui-même ? On doit en dire autant du sel universel
par rapport au sel commun dont il est la mère. D’ailleurs, comme je l’ai déjà
observé: Ex quo aliquid fit, in illud rursus resolvitur. Et puisque
toutes choses sans exception tirent leur naissance du nitre et du sel
universels, les animaux aussi bien que les végétaux et les minéraux; il faut
nécessairement qu’ils y rétrogradent et qu’ils se résolvent et se réduisent en
eux; conséquemment le nitre et le sel provenus de quelque corps que ce soit, ne
diffèrent pas du nitre et du sel universels. On ne peut pas douter que toutes
choses ne tiennent leur essence de ce nitre et de ce sel, et qu’elles n’en
soient procréées; car il n’y a rien dans la Nature où ils ne se trouvent. C’est
ce que nous démontrerons dans les chapitres suivans.
Preuve indubitable que le nitre
et le sel sont contenus dans l’air et dans toutes les choses du monde.
Comme nous ne pouvons pas monter jusqu’au ciel, et que nous
sommes obligés de reconnoître ses sujets dans ce qui lui est inférieur, nous
dirons en peu de mots: le ciel est plein de lumière; la lumière est un effet ou
un produit du feu, et le salpêtre étant tout feu, nous en concluons que le ciel
est un nitre de la plus grande volatilité, et qu’en descendant il devient
toujours de plus en plus corporel et fixe. Que ceci suffise touchant le nitre
céleste.
Parlons à présent de l’air. Les éclairs, le tonnerre et la
grêle prouvent visiblement qu’il y a un nitre et un sel dans l’air; car le
nitre fulmine, éclaire, tonne, congèle, lorsqu’il est joint au sel, et nous ne trouvons
sur la terre aucun autre sujet capable de produire ces effets.
Le nitre est procréé du ciel; d’abord il est volatil; mais
dans l’air il est réduit en un corps volatil spiritueux; dans l’eau et dans la
terre, il devient un corps visible et palpable.
Nous prouverons par des raisons physiques, et ensuite par
l’expérience comment il arrive que le nitre s’enflamme ainsi dans l’air, et
pourquoi il grêle, éclaire et tonne.
Le nitre ne fulmine pas, à moins qu’on ne lui joigne un
agent contraire, et qu’il ne soit animé par la chaleur; plus ils sont volatils
et subtils, plus ils agissent avec force l’un contre l’autre. Nous disons donc
que la lumière, la vie et le feu du ciel s’enveloppent dans l’air, s’y
concentrent, et qu’il en provient un nitre subtil et volatil qui a besoin d’un
agent contraire pour son action.
C’est pourquoi il s’élève à sa rencontre, et monte de la
sphère terrestre et aquatique en forme de vapeur, de brouillard et de fumée, un
corps également subtil et terrestre, une terre volatile, ou un sel alkalin
volatil. Lorsqu’ils se joignent par les vents, et qu’ils sont agités et
échauffés par les rayons du soleil, ils agissent et s’échauffent de plus en
plus l’un l’autre, jusqu’à ce qu’ils s’enflamment, qu’ils fulminent, qu’ils
grêlent, tonnent et causent dans l’air des éclats affreux, comme on l’expérimente
assez dans les grandes chaleurs de l’été.
Au contraire lorsque le soleil n’est pas trop chaud, le
nitre subtil et l’alkali volatil s’unissent et se conjoignent ensemble sans
éclat, comme on peut s’en appercevoir visiblement en hiver et dans les tems
froids et humides, parce que le froid et l’humidité empêchent qu’ils ne
puissent s’échauffer et s’enflammer, comme le démontre l’expérience suivante.
Prenez du salpêtre; faites-le fondre dans un creuset à feu
ouvert; ajoutez-y un sel volatil alkalin animal, comme, par exemple, du sel armoniac,
ou du sel volatil d’urine, ou tel autre sel volatil que vous voudrez, ou même
une terre volatile, comme des charbons, du soufre, des huiles grasses végétales
ou animales; il s’enflammera, fulminera et éclatera comme de la poudre à canon.
Plus la terre ou le sel seront volatils, pourvu qu’ils
soient sels, plus l’éclat sera violent; et ils n’opèrent ainsi que lorsqu’ils sont échauffés par une
chaleur sèche; mais s’ils sont humides, ils se conjoignent très-facilement
ensemble sans éclat, parce qu’ils ont un tiers moyen qui empêchent la fulmination,
et qui ne permet pas qu’il y ait aucune motion, ni inflammation. Si, par
exemple, on dissout dans l’eau du sel volatil d’urine, ou du sel armoniac avec
du nitre, tous les deux se résoudront sans la moindre suspicion d’aucune
altération et attraction; mais si vous faites évaporer l’eau jusqu’à siccité,
et jusqu’à la coagulation des sels, et que vous fassiez un feu assez fort pour qu’ils
commencent à suer et à se résoudre ensemble, ils s’enflammeront sur-le-champ,
et fulmineront.
C’est ce qui se voit clairement avec l’or fulminant.
Beaucoup de Chymistes ont cherché la cause de cet effet, et très-peu l’ont
trouvée. Ils l’ont attribué presque tous au soufre qui est dans l’or; mais sans
raison. On ne doit l’attribuer qu’au nitre et au sel volatil dont se charge
l’or en se dissolvant dans l’eau régale. Il est vrai que l’huile de tartre, ou
d’autres sels alkalisés dont on se sert pour le précipiter, l’édulcorent
beaucoup; mais malgré cela, ils ne peuvent le dépouiller des sels qui lui donnent
sa qualité fulminante: ce qui se voit clairement par l’augmentation de son
poids.
Examinons la chose de plus près.
L’eau régale est faite d’eau-forte et de sel armoniac;
l’eau-forte est faite de nitre et de vitriol. Lors donc que l’or est dissous
dans l’eau régale, qui est un nitre volatil, avec le sel armoniac, qui est une
terre alkaline volatile; celle-ci étant précipitée avec l’huile de tartre, qui
est une terre alkaline fixe, l’eau-forte se rassasie en partie de sel de tartre
qui est son contraire, et se fixe. Comme elle est une terre plus ouverte que
l’or, elle le laisse tomber; mais l’or est rempli et fort chargé de l’esprit nitreux
de l’eau-forte et du sel armoniac volatil, et il les entraîne au fond et les
retient avec lui, parce qu’il est une terre sèche, et que toute terre sèche
attire avidement à soi et engloutit ces sels; et comme ces deux sels, le nitre,
le sel armoniac sont très-subtils et très-volatils, ils se mettent très-aisément
en action, s’enflamment par le moindre mouvement, ou par la plus petite
chaleur; et lorsqu’ils la sentent, ils éclatent par en bas, comme la poudre à
canon éclate par en haut. Ce n’est donc pas le soufre de l’or qui est la cause
de sa fulmination; mais bien le sel armoniac et le nitre volatil, comme deux
agens qui réagissent puissamment l’un sur l’autre.
La raison pour laquelle cet or éclate par en bas, vient de
l’or même qui est une terre fixe, qui tend en bas, comme au contraire les
charbons qui sont dans la poudre à canon sont une terre volatile, et par
conséquent poussent en haut.
Nous voyons encore une autre différence entre l’or fulminant
et la poudre à canon; c’est que l’or fulminant éclate avec trois fois plus de
force que la poudre à canon: la raison en est que cette dernière est composée
d’un salpêtre corporel, grossier et crud, et que dans l’or fulminant il y a un nitre
très-spirituel, très-volatil et très-subtilisé: or, plus ces agens contraires
sont subtils, volatils, spiritueux, plus ils éclatent avec violence. C’est que
si, au lieu de se servir d’un alkali fixe, comme l’huile de tartre, pour
précipiter l’or, on prend un volatil, comme le sel d’urine, ou celui de corne
de cerf, il éclatera encore avec plus de force. Le Curieux verra par-là que la fulmination
provient des sels volatils et non de l’or; il verra aussi que dans le liquide
cet or ne fera aucun éclat, encore qu’on le laisse plusieurs années dans l’eau
régale, mais aussi-tôt qu’il est sec, et qu’il sent la moindre chaleur, il
commence à éclater: de même aussi la poudre à canon, lorsqu’elle est humide ou mouillée,
ne s’enflammera point; au lieu que sèche elle montre d’abord son effet: au
contraire lorsque cet or fulminant est séché, et qu’ensuite on le fait bouillir
dans l’eau, ou avec un alkali fixe, comme de l’huile de tartre, ou de la
potasse, ou avec d’autres alkalis, huiles ou esprit de sel, il perd son action
fulminante sur-le-champ, parce que l’huile fixe du sel ou du tartre résout les
agens volatils contraires qui se sont attachés à l’or; en fait par la
résolution une chose tierce, et par sa fixité lie la réaction, de manière
qu’ils ne peuvent plus éclater.
De-là nous concluons que cette fulmination en général vient
d’un volatil nitreux, d’un alkali subtil et volatil, ou de telle autre terre
volatile, comme du soufre des charbons; que plus ils sont volatils, plus ils
éclatent avec force, et que plus ils sont fixes, moins ils éclatent.
Si on verse dans un nitre fondu une huile, ou de la
poussière de charbon, de l’arsenic, de l’orpiment ou du soufre, on connoîtra
d’abord comment ils se repoussent l’un l’autre, en causant une violente réaction,
suivant que ce réagent est plus ou moins fixe.
Au contraire qu’on mette dans ledit salpêtre fondu un sel
commun fixe, ou du sel de tartre fixe, ou tel autre alkali fixe, ou bien une
terre fixe, comme de la terre sigillée, de la craie, de la chaux qui ne contienne
rien de volatil; on verra qu’il n’y aura aucune réaction, et que sans nulle
distinction du froid ou du chaud, ils se conjoindront très-paisiblement et se
fixeront l’un l’autre sans fulminer.
Par ce que nous avons dit ci-dessus, nous nous flattons
d’avoir prouvé suffisamment, tant par la théorie que par la pratique, que dans
l’air il y a un salpêtre et un sel volatil, et que la foudre est un signe
assuré de la présence de tous les deux. Nous pourrons encore dans la suite,
comme nous avons fait ci-dessus, le faire voir d’une manière sensible par l’eau
de pluie au moyen de la putréfaction.
De l’air nous descendrons à la terre et à l’eau; nous en
examinerons également les suites, et si le nitre et le sel, comme générateurs
et corrupteurs, conservateurs et destructeurs et de nouveau régénérateurs de
toutes choses, s’y trouvent pareillement.
Que le nitre et le sel se
trouvent dans toutes les eaux et dans toutes les terres.
Nous avons prouvé ci-dessus que le nitre et le sel peuvent
être tirés de la pluie, de la neige, des frimats, etc. On les trouvera de même
dans toute terre et dans toute eau. Si vous prenez de la terre telle que vous
voudrez de la superficie, soit dans les champs, soit dans les prairies, marais,
rivières, montagnes, ou vallons, de la terre grasse ou de la boue; que vous la
fassiez dissoudre avec de l’eau ordinaire distillée; que vous la filtriez
ensuite; que vous fassiez évaporer l’eau jusqu’au tiers; que vous la fassiez crystalliser
à la cave, et que vous y procédiez en tout, comme nous l’avons indiqué avec de
l’eau de pluie; vous y trouverez un nitre et un sel en plus ou moins grande
quantité, suivant que la terre en a été plus ou moins imprégnée. Cela n’a pas
besoin de preuve particulière; on peut s’en informer à ceux qui font le
salpêtre; ils en donneront de suffisantes instructions, comme en ayant une
parfaite connoissance.
Il en est de même de toutes les eaux des fontaines. Combien
ne trouve-t-on pas de fontaines qui contiennent beaucoup de sel et de nitre ?
Quant aux rivières, cela est encore certain; puisqu’elles coulent à travers la
terre, y résolvent le nitre et le sel, et les entraînent avec elles par tous
les pays jusqu’à la mer.
La raison pour laquelle la mer contient plus de sel que de
nitre, c’est qu’elle est continuellement échauffée et réverbérée par les rayons
du soleil, agitée de côté et d’autre par les vents et toujours en mouvement; ce
qui fait que le salpêtre y est réverbéré; et par ce mouvement et cette
réverbération continuelle, il perd sa fulmination, et se change en alkali. En
effet, que l’on fasse bouillir plusieurs fois dans l’eau du salpêtre avec sa
terre non lessivée jusqu’à siccité, et un peu fortement; qu’on y verse de la
nouvelle eau pour le faire recuire comme auparavant; on expérimentera qu’il se
fixe de plus en plus jusqu’à ce qu’il devienne tout-à-fait fixe et alkalin, et
qu’il ne fulmine plus; ce qui prouve que le sel n’est autre chose qu’un
salpêtre fixé ou réverbéré. Cette fixation se fait beaucoup plus vite avec de
la chaux vive ou avec d’autre terre par la voie sèche qui conserve la plus
grande partie du salpêtre; au lieu qu’avec la poussière de charbon il détonne,
s’envole, et qu’il s’en perd une grande partie par la réaction du sujet
contraire. On peut encore le fixer plus promptement lorsqu’il est fondu, en y
ajoutant la même quantité de sel commun, ou d’un autre alkali fixe. Si ensuite
vous le faites fondre, et que vous y versiez du soufre, ou de la poussière de
charbon, il ne fulminera plus; mais il attirera en soi une partie du soufre et
du charbon, et les fixera avec lui.
Que les animaux contiennent
aussi le nitre et le sel; qu’ils en sont faits, et se résolvent finalement en
eux.
Tout ce qui doit rendre fertile doit être nitreux et salin;
sans cela, il n’engraisseroit pas les terres.
Tous les chimistes judicieux sçavent que tous les animaux
sont d’une nature nitreuse et saline; car dans leur analyse on trouve du sel
volatil et du sel fixe en quantité, et des parties huileuses inflammables. L’inflammation de l’huile qui brûle fait connoître
qu’elle est un nitre liquoreux; car il n’y a que le nitre qui soit inflammable.
On en a encore une preuve plus complette dans le phosphore qu’on fait du règne
animal.
Ceux qui cuisent le salpêtre, nous montrent que le règne
animal est très-nitreux; car pour en chercher, ils creusent la terre autour des
maisons des Païsans et même dans leurs chambres, qui sont sans cesse arrosées
de l’urine de leurs enfans, etc. Cette urine se glisse dans la terre, et forme un
excellent salpêtre.
Si quelqu’un est après cela incrédule, qu’il aille à un
cimetière où l’on enterre beaucoup de monde; qu’il prenne de la terre d’une
fosse qui soit bien pourrie; qu’il la lessive, et qu’il examine ensuite si le
règne animal n’est pas nitreux; il ne manquera pas de trouver que ce règne
s’est réduit en nitre.
Or ce en quoi une chose se réduit doit nécessairement être
la même dont elle a tiré son origine.
Les fientes des vaches et des moutons ne sont-elles pas
aussi fort nitreuses ? Ceux qui font le salpêtre ne les emploient-ils pas par préférence à toute
autre chose ? Si le salpêtre n’étoit pas une nourriture spermatique excellente
pour les hommes, Dieu n’auroit pas commandé aux Juifs de manger de la chair de
brebis et de s’appliquer à la vie pastorale.
Les Païsans portent dans leurs champs les fientes des
moutons et des vaches comme le meilleur fumier pour engraisser leurs terres; et
encore qu’ils ne connoissent point que c’est le salpêtre qui procure cette
fertilité, ils expérimentent pourtant que ce fumier est le meilleur; ils y
portent leurs urines; ils en arrosent leurs prairies; et les herbes en
croissent à merveille; ils y conduisent aussi leurs excrémens et ordures qui
produisent du bled et autres alimens pour notre nourriture. Si nous faisons
bien attention à notre origine, nous conviendrons que nous sommes non-seulement
nés parmi les excrémens et ordures, mais que nous en tirons aussi notre
conservation et notre accroissement, et qu’enfin nous seront résous en eux,
suivant la parole de Jésus-Christ, c’est-à-dire en poussière et en cendres; de
sorte que nos cadavres et nos corps pourris serviront à engraisser et à rendre
fertiles les champs, prés et vignes des hommes qui viendront après nous; et de
cette manière nous leur servirons de nourriture et de boisson. Combien de
bestiaux morts, d’ennemis tués ou morts de maladie, ont pourri dans les champs
et vignes, s’y sont résous en suc et en sel, et ont été employés à la
nourriture de l’homme ?
Ce que nous avons dit prouve assez, sans qu’il soit
nécessaire d’employer un plus long discours, que les animaux tiennent non-seulement
leur naissance et leurs parties constitutives du salpêtre et du sel; mais aussi
qu’ils doivent être résous en lui par l’archée universel de la Nature, comme
nous le confirmerons dans ce traité.
Que les végétaux contiennent le
nitre et le sel, qu’ils en sont faits et qu’ils doivent aussi s’y résoudre.
Chaque Païsan et chaque Jardinier sçait que les végétaux
croissent dans la terre par le secours de la rosée et de l’eau de pluie: la
preuve s’en verra dans la suite. Nous avons prouvé plus haut que le salpêtre et
le sel sont la pure et véritable essence de la rosée et de la pluie; comme
aussi que toute eau et toute terre renferment en soi le salpêtre et le sel,
comme leur substance essentielle revêtue de la forme terrestre et aquatique.
Il est maintenant hors de doute que le sperme universel,
c’est-à-dire la rosée, la pluie et la neige avec le salpêtre et le sel dissous
et cachés en eux donnent l’accroissement à toutes choses. Or ces deux se
trouvent, comme nous l’avons dit, dans toutes les eaux et dans toutes les terres;
par conséquent, il faut nécessairement que les végétaux en tirent leur
accroissement; car ils ne croissent pas de la terre toute seule, ni des eaux
seules vuides et sans forme, ou destituées de semence; mais du sperme
universel, qui est le salpêtre et le sel.
Faites fondre ensemble dans un creuset deux parties de sel
et une partie de salpêtre, et faites-les dissoudre ensemble dans dix fois
autant d’eau de pluie; mettez et laissez enfler dans cette dissolution une
semence végétale, mais pas trop serrée, que vous fermerez ensuite. D’un autre
côté prenez aussi de la même semence qui n’a pas été humectée dans la même eau;
fermez-la à part dans la même terre, et comparez ensemble la promptitude de
l’accroissement et la beauté du fruit; vous verrez la différence qui se
trouvera entre ces deux plantes.
L’esprit ardent, l’acide, les parties huileuses et les sels
alkalins des végétaux font connoître leurs qualités très-nitreuses, dans l’un
pourtant plus que dans l’autre. L’on voit que les végétaux, lorsqu’on les
brûle, donnent une flamme fort claire. Or l’inflammabilité, la chaleur et la
flamme ne sçauroient venir que du salpêtre.
L’esprit ardent n’est-il pas un nitre très-subtil et même
céleste ? Car lorsqu’on l’enflamme, son feu est extrêmement subtil et a l’éclat
des étoiles. Quant à l’huile, elle n’a pas besoin de preuve; on la tire de
différentes espèces, tant des animaux que des végétaux; et leur alkali prouve
qu’elles contiennent du nitre.
Les Païsans connoissent fort bien tout ceci; puisqu’ils amassent
dans les forêts une quantité d’herbes et de feuilles; qu’ils les mettent en grands tas,
les laissent pourrir ensemble et les portent ensuite aux champs pour les fumer.
Nous avons montré plus haut, en parlant des animaux, ce que le fumier renferme.
Les Jardiniers le connoissent très-bien, et ils sont très-charmés,
lorsqu’ils trouvent de la pourriture d’un arbre, pour l’employer en guise de
fumier aux plus belles espèces de fleurs et aux plantes pour les engraisser;
ils en font même trop de cas pour l’employer aux plantes ordinaires du jardin;
car ils sçavent très-bien que la Nature a préparé cette pourriture très-subtilement,
et l’a réduite en poussière et en terre, de laquelle, lorsqu’on la lessive, on
peut tirer un nitre et un sel très-pur.
Par cette pourriture des arbres, on peut voir non-seulement
que les végétaux prennent leur accroissement du nitre et du sel, mais aussi qu’ils y
rétrogradent et s’y réduisent comme en leurs principes; et qu’ensuite, suivant
la disposition que la Nature trouve, il en naît d’autres végétaux.
Je crois avoir assez expliqué ce règne et avoir rendu au
salpêtre et au sel tous les honneurs qui leur sont dus; puisqu’ils sont le
principe de toutes choses, et leur première matière médiate et universelle, quoique pas encore spécifiée et individuée, et
que tous deux joints ensemble, s’insinuent dans tous les êtres et procréent, suivant la
volonté de la Nature, une chose après l’autre.
Que les minéraux contiennent le
nitre et le sel; qu’ils en sont faits et qu’ils s’y résolvent.
Plus le ciel s’approche de la terre, plus il descend
terrestre, corporel et fixe, moins il brûle et brille, et moins il s’enflamme;
ainsi le nitre, qui est descendu du ciel, est invisible, caché et tout volatil
dans l’eau; mais il s’y manifeste par la putréfaction. Plus il devient
terrestre et fixe, plus il devient alkalin, et il perd de plus en plus sa
fulmination par cette fixation, comme nous le verrons en traitant des minéraux:
car en se spécifiant dans chacun des règnes, il acquiert une nature et une
qualité différente, et de l’animal au minéral il s’éloigne toujours de plus en
plus de la Nature universelle. Dans tous ces règnes, il montre cependant plus
ou moins le feu qui le domine; et cela suivant le degré de fixité ou de volatilité
qu’il a dans le règne animal, ainsi que dans le végétal, par leur oléaginité
grossière ou subtile, par leur poix, résine, etc.
Tous les minéraux sont d’un genre pierreux; ils descendent
de plus en plus vers la fixité; leur soufre inflammable est privé de son
inflammabilité par leur continuelle fixation, et acquiert un autre degré, c’est-à-dire
celui de l’incombustibilité.
Or que le soufre et les autres matières inflammables soient
nitreuses, nous l’avons prouvé ci- devant, en faisant voir que l’inflammation
ne peut provenir que du salpêtre et de ce qui y appartient. On voit aussi qu’on
peut trouver le sel dans les minéraux, lorsqu’on les lessive, après qu’on les a
un peu fait rougir au feu.
La raison pour laquelle le sel ne s’y trouve pas en si grande
quantité sous la forme du sel, c’est qu’il renferme par proportion plus de
terre en soi, et que plus il résout de terre, plus il devient terrestre, et
s’éloigne de sa forme saline.
Cet axiome sera toujours vrai, et la pratique en convaincra
tous les jours chaque Chymiste, qu’une chose se résout en ce dont elle a été
faite, et se résout aussi par lui.
Lorsque nous voulons résoudre des minéraux qui sont liés très-fortement,
nous voyons qu’il faut y employer du sel, ou des menstrues salins et nitreux, sans
lesquels on ne peut pas les ouvrir.
Chaque Chymiste sçait que tous les menstrues sont nitreux et
salins; de-là le Lecteur peut conclure que, puisque les minéraux se fondent et
se dissolvent dans le sel et dans les menstrues salins, ils doivent nécessairement
avoir une homogénéité avec le sel; autrement ils ne pourroient pas en être
domptés. Si les minéraux se fondent en liqueur dans les menstrues salins, c’est
déjà une réduction dans leur première matière; car ils sont faits d’eau salée,
et s’y résolvent aussi de nouveau. Si l’on réduit au tiers par la distillation
l’eau qui reste, chaque Chymiste en sçait faire un sel ou un vitriol; et ce
vitriol peut, par les distillations et cohobations, se réduire en eau salée ou en
esprit salin dont ils ont été procréés auparavant par d’autres changemens.
Les minéraux proviennent d’un sel et d’un nitre aigris,
fermentés, échauffés et pourris qui résolvent en eux une terre et en acquièrent
une qualité vitriolique et sulfureuse; ils se fixent ensuite de plus en plus
dans leur degré; et comme ils ont tiré leur existence d’un nitre et d’un sel
aigri et spiritueux, ils rétrogradent aussi par ce même nitre aigri dans leur
premier principe, comme nous l’éclaircirons davantage dans la généalogie des
minéraux. Cependant il ne sera pas hors de propos d’anticiper sur cette partie
de notre ouvrage et de nous étendre un peu plus dans ce chapitre, sur la
naissance des minéraux, afin que le Lecteur soit convaincu dès à présent par
l’origine des trois règnes que toutes les choses tirent leur existence du nitre
et du sel ou de leur semence nitreuse et saline.
Tout Philosophe sçait que les animaux sont procréés d’une
semence aqueuse et saline; qu’ils sont entretenus par des végétaux aqueux et
salins et par l’air nitreux. Lorsqu’ils viennent à mourir, ils pourrissent et
se réduisent en une matière et substance aqueuse et nitreuse. Nous avons prouvé
qu’elle est réellement nitreuse et saline, et dans la suite nous le prouverons
encore plus au long.
Nous avons prouvé que les végétaux tirent leur naissance de
la rosée, de la pluie, etc., qui sont nitreuses et salines, et de la terre et des eaux qui le sont
également; qu’ils se résolvent, et se réduisent par le feu en une eau toute remplie de nitre et de
sel qui est leur première matière.
Il en est de même des minéraux; ils naissent tous de l’eau
nitreuse et saline qui coule par-tout par les fentes et crevasses de la terre
jusqu’à son centre; d’où cette eau saline, fortement échauffée et fermentée par
la chaleur centrale et repoussée en forme de vapeur et d’un pur esprit jusqu’à
la circonférence de la terre, s’attache aux rochers; et parce qu’elle porte
avec elle un sel spiritueux et par conséquent un esprit de sel et de nitre,
elle devient rongeante et corrosive; car si elle n’étoit pas corrosive, comment
pourroit- elle entamer et dissoudre les rochers ? Cette eau dissout donc les rochers,
et la terre récoagule l’eau en sel, non pas tel qu’il étoit auparavant, mais en
un sel vitriolique, autant qu’elle en a pu saisir en une fois, et qu’elle en a
pu résoudre; ainsi elle le brise subtilement en une terre gluante et grasse
qu’on appelle ordinairement guhr.
Cette terre est ensuite dissoute de plus en plus par les vapeurs corrosives qui
s’élèvent jusqu’à ce qu’elle se change en soufre; plus elle acquiert de
corrosif et plus elle devient sulfureuse. Ce soufre perd par la longueur du tems
et par la chaleur centrale son inflammabilité et se change en arsenic;
l’arsenic se change en une marcassite, et celle-ci seulement est la première
matière des métaux la plus prochaine et non pas le vitriol. On voit que le
soufre est purement un corrosif: premièrement par son odeur qui infecte les
poumons; secondement par son huile dont on tire quantité, soit par la cloche,
soit de la minière, en la distillant en manière ordinaire.
On voit que l’huile et l’esprit de vitriol sont un soufre
dissous, lorsqu’on en imbibe une terre, comme par exemple de la craie ou toute
autre terre fixe, et qu’on les fait évaporer fortement à un feu ouvert, ils
brûlent et s’enflamment comme le soufre: or
j’ai prouvé ci-dessus que le soufre étoit auparavant un nitre et qu’il étoit
son origine.
J’ai aussi démontré plus haut que les minéraux se résolvent
de nouveau en un salpêtre fermenté et aigri, ou en vitriol, et celui-ci en sa
première matière; ce point sera encore éclairci davantage ci-après dans son
chapitre propre.
De tout ceci le Lecteur peut voir si je comprends bien cette
origine ou non; qu’il avance, ou qu’il rétrograde dans l’analyse des minéraux;
il verra, par l’expérience, des choses qu’il n’auroit pas crues auparavant;
mais s’il imaginoit que je veux introduire une nouvelle doctrine et renverser
les sentimens de nos ancêtres qui ont écrit depuis des milliers d’années que le
soufre, le mercure et le sel sont la première matière des métaux; je me
contenterai de lui répondre que ce n’est pas là mon intention Tout le monde sçait
qu’ils ont posé pour fondement que le mercure, le soufre et le sel sont la
première matière des métaux; mais les véritables Philosophes sçavent encore
mieux s’il faut entendre ces mots au pied de la lettre.
Celui qui ne veut pas me suivre, ni croire que je cherche purement
à me conformer aux règles de la Nature, peut en suivre d’autres et en tirer de
meilleurs principes. Il y en aura pourtant quelques-uns qui seront charmés que
j’aie mis ce traité au jour.
Il est
visible que le soufre et le mercure tirent leur naissance du nitre et du sel. Plus la terre se charge de
nitre ou de corrosif qui est un acide, plus elle devient sulfureuse; et à
mesure qu’elle s’alkalinise ou devient saline, ou qu’elle se trouve dans un
endroit alkalin et salin qui tue le corrosif ou le soufre, il en provient un
mercure ou des sujets mercuriels.
Ce que nous avons dit jusqu’à présent sur la première
matière et l’origine des minéraux, doit suffire pour faire voir qu’ils sont
composés de nitre et de sel, et qu’ils peuvent de nouveau se réduire en eux. Si
ce chapitre me le permettoit, j’aurois ici une belle occasion d’en montrer la
preuve aussi bien par la pratique que par la théorie. Mais je la réserve pour
la suite de cet ouvrage.
Il est dont aussi clair que le jour, que le salpêtre et le
sel sont la semence de tout le grand monde volatil et fixe, suivant qu’ils sont
appliqués.
Ces deux sont le père et la mère, l’agent et le patient,
l’acier et l’aimant de toutes et chacune des choses; et les élémens visibles,
c’est-à-dire l’air, l’eau, et la terre sont leur maison ou leur habitation, et
les matières desquelles et par lesquelles ils opèrent et procréent tout.
Le Lecteur pourra donc facilement comprendre ce que c’est
que la génération, la corruption et la régénération de toutes choses; car il
doit être certain que le nitre et le sel procréent, entretiennent, détruisent
et régénèrent tout, soit d’une manière fixe, soit d’une manière volatile,
suivant que la Nature en fait l’application elle-même.
D’un nitre et d’un sel volatil il naît plutôt un animal
qu’un minéral; d’un nitre et d’un sel demi fixe et demi volatil il naît un
végétal, et d’un nitre et d’un sel fixe il naît un minéral.
Par cette raison, il est facile de descendre de la
généralité que nous avons indiquée à la spécialité; car lorsqu’une fois on connoît
l’origine, on connoît aussi la progression et le but, c’est-à-dire le commencement,
le milieu et la fin.
C’est de-là que nous tirons la conclusion, et que nous
établissons que l’origine primordiale de toutes choses est la vapeur
universelle aqueuse, qui par son épaississement se change et se régénère en
l’eau universelle chaotique, c’est-à-dire en rosée, pluie, etc. C’est-là notre
première matière régénérée; car toute eau devient par la chaleur et par le feu
vapeur, brouillard, fumée; toute vapeur et fumée redevient eau par son
épaississement: dans cette eau et dans toutes les autres sont contenus un nitre
et un sel. Plus l’eau est subtile, volatile et spiritueuse, plus le nitre et le
sel qu’elle contient sont volatils et forment des fruits subtils: plus les eaux
sont épaisses, plus le nitre et le sel qu’elles contiennent sont corporels et
fixes, et plus ils forment des fruits également fixes.
De ces deux, à sçavoir le nitre et le sel, comme étant la
matière première et plus prochaine de tous les sujets sublunaires, soit
volatils, soit fixes, toutes les créatures sublunaires tirent leur naissance, leur
conservation, destruction et leur régénération, les animaux, les végétaux et
les minéraux.
Mais les
animaux tirent aussi de l’air, par leur respiration, le nitre et le sel
volatils, et en plus grande quantité que les végétaux et les minéraux, et ils
s’en servent comme d’un aliment particulier et céleste pour leur nourriture et
leur conservation.
Les végétaux prennent leur nourriture et accroissement
plutôt de la rosée et de la pluie, etc., qui sont un air condensé.
Mais les minéraux tirent leur naissance d’une vapeur
épaisse, aigre et d’un air souterrain, qui se sont sublimés de l’eau centrale
par la chaleur de l’abyme dans les entrailles des montagnes, où ils se changent
en eau; et dans toutes ces choses, c’est-à-dire dans l’eau et dans l’air, il y
a du salpêtre et du sel qui y sont cachés, comme un sperme universel.
Comme toutes ces choses mentionnées ci-dessus tirent leur
naissance et leur conservation du nitre et du sel conjoints ensemble, suivant
la différence de leur volatilité et de leur fixité, elles se détruisent et se
régénèrent aussi par eux, suivant la même différence de leur volatilité et
fixité, jusqu’à ce que le Créateur réduise tout par le feu en cendre et en
poussière.
Le Lecteur pourra à présent se former la plus belle théorie
de la Nature, lorsqu’il considérera comment d’une première vapeur extrêmement subtile elle
descend et s’approche de plus en plus par degrés convenables jusqu’à la fixité;
car elle fait du très-volatil un volatil, de celui-ci un demi fixe, du demi
fixe un fixe, du fixe un très-fixe; et comme elle est descendue d’un degré à
l’autre, elle remonte aussi par les mêmes degrés, et fait du très-fixe un fixe,
de celui-ci un volatil, de ce dernier un très-volatil, de la même manière que
nous avons démontré ci-dessus, que du ciel elle fait l’air, l’eau et la terre,
et de la terre l’eau, l’air et le ciel, d’un degré à l’autre et d’un moyen à
l’autre, et jamais d’un extrême à l’autre extrême.
Du ciel le plus volatil elle fait un air volatil; de celui-ci
une eau demi fixe, et de celle-ci une terre fixe, et ensuite très-fixe, ou bien
elle fait du nitre très-volatil et céleste un nitre volatil aërien, de celui-ci
un nitre demi fixe et corporel, ou un nitre aqueux, palpable, de celui-ci un
sel terrestre ou alkalin, et de celui-ci, toujours en descendant, une terre,
une pierre et un minéral.
Telle est la marche de la Nature. Nous croyons en avoir déjà
dit suffisamment pour mettre les disciples de l’Art en état de l’observer et de la suivre,
quoique nous n’ayons fait jusqu’ici qu’une description générale des choses
naturelles; mais nous l’expliquerons encore plus spécialement et nous entrerons
dans l’analyse des choses, par le moyen de laquelle nous pouvons pénétrer
jusqu’au centre de la Nature et la considérer toute nue.
Nous commencerons avec raison par la principale porte de la
Nature, qui est l’entrée de toute génération, destruction et régénération; par la clef, sans
laquelle il seroit difficile de pénétrer dans le sanctuaire de la Nature. Cette
principale porte ou cette clef est nommée par les Chymistes la putréfaction.
De la principale porte ou clef
de la Nature, comme auteur de toute génération et destruction des choses
naturelles, appelée putréfaction.
Le ciel, à cause de sa subtile pureté, n’est pas si sujet au
changement que les élémens inférieurs: mais
lorsqu’il descend dans l’air, et de-là dans l’eau et dans la terre, il pourrit
aussi avec eux, pour produire dans les élémens inférieurs son semblable;
lesquels élémens, par une loi particulière du Créateur, ne peuvent rien
produire, ni détruire sans la putréfaction.
Par cette raison on ne peut sans la putréfaction, ou sans
aucune antécédente macération, digestion, fermentation et cuisson, soit prompte
ou lente, espérer aucune véritable analyse, ni dans les universels, ni dans les
espèces et individus; car la rosée, la pluie, la neige, la grêle et la gelée pourrissent
toutes sans distinction, et sont une séparation du subtil d’avec le grossier.
On connoît que cela arrive, lorsqu’elles donnent une odeur, quoique très-foible,
de pourriture. Les animaux pourrissent très-facilement, aussi bien que les
choses susdites; et à cause de la quantité des parties volatiles qu’ils
contiennent et de leur nitre volatil, ils exhalent une puanteur insupportable.
Les végétaux pourrissent également avec facilité à cause de
leur trop grande humidité; mais pourtant pas si vite que les animaux, et ne
sentent pas si mauvais qu’eux.
Les minéraux pourrissent et fermentent: cependant ils
n’exhalent pas, au moins pour la plupart, une odeur si mauvaise que les autres
dont nous avons parlé, à l’exception cependant du fer qui, lorsqu’il tombe en
macération, et qu’il se rencontre avec son homogène, sent plus mauvais qu’un
cloaque: nous en parlerons dans son endroit.
Par la putréfaction les minéraux deviennent végétaux, et les
végétaux deviennent animaux. Ainsi la Nature, formant comme un cercle, met le
plus haut au plus bas, et le plus bas au plus haut: elle change aussi les trois
règnes en une Nature universelle et indifférente, comme nous l’avons déjà dit: elle
pousse en l’air, du centre de la sphère terrestre et aquatique, les vapeurs qui
sont du règne minéral, et les vapeurs de la superficie de la terre qui sont du
règne végétal; de même les vapeurs et exhalaisons des cadavres animaux, comme
aussi celles des trois règnes vivans et florissans, et les y chaotise et réduit
à l’universalité; alors elles ne sont plus ni animales, ni végétales, ni
minérales, mais ubiquotiques, c’est-à-dire qu’elles doivent être, et sont en
effet dans toutes choses.
Il faut donc considérer la putréfaction comme le forgeron
merveilleux qui fait de la terre une eau, d’une eau un air, de l’air un feu ou
ciel, et qui du ciel fait de nouveau de l’air, de celui-ci de l’eau, et de
l’eau de la terre: elle fait ces changemens sans discontinuation et à toutes
les minutes, et elle les fera jusqu’à ce que le ciel et la terre se fondent
ensemble en une masse vitrifiée.
Ce que c’est proprement que la putréfaction.
Après que
Dieu eut créé la vapeur universelle, il lui implanta, de sa propre volonté, une
essence active que nous nommons esprit. Cet esprit est dès le commencement un être mobile qui ne
se repose jamais; mais qui est toujours en mouvement, opérant et agissant continuellement
et sans relâche. Qu’il soit fixe ou volatil, il est toujours en action, et il
opère avec altération et successivement dans toutes les créatures: lorsqu’il
cesse d’exister dans l’une, ou qu’il en sort, dans le même instant il
recommence à travailler dans une autre, et ainsi il ne se repose jamais un seul
moment.
Cet
esprit est l’agent, l’auteur et l’origine de tout changement, et il commence
chaque changement par la putréfaction. Lorsqu’il l’a fomentée pendant quelque tems,
il sépare le pur de l’impur, ensuite il conjoint, coagule et fixe jusqu’au
terme absolu de chaque individu: après qu’il a poussé un corps coagulé jusqu’à
son dernier terme, il recommence à le putréfier, à le résoudre, à le séparer, jusqu’à
ce qu’il en ait achevé quelqu’autre chose. Cet esprit est le générateur, le
conservateur, le destructeur et le régénérateur de toutes les choses du monde.
Cet esprit, dans son origine primordiale, est entièrement
caché dans la vapeur ou dans l’eau, et si spiritueux que par la moindre chaleur
il s’en détache, et s’envole dans l’air; mais lorsqu’il descend dans nos élémens
corporels plus grossiers, il est retenu en partie et obligé de gré ou de force
à devenir un corps visible et palpable, ou plutôt à prendre lui-même un tel
corps; alors il paroît à nos yeux en une forme très-blanche, crystalline et
transparente (le nitre), froide comme la glace et cependant d’une nature si
ignée que lorsqu’il s’échauffe, s’il étoit rassemblé dans le centre de la terre
en grande quantité, et que son contraire vînt à sa rencontre, il deviendroit si
furieux qu’il feroit sauter en l’air non-seulement les roches, les pierres, les
maisons et les habitans, mais même le globe de la terre tout entier; il nous
donne aussi très-souvent et à notre dommage des preuves de sa force par les
tremblemens de terre, et sans son frère ou sa femme froide (qui est le sel) à
laquelle il s’attache avec une passion amoureuse très-forte et qui est la seule
qui puisse le dompter et adoucir, il y a long-tems qu’il auroit détruit le
monde entier; mais son frère ou sa femme, lorsqu’ils s’embrassent tous deux
dans son palais igné infernal, ne le lui permet pas, et le tient serré jusqu’à ce
qu’il éteigne sa fureur; alors il ne peut plus causer de dommage, et oublie
même sa férocité au point que, ses contraires se joignant avec lui, non-seulement
il ne leur cause aucun dommage, mais qu’il les attire à lui, s’associe avec
eux, et fait, pour ainsi dire, avec eux une alliance perpétuelle.
Cet esprit est répandu dans toutes les créatures et
distribué en elles, comme nous l’avons marqué plus amplement ci-dessus; sans
lui, aucune ne pourroit vivre ni exister. C’est lui qui est le principe de la
naissance, de la destruction et de la régénération de toutes les choses.
La putréfaction est donc la première clef et la première
porte, par le moyen de laquelle cet esprit double nous ouvre le palais de la
Nature, et le renferme ensuite par les degrés suivans.
Cet esprit n’est jamais en repos, comme nous avons dit, et
par son mouvement il occasionne une tiédeur, ou échauffement; cette chaleur
ouvre les pores de chaque chose; de sorte que cet esprit implanté peut aller et
pénétrer par-tout, soit pour procréer, soit pour corrompre.
Lorsqu’il a pénétré par les membres, il commence à résoudre
ou à coaguler, et agit ainsi jusqu’à ce que le corps soit entièrement pénétré
et échauffé; alors les parties subtiles, humides et volatiles commencent à s’évaporer
plus ou moins (suivant que la chaleur a été plus ou moins forte) et à donner
une odeur par laquelle on peut s’appercevoir que l’esprit agit, qu’il
travaille, qu’il ouvre le corps, le pourrit et l’amollit par la digestion ou
putréfaction, et il continue d’agir de même graduellement jusqu’à ce qu’il
parvienne au terme destiné.
Cet esprit a été au commencement vapeur et eau; et comme il étoit
lui-même dans son principe eau et vapeur, il produit aussi toutes choses de
vapeur et d’eau, et s’en sert pour toutes ses opérations, ses mélanges et ses
solutions, parce que toutes les choses qu’il fait, se mêlent aisément avec
l’eau.
Il n’est pas douteux que les animaux ne soient faits d’eau,
puisqu’ils sont composés visiblement de parties presque toutes molles et
aqueuses; nous voyons aussi qu’après l’évaporation et l’extinction de la lampe
de la vie, l’esprit les réduit de nouveau en écume, glaire et eau par le moyen
de l’eau.
Les végétaux sont composés de même, et contiennent pourtant
des parties un peu moins aqueuses, succulentes et humides que les animaux. Ils
se réduisent et se résolvent aussi en eau, avec l’eau et par le moyen de l’eau.
La Nature ou cet esprit compose de même les minéraux de
l’eau, les résout aussi en eau et par l’eau, comme nous l’expliquerons amplement par la suite.
Il ne
faut pourtant pas s’imaginer que cette eau de laquelle l’esprit procrée tous
les animaux, végétaux
et minéraux, soit une eau sans puissance comme une eau de fontaine; c’est une
eau qui renferme quatre choses, à sçavoir les quatre élémens qui y sont dans un
parfait accord; trois choses, à sçavoir l’esprit, l’ame et le corps, le
mercure, le soufre et le sel, le volatil, l’acide et l’alkali, et deux choses
qui sont le mâle et la femelle, l’agent et le patient, le nitre et le sel dont
toutes choses naissent, et par lesquelles elles sont détruites et régénérées;
c’est une eau dans laquelle l’esprit est l’agent qui opère tout; et quoique cet
esprit soit différent suivant la fixité ou sa volatilité, et qu’on le puisse
appeler double, triple, quadruple et quintuple; il n’est pourtant qu’un seul et
unique esprit différent suivant ses différentes opérations.
Lorsqu’il
est volatil et une vapeur, on l’appelle ciel, air, le volatil, l’agent, le
mâle, l’ame, etc. S’il est demi fixe et corporel, on l’appelle eau, acide,
esprit, soufre, nitre; s’il est fixe, on l’appelle terre, le fixe, le patient,
l’alkali, la femelle, l’aimant, le corps, le sel, comme nous avons dit ci-dessus.
C’est en quoi consiste l’idée de toutes choses: car, suivant
la forme ou la figure dans laquelle une chose se montre, aussi-tôt nous lui
donnons un nom propre pour la distinguer des autres choses; et si tout s’appeloit
du même nom, on prendroit indifféremment l’un pour l’autre, comme dans la
confusion de la tour de Babel.
Il n’y avoit au commencement qu’une eau simple, laquelle
s’est divisée avec le tems et dans sa division chaque partie a eu son nom
particulier, encore qu’elle soit sortie d’une seule racine et d’un même
principe, et réciproquement tous les individus de l’univers peuvent aussi par
réduction et résolution être changés en eau.
Nous avons par-là suffisamment éclairci ce que c’est que la
putréfaction, c’est-à-dire un esprit implanté moteur qui atiédit, chauffe et enflamme; qui est
simple en forme double et double en forme simple; comme aussi un acide qui se bat contre l’alkali,
lesquels deux sont un dans leur essence, comme aussi trois, volatil, acide et alkali,
mercure, soufre et sel, esprit, ame et corps: c’est ce que nous allons
expliquer dans le chapitre suivant.
Ce que la putréfaction opère,
et ce qu’elle produit.
En général, par la putréfaction un volatil devient acide, et
l’acide un alkali, et au contraire l’alkali devient acide, et l’acide un
volatil, suivant que les choses qu’on veut changer sont disposées naturellement,
ou par Art.
Pour représenter l’opération réelle de la putréfaction, nous
prendrons pour modèle l’eau de pluie, qui est l’eau universelle régénérée
chaotique.
Prenez donc de l’eau de pluie tant que vous voudrez;
mettez-la dans un vase propre; plus il y en aura, mieux on y verra l’opération
de l’esprit universel; laissez reposer ce vase bien couvert quatorze jours ou
un mois entier; elle fermentera, comme nous l’avons déjà dit en son lieu, se putréfiera,
deviendra trouble, impure et puante, et vous verrez s’y former une terre
écumeuse et surnageante; ce qui prouve visiblement qu’il y a une altération qui
est plus ou moins grande, suivant que la chose est disposée par nature ou par
Art.
La cause de cette corruption de l’eau, de son impureté,
nébulosité et pourriture, c’est l’esprit qui y est implanté, et qui, par son
mouvement perpétuel, produit dans l’eau une chaleur imperceptible.
Plus il travaille et s’échauffe, plus il altère et sépare;
car on y trouvera de jour en jour et toujours en augmentant plus d’impureté ou
de terre, comme aussi plus d’odeur mauvaise ou de pourriture.
Nous examinerons à présent ce corps aqueux, putréfié et ses
parties.
Nous avons dit ci-dessus dans son chapitre et dans plusieurs
autres endroits que l’eau avant sa putréfaction étoit un pur volatil qui par la distillation
passe entièrement; mais qu’après la putréfaction elle se divise en trois parties essentielles, à
sçavoir en une eau volatile, en un acide ou nitre, et en un sel alkali, qui
après leur séparation laissent encore après eux une terre que les Chymistes
appellent fèces.
On peut voir évidemment et conclure que cette eau renferme
en elle un esprit ou un être actif; car d’où pourroit provenir la séparation et
l’altération, s’il n’y avoit dans cette eau quelque chose d’actif qui pût
l’occasionner ? Or cette chose qui agit et produit cet effet, est ce que nous
appelons du nom très-commun, un esprit.
On s’apperçoit par la pourriture et par l’odeur qu’un tel
esprit est dans l’eau, et qu’il échauffe cette eau, quoique imperceptiblement
et insensiblement. On n’entend jamais dire, et on ne voit pas que le froid
occasionne une pourriture ou une mauvaise odeur; et quand même en hiver toute
la terre seroit pavée et couverte de corps morts, on n’en ressentiroit aucune
mauvaise odeur: mais si la chaleur vient, ils pourriront si fort et sentiront
si mauvais en un seul jour, que personne n’y pourra résister.
Nous conclurons donc que la putréfaction ne vient que de
l’esprit échauffé par la chaleur; et la mauvaise odeur provient, ainsi que la bonne, du volatil qui
s’exhale par la chaleur; il monte et s’envole d’une manière invisible et pourtant sensible à
l’odorat; comme on peut le voir clairement dans l’urine putréfiée et dans sa
puanteur, lorsqu’on en fait la distillation: c’est alors seulement que monte
son sel volatil qui a l’odeur la plus pénétrante et la plus forte; mais son
esprit fixe et son huile, ainsi que son alkali et le caput mortuum brûlé
en charbon n’ont presque aucune odeur.
On le voit aussi aux vins, principalement aux plus vieux
qui, plus ils séjournent dans des caves fraîches, plus ils acquièrent de bonté
et d’odeur agréable; lorsqu’on les distille, l’esprit ardent volatil du vin
monte le premier, et a une odeur plus forte que les parties qui suivent après.
La même chose se voit aussi aux minéraux; à peine a-t-on mis
les minières dans le feu, que le volatil prend au nez; le soufre, l’acide et l’esprit
arsenical causent des étourdissemens; mais les parties restantes n’ont presque
plus aucune odeur, excepté ce qui pourroit être fixé du volatil par le feu.
L’acide ou le nitre a très-peu ou presque point d’odeur, non
plus que le sel ou l’alkali, lorsqu’on les sépare de l’eau de pluie putréfiée;
à moins qu’ils ne soient de nouveau excités par leurs contraires.
L’odeur est donc occasionnée par la chaleur, et celle-ci
provient du mouvement excité par l’esprit moteur, comme nous l’avons déjà dit;
et si quelqu’un doutoit que le mouvement fût la cause de la chaleur, il n’a
qu’à toucher du fer qu’un forgeron vient de battre à froid pendant un certain tems,
il sentira qu’il est extrêmement chaud; qu’il observe encore les rémouleurs,
lorsqu’ils passent un fer sur leur pierre à aiguiser sans la mouiller, et
qu’ils tournent la roue avec vitesse; il verra que ce fer devient si rouge
qu’on peut y allumer du soufre ou du bois.
Enfin qu’il prenne seulement deux pierres froides ou deux
morceaux de bois, qu’il les frotte l’une contre l’autre, et il verra s’ils ne s’échaufferont
pas par ce mouvement.
Nous avons dit ci-dessus quelque chose de la manière dont un
volatil devient acide et celui-ci un alkali; et au contraire comment un alkali
devient acide et celui-ci un volatil, ou comme le ciel devient air, l’air eau
et l’eau terre; à présent nous examinerons comment se fait cette mutation.
De quelle manière un volatil
devient acide, et un acide alkali, et au contraire comment un alkali devient
acide, et celui-ci volatil.
Ce chapitre contient un point essentiel auquel tous les
Artistes, s’ils veulent avancer dans l’Art, doivent faire la plus grande
attention: car faute de connoître ce seul point, il y en a des milliers qui s’égarent
dans leurs solutions et coagulations, dans leurs volatilisations et fixations.
En un mot, l’univers avec tous ses universels, ses espèces
et ses individus, est arrangé d’une telle façon que l’un ne peut se passer de
l’autre, ni exister sans lui: l’un doit être le conducteur de l’autre; l’un
doit être le moyen et le lien de l’autre; sans cela il n’arrive aucune conjonction
ni aucune séparation: car, comme nous l’avons déjà dit, les élémens ont un
besoin mutuel les uns des autres.
De même les animaux ne sçauroient se soutenir sans les
végétaux, ni les végétaux sans les minéraux: au contraire, les minéraux ne sçauroient
devenir utiles sans les végétaux et sans les animaux.
Mais, comme je l’ai déjà suffisamment prouvé, un extrême ne sçauroit
s’unir avec un autre extrême sans un moyen. Le ciel ne sçauroit devenir
terrestre que par le moyen de l’air et de l’eau; et réciproquement la terre ne sçauroit
devenir céleste sans ce même moyen.
Pareillement les animaux ne sçauroient devenir minéraux que
par le moyen des végétaux; et le végétal est le moyen entre les animaux et les minéraux.
Tous les universels, aussi bien que les espèces déterminées,
doivent avoir leur moyen pour leur conjonction; et chaque individu de chaque
règne doit avoir aussi son moyen pour unir ses parties, afin de se soutenir et
de se conserver.
Ce moyen est vulgairement appelé acide, lequel dans tous les
sujets du monde est spécifiquement, individuellement et indivisiblement, un
moyen entre le volatil et l’alkali, entre le supérieur et l’inférieur, sans
lequel ils ne sçauroient jamais s’unir: car le volatil, comme le supérieur, est
extrêmement volatil; et l’alkali, comme l’inférieur, est extrêmement fixe. Le
volatil ne s’unit jamais avec le fixe immédiatement, ni le volatil avec l’alkali
que par l’acide: l’acide est le médiateur, le copulateur et le conciliateur de
toutes choses, parce qu’il n’est ni trop volatil, ni trop fixe, mais qu’il
tient le milieu entr’eux: par cette raison il est hermaphrodite et il est le
véritable Janus chymique. D’un oeil il regarde le volatil, et de l’autre il
regarde l’alkali. Si on lui donne le volatil, il s’unit avec lui
inséparablement, si on lui donne l’alkali, il s’y unit également; et si on les
joint tous les trois ensemble, leur union devient si forte que tous les trois
subsistent au feu, ou s’envolent ensemble.
On doit pourtant l’entendre du volatil, de l’acide et de l’alkali
homogènes; quoique les hétérogènes mêmes se lient si intimement ensemble,
qu’ils deviennent aussi inséparables. En voici un exemple.
Prenez de l’esprit-de-vin, de l’huile de vitriol et du sel
fixe d’urine, qui tous les trois sont d’un règne différent; versez l’esprit-de-vin sur le sel d’urine;
ajoutez-y ensuite, goutte à goutte, l’huile de vitriol; vous y verrez au
commencement une grande opposition, et vous entendrez un bruit et un sifflement;
mais à la fin ils se tranquilliseront et se conjoindront si intimement que,
lorsque vous en distillerez les sérosités aqueuses, vous n’y observerez plus
aucun vestige de l’esprit-de-vin qui s’est fixé sur l’alkali avec l’huile de
vitriol.
Mais, pour procéder dans l’ordre et ne nous pas écarter,
nous expliquerons de quelle manière le volatil devient acide, et celui-ci alkali,
c’est-à-dire comment l’un devient l’aimant de l’autre: car l’un attire l’autre
à soi, et le change en sa propre substance sans aucune interruption, suivant
que la force et la quantité de l’un excède celle de l’autre.
Sçachez donc qu’aussi-tôt que l’eau de pluie amassée, comme
nous l’avons dit ci-dessus, commence à pourrir, ou aussi-tôt que l’esprit qui y
est implanté, commence à opérer et à l’échauffer, cette eau dans le même instant
commence à se changer et à devenir corporelle de plus en plus: car dans son premier
état elle étoit un peu volatil; et comme le volatil cherche toujours à devenir
fixe par les degrés intermédiaires, il cherche aussi, lorsqu’il est devenu
fixe, à redevenir volatil par les mêmes degrés. Cet esprit devient toujours par
son mouvement continuel plus chaud et plus igné. Cette chaleur le rend si
sensible et si piquant, qu’il présente au goût une aigreur que nous nommons en terme
commun acide; et comme l’acide occasionne une précipitation, et manifeste par-là
une séparation de la terre qui s’étoit résoute dans l’eau; plus l’acide est
aigre et igné, plus il sépare de terre: mais afin que cette terre ne devienne
pas trop forte, et que l’acide ne puisse s’y tuer et s’alkaliser tout-à-fait,
cet acide prend sa nourriture du volatil, et, comme aimant, il l’attire, le
change en sa nature, et en fait un acide.
Plus cet acide attire à soi de volatil, plus il s’échauffe,
plus il fermente et plus il résout de terre, sur laquelle il est aussi-tôt
forcé de réagir de nouveau; et plus il en résout, plus il devient alkali sec et
fixe.
Quand la terre est suffisamment imprégnée d’acide, et que
l’acide a dissous autant de terre qu’il a pu, et a tiré magnétiquement autant
de volatil qu’il en a eu besoin pour son action, cet acide n’est plus si fort
pour agir et pour précipiter; mais il reste dans un état mitoyen, également
rassasié du volatil et des parties alkalines de la terre, et son action demeure
comme suspendue, jusqu’à ce que le volatil ou l’alkali prenne le dessus; alors
il s’y associe aussi-tôt, et l’aide à produire en tout son semblable.
Par exemple, la terre ou l’alkali venant à dominer sur le
volatil, rend l’acide entièrement alkalin; l’acide vaincu par la terre attire à
soi le volatil et le fait entièrement acide; et comme la terre acquiert de plus
en plus la supériorité, elle le rend aussi alkalin et terrestre jusqu’au plus
haut degré de nature pierreuse: si au contraire le volatil est trop fort et
qu’il ait trop peu de terre, il change l’acide en sa nature et le rend volatil;
l’acide change l’alkali en acide, et cet acide devient par la quantité et
supériorité du volatil un pur volatil.
On peut voir par-là clairement, et on peut le prouver par
l’expérience, que la terre, pendant le tems que l’acide y agit et y travaille,
attire à soi un acide et le change en alkali; que réciproquement l’acide prend
en soi la terre et s’y tue, s’alkalise et se fixe par où sa force s’émousse, et
se dulcifie au point qu’il ne peut plus corroder ni résoudre.
Mais comme tout acide ne prend pas en soi en une seule fois
autant de terre qu’en la résolvant il puisse tout d’un coup la changer toute en
alkali, il en prend pourtant assez pour s’y corporifier et pour parvenir à une
forme visible et palpable. On peut faire cette expérience de chaque acide; on n’a
qu’à y résoudre en partie une terre quelconque; qu’on verse ce qui est dissous;
qu’on le fasse évaporer au tiers, et qu’on le mette ensuite à la cave, l’acide
se crystallisera; ce qui n’arriveroit pas s’il contenoit trop de terre en soi:
qu’on prenne au contraire la terre restante, que l’acide n’a pas tout-à-fait
résoute; qu’on la fasse sécher et rougir au feu; qu’on la mette dissoudre
ensuite dans de l’eau; qu’on la fasse cuire et évaporer jusqu’au tiers et qu’on
l’expose à l’air; il ne se crystallisera rien ou très-peu de ce qui peut y être
resté de l’acide; mais il se précipitera au fond, sans crystallisation, en
forme de sel que nous appelons alkali.
Nous allons maintenant confirmer et démontrer par la
pratique ce que nous venons de prouver par la théorie, à sçavoir que le volatil
devient un acide et l’acide un alkali, lorsque celui-ci a la supériorité; et réciproquement, que l’alkali devient un
acide et l’acide un volatil; lorsque c’est le volatil qui domine: il n’est
question pour cela que de faire agir ensemble un volatil, un acide et une tête
morte qui ne contienne rien.
Prenez six parties d’esprit-de-vin rectifié à l’épreuve de
la poudre; quatre parties de vinaigre de vin distillé simplement; deux parties
d’eau-forte ou d’esprit de vitriol; mêlez ensemble le vinaigre et l’eau-forte;
versez-les ensuite dans un matras sur trois parties de craie de Cologne ou
autre terre qui ne contienne point de sel et qui soit dépouillée de tout;
versez aussi l’esprit-de-vin dans le matras; mettez-le au bain-marie, après y
avoir adapté son chapiteau à bec et son récipient, afin que ce qui montera
puisse passer dans le récipient; laissez-le digérer et résoudre un jour et une
nuit, ou deux jours et deux nuits dans une chaleur du premier, ou du second
degré; ensuite laissez-le refroidir; versez et séparez bien doucement ce qui
est clair, de la terre qui n’est pas encore entièrement résoute, et que la
terre reste au fond aussi sèche qu’il sera possible; desséchez encore davantage
cette terre et réverbérez-la sous la moufle; ensuite lessivez-la avec de l’eau
de pluie distillée, filtrée; et vous trouverez un peu de sel alkali qui, de
l’acide de l’esprit de vitriol et de celui du vinaigre, s’est fixé en sel alkali;
distillez l’eau claire au bain-marie jusqu’à l’oléosité: de cette manière le volatil
passera, quoique fort affoibli; car l’acide en a fixé une partie en soi: mettez
l’huile en un lieu frais pour la faire crystalliser; vous en aurez un nitre, ou
un sel nitreux, un autre acide et une autre sorte de salpêtre et de vitriol:
nous examinerons à présent ces parties, c’est-à-dire le volatil, l’acide
et la terre ou l’alkali.
L’esprit-de-vin, qui étoit auparavant très-fort et allumoit
la poudre, et qui à présent est foible comme un pur phlegme, prouve clairement
que l’acide a attiré et fixé le volatil de l’esprit de vin.
On voit aussi très-clairement que l’acide a absorbé et
résous en soi une terre ou un alkali; puisqu’il s’est précipité de nouveau avec
eux en un corps: car auparavant il étoit un esprit, une chose résoute, tenant
de la nature de l’eau-forte qui de soi n’avoit point de corps ou de consistance
sèche; mais à présent qu’il a pris en soi de la craie, il représente en partie
la forme du crystal, de nitre ou de vitriol. L’eau-forte ou l’acide, en se
rassasiant de terre et de volatil, s’y est dulcifiée et a pris une forme
moyenne entre le fixe et le volatil prêt à devenir l’un ou l’autre, suivant
qu’il s’y joindra, un homogène fixe ou un homogène volatil. Il a perdu son
corrosif: car il est sans force et doux sur la langue comme un nitre ou sel
commun.
Par la craie réverbérée et par l’alkali qu’on en a tiré par
la lexiviation, on voit encore que la terre a attiré l’acide magnétiquement et
l’a alkalisé; ainsi dans cette expérience le volatil est devenu un acide et
l’acide un alkali.
Maintenant ne prenez qu’une partie de craie avec quatre, six
ou huit parties d’eau-forte et douze parties d’esprit-de-vin, de manière que
l’acide et le volatil puissent résoudre totalement la terre: procédez comme
ci-dessus; vous aurez un résultat tout différent: la terre se changera en
acide, et si vous y cohobez plusieurs fois le volatil, il transmuera l’acide en
sa nature, et ainsi tout sera devenu volatil.
Il y aura peut-être des Lecteurs à qui ces expériences
seront suspectes, parce que les trois principes sont pris dans deux règnes
différens, le végétal et le minéral: mais qu’on les prenne dans un seul règne
et même dans une seule chose, on obtiendra toujours les mêmes effets. Je n’ai
choisi ces expériences pour en tirer mes preuves (car j’aurois pu les tirer de
l’eau de pluie) qu’afin d’enseigner aux Amateurs des procédés plus courts et
plus faciles par lesquels ils pussent s’assurer de la vérité de ma théorie. Ils
en trouveront également la preuve dans les minéraux, dans les végétaux et dans les
animaux, quoique avec un peu plus de difficulté dans les minéraux; mais
cependant ils en viendront à bout, s’ils s’appliquent à bien entendre ce
traité; je les ai mis sur la voie, qu’ils fassent eux-mêmes des expériences;
ils en apprendront plus en voyant les choses par leurs yeux, que par tout ce
que je pourrois leur dire.
Qu’ils considèrent ensuite que, comme la Nature opère dans
les cas particuliers, elle opère de même dans le général; car elle change les universels en
espèces et en individus, suivant l’excès ou le défaut de tel ou tel principe;
et c’est en cela que consistent les différentes qualités de toutes les créatures.
On demandera sans doute pourquoi dans les expériences
ci-dessus j’ai ajouté le vinaigre. Ne suffisoit-il pas de joindre ensemble l’esprit-de-vin comme
volatil, l’eau-forte comme acide, et la craie comme une terre fixe ou sujet alkalin
?
Je l’ai fait pour une raison bien essentielle, dont la connoissance
épargneroit aux Artistes bien des peines, des frais et du tems. On écrit une
quantité de livres; mais la plupart sont pleins de spéculations creuses et amphibologiques; il ne s’en publie
aucun ou très-peu qui indiquent les raisons pour lesquelles on joint telle ou telle chose dans
tel ou tel procédé, ce qui fixe, ce qui volatilise, ce qui coagule, ce qui résout, ni pourquoi cela
arrive; de-là vient que lorsqu’un pauvre apprenti tombe sur les procédés
énigmatiques décrits dans ces livres, il les suit aveuglément jusqu’à ce qu’il
soit convaincu, par le mauvais succès de ses opérations, des grandes fautes
qu’il a faites, sans qu’il en soit pour cela plus instruit, parce qu’il ne sçauroit
en approfondir les raisons. Au lieu que si les sçavans s’attachoient,
principalement dans leurs ouvrages, à donner la vraie raison de chaque procédé
et de chaque effet, fût-ce dans des objets de la plus petite conséquence, ceux
qui s’appliquent à l’étude de la Chymie, seroient eux- mêmes étonnés des
progrès qu’ils y feroient: une raison et une opération bien conçue leur en feroient
découvrir plusieurs autres et ils porteroient bientôt l’Art à son plus haut
point de perfection.
Ainsi, pour ne pas m’écarter de mon sujet, la plupart des
Artistes font usage de l’esprit-de-vin dans toutes leurs opérations; et
cependant sur cent, à peine y en a-t-il un qui sçache ce qu’il est, ni comment
il faut l’employer; tous lui attribuent, avec raison, plusieurs excellentes
propriétés: celle d’extraire le soufre, celle d’adoucir les corrosifs et de
clarifier les sels, celle de corriger et de perfectionner tout l'oeuvre, comme
étant l’essence la plus noble: mais malgré cela, combien y en at-il qui, en
considérant à la fin leur travail, le voient si estropié et si imparfait qu’ils
voudroient ne l’avoir jamais commencé quoiqu’ils se soient servis du meilleur
esprit-de-vin. Quelle est donc la cause de leur peu de succès ? C’est qu’on ne
peut passer d’un extrême à un autre sans un moyen.
L’esprit-de-vin est extrêmement volatil; l’eau-forte, les
sels et la terre sont d’une nature et d’un genre plus fixes, de même que les
huiles et les esprits qu’on en tire, tels que le sel, le nitre, l’alun, le vitriol
et autres sels et minéraux qui sont tous contraires à l’esprit-de-vin; car ils
sont à son égard un extrême; et par cette raison il ne peut, sans répugnance,
se conjoindre ni s’accorder avec eux. En effet, lorsqu’on les verse l’un dans
l’autre, on entend aussi-tôt (sur-tout si l’eau-forte est bonne) un bruit et un
sifflement qui annoncent qu’ils combattent l’un contre l’autre; mais si vous
leur donnez pour médiateur le vinaigre, qui est l’acide, moyen propre et
convenable à l’esprit-de-vin, ils se conjoignent très-facilement et sans la
moindre répugnance; le vinaigre prend en soi l’esprit-de-vin, et le coagule
ensuite très-amiablement avec l’eau-forte; si bien qu’ils en perdent toute leur
acidité, et acquièrent plutôt de la douceur en échange.
Observez bien qu’il n’y a aucun sujet dans la nature des
choses qui n’ait ses principes cachés ou manifestes, que ce soit un sujet
universel ou un individu; et si quelqu’un manquoit de quelque principe, on peut
avoir recours à un homogène semblable, ou à des sujets universels, lesquels s’associent
et s’accordent avec tous les individus et s’y transmuent; comme aussi eu égard
à l’origine, tous les individus sont universels, et s’y confondent dans leur
dernière résolution.
Si donc chaque chose a ses principes, ou qu’au défaut de
quelqu’un d’eux il puisse être remplacé par des choses homogènes, il s’ensuit
qu’elle a un volatil, un acide et un alkali; parmi ces trois l’acide est le
médium ou le moyen de la conjonction en toutes choses.
Il est également certain qu’une chose s’unit très-facilement
avec son semblable; les sels alkalins dans les animaux, végétaux et minéraux,
se mêlent ensemble très-facilement; il est en de même des acides et des
volatils; car l’esprit-de-vin, ou l’esprit ardent des végétaux, et l’esprit
volatil des animaux se conjoignent ensemble très-facilement, de même que leur
esprit moyen, c’est-à-dire l’acide végétal ou vinaigre, et que leurs alkalis;
réciproquement le vinaigre ou l’acide végétal, en qualité homogène, se conjoint
sans nulle opposition avec les acides minéraux, comme sont l’eau-forte, l’esprit
de nitre, de sel, de vitriol, d’alun, de soufre, etc., et il en est de même de
leurs sels fixes.
Mais au contraire, aucun extrême ne s’accorde avec un autre
extrême: par exemple, l’esprit-de-vin rectifié, ou l’esprit animal volatil ne
se conjoignent absolument avec leur sel ou avec leur alkali, que par leur
esprit moyen; ils ne se conjoignent pas non plus, ou très-difficilement, non
sans danger, et très-lentement avec les acides et les alkalis minéraux; mais si
vous y joignez leur médium, dans l’instant ils s’unissent inséparablement et se
tiennent si fort ensemble, qu’il seroit impossible de les séparer sans perte,
ni par le feu ni par l’eau. Si vous versez du vinaigre dans l’esprit-de-vin
rectifié, vous le verrez aussi-tôt s’unir sans aucune répugnance; ajoutez-y
ensuite un alkali, il s’y résoudra très-doucement et s’y conjoindra si bien que
si les deux ou les trois sont dans un poids proportionné, et que vous vouliez
distiller au bain-marie l’esprit-de-vin ou le vinaigre, vous séparerez en leur
place, encore qu’ils eussent été déphlegmés au suprême degré, un pur phlegme insipide;
l’être, l’essence ou le sel volatil de l’esprit s’étant fixé sur l’alkali par
le moyen du vinaigre et par son acidité. Après l’abstraction de toute aquosité,
vous trouverez un sel fixe fusible comme de la cire et sans fumée,
l’esprit-de-vin et le vinaigre ayant été tellement fixés par leurs sels alkalins,
qu’au creuset ouvert, ils fondront comme de la cire, sans fumer.
Je découvrirai ici, à cette occasion, une faute très-essentielle
que font les Chymistes vulgaires, lorsqu’ils veulent acuer l’esprit-de-vin très-rectifié. Ils
le font, suivant la coutume, avec du sel de tartre ou du tartre calciné. Je
demande à présent à un Praticien s’il croit en cela suivre les règles de la Nature.
Certes, il ne les suit nullement; et j’en ai déjà dit la raison plus haut: l’alkali
ou le sel de tartre est un corps fixe, et l’esprit-de-vin est très-volatil; ce
sont les deux extrêmes; ils ne peuvent donc s’unir sans un moyen: aussi ne se
conjoignent-ils jamais, ou si lentement, qu’on y perdroit beaucoup de tems et
de frais. Lorsque l’esprit-de-vin est ajouté à l’alkali, et qu’on le pousse au feu,
il s’envole aussi-tôt en même quantité et laisse son phlegme avec l’alkali, ce
qui le rend plus concentré, plus fort, plus igné, et voilà ce que les Chymistes
vulgaires appellent mal à propos un esprit-de-vin alkalisé ou acué; ils en
usent de même avec le vinaigre, comme je le dirai dans la suite.
J’avoue cependant que l’esprit-de-vin, par une très-grande
quantité de cohobations réitérées, peut se fixer enfin sur l’alkali, ou rendre
l’alkali volatil: mais quel travail d’Hercule ne faut-il pas pour cela!
Ne vaut-il pas mieux, puisque je vois que ces deux ne
s’accommodent point, ou très-difficilement ensemble, que je cherche leur médium
propre qui leur a été ôté, et qui leur manque ? Après avoir trouvé ce moyen, la
conjonction s’en fera tranquillement, même dans un clin d’oeil d’une manière inséparable.
Chymistes, cherchez donc une chose moyenne, et mettez-la
comme un médium entre l’alkali et le volatil, qui sont les deux extrêmes:
laissez-en rassasier l’alkali ou le volatil jusqu’à ce qu’il soit ivre et qu’il
chancelle de côté et d’autre: lorsque l’alkali sera ainsi plein d’acide,
laissez-le boire autant de volatil pour le rendre encore plus ivre; plus il
boira de volatil, mieux ce sera: poussez-les ensuite fortement au feu; l’alkali
s’envolera en haut avec toutes les parties: ajoutez-y encore de son volatil, une
ou deux fois son poids, et distillez-le promptement avec fort feu; vous verrez
que l’acide et l’alkali se seront changés en volatil; et voilà ce qu’on doit
appeler un volatil alkalisé et radical.
Mais j’entrerai dans un plus grand détail, et déclarerai
sincèrement tout le procédé, pour rendre service à ceux qui sont dans l’erreur.
Qu’ils comprennent bien, avant tout, que tous les sujets sublunaires, chacun
dans son espèce, tant dans le règne animal que dans le végétal et minéral, renferment
en eux un volatil, ou une eau subtile et volatile, soit peu ou beaucoup, et de
même un acide ou vinaigre qui passe par l’alembic après le phlegme volatil,
c’est-à-dire un esprit aigre, acéteux, qui tient de la nature de son règne
propre; ensuite un alkali aussi propre à chacun, qu’on tire des résidus après
la réverbération du feu par la lexiviation.
Si donc un Chymiste veut faire un volatil radical ou un
acide radical, qu’il prenne les propres principes de chaque individu, et au défaut de l’un ou de
l’autre, qu’il en prenne d’homogènes: qu’il mette une partie d’alkali pur dans
une retorte; qu’il verse dessus trois parties de son acide; qu’il distille au
petit feu de cendres ou au bain-marie: l’acide passera très-foible comme un
phlegme, quand même il auroit été aussi fort que l’eau-forte; car l’alkali a
retenu avec soi, et fixé en soi ce qu’il avoit d’acidité: après cela qu’on y
ajoute de nouveau trois parties d’acide propre: qu’on répète la même opération;
il passera encore très-foible, et l’alkali commencera à être plein et rassasié:
versez-y encore pour la troisième fois trois parties du même acide; plus vous
en mettrez et mieux ce sera: distillez-le au bain-marie par degrés, jusqu’à
consistance huileuse; l’alkali y restera dissous et sera pour lors ivre et
chancelant. On réitère ces infusions d’acide jusqu’à ce que l’acide passe dégagé
de tout phlegme et aussi fort qu’il y a été mis, ce qui arrivera à la
quatrième, à la troisième et quelquefois à la seconde opération. Lorsque
l’acide est joint avec l’alkali, et qu’il est avec lui en forme d’huile, les
deux principes y sont joints ensemble. Par-là un Chymiste voit comment un principe
prend l’autre très-doucement et le retient très-fortement, tandis qu’il chasse
au dehors son hétérogène, c’est-à-dire son humidité superflue, ou son
phlegme. Vous avez donc par cette opération un acide radical.
Si maintenant vous voulez en faire un volatil radical,
ajoutez-y encore six parties de vinaigre nouveau, et faites-le passer par la
retorte avec quelques cohobations, ce vinaigre deviendra aussi un acide
radical.
Alors mêlez-y sept parties de volatil; ils s’uniront très-amicalement,
sans bruit ni aucune discorde: faites-les passer ensemble; et après que tout
sera passé, ajoutez-y de nouveau du volatil frais et très rectifié; faites-le
passer encore et répétez une troisième fois: par ce moyen le volatil sera rendu
radical, suivant la propre règle de la Nature, et on pourra l’appeler avec
justice une quintessence, ou un magistère de la Nature, puisque tous les
principes y sont réunis en un, où le supérieur est conjoint avec l’inférieur,
et par ce moyen on a, suivant Hermès, une force unie. Il y en a qui prennent de
cet alkali imprégné avec le vinaigre distillé, une partie, à laquelle ils
ajoutent quatre parties de cailloux calcinés, les mêlent bien ensemble, et les
distillent dans une retorte de verre, donnant au commencement pendant deux
heures un très-petit feu; ensuite ils l’augmentent jusqu’à ce que la flamme
entoure la retorte, et continuent ce feu jusqu’à ce que le sel de tartre soit
passé avec l’esprit de vinaigre, en forme de brouillard ou d’esprit.
Un Chymiste voit ici la vérité de l’axiome qui dit que la
Nature se réjouit dans la Nature; que la Nature embrasse la Nature, et que la
Nature surmonte la Nature. Si un Artiste prenoit l’inverse de ce procédé de
manière que le fixe ou l’alkali est la supériorité sur l’acide et le volatil,
il en feroit un sel fixe ou un crystal fixe qui se fondroit dans le feu, comme
du beurre, et seroit une quintessence coagulée et fixée, tout comme cette
première est une quintessence liquide volatile: de cette manière il pourra
rétrograder et avancer, comme il voudra, pour changer l’un en l’autre. L’Amateur
en trouvera le procédé dans la seconde partie de ce traité, où nous
enseignerons comment l’on peut séparer et rejoindre les principes de tous les
individus, et comment l’un doit être changé en l’autre.
Venons à présent à la façon ordinaire avec laquelle on a
coutume d’acuer le vinaigre. On prend une livre et un quart de sel de tartre et
une livre de vinaigre qu’on distille dessus, et il est fait. Qu’on examine à
présent ce vinaigre: l’on sçait que le vinaigre, distillé tout simplement, n’a
pas beaucoup de force; mais ici il la perd tout-à-fait, parce que le sel de
tartre retient et fixe en soi le peu qui lui en resteroit: ainsi il ne passe
qu’un pur phlegme au lieu d’un véritable vinaigre acué et radical qu’on cherchoit;
et encore qu’on recohobât et distillât ce vinaigre dix fois sur le sel de
tartre, il perdroit toujours sa force de plus en plus, et diminueroit en
quantité; ce qui fait un travail inutile. Le sel de tartre retient avec soi
l’acide du vinaigre, et en devient un sel fusible qui se fond à la chaleur de
la lumière d’une chandelle: ils osent cependant appeler cela un vinaigre
radical; mais ils expérimentent bien eux-mêmes quelles extractions ils font
avec lui. Il en arrive la même chose, lorsqu’ils distillent le vinaigre sur le
sel armoniac, sans qu’il ait rien perdu de son odeur. Le mauvais succès de
leurs opérations vient de ce qu’ils ne sçauroient trouver par leurs réflexions
un moyen qui puisse les aider; mais ils aiment mieux s’en prendre à l’Art
qu’ils décrient comme faux et trompeur.
La plupart distillent le vinaigre dans un matras par l’alembic:
de cette façon il n’y a que l’esprit, le plus subtil volatil du vinaigre, qui passe
avec son phlegme. Plusieurs s’en servent pour toutes leurs opérations; mais il
est si foible qu’il fait sur la langue l’impression d’un pur phlegme, avec
cette différence seulement qu’il a encore un peu le goût de vinaigre qui fait connoître
que c’est quelque chose qui en a été tiré. S’ils le poussent plus fort et par
la retorte, ils en tirent un vinaigre plus fort; mais qui a la mauvaise odeur
de l’huile, ou qui sent l’empyreume: alors ils le jettent, ou ils sont obligés
d’ôter cette odeur par quantité de rectifications. S’ils y réussissent, ils lui
ôtent en même tems sa force; et alors il ne vaut plus rien du tout.
Je veux bien leur prêter la main et leur enseigner quelques
manipulations qui, avec la réflexion, pourront les conduire à d’autres encore
meilleures et moins longues; car à l’égard des manipulations les plus nobles,
par lesquelles on peut distiller ensemble en une seule fois un véritable
vinaigre acué, aigre et clair, d’une odeur agréable en son genre et sans
empyreume, elles ne sont pas pour le vulgaire. Ceci s’appelle Don de Dieu, la Pandore par laquelle tout
l’Art s’est manifesté. On peut pourtant en donner une idée par des exemples
dont un esprit pénétrant pourra s’aider bientôt.
Si donc vous voulez distiller un vinaigre très-fort, clair,
sans empyreume, il faut prendre un sujet qui retienne et attire son huile
fétide, et qui ne laisse passer que l’acide avec le phlegme: de cette manière
le vinaigre passera clair et sera rectifié en une seule fois, sans empyreume,
et l’on pourra en avoir plusieurs pintes, au lieu que, sans cela, à peine en
pourra-t-on tirer une quatrième partie. Il y a plusieurs sujets qui retiennent
cette huile, tels que la chaux vive, le caput
mortuum de l’eau forte, le colcotar du vitriol, le minium, les cendres du
bois: prenez donc un de ces sujets, lequel vous voudrez, l’un est pourtant
meilleur que l’autre, comme vous le verrez par l’expérience; prenez-en une
livre, et du plus fort vinaigre une ou deux pintes: mettez l’addition
pulvérisée dans une grande retorte proportionnée: versez dessus le vinaigre, et
distillez au sable ou aux cendres, par degrés, tout ce qui veut passer, et à la
fin forcez le feu pour faire monter les esprits aigres qui fortifient beaucoup
le vinaigre: de cette manière vous aurez en une seule fois du vinaigre clair
qu’il faut ensuite acuer par différens sels. Si cependant il étoit passé
quelque peu d’huile, il faudroit le recohober et le distiller encore une fois;
alors il sera en état de pouvoir être acué. On peut le faire de plusieurs
manières, comme avec le sel commun, avec le marc de vin, avec le sel armoniac,
avec le sel de tartre et la potasse, avec l’esprit de nitre, de sel, de vitriol
ou du soufre. Toutes ne sont pas également bonnes; cependant vous pouvez
choisir celle que vous voudrez pour acuer ce vinaigre, et il fera un effet
excellent qu’il n’est pas permis de mettre au jour.
Si vous voulez l’acuer avec du marc de vin qui est rempli
d’huile, il faut y ajouter, comme nous l’avons dit ci-dessus, un sujet qui
retienne l’huile; alors il n’y aura que le sel volatil qui passera avec le
vinaigre, en quoi consiste tout le secret de l’acuation du vinaigre.
Si vous voulez prendre le sel de tartre, la potasse ou le
sel armoniac, il faut également y joindre un sujet, par le moyen duquel le
vinaigre puisse être imprégné de leur esprit: ce sujet sera la terre glaise, ou
le bolus, ou l’hématite, le crayon rouge, le minium, le tripoli, etc. Vous
pouvez aussi faire des susdits sels une composition, et mêler ensemble ce sel
avec le sel de tartre ou le sel armoniac, ou tous les trois ensemble, et
distiller dessus le vinaigre jusqu’à siccité.
Je donnerai ici la recette d’un autre vinaigre acué, qui
doit être meilleur que le vinaigre radical dont on se sert communément depuis
tant d’années. Prenez trois parties de sel de tartre, deux parties d’esprit-de-sel
et huit ou dix parties de vinaigre distillé: mêlez ensemble le vinaigre et
l’esprit-de-sel: mettez le sel de tartre dans une retorte: versez dessus le
mélange de vinaigre et de l’esprit-de-sel, et distillez au sable jusqu’à
siccité: retirez le sel de tartre de la retorte: ajoutez-y deux parties d’alun
calciné: remettez-le dans la retorte: reversez ce que vous avez distillé, et
faites-le distiller de nouveau par le quatrième degré; vous aurez un vinaigre
radical qui en une seule fois fera autant d’effet qu’en feroit en cent celui
dont on se sert communément; retirez le caput
mortuum de la retorte; et s’il s’y trouve encore du sel de tartre,
recohobez et distillez encore une fois ou deux, ou jusqu’à ce que tout le sel
de tartre ait passé; alors il est parfait.
Je fais joindre ensemble et avec raison les acides et les alkalis.
Si vous savez en quoi consiste leur différence, vous n’avez pas besoin que je
vous en dise davantage. Les acides sont des sujets qui ont plus de subtilité
que les alkalis; car les acides n’ont pas résous en eux autant de terre que les
alkalis: c’est ce qui fait toute leur différence; car d’ailleurs ils sont
égaux, et viennent d’une même mère et d’une même origine; le plus ou le moins
de volatilité ou de fixité fait toute leur différence.
Par-là je veux faire connoître que, pour résoudre des choses
fixes, il faut un esprit terrestre, fixe et alkalisé; au lieu que, pour
résoudre des choses volatiles, et qui ne sont pas liées si fortement, il faut un
esprit volatil, comme l’esprit-de-vin. Faites bien attention à l’homogénéité,
car le semblable se réjouit dans son semblable. Les animaux et les métaux
demandent un esprit homogène, comme nous le démontrerons plus bas.
Le vinaigre est un sujet végétal et foible; par cette raison
il faut le fortifier, afin qu’il puisse attaquer avec une force double qui lui
vient de ce qu’on lui ajoute, ce qui est trop fort pour lui dans sa nature.
Le point essentiel qui justifie l’emploi du vinaigre, c’est
parce qu’il amollit et adoucit tous les corrosifs qui sont dangereux pour la santé des hommes: sans
cela on pourroit bien s’en passer; car l’eau forte, l’esprit de nitre, de sel,
de vitriol et de soufre, dissolvent tous les sujets quelconques sans le
vinaigre ; mais le vinaigre tempère leurs corrosifs, et les rend agréables à
toute la Nature.
On voit aussi que les minéraux ont à la vérité leur volatil;
mais qu’il est contraire à celui des autres règnes: c’est pourquoi on leur
prête un volatil du règne végétal, comme étant celui qui a plus d’affinité avec
le leur, ou bien le volatil d’un sujet universel; car un Chymiste n’est pas
obligé de se servir absolument d’un volatil végétal; il le peut tirer aussi
bien de la neige et de la pluie, et il fera le même effet; mais comme il se
fait de l’esprit-de-vin en grande quantité, on s’en sert pour cela afin
d’éviter bien des embarras.
Nous disons encore que chaque règne porte en lui son propre
dissolvant, et qu’il a de même ses principes; et au cas qu’il en manquât
quelqu’un, on en peut tirer en quantité des universels qui s’accordent et
s’associent avec toutes les natures, comme, par exemple, de l’eau chaotique régénérée, ou de la pluie, de la rosée, de la neige, etc.,
dont, en cas de besoin, on peut tirer un volatil en quantité. Si l’on manquoit d’acide ou d’alkali,
le nitre est l’acide universel, et le sel l’alkali universel; lorsqu’on en tire les esprits par la
distillation, ils fournissent un esprit acide et un alkali, qui, suivant
l’application qu’on en fait, se rend homogène à toute la Nature.
Ceux qui conçoivent, comme nous l’avons assez expliqué plus
haut, que les animaux, les végétaux et les minéraux n’ont dans leur centre
aucune différence, qu’ils sont essentiellement une même chose et qu’ils sont
seulement distincts à raison de leur fermentation, d’où il résulte le plus ou
le moins de volatilité et de fixité, ne sont point embarrassés: si l’un ne les
accommode pas, ils prennent celui qui lui est le plus proche, qui lui est
semblable et homogène.
Par-là il est prouvé que le volatil devient acide, et
l’acide alkali, que l’alkali devient acide par l’acide, et l’acide volatil par le volatil; l’un est
l’aimant de l’autre; l’un doit être transmué par l’autre, puisque, si je prends beaucoup de volatil et peu
d’acide, le volatil surmonte l’acide, et l’acide devient volatil; si je prends beaucoup d’acide et
peu d’alkali, l’acide domine l’alkali, et l’alkali devient acide; et au
contraire si je prends beaucoup d’alkali et peu d’acide, l’alkali est supérieur
à l’acide, et l’acide devient un alkali; de même si je prends beaucoup d’acide
et peu de volatil, l’acide l’emporte sur le volatil, et le volatil devient
acide; le plus fort assujettit d’abord le plus foible, comme nous l’avons
montré en général en parlant de la putréfaction et de ce qu’elle opère; car
c’est elle qui rend le fixe volatil, et le volatil fixe; qui fait d’un volatil
un acide, et de celui-ci un alkali, et au contraire, d’un alkali un acide, et
de celui-ci de nouveau un volatil, c’est-à-dire, qu’elle le réduit à sa
première matière, et le ramène à son origine. Comme la putréfaction nous a
manifesté jusqu’ici le volatil et le fixe, l’acide et l’alkali; nous
examinerons à présent ce que c’est que le volatil, l’acide et l’alkali, tant en
général qu’en particulier.
Ce que c’est que le volatil,
l’acide et l’alkali, tant en général qu’en particulier.
Dans le chapitre précédent nous avons dit comment le volatil
devient un acide, et celui-ci un alkali, principalement et généralement du
chaos régénéré, ou de l’eau de pluie, etc. Nous expliquerons à présent ce que
c’est que ces matières. Tout le monde sçait ce que signifie le terme de
volatil, c’est-à-dire une substance fugitive; nous l’appelons ainsi parce que
c’est la substance ou l’eau la plus subtile et la plus volatile dans toutes les
choses, aussi bien dans les universels que dans les particuliers; car, dans
l’analyse par le feu, c’est celle qu’on obtient la première et avant les autres
principes, soit qu’elle vienne en forme liquide ou coagulée.
L’acide est ainsi nommé, parce qu’il monte après le volatil,
et qu’il porte ordinairement, au nez et sur la langue, une odeur et un goût
aigre; nous avons prouvé que, dans les universels, c’est le nitre, soit qu’il
soit coagulé ou en forme d’esprit; cet acide s’appelle aussi une chose
mitoyenne, un hermaphrodite, une nature moyenne entre le volatil et l’alkali,
entre le volatil et le fixe, et cela parce que cette partie ou ce principe se
montre toujours dans les sujets universels après le volatil et avant l’alkali,
et se trouve ainsi au milieu d’eux. Il a aussi la propriété de la Nature
moyenne; car il s’associe très-aisément au volatil, et s’attache de même à l’alkali
auquel on le joint; sans cette nature moyenne, aucun volatil ne devient fixe,
et par elle le volatil et le fixe sont contraints de s’ajuster, de s’arranger
et de s’accommoder ensemble comme par un tiers arbitre et médiateur. Qui néglige
ces observations, deviendra sage à ses dépens.
Nous donnons à l’alkali et au fixe ce nom, parce qu’il est
plus constant dans le feu que les précédens, et qu’il est le troisième et
dernier principe dans toutes choses. Qu’il paroisse à nos yeux dans une forme
coagulée ou spiritueuse, liquide ou sèche, s’il fait connoître un effet alkalin,
il s’appelle toujours alkali ou sel alkalin. Encore que par la distillation on
le fasse monter en forme d’esprit, on peut toujours, avec un fixe semblable à
lui, le refixer dans le moment. Nous allons montrer à présent ce que sont le
volatil, l’acide et l’alkali, parce qu’ils sont les parties principales qui
exécutent et font toutes les opérations dans les universels et dans les
individus.
Dans les universels, qui sont la rosée, la pluie, la neige,
la grêle, les frimats, etc., le volatil est dans son analyse et distillation,
après y avoir fait précéder la putréfaction, une eau très-subtile, claire et transparente,
sans goût et volatile, laquelle, en continuant la distillation, est suivie de
plus en plus et immédiatement d’une eau plus grossière et plus pesante; après
cette eau, suit l’acide avec son goût aigre; après lui vient une huile épaisse
et fétide qui appartient aussi à l’acide; car l’acide est une huile étendue, et
l’huile est un acide condensé: l’huile peut aussi, lorsqu’on la mêle et
distille avec de la craie ou du colcotar, se résoudre en acide; après cela il
ne vient plus rien; mais il reste au fond une substance noire et brûlée en
charbon, que les Chymistes appellent vulgairement caput mortuum; lorsqu’on
le réduit en cendres, par la calcination, il se sépare en deux, c’est-à-dire en
cendres et en sel qu’on appelle sel alkali; mais les cendres appartiennent
aussi à l’alkali; car des cendres et de l’alkali on fait un sujet qui résiste
au feu, c’est-à-dire un verre; les cendres sont la partie la plus fixe de
chaque sujet, et ensuite le sel.
En distillant les animaux après leur putréfaction, la
première chose qui monte ordinairement, c’est un esprit et un sel volatil très-fort,
très-volatil, fétide et très-pénétrant, accompagné de phlegme; et souvent,
lorsqu’on pousse fort le feu, l’esprit entraîne avec soi une huile volatile: ce
sont ces choses qu’on appelle ordinairement volatil dans les animaux. En
continuant la distillation, suit un phlegme plus grossier, et ensuite un esprit
ou acide animal très-aigre et très-puant; après cela vient son huile fétide que
nous appelons acide. Après tout il reste au fond le charbon ou les parties alkalines,
desquelles on tire au réverbère le sel alkali et les cendres.
Les végétaux donnent dans la distillation, après leur
fermentation, un esprit volatil brûlant, avec son phlegme, et souvent une huile
subtile, qui est le volatil des végétaux; ensuite vient un phlegme plus grossier;
après cela un véritable vinaigre et une huile épaisse, fétide, qui est l’acide;
au fond il reste une matière brûlée ou charbon, qui, par le réverbère, se
sépare en cendre et en sel: c’est l’alkali végétal.
Les minéraux, lorsqu’on les distille d’abord qu’ils sont
tirés des minières, donnent quelque peu d’eau douce et phlegmatique, et un
esprit aigre: c’est le volatil minéral; ensuite vient une vapeur aigre que les Chymistes
appellent communément l’huile, comme ils appellent la première eau esprit: cette
vapeur est l’acide, qui est le deuxième principe; quoique cette huile, ainsi
que l’esprit, soient deux acides, les Chymistes ne laissent pas de les
distinguer par des termes différens, suivant la diversité de leurs qualités. A
la fin, les résidus qui demeurent au fond, sont une terre d’une couleur différente
suivant la nature du minéral; cette terre se sépare par le réverbère en deux
parties, en terre et en sel, ce qui fait la partie alkaline des minéraux.
Jusqu’ici nous avons examiné en général de quoi et comment
le vaste univers a pris son origine, quels ont été ses principes au
commencement, et en quelles parties ils se sont ensuite séparés; combien il y
en a, et comment ils se sont diversifiés dans les différens règnes; ce qu’ils
opèrent; quel est leur but et leur fin. Nous descendrons maintenant aux espèces
et aux individus, comme du plus grand au plus petit, et nous examinerons
également leur naissance et leur origine, leurs moyens et leurs fins, c’est à
dire que nous considérerons en détail les principes des animaux, végétaux et minéraux,
et nous destinerons à chaque règne un chapitre à part pour en faire l’examen.
Comment naissent les animaux,
de quels principes ils sont composés, et en quoi ils se résolvent.
Arbre de génération des animaux
1. - Sperme mucilagineux
masculin et féminin, ou guhr animal.
2. - Formation liquoreuse et crystalline
de l’enfant.
3. - Formation membraneuse de
l’enfant.
4. - Formation musculaire et
tendineuse de l’enfant.
5. - Formation cartilagineuse
de l’enfant.
6. - Formation osseuse de
l’enfant.
7. - Endurcissement d’un jeune enfant, d’un adolescent,
d’un homme, d’un vieillard.
Dans ce chapitre nous ne ferons mention que des animaux
parfaits.
Tous les animaux parfaits sont procréés par un mouvement, au
moyen duquel la semence est irritée ou provoquée et poussée au dehors en forme
d’une matière visqueuse, comme de la glaire, qui coule dans sa matrice
convenable, où la semence féminine se présente aussi pour produire son semblable:
cette semence n’est qu’une eau épaisse, et peut-être à juste titre appelée le guhr animal.
Il est aisé de comprendre par-là que le règne animal tire sa
naissance d’une eau ou d’une substance glaireuse et aqueuse. Il est nourri dans
la matrice d’une substance aqueuse et succulente, provenant du sang; et aussi-tôt
qu’il est né, il se nourrit de nourritures humides, animales et végétales, lesquelles
il change, par son propre archée, en chair, en sang, en peau et en os; il en
prend son accroissement et l’entretien de sa vie jusqu’au terme fixé par la
Nature; pour lors il meurt, pourrit sur la terre, se change en suc, en glaire
et en écume, et devient une substance gluante et aqueuse; cette humidité se
glisse dans la terre vers les végétaux, et devient leur nourriture en
s’assimilant à eux, tout comme auparavant les végétaux servoient de nourriture
aux animaux: ainsi il en croît d’autres végétaux qui servent de nouveau de
nourriture aux animaux; car comme l’animal, par sa dissolution et pourriture, a
été entièrement changé en un végétal; de même ce qui en a pris son accroissement,
se change de nouveau en animal, comme nous l’avons assez démontré ailleurs.
Aussi-tôt que les semences masculine et féminine sont
coulées ensemble dans la matrice, elles forment sur leur surface extérieure une peau délicate qui
renferme en dedans une humidité crystalline et très-claire, autant et même plus claire que
le crystal: dans cette humidité il se coagule une petite boulette, une perle
comme un petit oeil de poisson; celle-ci se nourrit de plus en plus de cette
humidité crystalline, et elle devient enfin un tronc ou corps formé et
membraneux; ensuite il acquiert de la chair, des veines et des nerfs; après
cela il commence à se durcir en cartilages et en os mous; enfin après qu’il est
né, ces cartilages deviennent des os durs; d’enfant il devient adolescent; d’adolescent
un jeune homme; de jeune homme un homme fait; d’homme fait un vieillard qui
enfin meurt: voilà en peu de mots ce que c’est que la naissance, destruction,
transmutation et régénération des animaux en une autre chose; c’est-à-dire,
l’animal pourri renaît en un végétal, et celui-ci se change en animal, comme
nous l’avons dit ci-dessus. L’analyse par le feu nous fait connoître que leur
être substantiel consiste en beaucoup de parties volatiles, en moins d’acides
et très-peu d’alkali ou de parties fixes.
Que la chose soit ainsi, nous ne le voyons pas seulement par
l’analyse; mais nous voyons aussi que tous les animaux sont volatils, alertes,
prompts, agiles et plus mobiles que les végétaux et les minéraux. Il faut donc
nécessairement qu’un animal ait en soi un esprit plus prompt, plus volatil et plus
mobile qu’eux; sans cela il ne pourroit pas se mouvoir dans tous ses membres;
or, cet esprit est le volatil dont les animaux sont pourvus abondamment en
comparaison des végétaux et des minéraux, comme le prouve leur agilité et leur
propre mouvement. Si les animaux avoient une aussi grande quantité d’acide que
les végétaux et les minéraux, ils demeureroient immobiles comme eux; car
l’acide est styptique, comprimant, astringent, coagulant; comme on le voit dans
les personnes paralysées et dans les animaux renfermés dans des écailles, tels
que les escargots, les tortues et toutes les espèces d’écrevisses qui ne
peuvent se mouvoir ni marcher de tout côté aussi vite que d’autres animaux.
C’est ainsi que tous les animaux ont, l’un plus, l’autre moins d’esprit
volatil; que l’un est plus agile que l’autre; comme on l’observe aussi
dans les oiseaux et dans les quadrupèdes.
La même différence se voit dans les animaux testacés et non
testacés, entre les grands animaux non testacés, etc.
Plus l’esprit qu’un animal a en soi est volatil, plus sa vie
est foible et courte; comme on le voit dans les petits oiseaux que le souffle
d’un petit vent est capable de faire mourir. Plus l’esprit est constant, plus
la vie est durable; comme on le voit dans les corbeaux, les cerfs, les hommes
et les éléphans. Il y a encore une autre cause de la brièveté de la vie, c’est
une trop grande aquosité et humidité. Là où il y a peu d’humidité, et au
contraire beaucoup d’esprit et de substance, là il y a une vie durable; parce
que l’esprit est la vie et le baume, ce qu’on ne peut pas attribuer à l’eau; c’est
pourquoi l’exercice est très-salutaire; il faut mouvoir, échauffer tous les membres
qui transpirent continuellement et qui poussent au dehors l’aquosité superflue,
d’une manière visible et invisible, sensible ou insensible.
Tous les végétaux qui sont d’une nature sèche et non humide,
sont une nourriture saine et propre pour conserver une longue vie, ainsi que
les animaux qui sont dans un mouvement continuel, comme le gibier, sur-tout
celui qui a des plumes et une chair sèche.
Aussi-tôt que la vie, qui n’est autre chose qu’une lumière
céleste et astrale qui enflamme l’esprit de vie, et qui le pousse à agir, est
éteinte, l’animal tombe, meurt et commence immédiatement après à pourrir, avec
cette différence cependant que, s’il est gras, mou et aqueux, il pourrit plus
tôt que celui qui est sec et dur; c’est ce qui se voit chez les poissons et
chez tout ce qui est de leur genre; parce qu’ils ont peu d’esprits vitaux et
beaucoup d’humidité, ils pourrissent très-promptement et retournent à leur
première matière.
Que le Lecteur y fasse bien attention: c’est l’esprit qui
opère et qui agit, et non l’eau. Plus l’esprit est fort et en quantité dans un
animal et moins il a d’eau, plus il est alerte et vivace; si l’animal a beaucoup
d’eau, l’esprit animal devient moins actif, paresseux et endormi. Il faut
cependant que l’esprit ait de l’eau, par le moyen de laquelle il doit tout
opérer: car sans eau il ne peut rien faire; mais il faut qu’elle soit dans une
quantité proportionnée; qu’il n’y en ait ni trop ni trop peu; c’est ce qu’il
faut observer non-seulement dans le règne animal, mais aussi dans le règne
végétal et dans le minéral; parce que le commencement et l’origine de toutes
choses n’étoit qu’esprit et eau, et que l’esprit a commencé à opérer dans l’eau
et à accomplir, par le commandement de son Créateur, tout ce qui est visible et
invisible dans le ciel et sur la terre.
De cette manière un esprit individué forme dans l’animal,
par le moyen de l’eau, le sang, la chair, la peau, les os et tous les membres
du corps, les rend durs et mous, suivant la propriété que le Créateur lui a
donnée. On voit aussi dans la destruction des corps que ce même esprit qui les
a fait par l’eau, les réduit par le même moyen en fumier, en une matière
aqueuse, enfin en une eau et en un esprit comme il étoit au commencement.
Par ce que je viens de dire le Lecteur voit quel est le
principe qui engendre et détruit le règne animal, ce que celui-ci devient à la
fin, de quoi il est formé et ce qu’il est.
Le point essentiel de ce chapitre, qu’un Artiste doit
considérer avec la plus grande attention et avoir continuellement sous ses
yeux, c’est la volatilité et la promptitude de la putréfaction dans le règne animal;
puisqu’on voit que lorsqu’un animal est mort, il commence, sur-tout dans les
grandes chaleurs, à pourrir en peu d’heures, et qu’il exhale une si mauvaise
odeur qu’on ne sçauroit se tenir auprès sans préjudicier à sa santé: la cause
de cette putréfaction est l’esprit et le sel volatil qui s’y trouvent en
quantité.
Un Chymiste qui réfléchiroit sérieusement sur ce que nous
venons de dire, y trouveroit un avantage considérable pour accélérer ses
opérations; il n’y a point de Chymiste qui ne prétende sçavoir analyser toutes
choses: cependant combien n’y en a-t-il pas qui s’égarent et qui se cassent la
tête pour pousser leurs sujets à la putréfaction et à la solution ? Que de
milliers de menstrues et de dissolvans n’inventent-ils point sans en tirer
aucun succès ! Livrés à leurs erreurs, ils dépensent leur argent sans fruit,
perdent leur tems et la matière qu’ils emploient, commencent à maudire l’Art et
ses procédés, comme s’ils n’étoient propres qu’à faire illusion.
Pour ne pas tomber dans ce cas, il faut bien étudier le
règne animal, et travailler non-seulement de tête, mais aussi se rendre habile
dans les différentes manipulations.
Nous avons dit qu’il étoit impossible de faire aucune
analyse naturelle autrement que par la putréfaction. Cherchez donc, et approfondissez le fondement
et la cause de toute putréfaction: ce règne-ci vous offre un vaste champ pour
travailler. Si les animaux quadrupèdes et ceux qui vivent sur la terre
pourrissent promptement, ceux qui vivent dans l’eau pourrissent encore plus
vite; si ceux qui vivent sur la terre puent beaucoup, ceux qui vivent dans
l’eau donnent, lorsqu’ils pourrissent, une puanteur si insupportable qu’on ne sçauroit
y tenir, comme on le voit par les poissons et les écrevisses pourris. Bien des
Artistes travaillent à leurs putréfactions et solutions plusieurs mois,
quelquefois des années entières; et lorsque ce tems est passé, il n’en paroît
pas le moindre vestige, sur-tout lorsqu’il s’agit des minéraux; c’est pourquoi,
si votre oeuvre ne veut pas pourrir, recourez au règne animal; vous y verrez
que les animaux y pourrissent en peu de tems; et comme ils pourrissent
promptement, ils communiquent aussi la pourriture aux choses auxquelles on les
applique.
Considérez bien ce point; c’est en cela que consiste la
pierre angulaire et fondamentale de tout l’Art chimique, la clef qui a la
puissance d’ouvrir les plus fortes serrures de la Nature, et qui fait voler
tous les métaux et les pierres par-dessus les plus hautes montagnes des Sages.
Qu’on réfléchisse bien sur ce fondement, et on verra qu’on
peut abréger le tems; que ce qu’on a fait dans une année, on peut le faire dans
un mois; que l’ouvrage d’un mois peut être achevé en une semaine, et celui
d’une semaine en peu de jours et en peu d’heures. Faites encore bien attention
que ce règne, sans le végétal, fait très-peu ou point d’effet dans le règne
minéral, que même il opère d’une manière contraire, et que le règne animal,
sans le végétal, rend le règne minéral si fade qu’on n’en tire aucune
satisfaction ni douceur chimique; au lieu qu’en y joignant le végétal, il opère
très agréablement dans le règne minéral.
Que cela suffise pour le présent: tournons-nous maintenant
vers le règne végétal.
Comment naissent les végétaux;
de quels principes ils sont composés, et en quoi ils se résolvent.
Arbre de génération des
végétaux
1. - La semence sèche qui se
résout ensuite dans la terre en un mucilage aqueux, ou le guhr
végétal.
2. - Formation de la racine.
3. - Formation de la tige et
des feuilles rameuses.
4. - Formation des fleurs.
5. - Formation de la semence
molle dans les noeuds, lorsque les fleurs se nouent pour former
la semence.
6. - Formation et
endurcissement de la semence, et sa parfaite coagulation.
Ce règne n’est pas moins rempli de merveilles que le
premier; il peut être appelé à juste titre le règne sucré et doux, quoiqu’il
ait des individus aussi amers que ceux du règne animal; car il a la propriété
d’adoucir, en peu d’heures, les choses les plus amères et de rendre les poisons
les plus pernicieux et les plus corrosifs aussi innocens et aussi doux que le
sucre et le miel. Il ne sçauroit cependant le faire sans le règne animal, parce
que l’un lie et oblige l’autre.
Le règne animal doit prendre sa nourriture et l’entretien de
sa vie du végétal; et au contraire le règne végétal est engraissé et nourri par les excrémens de
l’autre et par ses corps morts: ainsi l’un entretient l’autre. Qu’un Artiste y
fasse la même attention qu’à ce qui a précédé.
D’un autre côté ce règne est un vrai hermaphrodite, et un
vrai Janus, qui n’est ni animal ni minéral, mais participant de tous les deux:
d’un oeil il regarde l’animal, de l’autre le minéral; et il peut devenir aussi facilement
animal que minéral, suivant que la Nature ou l’Art entreprennent le procédé de
sa transmutation. Il s’associe intimement avec le premier et avec le dernier,
c’est-à-dire avec le règne animal et avec le minéral; il y a même une pente
naturelle: car ne voit-on pas que les plantes et les arbres se changent en
vers, et qu’ainsi ils acquièrent de la vie ? Ne voit-on pas aussi que plusieurs
arbres se pétrifient, principalement ceux qui croissent et qui sont plantés
dans l’eau, sur-tout dans la mer, qui est beaucoup salée ?
Tous les végétaux naissent de leur propre semence ou de
celle qu’ils reçoivent de l’influence des arbres, et improprement par la
conjonction des greffes qui sont déjà une semence sortie de l’arbre.
Nous parlerons ici de la première matière des végétaux,
c’est-à-dire de leur semence propre, pour nous faire mieux entendre de ceux qui
ne sont pas encore bien avancés dans l’étude de la Nature.
Aussi-tôt que la semence est mise dans la terre qui est
humide, nitreuse et salée, comme nous l’avons prouvé ci-dessus, elle s’y humecte par l’eau, ou par
la terre, ou par la pluie, etc. Etant ainsi humectée et résoute par les sels,
elle s’enfle, crève et se fond en eau laiteuse et glaireuse, comme on le voit
par les semences qu’on fait tremper dans une eau semblable de salpêtre et de
sel, où elles se gonflent, crèvent et deviennent de la glaire. Cette glaire est
donc la première matière immédiate de chaque végétal, et on peut l’appeler guhr végétal. Ce suc végétal ou ce guhr s’échauffe par la chaleur centrale,
et par celle du soleil, il commence à exhaler jusque par-dessus la terre. Le
plus subtil s’évapore dans l’air et dans le chaos; le reste, qui n’est pas si
volatil, et dont les parties sont naturellement plus tenaces et liées ensemble,
se coagule par le froid de l’air en une racine et une tige, avec des feuilles
subtiles, tendres et molles. La partie plus fixe devient racine; celle qui
n’est pas si fixe devient tige, et celle qui est encore plus volatile devient
feuilles; mais le tout est dans son commencement mou, tendre, plein d’humidité,
et par conséquent foible. La racine est l’estomac du végétal, qui attire sa
nourriture de la terre et de la pluie survenante, au moyen de l’air qui fournit
aussi la nourriture à la plante, jusqu’à ce qu’elle devienne forte ou un arbre.
Suivant tous les examens analytiques, cette nourriture n’est
autre chose que la terre et l’eau qui y est cachée. La terre reçoit en elle les
vapeurs souterraines qui, de son centre, comme du règne universel, s’élèvent
jusqu’à la circonférence, et de-là sur la superficie de la terre; et l’eau
contient en elle les deux spermes universels, c’est-à-dire le sel et le nitre.
Il y a pourtant plus de sel que de salpêtre; parce qu’il est l’aimant qui doit
attirer l’humidité nutritive d’en bas et d’en haut. Ces sels sont sans cesse
engendrés de la pluie, de la rosée, de la neige, etc., comme nous l’avons dit
ci-dessus, ainsi que des vapeurs souterraines qui sortent du centre, et
pareillement de l’air qui nous environne, et qui est rempli d’atômes. Ils
proviennent aussi en partie du fumier avec lequel les hommes aident la Nature,
en le portant dans les champs, dans les vignes, dans les prairies, dans les jardins,
etc., ou encore en partie des excrémens de toutes sortes de bestiaux qu’on y fait
paître.
Suivant que la terre en reçoit plus ou moins, elle rapporte
à proportion, et ses fruits en sont plus ou moins gros. Passons sous silence
toutes les autres nourritures, et parlons uniquement de la nourriture
universelle, c’est-à-dire de la rosée, de la pluie, etc., et du nitre et du sel
qui en proviennent; parce que toutes les autres nourritures et excrémens en
tirent primordialement leur origine, et que dans leur dernière résolution elles
se réduisent en salpêtre et en sel, comme nous l’avons prouvé suffisamment. Le
sel ou la partie fixe est la mère ou l’aimant qui tire son origine également du
salpêtre, lequel, comme nous l’avons dit ci-dessus, devient fixe par la
réverbération causée par la chaleur centrale et par celle du soleil. Ce sel
attire la nourriture et l’augmente par la rosée et par la pluie, etc., procrée
un salpêtre qu’il attire de l’eau de pluie pourrie, et le retient avec soi; et
afin que la chaleur du soleil et de la terre ne puissent plus l’en détacher, il
fixe le salpêtre subtil. Ces deux sels, résous dans l’eau, sont attirés par la
racine des végétaux qui les réduit par la digestion en vapeur pure et en
esprit, et cette vapeur monte par les pores étroits de la racine dans la tige
et dans les feuilles, où elle s’étend plus ou moins, suivant la qualité du
végétal. Cependant ces sels ne s’insinuent pas tels qu’ils sont de leur propre
nature dans les végétaux pour leur servir de nourriture; mais ils résolvent la
terre, la rendent pareillement subtile, et la réduisent toute en une eau salée;
et dans cet état elle peut être subtilisée encore davantage par la racine, et
devenir une nourriture.
La Nature opère de même dans les animaux. Elle leur a donné
la faculté de broyer les alimens avec leurs dents, et de les préparer avec la
langue pour les faire tomber dans l’estomac, où il se trouve une liqueur amère
et salée qui continue de subtiliser cet aliment préparé, et de le réduire en
une masse liquoreuse disposée à passer ensuite dans le canal thoracique, où le
meilleur suc est extrait et sublimé en vapeurs par la chaleur naturelle, et
poussé par les pores dans le foie et les autres viscères. Ces vapeurs
s’attachent aux vaisseaux du foie, s’y distillent et s’y résolvent derechef en
eau qui, par la chaleur, se résout en vapeur, se sublime et circule dans les
autres viscères plus hauts et plus élevés, sans discontinuation, jusqu’à ce
qu’elle soit parvenue à sa perfection. En effet, qui pourroit s’imaginer et
comprendre que la Nature pût élever autrement dans les animaux, et porter dans
leur foie la nutrition aqueuse, succulente et pesante ? Elle se porteroit plutôt
en bas, et s’évacueroit par la voie des excrémens. Mais si la nutrition se
change en vapeur qui perce par tous les pores du corps, comme la sueur à
travers la peau, cette vapeur peut bien dans certains endroits humides et
convenables se condenser en eau par son épaississement, jusqu’à ce que par la
circulation elle devienne sang, chair, cartilage et os.
Une preuve qu’il est vrai que la Nature nourrit toutes les
créatures seulement par les vapeurs, c’est que nous voyons dans le macrocosme
comment il change avec force dans le centre le plus profond de la terre l’eau
en vapeurs par la chaleur centrale, et les pousse jusqu’au plus haut du ciel où
il les épaissit, pour les changer derechef en eau, qui ensuite, par sa propre
pesanteur, retombe sur la terre.
Cela se voit aussi dans les animaux, qui font des enfans du
macrocosme; car l’enfant est formé sur le modèle du père et de la mère. La
Nature y pousse du plus profond de l’estomac les humidités en forme de vapeurs,
jusqu’aux dernières extrémités de la peau entre les doigts des pieds et des
mains; et par leur épaississement elles se résolvent et se condensent en eau;
ce que nous appelons sueur.
Nous voyons qu’il y a également dans les mines et dans les
montagnes, quantité de vapeurs qui s’attachent dans les viscères de la terre,
et qu’il s’élève des vapeurs des terres minérales. Si cela arrive ainsi dans
ces deux règnes, la Nature agira telle différemment dans le végétal ? Cette
manière dont la Nature entretient toutes les créatures et leur donne
l’accroissement, en envoyant la nourriture dans tous leurs membres en forme de
vapeurs est conforme à leur origine; car elles ont toutes pris leur existence
de la vapeur universelle ou du chaos qui, par son épaississement, est devenu
eau; par conséquent les végétaux doivent aussi se régler suivant la même loi
générale: comme ils ont tiré leur origine des vapeurs, et qu’ils en sont
nourris et entretenus, il faut aussi que dans leur résolution ils redeviennent
eau, et que celle-ci soit changée par la chaleur en vapeur, laquelle s’insinue
ensuite dans quelque autre sujet, et devient de nouveau corporelle, suivant le genre
du sujet.
Il ne faut pas s’imaginer que les végétaux attirent leur
nourriture aqueuse toute crue, quoique en forme de vapeur, et qu’ils en soient
nourris: si cela étoit ainsi, et qu’ils dussent prendre en eux cette eau
réduite en vapeur, avec toute sa substance, la plupart des végétaux deviendroient
tout-à-fait aqueux, mous et de peu de durée; parce que l’eau surabondante
éveille l’esprit et l’excite à agir.
Une plante ne seroit pas si-tôt crue, qu’elle pourriroit:
d’ailleurs si les végétaux attiroient en eux l’eau avec toutes ses parties, ils
retireroient de la terre toute la nutrition en même tems; de manière que la
Nature n’auroit pas un tems suffisant pour fabriquer assez de nourriture
nouvelle. Voici donc comment Nature opère. Les racines des végétaux n’attirent
à elles que les esprits les plus subtils et les plus volatils: l’eau la plus
claire et la plus pure qui perce vite par les pores, dans la tige et dans les
feuilles, s’y épaissit et s’y coagule par l’action de l’air: par ce moyen les
parties du végétal sont détaillées, grossies et augmentées: mais, comme dans
toutes choses il y a une différence, que l’une ne ressemble pas à l’autre et
n’opère pas également, il en est de même ici; car un végétal a des pores plus
larges ou plus étroits que l’autre: les saules et les ormes attirent en eux des
humidités plus fortes et en plus grande quantité que les autres arbres, et
c’est pourquoi ils n’ont pas une durée si longue. Ils sont sujets à toutes
sortes de défauts et à la pourriture occasionnée par le trop d’humidité qu’ils
ont attirée, sur-tout lorsqu’ils sont plantés le long des eaux, des rivières et
des fossés ou dans d’autres endroits humides et marécageux. La vigne, au
contraire, le genièvre, le sapin, le chêne ont des pores si étroits qu’ils
sucent très-peu d’eau grossière et de phlegme; mais seulement la plus subtile
et une quantité d’esprits très-subtils. C’est par cette raison qu’ils sont durables,
sains et peu sujets à des défauts, comme on le voit aux sapins, au genièvre et
à d’autres qui sont verts et qui portent leur fruit aussi bien en hiver qu’en
été. Les végétaux qui abondent en suc, perdent d’abord cette vertu et tombent
en pourriture. Plus une chose est sèche et spiritueuse, plus elle est vivace et
durable.
On pourroit pourtant m’objecter que si le sapin, etc.,
n’attiroit pas l’humidité en quantité, il ne seroit pas possible qu’il devînt
si grand, attendu que dans la rosée, la pluie et la terre, il n’y a pas assez d’esprit
pour qu’il pût devenir si fort.
Mais on doit observer que ces plantes croissent
ordinairement sur les montagnes hautes et pierreuses, ou en d’autres endroits
secs; que quand il tombe de la pluie, elle se précipite, en quantité, des montagnes dans les vallons et dans les fossés;
qu’elle entraîne en même tems avec elle autant de sel et de nitre qu’elle peut
en rencontrer; les porte comme un torrent dans les grandes rivières qui vont se
rendre dans la mer; que la mer bien salée pénètre de nouveau jusqu’au centre de
la terre, où l’eau est toute changée en vapeurs, qui montent dans les
entrailles de la terre. Ce qui est pesant s’y attache, et les minéraux en
croissent. Plus cette vapeur est légère, plus elle monte et parvient aux
racines des végétaux, par lesquels elle est interceptée et devient leur
nourriture. Quant aux vapeurs encore plus subtiles et plus volatiles, elles
font une éruption hors de la terre.
Les animaux en tirent une partie par leur respiration et
s’en nourrissent aussi; l’autre partie monte dans l’air pour y régénérer le
chaos ou l’eau chaotique.
Remarquez par-là de quelle manière merveilleuse le sapin et
autres pareilles espèces doivent se nourrir.
J’ai dit que la nourriture générale des végétaux étoit l’eau
de pluie, la rosée, le nitre et le sel terrestre avec les vapeurs souterraines et autres excrémens
accidentels des animaux; comme aussi les feuilles tombées de tous les végétaux.
Lorsque le sapin est planté sur des montagnes pierreuses,
l’eau de pluie lui apporte très-peu de nourriture, parce qu’elle se précipite du haut des montagnes
en bas. La rosée seule lui est d’autant moins suffisante que la pluie entraîne
avec elle la plus grande partie du nitre et du sel. Cela étant, il faut dire
que le sapin et les autres plantes des montagnes se nourrissent en plus grande
partie des vapeurs continuelles, souterraines ou minérales, et de la rosée, qui
est pourtant en très-petite quantité en comparaison des vapeurs souterraines.
De-là nous concluons que le sapin, avec toute sa grandeur, tire sa naissance,
sa nourriture et son entretien, principalement des vapeurs souterraines des
minéraux. De-là vient qu’il n’est pas si corruptible que d’autres végétaux
succulens qui croissent dans les plaines et dans les endroits marécageux; car
les minéraux se pourrissent très-peu et lentement.
Pour comprendre de quelle manière le sapin acquiert des
esprits et des humidités souterraines, faites attention à ce qui suit. La Nature ne se repose
jamais un seul instant; nous voyons qu’il s’élève continuellement de la terre des vapeurs, qui, le
plus souvent, se changent en nuées; car il n’y a pas autant de jours sereins
que de ceux où le soleil est recouvert de nuages. Nous voyons, principalement
au printems et en automne, que ces vapeurs s’élancent de la terre dans l’air.
Si cela est, il faut nécessairement qu’il y en ait encore davantage dans la
terre; sans cela elles ne seroient pas poussées si fort les unes après les
autres. Comme la terre est spongieuse et poreuse, ainsi que le corps de l’homme
et celui de tous les animaux, cette vapeur perce par-tout, comme la sueur d’un homme,
lorsqu’elle vient en quantité; c’est ainsi que l’esprit vital du macrocosme
traverse le bois, la terre et la pierre; parce que chaque chose a ses pores, et
que rien n’est fermé à cet esprit, encore que notre vue et notre intelligence
ne puisse pas toujours le saisir.
Le sapin croit donc sur les montagnes, sur lesquelles il n’y
a presque que du sable, du gravier et des pierres, qui sont un aimant ou des
esprits attractifs et un sel coagulé, qui intercepte ces vapeurs et dans lequel
elles s’épaississent et deviennent eau; cette eau est très-subtile, spiritueuse
et forte; et les racines du sapin l’attirent et en prennent leur accroissement;
car la terre n’est pas moins pleine de vapeurs et de nuages que l’air, et comme
ces vapeurs se changent en pluie et en rosée dans l’air, de même aussi les
vapeurs minérales qui s’attachent aux pierres, se changent en eau, qui devient ensuite
la nourriture des végétaux.
Il est clair que les vapeurs, en s’attachant aux pierres,
deviennent eau. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à creuser la terre d’un pied de
profondeur, dans un endroit où il y a des pierres; on trouvera qu’encore qu’il
n’y ait dans le voisinage ni rivière ni fontaine, les pierres ne laissent pas
d’être toujours humides; ce qui provient des vapeurs minérales Qu’on prenne une
pierre ou un marbre échauffé; qu’on le mette dans une cave humide: on verra que
dans peu d’heures il se couvrira de gouttes d’eau, comme s’il fuoit: si on le
laisse plus long-tems, il deviendra humide de plus en plus.
J’ai dit ci-dessus que le gravier ou les pierres étoient un
sel coagulé ou pétrifié. Plusieurs en seront très-étonnés et ne me croiront
pas. Il est aisé de les en convaincre par l’expérience.
Prenez quelque espèce de sel qu’il vous plaira; faites-le
fondre et dissoudre dans l’eau; filtrez-le: vous trouverez une terre grossière
et grisâtre: coagulez ce sel; faites-le fondre une seconde fois, et refiltrez-le;
vous trouverez encore une terre, mais blanche: plus vous réitérerez la même
opération, plus vous trouverez de terre; et à la fin elle sera blanche comme neige.
Prenez cette terre et donnez-la à un Verrier pour la faire
fondre; vous aurez une pierre qui s’est faite du sel: par les dissolutions réitérées,
l’esprit de sel s’envole en partie, et le reste est changé et fixé en ladite
terre.
On répliquera encore que ce sont-là des choses bien
extraordinaires, et qu’on ne conçoit pas où la Nature pourroit trouver dans les
montagnes ces verreries et ces creusets. J’en conviens; mais la Nature a de
quoi les remplacer par des choses semblables. Comme le sel étoit auparavant
vapeur, et que, par différens changemens, il est devenu fixe et corporel; si la
Nature, avec le tems, a pu faire l’un, elle pourra aussi faire l’autre. Plus il
se joint de terre au sel, et plus il est aidé par les esprits terrestres et
minéraux; plus le sel devient terrestre: il coule alors avec la terre, par le
moyen de l’eau, en forme d’un suc épais, qui devient toujours de plus en plus
fixe, jusqu’à ce qu’il se coagule en un crystal fixe, clair et transparent, ou
en un gravier, suivant que ce suc est pur ou impur.
Il seroit trop long d’insérer ici beaucoup d’exemples
pareils; mais ce que nous avons dit suffit pour mettre sur les voies. Revenons
à notre sujet. Nous avons prouvé de quelle manière croissent les végétaux.
Maintenant, pour ne rien laisser à désirer, nous dirons comment il se peut
faire que la Nature puisse produire une si grande quantité de nitre et de sel,
qui servent continuellement de nourriture aux végétaux, sans qu’il en manque
pour leur accroissement.
Prenez donc garde à ce qui suit.
Nous avons démontré plus haut que dans toutes les terres il
y a du nitre et du sel, de même que dans toutes les eaux, sur-tout aux endroits
où les végétaux doivent croître; car le nitre et le sel minéral ou le vitriol
ont leur place particulière: le nitre et le sel sont procréés sans cesse d’en
haut et d’en bas; d’en haut par la rosée, par la pluie, par l’eau, par les
dépouilles et les excrémens des animaux et des végétaux; d’en bas par les
vapeurs minérales et souterraines qui exhalent continuellement jusqu’à la
superficie.
Le sel est l’aimant, et le nitre l’acier, qui est attiré par
le sel, et qui, par la réverbération du soleil et de la chaleur centrale, est
changé en sa nature ou en sel. En effet, en lessivant de telles terres, on trouvera
ordinairement plus de sel que de salpêtre, et il faut aussi naturellement qu’il
y en ait davantage; car l’aimant doit être plus fort et en plus grande quantité
que l’acier; sans cela il ne pourroit pas l’attirer.
Nous avons fait voir ci-dessus de quelle manière le nitre et
le sel naissent de la pluie, de la rosée, de la neige et de toutes les eaux; la
raison pour laquelle il y a moins de nitre que de sel dans la Nature, et
pourquoi il y naît en moindre quantité, se peut démontrer par l’expérience:
s’il y avoit plus de nitre que de sel, le nitre changeroit le sel en sa nature;
le nitre n’est pas attractif, mais actif; il est l’agent, et le sel, le
patient; or, toutes les productions de la terre sont attractives; elles
attirent avidement à elles le nitre ou le sperme universel, comme on le voit
par les végétaux, qui, lorsqu’il vient de la pluie après une longue sécheresse,
en attirent à eux le nitre volatil avec une si grande avidité que, souvent,
dans une nuit ils croissent d’un pouce et davantage; ainsi, s’il y avoit plus
de salpêtre que de sel, les végétaux en croîtroient outre mesure et enlèveroient
en une seule fois, en ou en très-peu de tems, tout le sperme de la terre; ce
qui ne pourroit être suivi que d’une grande stérilité; car lorsque les végétaux
n’auroient plus de nourriture, il faudroit qu’ils se flétrissent, et comme ils
auroient crû bien vite, suivant l’axiome, quod cito fit, cito perit. Le
salpêtre est un sel extrêmement subtil, spiritueux et pénétrant, que les
végétaux peuvent digérer très-promptement; au lieu que le sel est plus fixe et
plus grossier, et ils sont obligés de le digérer plus lentement et plus subtilement;
outre cela, le sel est un esprit balsamique, qui doit conserver tout; au
contraire, le salpêtre est un esprit volatil; corrodant, altérant et
corrompant, ce qui se voit par l’expérience.
Prenez un salpêtre pur, et qui ne renferme point de sel;
faites-le dissoudre dans l’eau de pluie; arrosez-en souvent un pommier ou un poirier; il portera
cette année-là des fruits en si grande quantité que vous en serez surpris: mais attendez la seconde
année, vous n’y en trouverez presque pas un; et même, si l’arbre n’est pas
planté dans une très-bonne terre, il commencera à se dessécher: si au contraire
vous prenez, comme nous avons dit ci-dessus, une partie de salpêtre et deux
parties de sel commun, que vous les résolviez dans l’eau de pluie et que vous
en arrosiez l’arbre, ou que vous en fassiez humecter quelque semence, vous en
aurez des fruits excellens, et en quantité, et cela tous les ans, pourvu que
vous en arrosiez l’arbre seulement deux ou trois fois au printems.
La raison de cette prompte fertilité est, comme nous l’avons
dit, que les végétaux attirent à eux le nitre, copieusement et avec une grande
avidité; mais ils ne peuvent pas attirer si promptement le sel qui,
conjointement avec la terre, a la supériorité sur le salpêtre, qui est en
partie attiré par les végétaux, et en partie fixé en sel par le moyen de la
chaleur centrale souterraine, et celle du soleil: ainsi il multiplie et
renouvelle par-là sa quantité et sa qualité magnétique, et ce que le végétal en
consomme est remplacé continuellement par celui qui vient d’en haut et d’en
bas.
Afin que tout le salpêtre ne devienne pas sel, la Nature
nous en envoie copieusement, par la rosée et la pluie, et c’est sur-tout après
une grande chaleur du soleil, qui a déjà beaucoup réverbéré le sel ou les
spermes, que la pluie vient en abondance; le sel en attire à soi, avec une
grande avidité, le nitre volatil, et cherche à le fixer: mais comme les
végétaux ont été fort desséchés par le soleil, ils ne sont pas moins avides à
attirer ce nitre à eux, et ils arrachent ainsi, de force, le nitre au sel; de manière
que le sel en est en partie augmenté, et en est en partie privé: cette
circulation se fait sans cesse, et continuera jusqu’à ce que le Créateur change
l’ordre qu’il a établi: car aussi-tôt que l’alkali ou le sel, qui, à raison de
la fixité, est le véritable et le plus prochain principe des minéraux, viendroit
à dominer et à prendre le dessus, au lieu de produire des végétaux, il produiroit
seulement des minéraux, des pierres, du sable, et ne manqueroit pas de rendre
le lieu stérile: or, pour empêcher que cela n’arrive, le volatil a été placé
comme un contraire, pour s’y opposer.
Ne dira-t-on pas que je me contredis moi-même, en assurant
que le sel fixe le nitre et le réduit en sel; qu’ensuite le volatil ou la
pluie, qui survient, réduit l’alkali en nitre, pendant que j’ai dit plus haut
qu’un extrême n’agit pas sur un autre extrême sans une chose intermédiaire ? La
contradiction n’est qu’apparente. La terre n’est jamais vuide de nitre; et
quoiqu’il soit fixé par le sel, il ne l’est cependant pas entièrement dans
toutes ses parties ni en une seule fois. C’est pourquoi il lui reste toujours
son médium, par lequel le nitre volatil s’attache au nitre corporel, et celui-
ci à l’alkali ou au sel; l’un attire l’autre, et l’un sert d’aimant à l’autre,
comme je l’ai déjà dit ci-dessus.
Par-là, le Lecteur voit la naissance et l’accroissement des
végétaux, autant que ce traité le peut permettre. Si quelqu’un vouloit en avoir une explication
plus ample, qu’il la cherche chez les sçavans: il y trouvera de quoi se satisfaire.
La semence végétale est donc une eau coagulée, et dans la
solution, une eau visqueuse, tout comme dans les animaux, et par conséquent un
guhr végétal; on voit par-là que toutes choses naissent de l’eau, qu’elles se
réduisent en eau, qu’elles en prennent leur accroissement et leur entretien, et
que par-là même elles sont détruites et privées de la vie, comme nous le montrerons
clairement dans la seconde partie de cet ouvrage, où nous traiterons de leur
analyse.
On connoîtra, par l’analyse des végétaux, que leur substance
ferme et durable consiste en beaucoup de volatil, peu d’acide et encore moins
d’alkali: cependant tous ces principes y sont plus acides et plus astringens
que dans la substance animale; ce qu’on peut appercevoir et connoître par leur
esprit volatil ardent, qui conserve toujours quelque chose d’astringent. Leur
acide ou vinaigre n’a pas besoin d’être prouvé; il est visiblement astringent:
pour ce qui est de leur alkali, il est presque en tout égal à celui de
l’animal.
Il est visible que la chose est ainsi; car s’ils n’avoient
pas plus de volatil que d’acide, ils ne pourroient croître si promptement, ni à
une si grande hauteur; et c’est en quoi consiste leur mouvement. Il est
d’autant plus nécessaire que leur volatil excède en quantité l’acide, qu’il est
lui-même d’une nature acide: car si l’acide astringent avoit le dessus, non-seulement
ils ne pourroient croître si fort en hauteur, et resteroient plus près de la
terre; mais ils deviendroient tout-à-fait minéraux; puisque c’est le propre du
règne minéral d’être fort acide: l’acide végétal l’est un peu moins; mais il est
pourtant un astringent assez puissant et fort, et on voit qu’il resserre si
fort le tissu de plusieurs arbres et plantes, qu’il les coagule et rend leur
bois si dur et si tenace, que souvent on a de la peine à les dompter avec le
fer et le feu.
On voit encore qu’ils renferment un fort acide, en ce qu’ils
sont attachés à la terre d’une manière immobile. Si leur volatil excédoit en
quantité leur acide, comme dans les animaux, ils seroient bien plus mobiles, ou
du moins quelques-unes de leurs parties, comme on le voit dans les plantes sensitives,
dans lesquelles le volatil a, en grande partie, le dessus, et n’est pas, à
beaucoup près, si astringent que dans les végétaux immobiles, lesquels ont un
acide fort astringent; ils ont cependant un mouvement qui leur est propre, et
qui consiste en ce que de jour en jour, et de semaine en semaine, ils croissent
en hauteur, épaisseur et grosseur; car l’augmentation et l’accroissement sont un
mouvement, quoique différent de plusieurs degrés, de celui de l’animal.
L’alkali végétal est fixe, et il n’est pas si astringent que
celui des animaux, comme il est démontré par l’analyse; c’est en quoi
consistent les parties les plus molles de chaque végétal, qui se décompose en
phlegme subtil ou volatil, en phlegme plus grossier, en huile, en acide, en
charbons ou caput mortuum, en
cendres et en alkali.
Le Lecteur doit aussi faire attention qu’il peut totalement
réduire les végétaux et les animaux en volatil ou en vapeur acide, ou en pur alkali,
suivant qu’il arrange son opération: par exemple s’il fait la distillation sans
faire précéder la fermentation, il ne tirera presque que du phlegme, qui aura seulement,
suivant le sujet, une odeur très-volatile, ensuite un acide copieux; l’alkali
reste dans le caput mortuum; mais s’il les laisse auparavant fermenter
ou pourrir, plus il les laissera de tems, plus il aura de volatil; par où l’on
voit encore que le volatil, l’acide et le fixe peuvent être transmués l’un dans
l’autre: d’où il s’ensuit que tous ces principes ne sont pas distincts
essentiellement; mais seulement accidentellement. Lorsqu’un principe s’envole tout-à-fait,
on l’appelle volatil; s’il est un peu plus fixe, on l’appelle acide, et s’il
est tout-à-fait fixe on l’appelle alkali: cependant tout vient d’une même
racine et d’une même origine, c’est-à-dire d’une eau volatile, chaotique, et de
l’esprit qui y est caché, et qui, par la putréfaction ou la fermentation, se
transforme, comme un autre Prothée, en plusieurs milliers de figures, suivant
lesquels on lui donne différens noms.
Ce chapitre devient un peu long par mes digressions; mais
elles ne sont pas tout-à-fait inutiles, et je présume que bien des Lecteurs
m’en sçauront gré. Maintenant je déclarerai quelques vertus du règne végétal.
Beaucoup de Chymistes ont cherché le moyen de rendre ce règne minéral, et
ensuite homogène au règne animal, de manière qu’il pût servir à sa nourriture,
et qu’on pût l’employer pour la cure et guérison des infirmités: car le règne
minéral devient, dans l’analyse par le feu, très piquant, mordant, corrosif,
venimeux et, par conséquent, directement contraire, hétérogène et très pernicieux
au règne animal. Pour l’adoucir, ils ont employé les esprits ardens et alkalisés,
et s’y sont pris, avec eux, de toutes les manières; par la digestion, la circulation,
la distillation, l’ustion, etc.; mais
toutes leurs sueurs et toutes leurs dépenses n’ont abouti à rien de
satisfaisant. Je vais donc, afin de manifester les sentimens de mon coeur et
mon affection pour le prochain, rendre public ce que j’ai découvert par mes
réflexions et par mes travaux, et j’ose promettre aux Artistes, qu’en suivant
la théorie et la pratique que je leur enseigne, ils retireront de leurs
opérations cent fois plus de satisfaction qu’auparavant.
Je commencerai par exposer la pratique usitée des Chymistes,
pour édulcorer et adoucir les corrosifs; afin que l’on voie combien cette
pratique diffère de la mienne.
L’usage ordinaire jusqu’aujourd’hui a été d’employer, pour
tous les corrosifs, l’esprit-de-vin très-rectifié et alkalisé: on les fait
digérer ensemble, ou bien on fait brûler tout cruement l’esprit-de-vin sur le
corrosif, six, sept jusqu’à neuf fois; et c’est-là ce que les Chymistes
appellent édulcorer, corriger, etc. Mais l’expérience leur a montré qu’on ne sçauroit
donner intérieurement aux hommes les corrosifs corrigés de cette manière, sans
crainte et sans danger. Je vais à présent indiquer ma façon d’édulcorer, que
j’appuierai par de bonnes raisons, et en démontrant que l’esprit-de-vin ne sçauroit
jamais adoucir véritablement aucun corrosif, sans un médium.
J’ai prouvé en plusieurs endroits de ce traité, la vérité de
l’axiome On ne sçauroit passer d’un extrême à l’autre, sans une chose intermédiaire. Un Chymiste
ne sçauroit assez faire attention à ce point, et il ne doit pas le laisser
échapper de son esprit, s’il veut faire quelques progrès dans la Chymie.
Tous les disciples de l’Art ont bien cet axiome imprimé dans
la mémoire; mais dans la pratique ils ne connoissent point ce que c’est qu’un
extrême ou un moyen; et voilà la source de toutes leurs erreurs: c’est
cependant une chose très-facile à connoître et à trouver.
Un Artiste, attentif à observer la Nature et le genre de
chaque chose, verra facilement ce qui est fixe et ce qui est volatil; car ce
qui est très-volatil, comme l’esprit-de-vin, s’envole par le plus haut de l’alembic
avec le moindre petit feu; et dans ce même degré de feu aucun corrosif ne
monte, encore qu’il soit réduit en esprit, et qu’on l’ait distillé volatil.
Tels sont l’eau forte, l’esprit de nitre, de sel, de vitriol, de soufre, ou
leurs huiles: toutes ces choses montent très-difficilement, et jamais par un alembic
si haut. Il faut pour cela un feu très-fort et un alembic bas, ou une retorte:
par-là un Artiste apprendra que ces esprits, comparés avec l’extrême volatilité
de l’esprit-de-vin, sont d’un genre plus fixe, par conséquent contraires à
l’esprit-de-vin, et à son égard un extrême. Il en conclura qu’il manque un
moyen, et il pourra le trouver facilement, en réfléchissant sur l’homogénéité
des natures.
Qu’on observe seulement avec quelle lenteur passent ces
gouttes pesantes et foibles d’un corrosif; au contraire avec quelle vitesse
l’esprit-de-vin coule dans le récipient: cela ne suffira-t-il pas pour faire connoître
qu’il y a entre ces deux choses une différence très-grande, comme en effet la pratique
le prouve. Prenez de l’eau-forte bien déphlegmée, de l’esprit de nitre, de sel,
de vitriol, de soufre, etc., ou de leurs huiles, l’un d’eux, lequel vous
voudrez; et versez dessus de l’esprit-de-vin rectifié ou alkalisé, mais avec
précaution, de peur de vous exposer à quelque accident; car ce sont deux feux
qui se rencontrent, sur-tout l’esprit-de-vin et l’huile de vitriol ou de nitre:
vous verrez que l’esprit-de-vin ne voudra pas absolument se joindre; mais qu’il
surnagera, comme l’huile sur l’eau, et vous entendrez du bruit et un
sifflement. Il est vrai qu’à la fin ils pourroient s’unir ensemble; mais ce ne seroit
qu’avec beaucoup de peine, et par une très-longue et très-ennuyeuse digestion
et circulation. Chacun peut vérifier ce que je viens de dire.
Considérez maintenant quelle différence il y a entre les
esprits tirés du vin et ceux tirés du marc du vin; vous serez dans la voie pour
découvrir le médium que vous cherchez. En effet, distillez du vin l’esprit
ardent avec tous ses phlegmes grossiers, jusqu’à consistance mielleuse; poussez
celle-ci par la retorte, et vous aurez un vinaigre très-fort, ou un acide qui
est déjà plus fixe que ces esprits qui ont précédé. Versez cet acide sur un
esprit corrosif, et considérez leur prompte conjonction; versez-y ensuite
l’esprit-de-vin, et considérez encore avec quelle facilité, et combien ils
s’unissent amiablement; vous serez assuré par-là que le vinaigre ou l’acide du
vin est d’une nature moyenne entre l’esprit-de-vin et le corrosif; et c’est à
quoi très-peu font attention; aussi ne l’ai-je vu ni lu dans aucun livre, ni
n’en ai oui parler nulle part.
Aussi-tôt que l’on a conjoint le corrosif, d’abord avec son moyen,
et ensuite sur-le-champ avec l’esprit-de-vin, on y trouve de l’agrément et une
douceur, de manière qu’il est déjà plus agréable à la nature humaine qu’il ne
l’étoit auparavant. Avec cela il reste en forme d’un esprit liquoreux, volatil,
très-facile à distiller, et qui, par la distillation, s’unit et s’adoucit de
plus en plus, et devient plus noble.
Il y a bien encore une autre manière de mortifier les
corrosifs, et de leur faire perdre entièrement leurs qualités rongeantes; mais
ils ne sont pas si doux, ni si agréables, ni, à beaucoup près, si bons que par
la méthode précédente: je la mettrai pourtant ici, pour en faire connoître la
différence.
Prenez l’alkali du vin, c’est-à-dire le sel tiré par
lexiviation du caput mortuum du vin, le sel de tartre ou un autre sel alkali
qui soit pur, blanc et clair; mettez-le dans un alembic; versez dessus de
l’esprit-de-vin très-rectifié, trois ou quatre fois autant que de sel;
laissez-y tomber ensuite, goutte à goutte, tel corrosif que vous voudrez, ils
siffleront ensemble et feront du bruit. Continuez cette infusion jusqu’à ce que
le bruit cesse; ensuite distillez-en toute l’humidité au bain-marie, et vous
aurez un phlegme insipide; car l’esprit-de-vin s’est fixé. Au fond vous
trouverez un sel qui a fixé et tiré le corrosif, qui par-là devient si bon
qu’on peut le prendre intérieurement sans risque.
Voilà donc encore un moyen de conjoindre les corrosifs avec
les acides, et de les dulcifier par les alkalis; mais cette voie est un peu forcée, comme on
peut le voir au bruit qui s’y fait, et elle n’est pas, à beaucoup près, si amiable que la
précédente, où ils se mêlent ensemble, comme l’eau avec l’eau, et très-paisiblement; car le
vinaigre a de l’affinité dans sa racine avec l’esprit-de-vin, et de même avec le corrosif; puisque
sa ponticité et son aigreur prouvent qu’il porte avec soi une homogénéité et
une acidité minérale. C’est cet acide qui suit immédiatement l’esprit-de-vin
dans l’analyse; car pour le phlegme, nous le comptons pour une humidité
superflue; puisque l’esprit ne s’en sert que comme d’instrument pour son action,
et n’en prend pas plus qu’il n’en a besoin pour son existence, comme on le voit
en rectifiant.
Remarquez donc bien ce qui suit. Prenez du vinaigre distillé
très-fort et très-acide, trois parties, et du corrosif, une partie; mêlez-les
ensemble; versez-y doucement cinq ou six parties d’esprit de vin rectifié; vous
verrez une conjonction très-noble, et qui se fera très amiablement. On peut
aussi de cette manière adoucir tous les corrosifs précipités et calcinés.
Commencez d’abord à verser dessus deux tiers de vinaigre;
faites-en l’abstraction deux ou trois fois par la distillation, après quoi
versez- y l’esprit-de-vin; distillez-le de même; et supposé que le corrosif ne
fût pas mortifié suffisamment, et que le vinaigre ou l’esprit-de-vin n’eussent
pas été assez forts, versez-y-en d’autres, et répétez-le jusqu’à satiété.
Observez bien que plus le vinaigre et l’esprit-de-vin sont
forts, mieux la dulcification se fait, et plus elle est prompte. Néanmoins
cette dulcification n’est pas si parfaite, à beaucoup près, que lorsqu’on les
allie et unit avec le règne animal, suivant la pratique que j’enseignerai dans
la seconde partie de ce traité, pour le soulagement des pauvres malades.
Je ne sçaurois me dispenser de faire encore ici mention d’un
autre point. Comme je vois que tous les médecins, sans exception, sont
accoutumés d’employer le mercure doux comme un très-grand remède dans toutes
les maladies presque désespérées, et qu’on l’applique cependant quelquefois
avec un très-grand danger, je leur en montrerai ici une correction excellente,
sur laquelle ils peuvent se fier très-sûrement. La voici. Prenez du vinaigre
préparé, comme je l’indiquerai dans la seconde partie de ce traité, dans le
chapitre de la Dulcification des Minéraux; dissolvez-y entièrement le mercure
doux; filtrez et distillez-le très-doucement au bain-marie, autant qu’il est
possible; versez-y de nouveau trois parties de vinaigre distillé; dissolvez-le,
filtrez et coagulez toujours au bain-marie jusqu’à une consistance huileuse; ensuite
prenez de l’esprit-de-vin mentionné dans le même chapitre; versez-y en quatre
parties; distillez-le très-doucement au bain-marie; versez-y une seconde fois
quatre parties d’autre esprit-de-vin; distillez-le de même, et répétez la même
chose trois fois. Si vous voulez, vous pouvez laisser la distillation en
consistance d’huile, ou la réduire par la coagulation en un sel ou poudre très-douce,
dont un grain ou une goutte opérera mieux et avec plus de succès que dix n’auroient
pu faire auparavant, comme on le verra par l’expérience; mais je donne cet avis
à tout Artiste véritable, charitable et appliqué, qui apprendra mes secrets,
qu’autant que son ame, sa vie, son honneur et sa réputation lui sont chères, il
ait à fuir les puissans et les riches de ce monde qui méprisent les gens
simples, et qui, semblables aux bourdons, mangent le miel, et portent le poison
dans le coeur des autres; qui promettent des montagnes d’or, jusqu’à ce qu’ils
aient profité des sueurs d’un honnête homme ignoré, et qui, lorsqu’ils sont
parvenus, méprisent celui qui a agi avec eux cordialement et de bonne foi:
c’est pourquoi ils n’ont que ce qu’ils méritent, lorsqu’ils sont trompés tant
de fois; ils reconnoissent alors combien de peines et de sueurs a essuyé un
Artiste qui est passionnément attaché à l’Art.
Ainsi, mon cher Lecteur, si, par le moyen de cet ouvrage,
vous êtes en état de faire quelque manipulation, réjouissez-vous-en en secret;
servez-vous- en, dans la crainte de Dieu, sans bruit et avec une douce
tranquillité pour le bien du prochain.
Revenons à notre sujet. J’ai encore promis d’enseigner de
quelle manière un Artiste doit chercher une chose moyenne, lorsqu’il est arrêté
dans ses opérations. Je le lui indiquerai donc, en finissant ce chapitre. Si je
veux conjoindre deux choses ensemble, et que je vois qu’elles ne veulent pas se
mêler et s’unir, je concluerai aussi-tôt qu’il y manque un moyen unissant; après
cela, je considère quels sujets j’ai entre les mains. S’ils sont du règne
animal, je cherche dans ce règne leur homogène propre. Ainsi, par exemple, si
je traite des sujets qui n’aient point de volatil, comme des os, des cornes et
des ongles, mais seulement de l’acide et de l’alkali, et que je veuille leur
donner un volatil homogène, où dois-je le chercher ?
Demandez-le à ces sujets mêmes, os, cornes et ongles, et
examinez de quel animal ils sont tirés: si vous connoissez cet animal, et que
vous puissiez l’avoir, vous n’avez qu’à prendre de son urine ou de ses excrémens;
faites-les putréfier, et distillez-en le volatil au bain-marie: vous aurez déjà
le moyen, et de quoi remplacer les parties qui vous manquoient. Si vous ne pouvez
pas trouver cet animal, vous n’avez qu’à examiner quel autre peut avoir les
mêmes qualités et la même vertu. Si vous ne pouvez pas le trouver, prenez le
sujet dans lequel toutes les puissances et vertus animales sont concentrées,
c’est-à-dire l’homme qui renferme dans son centre la force de tous les animaux,
et dont l’urine et les excrémens peuvent vous aider en tout, soit qu’il vous
manque un volatil, un acide ou un alkali. Si cela ne vous suffit pas encore,
ayez recours aux sujets universels, où toutes les forces animales, végétales et
minérales sont concentrées, et qui s’associent d’une manière homogène avec
toutes les créatures. Ces sujets sont l’eau de pluie, la rosée, la neige, etc.,
qui renferment un volatil, un acide et un alkali, avec lesquels vous pouvez remplacer tout ce qui vous manque;
car faites putréfier de l’eau de pluie; distillez-en toute l’humidité;
rectifiez-la du phlegme au bain-marie dans un alembic fort haut, suivant
l’usage; tirez des résidus tout le phlegme, jusqu’à une consistance mielleuse;
de celle-ci vous tirerez un vinaigre, et du caput mortuum vous aurez
encore un sel alkali. Tout comme les choses se passent dans les animaux, elles
se passent aussi dans les végétaux.
Dans ce dernier règne, lorsqu’on ne peut pas avancer
davantage, on prend le vin et ses parties, dans lesquelles toutes les forces
végétales sont concentrées; et si cela ne suffit point, on a à la fin recours
aux universels, comme nous venons de le dire.
Il en est de même avec les minéraux; car dans l’alun se
trouvent tous les minéraux blancs; dans le vitriol sont concentrés tous les
minéraux et astres rouges: mais si ceux-ci ne suffisent pas, ayez recours aux
universels les plus fixes, comme sont l’esprit de nitre et de sel; prenez le
volatil de l’eau de pluie; l’esprit de nitre vous fournira l’acide, et l’esprit
de sel l’alkali. Vous avez par-là un vaste champ pour vous exercer dans la Chymie.
Chaque règne a ses propriétés et ses qualités particulières,
de manière qu’ils sont distincts l’un de l’autre; et par cette différence des
qualités, ils fournissent entr’eux des moyens, par où ils sont contraints de
laisser réduire leur contrariété à l’homogénéité, comme, par exemple, le règne
animal et le règne minéral sont les deux extrêmes, et le règne végétal est un
médium entr’eux.
Si vous voulez rendre le règne minéral homogène au règne
animal, il est impossible de le faire immédiatement; il faut, de toute
nécessité, que ce soit par son médium, c’est-à-dire par le végétal; et
réciproquement le règne animal ne sçauroit être rendu homogène au minéral que par
le végétal. Un Chymiste doit donc, s’il veut rendre son travail utile, agir
judicieusement, et ne pas mêler les animaux avec les minéraux; mais il faut les
mêler auparavant avec les moyens, c’est-à-dire avec les végétaux: il ne doit
pas non plus mêler le volatil animal avec le volatil végétal; il faut encore,
lorsque ceux-ci sont unis, qu’il se serve de son jugement et qu’il ne verse pas
d’abord ces volatils conjoints sur l’alkali; mais qu’il commence par l’acide,
et qu’il y joigne ensuite le volatil: en suivant cette règle, son travail sera
réellement profitable, et sans cela, il n’y aura que du dommage par-tout. Par-là
un Artiste voit encore que l’un entre dans l’autre avec ordre, et non aussi
confusément que bien des gens qui travaillent dans cet Art, et que leur union
se fait par des loix certaines et des moyens convenables.
Ainsi, par exemple, je veux dissoudre l’or, et tenter cette
dissolution depuis le plus haut degré jusqu’au plus bas. Je ne m’y prendrai
certainement pas, comme beaucoup de gens qui croient pouvoir dissoudre l’or
sans corrosif, même avec de l’eau toute seule. Il est vrai qu’après qu’on l’a
martyrisé par toutes sortes d’additions mercurielles et minérales, et qu’on l’a
réduit en une nature saline, alors il se laisse facilement dissoudre, sans
corrosif, et avec de l’eau de pluie toute simple; mais ceux qui opèrent ainsi,
ne sçavent ce que c’est que l’or, et encore moins son origine: ils n’entendent
pas non plus ce que c’est qu’un corrosif, ni pourquoi les minéraux sont traités
ordinairement avec des corrosifs.
Je veux donc dissoudre de l’or; je le réduis en feuilles les
plus subtiles; je verse dessus de l’esprit volatil d’urine du règne animal; je
vois que cet esprit ne l’attaque pas; j’y verse l’acide animal; il est encore
trop foible; j’y ajoute le vinaigre végétal, c’est-à-dire l’acide; il ne l’attaque
pas encore. Un Artiste voit par-là que toutes ces choses ne sont pas homogènes,
mais des extrêmes; et qu’il manque un moyen. Je vais donc dans le règne minéral,
comme dans son propre règne; je prends l’esprit ou l’huile de vitriol; je le
verse dessus, et le fais bien cuire ensemble; il ne l’attaque pas non plus: il
en tire seulement la teinture, et laisse l’or de couleur blanche au fond. Il y
en a plusieurs qui en seront étonnés, et qui diront: quel menstrue faut-il
donc, si les menstrues animaux, végétaux et minéraux ne font point d’effet ? En
voici la raison. L’esprit ou l’huile de vitriol est un extrême, en comparaison
de l’or; car l’esprit de vitriol ou de soufre est ce qu’il y a de plus volatil
dans le règne minéral, et le soleil est ce qu’il y a de plus fixe. Un Artiste
voit encore par-là la vérité de la sentence qui dit qu’un extrême ne peut se
conjoindre avec un autre extrême, sans moyen.
Plusieurs de ceux qui n’ont pas visité les mines dans les
montagnes, pourront dire: quel peut donc être le moyen entre l’or et le
vitriol, puisque le vitriol est la première matière de tous les astres rouges;
la première et la dernière ne s’aiment-elles pas toujours ? Cela est très-vrai;
mais non pas sans moyen. Je vous montrerai à présent clairement combien est
grande la différence qu’il y a entre l’or et le vitriol. Savez-vous bien que
l’or est tiré fondu des minières par la fusion, et que d’un quintal de minéral
on ne tire qu’une très-petite quantité de métal pur ? Si vous savez cela, je
vous indiquerai brièvement et cordialement quelles sont les choses
intermédiaires entre le vitriol et l’or. Comptez le vitriol ou le soufre pour
la première matière et pour l’extrême (je n’entends pas parler ici d’un vitriol
de Mars ou de Vénus).
Comptez aussi l’or pour la dernière matière, et également
pour un extrême: voici les moyens qu’il y a entr’eux. Après le vitriol ou le
soufre vient l’arsenic: j’entends que le vitriol devient un soufre, que, par
une longue digestion, le soufre perd son inflammabilité et sa combustibilité,
sans cependant qu’il soit encore fixe, et devient un arsenic volatil mercuriel et
pesant. Par une plus longue digestion il devient marcassite, et la marcassite
est la matière la plus proche de l’or ou du métal; car la marcassite devient à
la fin un métal, par une longue cuisson, et toutes les marcassites contiennent,
suivant leur genre différent, les unes plus, les autres moins, un grain fixe de
métal; au lieu que le soufre et l’arsenic s’envolent, et se réduisent en
scories. Plus ces corps deviennent fixes et alkalins, plus l’acide du vitriol
ou du soufre devient pierreux, et plus il devient noble et métallique, comme on
le voit par l’or, qui est le corps le plus fixe, le plus alkalin et si compact
qu’aucun acide n’y peut mordre; car l’acide s’y détruira, s’y tuera et y perdra
plutôt toute sa vertu, que de donner de l’or.
Par-là un Amateur verra que s’il vouloit réussir à dissoudre
l’or avec l’esprit de vitriol, il faudroit auparavant le réduire en marcassite;
ensuite le faire rétrograder en arsenic, et celui-ci en un sable vitriolique ou
sulfureux, ou en vitriol; alors l’esprit de vitriol résoudroit radicalement son
semblable, et le feroit passer tout entier avec soi dans la distillation en
forme de liqueur, mais point autrement: car encore que l’or se dissolve dans
les menstrues acides alkalisés, on peut toujours le réduire à sa forme
première, c’est-à-dire en un corps fixe, au lieu que, quand l’or est dissous
dans sa première matière vitriolique et mis en liqueur, comme nous l’expliquerons
plus bas, alors il est rétrogradé en sa première origine, c’est-à-dire en
vapeur minérale, car cette vapeur passe et monte en forme de vapeur: lorsque
l’or est poussé à ce point, si l’homme en vouloit prendre intérieurement, il
lui feroit contraire, parce que, dans cet état il est encore minéral et
corrosif.
Pour le rendre homogène à la nature animale, il faut de
nouveau chercher un moyen entre le règne animal et le règne minéral: tel est le
végétal. Et puisque l’homme ne peut se nourrir d’aucun minéral, mais qu’il se
sert pour cela du règne animal et végétal? Il faut aussi réduire et transmuer
l’or en une nature végétale et changer ensuite ce végétal en animal: alors
seulement le règne minéral devient, par ces moyens, agréable et homogène au
règne animal, comme je l’ai assez démontré; car il faut toujours aller par
degrés d’un moyen à l’autre jusqu’au plus haut, et ne pas ajouter d’abord le
plus volatil au plus fixe.
Bien des gens seront révoltés de m’entendre dire que je me
sers de l’arsenic pour préparer l’or; mais l’argent vif, qui diffère très-peu
de l’arsenic, le soufre, le mercure sublimé et les corrosifs les plus forts,
comme l’eau régale, etc., avec lesquels ils le préparent, ne sont-ils plus, à
leurs avis, des poisons ? Le sublimé leur paroît peut-être moins fort que
l’arsenic. Je sçais pourtant qu’il l’est davantage. Le soufre dont on fait de
l’arsenic en est-il donc entièrement dépouillé, et les corrosifs sont-ils assez
doux et bénins pour ne pas attaquer l’estomac ?
Cependant ils n’ôtent point à ces matières leurs qualités
nuisibles: au lieu que je peux changer entièrement l’arsenic de nature. Que l’Amateur
médite bien l’instruction que je vais encore lui donner, il n’y aura plus rien
d’obscur pour lui. J’ai dit que l’or naissoit du vitriol, du soufre, de
l’arsenic et de la marcassite. Si vous voulez réduire, selon les règles, l’or
en vitriol, il faut le faire rétrograder par tous les mêmes principes, par
lesquels l’or a pris son avancement: sans cela vous aurez toujours des peines
et des travaux fâcheux. Je ne prendrai pas ici les propres principes de l’or;
mais d’autres, par lesquels tout un chacun sçaura bien chercher et trouver les
véritables. Prenez seulement la pierre arsenicale, comme on l’appelle
communément, et qui est faite de parties égales de soufre, d’arsenic et
d’antimoine: faites fondre la pierre tout doucement: faites rougir l’or dans le
feu; mettez cet or dans la masse fondue; il s’y mêlera d’abord, et deviendra
une masse cassante, qui, réverbérée plusieurs fois avec le soufre, s’ouvrira tout-à-fait
comme le fer; et ensuite chaque acide le résoudra facilement.
Qu’on examine bien à présent ces parties, à sçavoir le
soufre, l’arsenic et l’antimoine.
L’antimoine est une marcassite noble, et sa minière montre
toujours dans ses épreuves un grain d’or ou d’argent: et si l’on donne de cette
masse composée de ces trois parties, à une bête, elle ne lui fera aucun mal, quand
même la dose seroit de demi-gros, parce que le soufre ôte à l’arsenic et à l’antimoine
tous leurs venins. Si vous réfléchissez bien sur les véritables principes de
l’or, et sur ceux de tous les autres métaux, ou que vous preniez la minière de
l’or, ce qui est tout un, ou des minières des autres métaux, il vous sera
facile de les réduire par l’esprit de vitriol ou d’alun dans leur première
matière. Par-là le Lecteur verra la qualité de l’arsenic, et avec quelle
promptitude on peut lui ôter son venin et le réduire en une meilleure qualité.
La même chose arrive avec le mercure sublimé, lorsqu’il est seulement brûlé
avec le soufre; son venin est déjà si tempéré, qu’on peut s’en servir avec
beaucoup plus de sûreté qu’auparavant; la même chose arrive lorsqu’on corrige
les venins avec les esprits liquides, c’est-à-dire avec de l’esprit de vitriol,
avec l’huile de vitriol ou de soufre, etc.
Nous finirons par-là ce chapitre si long, dans lequel nous
avons expliqué le règne végétal, qui est un véritable règne hermaphrodite entre
le règne animal et le règne minéral, et sans lequel le règne minéral ne sçauroit
jamais devenir homogène au règne animal. Un Artiste a bien peu d’esprit,
lorsqu’il prétend faire une médecine pour les hommes, et la tirer des minéraux
sans les végétaux, ou des végétaux sans les animaux ! Cela suffit pour le
présent; dans la suite nous en dirons davantage. Venons à présent au règne
minéral, dans lequel il se présentera des difficultés plus grandes que dans le
règne précédent.
Comment naissent les minéraux;
de quels principes ils sont composés, et en quoi ils se résolvent.
Arbre de génération des minéraux.
1. - Esprit de nitre et de sel
avec
2. - Le vitriol ou le guhr: de-là
3. - Le soufre: de-là
4. - L’arsenic: de-là
5. - La marcassite blanche ou
rouge: de-là
6. - Le métal, et de-là
improprement dans sa dernière fixation.
7. - Il devient verre.
Je ne parlerai point ici des principes ordinaires; on ne
doit point s’en étonner: ils y sont toujours sous-entendus; c’est-à-dire, le
mercure, le soufre et le sel, le volatil, l’acide et l’alkali, l’ame, l’esprit
et le corps, le ciel, l’air, l’eau et la terre, etc.
Je sçais bien que d’abord, dans la première description que
je ferai de la naissance des minéraux, on m’accablera de nombreuses objections;
mais, après qu’on aura connu la nature, l’origine, les progrès et la fin, on
rentrera un peu en soi-même et considérera les choses d’un peu plus près. Le Lecteur
peut être persuadé que je suis scrupuleusement la marche de la Nature, et
raisonne en conséquence. Il y a beaucoup d’auteurs qui ont donné au public
leurs descriptions minéralogiques, les uns clairement, les autres obscurément,
suivant leurs idées et leurs lumières. Je n’en méprise aucun, et leur donne les
louanges qu’ils méritent; aussi ai-je tiré d’eux beaucoup de connoissances,
sans lesquelles je serois demeuré dans l’embarras; quoique tous ceux qui ont
écrit des livres n’aient pas toujours eu en vue le bien public et l’avantage
des Lecteurs. Cependant lorsqu’on rapproche les sentimens de divers sçavans, on
y découvre souvent le point essentiel, et le but dont on avoit été en doute
pendant plusieurs années.
On met dans un conseil plusieurs personnes, afin que l’une
trouve ce qui ne se présente pas à l’esprit de l’autre. Il faut de même
consulter différens auteurs; car, encore que l’un ait écrit de très-bonnes
choses, il n’a pourtant pas tout sçu, et n’a pu aussi penser à tout, ni entrer dans
des détails assez circonstanciés. Or, ce que l’un a oublié, l’autre en fait mention
et l’explique: par-là un Lecteur se corrige et parvient au but qui lui avoit
échappé auparavant.
Qu’il en use de même dans ce traité. Si un point ne lui
plaît pas, qu’il s’accommode d’un autre; il en trouvera quelqu’un qui vaudra la
peine d’être mis sur le papier. Si je n’ai pas en tout une bonne théorie, j’ai
certainement une bonne pratique, ou du moins de bonnes manipulations, qui
pourront servir très-utilement à quelques-uns.
Avant que de passer plus avant, je dois dire qu’un grand
nombre de Philosophes font la description de l’origine des minéraux, à peu près
dans les termes suivans.
Du centre de la terre il s’élève des vapeurs, qui, en
montant jusqu’aux veines froides des montagnes, s’y résolvent en eau et s’y
arrêtent; elles y dissolvent la terre, et par-là se changent en nature de
couperose vitriolique, huileuse, saline, ou alumineuse et pierreuse, qui
ensuite se cuit en soufre et en métaux, suivant la variété de la terre subtile,
etc. Cela veut dire que du centre de la terre il s’élève des vapeurs dans les
fentes et crevasses des rochers, qu’elles s’y attachent et deviennent eau, que
cette eau subtilise la terre en la dissolvant; de sorte qu’elle en fait une
nature vitriolique, saline ou alumineuse, qui devient ensuite sulfureuse, et à la
fin métallique; que suivant que la terre qui y est mêlée est subtile ou
grossière, elles font une différente sorte de métal, etc. Ils disent, avec
raison, qu’il monte des vapeurs; mais ils n’expliquent pas de quelle sorte sont
ces vapeurs, ni quelle est leur origine, leur qualité et leur propriété.
Une telle description ne peut pas servir de beaucoup à un
jeune apprenti; car il monte également des vapeurs jusqu’à nous dans l’air;
mais il n’y a que ceux qui ont fait des expériences dans les vastes entrailles de
la terre, qui puissent bien connoître la grande différence qui se trouve entre
ces vapeurs et celles qui restent dans la terre. Par cette raison, si vous avez
un vrai désir d’en avoir quelque connoissance, observez bien ce que j’ai dit ci-dessus,
à sçavoir que le sperme universel de toutes choses fut originairement eau et
esprit.
Cela se prouve, non-seulement par ceci, mais encore par le
chaos régénéré; et nous avons montré comment cet esprit passe de l’invisibilité
et de l’impalpabilité à un état visible et palpable.
Toutes choses ont pris origine du chaos, et ce chaos ou
cette vapeur est devenue une eau dans laquelle l’esprit étoit caché. De-là sont
venus ensuite tous les animaux, végétaux ou minéraux; ces deux premiers d’une
semence volatile, et le dernier d’une semence plus fixe.
Dans l’eau chaotique primordiale, aussi bien que dans l’eau
régénérée et dans toutes les autres eaux et terres, on trouve dans leur centre, ou plus grande
profondeur, deux sels différens; c’est-à-dire l’esprit du monde rendu visible,
ou le sperme corporel du macrocosme masculin et féminin; à sçavoir le nitre et
le sel que nous avons prouvé être la matière première universelle de toutes
choses sublunaires, pas encore spécifiées ou individuées, lesquelles, avec le
chaos régénéré, sont tout en toutes choses, comme nous avons démontré qu’ils se
trouvent aussi dans tous les sujets quelconques, fixes et volatils, suivant la
différence de leurs digestions. La preuve suivante confirmera qu’ils sont tout
en toutes choses.
Une chose qui est, et qui doit être tout en toutes choses,
doit nécessairement renfermer en soi la Nature et les propriétés de toutes
choses, et doit aussi s’unir, s’associer, s’accoupler et se conjoindre à toutes
choses sans exceptions.
Ces deux sels, le nitre et le sel, sont minéraux, au rapport
des Chymistes, et suivant l’idée commune; mais c’est mal à propos; car de ce
qu’on les tire de la terre, de dessous la terre et des montagnes, il ne
s’ensuit pas qu’ils soient pour cela minéraux; car on les trouve aussi dans la
mer, dans les lacs, dans d’autres eaux, sur la terre, dans le règne animal et
dans le règne végétal, comme nous l’avons prouvé ci-dessus. Il faudroit donc
dire aussi, parce qu’on les tire des animaux, qu’ils sont du règne animal, et
parce qu’on les tire des végétaux, qu’ils sont du végétal. Ce n’est pas ainsi
qu’il faut raisonner; mais bien conclure, comme cela est démontré par les
preuves et par les effets, que, puisqu’ils se trouvent dans tous les sujets des
trois règnes, ainsi que dans tous les sujets universels, ils sont, à juste
titre, dans toutes choses.
De plus, on ne trouve dans tout le règne minéral aucun sel,
ni aucun sujet, qui, sans leur transmutation, soit homogène au règne animal ou
au règne végétal, que ces deux seulement, c’est- à-dire le salpêtre et le sel,
qui, ni dans les animaux ou hommes, ni dans la plupart des végétaux, ne font
aucune altération évidente. Car l’homme et tous les animaux peuvent se servir de
salpêtre et de sel pour leur nourriture; les végétaux peuvent aussi s’en
servir, de même que les animaux, et tous sans aucun danger, pourvu néanmoins
que ce soit avec poids et mesure; car tout excès tourne en vice. Ces sels qui
sont très-génératifs et très-conservatifs, deviennent, au contraire, quand ils
sont employés sans poids et mesure, les destructeurs de toutes choses.
Qu’on oppose à ces deux le vitriol et l’alun: on les compte
tous les deux proprement parmi les sels minéraux; aussi l’homme ne sçauroit-il
les prendre sans nausée et sans une grande altération: de même il ne sçauroit
prendre des sujets mercuriels, ni arsenicaux; ils seroient également contraires
aux végétaux. Qu’on donne intérieurement à un homme ou à une bête, comme chien
ou chat, seulement un ou deux scrupules de vitriol, on verra bientôt combien il
vomira et s’altérera. De même si l’on verse une lessive de vitriol ou d’alun au
pied d’un arbre ou d’une plante, on les verra bientôt périr. Par-là il est
encore prouvé que le salpêtre et le sel sont homogènes à toutes les créatures
sublunaires; car l’on a vu ci-dessus que, bien loin de leur être nuisible, ils
les conservent et leur donnent l’accroissement. Or, ce qui a cette propriété,
doit leur être homogène, et il faut qu’elles en soient composées; mais si elles
en sont composées, il faut nécessairement qu’elles en aient tiré leur origine,
et qu’elles s’y réduisent dans leur dernière dissolution; et ainsi le premier
devient le dernier, et le dernier le premier.
Comme ces deux sels, le salpêtre et le sel, sont disposés
différemment pour l’animalité et pour la végétalité, ils sont aussi disposés
différemment pour la minéralité; car s’il n’y avoit qu’une même disposition, il
en résulteroit la même chose.
Leur disposition pour les animaux et pour les végétaux a été
traitée dans leurs chapitres propres.
Ici nous traiterons de leur disposition pour les minéraux;
et nous dirons toujours que les minéraux n’ont tiré leur naissance et leur
origine que d’une vapeur aigre, acide et corrosive; ou, pour parler plus
clairement, d’un vitriol, d’un nitre fortement fermenté et aigre, et d’un sel, conjointement
avec une terre subtile qu’ils ont résoute. Plus cette terre est subtilisée par
ces acides, plus les sels, c’est- à-dire ces acides deviennent terrestres et
fixes par la terre, et plus le métal qu’ils produisent est pur.
Tous les Physiciens sçavent que tous les animaux, végétaux
et minéraux sont salés dans leur intérieur, et que, suivant le genre et
l’espèce de chacun d’eux, les sels sont plus volatils ou plus fixes. On sçait
aussi que l’air est nitreux et salé; que la mer et toutes les eaux sont salées,
et que la terre est salée intérieurement et extérieurement. Cela posé comme
certain, un Physicien me permettra de dire que, si les parties du macrocosme
sont salées dans leur circonférence, plus ou moins, il faut que le centre du
macrocosme soit encore salé davantage, puisque, comme nous l’avons prouvé, les
sels en partie, et principalement les fixes, naissent en quantité, et sont
produits par les vapeurs qui viennent du centre. On avouera aussi sans peine,
que le centre du monde n’est pas une fontaine claire et crystalline, dans laquelle
il ne dégoutte qu’une liqueur de vie; car on voit par les casemates de la
terre, aussi bien que des eaux, que toutes sortes d’impuretés coulent au
centre; de même qu’il vient dans l’estomac des hommes et de tous les animaux,
et dans la racine de tous les végétaux, toutes sortes d’alimens purs et impurs,
doux et aigres. Ce mélange chaotique occasionne, par le moyen des sels
différens, une forte fermentation; et plus le centre fermente, plus il y aura
de fortes vapeurs et exhalaisons. Les vapeurs sont poussées dans l’intérieur de
la terre, du centre à la circonférence, où les plus épaisses, les plus fortes
ou les plus fixes s’attachent aux roches, aux pierres et à la terre, et y
deviennent eau. Ce qui est plus volatil monte jusqu’à la superficie de la
terre, aux racines des végétaux: ce qui est encore plus volatil s’évapore dans
l’air, et joint les animaux: ce qui est tout-à-fait subtil s’élève bien plus
haut dans l’air, fait des brouillards et des nuées, et celles-ci font la pluie,
la rosée, etc.
Ces vapeurs sont salées, puisque le centre est salé, et que
les sels étant résous par la pluie, se subliment par leur fermentation et
échauffement. Plus ces vapeurs sont proches du centre, plus elles sont
piquantes et corrosives: plus elles s’en éloignent, plus elles deviennent douces
et tempérées, parce qu’elles déposent la partie la plus considérable et la plus
fixe des corrosifs dans les terres et les rochers, en traversant la terre.
Comme le corrosif est fort, il attaque la terre qu’il rencontre, quelle qu’elle
soit, et en résout toujours un peu de celle qui est de plus facile solution,
jusqu’à ce que, par les vapeurs qui se succèdent sans cesse, il y ait une
quantité de terre corrodée ou résoute. Lors donc que le corrosif, comme étant
un esprit volatil aigre et salin, ou un esprit de sel, attaque la terre, il s’y
tue, s’y coagule, et devient corporel ou vitriolique, ou alumineux, suivant la
qualité de la terre: la terre au contraire est dissoute; et ce qui reste de la
terre que le corrosif n’a pu dissoudre entièrement, il l’a préparée, et rendue
en partie plus subtile, onctueuse et gluante; ce que les Chymistes appellent guhr métallique, ou première matière des
métaux; mais à tort: car c’est la matière première et plus prochaine du soufre
et de l’arsenic. Lorsque l’arsenic devient marcassite, c’est celle-ci qui est alors
la première et la plus prochaine matière des métaux; car les métaux viennent immédiatement
de la marcassite, et non de ce guhr
qui est seulement une matière éloignée des métaux. Ce guhr ou cette matière gluante se résout et se subtilise de plus en
plus par les vapeurs corrosives subséquentes; et plus elle est résoute et
devenue subtile, plus elle fixe le corrosif en elle, et le rend sulfureux et
arsenical. Cet arsenic se mûrit de plus en plus, jusqu’à ce qu’il devienne
marcassite, et la marcassite devient seulement métal. C’est-là la progression
des métaux, et nous la rendrons claire de plus en plus.
Lorsque les vapeurs montent dans les fentes et crevasses des
rochers, elles y deviennent eau par leur épaississement, par les vapeurs
toujours subséquentes et plus abondantes. Cette eau contient en elle l’esprit
de nitre et de sel mêlé. Ce sel est connu de tous les Chymistes pour être corrosif;
mais ici il est dans le centre environné de beaucoup de phlegme, et étendu dans
beaucoup d’eau. Ces esprits, par leurs corrosifs, s’attachent aux pierres et à
la terre, les corrodent, les dissolvent, les subtilisent, les gonflent, les
rendent visqueuses, gluantes, et les réduisent en un guhr humide qui reste
entre la pierre et la terre, comme une chair lardée; et souvent par son
gonflement il déborde en dehors et s’attache aux parois, comme on le voit aux
anciennes chambres et cavernes des mines. Lorsque cette terre résoute se
subtilise, et se résout de plus en plus par les vapeurs et les esprits salins
qui y abordent incessamment, elle se gonfle encore davantage; et, par le
gonflement, elle exprime et jette au dehors de soi l’humidité superflue qui
coule de nouveau au centre et dans d’autres coins et trous de la terre.
Cette terre gonflée, ou ce guhr, n’a jamais aucun repos; car les vapeurs subséquentes, qui
montent continuellement, l’attaquent de plus en plus, s’y attachent, s’y fixent
et se coagulent dans la terre. Plus il se succède de ces vapeurs corrosives,
plus la terre devient ignée et sulfureuse: plus elle devient sulfureuse, plus
elle se gonfle: plus elle pousse au- dehors les humidités, plus elle devient
sèche. La qualité sulfureuse perd sa combustibilité, et acquiert par-là ce nom
de mercure qu’on devroit plutôt appeler arsenic, qui est provenu de l’acide
sulfureux. Celui-ci ne brûle plus, quoiqu’il soit encore volatil. Cette
volatilité et cette humidité est liée, fixée et coagulée de plus en plus entre
les pierres par la chaleur centrale, jusqu’à ce qu’elle soit changée en
marcassite. Si la digestion ou chaleur souterraine centrale est forte, la
marcassite se fixe en métal: si au contraire cette chaleur est foible, la
marcassite reste marcassite, ou devient minière arsenicale, sulfureuse ou
vitriolique.
Qu’on sçache pourtant que, lorsque la Nature est parvenue au
point de faire un soufre ou un arsenic, elle a tellement rempli les fentes ou
les crevasses, et dissous ou gonflé tant de terre, et lesdites fentes en sont
tellement remplies, qu’aucune autre vapeur et humidité ne sçauroit y entrer
lorsque la terre n’est plus en dissolution. C’est alors qu’elle commence l’exsiccation,
la fixation, la coagulation, qu’elle procède à la métalléité ou fixité. Je me représente
le travail de la Nature, qui remplit les cavités et les fentes de la terre, à
peu près comme celui des abeilles qui remplissent leurs cellules de miel,
jusqu’à ce qu’elles soient entièrement pleines, et les ferment ensuite: de même
la Nature envoie les vapeurs l’une après l’autre; par-là elle résout et gonfle
la terre de plus en plus: cette première terre est remplie d’acide, et s’en
remplit encore de plus en plus: à la fin l’acide et la terre sont tellement
mêlés ensemble, qu’eu égard à leur première matière, on ne sçauroit plus connoître
ce qu’ils étoient auparavant; car de la terre et de l’acide il en est résulté
une matière tierce, qui diffère de la première du tout au tout.
Cette naissance est toute pareille à celle des animaux et
des végétaux; avec cette seule différence qu’ici la Nature cherche à faire des
sujets plus fixes, plus durs et plus pierreux; au reste, elle travaille dans le
même ordre; car des vapeurs molles et humides, elle fait de même au commencement
des parties molles, qu’elle pousse de plus en plus jusqu’à ce qu’elle les
durcisse en une pierre: tout comme un jeune chêne se durcit de plus en plus
jusqu’à ce qu’il devienne un bois dur comme la pierre. La différence qu’il y a
entre les créatures minérales, consiste en ce qu’elles acquièrent plus ou moins
de corrosif les unes que les autres: plus elles en acquièrent, plus elles
deviennent fusibles. Si les esprits corrosifs trouvent une terre ou une pierre
subtile et pure, ils y travaillent subtilement, et font un métal noble; au
contraire, plus les esprits corrosifs trouvent une terre grossière, moins ils
la peuvent travailler, c’est-à-dire la rendre noble et subtile de plus en plus
par les solutions, et plus le métal qu’ils sont est grossier. Plus la digestion
et la chaleur centrale sont foibles, moins ils sont desséchés, coagulés, et
fixés. De cette manière le métal reste en chemin, et il s’en fait des minières
vitrioliques, sulfureuses et arsenicales, antimoniales, bismuthiques et autres
pareilles: plus au contraire la digestion est forte, plus les minières
deviennent fixes et métalliques: si la digestion et la chaleur centrale sont
inégales et trop fortes au commencement, la terre se résout, à la vérité; mais
elle ne devient pas volatile; elle se fixe, se coagule d’abord, et s’approche
de plus en plus de la métalléité. Les Chymistes les appellent des soufres fixes
embrionnés, comme le sont le bolus, l’hématite, l’hémeril, l’aimant, la tutie,
la calamine, etc.
Si au commencement la digestion est foible, que la terre et
ses cavités se remplissent d’abord, qu’ensuite les vapeurs n’y puissent plus
entrer, elles se jettent d’un autre côté, et ce qui étoit commencé reste
imparfait; le feu central n’augmentant point, les matières restent ouvertes et volatiles,
comme les sables vitrioliques sulfureux, etc., ainsi que nous l’avons dit ci-dessus:
mais si la Nature conserve un degré de chaleur convenable et uniforme, pendant
les quatre saisons de l’année, elle fait, par le moyen des corrosifs modérés et
proportionnés, des métaux plus nobles, comme l’or, l’argent, l’étain, le
cuivre.
Un Artiste voit par-là d’où vient la diversité des minéraux,
et il peut remarquer que la Nature n’a pas mis moins de variété dans ce
règne-ci que dans les deux autres; car les minéraux ne diffèrent pas seulement
entr’eux, mais chaque minéral a encore plusieurs nuances.
En combien de degrés différens de couleurs ne trouve-t-on
pas l’or, suivant qu’il a été plus ou moins travaillé et purifié par la Nature
? L’argent a aussi différens degrés de fixité, de pureté, ainsi que le cuivre,
le fer, l’étain, le plomb, etc., et la même différence se trouve également dans
les moindres minéraux.
Comme la terre et les pierres sont la mère, le fondement ou
la matrice des minéraux, la vapeur ou les esprits salins leur servent aussi
d’aliment et de nourriture; le vitriol ou le guhr vitriolique est la racine; le
soufre ou l’arsenic, la tige; et la marcassite, la fleur et la semence de tous
métaux. Si on lessive le guhr, qu’on le filtre et qu’on le coagule; on y
trouvera un sel vitriolique, suivant le genre de terre qu’il a dissoute; ce qui
est une preuve que le vitriol se fait le premier et avant le soufre et
l’arsenic. Je l’appelle vitriol, non que ce soit un vitriol commun vert, tel
qu’on l’achète chez les droguistes; mais parce qu’il a un goût de vitriol ou d’alun.
On voit, par l’analyse, que le soufre ou l’arsenic ne se
font qu’après le vitriol; car il se trouve rarement, ou très-peu, de soufre
ardent jaune avec les métaux blancs tels que le plomb, l’étain et l’argent;
mais ils contiennent une plus grande quantité d’arsenic blanc, de vitriol
alumineux ou d’alun. L’acide, ou la vapeur aigre, poussée au feu, vient la
première; ensuite montent les fleurs du soufre; après celles-ci vient l’arsenic,
et après l’arsenic la marcassite volatile: car la marcassite fixe se fond en
régule et en scories. L’antimoine prouve encore que la marcassite se fait de
l’arsenic; car le bismuth et l’antimoine, réduits en fleurs, sont très-arsenicaux
et volatils. Une preuve que les métaux se forment de la marcassite par une
longue fixation, c’est que presque chaque marcassite donne, dans l’épreuve
qu’on en fait, un grain de métal parfait ou imparfait.
Le Lecteur voit encore par-là comme la Nature va, d’une
manière très-belle et très-excellente, par degrés intermédiaires, et jamais
d’un extrême à l’autre; elle va toujours d’une vapeur volatile, suivant son
génie, à une Nature fixe, et ensuite plus fixe; car cette vapeur est fixe, en comparaison
des vapeurs animales et végétales. Nombre d’auteurs ont écrit que le vitriol est
le guhr ou la première matière des métaux; quelques-uns même ont ajouté que l’antimoine
est la racine et la mère des métaux; mais comme ils n’en ont fait aucune distinction,
un Amateur ne sçauroit se régler sur ce qu’ils en ont dit. Chaque Chymiste
n’entre pas dans les mines; et quand il y entreroit, de cent, il n’y en a pas
un qui comprenne ces choses.
Il peut bien considérer les parois des mines, les minières
et les pierres; il peut voir qu’une chose est noire et l’autre blanche, qu’elle
est ou n’est pas métal; mais il ne pénètre pas plus avant: et en effet, il est
impossible d’en juger par la seule vue. Qu’il détache un morceau de minière;
qu’il le mette sur le feu; qu’il en distille une partie après l’autre: c’est
alors qu’il pourra examiner de plus près chaque partie, et discerner ce
qu’elles sont et ce qu’elles contiennent; car en général, lorsqu’il s’y trouve
quelque liquide, il est acide, vitriolique et sulfureux; s’il s’y trouve des
fleurs, elles sont ordinairement des soufres et des arsenics.
On connoît le soufre par son inflammabilité et par sa
puanteur, pour ce qui regarde l’arsenic, donnez-en un peu à un chien, s’il
vomit, vous connoîtrez que c’est vraiment de l’arsenic, et, en ce cas, il faut
sur-le-champ donner au chien un morceau de beurre mêlé avec du mithridate.
La marcassite se fait connoître en ce qu’elle n’est pas
montée si haut; mais qu’une partie plus volatile s’est élevée sur la plus fixe,
comme le cinabre ou le mercure sublimé, sur les fèces; fondez- les ensemble, et
vous aurez une masse cassante en forme de régule; c’est-là la marcassite. La
partie la plus fixe s’en va, en partie, en scories, parmi laquelle est mêlée la
matrice pierreuse, laquelle est cause qu’une bonne partie du régule et du métal
se mêlent avec les scories, et se vitrifient; mais le régule, qui est compris
dans les scories, est, en partie, marcassite, et en partie métallique; la
marcassite s’évapore dans l’affinage, et le métal reste seul.
Plusieurs auteurs qui ont appelé l’antimoine la racine ou la
première matière des métaux, ont eu en partie raison, sur-tout si, par
l’antimoine, ils ont entendu la marcassite ou ce qui est de la nature de la
marcassite. Au reste, l’antimoine est une marcassite qui, par le défaut d’une
plus grande maturation, est resté tel qu’il est. De cette manière un Amateur de
la Chymie pourra plutôt parvenir à son but; le volatil s’en va toujours le
premier au feu, et les parties les plus fixes suivent après.
Nous avons dit plus haut que les métaux naissent d’une
vapeur; que cette vapeur est saline et spiritueuse, ou un sel spiritueux; et
nous avons ajouté que ce sel est un corrosif. Ici je rappellerai le principe
que j’ai déjà établi ci-dessus; à sçavoir que toutes choses sont nées du sel et
du nitre, et que toutes choses se réduisent dans leur dernière solution, en
nitre et en sel.
Cela une fois connu, je pose en fait que dans le centre de
la terre ces sels se trouvent également mêlés, et que fermentés par le feu
central, ils sont poussés en haut en forme d’une vapeur volatile, laquelle
vapeur je serois presque tenté d’appeler eau régale du macrocosme, ou eau régale
minérale et primordiale, comme étant composée de nitre et de sel; mais je
laisserai le soin à chaque Chymiste de l’appeler de tel nom qu’il voudra.
Quelques-uns l’appellent la vapeur mercurielle et sulfureuse, parce que le sel
est le mercure, et que le nitre est le soufre.
Il y a pourtant ici une difficulté; c’est que j’ai dit que
le feu central fermente les sels et les rend corrosifs en les sublimant. Ceci
est un point capital qui choque l’opinion commune; car presque tous les Chymistes
rejettent absolument les corrosifs et ne veulent rien que de doux et de suave;
quoiqu’il y en ait très-peu qui connoissent ce trésor de la dulcification et la
manière par laquelle il faut adoucir, ils vont même jusqu’à prétendre qu’il n’y
a naturellement, dans la terre ni sur la terre, aucun corrosif.
Comment m’y prendrai-je pour prouver ce point essentiel,
contre une opposition si générale ?
Voici cependant ma réponse. J’ai prouvé ci-devant que les
vapeurs aqueuses salines remontent du centre de la terre dans les entrailles
des montagnes; qu’elles s’y attachent, s’y tuent, s’y coagulent et s’y fixent;
et que, par ce moyen, elles deviennent conjointement avec la terre un guhr gras
et gluant; que l’acide résout la terre et que la terre coagule l’acide.
Si l’on convient qu’il monte des vapeurs salines, on ne sçauroit
nier que ce sel ne soit un sel résous; et un tel sel résous est appelé par tous
les Chymistes un esprit de sel ou de nitre; mais n’avouent-ils pas eux-mêmes
que l’esprit-de-sel et l’esprit de nitre sont des corrosifs, sur-tout lorsque
ces esprits sont rectifiés et séparés de tout phlegme et de toute terre
superflue.
Dès que les vapeurs corrosives s’approchent de la terre ou
des pierres, elles s’y attachent, attaquent la terre en la dissolvant, et
deviennent par-là corporelles, et un sel vitriolique ou alumineux; ce qui peut
se prouver par l’expérience. Prenez un corrosif, lequel vous voudrez; de l’esprit
de nitre ou de sel, ou de l’eau régale: jettez-y une terre que le corrosif
puisse attaquer: celui-ci se glissera dans la terre, s’y attachera, la
dissoudra, et le corrosif se coagulera; car si vous faites évaporer l’humidité
jusqu’au tiers et que vous mettiez le reste à la cave, il deviendra un sel
vitriolique et se coagulera en crystaux, suivant le genre de terre que vous y
aurez mis: ce qui prouve que le corrosif s’est tué dans la terre en la
dissolvant, bien que le corrosif ait été déphlegmé. Vous verrez que, nonobstant
cela, il restera encore une aquosité superflue; car en distillant l’humidité
par l’alembic, après que le corrosif a dissous la terre, vous trouverez dans le
récipient une eau douce et sans goût: s’il y a eu très-peu de terre et que le
corrosif en ait pu dissoudre davantage, il passera quelque corrosif avec
l’humidité, mais si fort affoibli, en comparaison du premier, qu’il n’est
presque qu’une eau toute pure.
Le vitriol, ou le guhr minéral, fait connoître par lui-même qu’il
a pris naissance du corrosif universel, du nitre et du sel non coagulés et
corporels, mais résous et spiritueux.
Qu’un Artiste traite comme il voudra une terre avec un sel
qui n’est pas esprit, mais un corps; il ne réussira jamais à en tirer une telle
qualité vitriolique; il réussira au contraire avec chaque acide, chaque sel
résous, avec l’esprit salin du nitre et du sel de vitriol, du soufre, de
l’alun, et même avec chaque vinaigre végétal, fort et rectifié. Cette vérité
que le guhr minéral est fait de corrosif, se prouve encore par sa réduction en
première matière; car si on distille ce guhr ou le vitriol qu’on en a tiré par
lexiviation, on verra qu’il donne une eau corrosive; puisqu’il faut qu’une
chose se résolve et se réduise en la même dont elle a tiré son origine, ex
quo aliquid fit, in illud rursus resolvitur. Les minéraux, étant faits de
corrosifs, se réduisent aussi en corrosifs. Qu’on distille du sable vitriolique
ou sulfureux, d’une minière d’alun, ou d’autre minéral; on trouvera toujours
une liqueur corrosive en plus ou moins grande quantité. Un Artiste qui veut connoître
les principes des métaux, ne doit pas les considérer après qu’ils sont fondus,
tels qu’ils se présentent à nos yeux; car la plus grande partie de leur
substance primordiale en a déjà été séparée et dissipée par le feu.
Mais qu’il en prenne la minière, telle qu’elle vient des
mines, et qui n’a pas encore passé par le feu; alors il en connoîtra la
différence: qu’il prenne ce guhr ou cette minière de vitriol, de soufre, d’arsenic,
d’orpiment, de cuivre ou de mercure; qu’il les distille à très-fort feu; il trouvera
dans tout, peu ou beaucoup d’eau corrosive. Au reste, plus un métal est ouvert
et moins éloigné du guhr, plus il donnera cette eau; car la fixation en chasse
au dehors presque toute l’humidité superflue, et, par cette raison, les métaux
deviennent capables de soutenir le feu, et presque incorruptibles. Moins un
métal a d’humidité, plus il est subsistant au feu; car l’humidité superflue est
l’instrument dont se sert l’esprit universel; tant que cette humidité est en
eux et avec eux, elle le réveille toujours pour agir; puisque dans les sèches
il ne sçauroit agir avec la même facilité que dans les humides; c’est pourquoi
les animaux et les végétaux sont dans une altération et une constance
perpétuelle, à cause de leur humidité. A peine croissent-ils qu’ils avancent
vers leur destruction. Il en arrive de même aux minéraux qui renferment en eux
cette humidité; ils sont pourtant beaucoup plus durables que les végétaux et
les animaux.
C’est ce qui a engagé les anciens Philosophes, qui voyoient
que les animaux et végétaux dépérissoient et pourrissoient si promptement les
uns plus vite que les autres, à chercher cet esprit balsamique vivifiant et
universel dans les minéraux, où ils l’ont aussi trouvé; puisqu’il est concentré
en quantité, et que tout ce qu’il y a de coagulé ou de fixe dans quelque
minéral que ce soit et sans aucune exception, est cet esprit universel et
vivifiant. Comme ils ont vu que, même parmi les minéraux, il y en avoit
quelques-uns qui étoient inconstans et peu durables, ils ont choisi ceux qu’ils
avoient éprouvé être les plus durables, c’est-à-dire l’or et l’argent et
presque toutes les pierres précieuses; mais, comme les pierres précieuses se trouvent
en petite quantité, ils se sont retranchés sur l’or et l’argent, et en ont
préparé les remèdes pour la prolongation de la vie.
Chaque Artiste doit pourtant observer que, comme la Nature
sépare des minéraux l’humidité superflue, l’Art peut encore la séparer
davantage, non-seulement dans les minéraux, mais aussi dans les végétaux et
dans les universels; car si l’Artiste analyse quelques-uns de ses sujets, il
verra le phlegme superflu s’en séparer de lui-même et très-aisément par la rectification;
que l’esprit se condense, se concentre, devient si corrosif et si puissant, lorsqu’on
le réserve en un petit volume, qu’on n’oseroit en prendre intérieurement sans danger,
excepté dans la plus petite dose, comme je le démontrerai dans la seconde
partie de ce traité, lorsque je traiterai de l’analyse et de la corruption des
choses. Ainsi, pour préparer une médecine universelle, l’homme n’est pas obligé
d’avoir recours aux minéraux, aux végétaux et aux animaux; il n’a qu’à chercher
en soi-même; ses propres urines et ses excrémens sont assez puissans pour en
préparer la médecine la plus excellente; parce qu’ils renferment en eux un
esprit universel aussi parfait que l’or et l’argent et les pierres précieuses.
Il ne s’agit que d’en séparer l’humidité superflue et d’en réunir les principes
ensemble: s’il y reste encore
quelque humidité, il faut la séparer par le bain-marie, et
l’on trouvera au fond un trésor plus grand que tous les remèdes si vantés pour
la santé.
Une preuve incontestable que dans la terre il se trouve un
corrosif actuel, c’est que le soufre corrode, pousse et fait rétrograder les
métaux imparfaits, principalement le fer et le cuivre, en leur première
matière. Son odeur, qui prend au nez, n’est-elle pas aussi forte et aussi
mordicante que celle d’aucun corrosif que ce soit ? N’infecte-t-elle pas les
poulmons avec violence, jusqu’au point qu’un homme a beaucoup de peine à
l’expulser et à l’adoucir à force de tousser, de cracher, de baver et de
saliver ? Le soufre, étant sec, n’est-il pas un corrosif beaucoup plus subtil,
lorsqu’il est liquide, comme on en peut voir la différence, en comparant son
huile avec celle du vitriol ? Il a un acide si subtil et si pénétrant, qu’on ne
sçauroit assez se l’imaginer, à moins que d’y prêter une attention toute
particulière.
L’arsenic est-il autre chose qu’un corrosif ? Ne
corrode-t-il pas tous les métaux, sans épargner même ni l’or ni l’argent ?
Ne voit-on pas clairement qu’en beaucoup d’endroits les
vapeurs souterraines sont si corrosives, que les mineurs sont forcés de quitter
les mines, pour ne pas y étouffer ? S’il n’y avoit point de corrosif dans la
terre, pourquoi les habits de quantité de mineurs seroient-ils brûlés, comme
s’ils eussent été trempés dans l’eau- forte, lorsqu’ils se sont appuyés
seulement en certains endroits ?
Les eaux souterraines, telles que les eaux chaudes
sulfureuses, celles d’alun, de vitriol, de nitre, sont-elles autre chose que
des corrosifs étendus. Qu’on en concentre une certaine quantité par la
distillation, qu’on les échauffe un peu et qu’on y mette une poule morte: elles
lui emporteront les plumes avec la peau, et corroderont sa chair; ce qu’une eau
douce et même salée, comme celles qui sont sur la terre et au-dessus, ne feront
jamais.
Lorsqu’un homme se baigne trop dans de semblables eaux,
elles attaquent violemment sa nature et sa peau, et le rendent quelquefois
hideux à voir. Les eaux minérales aigres, lorsqu’on en boit trop; font un
pareil effet; car on a trouvé, après la mort, des malades dont les muscles étoient
tout-à-fait détachés et devenus aussi tendres que si on les avoit marinés,
comme le gibier à plume, au point qu’on auroit pu, sans instrumens d’anatomie,
les séparer du corps. Lorsqu’on concentre plusieurs pots, et même des tonnes
entières de ces eaux, on découvre combien peu elles renferment de cette
substance puissante, et combien cependant elles rendent une telle quantité
d’eau capable de produire de si grands effets.
Il n’est pas surprenant que les Chymistes vulgaires, et
encore beaucoup moins un Artiste péripatéticien babillard avec ses quatre élémens,
ne comprennent point comment il se trouve dans la terre un tel corrosif. Il y
en a plusieurs raisons. D’abord il est noyé dans une grande quantité d’eau; en
second lieu, la terre le prend en elle et le coagule; en troisième lieu, aucun
corrosif ne peut jamais s’appercevoir en forme de vapeurs, mais seulement en
forme d’eau; aussi aucun de ceux qui traitent des mines, ni aucun Historiographe
n’en ont jamais parlé, ou si peu que rien. Chacun de ces effets se prouve par
l’expérience.
Prenez de l’huile de vitriol, de soufre, de sel ou de nitre,
ou bien de l’esprit de nitre ou de sel, etc.; versez-en une livre dans trois ou
quatre seaux d’eau; mêlez-les bien ensemble: vous pourrez en donner à boire à
un homme sans danger. On voit par-là que le corrosif n’y est pas perceptible.
C’est de cette façon qu’il se trouve dans la terre.
Prenez ensuite cette eau; versez-y une livre ou deux de
craie; faites-les bien bouillir ensemble; ôtez l’eau, et vous verrez que la
craie est devenue salée; Ce sel provient du corrosif que la craie a attiré et
fixé: mais il en est encore resté une partie dans l’eau. Faites évaporer et crystalliser
cette eau: vous trouverez un vitriol qui s’est fait de la craie dissoute, et
que la craie a fixé. C’est ainsi que la chose arrive dans la terre.
Il n’est pas plus difficile de s’assurer par l’expérience
que le corrosif n’est pas sensible, lorsqu’il s’élève en forme de vapeur, à
l’exception néanmoins du soufre qui est un pur corrosif concentré.
Prenez de l’eau forte, de l’eau régale, de l’esprit de
vitriol ou de son huile, etc., mettez-les dans une tasse sur le feu;
laissez-les évaporer dans un appartement, ils feront une vapeur extrêmement
forte. Un gros remplira l’appartement de vapeurs et de brouillard. Cette vapeur
peut être respirée de tous les hommes, sans s’appercevoir de la moindre
corrosion; au lieu qu’une seule goutte de ces corrosifs, mise sur la langue, la
brûleroit très-vivement.
Plus un tel corrosif est poussé en l’air en forme de vapeur,
plus il se mêle avec l’air, et plus l’air par son sel volatil le dulcifie et le
chaotise. Un Amateur doit bien remarquer, à cette occasion, que par la
circulation, les vapeurs qui s’exhalent non-seulement de toutes les eaux, mais
de tous les corps quelconques, rétrogradent en la première matière ou en une
eau chaotique: et combien ne s’en exhale-t-il pas tous les jours, sur-tout des
animaux et des végétaux, soit naturellement par la transpiration ou par la
putréfaction, soit lorsque nous les préparons pour notre nourriture ?
Par ce que nous venons de dire, on verra clairement que la
Nature ne fait aucun métal sans corrosifs. Car si avec une eau crue corporelle
et salée, ou avec l’eau de salpêtre, elle devoit faire des métaux, ce qui n’est
pas impossible; parce que toute terre de facile solution s’altère par l’eau
chaude salée: il lui faudroit sûrement, en ce cas, mille années de travail; tandis
que de l’autre manière il ne lui faut pas cent ans. Lorsque le sel est
spiritueux et résous, il attaque vingt fois autant que lorsqu’il n’est pas
résous, ou qu’il est simplement résous dans l’eau.
On n’a qu’à prendre un corrosif ou un sel spiritualisé, et y
faire résoudre une terre, par la digestion, au feu de sable, dans un petit
matras; prenez ensuite le sel corporel dont a été fait le corrosif; faites- le
dissoudre dans l’eau, et versez-le sur une pareille quantité de la même terre; mettez-la
également en solution, et observez la différence qu’il y aura.
Lorsque les deux terres seront résoutes, on trouvera dans la
solution du corrosif un vitriol un peu amer et styptique; et dans celle du sel
corporel, un autre vitriol d’une qualité extrêmement différente.
De plus, si l’on fait dissoudre un métal d’un côté, avec un
sel corporel; et de l’autre, avec un vitriol minéral véritable, soit par la
voie sèche, en les fondant ensemble, soit par la voie liquide; on y verra une très-grande
différence: le corrosif commencera dans l’instant à l’attaquer, et le réduire
en vitriol; au lieu que le sel le fera avec une extrême lenteur, et ne sera
jamais un vitriol égal, en vertu et en goût, à celui du corrosif.
Si, après tout ce que j’ai dit, quelqu’un doutoit encore
s’il est véritable que la Nature fait les minéraux par les corrosifs, eh bien
qu’il n’y ajoute pas foi, jusqu’à ce que, par le nombre des erreurs et des
fautes qu’il fera, il soit contraint d’en convenir. Cependant je le renvoie
encore au règne animal qui est de beaucoup plus volatil et plus foible, dans
lequel il trouvera un corrosif assez fort, pour lui attester celui du règne
minéral comme une preuve tirée du petit au grand.
Si l’homme n’avoit point d’acides dans son estomac, qui
pussent attaquer les alimens, comment pourroit-il s’y faire une si admirable et
si prompte putréfaction ? Qu’on donne à prendre à un homme un métal de
difficile solution, comme le fer et le cuivre; aussi-tôt le menstrue de
l’estomac l’attaquera pour le dissoudre; mais comme ils lui sont hétérogènes,
ils y causeront une convulsion, il les rejettera par le vomissement.
On voit donc clairement que pour chaque solution il est
besoin d’un acide. Si dans l’homme il est si fort, il l’est davantage dans le
végétal, et beaucoup plus dans les minéraux, qui ont besoin de la plus forte
digestion, puisqu’ils doivent cuire la terre crue et fixe; au lieu que les végétaux
n’ont besoin, pour leur essence, que d’une terre subtile, déjà préparée par la putréfaction,
et que les hommes et les autres animaux n’ont à digérer que des substances animales,
ou les végétaux les plus tendres, les plus mous et les plus succulens. On
appelle cependant l’acide de l’estomac un acide corrosif dissolvant, ou un
menstrue corrosif, parce qu’il corrode et attaque le sujet, le brise, le broie,
le dissout, le rend menu et subtil. Les Chymistes appellent aussi corrosif
l’esprit-de-vin le plus fort et le plus rectifié, ainsi que l’esprit d’urine,
qui néanmoins dans leur distillation font une excellente médecine, qui
renouvelle toutes les forces de la Nature. On voit donc que, quoique les
esprits animaux et végétaux étendus et dilatés soient pris tous les jours par
tout le monde, ils sont pourtant si acides dans leur contraction et concentration,
après leur rectification et séparation de l’humidité superflue, qu’on n’oseroit
les donner intérieurement, que dans la plus petite dose.
Si en nous et en d’autres animaux et dans les végétaux, il y
a une si grande acidité; qui peut douter qu’il y en ait aussi dans les
minéraux, qui ont besoin d’un acide trois fois plus fort pour dissoudre la
terre crue ? Revenons à leur formation.
J’ai dit que l’acide, ou le menstrue minéral corrosif,
c’est-à-dire les vapeurs salines aigres, souterraines, dissolvent la terre, et
que par-là elles se réduisent conjointement avec la terre en un guhr gluant. Or, ce guhr est vitriolique ou alumineux,
acide et styptique. Plus ce guhr est résous et digéré par de nouvelles vapeurs
corrosives qui surviennent, plus il devient sulfureux. Ce soufre se digère, se
fixe de plus en plus d’un degré à l’autre, et devient un arsenic, et celui-ci une
marcassite, qui est la matière la plus prochaine des métaux, comme le soufre et
l’arsenic volatil le sont de la marcassite, et comme le guhr ou l’essence
vitriolique l’est du soufre et du mercure, c’est-à-dire de l’arsenic. Lorsque
le vitriol ou le guhr est surchargé d’acide, et desséché, il se change en
soufre; car on n’a qu’à distiller plusieurs fois de l’eau-forte ou de l’esprit
de vitriol sur du vitriol commun, par l’alembic, au feu de sable du troisième degré;
le dessécher et le jeter ensuite sur des charbons ardens; on sentira
incontinent l’odeur du soufre.
Si l’on fait cuire le soufre et l’arsenic ensemble, ou
chacun séparément (le soufre naît cependant le premier par l’entassement du sel
nitreux, ou par l’acide du sel) si, dis-je, on le fait cuire et réduire en
marcassite; celle-ci, par une longue digestion et maturation, ou par l’évaporation,
la coagulation et la fixation, devient un métal, suivant la force de la
digestion et des propriétés accidentelles.
Jusqu’ici nous avons donné la théorie de la formation des
minéraux et des métaux. Nous allons maintenant confirmer, autant qu’il nous
sera possible, cette théorie par la pratique. Je pourrois m’en dispenser; parce
qu’un Artiste bien instruit a déjà pu voir suffisamment cette explication dans
plusieurs autres endroits, et qu’on ne sçauroit là-dessus lui donner de plus
grands éclaircissemens. Cependant, comme il y a aussi des gens très-simples,
qui, avec de bonnes intentions, se hasardent de travailler dans cet Art,
j’ajouterai ce qui suit.
Prenez une minière, de quelque minéral que ce soit, avant
qu’on l’ait travaillée au feu, comme de l’antimoine, de l’étain, du plomb, du
fer, du cuivre, de l’or ou de l’argent, etc.
Lavez celle que vous prendrez, sur une longue table qui va
en pente comme un pupitre, et qui est couverte d’un gros drap, sur lequel vous
mettrez la minière pilée et réduite en poudre comme des grains de millet, et non
en poussière; parce que dans ce dernier cas elle formeroit une masse trop
compacte, et que, dans l’opération pour laquelle vous la préparez, elle se
fixeroit plutôt que de se résoudre: arrosez-la avec de l’eau, et frottez-la
avec des brosses pour faire écouler ce qui est pierreux; la partie métallique
restera sur le drap: lorsqu’elle sera bien nettoyée, mettez-la dans une forte
retorte à feu ouvert; adaptez-y un récipient, et donnez le feu par degrés: vous
verrez passer, au commencement, quelque peu d’eau, qui est l’humidité superflue;
ensuite viendront de forts brouillards qui sont le corrosif minéral, qui
descendront dans le récipient, et s’y résoudront en eau corrosive. Après cela
monteront encore d’autres vapeurs; mais pas si volatiles que les premières: car
le volatil passe toujours devant, et est suivi toujours des parties plus fixes;
ces vapeurs descendent peu dans le récipient; mais elles s’attachent au devant
du col de la retorte, sur-tout si le col est long: celles qui suivent s’attachent
de plus en plus en arrière vers le corps de la retorte, et cela parce que les dernières
peuvent toujours souffrir davantage le feu. A la fin, les parties qui résistent
le plus au feu, restent au fond de la retorte en plus ou moins grande quantité,
suivant que le sujet étoit plus ou moins fixe.
Examinez à présent tout ce qui est passé et monté, comme
aussi ce qui est resté au fond de la retorte; vous trouverez dans le récipient:
1. L’humidité superflue mêlée avec le corrosif, qui est une
liqueur plus ou moins sulfureuse ou vitriolique, acide ou salée, suivant que la
minière a été plus ou moins desséchée, coagulée, ou fixée. Vous trouverez, pour
le dire en un mot, un esprit de vitriol ou de cuivre.
2. Vous trouverez à l’entrée ou au commencement du col de la
retorte, des fleurs, dont les premières sont très-volatiles; faites-en l’essai
sur des charbons ardens; si elles brûlent comme du soufre, et si elles ont la
mauvaise odeur du soufre, il faut les appeler soufre ; si elles ne brûlent pas,
mais qu’elles fluent et qu’elles donnent une odeur arsenicale, il faut les
appeler un arsenic volatil.
3. Au-delà de la moitié du col, vous trouverez encore des
fleurs qui sont un peu plus fixes que ces premières: celles-ci sont un arsenic
fixe.
4. Au commencement du ventre de la retorte, ou dans sa
partie supérieure, vous trouverez encore d’autres fleurs qui s’y sont
sublimées: celles-ci sont encore plus fixes que les précédentes, et elles sont
une marcassite volatile, ou bien un arsenic fixe, devenu marcassite; car plus
le soufre et l’arsenic deviennent fixes, plus ils perdent leur première dénomination
et acquièrent un autre nom; le vitriol s’appelle soufre; le soufre arsenic,
l’arsenic marcassite, et celle-ci un métal; ils acquièrent ces différentes
dénominations à mesure qu’ils deviennent plus fixes.
5. Au fond de la retorte, vous trouverez une masse composée:
a) de la marcassite, plus fixe, qui approche de la nature métallique, et dont
se fait le métal immédiatement; b) du grain du métal qui est provenu de la
marcassite; c) de la matrice pierreuse, dans laquelle le métal est né, et où il
a été fixé, comme dans le grand vase ou verre philosophique; car cette matrice
se réduit par le grand feu de fonte en scories ou en verre; d) d’un sel fixe,
que l’on retire par lexiviation avec de l’eau. Ce sel doit être regardé comme
l’alkali minéral, qui, par le feu, a été concentré et fixé (quoique en très-petite
quantité) de l’esprit vitriolique, qui a passé par l’alembic, et suivant que le
sujet a été plus ou moins humide.
Prenez donc cette masse qui est restée au fond de la
retorte: tirez-en d’abord le sel par lexiviation: séchez bien la poudre qui
reste, et faites-la fondre à fort feu; il se précipitera au fond un régule, au-
dessus duquel sont les scories: mettez ce régule, avec du plomb, sous la moufle,
et soufflez de la même manière qu’on fait quand on affine ordinairement les
métaux, et vous trouverez le grain de métal: le régule cependant s’envolera par
la grande force du feu; quoique pourtant il soutienne mieux le feu de fonte que
les parties précédentes.
Ce régule est la marcassite plus fixe et la partie
mercurielle alkalisée, ou l’acide vitriolique fixé et alkalisé: celle-ci est la
matière première dont immédiatement naissent les métaux par une longue
fixation.
Il ne faut pourtant pas croire que cette pratique puisse
s’appliquer entièrement à tous les métaux; mais seulement aux minières d’or,
d’argent et de cuivre, qui se peuvent affiner par le plus haut degré de feu,
suivant leur degré de fixité et de forte alkalisation; c’est-à-dire que lorsque
l’acide vitriolique se fixe de plus en plus, il s’alkalise aussi de plus en
plus, et se mêle si fort à la terre qu’on ne sçauroit plus y appercevoir le
moindre acide, comme cela arrive avec l’or le plus fin; c’est-là ce que
j’appelle alkalisé, puisqu’il ne sçauroit plus être vaincu par aucun acide, à
moins que cet or alkalisé ne soit revivifié par un alkali marcassitique; car
alors il pourroit redevenir un acide, par le moyen d’un acide sulfureux vitriolique
ou nitreux.
Par le procédé dont je viens de donner le détail et les
résultats, le Lecteur verra la construction du métal ou de la minière. C’est de
cette manière qu’il doit en faire l’analyse, et non par le feu, qui chasse les
parties vitrioliques, sulfureuses et arsenicales, qui sont les esprits vitaux
et nutritifs des minières. Ce procédé lui fournit encore une nouvelle preuve
que la Nature opère dans ce règne comme dans les deux autres, sans jamais
franchir les degrés intermédiaires, et qu’elle avance toujours de plus en plus
depuis les parties aqueuses et volatiles, jusqu’aux fixes très-dures et très-sèches.
Examinez à présent ce métal que vous avez exprimé, et tiré
de la minière, après tant d’opérations, et qui cependant est encore un peu
constant: comparez-le avec les parties que vous en avez séparées en dernier
lieu; vous verrez que sa quantité est si petite qu’il en fait au plus la
neuvième partie, et que les parties adhérentes, que vous en avez séparées,
excèdent son poids au moins du centuple. Vous voyez par-là combien peu d’or et
d’argent fin donne un quintal de minière d’or et d’argent, c’est-à-dire à peine
quelques onces, et que le superflu s’en va en fumée et en scories. Réfléchissez
à présent sur le tems que la Nature est obligée d’employer par la digestion
lente pour cuire le métal le plus imparfait; vous verrez par-là combien de
degrés il y a depuis les vapeurs volatiles, ou depuis le commencement du guhr vitriolique
jusqu’à la marcassite seulement; puis de-là jusqu’au métal, et vous jugerez combien
il faut encore plus de tems à la Nature pour travailler les métaux parfaits;
car c’est toujours la même matière, c’est-à-dire une terre subtile, résoute et
digérée par les esprits
corrosifs du nitre et du sel, que la Nature conduit par des
degrés insensibles, jusqu’à la suprême fixation.
Je devrois bien dire ici quelle est la consistance de chaque
métal, en particulier; mais je laisse ce problème à résoudre au Lecteur, pour
l’exercer: il en trouvera facilement la solution, s’il a bien compris la
construction des métaux en général. J’enseignerai pourtant ici de quelle
manière on peut connoître d’abord si un métal ou un minéral a de l’humidité superflue,
ou s’il n’en a point; c’est-à- dire quel métal a encore de l’acidité, quel
autre est fixe ou alkalin, et quel autre tient de la nature de tous les deux.
Prenez une minière, ou universelle ou métallique, laquelle
vous voudrez; ajoutez-y un acide corrosif alkalin, comme l’esprit de nitre ou
l’eau-forte et l’esprit-de-sel. Lorsque l’esprit de nitre ou l’eau- forte
résout quelque chose, vous en pouvez conclure que son acide est encore ouvert
et non fixé, ni alkalisé, comme on le peut connoître à l’argent et au plomb,
etc., car le semblable se rend à son semblable: mais si un métal ou un minéral
ne se laisse pas résoudre par cet acide ou par l’alkali mêlé avec l’acide, vous
pourrez conclure qu’il est fixe et alkalin, et juger que l’acide, qui est dans
un tel métal ou minéral, est entièrement alkalisé ou fixé, et que par
conséquent, il doit être revivifié avec un alkali spiritueux, à lui semblable,
pour être approprié à la nature acide; afin que l’acide l’ayant ouvert, puisse
le changer aussi en sa nature, et le faire rétrograder, pour ainsi dire, à sa
première matière vitriolique; tel est l’or et l’étain. Quant aux métaux et
minéraux qui se laissent résoudre avec l’acide comme avec l’alkali, vous pouvez
les appeler hermaphrodites. Ils ont commencé à s’alkaliser et à se fixer; mais
ils sont restés en chemin; ainsi ils sont fixes et non fixes, alkalins et
acides, ou ni alkalins ni acides: par cette raison ils peuvent être attaqués et
résous par ces deux menstrues, conjointement et séparément: tels sont le fer, le cuivre et
le mercure. L’étain s’y prêteroit aussi volontiers; mais il se résout plus
facilement avec l’alkali. Le plomb se dissout aussi dans l’esprit-de-sel ou
dans l’eau régale; mais dans l’eau-forte il se résout totalement en eau.
Quelqu’un pourra me dire: puis-je reconnoître le plomb et
l’argent pour être sulfureux (car on compare l’acide au soufre) tandis qu’ils
sont mercuriels ? Et puis-je reconnoître l’or et l’étain pour être mercuriels,
tandis qu’ils sont entièrement sulfureux ? Voici ma réponse: rapportez-vous-en
à l’expérience; et pour ce qui ne dépend que de la spéculation, laissez jaser les
autres, et fatiguer leur esprit, jusqu’à ce qu’ils reviennent à la fin à votre
sentiment.
Souvenez-vous, une fois pour toutes, qu’il n’y a point de
minière qui ne tire son origine de l’acide universel corrosif, lequel, par la
fixation et dessiccation, devient alkalin de plus en plus. Réglez vos idées sur
cet acide et sur cet alkali; vous en apprendrez bientôt davantage que n’en sçauront
jamais les mercurialistes, sulfuristes, salinistes ou vitriolistes. Suivez la Nature
pied à pied; donnez à chaque chose les noms qui lui sont propres, et abandonnez
tous les autres noms, qui ne font qu’introduire la confusion. Si cependant mon
sentiment ne vous agrée pas, vous êtes le maître de suivre celui des autres.
Il y en aura qui diront: si les essences des métaux n’étoient
pas composées de mercure, de soufre et de sel, pourquoi les métaux se laisseroient-ils
réduire et rétrograder en ces mêmes principes ? Tous les anciens Philosophes
n’ont-ils pas avoué qu’ils en étoient composés ?
J’avoue très-volontiers que les métaux peuvent être réduits
en ces principes: mais je ne trouve pas que, suivant la règle et la loi
immédiate de la Nature, ils en soient composés. Je ne trouve dans aucune mine
le mercure coulant, que dans sa propre mine, et dans celle qu’il perce et
traverse avec son astre. Je trouve du sel et du soufre dans presque toutes les
minières; mais ce n’est pas un sel ordinaire; c’est un sel vitriolique,
sulfureux et alumineux; un sable sulfureux qui est mêlé avec l’arsenic ou avec
la marcassite, etc.
Il y a très-peu d’Artistes qui comprennent la signification
secrette des principes mercure, soufre et sel. Nos Anciens les ont entendus
tout autrement que la multitude des ignorans ne se les est imaginés dans la
suite. Les Anciens disent à la vérité que toutes choses sont composées de
mercure, de soufre et de sel, qui sont leur essence, et qu’elles doivent se résoudre
en ce dont elles sont composées: mais si de-là vous voulez conclure que leur
mercure est le mercure coulant, leur soufre, le soufre combustible, et leur
sel, le sel commun, vous vous éloignez de la vérité plus que le ciel n’est
éloigné de la terre. Qui est-ce qui montrera un mercure coulant dans le règne
animal et végétal ?
Cependant leurs parties volatiles sont appelées du nom de
mercure. Qui est-ce qui trouvera dans ces règnes un soufre jaune, combustible,
et un sel commun ? Cependant ces deux règnes contiennent des parties qui sont
désignées par le soufre et par le sel, sans toutefois qu’elles ne soient ni
soufre ni sel commun.
Vous voyez par-là combien on se trompe, et comme on explique
une chose d’une manière toute contraire. Il suffit qu’un seul donne dans le
panneau, pour être suivi de plusieurs milliers d’autres. Les Anciens ont
entendu, par leur mercure, le mercure universel, et non pas le coulant. Il en
est de même du soufre et du sel; et encore qu’on puisse tirer du mercure
coulant de tous les métaux, cela n’arrive pourtant que par accident, et non
suivant la composition naturelle des métaux. Ne puis-je pas du mercure coulant
faire une eau, un précipité, un sublimé, un vitriol, un sel, une huile ou un
esprit ? Serois-je pour cela bien fondé à conclure que l’eau, le précipité, le
sublimé, le vitriol, le sel, l’huile et l’esprit sont les principes dont les métaux
sont formés ? Non assurément, ce n’est point par des effets purement
accidentels que l’on doit juger de la nature des choses. Mais l’on ne veut rien
approfondir; et c’est par cette raison que tant d’Artistes s’égarent dans leurs
recherches. Ils prétendent faire des métaux potables, et d’autres remèdes tirés
des minéraux; et pour y parvenir, ils traitent les minières et les métaux avec
toutes sortes de menstrues impropres, du règne animal, du règne végétal et du règne
minéral: ou quand il y emploient un menstrue véritable et homogène, ils
s’imaginent que le minéral ou le métal doit devenir de lui-même une huile douce
et sucrée, convenable à la nature animale, sans considérer que la Nature
elle-même a séparé les animaux et les minéraux, par le règne végétal, qui est
une Nature moyenne entr’eux. Ils ont toujours négligé celui-ci, ou s’ils s’en
sont servis, ça a été sans employer les milieux convenables; en sorte qu’ils
n’ont jamais préparé que des remèdes corrosifs, ou des misérables précipités et
des poudres violentes. Je m’en rapporte à eux-mêmes pour sçavoir quels effets
ils ont produit.
Revenons présentement à notre propos. J’ai dit, dans le
chapitre du Règne végétal, que l’acide est astringent, resserrant et styptique;
et dans celui-ci j’ai dit qu’il rendoit fusible. Afin qu’on ne me taxe pas de
me contredire, j’éclaircirai encore ce point.
On voit que là où la Nature a joint peu d’acide à beaucoup
de terre, elle ne fait que des choses constipentes, astringentes et
resserrantes, comme on peut s’en appercevoir à l’hématite, à la sanguine, à
l’aimant, à l’hemeril, au bolus, etc., car le peu d’acide s’attache très fortement
à cette terre, et la résout; et si la chaleur centrale est trop forte ou trop précipitée,
elle les fixe et les dessèche en minières de difficile fusion; mais si la
chaleur n’est pas trop forte, et que l’acide et le corrosif s’y trouvent en
plus grande quantité, elle en fait des minières et des métaux un peu plus
fusibles; et à cause de leur grande quantité d’acide, d’une moindre chaleur et
d’une foible dessiccation et fixation, ces minières et ces métaux restent plus
ouverts et peu constans, comme le fer et le cuivre.
Au contraire, là où l’acide se trouve en trop grande
quantité, il se fait des minières fusibles, comme on le peut voir par les
procédés chimiques. Prenez de la craie ou de la chaux vive; versez dessus un
peu d’esprit de nitre, de vitriol, de soufre, de sel, ou de leurs huiles
corrosives et acides: retirez-les ensuite par forte distillation, et faites
évaporer les résidus sous la moufle ou dans un creuset; elle deviendra une
terre styptique et non fusible; et si auparavant elle a déjà été styptique,
elle le deviendra encore beaucoup plus, jusqu’au point que l’acide se laissera
rougir, et fixer conjointement avec la craie. Versez de nouveau sur cette même terre
une plus grande quantité d’acide: distillez de nouveau, à fort feu, et
faites-la rougir comme la première fois; vous verrez qu’elle commencera à
devenir plus fusible qu’auparavant: plus vous réitérerez ces infusions d’acides
et fixerez la terre, plus elle deviendra fusible, et à la fin elle se fondra
comme un sel.
Encore une fois, l’Artiste doit se bien inculquer, comme
nous l’y avons déjà exhorté en différens endroits, que plus un acide est fort
et en quantité, lorsqu’il travaille sur la terre, plus cet acide se dessèche et
se fixe par la chaleur, et plus il s’alkalise, se concentre et devient pesant.
Au commencement il s’appelle sel, ensuite soufre, et à la fin mercure fin.
Comme le mercure n’est au commencement qu’une vapeur très-déliée et très-volatile,
qu’ensuite il devient fixe et très-pesant; de même, à mesure qu’un acide s’alkalise,
il descend de plus en plus vers la fixité, et il change de dénomination: au
commencement il s’appelle vapeur, ensuite guhr, vitriol, soufre, marcassite,
métal. De l’acide fixe il vient un mercure, comme il est facile de le voir dans
toutes les marcassites; et l’on peut le montrer en forme d’une poudre fixe,
qu’on doit appeler à juste titre mercure
précipité. Lorsqu’on précipite le mercure coulant avec un acide, il devient
acide; il devient également une pareille poudre spongieuse, et comme elle n’a
pas suffisamment d’acide sulfureux et d’orpiment fusible, lorsqu’elle est fixe,
elle devient un verre dans sa réduction. Dans ce verre est caché le métal le
plus fixe, et le meilleur soufre astringent, qui a perdu son acide fusible;
c’est ce qu’un Chymiste doit bien noter: et un métallurgiste doit méditer jour
et nuit sur la façon dont il pourra se pourvoir de ces choses; à sçavoir
premièrement d’un sujet d’orpiment, c’est-à-dire d’un sujet mercuriel fusible,
et
deuxièmement d’un précipitant, et ils ne sont pas difficiles
à trouver. Considérez seulement le plomb; n’est-il pas tout rempli de mercure,
et n’est-il pas le sujet le plus excellent pour réduire les poudres fixes et
les rendre métalliques, quoique d’ailleurs d’une réduction très difficile ?
Mais il faut lui fortifier encore davantage son mercure; sans cela il est trop
peu fusible, comme on le voit dans sa vitrification. Il faut réduire le plomb
ou son mercure, avec l’addition de son semblable, en un verre si fusible que,
même à la chaleur d’une chandelle, il se fonde comme de la cire. Le précipitant
est connu de presque tout un chacun; le fer précipite le cuivre; le cuivre, le
fer; le plomb précipite l’argent, l’or et l’étain, comme le mercure précipite
l’argent, et l’argent le mercure: pour cet effet il ne faut pas prendre leurs corps
affinés, mais leurs excrémens; car ces corps fins ne précipitent point dans la
fusion, mais se mêlent avec les autres corps, avec lesquels ils sont joints.
Or, réfléchissez quel peut être cet excrément, il est facile à trouver. Il ne
se vend point, et ne se prépare pas seulement dans toutes les boutiques des droguistes, mais dans les
travaux des mines: on le jette comme tout-à-fait inutile. Ramassez de cette
matière, et faites-en votre profit.
On me dira peut-être, vous décrivez assez bien la
métallurgie et la généalogie des métaux; comment la Nature procède par degrés
pour faire des métaux et des minières: mais si on vouloit prendre les mêmes
principes pour en produire, par les mêmes degrés, des métaux et des minéraux,
on seroit bien embarrassé.
La Nature forge les métaux des vapeurs corrosives de la
terre, ou des pierres; mais elle ne trouve pas par-tout la terre et les pierres
d’une même qualité, ni d’une même chaleur, et de-là vient qu’elle fait des
minières et des métaux différens, quoique son but final soit de faire l’or. Si
elle ne rencontre pas une terre ou des pierres convenables pour produire ce
métal, elle en est empêchée, et en fait un autre suivant la qualité de la terre
ou des pierres qui se sont présentées. Je vous enseignerai par amitié une
expérience par laquelle vous pourrez faire un métal d’une terre, ou d’une
pierre (car l’un et l’autre sont indifférens); mais je ne vous promets pas que
ce sera tel ou tel autre métal. C’en sera un quelconque.
Prenez donc des cailloux purs de rivière; faites-les rougir
plusieurs fois; éteignez-les toujours dans l’esprit-de-sel ou de nitre, jusqu’à
ce qu’ils tombent entièrement en poussière; mettez cette poudre dans un matras
de verre; versez-y autant pesant d’eau régale faite d’une partie d’eau-forte et
de trois parties d’esprit, ou d’huile, de vitriol, ou de soufre; faites-les
digérer au sable à degré lent; ensuite distillez jusqu’à l’oléosité; mettez ce
résidu à la cave pour le crystalliser: vous aurez en partie du vitriol ou des crystaux,
et en partie une terre styptique et spongieuse; ainsi vous aurez le guhr et le
vitriol. Remettez-les de nouveau au feu de sable avec de la même eau régale
(celle qui est faite d’eau-forte et d’esprit de vitriol est préférable); distillez
plusieurs fois par recohobation et jusqu’à siccité, afin qu’ils fluent ensemble
en une pierre fusible qui sera très-frangible, comme du soufre: si on en verse
sur des charbons ardens, elle brûlera et donnera une odeur sulfureuse: prenez
cette pierre, pulvérisez-la, mettez-la dans un matras au feu de sable, versez-y
de nouveau de l’eau régale, mais pas beaucoup, seulement autant qu’il en faut
pour la dissoudre; car sans cela vous la rendriez volatile, et elle passeroit
par l’alembic en forme de liqueur; tirez-en l’eau régale par distillation comme
auparavant, et dans le troisième ou quatrième degré de feu, elle fluera en
pierre; pulvérisez-la, mettez-la dans un matras, versez dessus de l’eau de
pluie distillée et faites-la digérer dans cet état pendant un mois à lente
chaleur; il s’y précipitera au fond une terre métallique brillante, qui s’y changera
et augmentera de plus en plus et sera d’un genre marcassitique, grenu, dans
laquelle est mêlé l’orpiment; mettez cette terre dans un creuset à fondre avec
la même quantité de cailloux pulvérisés et calcinés: cimentez-les par un degré
de rotation jusqu’à ce que le creuset soit fort rouge; alors ouvrez le creuset,
tirez-en la masse, mettez-la sous la moufle dans une coupelle avec du plomb, et
essayez-la: vous y trouverez un grain d’or ou d’argent, mais avec très-peu de
profit: car si avec ce procédé vous vous imaginez vous enrichir, je vous assure
qu’en peu de tems vous y mangerez votre bien; mais si vous le voulez, vous en
pourrez faire l’essai par curiosité.
On pourra encore dire que la Nature n’a point de fourneaux
ni bains de sable, ni matras, ni creuset, etc.
Donnez-moi un feu central, et des vapeurs centrales en
quantité; j’opérerai précisément comme elle. Autrement il faudroit attendre
plus de cent ans avant que de faire éclore quelque chose. Un Chymiste habile
n’objecte pas à un Artiste de pareilles impossibilités. L’art ne sçauroit
jamais imiter les opérations de la Nature à l’épaisseur d’un cheveu près. Il travaille
beaucoup plus vite ou beaucoup plus lentement, et de mille Artistes, il n’y en
a pas un qui rencontre juste le but que la Nature s’est proposée; mais il fait
quelque chose d’approchant, par des principes homogènes semblables.
On pourra encore me dire: pourquoi prenez-vous des cailloux,
et non de la terre ? Faut-il donc que la Nature fasse les métaux avec des
cailloux ? Je pensois que la pierre étoit le vase, et non la matière pour faire
le métal.
A cela je réponds qu’il y a
bien peu de Chymistes qui connoissent le caillou. S’ils le connoissoient, ils parviendroient peut-être
plutôt à la perfection de l’Art. Le caillou est le corps le plus proche du plomb
et de l’or; il est d’une viscosité mercurielle alkalisée, une glu minérale qui
résiste à tous les feux: on pourroit avec justice l’appeler le mercure des
métaux, auquel il ne manque qu’un acide pour le rendre métallique; c’est le
fixant très-fixe. Qu’on donne seulement à un caillou une couleur métallique, ou
comme on s’explique, un soufre dans sa fonte; on verra avec quelle facilité il
le reçoit, en prend entièrement la teinture, et s’unit avec lui. Si on en
ajoute de plus en plus, il s’en fait à la fin un régule; et si l’on essaie le
grain que le caillou a fait par sa nature fixative, on verra aisément son
inclination à devenir métal. Mais si l’on vouloit s’en servir pour l’Art, il
faudroit y employer un feu trop violent; par cette raison, augmentez sa
fusibilité avec des homogènes encore plus fusibles, et des choses semblables à
lui, afin qu’ils deviennent tous ensemble fixes et fusibles, comme un sel fusible,
alors on aura fait un grand pas pour fixer des choses volatiles et pour réduire
des poudres non fusibles en nature métallique. Mais enfin, c’est par rapport à
ce caillou qu’il est dit que dans les métaux, avec les métaux et les choses de
leur genre, se font les métaux.
Qu’on travaille une minière; qu’on l’examine de la manière
susdite; qu’on la considère dans son commencement, dans son milieu et jusqu’à
sa fin: on y trouvera différens sujets, c’est-à-dire des choses aqueuses, des
sèches, des volatiles et des fixes: comme aussi des fusibles et non fusibles,
de difficile et de facile fusion, suivant la qualité de la minière.
Le plomb et l’étain sont plus fusibles que le fer et le
cuivre: l’argent et l’or tiennent le milieu, et ne sont ni trop ni trop peu
fusibles. L’Artiste doit bien peser le degré de fusibilité qui est dans le
caillou. S’il est d’une fusion trop difficile, il faut qu’il y ajoute un sujet
d’un degré plus fusible; si, pour son opération il est encore d’une fusion trop
difficile, il faut de plus en plus y ajouter des sujets de plus facile fusion,
jusqu’à ce que la fusibilité soit convenable à son opération: c’est alors qu’il
aura trouvé le sceau d’Hermès, qui empêche que le ciel volatil ne puisse
s’envoler; car ce sceau n’est pas seulement la serrure pour fermer, mais aussi pour
lier le volatil.
Le caillou est un sujet noble que la Nature a élevé à une
plus grande fixité que l’or; aussi est-il la base et le commencement de la
constance de toutes les pierres précieuses. Il est une eau très-pure, une eau
de constance et de permanence; il fond dans le plus fort feu, comme de l’huile,
sans se consommer, et la Nature l’a poussé à sa plus haute période: car la
Nature ne passe pas au-delà de la fixité de la pierre et du verre; elle
rétrograde plutôt: et de même, l’Art ne peut pas aller plus loin que la
vitrification; ensuite, le sujet vitrifié rétrograde à sa première matière.
Tenez le caillou en forte recommandation, si vous voulez
fixer quelque chose promptement; car en lui, et aux degrés y appartenant, de
même que dans le crystal qui est un caillou transparent, consiste le point
essentiel de toute constance. On le voit aussi dans l’accroissement de tous les
minéraux, dont la matrice est pierreuse; mais il faut l’employer avec Art;
parce qu’il opère diversement, suivant ses diverses préparations. Lorsqu’il est
réduit en eau et en huile, il opère tout autrement que dans son état naturel,
et il opère encore différemment lorsqu’il est réduit en un verre de difficile
ou de facile fusion.
Celui qui entend bien les degrés de la Nature, avance et
rétrograde à son gré; il rend le fixe volatil, et le volatil fixe, comme fait
la Nature elle-même: mais en beaucoup moins de tems; car, où la Nature emploie
mille ans, l’Artiste peut n’employer que mille jours, et encore moins: il peut
faire rétrograder le métal en marcassite, la marcassite en arsenic et soufre;
celui-ci en vitriol, et le vitriol en une vapeur corrosive ou en première
matière, ou bien il peut changer cette vapeur en vitriol, ce vitriol en soufre,
le soufre en arsenic, l’arsenic en marcassite, celle-ci en métal, et finalement
le métal en verre et en pierre.
Pour aider les Artistes, j’expliquerai en peu de mots la
manière dont il faut s’y prendre. Si je veux faire rétrograder un métal qui a
déjà été affiné et fondu, et dont les parties cassantes ont été séparées par les
fréquentes fontes, il faut que j’y ajoute de nouveau toutes les parties qu’il a
perdues, en même quantité et dans le même ordre qu’il les a perdues et qu’il avoit
pris son accroissement, ou plutôt dans un ordre contraire. De cette manière le
métal deviendra la même chose, et de la même qualité qu’il étoit dans la mine.
Ainsi par exemple, un métal a perdu dans sa fonte le vitriol
ou l’esprit de vitriol, le soufre, l’arsenic, la marcassite: il faut d’abord
que je lui rende sa propre marcassite, ou une autre semblable, et tout comme la
marcassite excédoit le métal en poids et en quantité, il faut aussi que j’y
ajoute une plus grande quantité de marcassite. La même chose doit être observée
en tout. Prenez donc le métal; ajoutez-y la marcassite, ou un régule
marcassitique, et faites-les fondre ensemble; lorsqu’ils seront conjoints,
ajoutez-y l’arsenic, ensuite le soufre; lorsqu’ils seront bien unis, ajoutez-y
l’esprit ou l’huile de vitriol ou d’alun, suivant que le métal est rouge ou
blanc; l’esprit de vitriol ou d’alun le réduira par sa quantité excédente en la
même chose qu’il étoit au commencement, c’est-à-dire en un vitriol, et
lorsqu’il est une fois poussé jusque-là, on pourra changer le vitriol en une
vapeur ou une eau corrosive, comme il étoit au commencement. Ainsi, le dernier
est devenu le premier, et ce qui étoit le plus bas est devenu le plus haut. Inferius
factum est superius.
La même chose se fait en avançant; car de l’acide
vitriolique on peut faire un vitriol; de celui-ci, un arsenic, de l’arsenic une
marcassite; de celle-ci, un métal, et du métal un verre. Bref, il faut mêler le
métal avec son soufre, son arsenic et sa marcassite, ensuite y ajouter une
matrice pierreuse, en égale et en plus grande quantité. Fondez le tout
ensemble, et vous en aurez un verre.
Faites encore attention à ce point essentiel, que pour
réduire le métal en vitriol et en esprit, j’ai toujours pris une plus grande
quantité de parties volatiles, parce qu’ils devoient devenir volatiles. De
même, dans ce dernier exemple, on doit toujours prendre une plus grande quantité
de parties fixes, et une moindre quantité de volatiles; autrement tout
l’ouvrage seroit perdu; car si vous voulez fixer, il ne faut pas surcharger
votre sujet avec une trop grande quantité de choses volatiles; si au contraire
vous voulez volatiliser, il ne faut pas prendre trop de fixe, mais beaucoup de
volatil; sans cela vous fixeriez plutôt que de volatiliser.
Si on ignore cette façon de rendre fixe et de rendre
volatil, on opérera bien peu de choses.
Considérez les augmentations bizarres des Alchymistes, qui
veulent fixer le mercure coulant avec des métaux parfaits, où ils emploient
sans rime ni raison sept, huit, neuf, jusqu’à douze parties de mercure volatil,
sur une partie de métal fixe parfait. Est-il possible qu’ils ne voient pas que
cela est contraire à la Nature, et contre toutes les règles ? Lorsqu’on veut
fixer, il faut plutôt prendre tout le contraire, c’est-à-dire douze parties de
fixe, et une partie de mercure ou de volatil; et lorsque cette partie est fixe,
elle s’augmentera avec le tems, de manière à pouvoir lui ajouter une plus
grande partie de volatil. C’est ainsi qu’on en pourra tirer quelque utilité;
mais dans le commencement, il faut prendre patience. Ces prétendus augmentateurs
ont un nuage devant les yeux, et ne voient pas, qu’encore que le mercure s’attache
au métal, il ne s’y conjoint pas intimement, et dans ses moindres parties, ce
qui devroit leur faire appercevoir qu’il y manque un médium; ils devroient donc
le chercher. Le mercure est un métal volatil et congloméré; et un métal n’entre
pas dans l’autre avec un parfait mélange, sans les milieux qui leur ont été
ôtés dans les fontes: ayez-y donc recours, et cherchez-les, ou prenez une chose
pareille.
Le monde est tout plein de pareilles erreurs. On met
ensemble le très-volatil, qui est un extrême, avec le fixe, qui est l’autre
extrême, et on prétend aussi-tôt en faire une conjonction. Il n’est pas
étonnant qu’on ne réussisse pas. Qu’on prenne et qu’on ajoute seulement le
soufre volatil à l’or; qu’on les mette ensemble au feu; on verra bientôt s’envoler
le soufre sans lésion de l’or; mais si l’on prend des milieux, comme l’arsenic
et la marcassite, et qu’on les mette sur l’or fondu, aussi-tôt l’or sera réduit
en poussière. Que l’on apprenne de-là à conjoindre chaque chose avec son
semblable.
Ne trouve-t-on pas de ces moyens en quantité ? N’a-t-on pas
pour les astres rouges, le vitriol, l’arsenic jaune et rouge, l’antimoine et la
marcassite dorée ? N’a-t-on pas pour les astres blancs, l’arsenic blanc et le
bismuth ? Chacun peut apprendre à devenir sage.
Nous avons jusqu’ici expliqué en partie le règne minéral, et
discuté avec soin quelques points essentiels touchant son origine et sa fin.
Mais le point le plus essentiel est celui-ci.
Si vous entreprenez de fixer quelque chose, de la rendre
constante, de la coaguler et de l’épaissir, vous en trouverez dans ce règne les
voies les plus curieuses et les plus abrégées. Il ne faut cependant pas
s’attacher si exactement à ce point de l’extrême fixation, parce que chaque
règne a un fixatif suffisant, comme nous le démontrerons dans la seconde partie
de ce traité. Mais dans quelque règne que vous travailliez, souvenez-vous
toujours de ce principe fondamental, qui est de n’aller d’un extrême à l’autre
que par les degrés intermédiaires, et conséquemment, si vous voulez fixer, de
ne pas joindre ensemble le très volatil et le très-fixe, mais de prendre le
volatil, et de le fixer, pour l’unir ensuite au très fixe: c’est par-là que
vous arriverez au but désiré. Tout se fait plutôt par des homogènes que par des
hétérogènes, et c’est par-là seulement que se manifeste l’harmonie de la quintessence
concentrée.
Nous finirons ici la première partie de notre ouvrage, dans
laquelle nous croyons avoir suffisamment démontré de quoi et comment se fait la
génération de toutes les choses naturelles. Nous traiterons dans la seconde, de
leur corruption et de leur analyse; nous la lierons avec la première pour un
plus grand éclaircissement; parce que la corruption précède la génération,
comme elle la fuit.
Contenus dans le premier volume
; où il est traité de la Génération de toutes les choses naturelles
CHAP. I Ce que c’est que la Nature
CHAP. II De l’origine de la Nature, ou de quoi toutes les choses
naturelles ont pris naissance
CHAP. III Comment toutes choses ont pris naissance
CHAP. IV De la génération de la semence universelle, et comment elle
se fait
CHAP. V Du ciel, et de ses influences
CHAP. VI De l’air, et de ses influences
CHAP.VII De l’eau, et de ses émanations
CHAP. VIII De la terre, et de ses émanations
CHAP. IX Dans lequel on découvre la véritable semence universelle, le
chaos régénéré,
l’ame du monde ou l’esprit universel
CHAP. X Preuve indubitable que le nitre et le sel sont contenus dans
l’air et dans toutes les choses du monde
CHAP. XI Que le nitre et le sel se trouvent dans toutes les eaux et
dans toutes les terres
CHAP. XII Que les animaux contiennent aussi le nitre et le sel, qu’ils
en sont faits et se résolvent finalement en eux
CHAP. XIII Que les végétaux contiennent le nitre et le sel, qu’ils en
sont faits et qu’ils doivent aussi s’y résoudre
CHAP. XIV Que les minéraux contiennent le nitre et le sel, qu’ils en
sont faits et qu’ils s’y résolvent
CHAP. XV De la principale porte ou clef de la Nature, comme auteur de
toute génération et destruction des choses naturelles, appelée putréfaction
CHAP. XVI Ce que c’est proprement que la putréfaction
CHAP. XVII Ce que la putréfaction opère et ce qu’elle produit
CHAP. XVIII De quelle manière un volatil devient acide, et un acide alkali;
et au contraire, comment un alkali devient acide, et celui-ci volatil
CHAP. XIX Ce que c’est que le volatil, l’acide et l’alkali, tant en
général qu’en particulier
CHAP. XX Comment naissent les animaux: de quels principes ils sont
composés et en quoi ils se résolvent
CHAP. XXI Comment naissent les végétaux: de quels principes ils sont
composés et en quoi ils se résolvent
CHAP. XXII Comment naissent les minéraux: de quels principes ils sont composés
et en quoi ils se résolvent
The Golden Chain of Homer