RABELAIS Le Quart Livre (1552) - 2ème partie
Pantagruel, par Gustave Doré
Comment Pantagruel descend en l'isle
Farouche, manoir antique
des Andouilles.
Chapitre XXXV.
Les Hespailliers de la nauf Lanternière amenèrent le Physetère lié en terre de l'isle prochaine dicte Farouche, pour en faire anatomie, & recueillir la gresse des roignons: laquelle disoient estre fort utile & necessaire à la guerison de certaine maladie, qu'ilz nommoient Faulte d'argent.
Pantagruel n'en tint compte, car aultres assez pareilz, voyre encores plus enormes, avoit veu en l'Ocean Gallicque. Condescendit toutesfoys descendre en l'isle Farouche, pour seicher, & refraischir aulcuns de ses gens mouillez & souillez par le vilain Physetère, à un petit port desert vers le midy situé lez une touche de boys haulte, belle, & plaisante: de laquelle sortoit un delicieux ruisseau d'eau doulce, claire, & argentine. Là dessoubs belles tentes feurent les cuisines dressées, sans espargne de boys. Chascun mué de vestemens à son plaisir, feut par frère Ian la campanelle sonnée. Au son d'icelle feurent les tables dressées & promptement servies.
Pantagruel dipnant avecques ses gens ioyeusement, sus l'apport de la seconde table apperceut certaines petites Andouilles affaictées gravir & monter sans mot sonner sus un hault arbre près le retraict du guoubelet, si demanda à Xenomanes, Quelles bestes sont ce là? pensant que feussent Escurieux, Belettes, Martres, ou Hermines.
Ce sont Andouilles, respondit Xenomanes. Icy est l'isle Farouche, de laquelle ie vous parlois à ce matin: entre les quelles & Quaresmeprenant leur maling & antique ennemy est guerre mortelle de long temps. Et croy que par les canonnades tirées contre le Physetère ayent eu quelque frayeur & doubtance que leur dict ennemy icy feust avecques ses forces pour les surprendre, ou faire le guast parmy ceste leur isle, comme ià plusieurs foys s'estoit en vain efforcé & à peu de profict, obstant le soing & vigilance des Andouilles: les quelles (comme disoit Dido aux compaignons d'Aeneas voulens prendre port en Cartage sans son sceu & licence) la malignité de leur ennemy, & vicinité de ses terres contraignoient soy continuellement contreguarder & veigler.
Dea bel amy (dist Pantagruel) si voyez que par quelque honeste moyen puissions fin à ceste guerre mettre, & ensemble les reconcilier, donnez m'en advis. Ie me y emploiray de bien bon coeur: & n'y espargneray du mien pour contemperer & amodier les conditions controverses entre les deux parties.
Possible n'est pour le praesent, respondit Xenomanes. Il y a environ quatre ans que passant par cy & Tapinois ie me mis en debvoir de traicter paix entre eulx, ou longues trèves pour le moins: & ores feussent bons amis & voisins, si tant l'un comme les aultres soy feussent despouillez de leurs affections en un seul article. Quaresmeprenant ne vouloit on tracité de paix comprendre les Boudins saulvaiges, ne les Saulcissons montigènes leurs anciens bons compères & confoederez. Les Andouilles requeroient que la forteresse de Cacques feust par leur discretion, comme est le chasteau de Sallouoir, regie & gouvernée: & que d'icelle feussent hors chassez ie ne sçay quelz puans, villains assassineurs, & briguans qui la tenoient. Ce que ne peut estre accordé, & sembloient les conditions iniques à l'une & à l'aultre partie. Ainsi ne feut entre eux l'apoinctement conclud. Restèrent toutesfoys moins sevères & plus doulx ennemis, que n'estoient par le passé. Mais depuys la denonciation du concile national de Chesil, par laquelle elles feurent farfouillées, guodelurées, & intimées: par laquelle aussi feut Quaresmeprenant declairé breneux hallebrené & stocfisé en cas que avecques elles il feist alliance ou appoinctement aulcun, se sont horrificquement aigriz, envenimez, indignez, & obstinez en leurs couraiges: & n'est possible y remedier. Plus toust auriez vous les chatz & ratz: les chiens & les lièvres ensemble reconcilié.
Comment par les Andouilles farouches
est dressée embuscade
contre Pantagruel.
Chapitre XXXVI.
Ce disant Xenomanes, frère Ian aperceut vingt & cinq ou trente ieunes Andouilles de legière taille sus le havre soy retirantes le grand pas vers leur ville, citadelle, chasteau, & rocquette de Cheminées, & dist à Pantagruel.
Il y aura icy de l'asne, ie le prevoy. Ces Andouilles venerables vous pourroient par adventure prendre pour Quaresmeprenant, quoy qu'en rien ne luy sembliez. Laissons ces repaissailles icy, & nous mettons en debvoir de leurs resister.
Ce ne seroit, dist Xenomanes, pas trop mal faict. Andouilles sont Andouilles, touisours doubles & traitresses. Adoncques se liève Pantagruel de table pour descouvrir hors la touche de boys: puys soubdain retourne, & no' asceure avoir à guausche descouvert une embuscade d'Andouilles farfelues, & du cousté droict à demie lieue loing de là un gros bataillon d'aultres puissantes & Gigantales Andouilles le long d'une petite colline furieusement en bataille marchantes vers nous au son de vèzes & piboles, des guogues & des vessies, des ioyeulx pifres & tabours, des trompettes & clairons. Par la coniecture de soixante & dixhuict enseignes qu'il y comptoit, estimions leur nombre n'estre moindre de quarante & deux mille. L'ordre qu'elles tenoient, leur fier marcher, & faces asceurées nous faisoient croire, que ce n'estoient Friquenelles: mais vieilles Andouilles de guerre. Par les premières fillières iusques près les enseignes estoient toutes armées à hault appareil, avecques picques petites, comme nous sembloit de loing, toutesfoys bien poinctues & asserées, sus les aesles estoient flancquegées d'un grand nombre de Boudins sylvaticques, de Guodiveaux massifz, & Saulcissons à cheval, tous de belle taille, gens insulaires, Bandouilliers, & Farouches.
Pantagruel feut en grand esmoy, & non sans cause: quoy que Epistemon luy remonstrast que l'usance & coustume du pays Andouillois povoit estre ainsi charesser & en armes recepvoir leurs amis estrangiers: comme font les nobles roys de France par les bonnes villes du royaulme repceuz & saluez à leurs premières entrées après leur sacre, & nouvel advenement à la couronne.
Par adventure, disoit il, est ce la guarde ordinaire de la Royne du lieu, laquelle advertie par les ieunes Andouilles du guet que veistes sus l'arbre, comment en ce port surgeoit le beau & pompeux convoy de vos vaisseaulx, a pensé que là doibvoit estre quelque riche & puissant Prince: & vient vous visiter en persone. De ce non satisfaict Pantagruel assembla son conseil, pour sommairement leurs advis entendre sus ce que faire debvoient en cestuy estrif d'espoir incertain, & craincte evidente.
Adoncques briefvement leurs remonstra comment telles manières de recueil en armes avoit souvent porté mortel preiudice soubzs couleur de charesse & amitié. Ainsi (disoit il) l'empereur Antonin Caracalle a l'une foys occist les Alexandrins: à l'autre desfit la compaignie de Artaban roy des Perses, soubs couleur & fiction de vouloir sa fille espouser. Ce que ne resta impuny: car peu après il y perdit la vie. Ainsi les enfans de Iacob pour vanger le rapt de leur soeur Dyna, sacmentèrent les Sichimiens. En ceste hypocritique façon par Galien empereur Romain feurent les gens de guerre desfaicts dedans Constantinople. Ainsi soubs espèce d'amitié Antonius attira Artavasdes roy de Armenie: puys le feist lier & enferrer de grosses chaisnes: finablement le feist occire. Mille aultres pareilles histoires trouvons nous par les antiques monumens. Et à bon droict est iusques à praesent de prudence grandement loué Charles roy de France sixième de ce nom, lequel retournant victorieux des Flamens & Gantois en sa bonne ville de Paris, & au Bourget en France entendent que les Parisiens avecques leurs mailletz (dont feurent surnommez Maillotins) estoient hors la ville issuz en bataille iusques au nombre de vingt mille combatans, ne y voulut entrer, quoy qu'ilz remonstrassent que ainsi s'estoient mis en armes pour plus honorablement le recueillir sans aultre fiction ne mauvaise affection, que premierement ne se feussent en leurs maisons retirez & desarmez.
Comment Pantagruel manda querir
les capitaines Riflandouille & Tailleboudin:
avecques un notable discours
sus les noms propres des lieux
& des persones.
Chapitre XXXVII.
La resolution du conseil feut, qu'en tout evenement ils se tiendroient sus leurs guardes. Lors par Carpalim & Gymnaste au mandement de Pantagruel feurent appellez les gens de guerre qui estoient dedans la nauf Brindière, (des quelz coronel estoit Riflandouille) & Portouerière (des quelz coronel estoit Tailleboudin le ieune).
Ie soulaigeray, dist Panurge, Gymnaste de ceste poine. Aussi bien vous est icy la praesence necessaire.
Par le froc que ie porte (dis frère Ian) tu te veulx absenter du combat, Couillu, & ià ne retourneras, sus mon honneur. Ce n'est mie grande perte. Aussi bien ne feroit il que pleurer, lamenter, crier, & descouraiger les bons soubdars.
Ie retourneray certes, dist Panurge, frère Ian mon père spirituel, bien toust. Seulement donnez ordre à ce que ces fascheuses Andouilles ne grimpent sus les naufz. Ce pendent que combaterez, ie priray Dieu pour vostre victoire, à l'exemple du chevalereux capitaine Moses conducteur du peuple Israelicque.
La denomination, dist Epistemon à Pantagruel, de ces deux vostres coronelz Riflandouille & Tailleboudin en cestuy conflict nous promect asceurance, heur, & victoire, si par fortune ces Andouilles nous vouloient oultrager.
Vous le prenez bien (dist Pantagruel) Et me plaist que par les noms de nos coronelz vous praevoiez & prognosticquez la nostre victoire. Telle manière de prognosticquer par noms n'est moderne. Elle feut iadis celèbre & religieusement observée par les Pythagoriens. Plusieurs grands seigneurs & empereurs en ont iadis bien faict leur profict. Octavian Auguste second empereur de Rome quelque iour rencontrant un paisant nommée Authyche, c'est à dire Bienfortuné, qui menoit un asne nommé Nicon, c'est en langue Grecque Victorien, meu de la signification des noms tant de l'asnier que de l'asne se asceura de toute prosperité, felicité, & victoire. Vespasian empereur pareillement de Rome estant un iour seulet en oraison on temple de Serapis, à la veue & venue inopinée d'un sien serviteur nommé Basilidès, c'est à dire Royal, lequel il avoit loing darrière laissé malade, print espoir & asceurance de obtenir l'empire Romain. Regilian non pour aultre cause ne occasion feut par ses gens de guerre esleu Empereur, que par signification de son propre nom. Voyez le Cratyle du divin Platon. (Par ma soif, dist Rhizotome, ie le veulx lire. Ie vous oy souvent le alleguant.) Voyez comment les Pythagoriens par raison des noms & nombres concluent que Patroclus doibvoit estre occis par Hector: Hector par Achilles: Achilles par Paris: Paris par Philoctetes.
Ie suys tout confus en mon entendement, quand ie pense en l'invention admirable de Pythagoras, lequel par le nombre par ou impar des syllabes d'un chascun nom propre exposoit de quel cousté estoient les humains boyteulx, bossus, borgnes, goutteux, paralytiques, pleuritiques, & autres telz malefices en nature: sçavoir est assignant le nombre par au cousté guausche du corps, le impar au dextre.
Vrayment, dist Epistemon, i'en veids l'experience à Xainctes en une procession generale, praesent le tant bon, tant vertueux, tant docte & equitable praesident Briend Valée seigneur du Douhet. Passant un boiteux ou boiteuse, un borgne ou borgnesse, un bossu ou bossue, on luy rapportoit son nom propre. Si les syllabes du nom estoient en nombre impar, soubdain sans veoir les persones, il les disoit estre maleficiez borgnes, boiteux, bossus du cousté dextre. Si elles estoient en nombre par, du cousté guausche. Et ainsi estoit à la verité, oncques n'y trouvasmes exception.
Par ceste invention, dist Pantagruel, les doctes ont affermé que Achilles estant à genoulx feut par la fleiche de Paris blessé on talon dextre. Car son nom est de syllabes impares. Icy est à noter que les anciens se agenouilloient du pied dextre. Venus par Diomèdes davant Troie blessée en la main guausche, car son nom en Grec est de quatre syllabes. Vulcan boiteux du pied guausche, par mesmes raison. Philippe roy de Macedonie, & Hannibal borgnes de l'oeil dextre. Encores pourrions nous particularizer des Ischies, Hernies, Hermicraines, par ceste raison Pythagorique.
Mais pour retourner aux noms consyderez comment Alexandre le grand filz du roy Philippe duquel avons parlé, par l'interpretation d'un seul nom parvint à son entreprinse. Il assiegeoit la forte ville de Tyre & la battoit de toutes ses forces par plusieurs sepmaines, mais c'estoit en vain. Rien ne profitoient les engins & molitions. Tout estoit soubdain demoli & remparé par les Tyriens. Dont print phantasie de lever le siège, avecques grande melancholie voyant en cestuy departement perte insigne de sa reputation. En tel estrif & fascherie se endormit. Dormant songeoit qu'un Satyre estoit dedans sa tente dansant & saultelant avecques ses iambes bouquines. Alexandre le vouloit prendre, le Satyre tousiours luy eschapoit. En fin le Roy le poursuivant en un destroict le happa. Sus ce poinct se eveigla. Et racontant son songe aux philosophes & gens sçavans de sa court, entendit que les dieux luy promettoient victoire, & que Tyre tout bientôt seroit prinse: car ce mot Satyros divisé en deux est Sa Tyros, signifiant Tienne est Tyre. De faict au premier assault qu'il feist, il emporta la ville de force & en grande victoire subiugua ce peuple rebelle.
Au rebours consyderez comment par la signification d'un nom Pompée se desespera. Estant vaincu par Caesar en la bataille Pharsalique, ne eut moyen aultre de soy saulver que par fuyte. Fuyant par mer arriva en l'isle de Cypre. Près la ville de Paphos apperceut sus le rivage un palais beau & sumptueux. Demandant au pilot comment l'on nommoit cestuy palais, entendit qu'on le nommoit , c'est à dire, Malroy. Ce nom luy feut en tel effroy & abomination, qu'il entra en desespoir, comme asceuré de ne evader que bien toust ne perdist la vie. De mode que les assistans & nauchiers ouirent ses cris, souspirs, & gemissemens. De faict peu de temps après un nommé Achillas paisant incongneu luy trancha la teste. Encores pourrions nous à ce propous alleguer ce que advint à L. Paulus Aemylius, lors que par le senat Romain feut esleu Empereur, c'est à dire chef de l'armée, qu'ilz envoyoient contre Perses roy de Macedonie. Icelluy iour sus le soir retournant en sa maison pour soy aprester au deslogement, baisant une siene fille nommée Tratia, advisa qu'elle estoit aulcunement triste.
Qui a il (dist il) ma Tratia? Pourquoy es tu ainsi triste & faschée?
Mon père (respondit elle) Persa est morte.
Ainsi nommoit elle une petite chiene, qu'elle avoit en delices. A ce mot print Paulus asceurance de la victoire contre Perses. Si le temps permettoit que puissions discourir par les sacres bibles des Hebreux, nous trouverions evidemment cent passages insignes nous monstrans evidemment en quelle observance & religion leurs estoient les noms propres avecques leurs significations.
Sus la fin de ce discours arrivèrent les deux coronelz accompaignez de leurs soubdars tous bien armez, & bien deliberez. Pantagruel leurs feist une briefve remonstrance, à ce qu'ilz eussent à soy monstrer vertueux au combat, si par cas estoient contraincts (car encores ne povoit il croire que les Andouilles feussent si traistresses) avecques defense de commencer le hourt: & leur bailla Mardigras pour mot du guet.
Comment Andouilles ne sont à
mespriser entre les humains.
Chapitre XXXVIII.
Vous truphez icy Beuveurs & ne croyez que ainsi soit en verité comme ie vous raconte. Ie ne sçaurois que vo' en faire. Croyez le si voulez: si ne voulez, allez y veoir. Mais ie sçay bien ce que ie veidz. Ce feut en l'isle Farouche. Ie la vous nomme. Et vous reduisez à memoire la force des Geants antiques, les quelz entreprindrent le hault mons Pelion imposer sur Ossé, & l'umbrageux Olympe avecques Ossé envelopper, pour combattre les dieux, & du ciel les deniger. Ce n'estoit force vulgaire ne mediocre. Iceulx toutesfoys n'estoient que Andouilles pour la moitié du corps, ou Serpens que ie ne mente. Le serpens qui tua Eve, estoit andouillicque, ce nonobstant est de luy escript, qu'il estoit fin & cauteleux sus tous aultres animans. Aussi sont Andouilles. Encores maintient on en certaines Academies que ce tentateur estoit l'andouille nommée Ithyphalle, en laquelle feut iadis transformé le bon messer Priapus grand tentateur des femmes par les paradis en Grec, ce sont Iardins en François. Les Souisses peuple maintenant hardy & belliqueux, que sçavons nous si iadis estoient Saulcisses: ie n'en vouldroys pas mettre le doigt on feu. Les Himantopodes peuple en Aethiopie bien insigne sont Andouilles scelon la description de Pline, non autre chose. Si ces discours ne satisfont à l'incredulité de vos seigneuries, presentement (i'entends après boyre) visitez Lusignan, Partenay, Vovant, Mervant, & Ponzauges en Poictou. Là trouverrez tesmoings vieulx de renom & de la bonne forge, les quelz vous iureront sus le braz sainct Rigomé, que Mellusine leur première fondatrice avoit corps foeminin iusques aux boursavitz, & que le reste en bas estoit andouille serpentine, ou bien serpent andouillicque. Elle toutesfoys avoit alleure braves & guallantes: les quelles encore auiourd'huy sont imitées par les Bretons balaldins dansans leurs trioriz fredonnizez. Quelle feut la cause pourquoy Erichthonius premier inventa les coches, Lectières, & charriotz? C'estoit parce que Vulcan l'avoit engendré avecques iambes de Andouilles: pour lesquelles cacher mieulx aima aller en lectière que à cheval. Car encores de son temps ne estoient Andouilles en reputation. La nymphe Scythicque Ora avoit pareillement le corps my party en femme & en Andouille. Elle toutesfoys tant sembla belle à Iuppiter, qu'il coucha avecques elle & en eut un beau filz nommé Colaxes. Cessez pourtant icy plus vous trupher, & croyez qu'il n'est rien si vray que l'Evangile.
Comment frère Ian se rallie avecques
les cuisiniers pour combatre
les Andouilles.
Chapitre XXXIX.
Voyant frère Ian ces furieuses Andouilles ainsi marcher dehayt, dist à Pantagruel. Ce sera icy une belle bataille de foin, à ce que ie voy. Ho le grand honneur & louanges magnificques qui seront en nostre victoire. Ie vouldrois que dedans vostre nauf feussiez de ce conflict seulement spectateur, & au reste me laissiez faire avecques mes gens.
Quelz gens? demanda Pantagruel.
Matière de breviaire, respondit frère Ian. Pourquoy Potiphar maistre queux des cuisines de Pharaon, celluy qui achapta Ioseph, & lequel Ioseph eust faict coqu, s'il eust voulu, feut maistre de la cavallerie de tout le royaulme d'Aegypte? Pourquoy Nabuzardan maistre cuisinier du Roy Nabugodonosor feut entre tous aultres capitaines esleu pour assieger & ruiner Hierusalem?
I'escoute, respondit Pantagruel.
Par le trou Madame, dist frère Ian, ie auserois iurer qu'ilz autres foys avoient Andouilles combatu, ou gens aussi peu estimez que Andouilles: pour les quelles abatre, combatre, dompter, & sacmenter trop plus sont sans comparaison cuisiniers idoines & suffisans, que tous gensdarmes, estradiotz, soubdars, & pietons du monde.
Vous me refraischissez la memoire, dist Pantagruel, de ce que est escript entre les facecieuses & ioyeuses responses de CIceron. On temps des guerres civiles à Rome entre Cesar & Pompée, il estoit naturellement plus enclin à la part Pompeiane, quoy que de Caesar feust requis & grandement favorisé. Un iour entendent que les Pompeians à certaine rencontre avoient faict insigne perte de leurs gens, voulut visiter leur camp. En leur camp apperceut peu de force, moins de couraige, & beaucoup de desordre. Lors praevoyant que tout iroit à mal & perdition comme depuis advint, commença trupher & mocquer maintenant les uns, maintenant les aultres, avecques brocards aigres & picquans, comme tresbien sçavoit le style. Quelques capitaines faisans des bons compaignons, comme gens bien asceurez & deliberez luy dirent. Voyez vous combien nous avons encores d'Aigles? C'estoit lors la devise des Romains en temps de guerre. Cela, respondit Ciceron, seroit bon & à propous, si guerre aviez contre les Pies. Donques veu que combatre nous fault Andouilles, vo' inferez que c'est bataille culinaire, & voulez aux cuisiniers vous rallier. Faictez comme l'entendez. Ie resteray icy attendant l'issue de ces fanfares.
Frère Ian de ce pas va es tentes des cuisines, & dict en toute guayeté & courtoisie aux cuisiniers. Enfans ie veulx huy vous tous veoir en honneur & triumphe. Par vous seront faictes apertises d'armes non encores veues de nostre memoire. Ventre sus ventre, ne tient on aultre compte des vaillans cuisiniers? Allons combatre ces paillardes Andouilles. Ie seray vostre capitaine. Beuvons amis. Cza, couraige.
Capitaine (respondirent les cuisiniers) vous dictes bien. Nous sommes à votres ioly commandement. Soubs vostre conduicte nous voulons vivre & mourir.
Vivre (dist frère Ian) bien: mourir, poinct. C'est à faire aux Andouilles. Or donques mettons nous en ordre. Nabuzardan vous sera pour mot du guet.
Comment par frère Ian est dressée
la Truye & les preux cuisiniers
dedans enclous.
Chapitre XL.
Lors au mandement de frère Ian feut par les maistres ingenieux dressée la grande Truye, laquelle estoit dedans la nauf Bourrabaquinière. C'estoit un engin mirificque faict de telle ordonnance, que des gros couillarts qui par rancs estoient au tour, il iectoit bedaines & quarreaux empenez d'assier: & dedans la quadrature duquel povoient aisement combatre & à couvert demourer deux cens hommes & plus: & estoit faict au patron de la Truye de la Riole, moyennant laquelle feut Bergerac prins sus les Anglois regnant en France le ieune roy Charles sixième.
Ensuyt le nombre & les noms de preux & vaillans cuisiniers, les quelz, comme dedans le cheval de Troye, entrèrent dedans la Truye.
Saulpicquet. Crespelet.
Ambrelin. Maistre Hordoux.
Guavache. Grasboyau.
Lascheron. Pillemortier.
Porcausou. L'eschevin.
Salezart. Saulgrenée.
Maindeguourre. Cabirotade.
Lasdaller. Fressurade.
Pochecuillière. Hoschepot.
Moustamoulüe. Balafré.
Hasteret. Gualimafré.
Tous ces nobles Cuisiniers portoient en leurs armoiries en champ de gueulle lardouoire de Sinople fessée d'un chevron argenté penchant à guausche.
Lardon.
Lardonnet. Rond lardon.
Croquelardon. Antilardon.
Tirelardon. Frizelardon.
Graslardon. Lacelardon.
Saulvealrdon. Grattelardon.
Archilardon. Marchelardon.
Guaillardon, par syncope natif près de Rambouiller. Le nom du docteur culinaire estoit Guaillartlardon. Ainsi dictez vous Idolatre pour Idololatre.
Roiddelardon. Bellardon.
Astrolardon. Neuflardon.
Doulxlardon. Aigrelardon.
Maschelardon. Billelardon.
Trappelardon. Guignelardon.
Bastelardon. Poyselardon.
Guyllevardon. Vezelardon.
Noms incongneuz entre les Maranes & Iuifz.
Couillu. Iusverd.
Salladier. Marmitige.
Cressonnadière. Accodepot.
Raclenaveau. Hoschepot.
Cochonnier. Brizepot.
Peaudeconnin. Guallepot.
Apigratis. Frillis.
Pastissandière. Guorgesallée.
Raflard. Escarguotandière.
Francbeviguet. Bouillonsec.
Moustardiot. Souppimars.
Vinetteux. Eschinade.
Potageouart. Prezurier.
Frelault. Macaron.
Benest. Escarsaufle.
Briguaille. Cestuy feut de cuisine tiré en chambre pour le service du noble cardinal le Veneur.
Guasteroult. Hastiveau.
Escouvillon. Alloyandière.
Beguinet. Esclanchier.
Escharbotier. Guastelet.
Vitet. Rapimontes.
Vitault. Soufflemboyau.
Vitvain. Pelouze.
Iolivet. Gabaonite.
Vitneuf. Bubarin.
Vistempenard. Crocodillet.
Victorien. Prelinguant.
Vitvieulx. Balafré.
Vitvelu. Maschouré.
Mondam inventeur de la saulse Marame, & pour telle invention feut ainsi nommé en languaige Escosse François.
Clacquedens. Guauffreux.
Baguioincier. Saffranier.
Myrelanguoy. Malparouart.
Becdassée. Antitus.
Rincepot. Navelier.
Urelelipipingues. Rabiolas.
Maunet. Boudinandière.
Guodepie. Cochonnet.
Robert. cestuy feut inventeur de la saulse Robert tant salubre & necessaire aux Connilz roustiz, Canars, Porcfrays, Oeufz pochez, Merluz sallez, & mille aultres telles viandes.
Froiddanguille. Saulpoudré.
Rougengraye. Paellefrite.
Guourneau. Landore.
Gribouillis. Calabre.
Sacabribes. Navelet.
Olymbrius. Foyrart.
Foucquet. Grosguallon.
Dalyqualquain. Brenous.
Salmiguondin. Mucydan.
Gringuallet. Matatruys.
Aransor. Cartevirade.
Talemouse. Cocquecygrue.
Grosbec. Visedecache.
Frippelippes. Badelory.
Friantaures. Vedel.
Guasselaze. Braguibus.
Dedans le Truye entrèrent ces nobles cuisiniers guaillars, quallans, brusquetz, & prompts au combat. Frère Ian avecques son grand badelaire entre le dernier & ferme les portes à ressort par le dedans.
Comment Pantagruel
rompit les Andouilles aux genoulx.
Chapitre XLI.
Tant approchèrent ces Andouilles que Pantagruel apperceut comment elles desployoient leurs braz, & ià commençoient besser boys. Adoncques envoye Gymnaste entendre qu'elles vouloient dire, & sus quelle querelle elles vouloient sans defiance guerroyer contre leurs amis antiques, qui rien n'avoient mesfaict ne mesdict.
Gymnaste au davant des premières fillières feist une grande & profonde reverence, & s'escria tant qu'il peut disant. Vostres, vostres, vostres sommes nous trestous, & à commandement. Tous tenons de Mardigras, vostre antique confoederé. Aulcuns depuys me ont raconté, qu'il dist Gradimars non Mardigras. Quoy que soit, à ce mot un gros Cervelat saulvaige & farfelu anticipant davant le front de leur bataillon le voulut saisir à la guorge.
Par Dieu (dist Gymnaste) tu n'y entreras qu'à taillons: ainsi entier ne pourrois tu.
Si sacque son espée Baise mon cul (ainsi la nommoit il) à deux mains, & trancha le Cervelat en deux pièces. Vray Dieu qu'il estoit gras. Il me soubvint du gros Taureau de Berne qui feut à marignan tué à la desfaicte des Souisses. Croyez qu'il n'avoit guères moins de quatre doigts de lard sus le ventre.
Ce Cervelat ecervelé coururent Andouilles sus Gymnaste, & le terrassoient vilainement, quand Pantagruel acourut le grand pas au secours. Adoncques commença le combat Martial pelle melle. Riflandouille rifloit Andouilles: Tailleboudin tailloit Boudins. Pantagruel rompoit Andouilles au genoil, Frère Ian se tenoit quoy dedans sa Truye tout voyant & consyderant, quand les Guodiveaulx qui estoient en embuscade sortirent tous en grand effroy sus Pantagruel.
Adoncques voyant frère Ian le desarroy & tumulte ouvre les portes de sa truye, & sort avecques ses bons soubdars, les uns portans broches de fer, les aultres tenens landiers, contrehastiers, paelles, pales, cocquasses, grisles, fourguons, tenailles, lichefrètes, ramons, marmites, mortiers, pistons, tous en ordre comme brusleurs de maisons: hurlans & crians tous ensemble espovantablement. Nabuzardan, Nabuzardan, Nabuzardan. En tels cris & esmeute chocquèrent les Guodiveaulx, & à travers les Saulcissons. Les Andouilles soubdain apperceurent ce nouveau renfort, & se meirent en fuyte le grand guallot, comme s'elles eussent veu tous les Diables. Frère Ian à coups de bedaines les abbatoit menu comme mousches: ses soubdars ne se y espargnoient mie. C'estoit pitié. Le camp estoit tout couvert d'Andouilles mortes, ou navrées. Et dict le conte, que si Dieu n'y eust pourveu, la generation Andouillicque eut par ces soubdars culinaires toute esté exterminée. Mais il advint un cas merveilleux. Vous en croyrez ce que vouldrez.
Du cousté de la Transmontane advola un grand, gras, gros, gris pourceau ayant aesles longues & amples comme sont les aesles d'un moulin à vent. Et estoit le pennaige rouge cramoisy, comme est d'un Phoenicoptère: qui en Languegoth est appellé Flammant. Les oeilz avoit rouges & flamboyans, comme un Pyrope. Les aureilles verdes comme une Esmeraulde prassine: les dens iaulnes comme un Topaze: la queue longue noire comme marbre Lucullian: les pieds blancs, diaphanes & transparens, comme un Dimant: & estoient largement pattez, comme sont des Oyes, & comme iadis à Tholose les portoit la royne Pedaucque. Et avoit un collier d'or au coul, au tour du quel estoient quelques letres Ionicques, des quelles ie ne peuz lire que deux motz: , Pourceau Minerve enseignant. Le temps estoit beau & clair. Mais à la venue de ce monstre il tonna du cousté guausche si fort, que nous restames tous estonnez. Les Andouilles soubdain que l'apperceurent iectèrent leurs armes & bastons, & à terre toutes se agenouillèrent, levantes hault leurs mains ioinctes sans mot dire, comme si elles le adorassent. Frère Ian avecques ses gens frappoit tousiours & embrochoit Andouilles. Mais par le commendement de Pantagruel feut sonnée retraicte, & cessèrent toutes armes. Le monstre ayant plusieurs foys volé & revolé entre les deux armées iecta plus de vingt & sept pippes de moustarde en terre: puys disparut volant par l'air & criant sans cesse. Mardigras, Mardigras, Mardigras.
Comment Pantagruel
parlemente avecques Niphleseth
Royne des Andouilles.
Chapitre XLII.
Le monstre susdict plus ne apparoissant, & restantes les deux armées en silence, Pantagruel demanda parlementer avecques la dame Niphleseth, ainsi estoit nommée la Royne des Andouilles, laquelle estoit près les enseignes dedans son coche. Ce que feut facilement accordé. La Royne descendit en terre, & gratieusement salua Pantagruel, & le veid voluntiers.
Pantagruel soy complaignoit de ceste guerre. Elle luy feist ses excuses honestement, alleguant que par faulx rapport avoit esté commis l'erreur: & que ses espions luy avoient denoncé, que Quaresmeprenant leur antique ennemy estoit en terre descendu, & passoit temps à veoir l'urine des Physetères. Puys le pria vouloir de grace leur pardonner ceste offense alleguant qu'en Andouilles plus toust l'on trouvast merde que fiel: en ceste conditions, qu'elle & toutes ses successitres Niphleseth à iamais tiendroient de luy & ses successeurs toute l'isle & pays à foy & hommaige: obeiroient en tout & par tout à ses mandemens: seroient de ses amis amies, & de ses ennemis ennemies: par chascun an en recoingnoissance de ceste feaulté luy envoyroient soixante & dixhuict mille Andouilles Royalles pour à l'entrée de table le servir six moys l'an. Ce que feut par elle faict: & envoya au lendemain dedans six Briguantins le nombre susdict d'Andouilles Royalles au bon Gargantua soubs la conduicte de la ieune Niphleseth Infante de l'isle. Le noble Gargantua en feist praesent & les envoya au grand Roy de Paris. Mais au changement de l'air, aussi par faulte de moustarde Baulme naturel & restaurant d'Andouilles moururent presque toutes. Par l'oltroy & vouloir du grand Roy feurent par monceaulx en un endroict de Paris enterrées, qui iusques à praesent est appellé, la rue pavée d'Andouilles. A la requeste des Dames de la court Royalle feut Niphleseth la ieune saulvée & honorablement traictée. Depuys feut mariée en bon & riche lieu, & feist plusieurs beaulx enfans, dont loué soit Dieu.
Pantagruel remercia gratieusement la royne: pardonna toute l'offense: refusa l'offre qu'elle avoit faict: & luy donna un beau petit cousteau parguoys. Puys curieusement l'interrogea sus l'apparition du monstre susdict. Elle respondit que c'estoit l'Idée de Mardigras leur dieu tutellaire en temps de guerre, premier fondateur & original de toute la race Andouillicque. Pourtant sembloit il à un Pourceau, car Andouilles feurent de Pourceau extraictes. Pantagruel demandoit à quel propous & quelle indication curative il avoit tant de moustarde en terre proiecté. La royne respondit, que moustarde estoit leur Sangreal & Bausme celeste: duquel mettant quelque peu dedans les playes des Andouilles terrassées, en bien peu de temps les navrées guerissoient, les mortes resuscitoient.
Aultres propous ne tint Pantagruel à la Royne: & se retira en sa nauf. Aussi feirent tous les bon compaignons avecques leurs armes & leur Truye.
Comment Pantagruel descendit
en l'isle de Ruach.
Chapitre XLIII.
Deux iours après arrivasmes en l'isle de Ruach, & vous iure par l'estoille Poussinière, que ie trouvay l'estat & la vie du peuple estrange plus que ie ne diz. Ilz ne vivent que de vent. Rien ne beuvent, rien ne mangent, si non vent. Ilz n'ont maisons que de gyrouettes. En leurs iardins ne sèment que les troys espèces de Anemone. La Rue & aultres herbes carminatives ilz en escurent soingneusement. Le peuple commun pour soy alimenter use de esventoirs de plumes, de papier, de toille, scelon leur faculté, & puissance. Les riches vivent de moulins à vent. Quand ilz font quelque festin ou banquet, on dresse les tables soubs un ou deux moulins à vent. Là repaissent aises comme à nopces. Et durant leur repas disputent de la bonté, excellence, salubrité, rarité des vens, comme vous Beuveurs par les banquetz philosofez en matière de vins. L'un loue le Siroch, l'aultre le Besch, l'aultre le Guarbin, l'aultre la Bize, l'aultre Zephyre, l'aultre Gualerne. Ainsi des aultres. L'aultre le vent de la chemise pour les muguetz & amoureux. Pour les malades ilz usent de vent couliz comme de couliz on nourrist les malades de nostre pays.
O (me disoyt un petit enflé) qui pourroyt avoir une vessye de ce bon vent de Languegoth que l'on nomme Cyerce. Le noble Scurron medicin passant un iour par ce pays nous contoit qu'il est si fort qu'il renverse les charrettes chargées. O le grand bien qu'il feroit à ma iambe Oedipodicque. Les grosses ne sont les meilleures.
Mais (dist Panurge) une grosse botte de ce bon vin de Languegoth qui croist à Myrevaulx, Canteperdris, & Frontignan.
Ie y veiz un home de bonne apparence bien resemblant à la Ventrose, amerement courroussé contre un sien gros grand varlet, & un petit paige, & les battoit en Diable à grands coups de brodequin. Ignorant la cause du courroux pensois que feust par le conseil des medicins, comme chose salubre au maistre soy courrousser & battre: aux varletz, estre battuz. Mais ie ouyz qu'il reprochoit aux varletz luy avoir esté robbé à demy une oyre de vent Guarbin, laquelle il guardoit cherement comme viande rare pour l'arrière saison. Ilz ne fiantent, ilz ne pissent, ilz ne crachent en ceste isle. En recompense ilz vesnent, ilz pèdent, ilz rottent copieusement. Ilz patissent toutes sortes & toutes espèces de maladies. Aussi toute maladie naist & procède de ventosité, comme deduyt Hippocrates lib. de Flatibus. Mais la plus epidemiale est la cholicque venteuse. Pour y remedier usent de ventoses amples, & y rendent fortes ventositez. Ilz meurent tous Hydropicques tympanites. Et meurent les homes en pedent, les femmes en vesnent. Ainsi leur sort l'ame par le cul.
Depuys nous pourmenans par l'isle rencontrasmes troys gros esventez les quelz alloient à l'esbat veoir les pluviers, qui la sont en abondance & vivent de mesmes diète. Ie advisay que ainsi comme vo' Beuveurs allans par pays portez flaccons, ferrières, & bouteilles, pareillement chascun à sa ceincture portoit un beau petit soufflet. Si par cas vent leurs failloit, aceques ces ioliz souffletz ilz en forgeoient de tout frays, par attraction & expulsion reciprocque, comme vous sçavez que vent en essentiale definition n'est aultre chose que air flottant & undoyant.
En ce moment de par leur Roy no' feut faict commandement que de troys heures n'eussions à retirer en nos navires home ne femme du pays. Car on luy avoit robbé une vèze plène du vent propre que iadis à Ulysses donna le bon ronfleur Aeolus pour guider sa nauf en temps calme. Lequel il guardoit religieusement, comme un aultre Sangreal, & en guerissoyt plusiseurs enormes maladies: seulement en laschant & elargissant es malades autant qu'en fauldroit pour forger un pet virginal: c'est ce que les Cantimoniales appellent sonnet.
Comment petites pluyes abattent
les grans vents.
Chapitre XLIIII.
Pantagruel louoyt leur police & manière de vivre, & dist à leur potestat Hypenemien. Si recepvez l'opinion de Epicurus, disant le bien souverain consister en volupté, Volupté, diz ie, facile & non penible, ie vous repute bien heureux. Car vostre vivre qui est de vent, ne vous couste rien ou bien peu, il ne fault que souffler.
Voyre, respondit le Potestat. Mais en ceste vie mortelle rien n'est béat de toutes pars. Souvent quand sommes à table nous alimentans de quelque bon & grand vent de Dieu, comme de Manne celeste, aises comme pères, quelque petite pluye survient, la quelle nous le tollist & abat. Ainsi sont maints repas perduz par faulte de victuailles.
C'est, dist Panurge, comme Ienin de Quinquenays pissant sus le fessier de sa femme Quelot abatit le vent punays, qui en sortoit comme d'une magistrale Aeolopyle. I'en feys naguères un dizain iolliet.
Ienin tastant un soir ses vins nouveaulx
Troubles encor & bouillans en leur lie,
Pria Quelot aprester des naveaulx
A leur soupper, pour faire chère lie.
Cela feut faict. Puys sans melancholie
Se vont coucher, belutent, prenent some.
Mais ne povant Ienin dormir en somme
Tant fort vesnoit Quelot, & tant souvent,
La compissa. Puys voylà, dit il, comme
Petite pluie abat bien un grand vent.
Nous d'adventaige (disoit le Potestat) avons une annuelle calamité bien grande & dommaigeable. C'est qu'un geant nommé Bringuenarilles, qui habite en l'isle de Tohu, annuellement par le conseil de ses medicins icy se transporte à la prime Vère, pour prendre purgation: & nous devore grand nombre de moulins à vent, comme pillules, & de souffletz pareillement, des quelz il est fort friant. Ce que nous vient à grande misère: & en ieusnons troys ou quatre quaremes par chascun an: sans certaines particulières rouaisons & oraisons.
Et n'y sçavez vous, demandoit Pantagruel, obvier?
Par le conseil, respondit le Potestat, de nos maistres Mezarims, nous avons mis en la saison qu'il a de coustume icy venir, dedans les moulins force cocqs & force poulles. A la première foys qu'il les avalla, peu s'en fallut, qu'il n'en mourust. Car ilz luy chantoient dedans le corps, & luy voloient à travers l'estomach, dont tomboit en lipothymie, cardiacque passion, & convulsion horrificque & dangereuse: comme si quelque serpens luy feust par la bouche entré dedans l'estomach.
Voylà, dist frère Ian, un comme mal à propous, & incongru. Car i'ay aultresfoys ouy dire, que le serpens entré dedans l'estomach ne faict desplaisir aulcun, & soubdain retourne dehors, si par les pieds on pend le patient, luy praesentant près la bouche un paeslon plein de laict chaud. Vous, dist Pantagruel, l'avez ouy dire: aussi avoient ceulx qui vous l'ont raconté. Mais tel remède ne feut oncques veu ne leu. Hippocrates lib. 5. Epid. escript le cas estre de son temps advenu: & le patient subit estre mort par spasme & convulsion.
Oultre plus, disoit le Potestat, tous les Renards du pays luy entroient en gueule poursuyvans les gelines, & trespassoit à tous momens, ne feust que par le conseil d'un Badin enchanteur, à l'heure du paroxysme il escorchoit un Renard pour antidote & contrepoison.
Depuys eut meilleur advis, & y remedie moyennant un clystère qu'on luy baille faict d'une decoction de grains de bled & de millet, es quelz accourent les poulles, ensemble de fayes d'oysons es quelz accourent les Renards. Aussi des pillules qu'il prent par la bouche, composées de levriers & de chiens terriers. Voyez là nostre malheur.
N'ayez paour gens de bien (dist Pantagruel) desormais. Ce grand Bringuenarilles avalleur de moulins à vent est mort. Ie le vous asceure. Et mourut suffocqué & estranglé mangeant un coin de beurre frays à la gueule d'un four chault par l'ordonnance des Medicins.
Comment Pantagruel descendit
en l'isle des Papefigues.
Chapitre XLV.
Au lendemain matin recontrasmes l'isle des Papefigues. Lesquelz iadis estoient riches & libres, & les nommoit on Guaillardetz, pour lors estoient paouvres, mal heureux, & subiectz aux Papimanes. L'occasion avoit esté telle. Un iour de feste annuelle à bastons, les Bourguemaistres, Syndicz & gros Rabiz Guaillardetz estoient allez passer temps & veoir la feste en Papimanie, isle prochaine. L'un d'eulx voyant le protraict Papal (comme estoit de louable coustume publicquement le monstrer es iours de feste à doubles bastons) luy feist la figue. Qui est en icelluy pays signe de contempnement & derision manifeste. Pour icelle vanger les Papimanes quelques iours après sans dire guare, se mirent tous en armes, surprindrent, saccaigèrent, & ruinèrent toute l'isle des Guaillardetz: taillèrent à fil d'espée tout home portant barbe. Es femmes & iouvencaulx pardonnèrent avecques condition semblable à celle dont l'empereur Frederic Barberousse iadis usa envers les Milanois.
Les Milanois s'estoient contre luy absent rebellez, & avoient l'Imperatrice sa femme chassé hors la ville ignominieusement montée sus une vieille mule nommée Thacor à chevauchons de rebours: sçavoir est le cul tourné vers la teste de la mule, & la face vers la croppière. Frederic à son retour les ayant subiuguez & resserrez feist telle diligence qu'il recouvra la celèbre mule Thacor. Adoncques on mylieu du grant Brouet par son ordonnance le bourreau mist es membres honteux de Thacor une Figue praesens & voyans les citadins captifz: puys crya de par l'Empereur à son de trompe, que quiconques d'iceulx vouldroit la mort evader, arrachast publicquement la Figue avecques les dens, puys la remist on propre lieu, sans ayde des mains. Quiconques en feroit refus, seroit sus l'instant pendu & estranglé. Aulcuns d'iceulx eurent honte & horreur de telle tant abhominable amende: la postpousèrent à la craincte de mort: & feurent penduz. Es aultres la craincte de mort domina sus telle honte. Iceulx avoir à belles dens tiré la Figue, la monstroient au Boye apertement disans. Ecco lo fico.
En pareille ignominie, le reste de ses paouvres & desolez Guaillardetz feurent de mort guarantiz & saulvez. Feurent faicts esclaves & tributaires & leurs feut imposé nom de Papefigues: par ce qu'au protraict Papal avoient faict la Figue. Depuys celluy temps les paouvres gens n'avoient prosperé. Tous les ans avoient gresle, tempeste, peste, famine, & tout malheur, comme eterne punition du peché de leurs ancestres & parens.
Voyans la misère & calamité du peuple, plus avant entrer ne voulusmes. Seulement pour prendre de l'eaue beniste & à Dieu nous recommander, entrasmes dedans une petite chapelle près le havre ruinée, desolée, & descouverte, comme est à Rome le temple de sainct Pierre. En la chapelle entrez & prenens de l'eaue beniste, apperceusmes dedans le benoistier un home vestu d'estolles, & tout dedans l'eaue caché, comme un Canart au plonge, excepté un peu du nez pour respirer. Au tour de luy estoient troys prebstres bien ras & tonsurez, lisants le Grimoyre, & coniurans les Diables.
Pantagruel trouva le cas estrange. Et demandant quelz ieux c'estoient qu'ilz iouoient là, feut adverty que depuys troys ans passez avoit en l'isle regné une pestilence tant horrible que pour la moitié & plus, le pays estoit resté desert, & les terres sans possesseurs. Passée la pestilence, cestuy home caché dedans le benoitier, aroyt un champ grand & restile, & le semoyt de touzelle en un iour & heure qu'un petit Diable (lequel encores ne sçavoit ne tonner ne gresler, fors seulement le Persil & les choux, encor aussi ne sçavoit ne lire, n'escrire) avoit de Lucifer impetré venir en ceste isle des Papefigues soy recreer & esbatre, en laquelle les Diables avoient familiarité grande avecques les hommes & femmes, & souvent y alloient passer temps. Ce Diable arrivé au lieu s'adressa au Laboureur, & luy demanda ce qu'il faisoit. Le paouvre home luy respondit qu'il semoit celluy champ de touzelle, pour soy ayder à vivre l'an suyvant.
Voire mais (dist le Diable) ce champ n'est pas tien, il est à moy, & m'appartient. Car depuys l'heure & le temps qu'au Pape vous feistez la figue, tout ce pays nous feut adiugé, proscript, & abandonné. Bled semer toutesfoys n'est mon estat. Pourtant ie te laisse le champ. Mais c'est en condition que nous partirons le profict.
Ie le veulx, respondit le Laboureur.
I'entens (dist le Diable) que du profict advenent nous ferons deux lotz. L'un sera ce que croistra sus terre, l'aultre ce que en terre. Le choix m'appartient, car ie suys Diable extraict de noble & antique race, tu n'es qu'un villain. Ie choizis ce que sera en terre, tu auras le dessus. En quel temps sera la cuillette? A my Iuilet, respondit le Laboureur.
Or (dist le Diable) ie ne fauldray me y trouver. Fays au reste comme est le doibvoir. Travaille villain, travaille. Ie voys tenter du guaillard peché de luxure les nobles nonnains de Pettesec, les Cagotz & Brissaulx aussi. De leurs vouloirs ie suys plus que asceuré. Au ioindre sera le combat.
Comment le petit Diable feut trompé
par un laboureur de Papefiguière.
Chapitre XLVI.
La my Iuilet venue le Diable se representa au lieu acompaigné d'un escadron de petitz Diableteaulx de coeur. Là rencontrant le Laboureur, luy dist. Et puys villain comment t'es tu porté depuys ma departie? Faire icy convient nos partaiges.
C'est (respondit le laboureur) raison.
Lors commença le Laboureur avecques ses gens seyer le bled. Les petitz Diables de mesmes tiroient le chaulme de terre. Le Laboureur battit son bled en l'aire, le ventit, le mist en poches, le porta au marché pour vendre. Les Diableteaulx feirent de mesmes, & au marché près du Laboureur pour leur chaulme vendre s'assirent. Le Laboureur vendit tresbien son bled, & de l'argent emplit un vieulx demy brodequin, lequel il portoit à sa ceincture. Les Diables ne vendirent rien: ains au contraire les paizans en plein marché se mocquoient d'eulx.
Le marché clous dist le Diable au Laboureur. Villain tu me as ceste foys trompé, à l'aultre ne me tromperas.
Monsieur le Diable, respondit le Laboureur, comment vous auroys ie trompé, qui premier avez choysi. Vray est qu'en cestuy choix me pensiez tromper, esperant rien hors terre ne yssir pour ma part, & dessoubs trouver entier le grain que i'avoys semé, pour d'icelluy tempter les gens souffreteux, Cagotz, ou avares, & par temptation les faire en vos lacz trebucher. Mais vous estez bien ieune au mestier. Le grain que voyez en terre, est mort & corrumpu, la corruption d'icelluy a esté generation de l'aultre que m'avez veu vendre. Ainsi choisissiez vous le pire. C'est pourquoy estez mauldict en l'Evangile.
Laissons (dist le Diable) ce propous, de quoy ceste année sequente pourras tu nostre champ semer?
Pour profict, respondit le Laboureur, de bon mesnaigier le conviendroit semer de Raves.
Or (dist le Diable) tu es villain de bien, sème Raves à force ie les garderay de la tempeste, & ne gresleray dessus. Mais entends bien, ie retiens pour mon partaige, ce que sera dessus terre, tu auras le dessoubs. Travaille villain, travaille. Ie voys tenter les Hereticques, ce sont ames friandes en carbonnade: monsieur Lucifer a sa cholicque, ce luy sera une guorge chaulde.
Venu le temps de la cuillette, le Diable se trouva au lieu avecques un esquadron de Diableteaux de chambre. Là rencontrant le Laboureur & ses gens commença seyer & recuillir les feuilles des Raves. Après luy le Laboureur bechoyt & tiroyt les grosses Raves, & les mettoit en poches. Ainsi s'en vont tous ensemble au marché. Le Laboureur vendoit tresbien ses Raves. Le Diable ne vendit rien. Que pis est, on se mocquoit de luy publicquement.
Ie voy bien villain, dist adoncques le Diable, que par toi ie suys trompé. Ie veulx faire fin du champ entre toy & moy. Ce se fera en tel pact, que nous entregratterons l'un l'aultre, & qui de nous deux premier se rendra, quittera sa part du champ. Il entier demourera au vaincueur. La iournée sera à huictaine. Va villain, ie te gratteray en Diable. Ie alloys tenter les pillars, Chiquanous, desguyseurs de procès, notaires faulsères, advocatz prevaricateurs: mais ilz m'ont fait dire par un truchement, qu'ilz estoient tous à moy. Aussi bien se fasche Lucifer de leurs ames. Et les renvoye ordinairement aux Diables souillars de cuisine, si nons quand elles sont saulpouldrées.
Vous dictez qu'il n'est desieuner que de escholliers: dipner, que d'advocatz: ressiner, que de vinerons: soupper, que de marchans: reguoubillonner, que de chambrières. Et tous repas que de Farfadetz. Il est vray de faict monsieur Lucifer se paist à tous ses repas de Farfadetz pour entrée de table. Et se souloit desieuner de escholliers. Mais (las) ne sçay par quel malheur depuys certaines années ilz ont avecques leurs estudes adioinct les sainctes Bibles. Pour ceste cause plus n'en pouvons au Diable l'un tirer. Et croy que si les Caphards ne nous y aident, leurs oustans par menaces, iniures, force, violence, & bruslemens leur sainct Paul d'entre les mains, plus à bas n'en grignoterons. De advocatz pervertisseurs de droict, & pilleurs des paouvres gens, il se dipne ordinairement, & ne luy manquent. Mais on se fasche de tousiours un pain manger. Il dist naguères en plein chapitre qu'il mangeroit voluntiers l'ame d'un Caphard, qui eust oublié soy en son sermon recommander. Et promist double paye & notable appoinctement à quiconques luy en apporteroit une de broc en bouc. Chascun de nous se mist en queste. Mais rien n'y avons proficté. Tous admonnestent les nobles dames donner à leur convent. De ressieuner il s'est abstenu depuys qu'il eut sa forte colicque, provenente à cause que es contrées Boreales l'on avoit ses nourissons vivandiers, charbonniers, & chaircuitiers oultragé villainement. Il souppe tresbien des marchans usuriers, apothecaires, faulsaires, billonneurs, adulterateurs de marchandises. Et quelques foys qu'il est en ses bonnes, reguobillonne de chambrières, les quelles avoir beu le bon vin de leurs maistres remplissent le tonneau d'eaue puante. Travaille villain, travaille. Ie voys tenter les escholiers de Trebizonde, laisser pères & mères, renoncer à la police commune, soy emanciper des edictz de leur Roy, vivre en liberté soubterraine, mespriser un chascun, de tous se mocquer, & prenans le beau & ioyeulx petit beguin d'innocence Poeticque, soy tous rendre Farfadetz gentilz.
Comment le Diable fut trompé par une
Vieille de Papefiguière.
Chapitre XLVII.
Le laboureur retournant en sa maison estoit triste & pensif. Sa femme tel le voyant, cuydoit qu'on l'eust au marché desrobbé. Mais entendent la cause de sa melacholie, voyant aussi la bourse pleine d'argent, doulcement le reconforta: & l'asceura que de ceste gratelle mal aulcun de luy adviendroit. Seulement que sus elle il eust à se poser & reposer. Elle avoit ià pourpensé bonne yssue.
Pour le pis, disoit le Laboureur, ie n'en auray qu'une estrassade ie me rendray au premier coup, & luy quitteray le champ.
Rien, rien, dist la vieille, posez vous sus moy, & reposez, laissez moy faire. Vous m'avez dict que c'est un petit Diable, ie le vous feray soubdain rendre, & le champ nous demourera. Si c'eust esté un grand Diable, il y auroit à penser.
Le iour de l'assignation estoit lors qu'en l'isle no' arrivasmes. A bonne heure du matin le Laboureur s'estoit tresbien confessé, avoit communié, comme bon catholicque, & par le conseil du Curé s'estoit au plonge caché dedans le benoistier, en l'estat que l'avions trouvé.
Sus l'instant qu'on nous racontoit ceste histoire, eusmez advertissement que la vieille avoit trompé le Diable, & guaigné le champ. La manière feut telle. Le Diable vint à la porte du Laboureur, & sonnant s'escria.
O villain, villain. Cza, ça, à belles gryphes.
Puys entrant en la maison guallant & bien deliberé, & ne y trouvant le Laboureur advisa sa femme en terre pleurante & lamentante.
Qu'est cecy? demandoit le Diable. Où est il? Que faict il?
Ha (dist la vieille) où est il le meschant, le bourreau, le briguant? Il m'a affolée, ie suis perdue, ie meurs du mal qu'il m'a faict.
Comment? dist le Diable: Qu'y a il? Ie le vous gualleray bien tantoust.
Ha, dist la vieille, il m'a dict le bourreau, le tyrant, l'esgratineur de Diables, qu'il avoit huy assignation de se gratter avecques vous, pour essayer ses ongles il m'a seulement gratté du petit doigt icy entre les iambes, & m'a du tout affolée. Ie suys perdue, iamais ie ne gueriray, reguardez. Encores est il allé ches le mareschal soy faire esguizer & apoincter les gryphes. Vo' estez perdu monsieur le Diable mon amy. Saulvez vous, il n'arrestera poinct. Retirez vous, ie vous en prie.
Lors se descouvrit iusques au menton en la forme que iadis les femmes Persides se praesentèrent à leurs enfans fuyans de la bataille, & luy monstra son comment à nom?
Le Diable voyant l'enorme solution de continuité en toutes dimentions, s'escria: Mahon, Demiourgon, Megère, Alecto, Persephone, il ne me tient pas. Ie m'en voys bel erre. Cela? Ie luy quitte le champ.
Entendens la catastrophe & fin de l'histoire nous retirasmes en nostre nauf. Et là ne feimes aultre seiour. Pantagruel donna au tronc de la fabricque de l'Ecclise dixhuyt mille Royaulx d'or, en contemplation de la paouvreté du peuple, & calamité du lieu.
Comment Pantagruel descendit
en l'isle des Papimanes.
Chapitre XLVIII.
Laissans l'isle desolée des Papefigues navigasmes par un iour en serenité & tout plaisir, quand à nostre veue se offrit la benoiste isle des Papimanes. Soubdain que nos ancres feurent au port iectées avant que eussions encoché nos gumènes, vindrent vers nous en un esquif quatre persones diversement vestuz. L'un en moine enfrocqué, crotté, botté. L'aultre en faulconnier avecques un leurre & un grand oizeau. L'aultre en solliciteur de procès ayant un grand sac plein d'informations, citations, chiquaneries, & adiournemens en main. L'aultre en vigneron d'Orleans, avecques belles guestres de toille, une panouère & une serpe à la ceincture. Incontinent qu'ilz feurent ioinctz à nostre nauf, s'escrièrent à haulte voix tous ensemble demandans.
Le avez vous veu gens passagiers? l'avez vo' veu?
Qui? demandoit Pantagruel.
Celluy là, dirent ilz.
Qui est il? demanda frère Ian. Par la mort beuf ie l'assomeray de coups. Pensant qu'ilz se guementassent de quelque larron, meurtrier, ou sacrilège.
Comment (dirent ilz) gens peregrins ne congnoissez vous l'Unicque?
Seigneurs (dist Epistemon) nous ne entendons telz termes. Mais exposez nous (s'il vous plaist) de qui entendez, & nous vous en dirons la verité sans dissimulation.
C'est (dirent ilz) celluy qui est. L'avez vous iamais veu?
Celluy qui est, respondit Pantagruel, par nostre Theologique doctrine est Dieu. Et en tel mot se declaira à Moses. Oncques certes ne le veismes, Et n'est visible à oeilz corporelz.
Nous ne parlons mie (dirent ilz) de celluy hault Dieu qui domine par les Cieulx. No' parlons du Dieu en terre. L'avez vous oncques veu?
Ilz entendent (dist Carpalim) du Pape sus mon honneur.
Ouy, ouy, respondit Panurge, Ouy Dea messieurs, i'en ay veu troys. A la veue des quelz ie n'ay guères profité.
Comment? dirent ilz, nos sacres Decretales chantent qu'il n'y en a iamais qu'un vivent.
I'entends, respondit Panurge, les uns successivement après les aultres. Aultrement n'en ay ie veu qu'un à la foys.
O gens, dirent ilz, troys & quatre foys heureux, vous soyez les bien & plus que tresbien venuz.
Adoncques se agenoillèrent davant nous, & nous vouloient baiser les pieds. Ce que ne leurs voulusmes permettre, leurs remontrans que au Pape si là de fortune en propre persone venoit, ilz ne sçauroient faire d'adventaige.
Si ferions si, respondirent ilz. Cela est entre nous ià resolu. Nous luy baiserions le cul sans feuille & les couilles pareillement. Car il a couilles le père sainct, nous le trouvons par nos belles Decretales, aultrement ne seroit il Pape. De sorte qu'en subtile philosophie Decretaline ceste consequence est necessaire. Il est Pape, il a doncques couilles. Et quand couilles fauldroient on monde, le monde plus Pape n'auroit.
Pantagruel demandoit ce pendent à un mousse de leur esquif qui estoient ces personaiges. Il luy feist response, que c'estoient les quatre estatz de l'isle: adiousta d'adventaige que serions bien recuilliz & bien traictez, puys qu'avions veu le Pape. Ce que il remonstra à Panurge, lequel luy dist secretement.
Ie foys veu à Dieu c'est cela. Tout vient à poinct à qui peult attendre. A la veue du Pape iamais n'avions proficté: à ceste heure de par tous les Diables nous profitera comme ie voy.
Allors descendismez en terre & venoient au davant de nous comme en procession tout le peuple du pays, homes, femmes, petitz enfans. Nos quatre estatz leurs dirent à haulte voix.
Ilz le ont veu. Ilz le ont veu. Ilz le ont veu.
A ceste proclamation tout le peuple se agenoilloit davant nous, levans les mains ioinctes au ciel & cryans.
O, gens heureux. O bien heureux.
Et dura ce crys plus d'un quart d'heure. Puys y accourut le maistre d'escholle avecques tous ses pedagogues, grimaulx, & escholiers, & les fouettoit magistralement, comme on souloit fouetter les petitz enfans en nos pays quand on pendoit quelque malfaicteur. Affin qu'il leurs en soubvint.
Pantagruel en feut fasché, & leurs dist. Messieurs, si ne desister fouetter ces enfans, ie m'en retourne.
Le peuple s'estonna entendent la voix Stentorée & veiz un petit bossu à longs doigtz demandant au maistre d'eschole. Vertus de Extravaguantes, ceulx qui voyent le Pape deviennent ilz ainsi grands comme cestuy cy qui nous menasse? O qu'il me tarde merveilleusement que ie ne le voy, affin de croistre & grand comme luy devenir. Tant grandes feurent leurs exclamations, que Homenaz y accourut (ainsi appellent ilz leur Evesque) sus une mule desbridée, carapassonnée de verd, accompaigné de ses appous (comme ilz disoient) de ses suppos aussi, portans croix, banières, cinfalons, baldachins, torches, benoistiers. Et nous vouloit pareillement les pieds baiser à toutes forces (comme feist au pape Clement le bon Christian Valsinier) disant qu'un de leurs hypophètes degresseur & glossateur de leurs sainctes Decretales avoit par escript laissé que ainsi comme le Messyas tant & si long temps des Iuifz attendu, en fin leurs estoit advenu, aussi en icelle isle quelque iour le pape viendroit. Attendens ceste heureuse iournée, si là arrivoit personne qui l'eust veu à Rome ou aultre part, qu'ilz eussent à bien festoyer, & reverentement traicter. Toutesfoys nous en excusasmez honestement.
Comment Homenaz evesque
des Papimanes nous monstra les
uranopètes Decretales.
Chapitre XLIX.
Puys nous dist Homenaz. Par nos sainctes Decretales nous est enioinct & commendé visiter premier les Ecclises que les cabaretz. Pourtant ne declinans de ceste belle institution allons à l'Ecclise, après irons bancqueter.
Home de bien (dist frère Ian) allez davant nous vous suivrons. Vous en avez parlé en bons termes & en bon Christian. Ià long temps a que n'en avions veu. Ie m'en trouve fort resiouy en mon esprit, & croy que ie n'en repaistray que mieulx. C'est belle chose rencontrer gens de bien. Approchans de la porte du temple, apperceusmez un gros livre doré, tout couvert de fines & precieuses pierres, Balais, Esmerauldes, Diamans, & Unions, plus ou autant pour le moins excellentes, que celles que Octavian consacra à Iuppiter Capitolin. Et pendoit en l'air ataché à deux grosses chaines d'or au Zoophore du portal. Nous le reguardions en admiration. Pantagruel le manyoit & tournoyt à plaisir, car il y povoit aizement toucher. Et nous affermoit que au touchement d'icelles il sentoit un doulx prurit des ongles & desgourdissement de bras: ensemble temptation vehemente en son esprit de battre un sergent ou deux, pourveu qu'ilz n'eussent tonsure.
Adoncques nous dist Homenaz. Iadis feut aux Iuifz la loy par Moses baillée escripte des doigts propres de Dieu. En Delphes davant la face du temple de Apollo feyt trouvée ceste sentence divinement escripte . Et par certain laps de temps après feut veue EI aussi divinement escripte & transmise des Cieulx. Le simulachre de Cybèle feut des Cieulx en Phrygie transmis on champ nommé Pesinunt. Aussi feut en Tauris le simulachre de Diane, si croyez Euripides. L'oriflambe feut des Cieulx transmise aux nobles & treschristians Roys de France pour combatre les Infidèles. Regnant Numa Pompilius Roy second des Romains en Rome feut du Ciel veu descendre le tranchant bouclier dict Ancile. En Acropolis de Athènes iadis tomba du Ciel empire la statue de Minerve. Icy semblablement voyez les sacres Decretales escriptes de la main d'un ange Cherubin. Vous aultres gens Transpontins ne le croirez pas (Assez mal, dist Panurge) & à nous icy miraculeusement du Ciel des Cieulx transmises, en façon pareille que par Homère père de toute Philosophie (exceptez tousiours les dives Decretales) le fleuve du Nile est appellé Diipetes. Et parce qu'avez veu le Pape evangeliste d'icelles & protecteur sempiternel, vous sera de par no' permis les veoir & baiser au dedans si bon vo' semble. Mais il vo' convient par avant trois iours ieuner, & regulierement confesser, curieusement espluchans & inventorizans vos pechez tant dru, qu'en terre ne tombast une seule circonstance, comme divinement nous chantent les dives Decretales que voyez. A cela fault du temps.
Homme de bien (respondit Panurge) Decrotouères, voyre diz ie Decretales, avons prouveu en papier, en parchemin lanterné, en velin, escriptes à la main, & imprimées en moulle. Ià n'est besoing que vous penez à cestes cy nous monstrer. Nous contentons du bon vouloir, & vous remercions autant.
Vraybis (dist Homenaz) vous n'avez mie veu cestes cy angelicquement escriptes. Celles de vostre pays ne sont que transsumpts des nostres, comme trouvons escript par un de nos antiques Scholiastes Decretalins. Au reste vous pry n'y espargner ma peine. Seulement advisez si voulez confesser & ieuner les troys beaulx petitz iours de Dieu.
De cons fesser (respondit Panurge) tresbien nous consentons, Le ieune seulement ne nous vient à propous. Car nous avons tant & trestant par la marine ieuné, que les araignes ont faict leurs toilles sus nos dens. Voyez icy ce bon frère Ian des Entommeures (à ce mot Homenaz courtoisement luy bailla la petite accollade) la mousse luy est creue au gouzier par faulte de remuer & exercer les badiguoinces & mandibules.
Il dict vray (respondit frère Ian) I'ay tant & trestant ieuné, que i'en suys devenu tout bossu.
Entrons (dist Homenaz) doncques en l'Ecclise, & nous pardonnez si praesentement ne vous chantons la belle messe de Dieu. L'heure de myiour est passée, après laquelle nous defendent nos sacres Decretales messe chanter, messe diz ie haulte & legitime. Mais ie vous en diray une basse & seiche.
I'en aymerois mieulx (dist Panurge) une mouillée de quelque bon vin d'Aniou. Boutez, doncq, boutez, bas & roidde.
Verd & bleu (dist frère Ian) il me desplaist grandement qu'encores est mon estomach ieun. Car ayant tresbien desieuné, & repeu à usaige monachal, si d'adventure il nous chante de Requiem, ie y eusse porté pain & vin par les traictz passez. Patience Sacquez, chocquez, boutez, mais troussez la court, de paour que ne se crotte & pour aultre cause aussi, ie vous en prye.
Comment par Homenaz nous feut
monstré l'archetype d'un Pape.
Chapitre L.
La messe parachevée Homenaz tira d'un coffre près le grand autel un gros fatraz de clefz, desquelles il ouvrit à trente & deux claveures & quatorze cathenatz une fenestre de fer bien barrée au dessus dudict autel, puys par grand mystère se couvrit d'un sac mouillé, & tirant un rideau de satin cramoisy nous monstra une imaige paincte assez mal, scelon mon advis, y toucha un baston longuet, & nous feist à tous baiser la bouche.
Puys nous demanda. Que vous semble de ceste imaige.
C'est (respondit Pantagruel) la ressemblance d'un Pape. Ie le congnois à la thiare, à l'aumusse, au rochet, à la pantophle.
Vous dictez bien (dist Homenaz). C'est l'idée de celluy Dieu de bien en terre, la venue duquel nous attendons devotement, & lequel esperons une foys veoir en ce pays. O l'heureuse & desirée tant attendue iournée. Et vous heureux & bien heureux qui tant avez eu les astres favorables, que avez vivement en face veu & realement celluy bon Dieu en terre, duquel voyant seulement le portraict, pleine remission guaignons de tous nos pechez memorables: ensemble la tierce partie avecques dixhuict quarantaines des pechez oubliez. Aussi ne la voyons nous que aux grandes festes annueles.
Là disoit Pantagruel, que c'estoit ouvraige tel que les faisoit Daedalus. Encores qu'elle feust contrefaicte, & mal traicte, y estoit toutesfoys latente & occulte quelque divine energie en matière de pardons.
Comme, dist frère Ian, à Seuillé les coquins souppans un iour de bonne feste à l'hospital, & se vantans l'un avoir celluy iour guaingné six blancs, l'aultre deux soulz, l'aultre sept carolus, un gros gueux se ventoit avoir guaigné troys bons testons. Aussi (luy respondirent ses compaignons) tu as une iambe de Dieu. Comme si quelque divinité feust absconse en une iambe toute sphacelée & pourrye.
Quand (dist Pantagruel) telz contes vous nous ferez, soyez records d'apporter un bassin. Peu s'en fault que ie ne rende ma guorge. User ainsi du sacré nom de Dieu en choses tant hordes & abhominables? fy, i'en diz fy. Si dedans vostre moynerie est tel abus de parolles en usaige, laissez le là: ne le transportez hors les cloistres.
Ainsi (respondit Epistemon) disent les medicins estre en quelques maladies certaine participation de divinité. Pareillement Neron louoit les champeignons, & en proverbe Grec les appelloit viande des Dieux: pource que en iceulx il avoit empoisonné son praedecesseur Claudius empereur Romain.
Il me semble (dist Panurge) que ce portraict fault en nos derniers Papes. Car ie les ay veu non aumusse, ains armet en teste porter, thymbré d'une thiare Persicque, Et tout l'empire Christian estant en paix & silence, eulx seulz guerre faire felonne & trescruelle.
C'estoit (dist Homenaz) doncques contre les rebelles, Haereticques, protestans desesperez, non obeissans à la saincteté de ce bon Dieu en terre. Cela luy est non seulement permis & licite, mais commendé par les sacres Decretales: & doibt à feu incontinent Empereurs, Roys, Ducz, Princes, Republicques & à sang mettre, qu'ilz transgresseront un iota de ses mandemens: les spolier de leurs biens, les deposseder de leurs Royaulmes, les proscrire, les anathematizer, & non seulement leurs corps, & de leurs enfans & parens aultres occire, mais aussi leurs ames damner au parfond de la plus ardente chauldière qui soit en Enfer.
Icy (dist Panurge) de par tous les Diables, ne sont ilz haereticques comme feut Raminagrobis. & come ilz sont parmy les Almaignes, & Angleterre. Vo' estez Christians triez sus le volet.
Ouy vraybis, dist Homenaz, aussi serons nous tous saulvez. Allons prendre de l'eaue beniste, puys dipnerons.
Menuz devis durant le dipner,
à la louange des Decretales.
Chapitre LI.
Or notez Beuveurs, que durant la messe sèche de Homenaz, trois manilliers de l'Ecclise chascun tenant un grand bassin en main, se pourmenoient parmy le peuple disans à haulte voix.
N'oubliez les gens heureux, qui le ont veu en face.
Sortans du temple ilz apportèrent à Homenaz leurs bassins tous pleins de monnoye Papimanicque. Homenaz nous dist, que c'estoit pour faire bonne chère. Et que ceste contribution & taillon l'une partie seroit employée à bien boyre, l'aultre à bien manger, suyvant une mirificque glosse cachée en un certain coingnet de leurs sainctes Decretales. Ce que feut faict, & en beau cabaret assez retirant à celluy de Guillot en Amiens. Croyez que la repaisaille feut copieuse, & les beuvettes numereuses.
En cestuy dipner ie notay deux choses memorables: L'une que viande ne feut apportée, quelle que feust, feussent chevreaulx, feussent chappons, feussent cochons, (des quelz y a foizon en Papimanie) feussent pigeons, connilz, levraulx, cocqs de Inde, ou aultres, en laquelle n'y eust abondance de farce magistrale. L'aultre, que tout le sert & dessert feut porté par les filles pucelles mariables du lieu, belles, ie vous assie, saffrettes, blondelettes, doulcelettes, & de bonne grace. Les quelles vestues de longues, blanches, & deliées aubes à doubles ceinctures, le chef ouvert, les cheveulx instrophiez de petites bandelettes & rubans de saye violette, semez de roses, oeilletz, mariolaine, aneth, aurande, & aultres fleurs odorantes, à chascune cadence nous invitoient à boire, avecques doctes & mignonnes reverences. Et estoient volontiers veues de toute l'assistence. Frère Ian les reguardoit de cousté, comme un chien qui emporte un plumail. Au dessert du premier metz feut par elles melodieusement chanté un Epode, à la louange des sacrosainctes Decretales.
Sus l'apport du second service, Homenaz tout ioyeulx & esbaudy adressa sa parole à un des maistres Sommeliers, disant. Clerice, esclaire icy. A ces motz une des filles promptement luy praesenta un grand hanat plein de vin Extravaguant. Il le tint en main, & souspirant promptement dist à Pantagruel. Mon Seigneur, & vous beaulx amis, ie boy à vous tous de bien bon coeur. Vous soyez les tresbien venuz. Beu qu'il eut & rendu le hanat à la bachelette gentile, feist une lourde exclamation, disant. O dives Decretales, tant par vous est le vin bon bon trouvé.
Ce n'est, dist Panurge, pas le pis du panier.
Mieulx seroit, dist Pantagruel, si par elles le mauvais vin devenoit bon.
O Seraphicque Sixiesme (dist Homenaz continuant) tant vous estez necessaire au saulvement des pauvres humains. O Cherubicques Clementines comment en vous est proprement contenue & descripte la perfaicte institution du vray Christian. O Extravaguantes Angelicques, comment sans vous periroient les paouvres ames, les quelles ça bas errent par les corps mortelz en ceste vallée de misère. Helas quand sera ce don de grace particulère faict es humains, qu'ilz desistent de toutes aultres estudes & neguoces pour vous lire, vous entendre, vous sçavoir, vous user, practiquer, incorporer, sanguifier, & incentricquer es profonds ventricules de leurs cerveaulx, es internes mouelles de leurs os, es perples labyrintes de leurs artères? O lors, & non plus toust, ne aultrement, heureux le monde.
A ces motz se leva Epistemon, & dist tout bellement à Panurge. Faulte de selle persée me constrainct d'icy partir. Cette farce me a desbondé le boyau cullier. Ie ne arresteray guères.
O lors (dist Homenaz continuant) nullité de gresle, gelée, frimatz, vimères. O lors abondance de tous biens en terre. O lors paix obstinée infringible en l'Univers: cessation de guerres, pilleries, anguaries, briguanderies, assassinemens: exceptez contre les Hereticques, & rebelles mauldictz. O lors ioyeuseté, alaigresse, liesse, soulas, deduictz, plaisirs, delices en toute nature humaine. Mais O, grande doctrine, inestimable erudition, preceptions deificques emmortaisées par les divins chapitres de ces eternes Decretales. O comment lisant seulement un demy canon, un petit paragraphe, un seul notable de ces sacrosainctes Decretales, vous sentez en vos coeurs enflammée la fournaise d'amour divin: de charité envers vostre prochain, pourveu qu'il ne soit Hereticque: contemnement asceuré de toutes choses fortuites & terrestres: ecstatique elevation de vos espritz, voie iusques au troizième ciel: contentement certain en toutes vos affections.
Continuation des miracles advenuz
par les Decretales.
Chapitre LII.
Voicy (dist Panurge) qui dict d'orgues. Mais i'en croy le moins que ie peuz. Car il me advint un iour à Poictiers ches l'Ecossoys docteur Decretalipotens d'en lire un chapitre, le Diable m'emport, si à la lecture d'icelluy ie feuz tant constipé du ventre, que par plus de quatre, voyre cinq iours ie ne fiantay qu'une petite crotte. Sçavez vous quelle? Telle, ie vous iure, que Catulle dict estre celles de Furius son voisin.
En tout un an tu ne chie dix crottes
Et si des mains tu les brises & frottes,
Ià n'en pourras ton doigt fouiller de erres.
Car dures sont plus que febves & pierres.
Ha, ha (dist Homenaz) Inian mon amy vous, par adventure, estiez en estat de peché mortel.
Cestuy là (dist Panurge) est d'un aultre tonneau.
Un iour (dist frère Ian) ie m'estoys à Seuillé torché le cul d'un feuiellet d'unes meschantes Clementines, les quelles Ian Gymard nostre recepveur avoit iecté au preau du cloistre, ie me donne à tous les Diables, si les rhagadies & haemorrutes ne m'en advindrent si très horribles, que le paouvre trou de mon clous bruneau en feut tout dehinguandé.
Inian, dist Homenaz, ce feut evidente punition de Dieu, vengeant le peché qu'aviez faict incaguant ces sacres livres, les quelz doibviez baiser & adorer, ie diz d'adoration de latrie, ou de hyperdulie, pour le moins. Le Panormitan n'en mentit iamais.
Ian Chouart (dist Ponocrates) à Monspellier avoit achapté des moines de sainct Olary unes belles Decretales escriptes en beau & grand parchemin de Lamballe, pour en faire des Velins pour batre l'or. Le malheur y feut si estrange, que oncques pièce n'y feut frappée, qui vint à profict. Toutes feurent dilacerées & estrippées.
Punition, dist Homenaz, & vengeance divine.
Au Mans (dist Eudemon) François Cornu apothecaire avoit en cornetz empoicté unes Extravaguantes frippées, ie desadvoue le Diable, si tout ce qui dedans feut empacqueté, ne feut sus l'instant empoisonné, pourry, & guasté: encent, poyvre, gyrofle, cinnamone, saphran, cire, espices, casse, reubarbe, tamarins: generalement tout, drogues, guogues, & senogues.
Vangeance (dist Homenaz) & divine punition. Abuser en choses prophanes de ces tant sacres escriptures.
A Paris (dist Carpalim) Groignet cousturier avoit emploicté unes vieilles Clementines en patrons & mesures. O cas estrange. Tous habillemens taillez sus telz patrons, & protraictz sus telles mesure, feurent guastez & perduz: robbes, cappes, manteaulx, sayons, iuppes, cazaquins, colletz, pourpoinctz, cottes, gonnelles, verdugualles. Groignet cuydant tailler une cappe, tailloit la forme d'une braguette. En lieu d'un sayon tailloit un chapeau à prunes succées. Sus la forme d'un cazaquin tailloit une aumusse. Sus le patron d'un pourpoinct tailloit la guise d'une paele. Ses varletz l'avoir cousue, la deschicquetoient par le fond. Et sembloit d'une paele à fricasser chastaignes. Pour un collet faisoit un brodequin. Sur le patron d'une verdugualle tailloit une barbutte. Pensant faire un manteau faisoit un tabourin de Souisse. Tellement que le paouvre home par iustice feut condemné à payer les estoffes de tous ses challans: & de praesent en est au saphran.
Punition (dist Homenaz) & vengeance divine.
A Cahuzac (dist Gymnaste) feut pour tirer à la butte partie faicte entre les seigneurs d'Estissac, & vicomte de Lausun. Perotou avoit depecé unes demies Decretales du bon canonge La carte, & des feueilletz avoit taillé le blanc pour la butte. Ie me donne, ie me vends, ie me donne à travers tous les Diables, si iamais harbalestier du pays (les quelz sont supellatifz en toute Guyenne) tira traict dedans. Tous feurent coustiers. Rien du blanc sacrosainct barbouillé ne feut, depucellé, ne entommé. Encores Sansornin l'aisné qui guardoit les guaiges, nous iuroit Figues dioures (son grand serment) qu'il avoit veu apertement, visiblement, manifestement le pasadouz de Carquelin droict entrant dedans la grolle au milieu du blanc, sus le poinct de toucher & s'enfoncer s'estre escarté loing d'une toise coustier vers le fournil.
Miracle (s'escria Homenaz) miracle, miracle. Clerice, esclaire icy. Ie boy à tous. Vous me semblez vrays Christians.
A ces motz les filles commencèrent ricasser entre elles. Frère Ian hannissoit du bout du nez comme prest à roussiner, ou baudouiner pour le moins, & monter dessus, comme Herbault sus paouvres gens.
Me semble dist Pantagruel) que en telz blancs l'on eust contre le dangier du traict plus sceurement esté, que ne feut iadis Diogènes.
Quoy? demanda Homenaz. Comment? Estoit il Decretaliste?
C'est (dist Epistemon retournant de ses affaires) bien rentré de picques noires.
Diogènes, respondit Pantagruel, un iour s'esbatre voulent visita les archiers qui tiroient à la butte. Entre iceulx un estoit tant saultier, imperit, & mal à droict, que lors qu'il estoit en ranc de tirer, tout le peuple spectateur s'escartoit de paour d'estre par luy feruz. Diogènes l'avoir un coup veu si perversement tirer que sa flèche tomba plus d'un trabnut loing de la butte, au second coup le peuple loing d'un cousté & d'aultre s'escartant, accourut & se tint en pieds iouxte le blanc: affermant cestuy lieu estre le plus sceur. & que l'archier plus toust feriroit tout aultre lieu, que le blanc: le blanc seul estre en sceureté du traict.
Un paige (dist Gymnaste) du seigneur d'Estissac nommé Chamouillac, aperceut le charme. Par son advis Perotou changea de blanc, & y employa les papiers du procès de Pouillac. Adoncques tirèrent tresbien les uns & les aultres.
A Landerousse (dist Rhizotome) es nopces de Ian Delif feut le festin nuptial notable & sumptueux, comme lors estoit la coustume du pays. Après soupper feurent iouées plusieurs farces, comedies, sornettes plaisantes: feurent dansées plusieurs Moresques aux sonnettes & timbous: feurent introduictes diverses sortes de masques & momeries. Mes compaignons d'eschole & moy pour la feste honorer à nostre povoir (car au matin nous tous avions eu de belles livrées blanc & violet) sus la fin feismes un barboire ioyeulx avecques force coquilles de sainct Michel, & belles cacquerolles de limassons. En faulte de Colocasie, Bardane, Personate & de papier: des feueilletz d'un vieil Sixiesme, qui là estoit abandonné, nous feismes nos faulx visaiges, les descouppans un peu à l'endroict des oeilz, du nez, & de la bouche. Cas merveilleux. Nos petites caroles & pueriles esbatemens achevez, houstans nos faulx visaiges appareumes plus hideux & villains que les Diableteaux de la passion de Doué: tant avions les faces guastées aux lieux touchez par les dictz feueilletz. L'un y avoit la picote, l'aultre le tac, l'aultre la verolle, l'aultre la rougeolle, l'aultre gros froncles. Somme celluy de nous tous estoit le moins blessé, à qui les dens estoient tombées.
Miracle (s'escria Homenaz) miracle.
Il n'est, dist Rhizotome, encores temps de rire. Mes deux soeurs, Catharine, & Renée avoient mis dedans ce beau Sixiesme, comme en presses (car il estoit couvert de grosses aisses, & ferré à glaz) leurs guimples, manchons, & collerettes savonnées de frays, bien blanches, & empesées. Par la vertus dieu.
Attendez, dist Homenaz, du quel Dieu entendez vous?
Il n'en est qu'un, respondit Rhizotome.
Ouy bien, dist Homenaz, es cieulx. En terre n'en avons nous un aultre.
Arry avant, dist Rhizotome, ie n'y pensois par mon ame plus. Par la vertus doncques du Dieu Pape terre, leurs guimples, collerettes, baverettes, couvrechefz, & tout aultre linge y devint plus noir qu'un sac de charbonnier.
Miracle (s'escria Homenaz) Clerice, esclaire icy: & note ces belles histoires.
Comment (demanda frère Ian) dict on doncques.
Depuys que Decretz eurent ales,
Et gensdarmes portent males,
Moines allèrent à cheval,
En ce monde abonda tout mal.
Ie vous entens, dist Homenaz. Ce sont petitz Quolibetz des Hereticques nouveaulx.
Comment par la vertus des Decretales
est l'or subtilement tiré
de France en Rome.
Chapitre LIII.
Ie vouldroys, dist Epistemon, avoir payé chopine de trippes à embourser, & que eussions à l'original collationné les terribles chapitres Execrabilis. De multa. Si plures. De Annatis per totum. Nisi escent. Cum ad monasterium. Quod dilectio. Mandatum & certains aultres, les quelz tirent par chascun an de France en Rome quatre cent mille ducatz, & d'adventaige.
Est ce rien cela? dist Homenaz. Me semble toutesfoys estre peu, veu que France la treschristiane est unicque nourrisse de la court Romaine. Mais trouvez moy livres on monde, soient de Philosophie, de Medicine, des Loigs, des Mathematicques, des letres humaines, voyre (par le mien Dieu) de la saincte escripture, qui en puissent autant tirer? Poinct. Nargues, nargues. Vous n'en trouverez poinct de ceste auriflue energie: ie vo' en asceure. Encores ces diables Haereticques ne les voulent aprendre & sçavoir. Bruslez, tenaillez, cizaillez, noyez, pendez, empallez, espaultrez, demembrez, exenterez, decouppez, fricassez, grislez, transonnez, crucifiez, bouillez, escarbouillez, escartelez, debezillez, dehinguandez, carbonnadez ces meschans Haereticques Decretalifuges, Decretalides, pires que homicides, pires que parricides, Decretalictones du Diable. Vous aultres gens de bien si voulez estre dictz & reputez vrays Christians, ie vous supplie à ioinctes mains ne croire aultre chose, aultre chose ne penser, ne dire, ne entreprendre, ne faire, fors seulement ce que contiennent nos sacres Decretales, & leurs corollaires: ce beau Sixiesme, ces belles Clementines, ces belles Extravaguantes. O livres deificques. Ainsi serez en gloire, honneur, exaltation, richesses, dignitez, prelations en ce monde: de tous reverez, d'un chascun redoubtez, à tous preferez, sus tous esleuz & choisiz. Car il n'est soubs la chappe du ciel estat, du quel trouviez gens plus idoines à tout faire & manier, que ceulx qui par divine prescience & eterne predestination, adonnez se sont à l'estude des sainctes Decretales. Voulez vo' choisir un preux Empereur, un bon capitaine, un digne chef & conducteur d'une armée en temps de guerre, qui bien sçaiche tous inconveniens prevoir, tous dangiers eviter, bien mener ses gens à l'assault & au combat en alaigresse, rien ne hazarder, touisours vaincre sans perte de ses soubdars, & bien user de la victoire? Prenez moy un Decretiste. Non, non. Ie diz un Decretaliste. (O le gros Rat dist Epistemon.) Voulez vous en temps de paix trouver home apte & suffisant à bien gouverner l'estat d'une Republicque, d'un royaulme, d'un empire, d'une monarchie: entretenir l'Ecclise, la noblesse, le senat & le peuple en richesses, amitié, concorde, obeissance, vertus, honesteté? Prenez moy un Decretaliste. Voulez vous trouver home, qui par vie exemplaire, beau parler, sainctes admonitions, en peu de temps, sans effusion de sang humain, conqueste la terre saincte, & à la saincte foy convertisse les mescreans Turcs, Iuifz, Tartes, Moscovites, Mammeluz & Sarrabovites? Prenez moy un Decretaliste. Qui faict en plusieurs pays le peuple rebelle & detravé, les paiges frians & mauvais, les escholiers badaulx & asniers? Leurs gouverneurs, leurs escuiers, leurs precepteurs n'estoient Decretalistes.
Mais qui est ce (en conscience) qui a estably, confirmé, authorisé ces belles religions, des quelles en tous endroictz voyez la Christianté ornée, decorée, illustrée, comme est le firmament de ses claires estoilles? Dives Decretales. Qui a fondé, pillotizé, talué, qui maintient, qui substante, qui nourist les devosts religieux par les convens, monastères, & abbayes: sans les prières diurnes, nocturnes, continuelles des quelz seroit le monde en dangier evident de retourner en son antique Cahos? Sacres Decretales. Qui faict & iournellement augmente en abondance de tous biens temporelz, corporelz, & spirituelz le fameux & celèbre patrimoine de S. Pierre? Sainctes Decretales. Qui faict le sainct siège apostolicque en Rome de tous temps & auiourd'huy tant redoubtable en l'Univers, qu'il fault ribon ribaine, que tous Roys, empereurs, potestatz, & seigneurs par luy soient couronnez, confirmez, authorisez, vieignent là boucquer & se prosterner à la mirificque pantophle, de laquelle avez veu le protraict? Belles Decretales de Dieu. Ie vo' veulx declairer un grand secret. Les Universitez de vostre monde, en leurs armoiries & divises ordinairement portent un livre, aulcunes ouvert, aultres fermé. Quel livre pensez vo' que soit?
Ie ne sçay certes, respondit Pantagruel. Ie ne leuz oncques dedans.
Ce sont, dist Homenaz, les Decretales, sans les quelles periroient les privilèges de toutes Universitez. Vous me doibvez ceste là. Ha, ha, ha, ha, ha.
Icy commença Homenaz rocter, peter, rire, baver, & suer: & bailla son gros, gras bonnet à quatre braguettes à une des filles: laquelle le posa sus son beau chef en grande alaigresse, après l'avoir amoureusement baisé, comme guaige, & asceurance qu'elle seroit première mariée.
Vivat (s'escria Epistemon) vivat, fifat, pipat, bibat. O secret Apocalypticque.
Clerice (dist Homenaz) clerice, esclaire icy, à doubles lanternes. Au fruict pucelles. Ie disois doncques que ainsi vous adonnans à l'etude unicque des sacres Decretales, vo' serez riches & honorez en ce monde. Ie diz consequemment qu'en l'aultre vous serez infailliblement saulvez on benoist royaulme des Cieulx, du quel sont les clefz baillées à nostre bon Dieu Decretaliarche. O mon bon Dieu, lequel ie adore, & ne veids oncques, de grace speciale ouvre nous en l'article de la mort, pour le moins, ce tressacre thesaur de nostre mère saincte Ecclise, du quel tu es protecteur, conservateur, prome conde, administrateur, dispensateur. Et donne ordre que ces precieux oeuvres de supererogation, ces beaulx pardons au besoing ne nous faillent. A ce que les Diables ne trouvent que mordre sus nos paouvres ames, que la gueule horrificque d'Enfer ne nous engloutisse. Si passer nous fault par Purgatoire, patience. En ton pouvoir est & arbitre nous en delivrer, quand vouldras.
Icy commença Homenaz iecter grosses & chauldes larmes, batre la poictrine, & baiser ses poulces en croix.
Comment Homenaz donna
à Pantagruel des poires de
bon Christian.
Chapitre LIIII.
Epistemon, frère Ian, & Panurge voyans ceste fascheuse catastrophe, commencèrent au couvert de leurs serviettes crier, Myault, myault, myault, faignans ce pendent de s'essuer les oeilz, comme s'ilz eussent ploré. Les filles feurent bien aprises, & à tous praesentèrent pleins hanatz de vin Clementin, avecques abondance de confictures. Ainsi feut de nouveau le bancquet resiouy. En fin de table Homenaz nous donna grand nombre de grosses & belles poyres, disant.
Tenez amis. Poires sont singulières: les quelles ailleurs ne trouverez. Non toute terre porte tout. Indie seule porte le noir Ebène. En Sabée provient le bon encent. En l'isle de Lemnos la terre Sphragitide. En ceste isle seule naissent ces belles poires. Faictez en, si bon vous semble, pepinières en vos pays.
Comment, demanda Pantagruel, les nommez vous? Elles me semblent tresbonnes, & de bonne eau. Si on les cuisoit en Casserons par quartiers avecques un peu de vin & de sucre, ie pense que seroit viande tressalubre tant es malades, comme es sains.
Non aultrement, respondit Homenaz. Nous sommes simples gens, puys qu'il plaist à Dieu. Et appellons les figues, figues: les prunes, prunes: & les poires, poires.
Vrayement, dist Pantagruel, quand ie seray en mon mesnaige (ce sera, si Dieu plaist, bien toust) i'en assieray & hanteray en mon iardin de Touraine sus la rive de Loyre, & seront dictes poires de bon Christian. Car oncques ne veiz Christians meilleurs que sont ces bons Papimanes.
Ie trouveroys (dist frère Ian) aussi bon qu'il nous donnast deux ou troys chartées de ses filles.
Pourquoy faire? demandoit Homenaz.
Pour les saigner, respondit frère Ian, droict entre les deux gros horteilz avecques certains pistolandiers de bonne touche. En ce faisant sus elle nous hanterions des enfans de bon Christian, & la race en nos pays multiplieroit: es quelz ne sont mie trop bons.
Vraybis (respondit Homenaz) non ferons, car vous leurs feriez la follie aux guarsons: ie vous congnoys à vostre nez, & si ne vous avoys oncques veu. Halas, halas, que vous estes bon filz. Vouldriez vous bien damner vostre ame? Nos Decretales le defendent. Ie vouldroys que les sceussiez bien.
Patience, dist frère Ian. Mais, si tu non vis dare, praesta quesumus. C'est matière de breviaire. Ie n'en crains home portant barbe, feut il docteur de Chrystallin (ie diz Decretalin) à triple bourlet.
Le dipner parachevé, nous prinsmes congié de Homenaz, & de tout le bon populaire, humblement les remercyans, & pour retribution de tant de biens, leurs promettans que venuz à Rome ferions avecques le Père sainct tant qu'en diligence il les iroyt veoir en persone. Puys retournasmes en nostre nauf. Pantagruel par liberalité & recongnoissance du sacre protraict Papal, donna à Homenaz neuf pièces de drap d'or frizé sus frize, pour estre appousées au davant de la fenestre ferrée: feist emplir le tronc de la reparation & fabricque tout de doubles escuz au sabot: & feist delivrer à chascune des filles, les quelles avoient servy à table durant le dipner, neuf cent quatorze salutz d'or, pour les marier en temps oportun.
Comment en haulte mer Pantagruel
ouyt diverses parolles degelées.
Chapitre LV.
En pleine mer nous banquetant, gringnotans, divisans, & faisans beaulx discours, Pantagruel se leva & tint en pieds pour discouvrir à l'environ. Puys nous dist.
Compaignons, oyez vous rien? Me semble, que ie oy quelques gens parlans en l'air, ie n'y voy toutesfoys personne. Escoutez.
A son commandement nous feusmes attentifz, & à pleines aureilles humions l'air comme belles huytres en escalle, pour entendre si voix ou son aulcun y seroit espars: & pour rien n'en perdre à l'exemple de Antonin l'Empereur, aulcuns oppousions nos mains en paulme darrière les aureilles. Ce neanmoins protestions voix quelconques n'entendre. Pantagruel continuoit affermant ouyr voix diverses en l'air tant de homes comme de femmes, quand nous feut advis, ou que nous les oyons pareillement, ou que les aureilles nous cornoient. Plus perseverions escoutans, plus discernions les voix, iusques à entendre motz entiers.
Ce que nous effraya grandement, & non sans cause, personne ne voyans, & entendens voix & sons tant divers, d'homes, de femmes, d'enfans, de chevaulx: si bien que Panurge s'escria.
Ventre bieu est ce mocque? nous sommes perdus. Fuyons. Il y a embusche au tour. Frère Ian es tu là mon amy? Tien toy près de moy ie te supplyu? As tu ton bragmart? Advise qu'il ne tienne au fourreau. Tu ne le desrouille poinct à demy. Nous sommes perduz. Escoutez: ce sont par Dieu coups de canon. Fuyons. Ie ne diz de piedz & de mains, comme disoit Brutus en la bataille Pharsalicque, ie diz à voiles & à rames. Fuyons. Ie n'ay poinct de couraige sus mer. En cave & ailleurs i'en ay tant & plus. Fuyons. Saulvons nous. Ie ne le diz pour paour que ie aye. Car ie ne crains rien fors les dangiers. Ie le diz tousiours. Aussi disoit le Franc archier de Baignolet. Pourtant n'hazardons rien, à ce que ne soyons nazardez. Fuyons. Tourne visaige. Vire la peaultre filz de putain. Pleust à Dieu que praesentement ie feusse en Quinquennoys à peine de iamais ne me marier. Fuyons, nous ne sommes pas pour eulx. Ilz sont dix contre un, ie vous en asceure. D'adventaige ilz sont sus leurs fumiers, nous ne congnoissons le pays. Ilz nous tueront. Fuyons, ce ne nous sera deshonneur. Demosthenes dist que l'home fuyant combatra de rechief. Retirons nous pour le moins. Orche, poge, au trinquet, aux boulingues. Nous sommes mors. Fuyons, de par tous les Diables, fuyons.
Pantagruel entendent l'esclandre que faisoit Panurge, dist. Qui est ce fuyart là bas? oyons premierement quelz gens sont. Par adventure sont ilz nostres. Encores ne voy ie persone. Et si voy cent mille à l'entour. Mais entendons. I'ay leu qu'un Philosophe nommé Petron estoyt en ceste opinion que feussent plusieurs mondes soy touchans les uns les aultres en figure triangulaire aequilaterale, en la pate & centre des quelz disoit estre le manoir de Verité, & le habiter les Parolles, les Idées, les Exemplaires & protraictz de toutes choses passées, & futures: autour d'icelles estre le Siècle. Et en certaines années par longs intervalles, part d'icelles tomber sus les humains comme catarrhes, & comme tomba la rousée sus la toizon de Gedeon: part là rester reservée pour l'advenir, iusques à la consommation du Siècle. Me souvient aussi que Aristoteles maintient les parolles de Homère estre voltigeantes, volantes, moventes, & par consequent animées. D'adventaige Antiphanes disoit la doctrine de Platon es parolles estre semblable lesquelles en quelque contrée on temps du fort hyver lors que sont proferées, gèlent & glassent à la froydeur de l'air, & ne sont ouyes. Semblablement ce que Platon enseignoyt es ieunes enfans, à peine estre d'iceulx entendu, lors que estoient vieulx devenuz. Ores seroit à philosopher & rechercher si forte fortune icy seroit l'endroict, on quel telles parolles degèlent. No' serions bien esbahiz si c'estoient les teste & lyre de Orpheus. Car après que les femmes Threisses eurent Orpheux mis en pièces, elles iectèrent la teste & la lyre dedans le fleuve Hebrus. Icelles par ce fleuve descendirent en la mer Ponticq iusques en l'isle de Lesbos, tousiours ensemble sus mer naigeantes. Et de la teste continuellement sortoyt un chant lugubre, comme lamentant la mort de Orpheus: la lyre à l'impulsion des vents mouvens les chordes accordoit harmonieusement avecques le chant. Reguardons si les voirons cy autour.
Comment entre les parolles gelées
Pantagruel trouva des motz
de gueule.
Chapitre LVI.
Le pilot feist responce: Seigneur, de rien ne vous effrayez. Icy est le confin de la mer glaciale, sus laquelle feut au commencement de l'hyver dernier passé grosse & felonne bataille, entre les Arismapiens, & le Nephelibates. Lors gelèrent en l'air les parolles & crys des homes & femmes, les chaplis des masses, les hurtys des harnoys, des bardes, les hannissements des chevaulx, & tout effroy de combat. A ceste heure la rigueur de l'hyver passée, advenente la serenité & temperie du bon temps, elles fondent & sont ouyes. Mais en pourrions nous voir quelqu'une. Me soubvient avoir leu que l'orée de la montaigne en laquelle Moses receut la loy des Iuifz le peuple voyoit les voix sensiblement.
Tenez tenez (dist Pantagruel) voyez en cy qui encores ne sont degelées.
Lors nous iecta sus le tillac plènes mains de parolles gelées, & sembloient dragée perlée de diverses couleurs. Nous y veismes des motz de gueule, des motz de sinople, des motz de azur, des motz de sable, des motz dorez. Les quelz estre quelque peu eschauffez entre nos mains fondoient, comme neiges, & les oyons realement. Mais ne les entendions. Car c'estoit languaige Barbare. Exceptez un assez grosset, lequel ayant frère Ian eschauffé entre ses mains feist un son tel que font les chastaignes iectées en la braze sans estre entonmées lors que s'esclatent, & nous feist tous de paour tressaillir.
C'estoit (dist frère Ian) un coup de faulcon en son temps.
Panurge requist Pantagruel luy en donner encores. Pantagruel luy respondit que donner parolles estoit acte des amoureux.
Vendez m'en doncques, disoit Panurge.
C'est acte des advocatz, respondit Pantagruel, vendre parolles. Ie vous vendroys plutost silence & plus chèrement, ainsi que quelque foys la vendit Demosthenes moyennant son argentangine.
Ce nonobstant il en iecta sus le tillac troys ou quatre poignées. Et y veids des parolles bien picquantes, des parolles sanglantes, lesquelles li pilot nous disoit quelques foys retourner on lieu duquel estoient proferées, mais c'estoit la guorge couppée, des parolles horrificques, & aultres assez mal plaisantes à veoir. Les quelles ensemblement fondues ouysmes, hin, hin, hin, hin, his, ticque torche, lorgne, brededin, brededac, frr, frrr, frrr, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, traccc, trac, trr, trr, trr, trrr, trrrrrr, On, on, on, on ououououon: goth, mathagoth, & ne sçay quels aultres motz barbares, & disoyt que c'estoient vocables du hourt & hannissement des chevaulx à l'heure qu'on chocque, puys en ouysmez d'aultres grosses & rendoient son en degelent, les unes comme de tabours, & fifres, les aultres comme de clerons & trompettes. Croyez que nous y eusmez du passetemps beaucoup. Ie vouloys quelques motz de gueule mettre en reserve dedans de l'huille comme l'on guarde la neige & la glace, & entre du feurre bien nect. Mais Pantagruel ne le voulut: disant estre follie faire reserve de ce dont iamais l'on n'a faulte, & que tousiours on en a main, comme sont motz de gueule entre tous bons & ioyeulx Pantagruelistes. Là Panurge fascha quelque peu frère Ian, & le feist entrer en resverie, car il le vous print au mot, sus l'instant qu'il ne s'en doubtoit mie, & frère Ian menassa de l'en faire repentir en pareille mode que se repentit G. Iousseaulme vendent à son mot le drap au noble Patelin, & advenent qu'il feust marié le prendre aux cornes, comme un veau: puys qu'il l'avoit prins au mot come un hile. Panurge luy feist la babou en signe de derision. Puys s'escria disant. Pleust à Dieu que icy, sans plus avant proceder, i'eusse le mot de la dive Bouteille.
Comment Pantagruel descendit on
manoir de messere Gaster premier
maistre des ars du monde.
Chapitre LVII.
En icelluy iour Pantagruel descendit en une isle admirable, entre toutes aultres, tant à cause de l'assiette, que du gouvernement d'icelle. Elle de tous coustez pour le commencement estoit scabreuse, pierreuse, montueuse, infertile, mal plaisante à l'oeil, tresdifficile aux pieds, & peu moins inaccessible que le mons du Daulphiné ainsi dict, pour ce qu'il est en forme d'un potiron, & de toute memoire persone surmonter ne l'a peu, fors Doyac conducteur de l'artillerie du Roy Charles huyctième: lequel avecques engins mirificques y monta, & au dessus trouva un vieil belier. C'estoit à diviner qui là transporté l'avoit. Aulcuns le dirent estant ieune Aignelet par quelque Aigle, ou duc Chaüant là ravy s'estre entre les buissons saulvé. Surmontans la difficulté de l'entrée à peine bien grande, & non sans suer, trouvasmes le dessus du mont tant plaisant, tant fertile, tant salubre, & delicieux, que ie pensoys estre le vray Iardin & Paradis terrestre: de la situation duquel tant disputent & labourent les bons Theologiens. Mais Pantagruel nous affermoit là estre le manoir de Arete (c'est Vertus) par Hesiode descript, sans toutesfoys preiudice de la plus saine opinion.
La gouverneur d'icelle estoit messere Gaster, premier maistre es ars de ce monde. Si croyez que le feu soit le grand maistre des ars, comme escript Ciceron, vous errez, & vous faictez tors. Car Ciceron ne le creut oncques. Si croyez que Mercure soit premier inventeur des Ars, comme iadis croyoient nos antiques Druides, vous fourvoyez grandement. La sentence du Satyricque est vraye, qui dict messere Gaster estre de tous ars le maistre. Avecques icelluy pacificquement redisoit la bonne dame Penie, aultrement dicte Souffreté, mère des neuf Muses: de laquelle iadis en compaignie de Porus seigneur de Abondance, nous nasquit Amour le noble enfant mediateur du Ciel & de la Terre, comme atteste Platon in Symposio. A ce chevalereuz Roy force nous feut faire reverence, iurer obeissance & honneur porter. Car il est imperieux, rigoureux, rond, dur, difficile, inflexible. A luy on ne peult rien faire croyre, rien remonstrer, rien persuader. Il ne oyt poinct. Et comme les Aegyptiens disoient Harpocras Dieu de silence, en Grec nommé Sigalion, estre astomé, c'est à dire, sans bouche. Ainsi Gaster sans aureilles feut créé: comme en Candie le simulachre de Iuppiter estoit sans aureilles. Il ne parle que par signes. Mais à ces signes tout le monde obeit plus soubdain que aux edictz des Praeteurs & mandemens des Roys. En ses sommations, delay aulcun & demeure aulcune il ne admect. Vous dictez que au rugissement du Lyon toutes bestes loin à l'entour fremissent, tant (sçavoir est) que estre peult sa voix ouye. Il est escript. Il est vray. Ie l'ay veu. Ie vous certifie que au mandement de messere Gaster tout le Ciel tremble, toute la Terre bransle. Son mandement est nommé faire le fault, sans delay, ou mourir.
Le pilot nous racontoit comment un iour à l'exemple des membres conspirans contre le Ventre, ainsi que descript Aesope, tout le Royaulme des Somates contre luy conspira & coniura soy soubstraire de son obeissance. Mais bien toust s'en sentit, s'en repentit, & retourna en son service en toute humilité. Aultrement tous de male famine perissoient. En quelques compaignies qu'il soit, discepter ne fault de superiorité & praeference, tousiours va davant: y feussent Roys, empereurs, voire certes le Pape. Et au concile de Basle, le premier alla, quoy qu'on vous die que ledict concile feut sedicieux, à cause des contentions & ambitions des lieux premiers. Pour le servir tout le monde est empesché, tout le monde labeure. Aussi pour recompense il faict ce bien au monde, qu'il luy invente toutes ars, toutes machines, tous mestiers, tous engins, & subtilitez. Mesmes es animans brutaulx il apprent ars desniées de Nature. Les Corbeaulx, les Gays, les Papeguays, les Estourneaux, il rend poëtes: Les Pies il faict poëtrides: & leur aprent languaige humain proferer, parler, chanter. Et tout pour la trippe.
Les Aigles, Gerfaulx, Faulcons, Sacres, Laniers, Austours, Esparviers, Emerillons, oizeaux aguars, peregrins, essors, rapineux, saulvaiges il domesticque & apprivoise, de telle façon que abandonnans en plène liberté du Ciel quand bon luy semble, tant hault qu'il vouldra, tant que luy plaist, les tient suspens, errans, volans, planans, le muguetans, luy faisans la court au dessus des nues: puys soubdain les faict du Ciel en Terre fondre. Et tout pour la trippe.
Les Elephans, les Lions, les Rhinocerotes, les Ours, les Chevaulx, les Chiens, il faict danser, baller, voltiger, combatre, nager, soy cacher, aporter ce qu'il veult, prendre ce qu'il veult. Et tout pour la trippe. Les poissons tant de mer comme d'eaue doulce, balaines & monstres marins, sortir il faict du bas abisme, les Loupes iecte hors des Boys, les Ours hors les rochiers, les Renards hors les tenières, les Serpens lance hors la Terre. Et tout pour la trippe. Brief est tant enorme, que en sa rage il mange tous, bestes & gens, comme feut veu entre les Vascons, lors que Q. Metellus les assiegeoit par les guerres Sertorianes: entre les Saguntins assiegez par Hannibal: entre les Iuifz assiegez par les Romains: six cens aultres. Et tout pour la trippe.
Quand Penie sa regente se mect en voye, la part qu'elle va, tous parlemens sont clous, tous edictz mutz, toutes ordonnances vaines. A loy aulcune n'est subiecte, de toutes n'est exempte. Chascun la resuyt en tous endroictz plus toust se exposans es naufrages de mer, plus toust eslisans par feu, par mons, par goulphres passer, que d'icelle estre apprehendez.
Comment en la court
du maistre ingenieux Pantagruel
detesta les Engastrimythes
& les Gastrolastres.
Chapitre LVIII.
En la court de ce grand maistre Ingenieux Pantagruel apperceut deux manières de gens appariteurs importuns & par trop officieux, les quelz il eut en grande abhomination. Les uns estoient nommez Engastrimythes soy disoient estre descenduz de l'antique race de Eurycles, & sur ce alleguoient le tesmoignage de Aristophanes en la comedie intitulée les Tahons, ou mousches guespes. Dont anciennement estoient dictz Eurycliens, comme escript Plato, & Plutarcles. Es sainctz Decretz 26. quest. 3. sont appellez Ventriloques: & ainsi les nomme en langue Ionicque Hippocrates lib. 5. Epid. comme parlans de ventre. Sophocles les appelle Stenomantes. C'estoient divinateurs, enchanteurs, & abuseurs du simple peuple, semblans non de la bouche, mais du ventre parler & respondre à ceulx qui les interrogeoient.
Telle estoit environ l'an de nostre benoist Servateur 1513. Iacobe Rodogine Italiane femme de basse maison. Du ventre de laquelle nous avons souvent ouy, aussi ont aultres infiniz en Ferrare & ailleurs la voix de l'esprit immonde, certainement basse, foible, & petite: toutesfoys bien articulée, distincte, & intelligible, lors que par la curiosité des riches seigneurs & princes de la Guaulle Cisalpine elle estoit appellée & mandée. Les quelz pour houster tout doubte de fiction & fraude occulte, la faisoient despouiller toute nue, & luy faisoient clourre la bouche & le nez. Cestuy maling esprit se faisoit nommer Crespelu, ou Cincinnatule: & sembloit prendre plaisir ainsi estant appelé. Quand ainsi on l'appelloit, soubdain aux propous respondoit. Si on l'interrogeoit des cas praesens ou passez, il en respondoit pertinement, iusques à tirer les auditeurs en admiration. Si des choses futures: tousiours mentoit, iamais n'en disoit la verité. Et souvent sembloit confesser son ignorance, en lieu de y respondre faisant un gros pet, ou marmonnant quelques motz non intelligibles, & de barbare termination.
Les Gastrolatres d'un aultre cousté se tenoient serrez par trouppes & par bandes, ioyeulx, mignars, douilletz aulcuns: aultres tristes, graves, sevères, rechignez: tous ocieux, rien ne faisans, poinct ne travaillans, poys & charge inutile de la Terre, comme dict Hesiode: craignans (scelon qu'on povoit iuger) le Ventre offenser, & emmaigrir. Au reste masquez, desguisez, & vestuz tant estrangement, que c'estoit belle chose. Vous dictez, & est escript par plusieurs saiges & antiques Philosophes, que l'industrie de Nature appert merveilleuse en l'esbatement qu'elle semble avoir prins formant les Coquilles de mer: tant y veoyd on de varieté, tant de figures, tant de couleurs, tant de traictz & formes non imitables par art. Ie vous asceure qu'en la vesture de cas Gastrolatres Coquillons ne veismes moins de diversité & desguisement. Ilz tous tenoient Gaster pour leur grand Dieu: le adoroient comme Dieu: luy sacrifioient comme à leur Dieu omnipotens: ne recongnoissoient aultre DIeu que luy: le servoient, aymoient sus toutes choses, honoroient comme leur Dieu. Vous eussiez dict que proprement d'eulx avoit le sainct Envoyé escript. Philippens. 3. Plusieurs sont des quelz souvent ie vous ay parlé (encores praesentement ie le vous diz les larmes à l'oeil) ennnemis de la croix du Christ: des quelz Mort sera la consommation: des quelz Ventre est le Dieu. Pantagruel les comparoit au Cyclope Polyphemus: lequel Euripides faict parler comme s'ensuyt. Ie ne sacrifie que à moy (aux Dieux poinct) & à cestuy mon Ventre le plus grand de tous les Dieux.
De la ridicule statue appellée Manduce:
& comment, & quelles choses
sacrifient les Gastrolatres à leur
Dieu Ventripotent.
Chapitre LIX.
Nous consyderans le minoys & les gestes des poiltrons magnigoules Gastrolastres, comme tous estonnez, ouysmes un son de campane notable, auquel tous se rangèrent comme en bataille, chascun par son office, degré, & antiquité. Ainsi vindrent devers messere Gaster, suyvans un gras, ieune, puissant Ventru, lequel sus un long baston bien doré portoit une statue de boys mal taillée & lourdement paincte, telle que la descrivent Plaute, Iuvenal, & Pomp. Festus. A Lion au carneval on l'appelle Maschecroutte: ilz la nommoient Manduce. C'estoit une effigie monstrueuse, ridicule, hydeuse, & terrible aux petitz enfans: ayant les oeilz plus grands que le ventre, & la teste plus grosse que tout le reste du corps, avecques amples, larges, & horrificques maschouères bien endentelées tant au dessus comme au dessoubs: les quelles avecques l'engin d'une petite chorde cachée dedans le baston doré l'on faisoit l'une contre l'aultre terrificquement clicquetter, comme à Metz l'on faict du Dragon de sainct Clemens.
Approchans les Gastrolatres ie veids qu'ilz estoient suyviz d'un grand nombre de gros varletz chargez de corbeilles, de paniers, de balles, de potz, poches & marmites. Adoncques soubs la conduicte de Manduce, chantans ne sçay quelz Dithyrambes, Craepalocomes, Epaenons, offrirent à leur Dieu ouvrans leurs corbeilles & marmites Hippocras blanc avecques la tendre roustie seiche.
Pain blanc. Pain mollet.
Choine. Pain bourgeoys.
Carbonades de six sortes. Cabirotades.
Coscotons. Longes de veau rousty froides sina-pizées de pouldre Zinziberine.
Fressures.
Fricassées, neuf espèces. Pastez d'assiette.
Grasses souppes de prime. Souppes de Levrier.
Souppes Lionnoises. Chous cabutz à la mouelle de boeuf.
Hoschepotz. Salmiguondins.
Brevaige eternel parmy, precedent le bon & friant vin blanc, fuyant vin clairet & vermeil frays, ie vous diz froyd comme la glace: servy & offert en grandes tasses d'argent. Puys offroient.
Andouilles capparrassonnées de moustarde fine. Boudins.
Cervelatz.
Saulsisses. Saulcissons.
Langues de boeuf fumées. Hures de Sangliers.
Saumates. Venaison sallée aux naveaulx.
Eschinées aux poys. Hastereaux.
Fricandeaux. Olives colymbades.
Le tout arrosé de brevaige sempiternel. Puys luy enfournoient en gueule.
Esclanchesa l'aillade. Tadournes.
Pastez à la saulse chaulde. Aigrettes.
Coustelettes de porc à Cercelles.
l'oignonnade. Plongeons.
Chappons roustiz avecques
leur degout. Butors. Palles.
Courlis.
Hutaudeaux. Gelinotes de boys.
Becars. Cabirotz. Risses. Chevreaulx.
Bischars. Dains. Espaulles de moutton aux cappres.
Perdris, Perdriaux. Pièces de boeuf royalles.
Faisans, Faisadeaux. Poictrine de veau.
Ciguoines, Ciguoineaux. Poulles boullies & gras chappons au blanc manger.
Becasses, Becassins.
Hortolans. Gelinottes.
Cocqs, poulles, & poulletz
d'Inde. Poulletz.
Lappins, Lappereaux.
Cochons au moust. Cailles, Cailleteaux.
Canars à la dodine. Pigeons, Pigeonneaux.
Merles. Rasles. Herons, Heronneaux.
Poulles d'eau. Pochecuillères.
Otardes, Otardeaux. Courtes. Grues.
Becquefigues. Tyransons.
Guynettes. Corbigeaux.
Pluviers. Francourlis.
Oyes, Oyzons. Tourterelles.
Bizetz. Connilz.
Hallebrans. Porcespicz.
Mauluyz. Girardines.
Flamans. Cignes.
Ranfort de vinaigre parmy. Puys grands
Pastez de venaison. Guasteaux feueilletez.
D'Allouettes. Cardes.
De Lirons. Brides à veaux.
De Stamboucqs. Beignetz.
De Chevreuilz. Tourtes de seize façons.
De Pigeons. Guauffres. Crespes.
De Chamoys. Pastez de Coings.
De Chappons. Caillebotes.
Pieds de porc au sou. Neige de Crème.
Croustes de pastez fricassées. Myrobalans confictz.
Corbeaux de Chappons. Gelée.
Formaiges. Hippocras rouge & vermeil.
Pesches de Corbeil. Poupelins. Macarons.
Artichaulx. Tartes vingt sortes.
Confictures seiches & liquides soixante & dix huyt espèces. Dragée, cent couleurs.
Ionchées.
Vinaigre suyvoit à la queue de paour des Esquinanches. Mestier au sucre fin.
Item rousties.
Comment es iours maigres
entrelardez à leur Dieu sacrifioient
les Gastrolatres.
Chapitre LX.
Voyant Pantagruel ceste villenaille de sacrificateurs, & multiplicité de leurs sacrifices, se fascha, & feust descendu si Epistemon ne l'eust prié veoir l'issue de ceste farce.
Et que sacrifient, dist il, ces Maraulx à leur Dieu Ventripotent es iours maigres entrelardez?
Ie le vous diray, respondit le pilot. D'entrée de table ilz luy offrent.
Arans sors.
Caviar. Sardaines.
Boutargues. Anchoys.
Beurre frays. Tonnine.
Purées de poys. Caules emb'olif.
Espinars. Saulgrenées de febves.
Arans blancs bouffiz.
Sallades cent diversitez, de cresson, de Obelon, de la couille à l'evesque de responses, d'aureilles de Iudas, (c'est une forme de sunges issans des vieulx Suzeaulx), de Aspergez, de Chevrefeuel: tant d'aultres.
Saulmons sallez. Anguillettes sallées.
Huytres en escalles.
Là fault boyre, ou le Diable l'emporteroit. Ilz y donnent bon ordre, & n'y a faultes. Puys luy offrent.
Lamproyes à saulse Guourneaulx.
d'Hippocras. Truites.
Barbeaulx. Lavaretz.
Barbillons. Guodepies.
Meuilles. Poulpres.
Meuilletz. Limandes.
Rayes. Carreletz.
Casserons. Maigres.
Esturgeons. Pageaux.
Balaines. Gougeons.
Macquereaulx. Barbues.
Pucelles. Cradotz.
Plyes. Carpes.
Huytres frittes. Brochetz.
Pectoncles. Palamides.
Languoustes. Roussettes.
Espelans. Oursins.
Vielles. Rippes.
Ortigues. Tons.
Crespions. Guoyons.
Gracieux seigneurs. Meusniers.
Empereurs. Escrevisses.
Anges de mer. Palourdes.
Lampreons. Liguombeaulx.
Lancerons. Chatouilles.
Brochetons. Congres.
Carpions. Oyes.
Carpeaux. Lubines.
Saulmons. Aloses.
Saulmonneaux. Murènes.
Daulphines. Umbrettes.
Porcilles. Darceaux.
Turbotz. Anguilles.
Pocheteau. Anguillettes.
Soles. Tortues.
Poles. Serpens, id est, Anguilles
de boys.
Moules.
Homars. Dorades.
Chevrettes. Poullardes.
Dards. Perches.
Ablettes. Realz.
Tanches. Loches.
Umbres. Cancres.
Merluz frays. Escargotz.
Seiches. Grenoilles.
Ces viandes devorées s'il ne beuvoit, la Mort l'attendoit à deux pas près. L'on y pourvoyoit tresbien. Puys luy estoient sacrifiez.
Merluz sallez. barbouillez, gouildronnez,& cet.
Stocfiz. Moulues.
Oeufz fritz, perduz, suffocquez,
estuvez, trainnez par les
cendres, iectez par la cheminée, Papillons.
Adotz.
Lancerons marinez.
Pour les quelz cuyre & digerer facillement, vinaigre estoit multiplié. Sus la fin offroient
Ris. Escherviz.
Mil. Millorque.
Gruau. Fromentée.
Beurre d'Amendes. Pruneaulx.
Neige de beurre. Dactyles.
Pistaces. Noix.
Fisticques. Noizilles.
Figues. Pasquenades.
Raisins. Artichaulx.
Perennité d'abrevement parmy.
Croyez que par eulx ne tenoit que cestuy Gaster leur Dieu ne feust aptement, precieusement, & en abondance servy en ses sacrifices, plus certes que l'Idole de Heliogaballus, voyre plus que l'Idole Bel en Babilone soubs le roy Balthasar. Ce non obstant Gaster confessoit estre non Dieu, mais paouvre, vile, chetive creature. Et comme le roy Antigonus premier de ce nom respondit à un nommé Hermodotus (lequel en ses poesies l'appelloit Dieu, & filz du Soleil) disant. Mon Lasanophore le nie. Lasanon estoit une terrine & vaisseau approprié à recepvoir les excremens du ventre: ainsi Gaster renvoyoit ces Matagotz à sa selle persée veoir, considerer, philosopher, & contempler quelle divinité ilz trouvoient en sa matière fecale.
Comment Gaster inventa les moyens
d'avoir & conserver Grain.
Chapitre LXI.
Ces Diables Gastrolatres retirez, Pantagruel feut attentif à l'estude de Gaster le noble maistre des ars. Vous sçavez que par institution de Nature Pain avecques ses apennaiges, luy a esté pour provision adiugé & aliment, adioincte ceste benediction du ciel que pour Pain trouver & guarder rien ne luy defauldroit, Dès le commencement il inventa l'art fabrile, & agriculture pour cultiver la terre, tendent à fin qu'elle luy produisist Grain. Il inventa l'art militaire & armes pour grain defendre, Medicine & Astrologie avcques les Mathematiques necessaires pour Grain en saulveté par plusieurs siècles guarder: & mectre hors les calamités de l'air: deguast des bestes brutes: larrecins des briguans. Il inventa les moulins à eau, à vent, à bras, à aultres mille engins, pour Grain mouldre & reduire en farine. Le levain pour fermenter la paste, le sel pour luy donner saveur, (car il eut ceste congnoissance, que chose on monde plus les humains ne rendoit à maladies subiectz, que de Pain non fermenté, non salé user) le feu pour le cuyre, les horologes & quadrans pour entendre le temps de la cuycte de Pain creature de Grain.
Est advenu que grain en un pays defailloit, il inventa art & moyen de le tirer d'une contrée en aultre. Il par invention grande mesla deux espèces de animans. Asnes & Iumens pour production d'une tierce, laquelle nous appellons muletz bestes plus puissantes, moins delicates, plus durables au labeur que les aultres. Il inventa chariotz & charettes pour plus commodement le tirer. Si la mer ou rivière ont empesché la traicte, il inventa basteaulx, gualères, & navires (chose de laquelle se sont les Elemens esbahiz) pour oultre mer, oultre fleuves, & rivières naviger, & de nations barbares, incongneues, & loing separées Grain porter & transporter.
Est advenu depuys certaines années que la terre cultivant il n'a eu pluye à propous & en saison, par default de laquelle Grain restoit en terre mort & perdu. Certaines années la pluye a esté excessive, & nayoit le Grain. Certaines aultres années la gresle le guastoit, les gens l'esgrenoient, la tempeste le renversoit. Il ià davant nostre venue avoit inventé art & moyen de evocquer la pluye des Cieulx seulement une herbe decouppant commune par les praeries, mais à peu de gens congneue, laquelle il nous monstra. Et estimoys que feust celle de laquelle une seule branche iadis mectent le pontife Iovial dedans la fontaine Agrie sus le mons Lycien en Arcadie on temps de seicheresse, excitoit les vapeurs, des vapeurs estoient formées grosses nuées: les quelles dissolues en pluye toute la region estoit à plaisir arrousée. Inventoit art & moyen de suspendre & arrester la pluye en l'air, & sus mer la faire retomber. Inventoit art & moyen de aneantir la gresle, supprimer les vens, destourner la tempeste, en la manière usitée entre les Methanensiens de Trezenie.
Aultre infortune est advenu. Les pillars & briguans desroboient Grain & Pain par les champs. Il inventa l'art de bastir villes, forteresses, & chasteaulx pour le reserrer & en sceureté conserver. Est advenu que par les champs ne trouvant Pain entendit qu'il estoit dedans les villes, forteresses, & chasteaulx reserré, & plus curieusement par les habitans defendu & guardé, que ne feurent les pommes d'or des Hesperides par les dracons. Il inventa art & moyen de bastre & desmolir forteresses & chasteaulx par machines & tormens bellicques, beliers, balistes, catapultes, des quelles il nous monstra la figure, assez mal entendue des ingenieux Architectes disciples de Vitruve: comme nous a confessé Messere Philebert de l'Orme grand architecte du roy Megiste. Les quelles quand plus n'ont proficté obstant la maligne subtilité, & subtile malignité des fortificateurs, il avoit inventé recentement des Canons, Serpentines, Couleuvrines, Bombardes, Basilics, iectans boulletz de fer, de plomb, de bronze, pezans plus que grosses enclumes, moyenant une composition de pouldre horrificque, de laquelle Nature mesmes s'est esbahie, & s'est confessée vaincue par art: ayant en mespris l'usaige des Oxydraces, qui à force de fouldres, tonnoires, gresles, esclaires, tempestes vaincoient, & à mort soubdaine mettoient leurs ennemis en plain camp de bataille. Car plus est horrible, plus espoventable, plus diabolique, & plus de gens meurtrist, casse, rompt, & tue: plus estonne les sens des humains: plus de muraille demolist un coup de Basilic, que ne feroient cent coups de fouldre.
Comment Gaster inventoit art &
moyen de non estre blessé ne touché
par coups de Canon.
Chapitre LXII.
Est advenu que Gaster retirant Grain es forteresses s'est veu assailly des ennemis, ses forteresses demolies par ceste triscaciste & infernale machine: son Grain & Pain tollu & saccaigé par force Titanique, il inventoit lors art & moyen non de conserver ses rempars, bastions, murailles, & defenses de telles canonneries, & que les boulletz ou ne les touchassent, & restassent coy & court en l'air, ou touchans ne portassent nuisance ne es defenses ne aux citoyens defendens. A cestuy inconvenient ià avoit ordre tresbon donné & nous en monstra l'essay: duquel a depuys usé Fronton, & est de present en usaige commun entre les passetemps & exercitations honestes des Telemites. L'essay estoit tel. Et dorenavant soiez plus facile à croire ce que asceuré Plutarche avoit experimenté. Si un trouppeau de Chevres s'en fuyoit courant en toute force, mettez un brin de Erynge en la gueule d'une dernière cheminante, soubdain toutes s'arresteront.
Dedans un faulconneau de bronze il mettoit sus la pouldre de canon curieusement composée, degressée de son soulfre, & proportionnée avecques Camphre fin, en quantité competente, une ballote de fer bien qualibrée, & vingt & quatre grains de dragée de fer, uns ronds & sphericques, aultres en forme lachrymale. Puys ayant prins sa mire contre un sien ieune paige, comme s'il le voulut ferir parmy l'estomach, en distance de soixante pas, on mylieu du chemin entre le paige & le Faulconneau en ligne droite suspendoit sus une potence de bois à une chorde en l'air une bien grosse pierre Siderite, c'est à dire Ferrière, aultrement appellée Herculiane, iadis trouvée en Ide on pays de Phrygie par un nommé Nicander. Nous vulgairement l'appellons Aymant. Puys mettoit le feu on Faulconneau par la bouche du pulverin. La pouldre consommée advenoit que pour eviter vacuité (laquelle n'est tolerée en Nature, plus toust seroit la machine de l'Univers, Ciel, Air, Terre, Mer, reduicte en l'antique Chaos, qu'il advint vacuité en lieu du monde) la ballote & dragées estoient impetueusement hors iectez par la gueule du Faulconneau, afin que l'air penetrast en la chambre d'icelluy, laquelle aultrement restoit en vacuité estant la pouldre par le feu tant soubdain consommée. Les ballote & dragées ainsi violentement lancées sembloient bien debvoir ferir le paige: mais sus le poinct qu'elles approchoient de la susdicte pierre, se perdoit leur impetuosité, & toutes restoient en l'air flottantes & tournoyantes à tour de la pierre, & n'en passoit oultre une tant violente feust elle, iusques au paige. Mais il inventoit l'art & manière de faire les boulletz arrière retourner contre les ennemis, en pareille furie & dangier qu'ilz seroient tirez, & en propre parallèle.
Le cas ne trouvoit difficile, attendu que l'herbe nommée Aethiopis ouvre toute les serrures qu'on luy praesente: & que Echineis poisson tant imbecille arreste contre tous les vens & retient en plein fortunal les plus fortes navires qui soient sus mer: & que la chair de icelluy poisson conservée en sel attire l'or hors les puyz tant profonds soyent ilz, qu'on pourroit sonder.
Attendu que Democritus escript, Theophraste l'a creu & esprouvé estre une herbe, par le seul atouchement de laquelle un coin de fer prodondement & par grande violence enfoncé dedans quelque gros & dur boys, subitement sort dehors. De laquelle usent les Pictz Mars (vous les nommez Pivars) quand de quelque puissant coin de fer l'on estouppe le trou de leurs nidz: les quelz ils ont accoustumé industrieusement faire & caver dedans le tronc des fortes arbres.
Attendu que les Cerfz & Bisches navrez profondement par traictz de dards, fleches, ou guarrotz, s'ilz rencontrent l'herbe nommée Dictame frequente en Candie, & en mangent quelque peu, soubdain les flèches sortent hors, & ne leurs en reste mal aulcun. De laquelle Venus guarit son bien aymé filz Aeneas blessé en la cuisse dextre d'une flèche tirée par la soeur de Turnus Iuturna.
Attendu qu'au seul flair issant des Lauriers, Figuiers, & veaulx marins, est la fouldre detournée, & iamais ne les ferit. Attendu que au seul aspect d'un Belier les Elephans enraigez retournent à leur bon sens: les Taureaux furieux & forcenez approchans des figuiers saulvaiges dictz Caprifices se apprivoisent, & restent come grappes & immobiles: la furie des Vipères expire par l'attouchement d'un rameau de Fouteau. Attendu aussi qu'en l'isle de Samos avant que le temple de Iuno y feust basty: Euphorion escript avoir veu bestes nommées Neades, à la seule voix des quelles la terre fondoit en chasmates & en abysme. Attendu pareillement que le Suzeau croist plus canore & plus apte au ieu des flustes en pays on quel le chant des Coqs ne seront ouy: ainsi qu'ont escript les anciens sages, scelon le rapport de Theophraste, comme si le chant des Coqs hebetast, amolist & estonnast la matière & le boys du Suzeau: au quel chant pareillement ouy le Lion animant de si grande force & constance devient tout estonné, & consterné. Ie sçay que aultres ont ceste sentence entendu du Suzeau saulvaige, provenent en lieux tant esloignez de villes & villages, que le chant des Coqs n'y pourroit estre ouy. Icelluy sans doubte doibt pour flustes & aultres instrumens de Musicque estre esleu, & preferé au domesticque, lequel provient au tour des chevaulx & masures. Aultres l'ont entendu plus haultement non scelon la letre, mais allegoricquement scelon l'usaige des Pithagoriens. Comme quand il a esté dict que la statue de Mercure ne doibt estre faicte de tous boys indiferentement, ilz l'exposent que Dieu ne doibt estre adoré en façon vulgaire, mais en façon esleue & religieuse: pareillement en ceste sentence nous enseignent que les gens saiges & studieux ne se doibvent adonner à la Musique triviale & vulguaire, mais à la celeste, divine, angelique, plus absconse & de plus loing apportée: sçavoir est d'une region en laquelle n'est ouy des Coqs le chant. Car voulans denoter quelque lieu à l'escart & peu frequenté ainsi disons nous, en icelluy n'avoir esté ouy Coq chantant.
Comment pres l'isle de Chaneph
Pantagruel sommeilloit, &
les problèmes propouse
à son reveil.
Chapitre LXIII.
Au iour subsequent en menuz devis suyvans nostre routte, arrivasmes près l'isle de Chaneph. En laquelle abourder ne peut la nauf de Pantagruel: par ce que le vent nous faillit, & feut calme en mer. Nous ne voguions que par les Valentiennes changeans de tribort en babort, & de babort en tribort: quoy qu'on eust es voiles adioinct les bonnettes trainneresses. Et restions tous pensifz, matagrabolisez, sesolfiez, & faschez, sans mot dire les uns aux aultres. Pantagruel tenent un Heliodore grec en main sus un transpontin au bout des Escoutilles sommeilloit. Telle estoit la coustume, que trop mieulx par livre dormoit, que par coeur. Epistemon reguardoit par son Astrolabe en quelle elevation nous estoit le Pole. Frère Ian s'estoit en la cuisine transporté: & en l'ascendent des broches & horoscope des fricassées consyderoit quelle heure lors povoit estre.
Panurge avecques la langue parmy un tuyau de Pantagruelion faisoit des bulles & guargoulles. Gymnaste apoinctoit des curedens de Lentisce. Ponocrates resvant, resvoit, se chatouilloit pour se faire rire, & avecques un doigt la teste se grattoit. Carpalim d'une coquille de noix groslière faisoit un beau, petit, ioyeulx, & harmonieux moulinet à aesle de quatre belles petites aisses d'un tranchouoir de Vergne. Eusthenes sus une longue Coulevrine iouoit des doigtz, comme si feust un Monochordion. Rhizotome de la coque d'une Tortue de Guarrigues compousoit une escarcelle veloutée. Xenomanes avecques des iectz d'Esmerillon repetassoit une vieille lanterne. Notre pilot tiroit les vers du nez à ses matelotz. Quand frère Ian retournant de la cabane apperceut que Pantagruel estoit resveillé.
Adoncques rompant cestuy tant obstiné silence à haulte voix: en grande alaigresse d'esprit demanda. Manière de haulser le temps en calme?
Panurge seconda soubdain demandant pareillement. Remède contre fascherie?
Epistemon tierça en guayeté de cioeur demandant. Manière de uriner la personne n'en estant entalentée?
Gymnaste soy levant en pieds demanda. Remède contre l'esblouyssement des yeulx?
Ponocrates s'estant un peu frotté le front, & sescoué les aureilles demanda. Manière de ne dormir poinct en Chien?
Attendez, dist Pantagruel. Par le decret des subtilz philosophes Peripateticques no' est enseigné, que tous problèmes, toutes questions, tous doubtes proposez doibvent estre certains, clairs, & intelligibles. Comment entendez vous, dormir en Chien?
C'est (respondit Ponocrates) dormir à ieun en hault Soleil, comme font les Chiens.
Rhizotome estoit acropy sus le Coursouoir. Adoncques levant la teste & profondement baislant, si bien qu'il par naturelle sympathie excita tous ses compaignons à pareillement baisler, demanda. Remède contre les oscitations & baislemens?
Xenomanes comme tout lanterné à l'acoustrement de sa lanterne, demanda. Manière de aequilibrer & balancer la cornemuse de l'estomach, de mode qu'elle ne panche poinct plus d'un cousté que d'aultre?
Carpalim iouant de son moulinet demanda. Quants mouvemens sont praecedens en Nature avant que la persone soit dicte avoir faim?
Eusthenes oyant le bruyt acourut sus le tillac, & dès le capestan s'escria, demandant. Pourquoy en plus grand dangier de mort est l'home mords, à ieun d'un Serpent ieun, que après avoir repeu tant l'home que le Serpent? Pourquoy est la sallive de l'home ieun veneneuse à tous Serpens & Animaulx veneneux?
Amis, respondit Pantagruel, à tous les doubtes & quaestions par vous propousées compète une seule solution: & à tous telz symptomates & accidens une seule medicine. La response vous sera promptement expousée, non par longs ambages & discours de parolles, l'estomach affamé n'a poinct d'aureilles, il n'oyt goutte. Par signes, gestes, & effectz serez satisfaicts, & aurez resolution à vostre contentement. Comme iadis en Rome Tarquin l'orgueilleux Roy dernier des Romains (ce disant Pantagruel toucha la chorde de la campanelle frère Ian courut à la cuisine) par signes respondit à son filz Sex. Tarquin estant en la ville des Gabins. Lequel luy avoit envoyé home exprès pour entendre, comment il pourroit les Gabins du tout subiuguer, & à perfaicte obeissance reduyre. Le Roy susdict soy defiant de la fidelité du messaigier, ne luy respondit rien. Seulement le mena en son iardin secret: & en sa veue & praesence avecques son bracquemart couppa les haultes testes des Pavotz là estans. Le messaigier retournant sans response, & au filz racontant ce qu'il avoit veu faire à son père: feut facile par telz signes entendre, qu'il luy conseilloit trancher les testes aux principaux de la ville, pour mieulx en office & en obeissance totale contenir le demourant du menu populaire.
Comment par Pantagruel ne feut
respondu aux problèmes propousez.
Chapitre LXIIII.
Puys demanda Pantagruel. Quelz gens habitent en ceste belle isle de Chien?
Tous sont, respondit Xenomanes, Hypocrites, Hydropicques, Patenostriers, Chattemittes, Santorons, Cagotz, Hermites. Tous paouvres gens, vivans (comme l'hermite de Lormont entre Blaye & Bourdeaux) des aulmosnes que les voyagiers leurs donnent.
Ie n'y voys pas, dist Panurge, ie vo' assie. Si ie y voys, que le diable me souffle au cul. hermittes, Santorons, Chattemittes, Cagotz, Hypocrites, de par tous les Diables? Oustez vous de là. Il me souvient encores de nos gras Concilipètes de Chesil: que Belzebuz & Astarotz les eussent concilié avecques Proserpine: tant patismes à leur veue de tempestes & Diableries. Escoute mon petit bedon, mon caporal Xenomanes, de grace. Ces Hypocrites Hermites, Marmiteux icy sont ilz vierges ou mariez? Y a il du feminin genre? En tireroyt on hypocricquement le petit traict Hypocriticque?
Vrayement, dist Pantagruel, voy là une belle & ioyeuse demande.
Ouy dea, respondit Xenomanes. Là sont belles & ioyeuses hypocritesses, chattemitesses, hermitesses, femmes de grande religion. Et y a copie de petitz hypocritillons, chattemitillons, hermitillons. (Oustez cela, dist frère Ian interrompant. De ieune Hermite vieil Diable. Notez ce proverbe autenticque.) Aultrement sans multiplication de lignée, feust long temps y a l'isle de Chaneph deserte & desolée.
Pantagruel leurs envoya par Gymnaste dedans l'esquif son aulmosne, soixante & dixhuict mille, beaulx, petitz demys escuz à la lanterne: Puys demanda. Quantes heures sont?
Neuf, & d'adventaige, respondit Epistemon.
C'est (dist Pantagruel) iuste heure de dipner. Car la sacre ligne tant celebrée par Aristophanes en sa comoedie intitulée les Predicantes, approché: laquelle lors eschoit quand l'umbre est decempedale. Iadis entre les Perses l'heure de prendre refection estoit es Roys seulement praescripte: à un chascun aultre estoit l'appetit & le ventre pour horologe. De faict en Plaute certain Parasite soy complainct & detesté furieusement les inventeurs d'horologes & quadrans, estant chose notoire qu'il n'est horologe plus iuste que le ventre. Diogenes interrogé à quelle heure doibt l'homme repaistre? respondit. Le Riche, quand il aura faim: Le Paouvre, quand il aura de quoy. Plus proprement disent les medecins l'heure Canonicque estre.
Lever à cinq, dipner à neuf.
Soupper à cinq, coucher à neuf.
La Magie du celèbre Roy Petosiris estoit aultre. Ce mot n'estoit achevé, quand les officiers de gueule dressèrent les tables, & buffetz: les couvrirent de nappes odorantes, assietes, serviettes, salières: apportèrent tanquars, frizons, flaccons, tasses, hanatz, bassins, hydries. Frère Ian associé des maistres d'hostel, escarques, panetiers, eschansons, escuyers tranchans, couppiers, credentiers, apporta quatre horrificques pastez de iambons si grands, qu'il me soubvint des quatre bastions de Turin. Vray Dieu comment il y feut beu & guallé. Ilz n'avoient encores le dessert, quand le vent Ouest Norouest commença enfler les voiles, papefilz, morisques, & trinquetz. Dont tous chantèrent divers Cantiques à la louange du treshault Dieu des Cielz.
Sus le fruict Pantagruel demanda. Advisez amis, si vos doubtes sont à plein resoluz.
Ie ne baisle plus Dieu mercy, dist Rhizotome.
Ie ne dors plus en Chien, dist Ponocrates.
Ie n'ay plus les yeulx esblouiz, respondit Gymnaste.
Ie ne suys plus à ieun, dist Eusthenes. Pour tout ce iour d'huy seront en sceureté de ma sallive.
Aspicz.
Amphisbènes.
Anerudutes.
Abedissimons.
Alhartasz.
Ammobates.
Apimaos.
Alharrabans.
Aractes.
Asterions.
Alcharates.
Arges.
Araines.
Ascalabes.
Attelabes.
Ascalabotes.
Aemorrhoides.
Basilicz.
Belettes ictides.
Boies.
Buprestes.
Cantharides.
Chenilles.
Crocodiles.
Crapaulx.
Catoblepes.
Cerastes.
Cauquemarres.
Chiens enraigez.
Colotes.
Cychriodes.
Cafezares.
Cauhares.
Couleffres.
Cuharsces.
Chelhydres.
Cronioscolaptes.
Chersydres.
Cenchrynes.
Coquatris.
Dipsades.
Domeses.
Dryinades.
Dracons.
Elopes.
Enhydrides.
Fanuises.
Galeotes.
Harmenes.
Handons.
Icles.
Iarraries.
Ilicines.
Ichneumones.
Kesudures.
Lièvres marins.
Lizars Chalcidiques.
Myopes.
Manticores.
Molures.
Myagres.
Musarines.
Miliares.
Megalaunes.
Ptyades.
Porphyres.
Pareades.
Phalanges.
Penphredones.
Pityocampes.
Ruteles.
Rimoires.
Rhagions.
Rhaganes.
Salamandres.
Scytales.
Stellions.
Scorpenes.
Scorpions.
Selsirs.
Sclavotins.
Solofuidars.
Sourds.
Sangsues.
Salfuges.
Solifuges.
Sepes.
Stinces.
Stuphes.
Sabtins.
Sangles.
Sepedons.
Scolopendres.
Tarantoles.
Typholopes.
Tetragnaties.
Teristales.
Vipères.
Comment Pantagruel haulse le temps
avecques ses domesticques.
Chapitre LXV.
En quelle Hierarchie (demanda frère Ian) de telz animaulx veneneux mettez vous la femme future de Panurge?
Diz tu du mal des femmes (respondit Panurge) Ho guodelureau moine culpelé?
Par la gogue Cenomanique, dist Epistemon, Euripides escript, & le prononce Andromache, que contre toutes bestes veneneuses a esté par l'invention des Humains, & instruction des Dieux remède profitable trouvé. Remède iusques à present n'a esté trouvé contre la male femme.
Ce guorgias Euripides, dist Panurge, tous iours a mesdict des femmes. Aussi feut il par vengeance divine mangé des Chiens: comme luy reproche Aristophanes. Suivons. Qui ha si parle.
Ie urineray praesentement, dist Epistemon, tant qu'on vouldra.
I'ay maintenant, dist Xenomanes mon estomach sabourré à profict de mesnaige. Ià ne panchera d'un cousté plus que d'aultre.
Il ne me fault, dist Carpalim, ne vin ne pain. Tresves de soif, tresves de faim.
Ie ne suys plus fasché, dist Panurge, Diue mercy & vo'. Ie suys guay comme un Papeguay, ioyeulx comme un Esmerillon, alaigre comme un Papillon. Veritablement il est escript par vostre beau Euripides, & le dict Silenus beuveur memorable.
Furieux est, de bons sens ne iouist,
Quiconques boyt, & ne s'en resiouist.
Sans poinct de faulte nous doibvons bien louer le bon Dieu nostre createur, servateur, conservateur, qui par ce bon pain, par ce bon vin & frays, par ces bonnes viandes nous guerist de telles perturbations tant du corps comme de l'ame: oultre le plaisir & volupté que nous avons beuvans & mangeans. Mais vous ne respondez poinct à la question de ce benoist venerable frère Ian, quand il a demandé. Manière de haulser le temps?
Puys (dist Pantagruel) que de ceste legière solution des doubtes propousez, vous contentez, ainsi soys ie. Ailleurs, & en aultre temps nous en dirons d'adventaige, si bon vous semble. Reste doncques à vuider ce que a frère Ian propousé. Manière de haulser le temps? Ne l'avons nous à soubhayt haulsé? Voyez le guabet de la hune. Voyez les siflemens des voiles. Voyez la roiddeur des estailz, des utacques, & des escoutes. Nous haulsans & vuidans les tasses s'est pareillement le temps haulsé par occute sympathie de Nature. Ainsi le haulsèrent Athlas & Hercules, si croyez les saiges Mythologiens. Mais ilz le haulsèrent trop d'un demy degré: Athlas, pour plus alaigrement festoyer Hercules son hoste. Hercules, pour les aterations precedentes par les desers de Lybie. (Vraybis, dist frère Ian interrompant le propous, i'ay ouy de plusieurs venerables docteurs, que Tirelupin sommelier de vostre bon père espargne par chasucn an plus de dixhuyct cens pippes de vin, par faire les sruvenens & domesticques boyre avant qu'ilz ayent soif.) Car, dist Pantagruel continuant, comme les Chameaulx & Dromodaires en la Caravane boyvent pour la soif passée, pour la soif praesente, & pour la soif future, ainsi feist Hercules. De mode que par cestuy excessif haulsement de temps advint au Ciel nouveau mouvement de titubation & trepidation tant controvers & debatu entre les folz Astrologues.
C'est, dist Panurge, ce que l'on dict en proverbe commun.
Le mal temps passe, & retourne le bon,
Pendent qu'on trinque au tour de gras iambon.
Et non seulement, dist Pantagruel, repaissans & beuvans avons le temps haulsé, mais aussi grandement deschargé la navire: non en la façon seulement, que feut deschargée la corbeille de Aesope, sçavoir est vuidans les victuailles, mais aussi nous emancipans de ieusne. Car comme le corps plus est poisant mort que vif, aussi est l'home ieun plus terrestre & poisant, que quand il a beu & repeu. Et ne parlent improprement ceulx qui par lon voyage au matin beuvent & desieunent, puys disent. Nos chevaulx n'en iront que mieulx. Ne sçavez vous que iadis les Amycléens sus tous Dieux reveroient & adoroient le noble père Bacchus, & le nommoient Psila en propre & convenente denomination? Psila en langue Doricque signifie aesles. Car comme les oyseaulx par ayde de leurs aesles volent hault en l'air legierement: ainsi par l'ayde de Bacchus, c'est le bon vin friant & delicieux, sont hault elevez les espritz des humains: leurs corps evidentement alaigriz: & assouply ce que en eulx estoit terrestre.
Comment près l'isle de Ganabin au
commendement de Pantagruel
feurent les Muses saluées.
Chapitre LXVI.
Continuant le bon vent, & ces ioyeulx propous, Pantagruel descouvrit au loing, & apperceut quelque terre montueuse: laquelle il monstra à Xenomanes, & luy demanda. Voyez vous cy davant à Orche ce hault rochier à deux crouppes bien ressemblant au mons Parnasse en Phocide?
Tresbien, respondit Xenomanes.
C'est l'isle de Ganabim, Y voulez vous descendre?
Non, dist Pantagruel.
Vous faictez bien, dist Xenomanes. Là n'est chose aulcune digne d'estre veue. Le peuple sont tous voleurs, & larrons. Y est toutesfoys vers ceste crouppe dextre la plus belle fontaine du monde, & autour une bien grande forest. Vos chormes y pourront faire aiguade & lignade.
C'est, dist Panurge, bien & doctement parlé. Ha, da, da. Ne descendons iamais en terre des voleurs & larrons. Ie vous asceure que telle est ceste terre icy, quelles aultres foys i'ay veu les isles de Cerq & Herm entre Bretaigne & Angleterre: telle que la Ponerople de Philippe en Thrace, isles des forfans, des larrons, des briguans, des meurtriers, & assassineurs: tous extraictz du propre original des basses fosses de la Conciergie. Ne y descendons poinct ie vous en prie. Croyez, si non moy, au moins le conseil de ce bon & saige Xenomanes. Ilz sont par la mort boeuf de boys, pires que les Caniballes. Ilz nous mangeroient tous vifs. Ne y descendez pas de grace. Mieulx vous seroit en Averne descendre. Escoutez. Ie y oy par Dieu le tocqueceinct horrificque, tel que iadis le souloient les Guascons en Bourdeloys faire contre les guabelleurs & commissaires. Ou bien les aureilles me cornent. Tirons vie de long. Hau. Plus oultre.
Descendez y, dist frère Ian, descendez y. Allons, allons, allons, tousiours. Ainsi ne poyrons nous iamais de giste. Allons. Nous les sacmenterons trestous. Descendons.
Le Diable y ayt part, dist Panurge. Ce Diable de moine icy, ce moine de Diable enraigé ne crainct rien. Il est hazardeux comme tous les Diables, & poinct des aultres ne se soucie. Il luy est advis, que tout le monde est moine comme luy.
Va ladre verd, respondit frère Ian, à tous les millions de Diables, qui te peussent atomizer la cervelle, & en faire des entommeures. Ce Diable de fol est si lasche & meschant, qu'il se conchie à toutes heures de male raige de paour. Si tant tu es de vaine paour consterné, ne y descens pas, reste icy avecques le baguaige. Ou bien va te cacher soubs la cotte hardie de Proserpine à travers tous les millions de Diables. A ces motz Panurge esvanouyt de la compaignie: & se mussa au bas dedans la Soutte, entre les croustes, miettes, & chaplys du pain.
Ie sens, dist Pantagruel, en mon ame retraction urgente, comme si feust une voix de loing ouye: laquelle me dict, que ne y doibvons descendre. Toutes & quantes foys qu'en mon esprit i'ay tel mouvement senty, ie me suys trouvé en heur refusant & laissant la part dont il me retiroit: au contraire en heur pareil ne suys trouvé fuyant la part qu'il me poulsoit: & iamais ne m'en repenty.
C'est, dist Epistemon, comme le Daemon de Socrates tant celebré entre les Academicques.
Escouttez doncques, dist frère Ian, ce pendent que les chormes y font aiguade. Panurge là-bas contrefaict le Loup en paille. Voulez vous bien rire? Faictez mettre le feu en ce Basilic que voyez près le chasteau guaillard. Ce sera pour saluer les Muses de cestuy mons Antiparnasse. Aussi bien se guaste la pouldre dedans.
C'est bien dict, respondit Pantagruel. Faictez moy icy le maistre bombardier venir.
Le bombardier promptement comparut. Pantagruel luy commenda mettre feu on Basilic, & de fraisches pouldres en tout evenement le recharger. Ce que feut sus l'instant faict. Les Bombardiers des aultres naufz, Ramberges, Guallions, & Gualleaces du convoy au premier deschargement du Basilic qui estoit en la nauf de Pantagruel, mirent pareillement feu chascun en une de leurs grosses pièces chargées. Croyez qu'il y eut beau tintammare.
Comment Panurge par male paour se
conchia, & du grand chat Rodilardus
pensoit que feust un Diableteau.
Chapitre LXVII.
Panurge comme un boucq estourdy sort de la Soutte en chemise, ayant seulement un demy bas de chasses en iambes: sa barbe toute mouschetée de miettes de pain tenent en main un grand chat Soubelin attaché à l'aultre demy bas de ces chausses. Et remuant les babines, comme un Cinge qui cherche poulz en teste, tremblant, & clacquetant des dens se tira vers frère Ian, lequel estoit assis sus le poretehaubant de tribort: & devotement le pria avoir de luy compassion: & le tenir en saulveguarde de son, bragmart. Affermant & iurant par sa part de Papimanie, qu'il avoit à heure praesente veu tous les Diables deschainez.
Agua men emy (disoit il) men frère, men père spirituel, tous les Diables sont auiourd'huy de nopces. Tu ne veids oncques tel apprest de bancquet infernal. Voy tu la fumée des cuisines d'Enfer? (Ce disoit monstrant la fumée des pouldres à canon dessus toutes les naufz.) Tu ne veids oncques tant d'ames damnées. Et sçaiz tu quoy? Agua men emy, elles sont tant douillerttes, tant blondelettes, tant delicates, que tu diroys proprement que ce feust Ambrosie Stygiale. I'ay cuydé (Dieu me le pardoient) que feussent ames Angloyses. Et pense que à ce matin ayt esté l'isle des chevaulx près Escosse par les seigneurs de Termes & Dessay saccagée & sacmentée avecques tous les Angloys qui l'avoient surprinse.
Frère Ian à l'approcher sentoit ie ne sçay quel odeur aultre que de la pouldre à canon. Dont il tira Panurge en place, & apperceut que sa chemise estoit toute foireuse & embrenée de frays. La vertus retentrice du nerf qui restrainct le muscle nommé Sphincter (c'est le trou du cul) estoit dissolue par la vehemence de paour qu'il avoit eu en ses phantasticques visions. Adioinct le tonnoirre de telles canonnades: lequel plus est horrificque par les chambres basses que n'est sus le tillac. Car un des symptomes & accidens de paour est, que par luy ordinairement se ouvre le guischet du serrail on quel est à temps la matière fecale retenue.
Exemple en messere Pantolfe de la cassine Senoys. Lequel en poste passant par Chambery, & chez le saige mesnagier Vinet descendent print une fourche de l'estable: puys luy dist. Da Roma in qua io non son andato d'el corpo. Di gratia piglia in mano questa forcha, & fa mi paura. Vinet avecques la fourche faisoit plusieurs trous d'escrime, comme faignant le vouloir à bon essyant frapper. Le Senoys luy dist. Se non fai altramenrte, tu non fai nulla. Pero sforzati du adoperar li piu guagliardamente. Adoncques Vinet de la fourche luy donna un si grand coup entre col & collet, qu'il le iecta par terre à iambes redindaines. Puys bavant & riant à pleine gueule luy dist. Feste Dieu Bayart, cela s'appelle, Datum Camberiaci. A bonne heure avoit le Senoys ses chausses destachées. Car soubdain il fianta plus copieusement, que n'eussent faict neuf Beufles & quatorze Archiprebstres de Hostie. En fin le Senoys gracieusement remercia Vinet, & luy dist. Io ti ringratio bel messere. Cosi facendo tu m'hai esparmiata la speza d'un servitiale.
Exemple aultre on roy d'Angleterre Edouart le quint. Maistre François Villon banny de France s'estoit vers luy retiré: il l'avoit en si grande privauté repceu, que rien ne luy celoit des menus negoces de sa maison. Un iour le Roy sudict estant à ses affaires monstra à Villon les armes de France en paincture, & luy dist. Voyds tu quelle reverence ie porte à tes roys François? Ailleurs n'ay ie leurs armoyries que en en retraict icy près ma scelle persée. Sacre Dieu (respondit Villon) tant vous estez saige, prudent, entendu, & curieux de vostre santé. Et tant bien estez servy de vostre docte medicin Thomas Linacer. Il voyant que naturellement sus vos vieulx iours estiez constippé du ventre: & que iournellement vous failloit au cul fourrer un apothecaire, ie diz un clystère, aultrement ne povyez vous esmentir, vous a faict icy aptement, non ailleurs, paindre les armes de france, par singuliaire & vertueuse providence. Car seulement les voyant vous avez telle vezarde, & paour si horrificque, que soubdain vous fiantez comme dichuyct Bonase de Paeronie. Si painctes estoient en aultre lieu de vostre maison: en vostre chambre, en vostre salle, en vostre chapelle, en vos gualleries ou ailleurs, sacre Dieu vous chiriez par tout sus l'instant que les auriez veues. Et croy que si d'abondant vous aviez icy en paincture la grande Oriflambe de France, à la veue d'icelle vous rendriez les boyaulx du ventre par le fondement. Mais hen, hen, atque iterum hen.
Ne suys ie badault de Paris?
De Paris diz ie, auprès Pontoise:
Et d'une chorde d'une toise,
Sçaura mon coul, que mon cul poise.
Badault diz ie, mal advisé, mal entendu, mal entendent, quand venant icy avecques vous m'esbahyssoys de ce qu'en vostre chambre vous estez faict vos chausses destacher. Veritablement ie pensoys qu'en icelle darrière la tapisserie, ou en la venelle du lict feust vostre scelle persée. Aultrement me sembloit le cas grandement incongru, soy ainsi destacher en chambre pour si loing aller au retraict lignagier. N'est ce un vray pensement de Badault? le cas est faict par bien aultre mystère, de par Dieu. Ainsi faisant, vous faictez bien. Ie diz si bien, que mieulx ne sçauriez. Faictez vous à bonne heure, bien loing, bien à poinct destacher. Car à vous entrant icy, n'estant destaché, voyant cestes armoyries: notez bien tout: sacre Dieu le fond de vos chausses feroit office de Lazanon, pital, bassin fecal, & de scelle persée.
Frère Ian estouppant son nez avecques la main guausche, avecques le doigt indice de la dextre monstroit à Pantagruel la chemise de Panurge. Pantagruel le voyant ainsi esmeu, transif, tremblant, hors de propous, conchié, & esgratigné des gryphes du celèbre chat Rodilardus, ne se peut contenir de rire, & luy dist. Que voulez vous faire de ce chat?
De ce chat, respondit Panurge. Ie me donne au Diable, si ie ne pensoys que feust un Diableteau à poil follet, lequel naguères i'avoys cappiettement happé en Tapinois à belles mouffles d'un bras de chausses, dedans la grande husche d'Enfer. Au Diable soyt le Diable. Il m'a icy deschicqueté la peau en barbe d'Escrevisse. Ce disant iecta bas son chat.
Allez, dist Pantagruel, allez de par Dieu, vous estuver, vous nettoyer, vous asceurer, prendre chemise blanche, & vous revestir.
Dictez vous, respondit Panurge, que i'ay paour? Pas maille. Ie suys par la vertus Dieu plus couraigeux, que si i'eusse autant de mousches avallé, qu'il en est mis en paste dedans Paris, depuys la feste sainct Ian iusques à la Toussains. Ha, ha, ha? Houay? Que Diable est cecy? Appellez vous cecy foyre, bren, crottes, merde, fiant, deiection, matière fecale, excrement, repaire, laisse, esmeut, fumée, estront, seybale, ou spyrathe? C'est (croy ie) saphran d'Hibernie. Ho, ho, hie. C'est saphran d'Hibernie. Sela, beuvons.
FIN DU QUATRIEME livre des faicts
& dicts Heroïcques du noble
Pantagruel.
Prologue de 1548, dit ancien prologue.
Beuveurs tresillustres, & vous goutteurs tresprecieux, i'ay veu, receu, ouy, & entendu l'Ambassadeur que la seigneurie de voz seigneuries ha transmis par devers ma paternité, & m'a semblé bien bon & facond orateur. Le sommaire de sa proposition, ie reduis en trois motz, lesquelz sont de tant grande importance, que iadis entre les Romains par ces trois motz le Preteur respondoit à toutes requestes exposées en iugement: par ces trois motz, decidoit toutes controverses, tous compleinctz, procès & differents, & estoient les iours dictz malheureux & nefastes, esquelz le Preteur n'usoit de ces toois motz, fastes & heureux, esquelz d'iceulx user souloit: Vous donnez, vous dictes, vous adiugez. O gens de bien, ie ne vous peulx voir! La digne vertu de Dieu vous soit, & non moins à moy, eternellement en ayde. Or ça de par Dieu. Iamais rien ne faisons, que son tressacré nom ne soit premierement loué.
Vous me donnez. Quoy? Un beau & ample breviaire. Vray bis ie vous en remercie: Ce sera le moins de mon plus. Quel breviaire fust, certes ne pensoys, voyans les reigletz, la rose, les fermailz, la relieure, & la couverture: en laquelle ie n'ay omis à considerer les crocs & les pies, peinctes au dessus, & fermées en moult belle ordonnance. Par lesquelles, comme si fussent lettres hieroglyphicques, vous dictes facilement, qu'il n'est ouvraige que de maistres, & couraige que de crocqueurs de pies. Crocquer pie signifie certaine ioyeuseté par metaphore extraicte du prodige qui advint en Bretaigne peu de temps avant la bataille donnée près sainct Aubin du Cormier. Noz pères le nous ont exposé c'est raison que noz successeurs ne l'ignorent. Ce fut l'an de la bonne vinée: on donnoit la quarte de bon vin & friand pour une aiguillette borgne.
Des contrés de levant advola grand nombre de Gays d'un cousté, grand nombre de Pies de l'autre, tirans tous vers le Ponant. Et se coustoyoient en tel ordre, que sus le soir les Gays faisoyent leur retraicte à gauche (entendez icy l'heur de l'augure) & les pies à dextre: assez près les uns des autres. Par quelque region qu'ilz passassent, ne demouroit Pie, qui ne se ralliast aux Pies: ne Gay, qui ne se ioignist aux camps des Gays. Tant allèrent, tant volèrent, qu'ilz passèrent sus Angiers ville de France, limitrophe de Bretaigne, en nombre tant multiplié, que par leur vol, ilz tollissoient la clarté du Soleil aux terres subiacentes. En Angiers estoit pour lors un vieux oncle, Seigneur de Sainct George, nommé Frapin: c'est celuy qui a faict & composé les beaux & ioyeulx Noëlz, en langaige Poictevin. Il avoit un Gay en delices à cause de son babil par lequel tous les survenans invitoit à boire: iamais ne chantoit que de boire: & le nommoit son Goitrou. Le Gay en furie Martiale rompit sa caige, & se ioignit aux Gays passans: un barbier voysin nommé Behuart, avoit une Pie privée bien gallante. Elle de sa personne augmenta le nombre des Pies, & les suyvit au combat.
Voicy choses grandes, & paradoxes: vrayes toutesfoys, veues, & averées. Notez bien tout. Qu'en advint il? Quelle fut la fin?
Qu'il en advint bonnes gens! cas merveilleux! Près la croix de Malchara fut la bataille tant furieuse, que c'est horreur seulement y penser: la fin fut que les Pies perdirent la bataille, & sus le camp feurent felonnement occises, iusques au nombre de 2 5 8 9 3 6 2 1 0, sans compter les femmes & petits enfans: c'est à dire, sans les femelles & petitz piaux, vous entendez cela: les Gays restèrent victorieux: non toutesfoys sans perte de plusieurs de leurs bons Souldards. Dont fut dommaige bien grand en tout le pays. Les Bretons sont gens, vous le sçavez. Mais s'ilz eussent entendu le prodige, facilement eussent congnu que le malheur seroit de leur cousté. Car les queues des Pies sont en forme de leurs hermines, les Gays ont en leurs pennaiges quelques pourtraictz des armes de France. A propos, le Goitrou trois iours après retourna tout hallebrené, & fasché de ces guerres, ayant un oeil poché. Toutesfois peu d'heures après qu'il eut repeu en son ordinaire, il se remist en bon sens. Les Gorgias, Peuple, & Escolliers d'Angiers, par tourbes accouroient voir Goitrou le borgne ainsi accoustré. Goitrou les invitoit à boire comme de coustume, adioustant à la fin d'un chascun invitatoire, Crocquez pie. Ie presuppose que tel estoit le mot du guet au iour de la bataille, tous en faisoyent leur debvoir. La pie de Behuart ne retournoit point, elle avoit esté crocquée: de ce fut dict en proverbe commune: Boire d'autant & à grands traictz, estre pour vray crocquer la pie. De telles figures à memoire perpetuelle feist Frapin peindre son Tivel & salle basse. Vous la pourrez voir en Angiers sus le tartre sainct Laurent. Cette figure sus vostre breviaire posée me feist penser qu'il y avoit ie ne sçay quoy plus que breviaire. Aussi bien à quel propos me feriez vous present d'un breviaire? I'en ay (Dieu mercy & vous) des vieulx iusques aux nouveaux. Sus ce doubte ouvrant ledict breviaire, i'apperceu que c'estoit un breviaire, faict par invention mirificque, & les reigletz touts à propos, avec inscriptions opportunes. Doncques vous voulez qu'à prime ie boyve vin blanc: à tierce, sexte, & nonne, pareillement: à vespres & complies, vin clairet. Cela vous appellez crocquer pie: vrayment vous ne fustes oncques de mauvaise pie couvez. Ie y donneray requeste.
Vous dictes? Quoy? Qu'en rien ne vous ay fasché par tous mes livres cy devant imprimez. Si à ce propos ie vous allègue la sentence d'un ancien Pantagrueliste: encores moins vous fascheray.
Ce n'est (dict il) louange populaire,
Aux princes avoir peu complaire.
Plus dictes que le vin du tiers livre ha esté à vostre goust, & qu'il est bon. Vray est, qu'il y en avoit peu, & ne vous plaist ce que l'on dict communement, Un peu & du bon: plus vous plaist ce, que disoit le bon Evispande Verron, Beaucoup & du bon! D'abondant m'invitez à la continuation de l'histoire Pantagrueline, allegans les utilitez & fruictz parceuz en la lecture d'icelle, entre tous gens de bien. Vous excusans de ce que n'avez obtemperé à ma prière, contenant qu'eussiez vous reserver à rire au septante huictième livre. Ie le vous pardonne de bien bon cueur. Ie ne suis tant farouche ne implacable que vous penseriez. Mais ce que vous en disoys, n'estoit pour vostre mal. Et vous dy pour response, comme est la sentence d'Hector proferée par Nevius, que c'est belle chose estre loué de gens louables. Par reciprocque declaration, ie dy & maintiens iusques au feu exclusivement (entendez & pour cause) que vous estes grandz gens de bien, tous extraictz de bon Pères & bonnes mères, Vous promettant foy de Pieton, que si iamais vous rencontre en Mesopotamie, ie feray tant avecques le petit conte Georges de la basse Egypte, qu'à chascun de vous il fera present d'un beau Crocodille du Nil, & d'un Cauquemarre d'Euphrates.
Vous adiugez. Quoy? A qui? Tous les vieux quartiers de lune aux Caphards, Cagotz, Matagotz, Botineurs, Papelards, Burgotz, Patespelues, Porteurs de Rogatons, Chattemittes: Ce sont noms horrificques, seulement oyant leur son. A la prononciation desquelz i'ay veu les cheveulx se dresser en teste de vostre noble ambassadeur. Ie n'ay entendu que le hault Allemant, & ne sçay quelle sorte de bestes comprenez en ces denominations. Ayant faict diligente recherche par diverses contrées, n'ay trouvé homme qui les advouast, qui ainsi tolerast estre nommé ou designé. Ie presuppose que c'estoit quelque espèce monstrueuse de animaulx Barbares ou temps des haultz bonnetz: maintenant est deperie en nature, comme toutes choses sublunaires ont leur fin & periode, & ne sçavons qu'elle en soit la definition: comme vous sçavez que subiect pery, facilement perit la denomination.
Si par ces termes entendez les calumniateurs de mes escripts, plus aptement les pourrez vous nommer Diables. Car en Grec calumnie est dicte diabole. Voyez combien detestable est devant Dieu & les Anges, ce vice dict, Calumnie (c'est quand on impugne le bien faict, quand on mesdict des choses bonnes) que par iceluy non par aultre, quoy que plusieurs sembleroient plus enormes, sont les Diables d'enfer nommez & appellez, ceulx cy ne sont (proprement parlant) diables d'enfer. Ilz en sont appariteurs & ministres. Ie les nomme diables noirs, blancs, diables privez, Diables domesticques. Et ce que ont faict envers mes livres ilz feront (si on les laisse faire) envers tous autres. Mais ce n'est de leur invention. Ie le dy, à fin que tant desormais ne se glorifient au surnom du vieux Caton le Censorin. Avez vous iamais entendu que signifie, cracher au bassin? Iadis les predecesseurs de ces diables privez architectes de volutpté, everseurs d'honesteté, comme un Philoxenus, un Gnathon, & autres de pareille farine, quand par les cabaretz & tavernes, esquelz lieurs tenoient ordinairement leurs escolles, voyans les hostes estre de quelques bonnes viandes & morceaux friandz serviz: Ilz crachoient villainement dedans les platz, à fin que les hostes abhorrens leurs infames crachatz, & morveaux, desistassent manger des viandes apposées: & tout demourast à ces villains cracheurs & morveux. Presque pareille, non toutesfois abhominable histoire no' conte l'on du medicin d'eau doulce, nepveu de l'avocat de feu Amer, lequel disoit l'aele du chapon gras estre mauvaise, & le croppion redoutable, le col assez bon, pourveu que la peau en fust ostée: à fin que les malades n'en mangeassent, tout feust reservé pour sa bouche. Ainsi ont faict ces nouveaux Diables engiponnez, voyant tout ce monde en fervent appetit de voir & lire mes escriptz par les livres precedens, ont craché dedans le bassin: c'est à dire les ont par leur maniment conchiez, decriez, & calumniez en ceste intention que personne ne les leust, fors leurs Poiltronnitez. Ce que i'ay veu de mes propres yeulx, ce n'estoit pas des aureilles: voyre iusque à les conserver religieusement entre leurs besongnes de nuict, & en user comme de breviaires à usage quotidian. Ilz les ont tolluz es malades, es goutteux, es infortunez, pour lesquelz en leur mal esiouyr, les avoys faictz & composez. Si ie prenoye en cure tous ceulx qui tombent en meshaing & maladie: Ià besoing ne seroit mettre telz livres en lumière & impression.
Hippocrates ha faict un livre exprès, lequel il ha intitulé, de l'estat du parfaict medicin (Galien l'a illustré de doctes commentaires) auquel il commande rien n'estre au medecin (voyre iusques à particulariser les ongles) qui puisse offenser le patient: tout ce qu'est au medecin, gestes, visaige, vestemens, parolles, regardz, touchement, complaire & delecter le malade. Ainsi faire en mon endroict, & à mon lourdoys ie me peine & efforce envers ceulx, que ie prens en cure. Ainsi font mes compaignons de leur cousté: dont par adventure sommes dictz Parabolains au long faucile, & au grand code, par l'opinion de ceux Gruinguenaudiers aussi folement interprétée, comme fadement inventée. Plus y a sur un passaige du sixiesme des Epidemies dudict père Hyppocrates, nous suons disputans, à sçavoir non, si la face du medecin chagrin, tretricque, reubarbatif, mal plaisant, mal content, contriste le malade & du medecin la face ioyeuse, sereine, plaisante, riante, ouverte, esiouyst le malade? (Cela est tout esprouvé & certain) mais que telles contristations & esiouyssemens proviennent par apprehension du malade contemplant ces qualitez, ou par transfusion des espritz sereins ou tenebreux, ioyeux ou tristes du medecin, ou malade: comme est l'advis des Platonicques, & Averroistes. Puis doncques que possible n'est que de tous malades soys appellé, que tous malades ie prenne en cure: quelle envie est ce, tollir es langoreux & malades, le plaisir & passetemps ioyeux sans offense de Dieu, du Roy, ne d'autre, qu'ilz prennent, oyans en mon absence la lecture de ces livres ioyeux? Or puisque par vostre adiudication & decret de ces medisans & calumniateurs sont saisiz & emparez des vieux quartiers de lune, ie leur pardonne: il n'y aura pas à rire pour tous desormais, quand voyrons ces folz lunatiques, aucuns ladres, autres bougres, autres ladres & bougres ensemble, courir les champs, rompre les bancz, grinsser les dens, fendre carreaux, battre pavez, soy pendre, soy noyer, soy precipiter, & à bride avallée courir à tous les diables selon l'energie, faculté & vertu des quartiers qu'ilz auront en leurs caboches, croissans, initians, amphicyrces, brisnas, & definens. Seulement envers leurs malignitez & impostures useray de l'offre, que fist Timon le Misanthrope à ses ingratz Atheniens. Timon fasché de l'ingratitude du peuple Athenien, en son endroict, un iour entra au conseil public de la ville, requetant luy estre donnée audience, pour certain negoce concernant le bien public. A sa requeste fut silence faict en expectation d'entendre choses d'importance, veu qu'il estoit au conseil venu, qui tant d'années au paravant s'estoit absenté de toutes compaignies, & vivoit en son privé. Adonc leur dist: Hors mon Iardin secret dessoubz le mur est un ample, beau & insigne figuier, auquel vous autres messieurs les Atheniens desesperez hommes, femmes, iouvenceaux & pucelles, avez de coustume à l'escart vous pendre & estrangler. Ie vous adverty, que pour accommoder ma maison, ie delibère dedans huictaine demolir icelluy figuier: pourtant quiconques de vous autres & de toute la ville aura à se pendre, s'en despesche promptement: le terme susdict expiré n'auront lieu tant apte, ne arbre tant commode. A son exemple ie denonce à ces calumniateurs diaboliques, que tous ayent à se pendre dedans le dernier chanteau de ceste lune. Ie les fourniray de licolz. Lieu pour se pendre ie leur assigne entre midy & faverolles. La lune renouvellée, ilz n'y seront receuz à si bon marché, & seront contreinctz eulx mesmes à leurs despens achapter cordeaux, & choisir arbre pour leur pendaige: comme feist la seignore Leontium, calumniatrice du tant docte & eloquent Theophraste.
BRIEFVE DECLARATION
D'Aulcunes dictions plus obscures
contenues on quatriesme livre
des Faicts & Dicts Heroïcques de
Pantagruel.
EN L'EPISTRE LIMINAIRE.
Mithologies. Fabuleuses narrations, c'est une diction grecque.
Prosopopées. Desguisement, fiction de persone.
Tetricque. Rebours, rude, maussade, aspre.
Catonian. Severe, comme feut Caton le Censorin.
Catastrophe. Fin, issue.
Canibales. Peuple monstrueux en Africque ayant la face comme Chiens, & abbayant en lieu de rire.
Misantropes. Haïssans les hommes, fuyans la compaignie des hommes. Ainsi feut surnommé Timon Athenien, Cic. 4. Tuscul.
Agelastes. Poinct ne rians. Tristes. Fascheux. Ainsi feut surnommé Crassus, oncle de celuy Crassus qui feut occis des Parthes, lequel en sa vie ne feut veu rire qu'une foys, comme escripvent Lucillius, Cicero 5. de Finibus, Pline lib. 7.
Iota. Un poinct. C'est la plus petite letre des grecs: Cic. 34, de Orat., Martial, lib. 2. 92., en l'Evangile, Matth. 5.
Theme. Position. Argument. Ce que l'on propose à discuter, prouver & redire.
Anagnoste. Lecteur.
Evangile. Bonne nouvelle.
Hercules Gaulloys. Qui par son eloquence tira à soy les nobles Françoys, comme descript Lucian Alexicaos, defenseur, aydant en adversité, destournant le mal. C'est un des surnoms de Hercules: Pausanias, in Attica. En mesmes effect est dict Apoponpoeus, et Apotropoeus.
ON PROLOGUE.
Sarcasme. Mocquerie poignante & amere.
Satyricque mocquerie. Comme est des antiques Satyrographes Lucillius, Horatius, Persius, Iuvenalis. C'est une maniere de mesdire d'un chascun à plaisir, & blasonner les vices, ainsi qu'on faict es ieux de la Bazoche, par personaiges desguisez en Satyres.
Ephemeres fiebvres. Lesquelles ne durent plus d'un iour naturel, sçavoir est 24 heures.
Dyscrasié. Mal temperé, de mauvaise complexion. Communement on dict biscarié en languaige corrompu.
, etc. Vie non vie, vie non vivable.
Musaphiz. En langue Turque & Sclavonicque, docteurs & prophetes.
Cahu, caha. Motz vulgaires en Touraine: tellement quellement, que bien que mal.
Vertus de Styx. C'est un paluz en Enfer scelon les poëtes, par lequel iurent les dieux: comme escript Virgile, 6. Aeneid., & ne se periurent. La cause est pour ce que Victoire, fille de Styx, feut à Iuppiter favorable en bataille des Geantz, pour laquelle recompenser Iuppiter octroya que les Dieux iurans par sa mere iamais ne se fauldroient, etc. Lisez ce qu'en escript Servius on lieu dessus allegué.
Categoricque. Plene, aperte & resolue.
Soloecisme. Vicieuse maniere de parler.
Periode. Revolution. Clausule. Fin de sentence.
Aber Keids. En allement, vilifiez. Bisso.
Nectar. Vin des dieux, celebre entre les poëtes.
Metamorphose. Transformation.
Figure triangulaire oequilaterale. Ayant trois angles en eguale distance un de l'autre.
Cyclopes. Forgerons de Vulcan.
Tubilustres. On quel iour estoient en Rome benistes les trompettes dediées aux sacrifices, en la basse court des tailleurs.
Olympiades. Maniere de compter les ans entre les Grecs, qui estoit de cinq en cinq ans.
An intercalare. On quel escheoit le bissextre, comme est en cette presente année 1552. Plinius, lib. 2, cap. 47.
Philautie. Amour de soy.
Olympe. Le ciel. Ainsi dict entre les poëtes.
Mer thyrene. Près de Rome.
Appennin. Les Alpes de Boloigne.
Tragoedies. Tumultes & vacarmes excitez pour chose de petite valeur.
Pastophores. Pontifes entre les Aegyptiens.
Dodrental. Long d'une demye coubtée, ou de neuf poulsées Romaines.
Microcosme. Petit monde.
Marmes, merdigues. Iuremens de gens villageoys en Touraine.
Ides de May. Esquelles naquit Mercure.
Massorethz. Interpretes & glossateurs entre les Hebrieux.
St, St, St. Une voix & sifflement par lequel on impose silence. Terence en une in Phor., & Ciceron De Oratore.
CHAPITRE PREMIER.
Bacbuc. Bouteille, en hebrieu, ainsi dicte du son qu'elle faict quand on la vuide.
Vestales. Festes en l'honneur de la deesse Vesta en Rome. C'est le septiesme iour de iuing.
Thalasse. Mer.
Hydrographie. Charte marine.
Pierre sphengitide. Transparente comme verre.
Ceincture ardente. Zone torride.
L'aisseuil septentrional. Pole Arctique.
Parallele. Line droicte imaginée on ciel egualement distante de ses voisines.
CHAPITRE II.
Medamothi. Nul lieu en Grec.
Phares. Haultes tours sus le rivaige de la mer, esquelles on allume une lanterne on temps qu'est tempeste en mer pour addresser les mariniers, comme vous povez veoir à la Rochelle & Aigues Mortes.
Philophanes. Convoiteux de veoir & estre veu.
Philotheamon. Convoiteux de veoir.
Engys. Auprès.
Megiste. Tresgrand.
Idées. Especes & formes invisibles imaginées par Platon.
Atomes. Corps petitz & indivisibles, par la concurrence desquelz Epicurus disoit toutes choses estre faictes & formées.
Unicornes. Vous les nommez Licornes.
CHAPITRE III.
Celoces. Vaisseaulx legiers sus mer.
Gozal. En hebrieu: pigeon, colombe.
CHAPITRE IV
Posterieur ventricule du cerveau. C'est la memoire.
CHAPITRE VI.
Deu Colas, saillon. Sont motz lorrains. De par sainct Nicolas, compaignon.
CHAPITRE VII.
Si Dieu y eust pissé. C'est une maniere de parler vulgaire en Paris, & par toute France entre les simples gens, qui estiment tous les lieux avoir eu particulière benediction, esquelz nostre Seigneur avoit fait excretion de urine ou autre excrement naturel, comme de la salive est escript Ioannis 9. Lutum fecit ex sputo.
Le mal sainct Eutrope. Maniere de parler vulgaire, comme le mal sainct Iehan, le mal de sainct Main, le mal sainct Fiacre. Non que iceulx benoists sainctz ayent eu telles maladies, mais pour ce qu'ilz en guerissent.
CHAPITRE VIII.
Cenotaphe. Tombeau vuide, onquel n'est le corps de celuy pour l'honneur et memoire duquel il est erigé. Ailleurs est dict Sepulchre honoraire & ainsi le nomme Suetone.
Ame moutonniere. Mouton vivant & animé.
CHAPITRE IX.
Pantophle. Ce mot est extraict du grec , tout de liege.
CHAPITRE XII.
Rane gyrine. Grenoille informe. Les Grenoilles en leur premiere generation sont dicts Gyrins, & ne sont qu'une chair petite, noire, avecques deux grands oeilz & une queue. Dont estoient dictz les sotz Gyrins. Platon, in Theoeteto, Aristoph., Pline, lib. 9, cap. 51, Aratus.
Tragicque comoedie. Farce plaisante au commencement, triste en la fin.
CHAPITRE XIII.
Croix osaniere. En poictevin est la croix ailleurs dicte Boysseliere, pres laquelle au dimenche des Rameaux l'on chante. Osanna filio David etc.
CHAPITRE XV.
Ma dia. Est une maniere de parler vulgaire en Touraine. Est toutesfois grecque. non par Iuppiter. Comme Ne dea: ouy par Iuppiter.
L'or de Tholose. Duquel parle Cic. lib. 3. de Nat. deorum. Aul. Gellius. lib. 3. Iusti. lib. 22. Strabo, lib. 4. porta malheur à ceulx qui l'emporterent, sçavoir est Q. Cepio, consul Romain, & toute son armée qui tous, comme sacrileges, perirent malheureusement.
Le cheval Seian. de Cn. Seius lequel porta malheur à tous ceulx qui le possederent. lisez A. Gellius lib. 3. cap. 9.
CHAPITRE XVI.
Comme sainct Ian de la Palisse. Maniere de parler vulgaire par syncope, en lieu de l'Apocalipse. Comme Idolatre pour Idololatre.
Les ferremens de la messe. Disent les Poictevins villageoys ce que nous disons ornemens, & le manche de la paroece ce que nous disons le clochier par metaphore assez lourde.
CHAPITRE XVII.
Tohu & Bohu. Hebrieu. Deserte & non cultivée.
Sycophage. Maschefigue.
Nargues & Zargues. Noms faicts à plaisir.
Teleniabin & Geleniabin. Dictions arabicques. Manne & miel rosat.
Enig & Evig. Motz allemans. Sans. Avecques. En la composition & appoinctement du langrauff d'Esse avecques l'empereur Charles cinquiesme, on lieu de Enig: sans detention de personne, feut mis Evig: avecques detention.
CHAPITRE XVIII.
Scatophages. Maschemerdes, vivans de excremens. Ainsi est de Aristophanes in Pluto nommé Aesculapius, en mocquerie commune à tous medicins.
CHAPITRE XIX.
Concilipetes. Comme Romipetes. Allans au concile.
CHAPITRE XX.
Teste Dieu pleine de reliques. C'est un des sermens du seigneur de la roche du Maine.
CHAPITRE XXI.
Trois rases d'angonnages. Tuscan. Trois demis aulnes de bosses chancreuses.
CHAPITRE XXII.
Celeusme. Chant pour exhorter les mariniers, & leur donner couraige.
Ucalegon. Non aydant. C'est le nom d'un viel Troian, celebré par Homere, 3, Iliad.
CHAPITRE XXIII.
Vague decumane. Grande, forte, violente. Car la dixiesme vague est ordinairement plus grande en la mer Oceane que les autres. Ainsi sont par cy après dictes Escrevisses Decumanes, grandes: comme Columella dict Poyres Decumanes, & fest. Pomp. oeufz decumans. car le dixiesme est tousiours le plus grand. & en un grand camp porte Decumane.
CHAPITRE XXIV.
Passato, etc. Le dangier passé est le sainct mocqué.
CHAPITRE XXV.
Macraeons. Gens qui vivent longuement.
Macrobe. Homme de longue vie.
Hieroglyphicques. Sacres sculptures. Ainsi estoient dictes les lettres des antiques saiges Aegyptiens, & estoient faictes des images diverses de arbres, herbes, animaulx, poissons, oiseaulx, instrumens, par la nature & office desquelz estoit representé ce qu'ilz vouloient designer. De icelles avez veu la divise de mon seigneur l'Admiral en une ancre, instrument très poisant, & un daulphin poisson legier sus tous animaulx du monde: laquelle aussi avoit porté Octavian Auguste voulant designer Haste toy lentement, fays diligence paresseuse, c'est à dire expedie, rien ne laissant du necessaire. d'icelles entre les Grecs a escript Orus Apollon. Pierre Colonne en a plusieurs exposé en son livre tuscan intitulé Hypnerotomachiea Polyphili.
Obelisces. Grandes & longues aiguilles de pierre, larges par le bas & peu à peu finissantes en poincte par le hault. Vous en avez à Rome près le temple de Sainct Pierre une entière & ailleurs plusieurs autres. Sus icelles près le rivage de la mer l'on allumoit du feu pour luyre aux mariniers on temps de tempeste, & estoient dictes Obeliscolychnies, comme cy dessus.
Pyramides. Grands bastimens de pierre ou bricque quarrez, larges par le bas & aiguz par le hault, comme est la forme d'une flambe de feu, . Vous en pourrez veoir plusieurs sur le Nil, près le Caire.
Prototype. Première forme, patron, model.
CHAPITRE XXVI.
Parasanges. Entre les Perses estoit une mesure des chemins contenente trente stades. Herodotus lib. 2.
CHAPITRE XXIX.
Aguyon. Entre les Bretons & Normans mariniers est vent doulx, serain & plaisant, comme en terre est Zephyre.
Gonfallonier. Porte enseigne. Tuscan.
Ichtyophages. Gens vivans de poissons, en Aethiopie inferieure près l'Ocean occidental. Ptoleme, libro 4. cap. 9. Strabo lib. 15.
CHAPITRE XXXII.
Corybantier. Dormir les oeilz ouvers.
Escrevisses decumanes. Cy dessus a esté exposé.
CHAPITRE XXXIII.
Atropos. La mort.
Symbole. Conference. Collation.
CHAPITRE XXXIV.
Catadupes du Nil. Lieu en Aethiopie onquel le Nil tombe de haultes montaignes en si horrible bruyt que les voisins du lieu sont presque tous sours, comme escript Claud. Galen. L'evesque de Caramith, celuy qui en Rome feut mon precepteur en langue arabicque, m'a dict que l'on oyt ce bruyt à plus de troys iournées loing, qui est autant que de Paris à Tours. Voyez Ptol. Ciceron, in Som. Scipionis. Pline, lib. 6. cap. 9, & Strabo.
Line perpendiculaire. Les architectes disent tombante à plomb, droictement pendente.
CHAPITRE XXXV.
Montigenes. Engendrez en montaignes.
CHAPITRE XXXVI.
Hypocriticque. Faincte, desguisée.
CHAPITRE XXXVII.
Venus. En Grec a quatre syllabes, . Vulcan en a trois: Hephaystos.
Ischies. Vous les appellez sciacticques, hernies, ruptures du boyau devallant en la bourse, ou par aiguosité, ou carnosité, ou varices, etc.
Hemicraines. Vous les appellez migraines: c'est une douleur comprenente la moytié de la teste.
CHAPITRE XLII.
Niphleseth. Membre viril. Hebr.
CHAPITRE XLIII.
Ruach. Vent ou esprit. Hebr.
Harbes carminatives. Lesquelles ou consomment ou vuident les ventositez du corps humain.
Iambe oedipodicque. Enflée, grosse, comme les avoit Oedipus le divinateur, qui en grec signifie Pied enflé.
Aeolus. Dieu des vents, selon les Poëtes.
Sanctimoniales. A present sont dictes nonnains.
CHAPITRE XLIV.
Hypenemien. Venteux. Ainsi sont dictz les oeufz des poulles & autres animaulx faictz sans copulation du masle: desquelz iamais ne sont esclouz poulletz etc. Arist., Pline, Collumella.
Aelopyle. Porte d'Aelous. C'est un instrument de bronze clous, onquel est un petit pertuys, apr lequel si vous mettez eaue, & l'approchez du feu, vous voirez sortir vent continuellement. Ainsi sont engendrez les vents en l'air & les ventositez es corps humains, par eschauffemens ou concoction on parfaicte, comme expose Cl. Galen. Voyez ce qu'en a escript nostre grand amy & seigneur Monsieur Philander sus le premier livre de Vitruve.
Bringuenarilles. Nom faict à plaisir comme grand nombre d'autres en cestuy livres.
Lipothymie. Defaillance de coeur.
Paroxysme. Accès.
CHAPITRE XLV.
Tachor. Un fic au fondement. Hebr.
Brouet. C'est la grande halle de Millan.
Ecco lo fico. Voilà la figue.
Camp restile. Portant fruict tous les ans.
CHAPITRE XLVIII.
Voix stentorée. Forte & haulte comme avoit Stentor, duquel escript Homere 5. Iliad., Iuvenal lib. 13.
Hypophetes. Qui parlent des choses passées: comme Prophetes parlent des choses futures.
CHAPITRE XLIX.
Uranopetes. Descendues du ciel.
Zoophore. Portant animaulx. C'est en un portal & autres lieux ce que les architectes appellent frize, entre l'architrave & la coronice, onquel lieu l'on mettoit les manequins, sculptures, escriptures & autres divises à plaisir.
Congnois toy mesmes.
E I. Tu es. Plutarche a faict un livre singulier de l'exposition de ces deux lettres.
Diipetes. Descendens de Iuppiter.
Scholiastes. Expositeurs.
CHAPITRE L.
Archetype. Original. Protraict.
Sphacelée. Corrompue. Pourrie. Vermoulue. Diction frequente en Hippocrates.
CHAPITRE LI.
Epode. Une espece de vers, comme en a escript Horace.
Paragraphe. Vous dictez parafe, corrompans la diction, laquelle signifie un signe ou une note posée près l'escripture.
Ectase. Ravissement d'esprit.
CHAPITRE LIII.
Auriflue energie. Vertus faisant couller l'or.
Decretalictonez. Meurtriers des Decretales. C'est une diction monstrueuse, composée d'un mot Latin & d'un autre Grec.
Corolaires. Surcroistz. Le parsus. Ce que est adioinctz.
CHAPITRE LIV.
Terre sphragitide. Terra sigillata est nommée des apothecaires.
CHAPITRE LVI.
Argentangine. Esquinance d'argent. Ainsi fut dict Demosthenes l'avoir quand pour ne contredire à la requeste des ambassadeurs Milesiens, desquelz il avoit receu grande somme d'argent: il se enveloppa le coul avecques gros drappeaux & de laine pour se excuser d'opiner: comme s'il eust eu l'esquinance. Plutarche & A. Gelli.
CHAPITRE LVII.
Gaster. Ventre.
Druydes. Estoient les pontifes & docteurs des anciens François. Desquelz escript Caesar lib. 6 de Bello Gallico. Cicer. lib. 1. de Divinat. Pline lib. 16 etc.
Somates. Copres. Membres.
CHAPITRE LVIII.
Engastrimythes. Parlans du ventre.
Gastrolatres. Adorateurs du ventre.
Sternomantes. Divinans par la poictrine.
Gaulle cisalpine. Partie ancienne de Gaulle entre les mons Cenis & le fleuve Rubicon près Rimano, comprenente Piedmond, Montserrat, Astisane, Vercelloys, Millan, Mantoue, Ferrare etc.
CHAPITRE LIX.
Dithyrambes. Croepalocomes. Epoenons. Chansons de yvroignes en l'honneur de Bacchus.
Olives colymbades. Confictes.
CHAPITRE LX.
Lasanon. Ceste diction est là exposée.
CHAPITRE LXII.
Triscasciste. Troys foys tresmauvaise.
Force Tithanicque. Des geantz.
CHAPITRE LXIII.
Chaneph. Hypocrisie. Hebr.
Sympathie. Compassion. Consentement. Semblable affection.
Symptomales. Accidens survenans aux maladies: comme mal de cousté, toux, difficulté de respirer. Pleuresie.
CHAPITRE LXIV.
Umbre decempedale. Tombante sus le dixieme poinct en un quadrant.
Parasite. Bouffon, causeur, iongleur, cherchant ses repeues franches.
CHAPITRE LXVI.
Ganabin. Larrons. Hebrieu.
Pomerople. Ville des meschants.
CHAPITRE LXVII.
Ambrosie. Viande des Dieux.
Stygiade. D'enfer. Dict du fleuve Styx, entre les poëtes.
Da Roma... etc. Depuis Rome iusques icy ie n'ay esté à mes affaires. De grace, prens en main ceste fourch e me fais paour.
Si tu non fai... etc. Si tu ne fais autrement, tu ne fays rien. Portant efforce toy de besoigner plus gaillardement.
Datum Camberiaci. Donné à Chambery.
Io ti ringratio... etc. Ie te remercie, beauseigneur. Ainsi faisant tu me as espargné le coust d'un clystère.
Bonases. Animal de Peonie, de la grandeur d'un taureau, mais plus trappe: lequel, chassé & pressé, fiante loing de quatre pas & plus. Par tel moyen se saulve, bruslant de son fiant le poil des chiens qui le prochassent.
Lazanon. Cette diction est exposée chap. LX.
Pital. Terrine de scelle persée. Tuscan. Dont sont dicts Pitalieri certains officiers à Rome, qui escurent les scelles persées des reverendissimes cardinaux estans on conclave resserrez pour election d'un nouveau Pape.
Par la vertus Dieu. Ce n'est iugement. C'est assertion moyenante la vertus de Dieu. Ainsi en est il de plusieurs lieux de ce livre. Comme à Tholose preschoit frère Quambouis: Par le sang Dieu nous feusmes rachetez. Par la vertus Dieu nous serons saulvez.
Scybale. Estront endurcy.
Spyrathe. Crotte de chèvre ou de brebis.
Sela. Certainement. Hebr.