VAUQUELIN Alchimie du Cantique des Cantiques de Salomon
ALCHIMIE DU CANTIQUE DES CANTIQUES DE SALOMON
Par Jean Vauquelin des Yveteaux
Alchimiste normand (1651-1716)
1.2 Qu’il me baise des baisers de sa bouche. Tes amours sont plus délicieuses que le vin ;
Ce terme qui signifie Baiser, est exprimé au pluriel dans l’hébreu, ce qui indique des baisers reiteréz et sans nombre, affin que cette epouse puisse dire comme il est dit dans le Psaume 119v ; 131. J’ay ouvert ma bouche et j’ay attiré l’esprit en moy, en sorte que nous ne soions plus qu’un.
Il faut donc quantité d’esprit volatil à proportion de l’épouse fixe, et qu’il donne plus d’un baiser, affin que le corps devienne un avec luy, et soit spiritualisé par ces baisers qui les unissent.
Le fixe est donc cette epouse vierge qui demande le baiser pur, qu’elle veut recevoir du volatil tout spiritueus que le ciel luy envoie.
Il sont tous deus substances d’unne mesme racine, frere et seur, époux et épouse, enfans de la nature qui les produit, eau crüe et eau cuitte qui tirent leur origine de l’eau.
Mais il n’appartient pas à une epouse souillée de recevoir le baiser de la bouche d’un epoux si pur ; il faut auparavant qu’elle soit nétoiée et purgée de sa main, et disposée à recevoir ce baiser par un estat qui la rende exempte de tache, et que d’ailleurs elle soit vuide de toutte attache qui en soit separée, qu’elle se trouve dans une mortification et aneantissement d’elle mesme, que par la secheresse et privation de toutte autre chose adherente il n’y ait que son unique et ardente appetence qui puisse luy attirer le rafraichissement apres lequel elle soupire, pour se desalterer d’unne eau si spirituelle et celeste.
L’object de son desir estant uniquement spirituel, pour union toutte spirituelle, il n’en peut resulter et estre produit dans la nature, non plus à proportion que du baiser de la grace, qu’une lumiere et une onction bienfaisante. Car ce baiser donne esprit et vie, en spiritualisant la matiere dans l’oeuvre naturel, et en divinisant pour ainsi dire l’ame dans l’oeuvre spirituel du salut par l’union de l’ame à Dieu par Jesus Christ, de mesme que le corps élementaire est rendu celeste et spiritueus par le véhicule de la lumiere, cet agent du seigneur par lequel il perfectionne toutte sorte de matiere.
Le terme hebreu qui signifie amour signifie mamelles, par metaphore. Et ce laict de l’epoux que l’epouse desire et dont elle est preste de s’enyvrer, est nommé laict de vierge par les philosophes naturalistes.
Il est dit meilleur que le vin, car si le vin a sa douceur, et qu’il réjouisse le coeur de l’homme, ces agrements ne sont pas de durée, ny si avantageus comme celuy que procure le laict de la sagesse, dont elle nourrit et fortifie ses enfans , qui sont ceus des mages. Il est le vehicule de ce beaume precieus et celeste, dont l’odeur enchante et enleve vers luy sa charmante épouse.
C’est ce qui fait que dans la sublimation phisique le corps est volatilisé apres sa purification et sa separation des superfluitéz adustibles.
Cette séparation des surperfluitéz adustibles s’est faitte par la calcination dans la fournaise de l’epreuve dont la chaleur n’epargne que l’incombustible, apres quoy cet incombustible vraie appette l’epoux celeste de sa nature, et en demande les baisers qu’elle savoure comme un laict plus delicieus que le vin.
1.3 l’arôme de tes parfums est exquis ; ton nom est une huile qui s’épanche, c’est pourquoi les jeunes filles t’aiment.
L’effusion de ce beaume est penetrante et la disposition que l’epouse (quoyque souilée et défigurée en apparence) a d’en estre embaumée, est un autre parfum qu’elle possede, et qui luy a esté donné par la toutte puissance du pere, de qui elle tient, et qui l’a fait naistre en elle. C’est ce qu’elle repend comme fist la Madelene aus pieds de l’epoux ou sur sa teste, et ce qui la fait courir apres celuy de l’epoux, dont elle est elle mesme en cela l’aiman, et l’objet de sa tendresse.
Elle demande d’estre entraisnée, et l’est effectivement, car le corps sans l’esprit ne peut estre élevé, et saint Paul ne disoit il pas : « qui est ce qui me délivrera de ce corps de mort ? » et David, pseaume 141, s’écrie : « faittes sortir mon ame de sa prison ». Il est dit dans saint Jean : « sans moy vous ne pouvéz rien faire », et les philosophes d’un stille plus rampant disent que la poulle a besoin du coq, et que l’esprit crud extrait l’esprit digeste, non seulement dans la dissolution ; mais l’esprit exalte et sublime le corps, le volatil le fixe et l’élève à sa perfection « ut fiat filius philosophorum ».
Ces jeunes filles, ces compagnes de l’epouse, de cette vierge, sont les autres parties moins parfaittes du mesme sujet qui l’accompagnent.
On pouroit l’entendre des mineraus, vegetaus et animaus, lesquels à son exemple courent à l’odeur des parfums de cet epoux universel. Mais cette epouse seulle demande d’estre entrainée, quelque violence qu’elle semble recvoir ; et quoy que cet epoux luy face, soit en l’ambrasant, la brulant et la tourmentant, elle ne veut point qu’il la laisse seulle, elle a besoin de la main de l’époux pour aller jusques à luy, affin qu’il l’éleve à l’estat de pureté.
Nous pouvons icy faire l’application de l’aiman des philosophes et de leur acier, car ils n’entendent autre chose par là que cet epoux et cette epouse. C’est pourquoy elle dit dans le verset suivant :
1.4 Entraîne-moi sur tes pas, courons ! Le roi m’a introduite en ses appartements ; tu seras notre joie et notre allégresse. Nous célébrerons tes amours plus que le vin ; comme on a raison de t’aimer !
L’epouse demande d’estre introduitte dans le cellier, reservoir du vin le plus delicieus, affin qu’elle puisse gouter du meilleur, et qu’elle puisse s’en enyvrer tout à son aise. Ce meilleur est l’époux luy mesme, à l’exclusion de tout autre. C’est le laict de l’epoux, prix et recompense de l’ardant amour que l’epouse a pour luy, elle dont le coeur est droit et élevé vers luy, qui vient d’en haut et qui l’y éleve.
1.5 Je suis noire et pourtant belle, filles de Jérusalem, comme les tentes de Qédar, comme les pavillons de Salma.
Les philosophes apellent noir tout ce qui n’est point lumineus et qui cache la lumiere qu’il renferme, et l’epouse s’adresse aus filles de Jerusalem pour leur faire faire cette attention.
Jerusalem fut fondée par Melchisedec, mais la Jerusalem celeste l’a esté par le grand Prestre, que l’Ecriture dit l’estre selon son ordre. Jebus est le nom que cette ville portoit avant celuy de Salem, d’où venoit le nom de Jebuseen, que saint Jerosme dit n’avoir pû estre chassés par les Juifs. C’est la terre promise qu’il faut conquester.
Cette Jerusalem indique donc et la celeste et la sruceleste, où tous doivent estre beatifiés, située sur les montagnes avec son temple plein de la majesté de Dieu : lieu choisi par le Seigneur, affin que son nom y fust eternellement.
On ne monte point en ce lieu élevé si l’on n’est privé d’ignorance et de pechés, indiquéz par les aveugles et les boiteus qui n’y entreront point.
Faittes donc attention aus trois temples du Seigneur, dont les Juifs se vantoient d’estre en possession à Jerusalem, quand il est dit dans Jeremie : « Templum domini templum domini, templum domini est » Ce temple de Jerusalem estoit basti sur le modelle de l’arche et du tabernacle, images de celuy qui n’est point fait de main d’homme, dont l’apostre parle en disant : « Tabernaculum non manufactum et c. »Temples où la gloire de Dieu se manifeste visiblement et d’où se puise sa vertu qu’il y a déposée. Car il est auteur de la nature aussy bien que de la grace.
Les tentes de Qédar sont celles des Arabes, noires par dehors et tissues de poil de chevres mortes, brulées et roussies du soleil, exposées aus injures du temps. Cependant leurs princes logent dedans, et ils aiment à les habiter. L’epoux aime aussy autant la demeure de son epouse que si elle estoit autant superbe et éclatante que la parure et l’ornement luy mesme.
Cette epouse est noire de la fumée elementaire et mondaine, accause de la residence qu’elle y fait, et par sa propre misere dont elle est envelopée. Mais elle devient belle et purifiée par l’esprit de son epoux.
Aaron et Marie sa soeur mumuroient de ce que Moïse (qui parut si raisonnant de lumiere) eust pris une AEthiopienne pour femme.
La reine de Saba vint voir et s’en retourna toutte illuminée de la gloire de Salomon. Ce sont les plus grandes loüanges que l’on puisse donner à une épouse qui tire tout son lustre de son epoux, lequel par son union et ses frequentes visittes blanchit et illumine la terre vierge qui auparavant estoit sous une apparence salle, difforme, obscure et si noircie de la fumée et de l’action du feu qui l’avoit preparée.
Le feu est le soleil du philosophe, vicaire du celeste, dont l’eccitation exterieure ne laisse pas d’ecciter et animer le feu interieur de la matiere, qui est icy regardée comme l’epouse noircye au soleil duquel elle a esté esposée à decouvert dans sa plus grande ardeur.
1.6 Ne prenez pas garde à mon teint basané : c’est le soleil qui m’a brûlée. Les fils de ma mère se sont emportés contre moi, ils m’ont mise à garder les vignes. Ma vigne à moi, je ne l’avais pas gardée !
C’est le sujet de l’art ou la seconde matiere des philosophes exposée à l’ardeur du soleil dés sa jeunesse, car dans son origine et dans sa pureté sans melange elle n’estoit pas noire. Mais aiant esté corporifiée, elle a esté brulée du soleil. Car la semence tombée parmy les pierres dont il est parlé dans l’Evangille fut brulée et calcinée par le soleil, ce qui l’empecha de fructifier fautte d’humidité.
Ses ennemis l’ont establie pour garder leurs vignes (car elle peut appeler ennemis ceus qui ne l’emploent pas à l’usage où la sagesse l’a destinée) : elle n’a pas gardé sa vigne, fruict du paradis terrestre, lequel accause de cela n’est point venu à maturité, c’est à dire à sa perfection. Le feu ou soleil qui en est le principe, est la puissance du pere, qui a livré son propre fils aus persecuteurs. Ce soleil a noircy l’epouse dans les matieres differentes et specifiées, et dans la moins determinée elle paroist noire en presence de son soleil dont la splendeur eclipse ce qu’elle a de lumineus.
Le vignoble est le lieu ou croist la vigne. Le monde est le vignoble, dont nous sommes les serments de cette vigne au travers du tronc de laquelle nous devons fructifier, en y restant attachéz. Noé, peu esperimenté en l’usage du vin que cette vigne produit, s’en enyvra. Noé, apres la purgation et destruction faitte par l’eau de la race mauditte, accause du peché du premier pere et du fraticide, decouvrit sa honte, ce qui fut cause que son fils Cham (calor) s’en moqua, et luy lia ou couppa les genitoires. Mais Noé pretendant faire des enfans exempts de punition lorsqu’ils percheroient, et pretendant que canaham seroit de cette nature, il le maudit accause qu’il avoit esté occasion de cette pensée, et affin qu’il fust corrigé et amandé par cette soumission à ses freres à laquelle il l’assujetit. Cela a donné aux Ægiptiens de dire que Tiphon avoit demembré Osiris et jetté sa partie genitalle dans le Nil. Car l’eau purge la sulphureité excrementeuse que le feu fait paroistre dans la calcination. Cette eau par la beauté de sa vertu recouvre et cache cette laideur honteuse. L’eau pleine d’efficace repare l’immondicité produitte par le feu de la calcination.
1.7 Dis-moi donc, toi que mon coeur aime : Où mèneras-tu paître le troupeau, où le mettras-tu au repos, à l’heure de midi ? Pour que je n’erre plus en vagabonde, près des troupeaux de tes compagnons.
La forme est l’epoux qui paist ses troupeaux dans les pasturages de la science et de la sagesse, où le midy regne, c’est à dire le soleil éclatte et éclaire dans la plus grande splendeur de sa gloire pour connoistre la vérité. Mais comme il y a une lumière fauce aussy bien qu’il y en a une véritable, prenés garde de vous laisser éblouir par l’éclat de la fauce lumière des choses particulieres, et pour l’eviter allés jusques à la source de la veritable.
Le mercure dit vif argent, l’or vulgaire ont leur lumière, qui éblouit d’abord les novices de cet art ; mais elle est fauce aussi bien que celle de tous les estres materiels specifiéz. C’est dans les tenebres qu’il faut chercher la veritable lumière ; elle y brille sous une apparence abjecte et meprisable, car elle n’y sautte pas aus yeus de tout le monde, y estant absorbée, liée et retenue trop fortement.
Ce midy peut estre aussy consideré pour la chaleur du feu qui fait reposer à midy cet epoux en le fixant ; et ce feu est celuy de nature, lequel agit en ce rencontre aussy bien et plus fortement que celuy de l’art. Et les troupeaus errants, qui sont les vegetaus et mineraus, nouris et entretenus par les eaus courantes, sont sous la conduitte des compagnons de cette eau celeste et spirituelle, après laquelle seulle l’épouse soupire, et dont elle est si empressée de se desalterer, pour s’y unir intimement accause de la verrtu ou lumière qu’elle contient.
1.8 Si tu l’ignores, ô la plus belle des femmes, suis les traces du troupeau, et mène paître tes chevreaux près de la demeure des bergers.
L’epouse est avertie de reflechir sur elle mesme et d’estre attentive à se connoistre et de paistre les jeunes troupeaus spirituels, fussent ils moins purs et plus salles que les boucs. Le sage ordonne de les faire paistre aupres des agneaus et des brebis, affin qu’ils s’accoutument à leur douceur et se facent dignes d’estre receus avec eus à la droitte du Seigneur. Car il faut se peiner à purger ce qui est impur affin qu’il devienne pur et puisse s’unir à la pureté de l’epoux. Ce qui ne se fait ny par violence ny subitement mais peu à peu et doucement, l’elevation du fixe et la reunion des parties homogenes du volatil ne se faisant que l’une après l’autre, ce qui ne se fait que par un mouvement tres dous et tres lent et avec un long temps.
1.9 A ma cavale, attelée au char de Pharaon, je te compare, ma bien-aimée.
C’est là l’interpretation des Peres ; mais suivant le texte, ce mot « d’assimilavi te » semble dire : Je t’ay rendu semblable et digne d’estre comparée aus chavaus et à l’équipage du char de Salomon. Et ainsi l’on peut dire que la comparaison est plustost pour la vitesse, la volatilité, que pour la beauté.
Nous avons remarqué au commancement de ce traitté que les naturalistes pretendent qu’en ce verset est entendu le sujet de l’art, en l’estat qu’elle est la matiere premiere des philosophes, leur Diane nue, la fille de Pluton, le mercure des philosophes.
Les Arabes estiment plus les cavalles que les chevaus, parce qu’ils les trouvent plus douces et plus de fatigue, et qu’elles endurent plus facilement et plus longtemps la faim et la soif ; qu’elles sont mesme plus vistes, et qu’elles tirent plus également. Ils les aiment mesmes mieus et les caressent plus que leurs femmes.
Les scavants scavent ce que le cheval signifie dans la fiction chymique ou magique, et ce qui estoyt entendu par les chevaus philosophiques de Laomedon, ceus du soleil, ceus de Pluton, de Diomede Etc...Et la difference du cheval à l’asne, qui denotte le fixe, est misterieuse pour denotter le volatil ; et le mulet sorty d’eus indique une nature moienne formée des deus. Nous avons expliqué ce détail ailleurs tres amplement.
Ces chevaus ou cavalles sont atteléz au char de pharaon, qu’ils enlevent, et le char et les chevaus d e cette sagesse qui y triomphe ne font qu’un composé de la matiere premiere des mages. Ces chevaus enlevent dans ce char l’epouse vers son epoux, et ce char est celuy dont Esechiel nous fait la description, sur lequel il faut passer à travers les eaus bourbeuses du monde, dans lesquelles il se faut donner de garde d’estre submergéz, comme l’Ægiptien le fut : c’est pourquoy il les faut passer sans s’y endormir.
C’est icy qu’est exprimée l’union du fixe avec le volatil, apres laquelle le tout devient et est appelé la matière premiere, mercure des philosophes. Apres quoy ils disent : "est in mercurio quidquid querant sapientes, ignis et azot sufficiunt », dont l’opération n’est plus qu’un jeu d’enfant et un ouvrage de femmes.
1.10 Tes joues restent belles, entre les pendeloques, et ton cou dans les colliers
Outre la beauté variée de la tourterelle pleine de douceur uniforme, et les coloris charmants de son col, elle est le simbole de la chasteté, de la fidélité et de la solitude. La rougeur des joües de l’epouse est comparée à la pudeur de la tourterelle dont le col n’a besoin d’aucun ornement, tant il est gracieus et paré de lumiere et de brillants perléz.
Effectivement la blancheur de glace de ce mercure des philosophes ou soufre de nature semble une gorge de tourterelle ou de colombe, ce qui fait que les philosophes l’ont comparée à la queue de paon ou à l’iris, tant on y voit briller de differentes couleurs, c’est l’aes philosophorum.
1.11 Nous te ferons des pendants d’or et des globules d’argent.
Le philosophe qui aura mis la main comme il faut à la chose, entendra asséz cette expression pour en faire une application à sa matiere veritable, qui se dore et s’argente comme un ouvrage de marqueterie, par l’action de l’agent sur le patient et l’operation de l’epoux sur l’epouse, d’où resulte cette apparoissance de clous d’argent exprimée dans l’hebreu, ou pour mieus dire de sinuosité argentées « vermiculatas argento".
1.12 Tandis que le roi est en son enclos, mon nard donne son parfum.
Nous avons dit que le volatil estoit l’or philosophique. C’est le roy chymique ; et c’est lorsqu’il sesse sa volatilité et que sa coagulation commance, qu’il gouste l’aiman de la vierge son epouse avec lequel elle le retient, et c’est ce qui luy fait dire dans le verset suivant :
1.13 Mon bien-aimé est un sachet de myrrhe, qui repose entre mes seins.
Effectivement il se fera une union si estroite des deus, que ce ne sera plus qu’un, et c’est ce qui arive lorsque le fixe areste et fixe le volatil. Car si l’une se qualifie de nard et qu’elle donne à l’autre le nom de bouquet de mirrhe, c’est que leur simpathie est si mutuelle et reciproque que vous ne scauriés discerner dans le moment de la conjonction lequel de cette vapeur ou de cette exhalaison a plus d’empressement de s’unir l’un à l’autre. Car en phisique c’est l’aiman, et l’acier philosophique.
1.14 Mon bien-aimé est une grappe de cypre, dans les vignes d’En-Gaddi.
Le raisin de cypre estoit le plus exquis, et le terroir d’Engaddi le meilleur pour le terrain d’un bon vignoble. Ainsi il n’y a aucun terroir qui convienne mieus à l’arbre metallique que la terre vierge. Sous le nom d’un vegetal est toujours entendu le volatil. C’est pourquoy quand cypri seroit arbrisseau portant parfum, comme quelques uns le pretendent, l’application n’en seroit pas moins à faire à la saturnienne vegetable.
Le mot hebreu « copher » signifie myrrhe plustot que grappe, et l’on dit qu’en Cypre aussi bien qu’en Engaddi, bourg de la tribu de Juda, touttes les haies ne sont que des buissons de myrrhe. Et ce terroir fut si fertille en beaume et en palmiers, que ce fut de là que la reine Cléopatre les fist transporter en Ægipte, où on en cultive encor au grand Caire.
1.15 Que tu es belle, ma bien-aimée, que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes.
Cette beauté de l’epouse ne se fait remarquer à l’exterieur qu’apres qu’elle l’a receüe de luy. L’epoux la luy avoit annoncée dans le verset 8ème, et icy il luy fait faire attention sur le changement de noirceur en blancheur etincelante, qu’il luy a procurée par son union et premier baiser.
La chasteté et la simplicité ont toujours esté attribuée à la colombe, et l’oeil est le miroire de l’ame ; ainsi cet oeil brillant et pur est la marque de la simplicité de nostre vierge toutte chste, ne voulant commencer qu’avec son unique epoux dont la première touche l’a rendue si belle.
1.16 Que tu es beau, mon bien-aimé, combien délicieux ! Notre lit n’est que verdure.
Cette epouse raporte à son epoux et à l’union dont il l’a honorée, toutte cette beauté sur laquelle il se vient de recrier, reconoissant qu’elle vient toutte de luy, lequel est tout chargé de cette beauté qu’il a puisée dans le ciel et dans la source des lumières, et qu’il a déposée dans le sein de son epouse, apres en avoir converti la noirceur en blancheur de neige, et l’avoir rendue toutte brillante par son union.
L’epouse invite l'epoux à se reposer en luy faisant observer que leur lict est desjà tout couvert de fleurs. C’est le commancement de la coagulation. Philosophorum filius nascitur in aere. C’est la superficie, et il faut attendre les fruicts que ces fleurs produisent, par le repos de l’epoux, c’est à dire sa coagulation et fixation. Hermes apelle fleur de l’or cette coagulation legere.
1.17 Les poutres de notre maison sont de cèdre, nos lambris de cyprès.
La montagne couverte de fleurs, où se fait cette misterieuse union de l’agent et du patient naturels, n’a que materiaus in corruptibles et de bonne odeur, tels que sont les cedres, sapins, cyprés toujours verds, et qui ne sont sujets qu’à l’agitation des vents. Les lambris variéz qui en sont pour la simple decoration, mais la solidité consiste en ses poutres et solives moins découvertes, mais fermes et incorruptibles, par l’union du fixe et du volatil qui deviennent par là d’une durée eternelle, par leur union inseparable.
2.1 Je suis le narcisse de Saron, le lis des vallées.
Ce champ, comme l’explique l’hebreu, est celui de saron, c’est à dire que l’on doit en chanter les louanges, et la fleur est la rose de cette campagne. Nous avons dit ailleurs ce que les philosophes entendent par la rose et la fleur de sel. Cette rose icy est blanche.
Et quoyque par le lis des vallées les uns veullent que l’on entende la fleur d’iris accause de la bonne odeur de sa racine profonde, à laquelle profondeur ils raportent le mot de convallium, les autres l’interpretent le muguet, d’odeur si charmante, et qui vient naturellemnt dans les broussailles parmy les ronces et les epines dans les bois.
D’autres veullent que l’auteur aie voulu parler icy du lys ordinaire ; mais à le bien prendre dans le sens phisique, il ne faut entendre icy que le lys de l’art, le sujet phisique, dont Paracelse dit que la partie superieure est le lys blanc, la glu de l’aigle, et la partie inferieure est le lys rouge, laton, lion rouge et son sang, la Beia et le Gabritius des sages, de l’union desquels se fait la premiere matiere des metaus.
Lilium convallium alienis spinis circumceptum ut et philosophicum partibus heterogeneis. Lilium ceruleum est iris in quem Aiax conversus, qui insanus ad Troiam intervenit.
C’est de ces lys dont Cortalasseus a tant parlé dans son traitté d’Arca arcani et son Lilium inter spinas, le lili du manuel de Paracelse, et de sa teinture des phisiciens.
Cette fleur peut estre ditte des champs, parce qu’elle y vient d’elle mesme et naturellement, sans opération manuelle de l’artiste, et lis des vallées accause de sa simplicité, et sa pureté. Sapientia est humi moravi, disent les philosophent, et simplicitas veritatis sigillum.
Cette rose de saron, mortuis aeternae vitae munus exhalans, ce lis dont il est dit que par l’arousement des eaus salutaires, il germera comme le lys des vallées.
2.2 Comme le lis entre les chardons, telle ma bien-aimée entre les jeunes femmes.
Ce que nous avons dit du sujet du verset precedent suffiroit pour l’explication phisique de celuy-cy.
C’est ce lys que les sages ont entouré des haies d’epines et ronces de leurs fictions, enigmes, fables et hyerogliphes. C’est ce lys dont les epines peuvent aussy estre prises pour les calcinations, par où il faut qu’il passe dans la preparation, de mesme que l’ame de l’homme dans les tribulations, où elle est éprouvée comme l’or dans la fournaise ; et cependant il en sort pur comme le philosophique ; ou l’epouse qui ne fait que s’y purifier, et où on la tire seulle pure et incombustible, ce qui n’ariveroit pas à aucunne de ses compagnes si elles étoient mises à pareille epreuve. Cette vierge est cet argentum igne examinatum probatum terae, purgatum septuplum, et les filles icy denommées sont les parties combustibles du mesme sujet, ou les autres estres creés qui font la famille des mineraus, vegetaus et animaus, tous estres specifiéz non susceptibles de pareille epreuve.
2.3 Comme le pommier parmi les arbres d’un verger, ainsi mon bien-aimé parmi les jeunes hommes. A son ombre désirée je me suis assise, et son fruit est doux à mon palais.
L’on scait asséz que le pommier et la pomme qu’il porte ont esté emploiéz par les scavants pour le simbole du sujet des sages, l’arbre metallique, les pommes des Hesperides et c... mais icy l’epouse veux faire voir la difference d’elle à son époux, elle qui ne reçoit sa perfection que de luy, lequel est comme cet arbre de vie de la sainte Jerusalem, ou celuy que David dit estre planté proche le courant des eaus, qui donnera son fruict dans son temps.
De tous les arbres de la forest des sages, c’est le pommier qu’ils cultivent avec attention, dont les feuilles sont pour guerir les nations, et les fruicts pour les combler de douceurs et d’agrements, prerogatives que les fruits ont au dessus des fleurs : si belles qu’elles paroissent, elles ne peuvent que charmer la veüe et l’odorat, mais le fruict est savoureus au goust, utille à la nourriture, et charme les oreilles par tout ce que l’on entend publier, principalement celuy de ce pommier aupres duquel tous les autres arbres sont infructueus en comparaison et par consequent dignes de mepris et de la coignée, à laquelle leur sterilité les a fait condamner pour servir d’aliment au feu, auquel ils ne peuvent resister comme le pommier incombustible dont il est icy question.
L’epouse s’est reposée sous l’ombre de celuy qu’elle avoit desiré. Cet ombre seul la peut proteger, la mettre à couvert, et garantir de l’ardeur des agitations où la suitte du procedé philosophique l’expose. C’est ce seul époux, ce seul esprit qui la remplit, qui luy rend la tranquilité et luy donne de nouvelles forces pour se sublimer et s’élever à une clarification permanente fixe perpetuelle ; et comme nous l’avons desja dit, il ne faut pas oublier que par tout ce qui porte le nom de vegetal, est entendu le volatil, ou l’humide spiritueus.
Le fruict de cet arbre est dous à la bouche de l’epouse, et la desaltere et la nourit comme une mane spirituelle de rosée celeste, ros hermon, dont la secheresse est humectée, son ardeur rafraichie et sa soif desalterée ; elle la remplit d’une douceur admirable qui luy fait mepriser touttes les autres, et de mesme que l’ame ne vit pas du pain seul, lorsqu’elle se rassasie du pain des anges, ainsi cette épouse ne connoist plus d’autre pâsture qui luy convienne, que le fruict de cet arbre, et la douceur de son epoux.
2.4 Il m’a menée au cellier, et la bannière qu’il dresse sur moi, c’est l’amour.
Nous avons dit cy devant que dans ce verset estoit denotée la preparation, ou separation du pur d’avec l’impur.
L’amour enyvre aussy bien que le vin, et nous avons assés parlé ailleurs du vin qui s’exprime de la grappe philosophique, portée par la vigne de mesme nature. Car l’oeuvre des philosophes a son progres, comme la façon de faire le vin et de le rendre potable.
Mais que devons nous entendre icy au sujet de nostre oeuvre ? C’est la dissolution par laquelle l’épouse estant penetrée de l’esprit de son epoux, qui s’insinüe jusques dans son centre, en tire ce qui est de sa mesme nature et ce qu’il y a lui mesme formé, ce qui estoit concentré, envelopé et profondement lié. Et dans cette extraction les parties homogenes se reunissent, se recherchent et mettent à part les heterogenes et excrementeuse, en sorte qu’il s’en fait une epuration d’où il resulte l’union de celles de mesme nature, apres laquelle cette epouse enyvrée de la tendresse de son epoux, c’est à dire de ce qu’il y a de plus spirituel, elle ne vit que de sa vit, n’agit plus que par le mouvement qu’elle reçoit de luy, et cesse en quelque façon d’estre elle mesme et devient un estat de n’estre plus ce qu’elle estoit. Voilà pourquoy le Texte dit qu’apres cette yvresse elle abandonne à son époux la conduite entiere de tout ce qu’elle a de plus tendre pour luy, et mesme d’elle mesme, s’oubliant totallement en cet estat pour ne plus suivre que la regle que cet epoux luy impose, laquelle regle doit toujours estre conduitte avec discretion, affin que chaque partie de ce composé s’attachant à faire sa fonction, l’impetuosité de l’esprit ne les pousse pas dans une confusion nuisible, qui pouroit empecher cette separation requise du pur d’avec l’impur. Cela s’apelle fermentation, d’où la clarification resulte.
Charitas est vexillum amoris, l’etendart de l’amour, qui est l’epoux qu’il faut suivre, soit dans le moral soit dans le phisique. En un mot, la terre vierge est icy spiritualisée, elle a abandonné son corps, ce qui luy fait dire ce qui est dans le verset suivant.
Le volatil éleve le fixe par sa propre vertu apres en avoir dissout la masse, et separant le pur de de l’impur produit la matiere premiere du mercure et enfant des philosophes.
2.5 Soutenez-moi avec des fleurs, ranimez-moi avec des fruits, car je suis malade d’amour.
L’epouse n’a pas plustost fait la transfusion d’elle mesme, que se sentant forcée d’abandonner son corps imparfait pour en former un nouveau avec l’esprit de son époux, elle a raison de dire que l’eccès de son amour la fait tomber en langueur ; elle prie que l’on l’apuie avec les fleurs, dont elle respire plus que l’odeur, et que l’on la soutienne de fruicts, apres la douceur desquels elle avoit tant d’empressement de courir ; car elle ne connoist plus que ce lis des valées, que ce pommier de la forest, duquel et par lequel elle vit, et sans lequel elle ne peut plus subsister, aiant abandonné son ancien corps pour le spirituel qu’elle tient de luy.
Ces compagnons ausquels elle s’adresse sont les parties acqueuses, qui luy font compagnie aussi bien que les terrestres lavées et blanchies, desquelles elle espere du secours, jusques à ce qu’elle soit revenüe de son evanouissement, c’est à dire pour le soutien de son ame qui s’est absebtée de son corps ancien.
2.6 Il met sa main gauche sous ma tête, et il m’étreint de sa droite.
On scait, suivant les emblesmes égiptiens, que la main gauche, plus pesante et moins agissante, est plus propre à soutenir, garder et conserver ce qui vaut la peine, et ce dont on peut tirer quelque utilité ; c’est pouquoy eslle estoit le simbole de l’avarice. On scait aussy que la droitte, plus agille, est ce qui donne l’action et la vigueur, pour relever la paresse de la gauche tardive ; aussy est elle, comme nous l’avons dit parlant des Druides, la marque de la puissance. C’est pourquoy la sagesse dit : « La longueur des jours est en sa droite, et dans sa gauche les richesse et la gloire », car celle qui est ambrassée est la gloire de celuy qui l’ambrasse apres qu’il l’a glorifiée.
A peine on ose icy mesler le sens spirituel et moral avec le temporel ou le phisique. Cependant le spirituel est celuy qui me charmeroit davantage ; car à quoy servent ces avantages mondains qui ne sont que pour un temps bref, et trop court pour meriter les autres, si la grace de Jesus Christ ne supleoit à ce defaut ? grans Dieu que seroit ce de nous !
Ainsi la gauche ne soutient que les biens temporels et la gloire passagere et la droitte qui nous ambrasse toutte, nous peur elever plus haut, et ne ne nous albrasse que pour cet effect. C’est ce dont nous sommes redevables à la sagesse eternelle, qui est le verbe divin, qui nous veut bien environner de sa droitte pendant qu’il nous soutient de sa gauche en cette vie fragille et miserable. Mais des delices ineffables se trouvent où cette droitte nous enleve.
C’est pouquoy l’epouse bien aimée nous fait entendre qu’elle en est ambrassée, dans la confiance qu’elle a que cette droitte l’elevera à sa béatitude et à son estat de perfection.
Ces deus mains se peuvent aussy entendre de la partie fixe qui est sous le volatille et capitalle, ou teste de l’epouse, car le lis rouge qui est dessous sera d’abord ambrassé par le lis blanc qui le cache en son interieur.
2.7 Filles de Jerusalem je vous conjure par les chevreuils et par les cerfs de la campagne, de ne point reveiller celle que j’aime, et de ne la point tirer de son repos, jusques à ce qu’elle se reveille elle mesme.
Les chevreuils et les gaselles des pays orientaus, et les cerfs sont fort craintifs et fuient les hommes et leur commerce. Ils sont toujours grimpés sur le haut des colines et des montagnes. Ainsi ils peuvent designer les parties volatilles les moins retenues et les moins disposées à la coagulation ou fixation. Ces cerfs percent les forets et les buissons ou broussailles les plus époisses. Ils sont ennemis des serpents, ausquels ils font la guerre.
Ainsi les filles de Jerusalem seront prises pour le reste de l’habitacle de nostre vierge, qui est conjuré par les parties vollatiles qui doivent tant leur plaire de ne pas reveiller ny troubler la tranquilité de l’epouse, qui commance de s’unir et de faire corps à touttes les parties soient suffisamment rassemblées et en assés grande quantité pour faire corps à part, assés recuit et asséz affermy pour devenir apercevable et paroistre au jour.
C’est icy que le regime du feu si requis est exprimée, aussy bien que par l’aage d’or des anciens poetes, comme nous l’avons dit en nos clefs des sciences.
2.8 J’entends la voix de mon bien aimé. Le voicy qui vient sautant au-dessus des montagnes, passant par dessus les collines.
C’est icy la description de ce qui se passe dans la circulation du volatil, ce qui a fait dire au prophete roy, « nous avons veu les mesmes choses que nous avons entendues ». L’epoux a passé du haut du ciel dans le sein de la vierge, de ce sein dans une étable, de cette étable dans le Jourdain pour y estre baptisé, du Jourdain sur le calvaire de la croix, de la croix au tombeau dans le ciel. Il revient sur ce qui est rampant sur la terre, non sur ce qui est enfoncé, mais sur les montagnes. C’est à dire les parties degagées du fond de la matiere et de la terrestreité.
Il semble que l’interpretation differente d’un traducteur, lequel a traduit ainsi ce passage adapter à nostre oeuvre : « ecce iste venit incedens contra montes, prosiliens adversus colles. Le voicy qui vient marchant contre les montagnes et sautant contre les colines ».
Le petillement et le mouvement sensible que l’on aperçoit lors de l’union de l’époux spirituel avec l’epouse preparée à le recevoir, fait voir ce spectacle en cette operation. Cependant alors l’union n’est pas encor faitte. C’est pourquoy je m’en tiens à la premiere interpretation. Car dans cette operation les esprits operent l’un apres l’autre, et son longtemps à agir avant que de parachever l’operation baturelle.
Laissont donc cette seconde interpretation pour l’appliquer à la dissolution, et appliquons à la premiere imbibition de la matière premiere extraitte et formée.
2.9 Mon bien aimé est semblable à un chevreuil, et au fan de biche. Le voicy qui se tient derrier nostre muraille, qui regarde par les fenestres et jette sa vüe à travers les barreaus.
L’eau et la terre sont les vases philosophiques. Le chevreuil paist toujours sur les hauts lieus ; et le cerf, outre sa vitesse, a une vertu singuliere contre les serpents. On dit aussy que ces animaus se voiant poussés à bout par les chasseurs, se joignent quelque fois aus cavaliers qui veullent faire donner dans les pièges qu’ils leur ont tendus.
Celuy, qui regarde par les fenestres fermées de barreaus ou treillis et jalousies, est veu en partie, et en partie caché ; et cela ne s’aperçoit que d’une façon imparfaitte.
Mais celuy cy rompra bientost la muraille pour s’unir parfaittement à l’epouse, et regner avec sa pureté où regnoit la corruption, et la lourde corporeité.
La terre est le vase, et l’esprit acqueus scait la penetrer. Elle est aussy la muraille.
2.10 Voilà mon bien aimé qui me parle et qui me dit : levés vous, hastés vous ma bien aimée, ma colombe, mon unique beauté, et venés.
Le saint Esprit a bien voulu paroistre sous la figure d’unne colombe ; cet epoux pris dans le sens spirituel en a rempli l’église son epouse. On peut dire qu’il en a fait autant dans le naturel et phisique à proportion, et qu’il luy oste par là son ancienne difformité, et songer que toutte les fois que dans le sens phisique, aussy bien que dans le spirituel, l’epoux loue son epouse, il la regarde telle qu’elle doit estre un jour.
Levéz vous, luy dit dit il, d’entre les morts du milieu de vos liens, vous voiéz comme la muraille de separation qui nous divisoit et qui empechoit que nos coeurs ne s’unissent par une union nouvelle, est renversée ; venés à moy, vous qui estes fatiguée et chargée du fardeau d’un corps impur ; elevés vous à moy, vous qui estes desja belle d’unne beauté toutte celeste, vous qui estes devenue une colombe pleine de spiritualité ; venez affin que vous commanciés à me voir en face, et non plus à travers des barreaus. Je me suis livré moy mesme à la mort pour vous, apres vous avoir purifiée dans le baptesme de l’eau, pour vous faire paroistre sans tache et pleine de gloire.
Il commande à celle qui est couchée de s’elever et de venir, il luy en donne la force, il volatilise le fixe. Tant que l’on est dans un corps mortel, on ne peut recevoir les raions du soleil que par des ouvertures tres petittes, car ce corps fait ombre et est comme une vielle muraille.Ideo tolle a radio umbram suam.
2.11 L’hyver est desja passé, les pluies se sont dissipées, et ont cessé entierement.
La putrefaction est l’hyver philosophique, dont l’année s’accomplit par les 4 saisons, qui s’entresuivent consequutivement. Si le temps de rigueur est l’hyver, qui est celuy de l’évanouissement de l’epouse, ou de son sommeil, pendant lequel elle a eu les visions precedentes ; le printemps est le temps de la delivrance. L’attache à la matière grossiere, et aus choses corporelles qui aggravent par leur lourde masse, est l’hyver de l’idolatrie dans le spirituel et de la prison corporelle dans le phisique. Le soufle de l’esprit solaire par un vent de midy fait fondre la glace du coeur de nostre epouse. Ce qui estoit petrifié est devenu eau, mais une eau qui s’élevera à la vie.
2.12 Les fleurs ont commencé à paroiste dans nostre terre, le temps de la taille est venu ; la voix de la tourterelle s’est fait entendre dans nostre terre.
Il semble que le printemps ne commance que depuis l’incorporation de l’esprit, par laquelle les pluies cessent. Car les pluies froides empeschent les fleurs de pousser. Mais sont elles dissipées, la chaleur fait prendre aus fleurs la place des retranchements de ce qui seroit sterille ; et la tourterelle aiant trouvé sur l’arbre un nid pour elle, a fait entendre sa voix, y aiant trouvé la pureté ; c’est alors que l’epoux apelle l’epouse pour venir travailler à la vigne. (Superflua deme), disent les philosophes.
La vois de la tourterelle selon quelques uns n’est qu’un gemissement apres l’epoux, qui luy dit en l’appelant : (quae srsum sunt quærite), et ce gemissement au singulier est celuy de l’esprit qui l’a penettré, qui s’y est fixé et qui tend à selever.
La tourterelle vient d’un pays étranger pour habiter une terre nouvelle. (Dés l’heure que le pecheur gemira pour son peché, je ne m’en resouviendré plus), saint Luc 15.
2.13 Le figuier a commancé à pousser ses premieres figues. Les vignes sont en fleurs, et on sent la bonne odeur qui en sort. Levéz vous ma bien aimée et mon unique beauté, et venez.
L’esté est la citrinité, ou couleur de citron, que nous avons dit que ce verset designe.
Il est vray que le figuier, le plus sage ou du moins le plus tardif de tous les arbres fruictiers, ne commance à pousser que des derniers, dans le temps que la chaleur se fait sentir au commancement de l’esté. L’humeur que cet arbre tire de la terre est abondante, et cette abondance fait qu’il tire d’abord une partie du suc impur de la terre avec le pur, ce qui fait que ses premiers fruicts ne viennent quelque fois pas à une maturité agréable parce qu’ils sont forméz de cette impureté. Mais quand la chaleur de la saison s’augmente, cet arbre a la force d’attirer le plus pur de la terre, par lequel et avec lequel les fruicts qui en sont nouris deviennent eccellents. Nous avons amplement discouru du figuier dans nos ouvrages.
Mais c’est sur cette vigne qu’il faut faire fond, la fleur de laquelle aprehende tres fort la gelée et les froidures. Il faut en esperer les fruicts delicieus ; il faut bien qu’ils le soient puisque Jesus Christ s’est comparé à l’arbre qui les porte, dont il a declaré son pere estre le vigneron.
Ces fruicts ne sont meurs qu’en automne, qui est la rougeur.
2.14 Ma colombe est dans les trous des pierres, et dans les creus de la matière ; montrés moy vostre face, que vostre voix se face entendre à mes oreilles, car vostre vois est douce, et vostre face est agréable.
Que la simplicité de cette espression est instructive etscavante. Cette epouse, cette colombe, est dans les trous des pierres qu’elle habitte, dans les cavernes de la matiere. C’est dans ces creus des rochers qu’elle repose et fait son nid, quelque pure et simple qu’elle soit. C’est là sa retritte, où comme dans une solitude inculte et non hantée, elle met sa virginité à couvert de l’insulte et où sa pudeur aussy bien que l’injure des temps la fait se mettre à couvert contre la rigueur de lhyver. A present que cette rigueur est passée, l’epoux la prie de luy montrer son visage. C’est dans les antres et les creus de la pierre terrestre ou phisique que l’epouse a esté formée, comme l’epouse spirituelle est celeste l’a esté dans les trous et les places de la pierre divine, cette pierre angulaire d’où est sorty ce beaume precieus pour le remede et le salut des nations. ( Ex cavernis vitriolicis).
Voilà apparemment le temps où il faut que cette voix soit entendue, et que ce visage caché jusques alors soit veu. Sa face est la pureté de son coeur, de sa substance, de son centre, qui n’est que ce que l’epoux y a deposé de spiritueus et d’incorruptible, aussy bien qu’incombustible, qui s’y est fixé et qui luy est semblable ( Cum pura puram petuerit intueri veritatem, tunc faciem ipsius sponsus videre cupiet, consequenter et voce meus audire). Sa voix est ce gemissement qui la fait toujours soupirer apres son epoux, et qui l’animera et l’enflamera si fort à la fin, que le rouge luy en montera au visage, quoyqu’à cause de sa pureté sa pudeur n’en rougisse pas encore.
2.15 Prenés nous les petits renards qui detruisent les vignes, car nostre vigne est en fleur.
Les renards malins, subtils et toujours à l’aguet, cachéz dans leurs tanieres d’où ils ont peine à sortir et d’où ils ne sortent que pour degrader ou ronger l’ecorce de la vigne qui est plus tendre et plus aisée à gaster lorsquelle n’est qu’en fleur, sont les parties crues et indigestes, corrodantes, qui par là sont qualifiées de petits renards, soit que vous les preniés pour les sulphureités encor impures ou pour les humiditéz caustiques. Il faut prendre ces petits renards, c’est à dire les detruire, ou les fixer, et les empescher de courir par leur plus ample cuisson ou disgestion, ils nous deviendront utilles, et seront mis hors d’estat de nuire à nostre oeuvre et de gaster la fleur de nostre vigne taillée.
2.16 Mon bien aimé est à moy, et je suis à luy, et il se nourit parmi les lys.
Mon bien aimé est bien à moy, puisque je le possede. Il est pour moy, il a procuré ma delivrance ; je suis à luy, il m’e,leve, il dispose de moy, et je ne seré point à d’autre et j’iré partout avec luy : mon corps est spiritualisé et en estat de le suivre...
Il se nourit parmy les lys, dont le propre est la blancheur et la pureté. Ce lys est l’epoux, et l’epouse ensemble, et dans le coeur, vous l’avez visité durant la nuict, vous m’avez fait passer par le feu, et vous n’avez point trouvé de malice en moy.
2.17 Jusques à ce que le jour commance à paroistre, et que les ombres se dissipent peu à peu, retournez mon bien aimé, et soiez semblable au chevreuil et au fan des cerfs, qui court sur les montagnes de Bether.
D’autres veulent que l’on lise Bethel au lieu de Bether, et Bethel signifie maison de Dieu. Terme de la vision de Jacob.
Les cerfs et les chevreuils dont il estoit permis de manger jusques aus intestins dans l’ancienne loy, où leur peau estoit emploiée pour couvrir le Tabernacle, passoient pour des animaus purs, aiants la veru de detruire les serpents, et les montagnes qu’ils parcourent sont la figure du comble des vertus sur lesquelles ils prenent leur pasture. Ainsi ils nous figurent spirituellement les tribunaus de la grace et de la justice. Ce sont ces cerfs et ces chevreuils qui courent par mons et par vaus, mais qui grimpent et s’attachent toujours à cette montagne de Bethel, à l’exemple desquels cette chste epouse conjure son epoux de retourner pour achever de dissiper peu à peu ces ombres et ces tenebres qui empeschent encor la clarté totalle de ce jour lumineus qui commance à paroistre.
Car nous verrons que l’epoux s’enfuit plus d’une fois par la dessication ou calcination de la matiere, laquelle apres cela ne se perfectionneroit pas sans son prompte retour, comme elle fait de plus en plus à chaque visitte que son epoux luy rend : lequel doit revenir, pour perfectionner de plus en plus sa chere epouse.
3.1 J’ay cherché dans mon lict durant les nuicts celuy qu’aime mon ame, je l’ay cherché et ne l’ay point trouvé.
Les interprettes spirituels du Cantique des cantiques veulent que l’on regarde tout ce que l’epouse avoit dit jusques à present comme vision qu’elle avoit eue dans son évanouissement, dont estant à present un peu revenue, sa vision ne laisse pas de continuer et de luy faire imaginer qu’elle fait, sans pourtant qu’elle sorte de l’etat où elle est renfermée, tout ce qu’elle auroit fait si elle avoit été en liberté.
Le lict de l’epouse phisique est son corps terrestre, dont elle est enveloppée et où elle est assoupie. C’est pendant cet assoupissement qu’elle a ces songes et ces visions.
Il faut qu’elle en sorte, pour trouver cet epoux pour lequel elle est brulée de l’ardeur que la puissance du Pere a allumée en elle : Dieu le Pere est un dieu de rigueur, sa puissance exerce sa justice ; c’est pourquoy il est dit ( Justum).
Encor quand cela arivera, son deguisement empeschera que l’on ne le reconnoisse, jusques à ce qui ait merité par ses souffrances l’éclat de la gloire qui l’environnera pour lors, et qui le fera connoistre pour ce qu’il est veritablement, apres qu’il sera sorti de la putrefaction exprimée comme nous l’avons dit en ce verset. Et jusques là son estat lumineus ne sera point aperçu.
3.2 Je me leveré, je feré le tour de la ville, et je chercheré dans les rues et dans les places publiques celuy qui est le bien aimé de mon ame ; je l’ay cherché, et je ne l’ay point trouvé.
Quelque effort que l’épouse phisique face pour quitter son lict, quelque recherche qu’elle face de son epoux dans tous les quartiers de Jerusalem, cette terre de promission, et dans ses places vuides, elle ne l’y trouve point.
3.3 Les sentinelles qui gardent la ville, m’ont rencontrée, et je leur ay dit : N’avez vous point veu celuy qu’aime mon ame ?
Ces gardes qui veilent à la sureté de cette Jerusalem, sont les parties dures qui font la sureté de cette ville, et qui estoient posées pour l’empescher d’en sortir. Elle se trouve meslée avec eus, mais ils ne connoissent mesme pas son bien aimé, et si l’ardeur dont elle est animée ne la faisoit passer plus outre, elle ne tiendroit rien.(Imne siccum appetit humidum.
3.4 Lorsque j’eus passé tant soit peu au dela d’eus, je trouvé celuy qu’aime mon ame ; je l’ay aresté, et je ne le laisseré point aller, jusques à ce que je le face entrer dans la maison de ma mere, et dans la chambre de celle qui m’a engendrée.
L’epouse venant donc à la superficie, et mesme, s’il se peut dire, par dela, par son ardeur qui s’exhalle, elle trouve celuy qu’aime son ame, elle s’en empare, le saisit si fort qu’elle ne le laisse point aller : non qu’elle le force ou qu’elle luy face violence, car il l’a recherchée le premier. Et afin qu’ils se trouvent commodement, ils entrent tous deus dans la maison et la chambre de la mere, qui a donné le jour à cette chaste et pure epouse vierge.
Cette mere est la terre, selon moy, et quoyque l’on puisse dire que c’est la nature, nom que les philosophes ont donné à l’eau (car cette chaste vierge n’est qu’une eau cuitte, elle a l’eau pour mere, qui lui a donné l’estre) ; mais je pretends que la maison et la chambre de cette mere est la terre, comme vase naturel où cette epouse introduit son epoux. Et là en liberté ils s’unissent ensemble.
L’eau des philosophes est plus commode pour cette union, et est aussy un vase de nature, et peut estre ditte maison de la mere de nostre epouse, entendant alors la nature pour mere, ou l’eau pour nature.
( Sunt duo pisces in mari nostro), disent les mages, car en toute autre maison ils ne scauroient estre en liberté de se chercher, pour se trouver et s’unir ensemble. Mais il me semble qu’il s’agit icy non pas de chercher cet epoux, mais de le retenir apres l’avoir trouvé. Reflechissés comme moy la dessus. Mais comme tout cela ne reussit que par l’imbibition, l’eau pretendra toujours que c’est elle qui doit estre entendüe par la chambre de la mere.
3.5 Filles de Jerusaleme, je vous conjure par les chevreuils et par les cerfs de la campagne, de ne point reveiller celle qui est la bien aimée, et de ne la point tirer de son repos, jusques à ce qu’elle s’eveille elle mesme.
Il s’agit icy par cette repetition de prendre garde à ne pas donner trop d’agitation à la matiere ou compost, jusques à ce que par imbibition reiterée, l’union soit faitte. C’est la coagulation ou congelation.
3.6 Qui est celle cy qui s’eleve du desert comme une fumée qui monte des parfums de myrrhe, d’encens et de touttes sortes de poudres de senteur ?
Apres l’union de l’epouse avec l’epoux en la maison ou chambre de sa mere, soit eau soit terre, voiant ce que luy procure par cette union l’action de la chaleur menagée, qui est celle cy qui s’eleve du desert ? C’est à dire de cette terre seche depopulée et deserte, chargée de terrestreité, au dessus de laquelle nous la voions paroistre. Car en effect cette terre ne meritoit pas de posseder un si grand tresor. Il n’y avoit que le paradis terrestre qui en fust digne. Mais estant venu dans le monde pour sauver les creatures materielles par l’aneantissement de sa propre vie, c’est à dire par sa mort, il falloit que la lumiere, agent du Seigneur qui en execute les volontez dans et sur la matiere, purifiast cette mesme matiere pour la rendre digne d’exhaler le parfum que le Createur y a mis, pour la rendre convenable à sa presence. Ce parfum s’eleve de la myrrhe, que l’on emploi pour embaumer les corps des morts, et de l’encens, qui est l’epoux ou l’esprit mesme, d’un prix infiny, destiné, à laquelle seulle il convient. Mais ces parfums du fixe et du volatil ne brulent point s’ils ne sont mis dans le feu. L’un vient du fixe, l’autre du volatil, et ils s’élevent par l’esprit du feu en un composé des deus. Mais lencens ne peut estre agreable sans la myrrhe du corps mort, par laquelle il est preservé de corruption, et par l’encens qui s’y mesle sont faittes ces poudres de touttes sortes de senteurs qui font la sublimation.
L’hebreu signifie que comme les palmes de parfum, qui s’élargit en montant la fumée qui montoit de l’autel d’or figuroit une corne, sans (à ce que disent les rabins) estre jamais agittée, tant l’air la respectoit.
L’on pretend induire que Salomon entendoit parler d’autre que de luy en parlant de cette epouse unique, puisqu’il en avoit plusieurs. L’epoux est le pasteur universel et unique. Mais cette epouse unique est autre que celle de Salomon. C’est nostre vierge phisique qui engendre le sauveur naturel qu’elle a conceu apres en avoir receu le baiser reiteré.
3.7 Voicy le lict de Salomon environné de soixante hommes des plus vaillants d’entre les forts d’Israel,
La vierge est le lict de Salomon, qui est la figure de l’epoux phisique et divin.
Ces braves nombreus qui le gardent ( aquae multae populi multi). Cette eau est ditte ( acetum acerrimum ), son acier la rend incisante. Et ce nombre de soixante est misterieus : 6 fois 10 ou 10 fois 6.
Les anges nous gardent et le saint Esprit nous inspire à tous moments.
3.8 qui portent tous des epées, et qui sont tres experimentéz dans les guerres. L’epée de chacun d’entre eus est à son costé sur sa cuisse, accause des surprises que l’on peut craindre pendant la nuict.
La cuisse, comme nous l’avons dit ailleurs, est le simbole de puissance et de fidelité, et ce glaive protege cette epouse vierge, lict de l’epoux spirituel, contre l’ardeur et les attaques du malin, du serpent, qui est le feu, ou de tout autre qui voudroit entreprendre contre elle.
3.9 Le roy Salomon s’est fait litiere de bois du Liban.
Le bois du Liban estoit incorruptible, soit que l’on entende par là les cedres, ou cet arbre qui portoit le beaume.
3.10 Il en a fait les colonnes d’argent et le dossier d’or, le siege de pourpre, et il a orné le milieu de tout ce qu’il y a de plus precieus, en faveur des filles de Jerusalem.
Ces colonnes d’argent sont de cet argent dont il est dit :( argentum igne examinatum in vaste terreo purgatum septies). Ce sont les promesses de se servir de la race de la femme pour briser la teste du serpent. Le dossier d’or est cette oreité qui sert de reposoir, et luy donne l’empire. Le siege couvert de pourpre est cette teinture du sang, qui luy donne ce degré de gloire et de puissance, le milieu orné de ce feu perfectionnant tout, ( ignem veni mittere in terrem et quid volo nisi ut accendatur), ce foudre fulminant et detruisant l’imperfection de tous les corps en faveur de toutes les creatures materielles. Ce sont les effects de la pierre terrestre en son char de gloire qui a fait tant de miracles sur les filles de Jesrusalem moins parfaittes que l’epouse, soit métaus, soit autres estres materiels, mesme pour la restauration de la santé des corps de tous mixtes.
3.11 Sortez dehors filles de Sion, et venés voir le roy Salomon, avec le diadesme dont sa mere l’a couronné le jour de ses nopces, le jour où son coeur a esté comblé de joie.
Les filles de Sion, forteresse de Jerusalem, peuvent estre prises pour les compagnes de l’epouse. Ce Salomon est l’epoux roy de la sagesse, dont le diadesme est formé de pierres precieuses que sa mere luy a fourny, pour l’en orner au jour de son union avec cette chere epouse, qui le comble de joie ; car elle fait toutte la satisfaction qu’il a de communiquer sa puissance et sa gloire.
La matiere se clarifiant et s’illuminant de plus en plus, fait briller ces pierreries de la couronne de Salomon, roy pacifique, ou de ce (Schelo-monis) dont nous avons parlé dans le tiltre.
4.01 Que vous estes belle, o mon amie, que vous estes belle ! Vos yeus sont comme ceus des colombes, sans ce qui est caché au dedans ; vos cheveux sont comme des troupeaus de chevres, qui sont montées sur les montagnes de Galaad.
Cecy est une description et un eloge de l’estat où l’epoux a porté l’epouse. Ces yeus de colombe se voient dans les trous des rochers et des pierres, ils y brillent ; mais il y a encor quelque chose dedans qui est caché, et meilleur que ce qui paroist.
Ces cheveüs sont ceus de la vierge pascalle, dont la blancheur surpasse ces soieries si fines, si blanches et si longues, des chevres qui paroissent d’ordinaire sur le mont Gallad, montagne si remplie de beaumes eccelents pour la guerison des maus.
4.02 Vos dents sont comme des troupeaus de brebis tondues, qui sont sorties du lavoir, et qui portent touttes un double fruict, sans qu’il y en ait de sterilles parmy elles.
Les dents commencent l’incision qio dispose à la solution et digestion des aliments. ( Dura comminuunt, ne vitalia incuriosa edacitate suffocent). Ces dents sont plus blanches que le lact par leur pureté, par laquelle on les compare à des brebis tondües, et sorties du lavoir, du baptesme qui les blanchit et depouille de toutte souillure ; ces dents preparent la nourriture pour les jeunes, en la machant pour leur faire mieus avaller.
Elles portent un double fruict, le fixe et le volatil, le blanc et le rouge, et chacune s’empreignant de ce qui luy convient, nulle d’entre elles n’est sterille. Les dents pressées et bien rangées servent à l’articulation des parolles, comme à la premiere digestion, et à l’agrement de la beauté ; ainsi elles indiquent la sagesse, la force et la bonne grace. Les lavant tous les matins d’eau, les larmes de penitence les rendent fecondes en vertus.
4.03 Vos levres sont comme une bandelette d’ecarlatte, et vos parolles sont agreables. Vos joües sont comme une partie de pomme de grenade, sans ce qui est caché au dedans.
Jamais les levres vermeilles ne sont plus agreables qu’apres nous avoir decouvert de belles dents. Il en sort des parolles agreables, et des joües ne furent jamais mieus parées que du coloris que la pudeur et la modestie leur inspire, accause de la pureté intérieure de celle qui les a telles.
(In cocco species ignis, et crucis sanguis irrutilat)
Rahab attacha à sa fenestre en Jerico une bandelette ou cordon d’escarlatte, pour signe de sa redemption. Dans le sens divin, c’est le sang de Jesus Christ. Mais dans le sens phisique, c’est le cercle capillaire et rouge qui succede à la blancheur, ou la teinture de la pierre terrestre. Et quant à ce qui est caché au dedans, vous scavez que la couleur de l’ecorce d’unne grenade est rougissante, et qu’elle renferme plusieurs grains encor plus brillants, mais surtout bien plus eccellents. Voilà ce qui est caché au dedans.
4.04 Vostre cou et comme la tour de David, qui est bastie avec des boulevars ; mille boucliers y sont suspendus, et touttes les armes des plus vaillants.
Le cou est le canal de communication de la teste aus autres membres, et par où la nourriture se distribue de la bouche à l’estomac et aus autres parties du corps. C’est la tour de David (homo fortis) destiné à porter le joug, à resister aus attaques ; c’est pourquoy elle est environnée d’armes spirituelles avec lesquelles se distribue l’esprit de vie à travers du cou, partie plus proche de la teste, et quy y unit le reste des membres.
La pierre, soit divine ou terrestre, est cette tour de David, où nostre epouse est en assurance contre l’insulte des ennemis, le refuge imprenable, le magasin des armes les plus fortes et le tresor des philosophes, aussy bien que des chretiens.
4.05 Vos deus mamelles sont comme deus petits jumeaus d’unne chevre, qui paissent parmy les lis.
Les interprettes du sens spirituel entendent par ces deus petits jumeaus d’unne chevre les juifs et les gentils, que l’epouse nourit egallement de ses mamelles, qu’ils interprettent aussy l’Ancien et le Nouveau Testament, d’où sort le laict avec lequel cette chevre (qui est l’eglise) les nourit de son double laict, qui est l’amour de Dieu et du prochain.
Les interprettes du sens phisique nous renvoient à l’emblesme d’Amalthée nourice de Jupiter, ou de la louve qui alaictta Remus et Romulus, et nous pourons dire que ces deus jumeau sont la pierre au blanc et la pierre au rouge, qui se nourissent du laict de ces deus mamelles, fixe et volatil, d’où sort ce laict de vierge plus blanc que les lis, qui durera jusques à ce que le jour commance à paroistre, par le lever du soleil, precedé de l’aurore, lequel soleil fera à la fin retirer les ombres.
4.06 Jusques à ce que le jour commance de paroistre, et que les ombres se retirent, j’yré à la montagne de la myrrhe, et à la coline de l’encens.
La montagne de la myrrhe est celle où se ceuille ce bouquet, à l’odeur duquel l’epouse couroit avec tant d’empressement, et la coline d’encens est moins hautte.
L’encens est pour encenser les dieus, la myrrhe pour embaumer les mortels ; l’un signifie la mort, qui est myrrhe, et les souffrances accause de son amertume, mais sa gomme est verte et rend les corps morts incorruptibles ; l’encens dont la vapeur s’éleve en haut indique la resurrection, laquelle doit estre faitte en estat incorruptible procuré par la mirrhe.
4.07 Vous estes toutte belle, o mon amie, et il n’y a point de tache en vous.
C’est donc apres la mort et la resurrection de l’epoux, qu’il a rendu son epouse toutte belle et sans teche, en s’unissant avec elle, laquelle a abandonné son propre corps pour n’en faire qu’un tout spiritueus avec l’epoux. Lequel a trouvé la mort dans cette union par la coagulation de laquelle il resuscitera glorieus en corps et en ame, etc.
4.08 Venéz du Liban mon epouse, venez du Liban ; venez, cous serés couronnée de la pointe du mont d’Amana, du haut des monts de Sanir, et d’Hermon, des cavernes des lions, des montagnes des leopards.
(Liban interpretatur candidatio). Liban signifie aussy un arbre qui porte l’encens masle et femelle. Thus dicitur libanum, c’est, dit on, l’oliban.
Par Liban est aussy entendu Jerusalem, toutte bastie de cedres qui estoient venus du temps de Salomon.
Par Hermon, montagne au dela du Jourdain (interpretée : lignum exaltatum) est entendu le ciel. Car par (Ros Hermon (anathema meroris), Tal, vagina divini nominis), accause de la parité de leurs nombres, est la grace fecondante envoiée du ciel, aussy bien que la pluie douce dont il est dit ( de rore caeli etc..)
Venez du Liban veut donc dire sortéz de Jerusalem sortés du corps, renoncés pour moy à vous mesme, quittéz la hauteur des montagnes, qui sont la retraitte des lions et des leopards. ( Leo Rubeus est in montium cavernis)... Et le leopard moucheté estoit attelé au char de Bacchus, pour le triner. Mais la vierge phisique doit quitter la demeure où ne peuvent habiter que des monstres tachéz, puisqu’il faut qu’elle soit purifiée et sans tache.
Salomon avoit une maison de plaisance pres de Jerusalem, dont la situation et les environs emitoient et estoient pratiquéz sur le modelle de la montagne du Liban, en racourcy comme nous voions le château de Madrit dans le bois de Boulogne proche de Paris. Et l’on nommoit ce lieu de plaisir de Salomon le parc du Liban. Il en est parlé dans le 3. livre des Roys, 7.
Au pied des cedres de Jerusalem estoient trois vives sources, qui composoient la fonteine du jardin de plaisance de Salomon, separées en triangle, et couloient par des canaus voutéz hauts de 2. toises et longs de 400. pas. Et ces eaus alloient tomber dans des piscines taillées sur le rox. Cette fonteine estoit scellée, et destinée pour la table de Salomon, comme l’eau de l’Hydaspe l’est à son imitation pour la table des roys de Perse. C’estoit au pied de ces piscines qu’estoient les jardins de delices de Salomon, ferméz de trois montagnes, à l’orient, au septentrion, et au midy, desquels costéz elles les entouroient, et ces frands bassins de pierre à l’occident leur ont donné le nom.
4.09 Vous avéz blessé mon coeur, ma seur mon epouse, vous avés blessé mon coeur par l’un de vos yeux, et par un cheveu de vostre cou.
Cet epoux voiant son image qu’il a mise dans cette epouse, qui la fait briller comme dans un miroir net, ou unne eau pure, en est charmé. Son coeur se trouve blessé de l’un des yeus de son epouse, de cet oeil de colombe, car elle est encor voillée en partie, comme les nouvelles épouses des pays orientaus quand on les marioit, ou si elle ne l’est plus, ces deus yeus n’en font qu’un, elle est pour luy tout oeil, ou n’a d’oeil que pour luy.
L’hebreu au lieu de cheveu, dit collier. Mais quoy que ce soit, l’epouse en cest estat de lucidité n’a pas bien de la peine à lier son epoux, le moindre cheveu suffit pour cela, et le moindre ornement de son cou charme et le retient aupres d’elle.
4.10 Que vos mamelles sont belles ma seur, mon epouse, vos mamelles sont plus belles que le vin, et l’odeur de vos parfums passe celle de tous les aromats.
Apres l’union de l’epoux avec l’epouse, elle acquiert touttes ses perfections, puisqu’il les luy a communiquées, et que tous deus ne sont plus qu’un. Ainsi les mamelles de l’epouse sont devenües comme estoient au commencement celles de l’epoux, plus belles que le vin, qui est d’usage pour les parfaits avancéz en aage, au lieu que le laict n’est que pour les jeunes encor foibles.
Elles est seur aussi bien qu’epouse, car l’epoux et l’epouse sont deus substances de mesme racine (comme dit Trevisan) et son encor frere et seur de la mesme regeneration, faitte par l’eau et le feu.
L’on les peut aussy regarder comme sortis tous deus du mercure philosophique ou rebis matiere premiere des philosophes, qui par leur reunion deviennent inseparables soit dans le volatil ou le fixe, le liquide ou le sec, etc.
4.11 Vos levres, o epouse, sont un raion qui distille le miel ; le miel et le laict sont sous vostre langue et l’odeur de vos vestements est comme l’odeur de l’encens.
Comme l’epouse n’a d’autre esprit que celuy de l’epoux, rien ne sort d’elle qu’il ne luy ressemble, et le miel n’est pas plus dous que la doctrine de la sagesse, dont cette epouse instruit alors le philosophe. Car il ne faut pas qu’elle se communique ny aus fous, qui la meprisoient, ny aus mechants, qui en feroient mauvais usage. Car le peché est une racine amere, qui empeche de gouster la douceur de la verité. La lettre est comme la cire qui renferme l’esprit, qui est le miel qui y est caché. Le philosophe l’a ceuilly sur les fleurs, l’a caché dans les raions de ses expressions, et le vray disciple l’en tire pour s’en nourrir, et le trouve dous quand il l’a tiré. Ce laict et ce miel sont sous leur langue, et les vrais scavants sont toujours prets de le distribuer, ou l’un ou l’autre, suivant la portée de ceus qui en peuvent et veullent gouster, et le discernement de l’epouse qui le distribue.
L’epoux celeste est luy mesme le vestement de l’epouse, elle en est revestue, et conserve ce vestement de peur de paroistre nüe, et que l’on ne voie sa honte. C’est cette robbe nuptialle, sans laquelle on ne peut plaire à l’epoux ; voilà pourquoy les vestements de l’epouse sont comme l’odeur de l’encens, qui designe l’epoux mesme, tout celeste et tout divin, ( Ruach Elohim, vapor divinae potentiae), comme la vapeur du monde en sont touttes les vantéz et chimeres voluptueuses alliciantes qui brouissent la vigne delicatte de la nature humaine.
4.12 Ma seur mon epouse est un jardin fermé, et une fontaine scellée.
La fonteine des eaus destinées pour le temple estoit sellée du sceau roial de Salomon ; son trop plein estoit receu dans les reservoirs nomméz piscines, affin de servir à aroser le jardin fermé de murs au fond de la vallée, dont Salomon s’estoit fait un lieu de plaisir.
La Virginité est un jardin rempli de fruicts d’eccellente odeur ; il est fermé, car la chasteté luy sert de mur ; c’est une fonteine scellée, source de pureté, scellée d’intégrité, et l’image de Dieu reluit dans l’eau de cette fonteine. Ce jardin est environné de l’esprit qui le met en sureté : il doit estre fermé à toutte chose estrangere, n’estant destiné que pour le seul epoux, et les plaisirs spirituels du vray Salomon roy de la sagesse. Une fonteine scellée du sceau de l’epoux, dont touttes les eaus sont destinées pour le temple, et pour celuy dont elle porte le caractere ( cuius est imago, et cuius imagine sigillata).
L’ancienne vigne que le seigneur transporta d’Egipte, fur pillée et detruitte par ceus qui passoient quand sa muraille fut detruitte, et le sanglier de la forest la ruina, comme celuy de Mars tua Adonis, et la beste sauvage la devora. Mais l’epoux environne celle cy, et tient cette fonteine scellée, parce que ses eaus ne sont aque pour ceus qui en sont dignes. Cette eau desaltère pour jamais ceus qui en boivent.
Dans ce verset est exprimé le sceau de d’Hermes, ( quo sol vel ignis mctiones, quatuor in hyeme, et tres in vere).
4.13 Vos productions sont un paradis de pommes de grenade, avec des fruicts de pommier, de cypre avec le nard.
La grenade armée de piquants et de pointes, sous une écorce dure et amere, porte des fruicts rouges, et rengéz à plaisir, qui sous la mesme envelope qui les retient, profittent et se fortifient en charité ardente. Ils s’entre soutiennent, et font l’ornement de leur fruict.
Nous avons desja parlé du cypri : il est, dit on, chaud et parfumé, et l’huille qui s’en tire a cette mesme qualité.
4.14 Le nard et le safran, la canne et le cinamome, avec tous les arbres du Liban, aussy bien que la myrrhe et l’aloes, et tous les parfums les plus eccellents.
Le nard est chaud et salutaire. Le safran est rafraichissant, et dispose à la joie, en dilatant le coeur. Le cinamome, dit on, refroidit l’eau bouillante, et fait mourir toutte vermine engendrée de corruption, et l’on luy donne encor cette propriété, qu’estant mis en la bouche d’unne personne dormante, elle fait qu’il repond sans s’eveiller aus demandes que l’on luy fait. La canelle est d’odeur charmante.
Le tabernacle fut frotté de deus parfums par ordre de Moïse.
L’aloes, dit (officinarum), dont on tire la gomme purgative, rend la santé, et fortifie l’estomac. Mais le bois d’aloes appelé ( agallocum), est d’unne odeur charmante, plus que le santal citrin, ny le bois de calembour, et son infusion et et sa teinture plus medicinalle et salutaire. Et je ne doutte point que sa gomme ou son beaume (car ce bois est resineus et huilleus) ne fust cet aloés precieus dont Joseph d’Arimatie avoit provision pour embeaumer le corps de Jesus Christ.
Enfin tous ces aromates et beaumes precieus sont pour designer l’incorruptibilité salutaire et agreable du sujet porté à l’estat qu’il vient d’estre decrit.
4.15 La fonteine des jardins et le puids des eaus vivantes, qui coullent avec impetuosité du Liban
Il y avoit effectivement des sources abondantes et rapides qui sortoient du mont Liban. Le fleuve Oronthe en sortoit dont il est dit :
Aut quid Oronthea crines perfundere myrrha
Un fleuve rejouit la Cité de Dieu par l’abondance de ses eaus. Ce sont les eaus des fonteines du Sauveur, selon Isaie, desquelles cette pierre celeste dit ( si qualqu’un a soif qu’il vienne à moy, et qu’il boive), soit aus puids au font duquel la vérité estoit cachée du temps d’Heraclite, soit à la fonteine dont l’eau vive rejaillit dans la vie eternelle. C’est cette eau qui tire des roches les plus dures des enfants d’Abraham, en les amollissant. N’abandonons donc jamais cette pierre angulaire, d’où sort cette fonteine d’eau vive, et l’eau est la misericorde qui lave, et l’huille la divinité qui est efficace.
4.16 Levés vous Aquilon, et venez vent du midy (auster) ; soufflés de touttes pars dans mon jardin, et que les parfums en decoulent.
Le vent Aquilon est froid, il durcit et reserre. Celuy de midy est chaud, il dilatte et liquefie. C’est ce souffle de l’esprit ardant qui est icy necessaire, pour faire decouler les parfums de l’épouse, en amolissant la dureté dont Aquilon la reserroit.
Le vent du Seigneur soufflera, dit le prophete roy, et les eaus couleront. C’est là l’ancien langage qui n’est plus de saison, car l’ancien fleuve n’estoit que d’eaus ; celuy cy est de parfums, que l’esprit ardant fait couler par son soufle.
Nous avons averti d’abord qu’en ce verset est indiqué le regime du feu, aussy bien que dans le verset 7ème du 2ème chapitre.
Le vent du nord s’accorde icy avec celuy du midy, en faveur de l’epouse, et les cavernes des lions avoient esté changéees en colines fleuries.
Chacun de ces vents porte l’agréable odeur de l’epouse de costéz differents, pour attirer l’epoux.
5.01 L’épouse :
Que mon bien aimé vienne dans son jardin, et qu’il mange du fruict de ses arbres.
Nous avons desja dit, et nous protestons encor, que nous ne voulons en rien deroger au sentiment des Peres de l’Eglise, dont nous sommes membre par la grace de Jesus Christ. Ainsi nous croions au sens spirituel qu’ils ont donné à ce cantique, nous l’admirons et en sommes penetréz, et prions le Seigneur que nous en puissions dignement profiter, conformement à l’intention de ceus ausquels le Saint Esprit en a revelé la decouverte. Mais cela n’empesche pas que nous ne soions persuadéz que sous ces mesmes expressions saintes et misterieuses, le secret de la medecine universelle, ou pierre des philosophes, ne se trouve aussy caché, et que l’on ne l’y puisse rechercher et decouvrir. Sur quoy j’en fais juge les adeptes, qui seuls peuvent porter là dessus un jugement éclairé et decisif.
Ce chapitre, qui semble indiquer une nouvelle imbibition, ne doit pas vous surprendre par se repetitions, puisque ce n’est qu’une reiteration de la premiere operation, et cette description reiterée des songes et visions, qui sont descrittes comme presentes, peuvent bien n’estre qu’un avertissement de ce que l’on doit voir, et un guide de la voie et du procedé que l’on doit suivre et tenir.
L’epoux est indiqué icy à juste tiltre pour le maistre de ce jardin, puisque c’est luy qui luy a donné l’estre, et que ces arbres ne fructifient que par arosement.
5.01 L’epoux :
Je suis venu dans mon jardin, ma seur mon epouse ; j’ay receuilly ma myrrhe avec mes parfums ; j’ay mangé le raion avec le miel. J’ay beu mon vin avec le laict. Mangéz mes amis et buvez, enivrés vous, vous estes mes tres chers.
Nous avons parlé ailleurs du progres de la culture de la vigne, et de son usage. Le Seigneur l’a crée, c’est à dire plantée. Cette vigne donnée de Dieu a ses seps, qui doivent porter fruict, et le soin que l’on y aporte fait qu’elle fructifie plus ou moins. Il ne s’agit pas seulement, comme nous en avons estés avertis, de la tailler pour en retrancher le superflu ; il faut apres cela la preserver du froid, lorsquelle commance à fleurir, car c’est une plante fort susceptible de la gelée. Mais apres tous ces soins, affin que son fruict se nourisse, il la faut arouser, car la chaleur et l’humidité sans gelée est ce qui luy convient davantage. Quand ce fruict est venu, grossy et meuri à souhait, il s’agit de le ceuillir, de le moisonner, et puis l’aiant mis au pressoir, de le cuver, et en faire d’eccellent vin, dont on use dans son temps.
Le vin est la sagesse des choses inferieures, ce qui fait dire à Salomon dans l’Ecclesiaste ( Cogitavi in corde meo abstrahere a vino carnem mean ut animum meum tranferrem ad sapientiam divinam de qua dicitur ab initio meliora sunt ubera tua vino). J’ay songé dans mon coeur de retirer ma chair du vin, affin de transfer mon esprit, ma pensée, à la sagesse divine, dont il est dit des le commancement de ce cantique, (tes mamelles sont meilleures que le vin). Le laict est le commancement de la sagesse, de la meilleure partie duquel se fait le beurre, dont on ne gouste point qu’apres la mort du baiser. C’est pouquoy elle a dit donne moy un baiser de ta bouche, car le vin qui se tire d’un vegetal, ou d’une plante vaut moins que le laict qui nous est fourny par un animal, d’un genre plus noble. Le vin enyvre, et le laict ne le fait pas, mais il insinue un sommeil tranquille, quoyqu’ils nourissent tous deus. Le vin pur ne se corrompt pas aisement ; mais le laict hors des mamelles, de mesmes que le sang hors des veines, se corrompt, si on ne le pressure et le bat, et que l’on ne le cuise avec le feu de la charité. Mais il est dit : acheptés du vin et du laict, mais sans les changer, ny mesler, parce qu’ils se corrompent quand ils sont meléz ensemble. Ce qui a fait dire à Salomon ( J’ay bu mon vin avec mon laict, et il ne m’en a pas bien pris). Celuy donc qui veut atteindre à la supreme sagesse, doit se depouiller necessairement de la sagesse des choses inferieures.
5.01 L’epoux :
Je suis venu dans mon jardin, ma seur mon epouse ; j’ay receuilly ma myrrhe avec mes parfums ; j’ay mangé le raion avec le miel. J’ay beu mon vin avec le maict. Mangéz mes amis et buvez, enivrés vous, vous estes mes tres chers. Suite...
J’avoüe qu’il ne les faut point confondre ensemble ; mais comme touttes deus sont bonnes, quand elles ne sont point meslées ny confondües, il est important de les distinguer dans ce Cantique des cantiques, et de les demesler, pour les appliquer chacune à leur usage. Ne nous figurons donc pas que sous l’expression de l’une n’ait esté entendue que l’autre, et que sous les regles de la divine n’ait esté donnée que la temporelle et la terrestre ; mais ne les separons pas non plus de maniere que nous voulions que sous la mesme expression qui marque la divine et spirituelle, la temporelle soit absolument suprimée, puisqu’il est dit que chacun à part a son eccellence et son utilité.
Cela supposé, je ne pretends nullement comme je l’ay desja dit plus d’unne fois, lorsque je fais attention, et que j’interprette phisiquement l’expression misterieuse de l’Ecriture sainte, et que j’en fais application à la science temporelle, diminuer en rien, ny donner atteinte en aucunne façon à la spirituelle et divine, que je revere comme principe de l’autre, de mesme que Dieu est auteur de la nature qu’il a crée, laquelle ne fait qu’executer ses divines volontéz sur les creatures qui luy sont soumises.
Entrons donc en matiere sans scandale et sans scrupule, et disons que l’epoux invite d’entrer dans son jardin qu’il a rendu fecond, lequel jardin est son epouse mesme, à laquelle il ne peut ny ne doit rien refuser. Dors en avant, il luy rend compte de ce qu’il a fait.
(J’ay receuilly ma myrrhe, avec mes parfums). Ma myrrhe marque les soufrances par son amertume, et la mort par l’usage auquel on l’emploioit pour embaumer les corps morts, et les empescher de se corrompre. Nous avons dit que l’arbre qui porte cette gomme est un arbrisseau rempli d’epines ; les feuilles rudes aussy bien que l’ecorce ressembles à celles de l’orme, et la seve qui en distille (surtout des jeunes sans incision) est ce beaume precieus, auquel on donnoit le nom de stacté, qu’il porte encor, mais qu’il est maintenant difficille de recouvrer en cet estat, dans lequel les anciens le disoient estre verd ; mais à present on n’en voit plus qu’en gomme assez dure, où il se voit des veines blanches, qui la font nommer onglée, le reste estant jaune tirant sur le roux.
5.01 L’epoux :
Je suis venu dans mon jardin, ma seur mon epouse ; j’ay receuilly ma myrrhe avec mes parfums ; j’ay mangé le raion avec le miel. J’ay beu mon vin avec le maict. Mangéz mes amis et buvez, enivrés vous, vous estes mes tres chers. Fin du verset.
Quant à l’encens, quelques uns pretendent que le storax est l’encens des Juifs, rouge et de fort agreable odeur, gomme qui distille de l’écorce d’un arbre qui a les feuilles comme le coignier, un peu plus petittes, et les fruicts comme des avelines. D’autres disent que l’encens est ce qui sort de l’arbuste nommé oliban , le vray (Libanum) du mont Liban, dont nous avons parlé ; que l’on a toujours cru, et que l’on croit encor si fort destiné pour encenser les dieus, que l’oon dit mesme encor qu’il n’y a que ceus de famille et de reputation sainte qui soient emploiéz aujourduy à le receuillir, en grosses larmes blanches, qui s’écoulent des incisions qu’ils font à cet arbre, dont les feuilles entassées en touffes au bout des branches, et longues, n’ont garde de ressembler à celles du storax, duquel la gomme est rouge, comme nous l’avons dit.
Cet encens destiné à encenser les dieus, de quelque arbre qu’il soit produit, signifie la spiritualité et la divinité, à laquelle il est destiné, parce que sa vapeur s’éleve par le feu, et Pline dit que ces deus odeurs de la myrrhe et de l’encens ne se sentent point que par l’action du feu quand il brule.
Ainsi donc l’epoux qui dit à son epouse qu’il a moisonné sa myrrhe avec ses aromates, peut luy faire entendre qu’il est mort et resuscité dans l’oeuvre philosophique, c’est à dire qu’il est sublimé et sorti de la putrefaction philosophique.
Quant à ce qu’il dit, qu’il a mangé le raion avec le miel, et bu son vin avec son laict, ce miel que nous avons dit ailleurs signifier en latin par ce terme (MEL) ( (M)ercurius (E)lementorum (L)igamen, accause des trois premieres lettres de ces trois mots), nous en avons dit la raison autre part et nous nous contenterons de repeter icy, que les cabalistes l’interpretoient pour le simbole de la douceur et de la suavité du goust, dont il est dit que cette terre de promission estoit decoulante aussi bien que de laict. Laquelle terre est celle nommée ( jebi) par daniel ( gloriosa, inclita, fortitudinis vel jucunda par d’autres) et que le Seigneur certifie estre plus fertille que celle s’Egipte, moins étendue et plus montueuse ou pleine de roches apres et rudes que les autres, mais plus agreable, plus favorisée de l’influence celeste, où le Sauveur a esté conceu, est né, a esté elevé pendant son jeune aage, a fait tous ses miracles, a souffert, et est resuscité, et d’où il a tiré le miel et le laict, dont il a repû les siens, et leur en a fourny une sasses grande abondance, poue le communiquer à toute creature. Le laict est pour la nourriture et le miel pour la delectation.
Ce melange de vin et de laict, que l’epoux nous dit avoir faict en buvant l’un et l’autre, m’autorise à soutenir que j’ay raison de rechercher dans les Ecritures saintes, et surtout dans le Cantique des cantiques, l’une et l’autre sagesse, exprimées sous ces deus liqueurs dont il veut faire gouster à ses amis, et enyvrer ses tres chers.
5.02 L’épouse :
Je dors et mon corps veille, j’entends la voix de mon bien aimé qui frappe.
L’epoux :
Ouvrés moy, ma seur, mon amie, ma colombe, vous estes sans tache, parce que ma teste est pleine de rosée et mes cheveus de gouttes d’eau des nuicts.
Le corps de l’epouse semble reposer, mais le coeur de son centre brule d’ardeur, ce qui la rend si appetente et empressée. C’est là son attention pour son epoux, qui la fait veiller.
L’epoux n’a pas moins d’empressement de la rafraischir, que son ardeur luy donne d’empressement pour l’estre. Il dit donc à celle qui est sa seur, comme nous l’avons expliqué, à son amie, car ils sont unis d’affection et de simpathie (comme l’aiman et l’acier), pour faire le mesme oeuvre à sa colombe, qu’il a rendüe si pure et si nette : Ouvrés moy, voicy de quoy vous desalterer dans l’ardeur qui vous enflame, ma teste ma partie spiritueuse vous aporte une abondante rosée, je l’ay ceuillie pour vous, et l’empressement que j’ay de vous rejoindre, fait que je n’ay pas attendu le jour. Ma teste est pleine de gouttes d’eau, c’est la sueur des souffrances qui la cause. Ces souffrances viennent de ce que je ne puis rester avec vous, et m’y unir autant que je le voudrois. Ces gouttes d’eau vous seront salutaires, et cette rosée est une rosée de lumière, qui tombant sur la secheresse de vostre terre en dissipera les tenebres, et en vous rafraichissant elle vous illuminera. Ces gouttes viennent gratuitement du ciel, incompréhensibles dans leur principe et dans leur effect.
5.03 L’epouse :
Je me suis depouillée de ma robe, comment la revestirés je ? J’ay lavé mes pieds, comment pourés je les ressalir ?
La matiere dessechée et blanchie par la premiere visite de l’esprit, semble avoir de la peine à se resoudre de retourner par la premiere visite de l’esprit, semble avoir de la peine à se resoudre de retourner en ce premier estat de dissolution et souillure, d’où s’estoit ensuivie cette premiere putrefaction, du bourbier de laquelle eslle estoit sortie, et elle aprehende dans cette seconde visite de retomber dans une pareille defaillance que la premiere, où ayant perdu et s’estant trouvée toutte separée de son ancien corps, et connu l’avantage d’en estre sortie et separée, elle a peine à laisser obscurcir de nouveau cette lumiere, cette blancheur, dont elle avoit paru si charmante à son epoux.
Elle avoit lavé ses pieds dans le premier bain de la renovation, ce premier bain l’avoit aidé à se tirer du bourbier fangeus, ou sa prison la retenoit captive, et l’avoit epurée.
Les pieds sont l’attache et l’affection aus choses basses et terrestres, ils sont lavéz dans le baptesme, et dans les larmes de la penitence.
5.04 Mon bien aimé passa sa main par l’ouverture, et mon ventre tressaillit à son toucher.
La main est le simbole du travail et de l’operation. Elle l’est aussy de la puissance. ( Manus Dei est spiritus Dei, per quem tanquam per artificem omnia opera operantur). La main de Dieu est son esprit, par leqel touttes choses sont operé spiritueusement en elle, et rendit son epouse toutte ébranlée par l’émotion que cette operation luy causa dans son ventre et le plus profond de ses entrailles et de son centre, et jusques dans ses plus intimes parties ( per minima).
Vette emotion si intime pouvait aussy venir, comme nous l’avons desja touché, de l’idée d’unne nouvelle separation d’avec ce corps spiritualisé qu’elle avoit acquis et qui luy restoit seul, et qu’elle tenoit de cet epoux, en la place su souillé qu’elle avoit depouillé, la premiere foix qu’elle s’estoit evanouïe.
Et cette ouverture où l’epoux avoit passé sa main, peut indiquer ou celle du vase naturel, c’est à dire de la matiere et du sujet purifié, ou celle du vase artificiel, c’est à dire le col du matras ou oeuf philosophique, ( collum vasis).
Pour mieus entendre la metaphore ou allegorie de tout ce chapitre, qui a esté composé, aussy bien que le reste de ce cantique, par rapport à l’usage des pays orientaus, il faut scavoir, que les cours des maisons des villes de ces pays, donnent sur les rues, et que ces cours sont situées entre la rue et la maison manable, où l’on couche. L’on entre par dedans, mais que l’on peut ouvrir aisement quand on est dans la rue, en passant sa main par un trou fait expres à la porte et toujours ouvert. La nuict cette porte se ferme avec quelque autre machine ou verrou, hors de portée de ce trou, en sorte qu’il n’y a que ceus qui sont dans la cour qui puissent debarasser cette porte de la cour, qui donne sur la rue. Ces rues et ces cours sont ordinairement fort salles, pleines de poussiere dans la secheresse, et de boües dans le temps humide. La maison ou l’on couche, et où l’on se rend apres avoir traversé la cour, a sa cloture particuliere, pour la sureté de ceus qui y logent. Cela supposé, passons au verset suivant.
5.05 Je me leve pour ouvrir à mon bien aimé, mes mains estoient touttes degoutantes de myrrhe, et mes doits estoient pleins de la myrrhe la plus précieuse.
La vierge terrestre, nostre epouse phisique, si susceptible aus parfums volatils de la main de son epoux, se leve pour luy aller ouvrir, et le recevoir ; et l’effect de l’attouchement de la main de son epoux, sur ce trou de la porte de la rüe, fut si subit, que les mains de l’epouse, qui designent son opération, sa vertu, sa puissance passive, en furent toutte degoutantes de myrrhe, et ses doits, qui denottent jusques aus moindres parties les plus tenües de ses operations passives, estoient pleines de la myrrhe la plus precieuse, dont estoit, embeaumé son epoux si spiritueus et si volatil, lequel avoit passé sa main par le trou de la premiere porte de la rüe, croiant peutestre qu’elle n’estoit fermée que du verrou du jour. La volatilité de cet epoux estoit si subtille et penetrante à ce retour, si odorante, si subtille, si spiritualisée et si penetrante, que son epouse en ressentit aussitost l’effect. Cette epouse scellée hermetiquement ne pouvoir qu’entendre la voix de son epoux, lequel ne la pouvoit joindre et la visiter que ce sceau ne fust levé, et qu’elle ne sortist elle mesme de la chambre où elle estoit renfermée. Mais cet epoux n’eut pas plustot touché le verrou et passé sa main par l’ouverture de la premiere porte, qui est le vase artificiel, ou du verre scellé hermetiquement, qu’il disparut et s’envola, ce qui fait dire à l’epouse ce qui est dans le verset suivant.
5.06 J’ouvris le verrou de ma porte à mon bien aimé, mais il avoit desja passé ailleurs, et s’estoit retiré. Mon ame sortoit comme fondue au son de sa voix, je le cherché, et je ne le trouvé point, je l’appelé, et il ne me repondit pas.
Il semble qu’il faille icy supposer deus portes closes, l’unne de la rüe, qui sera la cloture du vase artificiel, et l’autre de la chambre où l’epouse estoit couché, dont le verrou est le sceau naturel des vases de la nature. Il est à présent aisé de comprendre ce que l’epouse vouloit dire : J’ay lavé mes pieds, comment vous pourés je aller ouvrir, à travers la cour, la porte de la rüe, sans les sallir de nouveau ? Cependant l’epoux avoit passé sa main à travers le trou de cette porte de la rüe, et soit qu’il l’eust ouverte et qu’il fust entré dans la cour, ou qu’il n’eust fait que passer sa main par le trou de la porte de dehors, son odeur spiritueuse avoit si fort embeaumé soit la cour, soit le verrou et le trou de la premiere porte, laquelle l’epouse alla pour ouvrir apres avoir ouvert celle de sa chambre, que ses mains en furent touttes penetrées et embeaumées et ses doits en devinrent tous degouttans de myrrhe, c’est à dire qu’elle en fut toutte penetrée et dissoute.
Mais l’epouse ne trouva plus son epoux, il avoit desja passé outre ; elle eut beau l’appeler, il ne luy repondit pas.
La matiere aiant esté subitement imbibée de cette onction, l’esprit ou l’humidité s’evanouit, et ne paroist pas davantage, et monte au ciel etc...
Le mot qui est interpretté myrrhe est ( heber) en hebreu, (myrrha transiens), en françois bonne ou passable ; dans le spirituel elle est prise pour l’aumosne.
5.07 Les gardes qui font le tour de la ville m’ont rencontrée, ils m’ont frappée et blessée. Ceus qui gardent les murailles m’ont osté mon manteau.
Il semble qu’il y ait icy de la difference entre les premiers gardes, que nostre epouse avoit rencontrés, qui ne connoissoient pas son epoux, et ces derniers qui ne sont pas sentinelles et stables comme les premiers, mais fluides et ambulants comme la patrouille. Et cela se remarque parce que ceus cy sont dits faire le tour de la ville, designant les parties acqueuses et dissolvantes, comme il paroist par le mauvais traittement que nostre epouse en reçoit.
Nostre epouse vierge abandonne donc encor une fois son lict où elle reposoit, et sa chambre, pour la recherche de son epoux. Car la voix de son epoux l’enflame de nouveau, et luy fait abandonner le lieu où elle estoit en sureté, pour le joindre au péril de sa propre personne.
Dans cette recherche elle est maltraitée, blessée. La solution de continuité est mise en oeuvre par ceus qui font le tour de la ville, et ceus qui gardent les murailles luy ostent son manteau, sa mante, en un mot la depouillent. Examinons la nature de ceus qui gardent la ville. Vulcain est le garde exterieur. Le feu philosophique ou fumier est le garde qui fait la ronde. Et pourquoy ne mettrons nous pas du nombre de ces gardes le mage, le sage philosophe, le grand prestre de la nature, qui meurt d’envie de voir la Diane nue, cette vierge dans toutte sa grace et son agrement naturel ? Mais cette pudique vierge ne luy en scait point mauvais gré, elle ne s’en plaint point, car elle scait bien que ce n’est que pour que sa pureté et sa beauté esclattent davantage. C’est pourquoy elle dit ce que vous allés lire dans le verset suivant.
5.08 Je vous conjure, o filles de Jerusalem, si vous trouvéz mon bien aimé de luy dire que je languis d’amour.
Voilà le mesme langage que dans la premiere dissolution. Nostre epouse nostre vierge,tend de touttes ses forces à trouver son epoux, et le desir qu’elle a de s’unir avec luy la fait tomber en langeur. Mais cette langueur mesme produit en elle un acroissement de perfection, elle se fond et se dissout blessée dans le coeur depouillée de toutte chose, elle prie toute ce qu’elle rencontre de luy aider à trouver ce qu’elle aime.
Les compagnes.
5.09 Quel est vostre bien aimé entre tous les bien aimés, o la plus belle d’entre touttes les femmes ? Quel est vostre bien aimé entre tous les autres, au sujet duquel vous nous avez ainsi conjurés ?
L’on peut dire de la pierre terrestre comme de la celeste, au sujet de l’epoux, ce que saint Jean a dit au sujet de l’epoux de l’église, que la lumiere aiant luy dans les tenebres, ces tenebres ne l’avoient néanmoins pas comprise ; qu’estant venu ches luy, les siens avoient refusé de le recevoir. Ce sont ceus qui font profession de scavants, ausquels seuls la decouverte de cette lumiere convient, qui la voiant briller à leurs yeus, ne la veulent pas admettre. Ils dressent un autel au Dieu inconnu, et cependant ils traittent de doctrine nouvelle et inconnue celle qui le leur fait connoistre. D’autres s’en moquent et tres peu y croient, car ils sont presque tous sourds à un tel langage, et l’on peut dire que celuy qui fait touttes les delices de la nature sa mere et de son epouse, leur est inconnu à ce portrait que l’epouse leur en a fait. L’or est le dieu des avares, ils n’en connoissent point d’autre, bien loin de connoistre l’or philosophique sous une ville apparence. La fortune est le dieu des ambitieus, bien loin de s’abaisser à la simplicité de la nature, et au mistere ineffable de la lumiere, lorsqu’elle s’unit avec la matiere ; par laquelle union cette pierre benitte renferme toutte la gloire et la puissance de la nature, avec touttes les inactions apparentes de la matiere.
(Decet ut plene noveris quem diligis, atque orare in eo et spiritualitates celestis, et assumptae misterium incorporationis agnoscas.) C’est ce que l’epouse entreprend de faire par les parolles du verset suivant.
L’epouse
5.10 Mon bien aimé blanc et rouge est choisy entre mille.
L’epouse met icy la blancheur devant la rougeur. La blancheur indique l’origine celeste et lumineuse de l’epoux, et la rougeur ce qu’il a pris de la terre rouge adamique, à laquelle il s’est uny [I] (adam enim rufus)[/I] et c’est pouquoy quelqu’un a donné le nom de bol rouge au sujet philosophique. Et cette rougeur vient à cet epoux d’avoir foulé le vin de la grappe philosophique, tout seul, sans aucun secours étranger. Et ce jus de la grappe n’a rejailly que sur sa robe, sa terrestreité, car de sa nature il est tout lumineus, et la lumiere mesme.
Il a esté choisy entre mille, car cet agent estant le premier de touttes les creatures (primum creatum), il a esté élevé au dessus de touttes, et l’on peut appliquer à ce serviteur de la nature, cet agent du Seigneur, ce que dit Isaie, cap. 42 : ( Voicy mon serviteur, voicy mon eleu, je reprendré mon esprit sur luy, et il rendra justice aus nations), c’est à dire il jugera les autres creatures materielles ausquelles ne s’estant point meslé (car c’est un estre indeterminé), il est sans tache, et sauve et perfectionne les autres estres materiels par son sang et sa teinture.
5.11 Sa teste est en or tres bon ; sa chevelure est comme la teste des palmiers, noire comme le corbeau.
La teste est ce dont depend tout le reste du corps, cette teste influe dans tout le reste, elle est un or philosophique, pur, vif, incombustible. C’est pourquoy en rapelant icy la prudence de ce serpent phisique, ( etiam si omnia membra cecantur, totum uratur corpus incendiis, mergatur profundo, evisceretur a bestiis, hoc tamen capite custodito, vita integra, tuta, est salus.)
Les cheveus et les yeus noirs font en Orient le plus bel ornement d’unne teste, dont le visage est blanc et vermeil ; mais icy ils sont regardés comme les branches, touffues d’un palmier, dont la teste qui les porte est la partie la plus hautte, et la chevelure de ses branches au dessus s’elevant vers le ciel, figure cet Adam, cet homme philosophique, nommé par les sages ( arbor inversa), arbre renversé, dont les racines firent la nourriture de l’air, et l’air luy communique celle qu’il luy aporte du ciel, en quoy consiste toutte sa force et sa vigueur, qu’il puisse, et qui reside dans ses cheveus, comme dans ceus du rouge Samson.
Cette noirceur de ses cheveus, comme nous avons fait entendre ailleurs, est l’humidité qui cache la lumière, et luy fait ombre, designée par le corbeau qui par son cry annonce la pluie. Car cette chevelure de palmier est susceptible de la rosée, dont les cheveus de l’epoux qui demandoit à son epouse de luy ouvrir sa porte estoient tous mouillés. Cette rosée fait fructifier cet arbre renversé dont les racines sont devenues les cheveus noirs, comme le corbeau, dont neanmoins les philosophes veullent que l’on couppe la teste en le blanchissant.
Le corbeau selon la theologie des Hebreus, est du nombre des oiseaus les plus considerables, ( a mensura roboris excelsi proviens, unde Psalm. 146 et Evangelio deus dicitur pascere pullos corvorum invocantes eum). Voiéz ce que nous avons dit du corbeau dans nos autres ouvrages.
5.12 Ses yeus sont comme les colombes sur l’eau des ruisseaus, qui ont esté lavées dans le laict, et qui se tiennent le long d’un grand courant d’eaus.
Les colombes, dit on, ont des yeus plus vifs pres des eaus, où elles paroissent plus belles parce qu’elles s’y lavent souvent, et accause de la reflexion de la lumière que l’eau fait jaillir sur elles, en sorte que vous diriéz que leur blancheur a esté lavée dans le laict. Tout cela veut nous exprimer des yeus clairs, vifs et cristalins comme les eaus, et dous comme le laict.
La colombe de Noé revint dans l’arche avec le rameau d’olivier pour la marque de la reconciliation de Dieu avec les hommes, lorsque les eaus commancerent à se diminuer de dessus la terre. David demande des ailles de colombe pour s’envoler en lieu pacifique. La colombe dans Isaie gemit en attendant du secours. Les colombes furent le prix par lequel fut rachepté celuy qui venoit sauver l’univers, et le Saont Esprit sous figure de colombe se reposa sur le Seigneur sauveur sortant des eaus du jourdain, où saint Jean venoit de le baptiser.
Il ne faut pas s’etonner si les yeus de l’epouse aiant esté comparéz à une colombe, ceus de l’epoux le sont aussy, puisqu’ils ne sont plus qu’un.
Les eaus celestes et le laict spirituel sont les deus yeus de l’epoux, par lesquels il examine et penetre le coeur de l’epouse, qu’il regarde favorablement, en la tirant de la prison de sa corporeité.
Les colombes se tiennent pres des eaus pour voir dans elles l’ombre des oiseaus de proie qui pouroient leur nuire, et elles s’y plongent pour eviter l’insulte. ( Serpentes semini faemineo insidiantis).
Le Laict seul de touttes les liqueurs ne represente aucunne image par reflexion, il ne reçoit aucunne impression des corps étrangers, ny n’est susceptible d’aucunne tache. Tel est l’oeil de l’epouse, qui se tient pres des eaus, pour porter fruict par leur arousement.
Des le commancement de la creation, il est dit que l’esprit de Dieu couvoit les eaus, du laict, à l’exemple de l’oiseau qui anime ses oeufs par la chaleur en les couvant, pour en produire des creatures renouvelées par l’eau et l’esprit igné qui leur amolit le coeur.
5.13 Ses joües sont comme de petits partterres de plantes aromatiques, qui ont esté plantées par les parfumeurs, ses levres sont comme des lys, qui distillent la pure myrrhe.
Le coloris des joües exprime ordinairement la secrette disposition du coeur. Les joües, la superficie exterieure de nostre sujet, indiquent la disposition et l’estat de sa vertu intérieure, qui ne peut exhaller que des parfums eccellents des arbres qui vegettent à sa superficie, et que les philosophes y ont plantéz et y cultivent.
(Ces levres de l’epoux qui sont appeléz lys, sont peutestre ces lys rouges si magnifiquement revestus en Orient, où ils sont communs de cette couleur, et où ils rependant une odeur eccellente. C’est le pere celeste qui prend soin de parer si superbement ces lys, qui ne travaillent ny ne fillent leurs ajustements.
Cette myrrhe pure est le depouillement total de toutte chose etrangere, jusques au propre abandon de ses plus proches, pour s’asujettir à la seule croix, et à la separation de son propre corps, ce qui fait la mort indiquée par la myrrhe.
5.14 Ses mains sont d’or et faittes au tour, pleines de hyacinthes, son ventre est d’yvoire enrichy de saphirs.
Les mains qui signifient les oeuvres sont d’or, ainsy que le chef. L’or est ce qu’il y a d’incorruptible, de plus pur et de meilleur. ( Faittes au tour), c’est à dire parfaittes, car la rondeur est le simbole de la perfection. L’or est ce qu’il y a de plus beau.
L’hyacinthe est couleur pourpre.
Son ventre indique ce qu’il y a de plus inferieur et corporel, il est d’un ivoyre, espece d’os, dont les parties sont touttes serrées si etroittement ensemble qu’il est incorruptible, et d’une fermeté inalterable, jointe à la blancheur extraordinaire.
Le saphir represente la couleur du ciel duquel il est orné. C’est la puissance de l’esprit. Cette pierre precieuse indique le Xème ciel. Le trone stable d’Esechiel.
5.15 Ses cuisses sont des colonnes de marbre posées sur des bases d’or, sa figure est comme celle du mont Liban. Il est d’élite comme les cedres.
La cuisse indique la puissance et ces bases d’or la solidité incorruptible, et la fermeté inebranlable est indiquée par le marbre sur la base, qui est le fondement de la nature. Ce marbre est la pierre fondamentalle et inflexible, mais reflechissez que sa base est d’or et peutestre philosophique.
Sa figure est comme celle du mont Liban. Ce mont est cette pierre non pierre, qui aiant frappé les pieds de fer et d’argille de la statue que le roy Nabucadonosor vit en songe, et l’aiant brisée et mise en poudre, devint ensuitte elle mesme une montagne qui remplit toutte la terre par l’acroissement de son empire.
Choisy comme les cedres, l’epoux habitte dans les lieus hauts et ne regarde que ce qui est abaissée. Les cedres portent leurs branches dans les nües et poussent leurs racines jusques au centre de la terre, tirant leur principe du ciel, leur nourriture de la terre humectée de l’influence, et portant des fruicts élevés jusques au ciel, vers où ils tendent.
5.16 Son gosier est tres agreable, et il est tout desirable. Tel est mon bien aimé et c’est luy qui est mon amy, filles de Jerusalem.
(Huius du cedenis bonum, si anima gustaverit incredibiliter exestuat). Combien sont ineffable les avantages que l’on gouste dans cet epoux, luy qui est l’objet de tous les desirs, soit que l’on le traine morallement ou phisiquement, ( gustate et videte). Il est tout aimable, et par consequent tout desirable.
Cependant un tel epoux n’est aimé que de peu de personnes, car il y a peu de vierges, c’est à dire de personnes qui n’aient de l’attache pour les choses corruptibles et dissolües.
5.17 Où est allé vostre bien aimé, la plus belle d’entre les femmes ? où s’est retiré vostre bien aimé ? et nous l’irons chercher avec vous.
Ce n’est qu’avec l’epouse que l’on peut trouver le veritable epoux. Hors la grande pierre point de transmutation, il faut qu’elle soit edifiée sur la principalle pierre de l’angle.
L’epouse aussy leur va indiquer dans le chapitre suivant, car comme dit saint Augustin, ce n’est pas une petite partie de la science de s’unir à celuy qui scait touttes choses. L’epouse scait ce que scait l’epoux, et les filles de Jerusalem sont les compagnes de l’epouse, les autres filles de la mesme cité qui peuvent devenir heureuses comme elle, lorsqu’ils la suivront en l’imitant. Ou bien l’on peut entendre aussy par elles les disciples de cette science, qui seront asses heureus de suivre l’epoux, apres l’avoir connu, allants partout avec luy. Ils pourront estre asses fortunéz pour estre conduits dans la salle des nopces, pour y estre introduits lorsque l’epoux y entrera pour s’unir à sa bien aimée, dont ils doivent cultiver la conoissance et la familiarité, affin qu’ils soient soufferts comme amis de l’epouse, et connus de l’epoux qu’ils doivent aussy connoistre.
L’epouse
6.01/1 Mon bien aimé est descendu dans son jardin, dans le parterre des plantes aromatiques, pour se nourrir dans ses jardins, et ceuïllir les lys.
Il est parlé icy de jardin au singulier, où le bien aimé est descendu ; il est nommé le parterre des aromates, et puis il est dit ensuitte, (affin qu’il prenne nourriture dans les jardins) au plurier et qu’il ceuïlle le lys.
Il semble par là qu’il y a quelque distinction à faire de ce jardin singulier où il est descendu, nommé parterre des aromats (que l’on peut interpreter nostre epouse vierge, avec laquelle s’estant uny, nous voions se former ce parterre varié de lys blancs et jaunes de si bonne odeur) et dans les jardins au plurier, il y paist et ceuille des lys.
6.01/2 Mon bien aimé est descendu dans son jardin, dans le parterre des plantes aromatiques, pour se nourrir dans ses jardins, et ceuïllir les lys.
Outre la vierge pure qui est la seur de l’epoux, substance differente, mais sortie de la mesme nature, lequelles unies ensemble ne font plus qu’un et qu’en cet estat les philosophes apellent leur matière première des metaus philosophiques, leur mercure duquel il est dit : ( est in mercurio quidquid quaerunt sapientes), il faut scavoir qu’il y a le vase de nature qui contient cette vierge, et ce vase est la retraitte de cette colombe, dans les trous de laquelle elle se cache, qui est terre. (Terra est vas). Il y a plus, l’epoux luy mesme a son vestement, car estant toutte lumiere et la lumiere mesme, il ne se livre d’abord qu’envelopé de tenebres, de brouillard humides, lesquels s’epoisissans en eau, luy cachent son brillant, et l’ombragent. Ce qui fait dire à Hermes, ( Tolle a radio umbram suam). En un mot, l’eau est l’autre vase de nature qui contient l’epoux, et il faut que l’epoux et l’epouse se depouillent tous deus de leur vestements grossiers, pour s’unir parfaittement ensemble ; cependant il leur reste toujours quelque voille de pudeur, qu’il n’est permis qu’au vrai philosophe de lever, et ces deus vestements sous lesquels la vierge et son epoux se laissent voir, peuvent estre les eaus qui l’arousent, ou pour mieus dire la terre qui y est cultivée, et l’esprit fructifiant qui la rend faeconde, dont l’eau est le vehicule, et qui à cause de cela peut estre ditte vase de nature aussy bien que la terre, et tous deus peuvent estre nomméz assez à propos jardins de l’epoux, où se fait la culture de ses aromates.
Outre cela il y a encore le vase artificiel, l’oeuf de verre, et de plus le fourneau ou athanor, jardin du philosophe artiste, dans lequel le tout est contenu, et dont il est dit :
Les philosophes ont un jardin
Où le soleil soir et matin
Et jour et nuict, et à toutte heure,
Et incessamment y demeure,
Avec une douce rosée,
Par laquelle est bien arosée
La terre portant arbre et fruicts,
Qui là sont plantés et conduits,
Et prennent deüe nourriture
Par une plaisante pasture.
Les arbres qu’on y cultive sont metelliques, selon l’idiome chymique, et selon celuy du Cantique des cantiques, ce sont les lys blanc et rouge, dont l’epoux fait sa pasture. ( Terra alba et rubea quae nutrix eius).
6.02 Je suis à mon bien aimé et mon bien aimé est à moy, luy qui se nourit parmis les lys.
Et comment l’epouse ne seroit elle pas à son bien aimé, puisqu’elle s’est depouillée de toutte autre chose pour ne posseder que luy, ausuel elle s’est attachée et livrée uniquement pour ne dépendre que de luy ? Et elle a bien eu raison de le faire, puisque tout ce qu’elle est, et ce qu’elle a de bon, elle ne le tient que de luy.
Il l’a preférée à tout l’univers, rendue belle de difforme qu’elle estoit, purifiée de sa pouriture et guerie des ulceres dont elle estoit couverte : comment pourroit elle n’estre pas entierement à un epoux si aimable, si utille, et dont elle a esté tant aimée ?
Il se nourit parmy les lys, le blanc et le rouge, qu’il convertit en sa propre substance.
6.03 L’epoux
Vous estes belle mon amie, suave et decorée comme Jerusalem, redoutable comme une armée rangée en bataille.
L’estat où l’union de l’epoux avoit mis l’epouse la rendoit agreable au goust de ceus qui en ont, et parée aus yeus de ceus qui en font usage. Jamais Jerusalem ne fut plus superbe, si magnifique, ny si forte. L’union de touttes ses parties, dont chacune en particulier fait sa fonction, pour tendre à mesme fin, la rendoient terrible par son grand pouvoir.
6.04 Detournés vos yeus de moy, car ce sont eus qui m’ont obligé de m’envoler. Vos cheveus sont comme un troupeau de chevres, qui se font voir de la montagne de Galaad.
Si l’on veut parler des yeus de l’esprit, effectivement cet epoux est incomprehensible. Mais quant aus yeus de nostre vierge phisique, leur brillant etincellant et enflammé rend l’epoux si volatil, si aspre à s’unir avec elle, qu’il s’eschappe bientost de la veüe, lorsque l’epouse veut le regauder fixement. Elle est pour luy un vray basilic. Aussitost la matiere est dessechée. Le volatil cesse de l’estre, il est à l’instant tué, fixé, et l’on perd cet epoux de veüe.
Cette comparaison des cheveus de l’epouse, est faitte accause de la blancheur exaltée et rafinée qui la couvre.
6.05 Vos dents sont comme un troupeau de brebis qui sont montées du lavoir, et qui portent touttes un double fruict, sans qu’il y en ait de sterilles parmy elles.
Cette repetition pareille à ce qui a desja esté dit, nous avertit du procédé et progrés pareil à celuy qui a esté fait dans l’imbibition precedente, dont celle cy ne semble qu’unne reiteration, indiquée par la nouvelle descente de l’epoux dans ses jardins.
6.06 Vos jüpes sont comme l’écorce d’une pomme de grenade, sans ce qui est caché chez vous
Cette autre repetition fait voir que si cette reiteration d’operation a commancé comme la precedente, elle finit aussy de mesme ; et que l’on en doit esperer la decouverte de quelque chose de plus eccellent, qui est encore cahé, dont le coloris commançant des joües exterieures est un indice certain.
6.07 Il y a soixante reines et quatre vingt concubines (femmes du second rang) et les jeunes filles sont sans nombre.
Nous avons averti dès le commancement que ce verset indique la multiplication.
Quand la lumiere, sortant de la puissance du Createur dans toutte son énergie et sa vigueur, fut mise en action, elle agissoit librement, et executoit tout d’un coup la perfection des estres créés, à la formation et arangement desquels elle estoit destinée ; mais depuis qu’elle a esté engagée, absorbée et emprisonnée dans la matiere et la masse de la corporeité des mixtes, ce n’est que peu à peu, et par des efforts reiteréz et des progrés repetéz, qu’elle vient à bout de son opération, à la perfection de laquelle elle emploie beaucoup de temps. Ce qui fait que touttes les parties du composé naturel ou phisique n’obtiennent pas la mesme perfection touttes ensemble, et dans le mesme instant.
Ce jeunes filles sans nombres nous peuvent indiquer les parties crües du compost, qui quoyqu’indigestes sont neanmoins destinées à parvenir à la maturité et perfection. Les quatre vingt concubines peuvent signifier celles qui se sont aprochées de l’epoux plus que ces precedentes, sans s’y estres neanmoins incorporées tout à fait, c’est à dire sans y estre unies à perpetuité ; mais les soixantes reines nous marquent celles qui sont unies parfaittement à leur epoux par inclination, comme estoient celle de David, de saint Paul et de saint Jean, et elles deviendront un mesme corps et un mesme esprit en toutte perfection comme ce nombre le denotte.
6.08 Une seule est ma colombe, ma parfaite.
Elle est unique de sa mere, choisie par celle qui l’a engendrée ; les filles l’ont veües, elle a esté publiée heureuse par les reines et les concubines, et elles l’ont louée.
La mere de cette colombe est l’esprit descendu du ciel qui a pris cette forme apres le baptesme celle qui en est formée est la vierge epouse bien aimée, choisie par celle qui l’a engendrée. D’autres veullent que la Jerusalem celeste soit mere de cette epouse et colombe choisie, exilée à la vérité de sa patrie, mais qui se rend tous les jours digne de regner (par le progres qu’elle fait journellement dans le procedé du grand oeuvre) avec sa mere en se spiritualisant, car c’est du ciel que vient véritablement son origine. (Aentheus est illi vigor et celestis origo unde fluit nobis haec medicina dei. Entheus, Pythonicus, deo plenus et furore divino affatus).
Ces louanges publiées par ces filles, ces concubines et ces epouses reines, marquent l’empressement et le desir violent qu’elles ont d’atteindre à la perfection de cette colombe qu’elles ont veües, qui est le premier degré de la teinture.
6.09 Quelle est celle cy qui s’avance comme l’aurore lorsqu’elle se leve, belle comme la lune, distinguée comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille ?
L’aurore est la fin de la nuict, et le commancement du jour qu’elle annonce. Un cercle capillaire où la blancheur reluit, Pour developper des ombres de la nuict, Luy donne un avant goust du safran de l’aurore.
La lune est l’astre de la nuict, qui éclaire dans les tenebres. Ce qui a fait dire au Cosmopolitte : ( in nocturnis versatur tenebris, cui sol non lucet in densa umbra est, cui de nocte non apparet luna etc...)
Electra ut sol, choisie pour devenir soleil elle mesme, et pour lors elle sera en estat non seulement de ne plus craindre ses ennemis, mais elle leur deviendra terrible, detruisant et calcinant toutte impureté qui luy pourroit nuire, et s’opposer à sa puissance.
6.10 Je suis descendue dans le jardin des noix, pour voir les pommes des valées, et considerer si la vigne avoit fleury, et si les pommes de grenade avoient germé.
Ce jardin des noix est sans doutte un de ceus de son epoux. Ces nois pouroient nous figurer les fruicts de ce jardin, envelopéz dans les vases naturels, comme la noix l’est dans ses différentes écorces, dont l’epouse auroit voulu considerer l’estat soit de leur fleur, soit de leur fruict. La noix est le simbolle des épousalles par ses doubles envelopes.
Ces noix se peuvent encor entendre de ce qui fait fructifier ce jardin et luy communique la chaleur exterieure et artificielle de lampe, entretenüe avec l’huille produitte par la noix.
Cependant quand je reflechis à l’expression de Bernard Trevisan, en un petit traitté que j’ay traduit autrefois, où il est dit que l’on doit aussy mettre la terre avec le feu en un vase convenable, puis y introduire un feu inextinguible de noix, lequel descendant sur la terre devore tout avec la gomme et le convertit en sa nature, cela fait que je renouvelle mon attention.
Ce jardin des noix c’est celui où l’epouse descend, pour oster l’amertume de ceus qui descendent, c’est à dire qui tombent ou pechent ; et la dureté de l’écalle est celle de la noix du peché, qui couvre et renferme un noiau agreable, pourveu que la grace de l’epoux oste cette amertume et casse le noiau. C’est ce que fait l’onction de la grace dans le spirituel, et dans le phisique l’amertume se tourne en douceur, et la dureté est amolie par la solution.
6.11 Je n’ay pas sceu, et mon ame m’a troublée, accause des quadriges d’Aminadab
L’epouse n’a pû rien connoistre à cette fleureson, ny à cette maturité des fruicts, car tout se passe dans le fourneau secret de nature.
Et son ame a esté troublée accause des quadriges d’Aminadab. Le terme de quadrige signifie ou un chariot ou une chaise ou un char trainé à quatre chevaus, ou les chevaus mesmes qui le tirent, ou un cheval destiné à estre des quatre qui servent à cet attelage de quatre chevaus. On scait qu’en termes d’adeptes qui est un idiome tout particulier, le chaval est la partie dissolvante et volatille ; mais ce terme de (quadriga) convient et indique la pluralité de ces chevaus, qui semblent se multiplier dans le progréz de l’oeuvre, lequel paroist icy fort avancé. Le premier de ces chevaus est noir, le deusiesme est blanc, le troisiesme est citrin et le quatriesme est rouge : voilà la quadrille des imbibitions reiterées qui se suivent l’un l’autre, et ce sont les couleurs ou les qualitéz ausquelles ces courciers conduisent le char du soleil philosophique, icy designé sous le nom d’Aminadab, que les interprettes spirituels croient avoir esté quelque grand homme de guerre, en réputation du temps de Salomon, et sans doutte il y a plus de mistere sous ce nom composé d’(amin) et d’(adab) qui signifie le char du roy ou du prince.
Quelques uns disent que cet Aminadab estoit le nom de celuy qui le premier entra et passa la mer rouge.
Le philosophe l’interpretera pour ce qui penetre la matiere ou le serviteur rouge.
6.12 Revenéz, revenéz o Sulamite, revenéz, revenéz, affin que nous vous considerions.
Cet esprit qui resucite les morts pouvoit bien faire revenir l’epouse troublée, puisqu’il l’avoit desja tirée d’un plus grand évanouissement, et cela plus d’unne foix. Le dieu Mercure estoit destiné par les poetes scavants à conduire les ames des morts aus enfers, et à les en ramener. (Mercurius animas ducit et reducit).
Sulamite veut dire pacifique, c’est ainsi que l’epouse est nommée, accause qu’apres tant de troubles souferts, elle peut s’attendre enfin à une paix fixe et permanente.
Par ces quatre repetions de revenez, l’epouse est rapellée quatre foix. Ce qui suppose qu’elle estoit decouragée, et avoit esté defigurée autant de foix. Ce qui repond à ces quatre chevaus, ces quadriges, attelés à ce char d’Aminadab. Ce qui peut aussy indiquer les quatre coins du monde philosophique, d’où cette vierge dissipée par tant de solutions est rappelée, par la voie des quatre saisons, pour s’unir pour jamais à son epoux.
Mais parce que cet epoux dissolvant est venu apporter l’épée, et non la paix sur cette terre vierge, il veut pourtant qu’elle l’espere par son union, car le mistere de la reconciliation luy a esté donné, et il la reconcilira avec la justice formidable du pere qui est le feu, qui ne luy pourra plus nuire ; au contraire il la beatifiera.
C’est ainsi que cette vierge se purifie de plus en plus, et qu’elle devient plus lumineuse, par les regards de cet epoux qui la veut considerer de plus en plus, la trouvant plus belle à chaque foix qu’il l’a lavée de larmes, et qu’il les a dessechées par l’ardeur de son amour qu’il luy procure, et qui rend cette epouse si fort eprouvée de plus belle en plus belle, ce qui donne l’envie de l’envisager de nouveau.
Les compagnes de l’épouse
7.01 Que versés vous dans le Sulamite, sinon des coeurs de musique dans un camp ? Que vos demarches sont belles, o filles de prince ! Dans vos chaussures les jointures de vos cuisses sont comme des colliers faits de main d’ouvrier.
Nostre vierge estant dans un perpetuel combat entre les ennemis qui l’agittent, l’eau et le feu qui la persecuttent, sort toujours victorieuse de ces attaques par le secours qu’elle reçoit de son epoux, qui la met ainsi à l’épreuve pour se l’assurer davantage ; et lorsqu’elle est rentrée dans son camp, elle chante victoire, ravie de l’avoir remportée, glorieuse d’avoir tant souffert pour son epoux, qui desire d’elle ces epreuves, et qui les recompense à chaque foix d’un nouveau raion de gloire.
Les desmarches de nostre epouse sont les progres denostre matiere, qui par la force de l’esprit qui l’anime, ne laisse aucunne partie de son sujet sans le luy communiquer.
La chaussure empesche que l’on ne touche la terre, et est un commancement de separation d’avec elle, qui nous éleve au dessus, (in terram foliatam).
Cette seur, cette epouse est icy appelée fille de prince, car elle tient de luy tout ce qu’elle a de precieus, et fait la richesse et l’ornement de son royaume ; et de plus elle en a esté formée et engendrée, car cette aimable vierge est fille de son epoux, ( spiritus incorporatus, et fixatus, ortus a spitu volatile celesti). Eve a bien esté formée d’Adam, et mesme de sa coste, ( parte duriore, os ex ossibus).
On paroit ordinairement le cou de ceus que l’on honoroit du triomphe, de carcans enrichis des ornements les plus precieus, car il s’agit des jointures des jambes et des cuisses de l’epouse, qui paroissent comme des charnieres du dernier poly et de main d’ouvrier, mesme de maistre. Cet ouvrier est l’époux qui donne toutte cette grace au moien unissant, d’où procede toutte l’agilité du progres de ce grand oeuvre, dont les deus cuisses sont le blanc et le rouge, deus soufres si desiréz dans l’oeuvre.
7.02 Vostre nombril est une couppe faitte au tour, où il ne manque jamais de liqueur à boire. Vostre ventre est comme un monceau de froment environné de lys.
Le nombril est le conduit par où l’enfan prend sa nourriture dans le ventre de sa mere. Cette mere a deus enfans, la lune et le soleil, car c’est Latone qui a mis au monde Appollon et Diane, qu’elle nourit d’abord de laict virginal, dans leur enfance, jusques à ce qu’ils soient asses forts pour vuider la couppe remplie d’un breuvage plus parfait, de cette liqueur toutte spirituelle et celeste. C’est le nombril de notre vierge, qui est cette couppe de perfection, faitte au tour avec justesse et compassée adroittement, où se trouve meslé le fixe et le volatil, le spiritueus avec le terrestre, le celeste avec l’elementaire, le formel avec le matériel. Ce conduit est traitté de nombril pour faire voir qu’il est couppé, et que la nourriture menstruelle et corrompüe ne se communique plus par là. Mais au contraire ce nombril est devenu une couppe pleine d’une liqueur salutaire et celeste, qui procure par son laict une croissance, et par son vin une force qui porte à l’aage viril, et augmente l’estat robuste.
Ce n’est pas asséz que la liqueur exprimée et contenue dans la couppe, la nourriture plus solide du fixe, est designée par ce ventre, comparé à un morceau de froment, tout environné de lys. Car ce froment, ce grain philosophique, est accompagné de douceur, de beauté, signifiée par le lys ordorant qui l’environne. (Lilium album, lilium rubeum continet). Ce grain de froment a esté semé, est poury et mort en terre vierge, et y aiant germé a produit un monceau de froment par sa multiplication que luy a procurée l’esprit de fecondité, qui l’a rendu propre à la nourriture, santé et saveur rejouissante de tous les hommes. Pseaume 8. ( Il a nourry de la plus pure farine de froment, et l’a rassasié du miel sorti de la pierre).
(Vallatus liliis), ce lys qui est l’epoux, l’esprit, le volatil mesme, qui s’est nommé ailleurs luy mesme fleur des champs, lys des vallées, qui sert icy de rampart à ce monceau de grain, et l’entoure comme uns isle, pour le deffendre de l’ardeur du soleil, et de tout ce qui le pouroit gaster.
7.03 Vos deus mamelles sont comme deus petits jumeaus de la femelle d’un chevreuil.
C’est une repetition de ce qui a esté dit dans une autre imbibition, qui fait remarquer que c’en est encore icy une nouvelle.
7.04 Vostre cou est comme une tour d’yvoire, vos yeux sont comme les piscines d’Hesebon, qui sont à la porte de la fille de la multitude, vostre néz comme la tour du Liban qui regarde Damas.
Le palmier a une verdeur permanente et son feuillage ne change jamais ; et le suc celeste l’aiant fait croistre, el maintient en cet estat, droit, elevé et auguste. Le palmier en croissant est menu par le bas, et grossit à mesure qu’il s’eleve, et plus il monte haut, plus les fruicts qu’il porte sont eccellents. C’est pourquoy on luy compare la taille de l’epouse. Ainsi que la croix aiant esté elevée, nous prepare dans le spirituel unne nourriture celeste et salutaire.
Les grappes de raisin veullent estre pressées, pour donner cette liqueur enyvrante ; il faut donc presser les mamelles pour changer le laict en vin.
La finne fleur des grappes blanches que le palmier pousse, et qui n’ont point encor esté touchées, est pour les connoisseurs délicats.
7.05 Vostre teste est comme le mont Carmel, et la chevelure de vostres teste comme la pourpre du roy liée aus canaus.
Le mary est le chef de la femme, et l’epoux dont l’epouse est ornée est sa teste, le mont Carmel de la tribu d’Isshar, asses pres de Tyr, beau, fertille et orné de touttes sortes de fruicts : cette teste est donc remplie de touttes sortes de bien. Cette teste qui gouverne tout reçoit non seulement la lumiere d’en haut, mais doit estre arosée des pluies salutaires qui la rendent fertille : ( In Carmelo Elias orans obtinuit pluviam). La chevelure de la teste de l’epouse est comme une pourpre du roy, c’est à dire la leine que l’on teint en cette couleur elle est teinte deus fois avant que d’estre filée, et est liée dans les tuiais à travers lesquels decoulle le sang de ce poisson ou coquillage que l’on appelle pourpre.
L’auteur compare les cheveus de la teste de l’epouse à cette laine. C’est cette spécieuse et precieuse tainture qui est le sang de l’epoux, dont l’epouse estant tainte, et liée aus canaus par où il s’ecoulle, elle reçoit la splendeur, la puissance ; et le diadesme ; en un mot, c’est ce qui la fait reine, digne epouse du roy puissant qui par sa teinture fait autant de roys de ceus ausquels il la communique et qui s’en trouvent teints.
7.06 Que vous estes belle, pleine de grace, o vous qui estes ma tres chere, et les delices de mon coeur.
C’est en cet estat que l’epouse est agreable à considerer, car autrefois et dans le commancement elle estoit pleine d’amertume, mais maintenant elle est remplie de douceur. Celle qui estoit difforme et noire est devenue d’unne beauté esclatante et d’unne blancheur ebloüissante.