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GREVERUS Le secret de Greverus (1613)


Le dragon ne meurt que s'il est tué par son frère et sa soeur,
qui sont le soleil et la lune

Planche extraite de "L'Atalante Fugitive", de Michel Maier

 

LE SECRET DE GREVERUS

in Tome III du "Theatrum chemicum, Strasbourg, 1613" 


Jodocus Greverus


Ô mon cher fils, voici enfin le temps de la moisson que tu espérais tant. Réjouis-toi et rend grâce au Dieu éternel car Il nous a rendu aptes à comprendre ces choses et Il a choisi mes mots pour que j’exprime clairement la vérité. Toi, mon fils, adore et loue donc ce Dieu en humble soumission pour que dès le commencement de ta recherche, il lui soit bon de te révéler ces deux grands secrets, et vous qui vous appliquez avec tant d’assiduité à l'étude de cette haute philosophie, vous méritez tout autant de recevoir les leçons distinguées de ce banquet sacré ; vous êtes également dignes de cueillir les fruits d'or des Hespérides dans le jardin de Tantale après avoir endormi comme l’enseignent les légendes, le dragon toujours vigilant. Cependant des questions se posent car ce jardin est ceint d’un mur puissant : « Comment pénétrer dans ce jardin ? Comment reconnaître l'arbre aux pommes d'or et comment cueillir ces pommes ? »

Ô fils bien-aimé, n’as-tu pas vu que ce jardin est disposé sur une très haute montagne isolée dont le pied est toujours environné du tumulte des forces belliqueuses des vents en désaccord et où le combat implacable du froid et du chaud est semblable à un chaos que rien n’assouvit ; ne sais-tu pas qu’à mi-hauteur de la montagne, des dragons rouges et noirs affrontent dans une lutte incessante le chaos insatiable et les vents. Ce combat est sans fin car quand la fureur des dragons rouges est enflammée par les vents toujours plus opposites, ces dragons se détruisent eux-mêmes par leur propre inflammation, et leurs corps morts sont aussitôt absorbés par le chaos ; cette lutte éternelle ne trouve aucun repos car les dragons rouges mourant sont aussitôt remplacés par les dragons noirs qui, eux-mêmes éclatant de fureur, s’enflamment et périssent comme les dragons rouges, et bien sûr comme il est dit, d'autres les remplacent immédiatement. Cette lutte se poursuit éternellement car le chaos et les vents sont sans fin et la progéniture des dragons noirs se renouvelle sans cesse bien que le gardien et maître de la montagne, prélève à intervalles réguliers une partie de la progéniture des dragons noirs pour les envoyer au centre de la montagne. Il faut te dire aussi que le sommet de la montagne montre un triple changement annuel. En hiver, le sommet rougeoie d’étincelles incandescentes comme l'Etna, alors qu’au printemps, le feu de l'hiver disparaissant, il est noyé de mares chaudes et de marécages ; en été quand les eaux chaudes des marais sont presque entièrement évaporées, les cendres, probablement laissées par le feu hivernal, demeurent encore tièdes bien que les féroces chaleurs s’en soient allées ; puis en automne, le reste des cendres disparaît à nouveau et est remplacé par un sable très fin et incandescent mais qui n’est pas à vrai dire d'un rouge ardent ; je pense qu’il s’agit là du dépôt laissé par les eaux inondant le sommet au printemps.

Sur cette montagne, mon fils, je pense que tu as vu les jardins royaux des Hespérides ; dans ces jardins fleurissent les roses d'or et d’argent et c’est là que viennent aussi des pommes pourpres ainsi que des pommes d'or et d’argent ; ces jardins produisent ces fruits annuellement.

Parvenir au jardin est difficile, y entrer l’est plus encore, mais ce n’est rien comparé aux difficultés d’en récolter les pommes d'or et d’argent. La montagne est telle qu’elle n'admet personne qui n'ait d'abord éprouvé le froid hivernal et par conséquent il te faut l'approcher en hiver (et ne pas être découragé par le froid), sinon tu ne pourrais que difficilement résister à la chaleur qui sévit à l'entrée du jardin. Au sommet de la montagne, tu verras une très haute tour gardienne du jardin ; cette tour possède deux parapets environnés d’un feu d’enfer. Celui qui veut pénétrer dans ce jardin doit d’abord vaincre la totalité des taureaux qui soufflent le feu par les narines, puis il lui faut passer par la porte et les parapets embrasés. Cela exige de terribles efforts et l’on risque bien d’y perdre la vie ; cette tâche est si démesurée que l’on n’a peu de chance de franchir cet obstacle avant la fin de l'hiver. C’est toutefois possible, mais il ne faut surtout pas sous estimer le danger imminent causé par la violence du feu et ses énormes flammes. Celui qui désire entrer doit s’efforcer de découvrir les médecines que Médée donna jadis à Jason quand celui-ci tenta d’accéder au jardin. Cependant, mon cher fils, si tu ne réussissais pas à trouver ces médecines, cherche alors un moyen à ta façon de surmonter ces difficultés, mais surtout ne les évite pas, affronte-les sinon il ne te sera plus jamais permis d’entrer au jardin. Maintenant écoute bien ce qui m’arriva : j’aspirais ardemment à pénétrer dans le jardin, mais imaginant le danger qu’il y avait à traverser les flammes, je décidais d’attendre la venue de quelqu'un capable de m’indiquer un moyen de passer, ou bien de trouver par moi-même la manière d'éteindre cette fournaise. Alors que personne ne passait et que l'hiver allait bientôt finir, la tour se mit soudain à fortement bouger, le feu diminua jusqu’à s’éteindre, la tour et les parapets se dissolurent pour ainsi dire et disparurent, et quand tout cela fut terminé, je décidais de courir le plus vite possible vers le jardin, (note bien que l’on était toujours dans la saison où la tour tenait encore debout). Je n’étais pas du tout étonné par les choses que je venais de voir se produire mais alors que j’atteignais presque l’entrée jardin, j’en fus séparé par des eaux stagnantes et chaudes qui s’étalaient de tous côtés.

Ce jardin entouré d’un mur diaphane aussi solide que le fer, se trouvait environné d’eaux stagnantes et chaudes. Il y avait en plus, extérieurement au mur, une construction de briques qui ceinturait encore le jardin et l'eau environnante. C’est ici que j’aperçus un chemin étroit divisé en trois niveaux par lesquels j'espérais trouver un passage ; sans perdre de temps, je m’y lançais et aussitôt le mur de brique s’ouvrit devant moi. Atteignant le premier niveau, je fus contraint d’y demeurer quelques temps, étourdi par une horrible odeur de pourriture ; la chaleur y était comme la chaleur tiède d’une décomposition. Après avoir surmonté cette épreuve, j’accédais au deuxième et au troisième niveau où là je sentis quelque chose me retenir. Alors que je me voyais déjà tout près du jardin, la montagne fut ébranlée d’une énorme secousse qui fit disparaître les eaux et à la place desquelles apparût un profond fossé entouré du mur de brique ; le fond du fossé était embrasé de cendres rougeoyantes : au milieu de tout cela se trouvait le jardin ; trois chemins dont le degré de chaleur augmentait en fonction de la distance au jardin, partaient du fossé et conduisaient au jardin. Alors que je bandais mes muscles pour gravir le talus de terre du troisième chemin, je ressentis une nouvelle secousse de la montagne ; cela eut pour conséquence de soulever d’épaisses fumées sombres qui dissimulèrent les cendres rougeoyantes d’où émergea un talus de sable torride qui encercla le jardin. Mon espoir de venir à bout de l’épreuve était grand et cela s'avéra finalement vrai. Depuis le talus, en apercevant les fleurs enchanteresses du jardin et en contemplant des miracles si grands qu’il m’est vraiment impossible d’en parler, je fus tellement étonné que je fis très peu attention à la façon dont un vieillard m'amena au jardin. Ce vieil homme tenait sept clefs dans sa main grâce auxquelles je suppose, il avait lui-même déverrouillé les portes du jardin pendant que j’étais encore cloué d’étonnement sur le talus. Le vieillard me guida vers l'arbre aux pommes d'or afin que je puisse vénéré cet arbre. Un dragon venant juste d’être tué, gisait au pied de l'arbre ; les pommes d'or étaient maculées de son sang. Je désirais ardemment cueillir les pommes d'or mais le vieillard s’en aperçut et en m'examinant calmement me dit : « Fils, abandonne les séductions de ce monde car ce fruit n’est donné qu’aux esprits divins. »

Ses mots me firent frémir de la tête aux pieds car je n'avais jamais entendu pareille voix de ma vie ; je fus comme transformé par cette voix et j’eus en même temps l'impression que ma conscience s’élargissait. Il me sembla aussi que le vieil homme se métamorphosait et prenait une apparence extraordinaire et terrible ; je compris alors qu'il n'était pas le jardinier que je venais de voir, mais qu’il était lui-même le Maître du jardin. Je fus submergé par la crainte d’être puni pour avoir osé imaginer pénétrer par ruse dans le jardin d'un Maître si puissant.

Tandis que, perdu dans le doute, j’envisageais plusieurs choses en passant tour à tour de la crainte insensée à l’espoir le plus fou, il tendit sa main pour cueillir quelques pommes d'or, et en balançant son regard des pommes vers moi, il me dit : « Si nous avons disposé ce jardin du bonheur et de la sagesse, ce n’est que par égard pour l'homme, mais pour en exclure les insensés, nous l'avons protégé par un mur aussi solide que le fer ; puis nous nous sommes aperçu aussi qu'il était menacé par les stratagèmes et la ruse des hommes ; l’entrée en fut donc interdite aux personnes intelligentes qui ne sont ni vertueuses, innocentes, modestes ou bonnes et nous n’y attirons que celles que nous choisissons nous-mêmes. A la fin de l'épreuve, quand nous sommes sûrs qu'elles sont persévérantes et constantes, nous les faisons entrer dans le jardin et après leur avoir accordé des cadeaux qui s’y trouvent, nous leurs laissons la possibilité d’y revenir facilement. » Sur ces paroles, il me remit les pommes qu'il avait cueillies. Je me jetais à ses pieds dans l’adoration et la vénération la plus sincère et je mis les pommes dans ma poche en me réjouissant. Au moment où j’allais le remercier il me dit : « Mon fils ce n'est pas fini, suis-moi » et il m'amena vers un laboratoire qui venait d’être purifié ;  là, après que le sang du dragon qui avait éclaboussé les pommes d'or fût ôté, le vieil homme tira une poudre blanchâtre légèrement scintillante d'une boîte en bois et m’en remit une partie en disant : « Cette poudre efface toutes les souillures et peut ressusciter n’importe quel mort ; va-t-en et garde ce secret, purifie la terre humide par le feu et la poudre, travaille la terre et ensemence ce qui est pur, puis laisse pousser et bourgeonner, et ta terre te donnera sans doute du fruit en abondance. » Après ces mots il disparut, et moi, je restais abasourdi. Plus tard arrivé chez moi, exténué par ce long voyage et fatigué par tout ce travail, je me jetai dans mon lit. En émergeant du sommeil, j’aurais bien cru avoir rêvé tout cela si je ne m’étais retrouvé avec les pommes d'or et la poudre dans la main, et si je n’avais gardé un vif souvenir des paroles qui m’avaient été dites. Quoi qu’il en soit, que je me trouvasse réellement dans le jardin, que j’y fusse seulement amené en vision, ou même si cela n’avait été qu’un rêve, que le nom de celui qui me jugea digne de recevoir de si impressionnants mystères de la Nature, et qui ne dédaigna pas offrir ses cadeaux aux pauvre pécheur que je suis, soit éternellement béni. Que le Père, le Fils et le Saint Esprit soient loués, bénis et glorifiés, Dieu unique de toute éternité, Amen.

Conclusion

Mon fils, te voila maintenant avec le procédé entier de notre œuvre entre les mains ; il t’as été présenté sans omission et sans superfluité, et t’as été résumé avec la plus savante éloquence jamais écrite ; alors ouvre ton cœur pour recevoir les bonnes grâces de Dieu car c’est un don de Dieu qui recèle le secret de l’unité indivisible de la très Sainte Trinité. Ô toi la plus précieuse de toutes les sciences, tu es le théâtre et l’anatomie de la nature entière, l'astronomie terrestre, la vérité du Dieu tout-puissant, la preuve de la résurrection des morts, la confirmation de la Rédemption, le témoignage irréfutable du prochain jugement dernier et le miroir de la béatitude éternelle. En vérité, aucune science n'est plus élevée que toi car tu les contiens toutes et tu n’es enfermée dans aucune.

Alors grâces, louanges et honneur à toi seule, ô ineffable Majesté, car tu ne m’as pas privé de ta grâce et tu m’as révélé les secrets de tes travaux les plus occultes ; pour cela que ton nom béni soit éternellement loué. Amen.

« Un homme sans sagesse ne parviendra jamais à connaître ces choses
et un sot ne pourra les comprendre.
Le sac de cumin est pour le perroquet et le foin pour la vache. »


 

LA LÉGENDE D'HIRAM

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