PHILALETHE (Thomas Vaughan) L'Euphrate ou les Eaux de l'Orient (1655)
EUGENE PHILALETHE
(THOMAS VAUGHAN)
Londres, 1655
Avis au lecteur
J’ai, lecteur, je suppose que ceci ne t’est pas inconnu, ces quelques dernières années, en plusieurs petits traités, livré mon jugement sur la philosophie. Je dis bien sur la philosophie, car -l’alchimie - en son acceptation courante et en tant que torture des métaux - je n’y ai jamais cru, et encore moins l’ai-je étudiée. Sur ce point mes livres, lus attentivement, t’en donneront la preuve, car je t’y réfère à un sujet qui est universel, le fondement de toute la Nature, la matière de laquelle toutes choses sont faites, et dont étant faites, elles se nourrissent. Celle-ci, je présume, ne peut être un métal, et j’ai par conséquent toujours décrié l’alchimie au sens vulgaire, si bien que j’ai pensé qu’il convenait de la faire connaître aux alchimistes, de peur que, en la lecture attentive de mes écrits, ils ne se mettent à mal interpréter certains passages qui ne sont pas conformes au jugement de leur auteur. De là tu peux voir quelles étaient mes conceptions lorsque j’ai commencé à écrire. Et je dois te dire que maintenant elles sont toujours les mêmes, que ma longue expérience ne les a pas du tout affaiblies, mais qu’elle les a invinciblement confirmées. Pour que tu saches combien je suis franc, je confesse librement qu’en ma pratique j’ai dérogé à mes propres principes, car ayant échoué dans mes premiers essais, j’ai laissé de côté le véritable sujet et me suis contenté de suivre le bruit de ceux qui ne veulent entendre parler de rien d’autre que des métaux. Combien ai-je besogné en vain en cette école fétide et répugnante pendant en tout trois ans, je ne te le dirai pas ici.
Bien m’en prit, je finis par la quitter pour reprendre la voie de cette claire lumière que j’avais stupidement délaissée. Je n’ai jamais conçu que dans les métaux se trouvaient de grands secrets, à moins qu’ils ne soient d’abord réduits par un dissolvant adéquat. Chercher dans les métaux ce dissolvant ou la matière dont il est fait, n’est pas seulement une erreur, mais une folie. J’ai, par souci de vérité et pour justifier mes innocents discours précédents, ajouté à ceux-ci cette petite pièce qui peut-être est telle et contient tellement de choses que le monde n’en a pas encore vu qui soient publiées. En fait, ce n’est pas le dixième de ce que j’avais d’abord prévu, mais de sages considérations m’ont amené à m’abstenir, comme ma conclusion soudaine et abrupte t’en informera. Quoi qu’il en soit, ce que je réserve maintenant quant aux mystères philosophiques, peut être ensuite imparti à notre Météorologie ; quant aux mystères théologiques, nous les rédigerons pour notre usage privé dans notre Philosophie de la Grâce .
Je n’ai plus grand chose à dire, mais si je puis ajouter quelque chose pour te satisfaire, je puis t’assurer qu’il n’y a ici rien d’affirmé qui ne soit le fruit de ma propre expérience. Je peux en vérité parler par moi-même, car c’est au prix d’un grand labeur que j’ai extirpé la vérité de la terre, et je n’ai eu personne pour m’instruire. Je ne voudrais pas que tu construises des montagnes sur les fondations que j’ai ici posées, surtout pas des montagnes d’or. Mais si c’est le médicament que tu tiens à construire sur ces fondations, alors je t’ai montré le rocher et la base de cet art fameux, qui est tant professé et si peu compris. Ici tu trouveras qu’est démontré le véritable objet de cet art, et si tu n’es pas trop obtus, qu’il est suffisamment mis à découvert. Ici Dieu Lui-même et la Parole de Dieu t’y conduisent. Ici la lumière te montre la lumière, et ici est éclairé pour toi ce témoignage de Jamblique et des Ecrits Egyptiens, à savoir que Dieu à un certain moment remit aux prêtres et aux prophètes anciens une certaine matière en des visions bénies, et la communiqua à l’usage de l’homme.
Je conclurai par cet avertissement : si tu veux connaître la Nature, méfie-toi de l’antimoine et des métaux vulgaires. Ne recherche que ce tout premier mélange des éléments que la Nature fait dans le grand monde. Recherche-le, dis-je, tandis qu’il est frais et nouveau, et l’ayant trouvé, cache-le. Quant à l’emploi de celui-ci, ne le recherche pas exclusivement dans les livres, mais mendie-le plutôt des mains de Dieu, car c’est à proprement parler Son don, et personne ne l’a jamais obtenu sans l’assistance claire et sensible d’en-haut. Ne néglige pas mes conseils en ceci, même s’ils peuvent paraître ridicules à ceux qui se croient au-dessus de la sagesse et qui tournent en dérision les grâces divines. Beaucoup d’hommes dans ce monde vivent sans Dieu. Ils ne reçoivent pas Sa visite, et par conséquent, se moquent de ceux qui Le cherchent, et se moquent beaucoup plus encore de ceux qui L’ont trouvé. Saint Paul s’est glorifié de Ses révélations, mais celui qui ne fera pas de même, se retrouvera au nombre des sectaires et des anabaptistes. Mais ne laisse pas ces choses te fourvoyer : si tu sers Dieu, tu sers un bon maître, et Il ne retiendra pas ton salaire. Adieu en Jésus Christ.
L’Euphrate
Il est écrit dans ces oracles vivants que nous avons reçus et crus, qu’il y a un ange des eaux Apocalypse XVI, , et ceci semble être dit en un sens général, comme si l’ange mentionné là avait présidé à tout cet élément. Ailleurs, nous trouvons un ange limité à une charge plus particulière, en tant que celui qui descendait à une certaine saison et agitait les eaux de la piscine de Bethesda Jean V, . En fait, il n’est en rien étrange que des anges visitent et agitent cet élément sur lequel l’Esprit de Dieu se mouvait au commencement. Je ne cite pas ces lieux comme s’ils étaient pertinents quant à mon dessein, ni entièrement faits pour lui, même si je sais qu’ils ne vont pas à son encontre. Je les cite en tant que généralités, pour montrer que Dieu est intime avec la matière, bien qu’Il ne soit pas lié à elle, et c’est là qu’est tout mon propos. Cependant, je sais que le Prince Avicenne a compté saint Jean l’Evangéliste parmi les alchimistes, et que si certains passages de l’Apocalypse étaient sollicités - et ce pas plus loin que ne les entraîne leur propre sens - il s’avérerait quelque peu difficile de réfuter son opinion. Assurément je suis quelqu’un qui a des pensées très honorables sur la Nature, et si j’évite des controverses telles que celles-ci, c’est parce que je ne voudrais pas offenser des consciences faibles. Car il y a des gens qui, bien qu’ils n’osent penser que la majesté de Dieu fût diminuée en ce qu’Il fit le monde, cependant osent penser que la majesté de Sa Parole est très avilie si elle est appliquée à ce qu’Il a fait - opinion qui en vérité comporte en elle-même un blasphème très dangereux, à savoir que la Parole de Dieu et l’œuvre de Dieu seraient des choses si différentes que l’une devrait nécessairement déshonorer l’autre.
Je dois confesser que je suis très partisan de chercher ce à quoi l’Ecriture s’applique, et pour qui elle fut écrite, si ce n’est pour nous et notre instruction. Car si ceux qui sont sains - comme en témoigne notre Sauveur - n’ont pas besoin de médecin Marc II, , c’est qu’alors Dieu a fait que l’Ecriture ne soit écrite ni pour Lui-même ni pour Ses anges, mais pour ces créatures qui, ayant perdu leur premier état, étaient depuis lors tombées dans la corruption. Si c’est donc pour nous que l’Ecriture fut écrite, nous sommes très concernés par le fait de savoir quel usage nous en ferons, et c’est ce que nous pouvons en déduire d’après les différentes conditions de l’homme, avant et après sa chute. Avant sa chute l’homme était une créature glorieuse, ayant reçu de Dieu l’immortalité et la connaissance parfaite; mais dans et après sa chute, il échangea l’immortalité contre la mort et la connaissance contre l’ignorance. Pour ce qui est de notre rédemption à partir de cette chute, nous ne pouvons - eu égard à la mort - l’espérer en ce monde-ci, Dieu ayant décrété que tous les hommes devaient un jour mourir. Mais en ce qui concerne notre ignorance, nous pouvons - et nous devrions - l’éliminer dans cette vie-ci, car sans la connaissance de Dieu personne ne peut être sauvé, d’autant qu’elle est à la fois la cause et les arrhes de notre immortalité future. Il reste alors que notre ignorance doit être défaite en partie même dans cette vie-ci, avant que nous ne puissions défaire notre mortalité. Et c’est certainement à cette fin que fut rédigée l’Ecriture, à savoir que c’est par elle que nous pouvons atteindre la connaissance de Dieu et retourner vers Celui dont nous sommes déchus.
Et ici que personne ne se mette en colère contre moi si je demande comment l’Ecriture nous apprend à connaître Dieu nous dit-elle simplement qu’il y a un Dieu, et laisse-t-elle le reste à notre discrétion ? Nous apprend-elle - si je puis dire ce que je pense - à connaître Dieu par Ses œuvres, ou sans Ses œuvres ? Si c’est par Ses œuvres, alors c’est par les choses naturelles, car elles sont Ses œuvres à lui, et de personne d’autre. Si c’est sans Ses œuvres, je désire savoir de quelle sorte d’enseignement il s’agit là, car je ne l’ai toujours pas trouvé. Si l’on dit que c’est par l’inspiration, je dis aussi que Dieu peut nous enseigner de cette façon, mais non pas l’Ecriture, car certainement l’Ecriture n’a jamais inspiré personne, bien qu’elle soit venue elle-même par inspiration. Mais si l’on répond que dans l’Ecriture nous avons le témoignage des hommes inspirés, je dis que cette réponse est à côté de ma question, car je ne parle pas ici de la simple autorité ou du simple témoignage de l’Ecriture, mais je parle de cette doctrine par laquelle elle prouve ce dont elle témoigne, car en telle doctrine l’Ecriture abonde. Je suis sûr que Moïse prouve Dieu par Sa création, et Dieu se prouve Lui-même à Moïse en transformant sa verge en serpent, et le serpent en verge Exode VII, -. Et aux Egyptiens, Il donne des démonstrations plus terribles de Son pouvoir et de Sa souveraineté sur la Nature en transformant leurs rivières en sang Exode VII, - et la poussière de leur pays en poux, par la peste du bétail, par les pustules et les tumeurs et la mort de leurs premiers-nés, par les diverses plaies des grenouilles, des sauterelles, de la grêle, du feu, du tonnerre et des ténèbres - tout ceci n’était que grandes œuvres naturelles par lesquelles Il prouva Sa Divinité, comme Il l’a dit Lui-même : « Et les Egyptiens connaîtront que je suis le Seigneur quand j’étendrai la main sur l’Egypte » Exode VII, . Quand Il se révèle à Cyrus, Il le fait non pas par une simple affirmation qu’Il est Dieu, mais Il se prouve Lui-même être tel par le monde qu’Il a fait. « Je suis le Seigneur, dit-il, et il n’y en a pas d’autre, il n y a pas de Dieu à part moi; je t’ai ceint alors que tu ne me connaissais pas » Isaïe XLV, . « Je forme la lumière et crée les ténèbres; je fais la paix et crée le mal c’est Moi le Seigneur qui fais toutes ces choses. J’ai fait la terre et créé l’homme qui est sur elle : c’est Moi, ce sont mes mains qui ont déployé les cieux, Moi qui commande à toute leur armée » Isaïe XLV, et .
Que tout homme lise ces majestueuses et philosophiques remontrances entre Dieu et Job Job XXXVIII à XLI, ou en un mot, qu’il relise les deux Testaments, et il trouvera - s’il lit attentivement, que l’Ecriture, d’un bout à l’autre, utilise la Nature, et a en fait découvert des mystères naturels tels que l’on n’en trouve chez aucun des philosophes. Et ceci apparaîtra dans le discours suivant. Quant à moi, je ne crains pas de dire que la Nature est tellement l’affaire de l’Ecriture que - pour moi - l’Esprit de Dieu en ces oracles sacrés semble se préoccuper non seulement de la restitution de l’homme en particulier, mais même de la rédemption de la Nature en général. C’est pourquoi nous ne devons pas confiner cette restitution à notre propre espèce, à moins que nous n’y confinions aussi la corruption, ce que, indubitablement, nous ne pouvons faire. Car il est évident que la corruption ne s’est pas seulement emparée de l’homme, mais aussi du monde, à cause de l’homme Genèse III, . S’il est donc vrai que l’homme a un Sauveur, il est vrai aussi que toute la création a le même Sauveur, Dieu ayant réconcilié toutes choses avec Lui-même en Jésus-Christ. Et s’il est vrai que nous recherchons la rédemption de notre corps et un homme nouveau, il est également vrai que nous recherchons un ciel nouveau et une terre nouvelle où réside la droiture. Car ce n’est pas l’homme seul qui doit être renouvelé à la restauration générale, mais aussi le monde en même temps que l’homme, selon ce qui est écrit : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » Apocalypse XXI, . Je ne dis pas ceci pour dénigrer l’homme ni pour l’apparier à toute autre créature, car je sais qu’il est le principal sujet de la restauration, comme il le fut lors de la chute, la corruption qui s’ensuivit dans les éléments n’étant qu’une chaîne que ce prisonnier traîne derrière lui. Mais je dis ceci pour montrer que Dieu se préoccupe de la restitution de la Nature en général, et non seulement de l’homme qui, bien qu’il en soit la partie la plus noble, n’est certes cependant qu’une petite partie de la Nature.
L’Ecriture est-elle donc mal employée, beaucoup moins qu’avilie, lorsqu’elle est appliquée à l’objet du salut, à savoir la Nature, car c’est celle-ci que Dieu voudrait sauver et racheter des dépravations présentes auxquelles elle est sujette ? En vérité, lorsque je lis l’Ecriture, je n’y trouve rien d’autre que ce qui concerne la Nature et les choses naturelles. Car lorsqu’elle mentionne la régénération, l’illumination et la grâce ou tout autre don spirituel, elle le fait, non pas précisément, mais à destination de la Nature, car que signifie tout ceci, sinon une nouvelle influence de l’esprit, descendant de Dieu pour assister la Nature, et pour nous libérer de ces corruptions par lesquelles nous avons longtemps été opprimés ? Je suppose que l’on ne niera pas que Dieu est plus métaphysique que n’importe quelle Ecriture, et pourtant dans l’ œuvre du salut, ce serait grande impiété que de séparer Dieu de la Nature, car alors Dieu n’aurait plus rien à sauver ni en vérité rien sur quoi œuvrer. Combien il est encore beaucoup plus absurde dans le ministère de la Nature de séparer l’Ecriture de la Nature, car à qui, je t’en prie, l’Ecriture s’adresse-t-elle ? Et même, à qui le salut est-il administré si la Nature est enlevée ? Je ne doute pas que l’homme se trouve dans la Nature, et non pas au-dessus d’elle, et je laisse les scolastiques le résoudre en toutes les parties qu’ils désirent, toutes ces parties s’avérant être naturelles, puisque Dieu seul est vraiment métaphysique. C’est avec plaisir que j’apprendrais de nos adversaires comment ils en sont venus initialement à savoir que la Nature était corrompue, car si c’est l’Ecriture qui leur a appris cette vérité physique, pourquoi ne peut-elle leur en apprendre davantage ? Mais que ce soit l’Ecriture qui les ai instruits est tout à fait indéniable. Imaginons un médecin qui ait des aptitudes telles qui lui permettent d’établir le vrai tempérament de son patient et ce en quoi sa maladie l’a dérangé. Ne le fait-il pas dans un bon but ? Sans aucun doute, si. Et c’est vers un but non moindre que tend mon opinion sur l’Esprit de Dieu, dont le patient est la Nature, qui nous donne dans l’Ecriture une physionomie de la Nature, ce qu’il a certainement fait en tous points, que nous regardions l’aspect passé, présent ou futur du monde.
Quant à moi, je tiens cette assurance de la philosophie, selon laquelle tous les mystères de la Nature consistent en la connaissance de cette corruption qui est mentionnée dans l’Ecriture et qui suivit la chute, à savoir connaître ce qu’elle est et où elle réside principalement, ainsi que connaître quelle est la substance qui lui résiste le plus et la retarde - en en étant le moins pourvue - car c’est en ces deux choses que consistent les avantages de la vie et de la mort. En bref, l’expérience et la raison fondées sur ceci m’ont enseigné que la philosophie et la religion ne sont qu’une seule et même science. Mais on s’est occupé de connaissance comme on le ferait de rivières et de puits auxquels, canalisés en plusieurs conduits, on fait prendre plusieurs directions pour s’écouler, et qui, par cet accident, en viennent à avoir plusieurs noms. Nous voyons que Dieu dans Son œuvre a uni l’esprit à la matière, les visibles aux invisibles, et c’est de cette union de substances spirituelles et naturelles que naît un composé parfait, dont la nature et l’être mêmes consistent en cette union. Comment est-il alors possible de démontrer la nature de ce composé par une théorie divisée de l’esprit seul et de la matière seule ? Car si la nature d’un composé consiste en la composition de l’esprit et de la matière, alors nous ne devons pas chercher cette nature dans leur séparation, mais dans leur mélange et combinaison, ainsi que dans leurs actions et passions mélangées et mutuelles. De plus, qui a jamais vu un esprit sans matière ou une matière sans esprit, qui pourrait nous donner une vraie théorie des deux principes dans leur simplicité ? A coup sûr, personne sur terre. Il en va exactement de même avec la religion, car si par faux-fuyant nous confinons la religion à Dieu dans l’abstrait, qui - c’est ce que je demande - L’a jamais connu ainsi ? Ou qui a reçu une telle religion de Lui, et ne nous l’a cependant pas transmise ? En vérité, si nous considérons Dieu dans l’abstrait, et tel qu’Il est en Lui-même, nous ne pouvons rien dire de Lui positivement, mais nous pouvons peut-être en dire quelque chose négativement, comme l’a fait Denys l’Aréopagite Traité de Théologie mystique, ch. H. C’est-à-dire que nous pouvons affirmer ce qu’Il n’est pas, mais nous ne pouvons affirmer ce qu’Il est . Mais si, par religion, nous comprenons la doctrine du salut telle qu’elle est établie dans l’Ecriture, alors il est vrai que c’est une doctrine mixte, impliquant à la fois Dieu et la Nature. Et ici je n’ai pas de doute à affirmer que le mystère du salut ne peut jamais être pleinement compris sans la philosophie - non en sa juste étendue - car c’est une application de Dieu à la Nature, et une conversion de la Nature en Dieu, et c’est dans ces deux mouvements et leurs milieux que toute connaissance spirituelle et naturelle est comprise.
Parler donc de Dieu sans la Nature est plus que nous ne pouvons faire, car ce n’est pas ainsi que nous L’avons connu, et parler de la Nature sans Dieu est plus que nous ne pouvons faire, car nous déroberions à Dieu Sa gloire et attribuerions Ses effets à la Nature, qui appartiennent en propre à Dieu et à l’Esprit de Dieu Qui œuvre dans la Nature. C’est pourquoi nous utiliserons une forme intermédiaire de discours entre ces deux extrêmes, et cette forme, les Ecritures nous l’ont enseignée, car les prophètes et les apôtres n’en ont pas utilisé d’autre. Que personne donc ne s’offense si en ce discours nous utilisons l’Ecriture pour prouver la philosophie et la philosophie pour prouver la science religieuse, car en vérité notre connaissance est telle que notre science religieuse ne va pas sans la Nature, et que notre philosophie ne va pas sans Dieu. Cependant, je n’ose penser que la plupart des gens se plaindront de cette démarche, bien que je ne puisse imaginer pourquoi ils le feraient, car lorsque je réunis l’Ecriture et la philosophie, je ne fais que réunir Dieu et la Nature, union approuvée avec certitude par Dieu, quand bien même elle serait condamnée par les hommes. Je ne me querellerai pas avec cette ignorance perverse, aussi éhontée soit-elle, car outre l’Ecriture, j’ai d’autres raisons qui m’ont amené, impartial et grave, ce discours.
Cela fait maintenant des années que je séjourne dans cette grande fabrique que les fortunés appellent le monde, et certes j’y ai passé mon temps comme un voyageur, non pour l’acquérir, mais pour l’observer. Il n’y a pratiquement rien en lui qui ne m’ait donné l’occasion de quelques pensées, mais ce qui m’a vite et beaucoup occupé a été l’action continuelle du feu sur l’eau. Cette spéculation - je ne sais comment - m’a surpris dans ma prime jeunesse, bien longtemps avant que je ne voie l’université. Et c’est certainement la Nature, dont j’étais l’élève, qui avait alors éveillé en moi beaucoup de notions que j’ai rencontrées plus tard dans la philosophie platonicienne. Je ne m’abstiendrai pas d’écrire comment je m’étais imaginé une certaine pratique sur l’eau dont j’attendais, même à l’époque de mon enfance, des miracles, mais certainement ni or ni argent, car je n’y pensais même pas, ni aucun artifice de convoitise. Cette considération que je m’étais faite lorsque j’étais enfant m’a depuis fait examiner les enfants, en particulier ce qu’ils pensaient de ces éléments que nous voyons autour de nous, et c’est ainsi que j’ai beaucoup appris d’eux, à savoir que la Nature dans sa simplicité est beaucoup plus sage que ne le sont certains hommes avec leurs ruses acquises et leurs astuces. En vérité, je m’estimais tenu de prouver toutes choses, pour que je puisse atteindre mes désirs légitimes. Mais de peur que vous ne pensiez que j’ai seulement conversé avec des enfants, j’avouerai que j’ai aussi conversé avec des enfants et des fous, c’est-à-dire, tel que je l’interprète, avec des enfants et des hommes, car ces derniers ne sont pas en toutes choses aussi sages que les premiers. Un enfant, je suppose, pur de naissance, avant que l’éducation ne l’altère et ne le fermente, est un sujet qui n’a pas été beaucoup pris en considération, car les hommes ne le respectent pas jusqu’à ce qu’il soit une compagnie pour eux, et c’est alors qu’en fait ils le gâchent. Cependant, j’aurais tendance à penser, d’après ce que j’ai lu, que la disposition naturelle des enfants, avant qu’elle ne soit corrompue par les usages et les manières, est l’une de ces choses dont les anciens philosophes se sont occupé, et même avec une certaine curiosité. Je n’exprimerai pas ici ce que j’ai trouvé par ma propre expérience, car c’est une question de point de vue et de point d’appui par lequel des sages sont parvenus à une certaine connaissance des choses morales aussi bien que des choses naturelles.
Mais pour revenir de cette digression aux principes initialement proposés, à savoir le feu et l’eau, j’emprunterai mon entrée en matière à mon célèbre concitoyen, Rice de Chester qui, parlant de cet art, s’exprime ainsi : « Cet Art, dit-il, appartient à la philosophie occulte, et à cette partie de la philosophie qui traite des météores. Le dit Art discourt non seulement sur les éléments, mais aussi sur les choses que ceux-ci produisent. Cherchez ceci, car c’est un grand secret ».
Ces paroles, si les mystères qu’elles impliquent et auxquels elles se rapportent étaient distinctement couchés sur le papier, formeraient un discours sans fin, car elles contiennent tout ce que la Nature fait, et tout ce que l’Art peut faire. Mais puissions-nous, avec ordre et autant que la conscience le permet, exprimer ce qu’elles signifient. Nous affirmons d’abord que Dieu est le principal et seul Auteur de toutes choses, Qui par Sa Parole et Son Esprit a formé et manifesté ces choses qu’à présent nous ne pouvons voir. Quant ,à la matière dont Il les a formées, comme c’est une substance préexistant non seulement à nous-mêmes, mais aussi au monde, la plupart des gens peuvent penser que la connaître est impossible, car comment connaîtrons-nous une chose qui était si longtemps avant nous, et qui n’est pas maintenant existante pour nous, ni ne le fut jamais, d’après leur opinion, depuis la création ? A cette objection qui, à première vue, peut sembler invincible, nous retournerons une réponse qui la brisera, car nous montrerons comment et par quels moyens il nous est advenu de connaître cette matière, et non seulement de la connaître, mais après de longs labeurs, de la voir, de la tenir en main et de la goûter . Il est assez évident que tout individu, et je suppose l’homme lui-même, est fait par une semence, et que cette semence, lorsque le corps est réalisé, n’apparaît plus, car elle est changée et transformée en corps. Cependant, ce même corps produit ensuite une semence, qui est exactement la même dans la Nature que la première semence originelle de laquelle le corps fut fait. Je présume donc que celui qui voudrait connaître la génération de l’homme n’a pas besoin de remonter jusqu’à Adam pour connaître la première semence, car si la Nature offre toujours la même chose, à quoi sert cette rétrogradation stérile ? Il en va de même avec le monde, car à l’origine, il fut fait d’une semence - humidité ou eau séminale visqueuse. Mais cette semence - comme nous l’avons dit dans nos aphorismes - disparut lors de la création, car l’Esprit de Dieu qui se mouvait au-dessus d’elle la transforma et en fit le monde. Cependant, ce même monde produit maintenant et engendre de son corps une semence secondaire, qui est la même, en essence et en substance, que la semence générale primitive dont le monde fut fait. Et si quelqu’un demande quel usage la Nature fait de cette semence générale et pourquoi elle la produit, je réponds que ce n’est pas pour en faire un autre monde, mais pour maintenir ce monde avec laquelle il est déjà fait. Car Dieu Tout Puissant a décrété que Ses créatures soient nourries de la même matière que celle dont elles furent formées, et en ceci est vérifiée cette maxime qui autrement serait très fausse : « C’est par ces choses mêmes dont nous consistons que nous sommes aussi nourris ». Nous ne cherchons pas beaucoup d’où vient notre nourriture, ni celle des animaux, car ces deux sortes de provisions sont évidentes. Mais qu’est-ce qui nourrit l’herbe, les plantes, le blé et toutes les espèces d’arbres, ainsi que leurs fruits ? Qu’est-ce qui restaure et alimente la terre, lorsque ces produits copieux et innombrables ont pendant la plus grande partie de l’année vécu en suçant ses seins et en l’épuisant presque ? J’ai peur qu’ils ne disent ce qu’ils pensent, et affirment que c’est l’eau, mais ce en quoi ils sont d’habiles discoureurs apparaîtra ci-après.
Il est même certain que ce dont nous nous nourrissons, ainsi que les animaux, provient entièrement de la même source, mais avant que cette nourriture ne nous arrive, elle est changée, car les animaux se nourrissent de choses particulières, mais les végétaux extraient ce sperme immédiatement sous sa forme céleste universelle. Cependant, je ne voudrais pas que ceci soit compris comme si cette semence ne servait qu’à nourrir, car beaucoup de choses en sont faites, en particulier la famille souterraine des minéraux et des métaux. Car cette chose n’est pas de l’eau, sinon à la vue, mais une humidité épaisse coagulable, ou un mélange de feu, d’air et de terre pure, il est vrai recouvert d’eau, et c’est pourquoi elle n’est vue et connue que par peu de gens. Chez les végétaux, elle apparaît souvent, car ils ne se nourrissent pas - comme certains le pensent - d’eau, niais de cette viscosité séminale qui est cachée dans l’eau. Ils attirent celle-ci à leurs racines, et de là, elle monte dans les branches; mais parfois il advient qu’elle s’échappe par l’écorce où, en rencontrant l’air froid, elle subsiste et se congèle en gomme. Cette congélation n’est pas soudaine, mais requiert quelque temps, car si vous la trouvez tant qu’elle est fraîche, c’est une humidité excessivement subtile, quoique glutineuse, car elle se vrillera en fils ténus comme des cheveux, et si elle passe jusqu’aux branches, elle prendra la forme en son temps d’une prune ou d’une cerise.
Ceci lui advient dans le froid et à la surface du sol, mais dans les entrailles de la terre, elle est congelée par une chaleur sulfureuse en métaux, et si le lieu de sa congélation est pur, alors elle est congelée en un métal clair, car ce sperme est imprégné de lumière et il est plein de Feu Astral, duquel tous les métaux tirent leur lustre. On pourrait dire la même chose des perles et des.pierres précieuses, cette semence astrale étant la mère de toutes celles-ci. Car là où elle est minéralisée par elle-même et sans mélange physique, elle verse et déverse ses feux, et elle contient tellement de ciel que, si nous n’étions pas au courant de la conspiration, nous nous demanderions comment elle pourrait aimer la terre. Reprenons maintenant en quelques mots ce que nous avons dit, et ce d’autant plus que nous voudrions expliquer notre méthode, car nous avons l’intention de suivre Raymond Lulle qui, dans le troisième chapitre de son Testament a dessiné une certaine figure qui répond pleinement à ces paroles que nous avons précédemment citées de Rhaesus Cestrensis.
Nous avons déjà mentionné deux principes, Dieu et la Nature, ou Dieu et le monde créé, car du troisième principe ou chaos qui était pré-existant au monde, nous n’en dirons rien de plus. Mais, au lieu de cela, nous aurons recours au sperme secondaire ou chaos, qui est maintenant et qui provient du monde visible. Car nous ne fonderons notre discours sur rien qui ne soit visible, et au premier plan, nous plaçons la Majesté Divine, Qui est le seul et central Principe Eternel, Architecte de tout.
Cette figure est de Raymond Lulle : en son centre on voit la Hylé ou Première Matière, de laquelle le monde a été fait. Dans cette Hylé, dit Raymond Lulle, tous les éléments et tous les principes naturels - aussi bien les moyens que les extrêmes - furent mélangés potentiellement « en une forme confuse d’eau ». Et cet océan spermatique primitif remplit tout cet espace que nous attribuons aujourd’hui à l’air, car - dit-il - « il s’étendait jusqu’au cercle lunaire » . De cette Hylé centrale, avec laquelle nous en avons maintenant terminé, sont apparus tous ces principes et tous ces corps que l’on trouve indiqués dans la circonférence de la figure, et c’est ici que commence notre philosophie.
En premier lieu, au dessus de la Hylé, on voit les éléments, ou le monde créé visible, dont les parties sont communément appelées éléments, à savoir la terre, l’eau, l’air et le ciel - car il n’est pas d’autre feu que ce feu follet qu’Aristote alluma sous la lune. A partir des éléments à droite, par raréfaction et résolution de leur substance, on voit dérivé un autre principe, à savoir les vapeurs des éléments ou nuages, vapeurs dans lesquelles les natures inférieure et supérieure se rencontrent et se marient, et c’est de leur mélange que résulte ce sperme secondaire ou chaos philosophique que nous cherchons. A côté des nuages ou vapeurs des éléments, on trouve dans la figure un troisième principe, à savoir une eau claire qui procède immédiatement des nuages. « Et cela - dit Lulle - c’est la substance qui ressemble à du vif-argent, que l’on trouve en vérité coulant et s’écoulant sur la terre ». Le quatrième principe, que la nature génère immédiatement par congélation de la substance ou viscosité du Mercure universel aqueux, c’est l’Azoth vitreux, qui est un certain minerai igné, sulfureux, masculin. Et ceci est l’or philosophique - le soufre, la terre et le mâle - tout comme l’eau visqueuse est le Mercure et la femelle. Le reste des principes qui sont rangés dans la figure sont des principes artificiels, et ne peuvent être connus ni manifestés sans l’Art, excepté le septième et dernier principe, qui est soit l’or soit l’argent, car ceux-ci sont des métaux parfaits et des ferments qui spécifient le médicament - qui de lui-même est universel - et le réduisent en une disposition et un effet particulier.
Jusqu’ici nous avons estimé qu’il convenait de jouer franc jeu avec vous, mais en ce qui concerne la partie pratique de cette figure, nous la laisserons de côté, car nous préférons ne rien dire, plutôt que de dire quelque chose qui ne serait pas compris. J’ose affirmer qu’il y a des écrivains qui se réjouissent des énigmes qu’ils posent, et qui prennent un plaisir particulier à multiplier les difficultés, qui sont déjà suffisamment nombreuses. Pour ma part, je ne mettrai pas votre entendement à l’épreuve. Vous pouvez vous reposer sur leur auteur, et ainsi vous exposer à nul autre danger que celui auquel j’ai été moi-même exposé précédemment.
Nous retournerons maintenant à nouveau à notre théorie et, comme entrée en matière, nous affirmons que c’est le feu qui initie tout mouvement, et que c’est le mouvement qui initie la génération. Car si les éléments, ou parties de ce monde matériel, se trouvaient tous à l’intérieur de limites propres, une telle interruption ne produirait rien. Pour prévenir ceci, le Dieu Tout-Puissant a placé au cœur du monde, à savoir dans la terre, comme il l’a fait dans le cœur de toute autre créature, un feu vital, que Paracelse appelle l’Archée , et Sendivogius le Soleil Central. Ce feu - de peur qu’il ne consume son propre corps, la terre - il l’a recouvert d’une eau épaisse, huileuse, salée, que nous appelons la mer. Car l’eau de mer, comme nous l’avons expérimenté, sans parler de son sel, est pleine d’une graisse sulfureuse, volatile, qui n’éteint pas le feu comme l’eau vulgaire, mais qui l’alimente. Nous voyons que les choses sont semblablement prévues dans le corps des animaux, dont la chaleur ou la vie est tempérée par une humidité sulfureuse salée - à savoir par le sang - et le sang est tempéré par la respiration, comme l’est la mer par le vent et l’air. Au-dessus de cet Archée ou feu central, Dieu a placé Son ciel, le soleil et les étoiles, tout comme Il a placé la tête et les yeux au-dessus du cœur. Car entre l’homme et le monde, l’accord qui règne n’est pas petit, car celui qui ne connaît pas l’un ne peut connaître l’autre. Nous pouvons aussi observer que le vent passe entre les feux inférieur et supérieur, c’est-à-dire entre le soleil central et le soleil céleste. Et en l’homme, la respiration a toute liberté et tout mouvement entre le cœur et les yeux, c’est-à-dire entre le feu et la lumière qui est en nous. Nous voyons, en outre, dans l’homme et dans le monde, une très égale correspondance des effets car, tout comme le sang , la mer a une constante pulsation ou agitation, les deux esprits étant en mouvement et oeuvrant de la même manière dans leurs corps.
Nous ne devrions pas non plus négliger une autre considération, selon laquelle la lumière du monde se trouve dans les parties supérieures de celui-ci, à savoir le soleil et les étoiles. Mais le feu originel duquel ces étincelles s’envolent n’apparaît pas, mais vit emprisonné dans la terre. De même il est certain que tout l’éclat de l’homme est dans son visage, car c’est là qu’il émet sa lumière, aux yeux, mais la source première de celle-ci, à savoir ce feu qui est dans le cœur, ne se voit pas plus que celui qui est dans la terre. Nous pouvons simplement affirmer ceci, que ces deux feux sont manifestés à la raison par les mêmes effets, à savoir par la pulsation que l’un cause dans le sang et l’autre dans la mer, à laquelle on peut ajouter cette transpiration ou évaporation d’humeurs que ces deux esprits produisent de la même manière dans leur corps respectif. Et afin que nous puissions prouver davantage encore que ces ternes d’Archée et de Soleil Central ne sont pas de vains mots, considérons seulement quelle forte chaleur est nécessaire à cette sublimation de vapeurs et d’exhalaisons, car ce n’est pas de l’eau simple qui est projetée en l’air, mais une abondance de sel et d’huile avec de l’eau. Si quelqu’un pense que c’est le soleil qui peut faire ceci, je dois lui dire qu’il ne sait pas quelles sont les opérations du soleil, ni ce à quoi il sert dans la Nature. Le soleil ne sert qu’à assécher l’humidité superflue que la nuit laisse derrière elle sur le dehors des choses, car celle-ci rend tous les végétaux froids et flasques, elle entrave leur digestion et leur maturité. Mais le soleil, avec une chaleur vive, enlevant cette humidité étrangère, favorise leur concoction et aide à mûrir ce qui est cru. Cela doit être fait par une chaleur très douce, non pas une chaleur telle qu’elle fasse fumer la terre et en extraie des nuages, car cela n’amènerait pas les choses à maturité, mais plutôt les brûlerait et les calcinerait. Nous savons que si nous restons longtemps au soleil, nous finirons par défaillir, et que le feu vulgaire ne brûlera pas à la lumière de celui-ci, car le soleil - qui est le véritable élément du feu - l’attire, de sorte que graduellement il baisse et abandonne son combustible. Mais si l’on transporte le feu en dehors du soleil, alors il s’appliquera plus fortement au combustible, il s’unira à lui et le brûlera.
Il en va de même pour la terre, car tant que la chaleur du soleil est présente, la chaleur de la terre se préoccupe plus de la chaleur du soleil que de son propre corps. Car, comme Sendivogius l’a bien écrit, « les rayons se joignent aux rayons à la surface de la terre ». C’est à la surface de la terre que les rayons des deux luminaires se rencontrent, et il y a une conspiration telle entre le feu et le feu, que le feu central - se libérant pour rencontrer le feu céleste - souffre une espèce d’extase, et ne fait pas très attention à son propre corps. Permettez-moi de m’exprimer ainsi, car il y a une telle affinité entre ces deux feux qu’ils préfèrent se joindre l’un à l’autre plutôt qu’à une troisième nature. Mais voilà qui ne peut être qu’en partie, et au moyen d’une influence, Dieu ayant confiné l’un au centre et l’autre à la circonférence. Je pourrais démontrer cette sympathie par un magnétisme très noble, que j’ai vu avec admiration, entre le soleil et l’huile douce, ou plutôt entre le feu et l’âme du nitre. Et ici je te dirai que la terre est pleine de nitre. Et même, je dois affirmer que la terre pure n’est pas autre chose que du nitre, dont les entrailles sont pleines de vent, d’air et de feu, et qui ne diffère pas plus du ciel que la racine d’un arbre qui loge dans la glaise ne le fait de ses branches qui poussent au soleil. Cette attraction du feu par le feu est la véritable raison pour laquelle la chaleur de la terre est si faible en été et si forte en hiver. Car en hiver, lorsque le soleil est absent, le feu central se maintient entièrement à l’intérieur de la terre et, irrité par une invasion hostile du froid, il chauffe les eaux plus vigoureusement, de sorte que les exhalaisons et les nuages sont beaucoup plus abondants en hiver qu’en été, ce qui ne pourrait pas être si le soleil en était la cause. Ajoutez à ceci qu’une chaleur extérieure sèche, comme celle du soleil, tombant immédiatement sur la terre, doit nécessairement brûler la terre avant qu’elle ne puisse la faire fumer. Mais un feu intérieur, qui est mélangé avec l’humidité de la terre, ne peut brûler, aussi intense soit-il, car il est modéré par l’eau et tempéré en une chaleur humide. Et sans aucun doute, un tel feu peut très naturellement résoudre certaines parties de la terre et faire qu’elles s’exhalent, comme notre chaleur interne humidifiée par le sang nous fait transpirer sans violence.
Pour réduire tout ceci en un corollaire, nous affirmons qu’en hiver Dieu scelle la surface de la terre par le gel et le froid, comme on scellerait un vase, pour y conserver l’humidité spermatique congélative, qui sinon pourrait s’envoler avec les vapeurs plus grossières qui se dégagent abondamment à ce moment-là, remplissent la sphère de l’air et absorbent comme autant d’éponges les influences célestes vitales. Car nous devons savoir que la Nature commence à imprégner la terre environ à la fin de l’automne et le continue tout l’hiver, l’influx igné subtil du ciel étant alors condensé par le froid et l’humidité de la lune, qui règne pendant tout l’hiver, et qui est plus élevée que le soleil. On peut voir ceci dans la neige qui, tombant lorsqu’il gèle fort, est ramassée tant qu’elle est fraîche, et digérée dans un vase fermé pendant vingt-quatre heures. Si l’on ouvre alors le vase tandis que la solution est chaude, on perçoit en respirant l’eau toutes les odeurs du monde, qui sont sûrement beaucoup plus plaisantes que dans les fleurs de mai. Regardez au fond du vase et vous y trouverez un dépôt gras et gris, qui n’est pas sans ressembler à du savon blanc. Séparez-en le flegme par une douce distillation au bain, et mettez le résidu dans un matras bien bouché, dans une chaleur sèche de cendres. Maintenez-le au chaud pendant une heure ou deux, et soudain le vase volera en éclats, car le vent - la vie ou l’esprit - n’est pas bien établi dans le corps. C’est ici que vous pouvez voir les premiers essais de la Nature, mais si vous savez comment œuvrer sur l’eau, vous trouverez des choses plus grandes que celles que je vous ai dites.
La Magnésie donc, comme Sendivogius l’a écrit , est engendrée l’hiver, et ce non sans raison, car c’est alors que la chaleur de la terre est la plus forte et la mieux à même de digérer l’aliment qui descend du ciel et de le concocter en un sperme visqueux. Mais pendant les saisons du printemps et de l’été, lorsque le soleil a chassé le gel et que les luminaires central et céleste ont - par leur mélange mutuel et convergence de rayons - relaxé et dilaté les pores de la terre, alors se fait une voie permettant au sperme de monter plus librement, qui en se sublimant et s’élevant est attiré et intercepté par le royaume végétal, dont il est l’aliment immédiat.
Pour revenir donc à ces premières paroles de Rhaesus Cestrensis, nous dirons que ce sperme est fait des vapeurs ou nuages, et les vapeurs sont faites par l’élévation et la dépression des éléments, et non seulement des éléments, mais aussi - selon son expression - des « élémentaires », c’est-à-dire des corps composés des éléments. Et ceci revêt un double sens, car nous devons savoir que la terre est chargée de nombreuses natures particulières, comme des minéraux de toutes sortes et des restes de cadavres, car nos corps aussi résident dans la terre une fois que l’esprit de vie les a quittés. Tout cela, ainsi que la terre elle-même, subit une raréfaction et une résolution de la substance, car dans ces vapeurs, dit Raymond Lulle, « se résolvent tous les corps produits par les éléments, afin qu’ils puissent entrer dans une génération nouvelle ».
Cela me remet à l’esprit une opinion que j’ai lue autrefois chez les Cabalistes, selon laquelle cette masse, ou corps auquel nous sommes parvenu par attraction et transmutation d’aliment, ne se relève pas lors de la résurrection. Mais c’est à partir de cette particule séminale qui, à l’origine, en attirant l’aliment, s’en recouvrit, que naîtra un corps nouveau, et cette particule séminale - disent-ils - se tient tapie quelque part dans les os, et non dans cette partie qui tombe en poussière . En vérité, nous voyons que les os sont très permanents et durables, et ceci Joseph ne l’ignorait pas lorsque, mourant en Egypte, il donna ce commandement à ses frères : « Vous ferez remonter mes os d’ici » Genèse L, . Nous savons que les Israëlites ont été esclaves en Egypte près de quatre cents ans après la mort de Joseph, or pendant tout ce temps, ses os ne se sont pas consumés, mais ils furent emportés au pays de Canaan, selon ce qui est écrit : « Moïse prit avec lui les os de Joseph; car Joseph avait fait jurer les enfants d’Israël, en disant : « Dieu vous visitera, et vous emporterez avec vous mes os loin d’ici ». »
Certainement, si nous en jugeons correctement, nous devons confesser que cette particule séminale est notre unique matière fondamentale, le reste n’étant qu’un accroissement qui provient de la substance étrangère de la nourriture et de la boisson. Quelle perte est-ce donc si nous laissons de côté cette sécrétion corrompue ou addition de matière, car ne peut-Il, Celui qui nous a faits à l’origine à partir de cette particule séminale, nous refaire à partir de celle-ci ? Cette opinion, d’après moi, n’est pas pour déplaire à saint Paul en son discours aux Corinthiens Cor. XV, -, où il voudrait leur montrer la manière dont se fait la résurrection, et avec quel corps les morts ressuscitent : « Sot ! Ce que tu sèmes, toi, ne reprend vie s’il ne meurt. Et ce que tu sèmes, ce n’est pas le corps à venir, mais un simple grain, par exemple, de blé ou de quelque autre plante; et Dieu lui donne le corps qu’il a voulu, à chaque semence un corps particulier ». Car c’est ce que signifie le texte original. Et ici, à vous qui êtes des lecteurs irascibles, veuillez m’excuser, car je ne livre pas ceci comme étant mon sentiment personnel, mais comme la tradition des Juifs, qui étaient en leur temps un peuple très instruit et qui en savait davantage que toute autre nation sur les mystères de Dieu et de la Nature.
Pour reprendre là où nous nous étions arrêtés, il vous faut savoir que lorsque le soleil central sublime les vapeurs, ces vapeurs ne participent pas seulement à la nature de la terre et de l’eau, mais à diverses autres minéraux particuliers, dont la terre et l’eau sont pleines. Pour rendre ceci plus clair, les vapeurs - ainsi proprement nommées - s’élèvent de la mer et de toutes les eaux douces. Elles participent de la substance et des qualités des minéraux qui sont dans l’eau, certains étant bitumeux, d’autres salins, d’autres mercuriels, tous étant humides et flegmatiques. Au contraire, les exhalaisons qui proviennent de la terre sont sèches, car la terre est plus chaude et plus minérale que l’eau. Ces fumées ignées, terrestres, rencontrant les vapeurs froides de l’eau, produisent souvent des tempêtes parmi les plus terribles, certaines étant nitreuses, d’autres arsenicales, d’autres sulfureuses, toutes étant chaudes, et d’autres, en raison de leur soufre, inflammables. Ces deux choses - j’entends les exhalaisons terrestres et la vapeur aqueuse - se rencontrent dans ce vaste air circulatoire, où les aspects contraires du chaud et du froid sont mélangés, tels l’agent et le patient, ou le Soufre et le Mercure. Les natures et vapeurs particulières qu’elles ont acquises des minéraux sont résolues par le vent et totalement réduites en principes généraux. Il est étrange de considérer quelle faculté puissante de résolution se trouve dans le vent ou dans l’air, car le vent n’est pas autre chose que de l’air agité, et ce par le feu, tout comme nous voyons dans l’homme que le mouvement de la respiration est causé par la chaleur, de même que par celui du sang, tous deux procédant du même principe chaud de vie. Il est ainsi certain que la vie du monde cause le vent ou une commotion dans l’air ainsi qu’un flux dans la mer, car ces deux choses sont des mers et ont leurs flux, comme nous le prouverons ailleurs plus complètement. L’air donc, comme nous l’avons dit, résoud toutes choses et spécialement le vent, car il résoud tous les sels en eau, et si cette solution est distillée, nous trouverons une certaine partie du sel réduit en eau douce. Quant au résidu, s’il est exposé au vent, il se résoudra à nouveau, et vous pourrez le distiller une seconde fois. En un mot, si vous répétez ce processus, vous transformerez tout le corps du sel en une eau douce volatile, en rien différente de l’eau vulgaire, que ce soit à la vue ou au goût. Et ici, vous ne devez pas penser que votre sel est perdu, car si vous savez comment congeler votre eau, vous le retrouverez, mais tellement changé par rapport à ce qu’il était, que vous vous émerveillerez à sa vue.
Cette pratique, si elle est bien comprise, explique suffisamment la nature de l’air, mais celui qui sait où trouver de l’air congelé et qui peut le dissoudre par la chaleur en eau visqueuse, celui-là est parvenu à quelque chose d’excellent. Je pourrais en dire beaucoup plus au sujet de cet élément merveilleux et spirituel, dont j’ai à une époque contemplé la faculté de pénétration et de résolution dans la simple expérience suivante. Le vif-argent vulgaire a une miraculeuse union des deux parties, et de tous les composés, il est le plus fort, excepté l’or, car vous aurez beau le distiller dans une cornue une centaine de fois, ce sera toujours du vif-argent, en dépit de toutes ces raréfactions réitérées de son corps. Mais si vous en prenez mille fois le poids et que vous le vaporisez une seule fois à l’air libre, il ne redeviendra jamais du vif-argent, car les fumées s’élèvent dans le vent, où elles souffriront une dissolution totale et retomberont en simple eau de pluie. C’est la raison même pour laquelle aussi les vapeurs des éléments s’élèvent jusqu’à la région moyenne de l’air, car là le vent est très froid et a le plus de liberté, et en aucun autre endroit leur résolution - ce à quoi tend la Nature - ne peut s’accomplir. Ceci, si on le comprend, est un très noble secret de la Nature, que Job n’ignorait pas, lorsque - se plaignant des décrépitudes de son corps - il s’exprimait ainsi : « Tu me portes sur un souffle, me le fais chevaucher, et tu dissous ma substance » Job XXX, . Nous vous avons jusqu’ici montré comment le feu raréfie toutes choses, et comment le vent et l’air les résolvent encore plus que le feu, comme nous l’avons indiqué par l’exemple du vif-argent. C’est ce que nous avons indiqué ailleurs en termes fort pleins d’émulation, à savoir que les circonférences dilatent et que les centres contractent, que les supérieurs dissolvent et que les inférieurs coagulent, et que nous devrions utiliser un agent indéterminé jusqu’à ce que nous en trouvions un déterminé. Car il est exact que la faculté dissolvante mercurielle se trouve dans l’air et les choses aériennes, et que la vertu congelante sulfureuse se trouve dans la terre, c’est-à-dire dans des natures et des substances minérales que Dieu a cachées dans la terre. Prenez-donc l’eau de l’air, qui est un grand dissolvant, et fermentez-la avec de la terre; puis, inversement, fermentez la terre avec de l’eau. Ou, pour parler plus obscurément, fermentez le Mercure avec le Soufre, et le Soufre avec le Mercure. Sachez que cette faculté de congélation est beaucoup aidée par la chaleur, particulièrement en ces lieux où le sperme ne peut s’exhaler et où la chaleur est tempérée. Mais si l’endroit est ouvert et si la chaleur est excessive, alors elle se dissipe. Il nous reste maintenant à parler des deux éléments matériels passifs, c’est-à-dire la terre et l’eau, car ce sont les corps qui subissent le feu et dont les parties sont perpétuellement régénérées par une raréfaction et une condensation circulaires.
Tel est le conseil des frères R.+C., que ceux qui seraient versés en cet Art étudient les éléments et leur opération avant de rechercher les teintures des métaux. Il est souhaitable en effet que l’on fasse ainsi, car nous n’aurions alors pas autant de souffleurs et si peu de philosophes. Mais ici on peut poser la question de savoir quel est celui qui étudie les éléments dans le but d’observer et d’imiter leurs opérations ? Car dans les universités, nous ne les étudions que pour parvenir à une fausse théorie livresque, dont on ne peut faire d’autre usage que le charlatanisme, la discutaillerie et le tapage. En vérité, la doctrine des universitaires a corrompu et perverti jusqu’au désir de connaissance que Dieu a implanté en l’homme. Car les traditions que nous recevons là, provenant de nos supérieurs, apportent avec elle la crainte de l’instructeur, et ceci engendre en nous une opinion sur le degré de certitude de leur enseignement, de sorte qu’un universitaire ne peut durant toute sa vie parvenir à beaucoup de raison et de confiance en passant outre la leçon de son instructeur. Je me suis souvent étonné de ce que des esprits réfléchis puissent penser que la philosophie d’Aristote soit parfaite, alors qu’elle consiste en simples mots sans autres effets. Car, en vérité, la fausseté et l’insuffisance d’une connaissance purement notionnelle est si patente qu’aucun connaisseur ne voudra la revendiquer. C’est quelque chose de très connu des médecins qui, une fois entraînés dans ce manège, sont obligés de le quitter pour prêter foi à de nouveaux principes, s’ils veulent être tels que leur profession l’exige. Aristote nous dira très gravement : « Là où finit le philosophe commence le médecin. » Mais j’admirerais quelle assistance un médecin pourrait bien recevoir de ce philosophe dont la science nous déclare que « la science ne s’occupe pas des particuliers », car sans particuliers un médecin ne peut rien faire. Mais sérieusement est-ce que la science d’Aristote - si jamais science il y a - n’émanait pas des particuliers, ou est-ce qu’elle descendait immédiatement des universaux ? Si elle descendait immédiatement des universaux, comment advint-il qu’il les connut ? A-t-il connu le genre avant de connaître l’espèce, ou l’espèce avant les individus ? Je ne pense pas. Il a d’abord connu l’individu et ayant observé sa nature et sa propriété, il a appliqué ceci à toute l’espèce ou, pour dire les choses de manière sensée, à tous les individus de ce genre. Et cette application a rendu générale cette connaissance qui d’abord était particulière, en tant que déduite à partir d’un objet particulier. C’est la vérité, et Aristote nous le dira, bien qu’il se soit lui-même démenti, car ailleurs il affirme: « Il n y a rien dans l’intellect qui n’ait d’abord été dans le sens » , ce qui, si cela est vrai, entraîne alors que « la science ne s’occupe pas des particuliers » soit faux.
J’en ai pour le moment fini avec lui, et quant à moi, j’ai appris il y a longtemps, non pas d’Aristote, mais de Roger Bacon , que les généralités ont peu de valeur et qu’il ne convient pas de les suivre, sauf par la raison des particuliers. Ceci est évident dans toutes les pratiques et professions qui mènent toutes choses au bénéfice de l’homme. Car la Nature elle-même a imprimé les notions et conceptions universelles en toute âme, qu’elle soit instruite ou non, de sorte que nous n’avons pas besoin d’étudier les universaux. C’est ce qu’avait observé notre frère Roger Bacon, lorsqu’il dit : « Dans les conceptions générales de l’âme, la foule s’accorde avec les sages, mais dans les particuliers et les spécialités, elle est en désaccord et erre ». C’est pour cette raison même qu’il condamne Aristote et Galien, « car ils s’occupaient de généraux et d’universaux, et ont poursuivi ainsi jusqu’à leur vieillesse, consumant leur vie en choses vulgaires et sans valeur, ne discernant pas les chemins menant à ces grands secrets ». Ne faisons pas comme ces païens, même si sur ce point la plus grande partie du monde les suit. Suivons plutôt les voies de la Nature, car ayant imprimé ces universaux dans nos esprits, elle ne l’a pas fait en vain, mais afin que nous les appliquions aux particuliers extérieurs sensibles, et que nous atteignions ainsi une vraie connaissance expérimentale, qui dans cette vie-ci est notre seule couronne et perfection.
Si quelqu’un en restait à la pure théorie de l’agriculture et qu’il ne lisait que les Géorgiques de Virgile, sans jamais mettre la main à la charrue, je suppose que cette théorie ne pourrait l’aider à obtenir son pain quotidien. Si nous en restons aux notions et aux noms des choses, sans jamais toucher aux choses elles-mêmes, il est probable que nous ne produirons pas d’effets, que nous ne guérirons pas les maladies, réalisations sans lesquelles la philosophie est inutile et n’est pas à mettre au nombre des choses qui nous sont nécessaires. Combien celle-ci est fausse, Dieu le sait, et l’homme aussi peut le savoir rien qu’à prendre en considération ces deux obstructions à la vie que sont la maladie et la pauvreté. Mais ce ne sont pas seulement les effets qui font défaut à la philosophie d’Aristote, mais même sa théorie est en grande partie fausse; et là où elle est vraie, elle est si légère et superficielle qu’elle ne nous avance pas du tout. Aristote n’est pas un de nos auxiliaires, croyez-le, mais l’obstacle même à toutes les découvertes naturelles, et il a depuis longtemps non seulement fait obstruction à la vérité, mais il l’a étouffée. L’on pourrait dire beaucoup de choses sur ce personnage et sur son ignorance, aussi crasse que perverse. J’oublie de parler de son athéisme et de l’éminence de sa malveillance, qui a non seulement porté préjudice à la réputation des anciens philosophes - dont cet écrivassier a brûlé les livres - mais aussi au bonheur et au progrès de la postérité, qu’il a privé de ses monuments parmi les plus anciens, parmi les plus excellents et parmi les plus inestimables.
J’ai digressé jusqu’à ce point pour corriger cette brebis galeuse, qui a contaminé un troupeau innombrable, et ce d’autant plus en raison d’une tentative récente et servile de certains de ses amis, qui le reconnaissent comme leur dictateur et père de leur sagesse humaine - et c’est bien ce qu’il est en vérité. Mais quand ils nous disent, nous qui écrivons contre lui, que nous ne faisons que restaurer de vieilles hérésies, alors qu’en fait nous nous opposons à un athée, qui plus est à un athée qui a nié la création du monde et la chère immortalité de nos âmes, ils doivent nous permettre d’être un peu en colère contre eux, puisqu’il nous faut leur imputer cet hérétique, car ce sont eux les gens qui le soutiennent. En attendant, s’ils sont sérieux et nous trouvent coupables d’hérésie, qu’ils nous montrent publiquement en quoi, et nous ne manquerons pas de leur donner une explication de notre compréhension et de leurs mauvaises interprétations. Pour notre part, nous ne les aurions pas inquiétés à cette époque si l’un d’eux n’avait obscurément et timidement signifié que nous enseignons une nouvelle philosophie et une nouvelle science religieuse. A celui-là, je ne ferai d’autre réponse que ceci : qu’avant d’entreprendre de juger en quoi la philosophie ou la science religieuse est nouvelle, il devrait d’abord s’efforcer de comprendre l’ancienne. Mais ceci m’écarte de mon chemin et, afin de revenir à la question traitée, je vais maintenant reprendre mon discours sur la terre et l’eau, qui sont avec certitude des substances sensibles, et non des universaux ni des chimères, comme l’imaginent les Péripatéticiens lorsqu’ils accouplent la Nature avec le néant.
Par la terre, je n’entends pas ce corps impur et crasseux sur lequel nous marchons, mais un élément plus pur, plus simple, à savoir le nitre de sel central et naturel. Ce sel est fixé ou permanent dans le feu, et c’est le soufre de la Nature, par lequel elle retient et congèle son Mercure. Quand ces deux se rencontrent, j’entends la terre pure et l’eau, alors la terre épaissit l’eau, et inversement l’eau subtilise la terre. Et de ces deux choses en émerge une troisième - ni aussi épaisse que la terre ni aussi ténue que l’eau, mais d’une texture moyenne et visqueuse, et c’est ce qu’on appelle le Mercure, qui n’est rien d’autre qu’un composé d’eau et de sel. Car nous devons savoir que ces deux choses sont les matériaux premiers de la Nature, sans lesquels elle ne peut produire ni sperme ni semence. Et ce n’est pas tout, car lorsque la semence est faite, elle ne croîtra et ne deviendra jamais un corps, ni ne pourra être réduite et disposée pour une génération ultérieure, si ces deux matériaux ne sont pas présents et ne coopèrent aussi avec celle-ci. C’est ce que nous pouvons voir tout au long de l’année, par une expérience fréquente et quotidienne. Car lorsqu’il pleut, cette eau céleste rencontre le nitre qui se trouve dans la terre, et elle le dissout. Le nitre, avec cette âcreté, aigrit l’eau, de sorte que cette eau nitreuse dissout toutes les semences qui sont dans le sol. C’est ainsi que la solution est la clé de la génération, non seulement dans notre Art, mais aussi dans la Nature, qui est l’Art de Dieu. Nous n’avons pas besoin d’en dire davantage sur la terre, car ces quelques mots, s’ils sont correctement compris, suffisent et comportent un sens plus profond que le lecteur ordinaire ne le perçoit. Je sais qu’il y a une autre terre solaire orientale, qui est toute dorée et sulfureuse, et qui pourtant n’est pas de l’or, mais une chose vile, méprisable, qui ne coûte rien, car il suffit de la ramasser pour l’obtenir. C’est la terre d’Ethiopie, qui comprend toutes les couleurs. C’est cette Androdamas de Démocrite, le Duenech vert, du soufre qui n’a jamais touché le feu, qui - s’il est résolu - devient alors notre Azoth vitreux ou vitriol de la Vénus philosophique .
En voilà assez quant à la nature de la terre. Nous parlerons maintenant de l’eau. Cet élément est le canal ou véhicule de toutes les influences quelles qu’elles soient, car quelle que soit l’effusion qui procède du centre terrestre, celle-là même monte et est emportée en elle jusqu’à l’air. Et inversement tout ce qui provient du ciel descend en elle jusque dans la terre, car c’est dans ses entrailles que les natures inférieures et supérieures se rencontrent et se mélangent, elles ne peuvent pas non plus se manifester sans un artifice singulier. De là s’ensuit que tout ce qui est pur dans la terre, tout cela elle le reçoit de l’eau. En ceci j’entends ces substances pures que les philosophes appellent décomposées. Car l’aigle laisse son oeuf, c’est-à-dire que l’eau laisse sa viscosité dans la terre, et cette viscosité est concoctée en nitre et en autres minéraux innombrables. Nous vous avons précédemment parlé de deux soleils ou feux, le céleste et le central. Or ceux-ci dispensent leurs effusions ou influences, et se rencontrent dans la vapeur de l’eau. Car Vulcain ou le soleil terrestre fait monter l’eau dans la région de l’air, et ici l’eau est répandue sous les feux supérieurs, car elle est exposée à l’œil du soleil et aux émissions que toutes les étoiles fixes et les planètes dirigent sur elle - et ce, en un corps nu, raréfié et ouvert. L’air en vérité est ce temple où les inférieurs se marient aux supérieurs, car c’est en ce lieu que la lumière céleste descend et s’unit à l’humidité aérienne huileuse, qui est cachée dans les entrailles de l’eau. Cette lumière étant plus chaude que l’eau, elle l’enfle, la vitalise et accroît son humidité séminale et visqueuse, de sorte qu’elle est prête à déposer son sperme ou viscosité, à condition d’être unie à son mâle approprié. Mais ceci ne peut se faire à moins qu’elle ne retourne en son propre pays, j’entends la terre, car c’est là que le « collastrum » - ou le mâle - réside. C’est dans ce but qu’elle y descend à nouveau, et immédiatement le mâle s’empare d’elle, et sa substance ignée sulfureuse s’unit à la viscosité de celle-ci. Et ici observez que ce Soufre est le père de toutes les générations métalliques, car il donne l’âme masculine ignée, alors que l’eau donne le corps, à savoir la viscosité ou nitre céleste aqueux duquel, par coagulation, le corps est fait. Nous devons savoir, de plus, que dans ce Soufre, il y a une chaleur impure, étrangère, qui ronge et corrode cette Vénus aqueuse, cherchant à la transformer en soufre impur, tel que l’est son propre corps. Mais ceci ne peut être en raison de la semence céleste ou lumière cachée dans le nitre aqueux, qui ne permettra pas une telle chose. Car dès que la chaleur sulfureuse terrestre se met à l’œuvre, aussitôt elle éveille et stimule la lumière céleste qui - alors fortifiée par la teinture masculine ou feu pur du soufre - se met à œuvrer sur son propre corps, à savoir sur le nitre aqueux, et elle le sépare des parties crasseuses étrangères du Soufre, et c’est ainsi que reste seul un corps éclatant, céleste et métallique.
Observez ensuite que la teinture ou âme du Soufre ne peut être régénérée en son corps impur, mais qu’elle doit abandonner cette obscure carcasse terrestre, et revêtir un corps nouveau et purifié, avant d’être unie à la lumière du ciel. Ce nouveau corps est issu de l’eau, car c’est l’eau qui l’a fait descendre du ciel. Et il est certain que c’est avec l’eau et l’Esprit que nous devons tous être régénérés, ce qui a fait affirmer à des théologiens savants que ce n’était pas l’élément de l’eau qui fut maudit, mais seulement celui de la terre. Je ne peux non plus ici omettre la doctrine de saint Jean, qui fait de l’eau l’un de ces trois témoins qui attestent de Dieu ici sur terre I Jean V, - : « C’est celui-là qui est venu par l’eau et le sang, Jésus Christ, non pas avec l’eau seulement, mais avec l’eau et avec le sang; et c’est l Esprit qui témoigne, parce que l’Esprit est la vérité. Car il y en a trois qui témoignent l’Esprit, l’eau et le sang, et les trois ne font qu’un ». Et tout à fait à propos, il y a ce discours de saint Paul, selon lequel Dieu « dans les générations passées, a laissé toutes les nations suivre leurs voies; pourtant il n’a pas manqué, dit-il, de se rendre témoignage par ses bienfaits, vous donnant du ciel pluies et saisons fertiles, comblant vos cœurs de nourriture et de gaîté » Actes XIV, -. Ces bénédictions ou bienfaits qui descendent de Dieu ne sont pas une forme de paroles, comme les bénédictions des hommes. Elles sont tout esprit et toute essence, et leurs véhicules sont les substances naturelles visibles. Et ce sont les bénédictions que le patriarche a souhaitées à son fils : « Que Dieu te donne de la rosée du ciel d’en haut et de la graisse de la terre d’en bas » Genèse XXVII, . Il n’ignorait pas ces bénédictions que le Dieu de la Nature avait encloses dans ces choses naturelles, et c’est pourquoi il dit au même endroit : « Jacob s’approcha, et le baisa. Isaac sentit l’odeur de ses vêtements ; puis il le bénit et dit : « Voici, l’odeur de mon fils est comme l’odeur d’un champ que l’Eternel a béni » Genèse XXVII, . Et saint Paul dans son Epître aux Hébreux nous dit que « Lorsqu’une terre boit les fréquentes pluies qui lui arrivent et produit des plantes utiles à ceux pour qui on la cultive, elle reçoit de Dieu sa part de bénédiction. Mais si elle porte des épines et des chardons, elle est réprouvée et proche de la malédiction; et finalement on la brûle » Heb. VI, -.
Pour expliquer ce qu’est cette bénédiction, nous nous souvenons avoir écrit ailleurs que l’eau a un double aspect, circonférenciel et central . A la circonférence, elle est crue, volatile et flegmatique, mais au centre elle est davantage concoctée ou cuite, visqueuse, aérienne et ignée. Cette partie centrale est molle et salée, extérieurement blanche et lunaire, mais intérieurement rouge et solaire. Elle ne peut pas non plus être bien extraite sans un aimant lunaire ou solaire, dont elle est l’aliment, et avec lequel elle a une merveilleuse sympathie. D’où cette obscure parole des philosophes qui, lorsqu’ils nous décrivent leur Mercure, lui donnent cette caractéristique comme très naturelle, que d’adhérer aux corps ou aux métaux. Et comme dit Pythagoras dans la Tourbe des Philosophes : « Elle suit et atteint son compagnon sans feu comme l’aimant tire le fer ». C’est pourquoi il est écrit dans le même livre que « grande est l’affinité entre la Magnésie et le fer ». Nous croyons en fait par une expérience vulgaire que si une pierre ordinaire reste longtemps dans de l’eau ordinaire, se colle à elle une certaine boue que l’eau dépose. Mais en dépit de tout ceci et de tout ce qu’ils disent, nous devons nécessairement affirmer que même leur Mercure n’adhère pas aux métaux vulgaires, et en ce mot de Mercure, comme en tous autres termes, ils ne sont pas peu ambigus ni subtils. Il réside en effet un de leurs mystères dans l’eau, un mystère embrouillé, par lequel de nombreux érudits ont été embarrassés. Et maintenant, puisque nous l’avons mentionné, cela ne nous fait rien d’en parler raisonnablement. Il n’y a rien de si fréquent et en vérité rien de si considérable dans leurs livres que le feu et l’eau, mais l’emploi réciproque et confus de ces deux termes intrigue beaucoup, comme lorsqu’ils nous disent que leur eau est leur feu. Sur ceci ils ont écrit si étrangement que j’ai parfois été en colère contre eux, mais parmi eux tous, j’en ai trouvé un qui a une bonne raison de me satisfaire. Cet auteur confesse qu’il a échoué quelque deux cents fois, malgré sa connaissance de la vraie matière, et ce parce qu’il ne connaissait pas le feu ou l’agent par lequel la matière est transformée. Ces malheurs l’ont amené, semble-t-il, à éprouver de la commisération pour la postérité, mais il me faut affirmer qu’il a pris de la liberté et qu’il a exprimé son avis à sa manière à lui. « Notre feu, dit-il, est minéral, égal, continu ; il n’émet pas de vapeur, à moins que la chaleur ne soit trop grande. Il participe du soufre, il dissout, calcine et congèle tout. Il se trouve par l’art, non par l’industrie, il provient d’ailleurs que la matière. » Il ajoute à tout ceci enfin ce à quoi nous aurions dû prêter la plus grande attention : « Ce feu, dit-il, ne s’altère ni ne se transmute avec la matière » . Il pensait certainement en avoir assez dit, et c’était le cas en vérité, mais pour ceux qui connaissent déjà ce feu.
Quant à moi, j’ai découvert une certaine eau minérale puante, qui participe de la nature du Soufre, et dont la préparation se fait par l’art, qui ne relève pas des parties essentielles de la matière, mais de ses parties accidentelles et étrangères, qui ne s’évapore pas, à moins qu’elle ne soit trop chauffée, qui dissout, calcine et congèle tout, mais qui n’est pas congelée, car finalement elle est expulsée par le feu de Nature et part en fumées venteuses. Ce feu menstrueux, sulfureux, contre Nature, m’a enseigné combien notre œuvre est naturel, car il fait ici ce que l’eau vulgaire fait dans le grand monde. A cet égard, il est appelé par certains philosophes « flegme, rosée, eau nuageuse », non pas certainement qu’il soit tel, ne nous laissons donc pas tromper par de fausses interprétations. Que celui qui voudrait connaître la raison de ces termes tienne compte d’un très savant philosophe « Ce feu est appelé eau des nuages, dit-il, parce qu’il est distillé comme la rosée de mai, et c’est de l’eau en parties très subtiles. Mais cette même eau est aussi un vinaigre très acide, qui transforme le corps en esprit sans mélange. Et comme le vinaigre est de diverses qualités - par exemple, de même qu’il pénètre dans les profondeurs et a un effet astringent - cette eau dissout et coagule, bien qu’elle ne soit pas elle-même congelée, n’étant pas une substance ferme ». En voilà assez pour les termes, revenons-en maintenant à la chose elle-même.
J’ai dit que ce feu effectue dans le vase ce que l’eau vulgaire fait dans le grand monde, car de même que cet élément flegmatique ne coagule pas, il n’est pas non plus du tout diminué malgré ce nombre infini d’individus que la nature produit toujours ; il en va de même dans notre œuvre. Car notre eau non plus ne se transforme, même si la matière se transforme dans ses entrailles, et que nos principes mêmes y sont engendrés - à savoir le Soufre et le Mercure philosophiques. Personne ne devrait non plus s’étonner que j’affirme que l’eau vulgaire ne soit pas coagulable par la chaleur du moins, car en ceci je ne parle pas inconsidérément. Je sais qu’il y a dans l’eau des natures coagulables, cependant ce ne sont pas des parties de l’eau, mais des parties d’éléments autres. Je ne nierai pas non plus qu’un certain flegme - et même une très grande quantité et parfois la totalité - puisse être retenu par mélange avec d’autres natures et semble se coaguler en pierres, celles-ci parfois transparentes. Mais la coagulation en ce sens - à savoir par mélange de parties, comme dans la farine et l’eau - je n’y prête pas attention. Par coagulation, j’entends une transmutation de la substance de la seule eau en terre ou en air, et ceci ne peut être dans l’eau simple. Je sais qu’il y a une eau qui d’elle-même, sans aucune addition étrangère, se coagulera par une chaleur douce en un sel fusible, plus précieux que l’or. Mais ce n’est pas une eau que l’œil voit, c’est une autre humidité invisible, qui en fait se trouve partout, « mais qui ne se voit pas, dit Sendivogius, jusqu’à ce que l’artiste choisisse de la manifester ». Voilà qui pourrait satisfaire quant à ce point, mais j’ajouterai quelque chose, de peur de ne parler sans raison, spécialement pour ceux qui ne veulent pas accorder aux autres un jugement meilleur que le leur.
Le commerce qui est entretenu entre le ciel et la terre par la montée et la volatilité de l’eau peut suffisamment nous instruire de quelle dangereuse conséquence serait la coagulation de cet élément. Il est alors improbable que le sage Dieu de la Nature rende coagulable cette humidité dont l’usage et l’office nécessitent qu’il en soit autrement. Car si dans l’essence de l’eau - dans la mesure où il s’agit d’eau simple - il y avait une faculté astringente, congelante, elle parviendrait par degrés à une fixation totale, et alors il n’y aurait plus de génération ultérieure, ni de sperme ni de corps. En voici la raison : si l’eau était fixée, il n’y aurait ni vapeur ni nuage, et sans vapeur, il ne pourrait y avoir de sperme, car les éléments ne peuvent se rencontrer pour former le sperme que dans une vapeur. Par exemple, la terre ne peut monter si l’eau n’est d’abord raréfiée, car c’est dans les entrailles de l’eau que la terre est élevée, et si la terre ne monte pas, ayant ôté son corps grossier et étant subtilisée et purgée par l’eau, alors l’air ne s’y incorpore pas, car l’humidité de l’eau introduit l’air dans la terre raréfiée et dissoute. Et ici à nouveau, tout comme l’eau a réconcilié l’air avec la terre, de même l’air réconcilie l’eau avec le feu, comme s’ils se rendaient la politesse l’un l’autre. Car l’air - avec son onctuosité et sa graisse - introduit le feu dans l’eau, le feu suivant l’air et y collant, car il en est le combustible et l’aliment. Il nous reste maintenant à observer que la vapeur de l’eau était le lieu ou la matrice où les trois autres éléments s’étaient rencontrés, sans lequel ils ne se seraient jamais réunis. Car cette vapeur était le véhicule qui a fait monter la terre pure virginale pour qu’elle se marie avec le soleil et la lune. Et maintenant elle la fait redescendre dans ses entrailles, imprégnée du lait de l’un et du sang de l’autre, à savoir l’air et le feu, lesquels principes sont prédominants dans ces deux luminaires supérieurs.
Mais une personne avisée pourra me reprendre et dire que cette vapeur, ainsi imprégnée, peut maintenant être coagulée et fixée, à l’aide de ces principes chauds que sont l’air et le feu. A ceci, je réponds que la partie visqueuse séminale peut le faire, mais le flegme jamais, et je vous le montrerai par un exemple. Quand cette vapeur est complètement imprégnée, elle ne reste plus dans cette région, mais retourne aussitôt à la terre d’où elle est montée. Mais comment y retourne-t-elle ? Certainement pas en une précipitation violente, tempétueuse, comme la pluie, mais - comme je l’ai écrit ailleurs - elle tombe et s’insinue partout de façon invisible et silencieuse. Car si c’est une vapeur telle que j’en ai parlé, « où se façonne une semence astrale d’un certain poids », alors on n’en entend plus parler ni ne la voit-on pendant longtemps. Mais afin de poursuivre en ce que j’ai promis de prouver, je prendrai l’exemple de la rosée vulgaire, car la rosée a en elle une petite dose du feu astral. Nous voyons donc que cette humidité descend en silence, car le feu qu’elle renferme la raréfie sous la forme de l’air et ne souffrira pas qu’elle se condense en eau à cette hauteur, comme le fait la vapeur de pluie. Mais lorsqu’elle est descendue près de la terre, elle se mélange à d’autres vapeurs grossières en leur empruntant une grande quantité de flegme, elle se fixe finalement en gouttes.
Avant d’aller plus loin, considérons ici ces paroles du fils de Sirach : « Regardez, dit-il, toutes les œuvres du Très Haut, et il y en a deux contre deux, l’une contre l’autre » Ecclésiastique XLII, . En ceci il est d’accord avec ce petit fragment que l’on trouve sous le nom de Moïse, où Dieu l’instruit ainsi : « Tu sais que j’ai créé un compère et un contraire à chaque créature ». Je n’affirmerai pas de façon péremptoire que Moïse soit l’auteur de ce passage, ni que Dieu l’ait instruit en ces paroles mêmes, mais j’affirme que ces paroles expriment la vérité de Dieu et font allusion aux grands mystères de Sa sagesse. Je n’omettrai pas non plus ici une particularité considérable, à savoir que ce passage comporte des mots hébreux, ce qui prouve que l’auteur était Juif, sinon Moïse. Mais passons sur l’auteur, et venons-en à ce qu’il veut dire : je déclare que Dieu a créé l’eau pour l’opposer à la terre, ce qui apparaît d’après leurs différentes textures et qualités. Car la terre est grossière et solide, l’eau subtile et fluide. Et la terre a en elle un pouvoir coagulateur, astringent, tout comme l’eau a en partie en elle une faculté adoucissante, dissolvante. La terre donc se referme sur elle-même et enferme en elle le feu, si bien qu’il ne peut y avoir de génération ou de végétation à moins que la terre ne soit ouverte, pour que le feu puisse y œuvrer en liberté. C’est ce que nous pouvons voir dans un grain de blé, où la faculté astringente, terrestre a lié tous les autres éléments et les a terminés en corps sec compact. Or ce corps, tant qu’il est sec, ou comme dit notre Sauveur, « tant qu’il demeure seul » Jean XII, , c’est-à-dire, tant qu’il est sans eau, ne peut porter de fruit. Mais s’il tombe dans la terre et meurt, c’est-à-dire s’il y est dissous par l’humidité céleste, car la mort n’est que dissolution, alors il engendrera beaucoup de fruit, comme notre Seigneur en témoigne.
C’est donc l’eau qui dissout, et la vie suit la dissolution, car à peine le corps est-il ouvert que l’esprit y remue, percevant dans le dissolvant, ou eau de la rosée, un autre esprit, auquel il désire être uni. Cet esprit est l’air, enfermé dans la rosée ou eau, lequel air est appelé dans les livres du philosophe « l’eau de notre mer, l’eau de vie qui ne mouille pas les mains ». Mais qui croira qu’il y a une eau sèche cachée dans l’humidité ? Certainement peu, et c’est ce que nous dit Sendivogius à propos de certains sophistes de sa connaissance : « Ils ne veulent pas croire que l’eau soit dans notre mer, et pourtant ils veulent être philosophes reconnus ». J’ai moi-même connu de nombreux philosophes comme ceux-ci, dont je peux dire exactement la même chose. Mais retournons à notre affaire elle est appelée eau de vie, car cet air comprend en lui-même un feu, qui est la vie universelle, non encore spécifiée, et c’est pourquoi il s’accorde avec toutes les vies particulières et est bien disposé envers toute espèce de créatures. Or le feu particulier spécifié ou vie du grain, qui est l’aimant végétal, attire à lui le feu universel ou vie, qui est caché dans l’eau, et avec le feu il attire l’air, qui est le vêtement ou corps du feu, appelé par les Platoniciens « chariot de l’âme » et parfois « nuage de feu descendant ». Ici donc est le fondement sur lequel est construit tout le mystère de l’augmentation et de la multiplication naturelle, car le corps du grain de blé est augmenté par l’aliment de l’air, non simple mais décomposé, lequel air est transporté dans l’eau et est une espèce de sel volatil doux. Le feu, ou la vie du grain, est fortifié par le feu universel, et ce feu est inclus dans l’air, comme l’air l’est dans l’eau. Et ici nous pouvons observer que ce n’est pas l’eau seule qui conduit à la génération ou à la régénération des choses, mais l’eau et le feu - c’est-à-dire l’eau et l’esprit, ou l’eau qui a la vie en elle. Et ceci, à condition d’être correctement compris, est un guide précieux vers la science de Dieu.
Pour conclure, la somme de tout ce que nous voudrions dire est ceci : les racines et les semences de tous les végétaux sont placées dans la terre, au milieu de cette fontaine de rosée, comme une lampe est placée au milieu de l’huile, et le feu ou vie de la semence attire à lui l’Abryssach ou Lessa - j’entends le jus ou gomme de l’eau - tout comme le feu d’une lampe attire l’huile qui est autour de lui. Or, quand tout l’air est extrait de l’eau, alors l’attraction cesse, et la concoction ou transmutation commence. Mais si l’eau grossière, qui est le véhicule de l’air, reste avec les semences, alors elle empêche la concoction, et par conséquent le soleil et l’Archée l’expulsent conjointement, de sorte qu’elle s’envole et retourne à la région de l’air, où à nouveau elle remplit ses entrailles de ce lait astral, puis descend comme précédemment. C’est la raison pour laquelle il y a dans la Nature une telle vicissitude d’averses et de périodes ensoleillées, car les averses font tomber l’aliment aérien et, une fois que les plantes l’ont attiré, les périodes ensoleillées font monter l’eau grossière, qui autrement empêcherait la digestion et la congélation. Tel est donc le processus que mène l’eau vulgaire, mais si elle pouvait être coagulée, ce processus cesserait, et toute vie cesserait avec lui. Pendant de nombreuses années j’ai considéré l’eau comme un oiseau qui vole vers son nid et qui en revient, nourrissant ses petits et cherchant de la nourriture pour eux. Ceci n’est pas une nouvelle invention de ma part, car des savants ont pensé la même chose avant moi. C’est à cet égard que cette humidité lactée qui se trouve dans ses seins cristallins est appelée par certains d’entre eux le lait des oiseaux, et ils ont laissé par écrit que « ce sont les oiseaux qui leur apportent leur pierre ».
Pour terminer, observez qu’il y a une grande différence entre cette eau vulgaire et notre eau chymique ou feu, mentionnée précédemment par Pontanus, car notre eau aide la coagulation, et l’autre l’empêche. Car si le flegme ou esprit grossier reste avec l’air, l’air ne se congèlera jamais. C’est pourquoi Sendivogius dit : « Toute eau serait congelée par la chaleur, si elle était sans esprit ». Et ainsi ai-je démontré ma position, à savoir que l’eau vulgaire n’est pas congelable.
Il ne reste maintenant rien, et il n’y a rien qui nous empêche de pouvoir conclure sûrement et infailliblement que la simple eau grossière ne nourrit rien, mais que c’est la ‘gomme ou partie congelable en elle qui nourrit toutes choses. Car c’est le baume astral, et l’humide radical élémental qui, étant composé d’inférieurs et de supérieurs, est un restaurateur à la fois des esprits et des corps. C’est cet aliment vital général que Dieu lui-même fournit à toutes Ses créatures, et qui annuellement est produit et manifesté dans les éléments par l’opération invisible de Son Esprit qui œuvre en tout. Il a en ‘lui toute l’anatomie du ciel et de la terre, dont le ventre est plein de lumière et de vie, et lorsqu’il entre dans les parties basses du monde, il les recouvre d’une certaine viridité, les fait éclore en fleurs et il nous offre quelque chose qui ressemble fort au Paradis que nous avons perdu. En un mot, ce n’est pas ;une confection humaine, mais une chose préparée par l’Esprit Divin; elle n’est pas faite pour les végétaux seulement, mais aussi pour l’homme à qui Dieu l’a en un temps donné à manger. C’est ce que nous dit l’Ecriture, dont l’autorité dépasse Aristote et Galien. Car voilà ce que je lis dans l’Exode XVI, - : « Le soir, on vit monter des cailles, qui couvrirent le camp, et le matin il y avait une couche de rosée autour du camp. Quand cette rosée fut dissipée, on aperçut à la surface du désert quelque chose de menu comme des grains, pareil au givre sur le sol. Les enfants d’Israël le virent, et ils se dirent les uns aux autres : « Qu’est-ce que cela ? » car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : « C’est le pain que le Seigneur vous donne pour nourriture ». »
N’importe quel enfant sait que la rosée s’établit en gouttes rondes, et ici Moïse nous dit qu’une fois que l’humidité flegmatique est enlevée, la partie congélative - qui subsiste - est une petite chose ronde, car elle garde encore la forme de la goutte dans laquelle elle était cachée. Cette partie congélative est huileuse et fusible, et avec ceci l’Ecriture aussi s’accorde, nous disant que « lorsque le soleil faisait sentir ses ardeurs, le reste se liquéfiait » Exode XVI, . Elle est de plus d’une altération très facile et rapide, et par conséquent aisément transmutable ou convertible en n’importe quelle forme, et c’est pour cette raison que Moïse ordonna au peuple de n’en pas laisser jusqu’au matin. « Ils n’écoutèrent pas Moïse et plusieurs d’entre eux - dit le texte - en gardèrent jusqu’au matin; mais il s y mit des vers et tout devint infect » Exode XVI, , d’où nous pouvons inférer qu’elle est jusqu’à un certain degré animale.
Nous voyons donc que l’Esprit de Dieu a toujours affaire avec l’eau, et que jusqu’en cette heure non seulement il se meut sur elle, mais aussi en elle. Je ne doute pas que ceci soit le fondement de cette question profonde que - parmi beaucoup d’autres - Dieu proposa à Job Job XXXVIII, : « La pluie a-t-telle un père ? Qui engendre les gouttes de la rosée ? » Il vaut la peine d’observer que les enfants d’Israël, lorsqu’ils virent cette chose - quoiqu’ils ne la connaissaient pas - se dirent : « C’est la manne ». Car qu’est-ce qui argumente en faveur de ceci sinon que la manne - comme le mot l’indique - était un don secret de Dieu, qu’ils ne connaissaient pas, mais dont ils avaient auparavant entendu parler par la tradition de leurs pères, et peut-être d’après une description telle qu’en donne Hermès dans la Zaradi , à savoir qu’elle « monte de la terre vers le ciel » et « redescend du ciel vers la terre ». Et c’est ce qui aurait pu les faire appeler cela manne, parce que cela descendait avec la rosée. Je ne doute pas que Moïse la connaissait bien, quoique le peuple vulgaire ne sût pas ce que c’était. Car le veau d’or ne pouvait être brûlé et réduit en poudre avec le feu vulgaire, mais avec le feu de l’autel, qui n’était pas celui de la cuisine. Ceci est évident dans les Machabées, où il est écrit que ce feu était caché dans une fosse et que, pendant de nombreuses années, il y fut gardé en sûreté pendant la captivité II Machabées I, - : « Car lorsque nos pères furent emmenés en Perse, les prêtres pieux de ce temps-là, ayant pris du feu de l’autel, le cachèrent en secret dans le creux d’un puits desséché, et ils l y mirent si bien en sûreté, que ce lieu demeura ignoré de tous. Après beaucoup d’années écoulées, lorsque tel fut le bon plaisir de Dieu, Néhémie, renvoyé en Judée par le roi de Perse, fit rechercher le feu par les descendants des prêtres qui l’avaient caché ». Mais qui est assez fou pour cacher du feu vulgaire dans une fosse et s’attendre à l’y retrouver de nombreuses années plus tard ? N’est-ce pas la meilleure manière de l’éteindre et plutôt de le noyer dans un puits que de l’enterrer dans une fosse ? Nous ne doutons pas, quant à nous, que ce feu était très différent du feu vulgaire, et c’est ce que le texte nous dit aussi, car lorsqu’il fut remonté de la fosse, ce n’était pas du feu mais une eau épaisse II Machabées I, -. La vérité est que ce mystère appartenait à l’Eglise juive, les prêtres et les prophètes l’ayant reçu des patriarches - je veux dire d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et eux-mêmes de Noé, et eux tous d’Adam, comme nous l’avons prouvé ailleurs . Ceux-ci furent les hommes qui ensemencèrent le monde et instruisirent la postérité, et ceux-ci et nuls autres doivent être ces anciens et premiers philosophes que Zadith appelle « les Anciens du monde », dont il cite certaines expressions .
Nous répéterons maintenant - avant d’en finir - tout ce que nous avons dit, et ce en quelques mots, de manière à être en accord avec la Nature et les parties du monde, telles qu’elles nous ont été manifestées par l’expérience. Nous avons trouvé avec certitude qu’il n’y a rien en haut qui ne soit exactement le même qu’ici en bas, mais en une texture plus grossière, plus matérielle, car Dieu a ordonné que le sperme grossier et physique des inférieurs offre un corps à l’influx animant et subtil de leurs supérieurs. Or Dieu n’a pas décrété d’union de spermes, sinon de ceux qui procèdent de corps qui sont de la même nature et de la même espèce, car Sa parole même porte témoignage qu’Il hait la confusion ou le mélange de semences qui sont différentes ou d’une autre espèce Lévitique XIX, « Vous observerez mes lois. Tu n’accoupleras point des bestiaux d’espèces différentes; tu n’ensemenceras point ton champ de deux espèces de semences; et tu ne porteras point un vêtement tissu de deux espèces de fils ». Ce n’est donc pas sans sagesse que les prêtres ou - comme Proclus nous le dit - les fondateurs de la prêtrise ancienne, affirment que « Le ciel est sur la terre, mais à la manière des choses terrestres, et la terre est dans le ciel, mais à la manière des choses célestes », car sinon les choses ne pourraient être de la même espèce. Nous disons donc que dans cet univers il y a quatre luminaires, dont deux sont célestes et deux centraux. Les célestes sont le soleil et la lune, et sont connus de tout le monde. Les centraux ne sont en fait pas connus, et par conséquent, on n’y croit pas, car l’un est recouvert de terre et l’autre d’eau. Au centre de la terre donc se trouve caché un feu qui est de nature solaire, mais plus grossière que celui qui est dans le soleil. Et dans le ventre de l’eau est porté un air visqueux, grossier, de nature menstrueuse et lunaire, mais qui n’est pas aussi éclatant et subtil que celui qui est dans la lune. En bref, le soleil central projette dans le ventre de l’eau un sel masculin chaud. Et l’eau, en le recevant, y ajoute sa viscosité séminale féminine, et la transporte sur ses ailes dans la région de l’air. Nous voyons ainsi comment est faite la partie matérielle de la semence, et maintenant le ciel donne vie à ce corps, la lune lui donnant l’esprit et le soleil lui donnant l’âme. Et c’est ainsi que sont rassemblés les quatre luminaires, les supérieurs contribuant à ce qui dans la semence est subtil et vital, et les inférieurs à ce qui est corporel et matériel. Cette semence est transportée de façon invisible dans le ventre du vent et est manifestée dans l’eau - j’entends dans l’eau claire comme du cristal - et c’est de l’eau qu’elle doit être extraite, car il n’y a pas sous le ciel d’autre corps où elle puisse se trouver.
Je l’ai moi-même cherchée dans les métaux vulgaires, dans le vif-argent, l’antimoine et le régule d’antimoine, et aussi dans le régule de Mars, de Vénus et de Saturne, ainsi que dans le régule de tous les corps. Mais j’ai perdu ma peine, car je l’ai cherchée là où elle n’était pas. Je me suis heurté à toutes ces erreurs après que j’aie eu connaissance de la vraie matière, car ayant échoué en mes premières tentatives sur elle, je l’ai laissée pour quelque chose de difficile à trouver, et cette tergiversation de ma part m’apporta de nombreux inconvénients. J’imaginais en effet qu’un vitriol fait de ces quatre corps imparfaits - l’antimoine, le fer, le plomb et le cuivre - pourrait être cet Azoth vitreux de Lulle, dont il a tellement magnifié l’esprit ou l’eau en son Testament. Ceci en fait sonne bien et peut enfler une jeune tête au point de la faire devenir poète et, tel le démon de Delphes, elle peut raconter un mensonge en vers héroïques. N’était pas moins indiscret pour moi ce discours de Parménide dans la Tourbe : « Prenez du cuivre ou du plomb pour la graisse ou la noirceur, et de l’étain pour la liquéfaction ». Qu’est-ce qu’à première vue peut signifier ceci sinon l’antimoine ? Et que peut être cet étain qui en provient par liquéfaction sinon le régule ? Ceci m’a fait longtemps œuvrer sur ce corps crasseux, sans profit, supposant à vrai dire que le régule d’antimoine était le plomb blanc ou l’étain philosophique. Mais pour que nous ne soyons pas trompés, toutes ces paraboles sont en rapport avec un autre minerai et non pas avec l’antimoine vulgaire, que la Tourbe condamne en ces termes : « Notez, dit Cambar, ou observez, que les envieux ont appelé la Pierre antimoine ». Mais le nom que lui donnaient les envieux certainement n’est pas celui-là. Et Basile Valentin, dans son Char Triomphal, qu’il a écrit à la louange de l’antimoine, nous dit qu’ « Il n’a pas été accordé par Dieu que le Mercure philosophique, la substance première, le vif-argent et l’eau première des métaux parfaits, dont est composée la grande Pierre des philosophes anciens, soit trouvé dans l’antimoine ou extrait de celui-ci ». Et le même Basile, un peu après, parlant de l’Etoile de Mars, s’exprime ainsi : « Beaucoup ont estimé que cette étoile était la vraie matière de la Pierre des philosophes et ont cru qu’ils avaient pensé correctement, parce que la Nature l’a formée de son propre gré. Je nie ceci, car de telles personnes ont délaissé la voie royale pour emprunter des rochers infranchissables où les chèvres sauvages et les oiseaux de proie ont fait leur résidence. Il ne faut pas attribuer à cette étoile le fait qu’elle est la matière de la plus noble Pierre, bien qu’un très excellent médicament y soit caché » .
Il demeure donc, lecteur, que nous laissons de côté tous les métaux vulgaires tels que l’or, l’argent, le cuivre, le fer, l’étain, le plomb, l’antimoine et le vif-argent, car si nous cherchons le sperme dans n’importe lequel de ces métaux, nous ne le trouverons jamais parce que nous le cherchons « dans les métaux du commun des hommes, là où il n’est pas », comme nous l’a dit Sendivogius. Nous devons par conséquent chercher un autre corps, qui n’est pas vulgaire, qui n’est pas non plus fait, par mélange ou autre, d’aucun métal qui soit vulgaire. Au contraire, c’est un certain Soufre noir fait par la Nature et qui n’a jamais touché le feu. C’est ce corps au sujet duquel Albert le Grand a écrit ceci : « Un certain corps métallique existe dans la nature des choses, il se dissout et se décompose facilement, un médecin heureux te le prouvera, si tu en connais la préparation ». Et après lui, son disciple Thomas d’Aquin, parlant du même minerai, cite ces remarquables paroles d’un autre philosophe : « Il y a une certaine espèce de métal que la foule n’a jamais découvert » . C’est ce métal qu’il nous faut chercher, et il est difficile à trouver, parce que nous ne devons pas creuser pour l’atteindre. Car si nous savons où il est, nous n’avons qu’à nous baisser et à le ramasser gratuitement. Pourtant, ce n’est ni l’antimoine de Glauber ni le plomb vulgaire ni le silex ni la marne de Pierre Fabre qui, après qu’il se fût épuisé et qu’il eût trompé ses lecteurs par des discours sur l’antimoine et le sublimé de sels de métaux vulgaires, finit par chercher le Soufre dans cette motte de terre qu’il appelle marne. Mais passons sur ces folies, et venons-en à une conclusion : je déclare que ce Soufre noir est le mâle qui, une fois trouvé, nous met dans la position suivante de chercher la femelle. Et ici observez que Dieu Tout-Puissant dans les corps particuliers n’a pas fait de différence de sexes, sauf dans le règne animal, car chez les végétaux et les minéraux, il n’y a pas de telle chose. Nous voyons que dans les grains de céréales, supposons de blé, il n’y a pas de division entre mâles et femelles, car la vérité est qu’ils sont tous mâles, et que Dieu ne leur a accordé d’autre femelle que la femelle universelle, à savoir l’eau, dont la semence générale visqueuse se joignant à la semence particulière et à l’esprit qui est dans le grain, est ainsi fermentée et congelée en la même nature que le grain lui-même, et c’est ainsi que se propage et se multiplie le blé. Il en est de même chez les métaux, car chacun d’eux est masculin, sulfureux et colérique. Dieu n’a pas non plus ordonné qu’aucun d’eux ne propage et ne multiplie l’autre, soit naturellement soit artificiellement, même si nous ne nions pas qu’ils puissent être multipliés à l’aide de cette semence dans laquelle Dieu a placé la bénédiction de la multiplication. Chez les métaux donc, il n’y a pas de distinction ou de différence de sexes, de sorte qu’à partir d’eux, il est impossible d’extraire les spermes masculins et féminins, car ceux-ci ne peuvent être extraits que de corps qui sont mâles et femelles, ce que les métaux ne sont pas. Car s’ils l’étaient, ils se propageraient sans art, Dieu en ayant ainsi ordonné. Il est clair que les métaux - n’étant ni mâles ni femelles - n’engendrent en eux-mêmes aucune semence, et par conséquent, ils ne peuvent donner ce qu’ils n’ont pas. Car la vérité est que la semence de laquelle ils proviennent, est cette semence générale des éléments, à savoir une certaine humidité qui apparaît, comme nous le dit Sendivogius, sous la forme d’une eau grasse. Cette eau est leur semence, leur mère et leur femelle, car c’est de celle-ci qu’ils ont été originellement faits, et si en celle-ci ils étaient à nouveau dissous, alors l’enfant attirerait la mère à lui et la convertirait totalement en sa propre nature. Et inversement, l’esprit de la mère multiplierait l’esprit de l’enfant et l’exalterait en une perfection plus qu’ordinaire.
Telle est la voie, et en dehors de celle-ci, il n’y en a pas d’autre, car il n’y a pas d’eau sous le ciel - de quelque corps qu’elle puisse être extraite - qui n’ait en elle la vertu multiplicatrice, sinon cette unique eau que Dieu a bénie. Et ici bien que je semble parler indifféremment des métaux, je n’entends pas les métaux vulgaires, car leurs esprits ont été mortifiés par le feu. Prenez donc notre Soufre, qui n’a jamais touché le feu, et dont la vie est pleinement en lui. Joignez ce mâle vivant à une femelle vivante, car c’est en ceci - comme je l’ai ailleurs suggéré - que réside tout le mystère, à savoir en l’union d’un esprit particulier à l’esprit universel, moyen par lequel la Nature est étrangement exaltée et multipliée. Œuvre donc à unir ces deux substantiellement et complètement, ce que tu ne peux manquer si tu connais les applications. Car souffre que je te révèle un secret - que celui de l’application des actifs aux passifs - j’entends la manière de le faire - est la plus grande difficulté en tout l’art.
Adieu, Lecteur, et tire profit de ces miens travaux, que je te communique gratuitement, je te l’assure, et non à dessein, car je ne recherche pas ma gloire personnelle, mais celle de Dieu, ainsi que ton bénéfice.
Bref appendice en guise d’exhortation au lecteur
Ce n’était pas mon intention que d’ajouter quoi que ce soit à ce qui a déjà été écrit, mais lorsque je réfléchis à ces vexations que j’ai moi-même endurées dans la poursuite de cette science, je commence à penser que je n’en ai pas assez dit. Pour être donc un peu plus clair, sache, Lecteur, que quiconque cherche le Mercure Philosophique dans les métaux, de quelque sorte qu’ils soient, est déjà en dehors de la voie. Car ce Mercure Philosophique dont on parle tant est une eau; or dans les métaux, il n’y a pas d’eau, car le Soufre l’y a non seulement congelée, mais il l’a aussi desséchée. Ceci est évident dans le vif-argent et l’antimoine vulgaires qui, de tous les corps métalliques, sont les plus grossiers; et pourtant, tout grossiers qu’ils soient, leur eau est asséchée par leur feu. Car si nous les forçons à l’état d’évaporation, cette évaporation ne s’établit pas en un esprit liquide, mais en fleurs sèches. C’est ce qui poussa les philosophes à chercher un minerai plus grossier, dont l’évaporation était humide et s’établirait en eau, n’étant pas encore maîtrisée par le Soufre. De tel, il n’y en avait pas, sinon la Mère du Mercure ou Première Matière, dont la Nature fait le mercure vulgaire, et c’est cela qu’ils ont aussi appelé vif-argent et eau visqueuse, car c’est ainsi qu’il est. Dans ce minerai, la vapeur mercurielle n’était pas aussi sèche, mais elle se transformerait en eau, et avec cette eau, ils dissolvaient les corps métalliques, car l’évaporation humide de ce minerai réduisait les évaporations sèches métalliques, de sorte que les deux se transformaient en une seule eau, et c’est cela qu’ils appelaient leur Mercure Philosophique et le Mercure double. Sur ce point, je n’ai pas besoin d’en dire plus, et s’ils n’étaient volontairement aveugles, il y a ici assez de lumières pour nos souffleurs, spécialement pour ces effrontés brûleurs d’antimoine qui, au-dessus de la fumée de cette drogue, rêvent de mystères, comme s’ils étaient transportés en une certaine capnomancie . Pour ma part, je ne nie pas que l’antimoine puisse être réduit en eau mercurielle, même si j’ignore à quelle fin, car ni notre Mercure ni notre Teinture n’en proviennent, si l’on peut en croire Basile Valentin. C’est vrai, les philosophes l’utilisent, mais comme simple instrument qui disparaît à nouveau, et ainsi ils utilisent même le feu de cuisine, mais ce n’est ni leur matière ni leur sujet, et encore moins l’or vulgaire, comme certains ignorants voudraient le croire.
Il y a en fait un autre antimoine, qui est notre Soufre et le sujet de tout l’Art. Mais il est tellement difficile à trouver – et lorsqu’on l’a trouvé, il est tellement difficile à préparer - que cela m’a presque poussé au désespoir. Toutefois, si tu considères sérieusement ce que j’ai écrit, et ce que j’ai laissé passer en certains endroits, autant à dessein qu’avec prudence, alors en vérité ni la chose elle-même ni sa préparation ne peuvent t’être cachées. Pour terminer, sache que les philosophes ont deux Mercures, ou deux eaux, le Premier et le Second. Leur Premier Mercure est l’esprit de notre antimoine, et ici comprends-moi correctement. Leur Second Mercure est l’esprit du Mercure et de la Vénus philosophiques, et ceci se suffit à soi-même. Mais pour réduire la durée, les philosophes le fermentent avec l’or vulgaire. J’en ai maintenant dit plus que la discrétion ne peut le permettre, mais c’est aussi le sens des difficultés que j’ai rencontrées qui m’a amené si loin. Quoi qu’il en soit, sois prudent en ton interprétation, de peur que le nom de l’antimoine ne t’abuse, auquel cas tu pourrais être entraîné dans une perte stérile de temps et de substance. C’est tout ce que j’ai à dire, et maintenant, l’usage que tu en feras est en ton pouvoir. Si tu peux y croire, c’est bien; autrement, abstiens-toi complètement de cet Art, sinon tu vivras pour punir ta propre incrédulité.