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NUYSEMENT Poème philosophique sur l'Azoth des Philosophes



POEME PHILOSOPHIQUE SUR L’AZOTH DES PHILOSOPHES
Par le sieur Clovis Hesteau de Nuysement.
1624

Si l’Art pouvait créer les principes des choses,
Comme il peut accomplir les puissances encloses,
Et principes créés, & les multiplier,
Nature aux pieds de l’Art viendrait s’humilier,
Au lieu que devant elle il fléchit & s’incline,
Car s’il a de la gloire elle en est l’origine.
Comme experte maîtresse, & lui comme aide expert.
Elle fait ses aprests, dont après il la sert.

Les principes prochains dont cette grande ouvrière,
Compose des métaux la matière première,
Et ceux dont l’élixir par l’art je dois former.
Pour des corps imparfaits les défauts reformer,
Sont en être, en substance,& vertus uniforme,
Pareils en qualité ; mais différents en forme.
Nature les prépare ; & en les préparant ;
Elle rend à nos yeux leur aspect différent.

Au centre de la terre elle tient sa boutique,
Ou d’engin admirable elle assemble & fabrique,
Des principes premiers ces principes prochains;
Dont elle va formant de ses expertes mains,
Une masse confuse, ou par poids elle assemble,
Les quatre qualités de deux spermes ensemble.

Ayant mêlé l’eau sèche avec l’esprit puant,
Sa fournaise elle enflamme ;& les va transmutant,
En substance fumeuse, ou vapeur qui sans cesse,
Monte si quelque obstacle opposé ne l’abaisse.

Si rien ne la réprime à force de voler,
Elle échappe fuit iue; & va former en l’air
Quelque instrument du foudre : ou l’aspect fatidique
D’une errante comète, & feu météorique.

Mais trouvant un rempart qu’elle ne perce pas,
Elle est réverbérée, & recourbée en bas.
Puis s’écartant pressée, aux plus étroites veines,
Des rochers sourcilleux, & montagnes hautaines,
Elle y est retenue avec l’effort puissant,
De vertu minérale ; à elle s’unissant.
Du très ferme bien d’union perdurable,
Par la douce action de chaleur amiable;
Qui jour & nuit persiste, afin de convertir,
En métal, la vapeur qui ne peut plus servir.

Ainsi donc la nature a pour toutes étoffes,
Cette double vapeur commune aux Philosophes,
Qu’elle rend accomplie, autant que le permet,
Et le temps, & le lieu, ou la vapeur se met,
Car si elle rencontre une impure matrice,
L’embryon qui s’y forme est taché de son vice,
Et si l’avare main de l’avide marchand,
Du ventre maternel va l’enfant arrachant,
Avant les ans premiers destinés à leur être,
C’est un fruit abortif, qui meurt premier que naître.

Le clair voyant Hermès d’un œil de Lynx ouvrit,
La terre jusqu’au centre ; & subtil découvrit
Les secrets plus profonds où nature envieuse
Emploie en se cachant sa main industrieuse.

Il lui veid marier Mercure avec Vénus,
Qui dans la touche aimée, entrelacée et nue :
Engendrèrent l’enfant ou leurs sexes s’assemblent,
Ressemblant à tous deux, qui point ne lui ressemblent.

Vénus se sentant grosse elle explora du sort,
De son cher Embryon la naissance & la mort.
Trois Oracles divers l’affligèrent confuse,
Et nul d’eux toutefois mensonger ne l’abuse.
Le premier lui présage un fils du fer soumis,
L’autre lui a pour l’onde une fille promis,
Puis le tiers lui annonce une engeance nouvelle,
Qui naissant fille, & fils, n’est mâle ni femelle :
Et dont la frêle vie en l’air doit expirer,
Ces contraires destins font Vénus soupirer,
Pleine d’impatience ; attendant la journée,
Qu’éclora de son fruit la triple destinée.

Sa naissance conforme aux présages divins,
Pour la mort lui font croire aux mots des trois devins,
Il naît mâle femelle, & n’est homme ni femme;
LE glaive, l’onde, & l’air lui dérobèrent l’âme,
Tué, noyé, pendu, en l’avril de ses ans;
Honoré du beau nom de ses divins parents.

L’aveugle en tel mystère aura ceci pour fable,
Qui est aux débiller histoire véritable.
Car les principes vrais par nature alliés,
Sont ces divins amants au joug d’Himen lié:

Et la double vapeur qui de ces deux s’exhale,
Emportant de chacun sa portion égale,
Est cet Hermaphrodite ; auquel sont contenus,
Les deux spermes divins de Mercure & Vénus.

L’Art imitant Nature accomplit l’œuvre entière,
Par la même pratique, & la même matière,
Au ventre d’un clair vase, en globe rondissant,
L’agent au patient bien purgé unissant :
Desquels le feu fait naître un vapeur subtile,
Qui maintes fois s’élève, & maintes fois distille;
Désanimant les corps qui la vont produisant,
Puis avec la propre âme en eux se réduisant.

C’est Azoth, c’est l’esprit, c’est l’âme fugitive,
Qui fumée invisible en tournoyant arrive,
Qu haut de notre globe ; ou perdant force & cœur,
Visiblement retombe en perleuse liqueur :
Et non point l’argent vif, commun, froid, & humide,
Encore qu’il apparaisse éclatant & fluide :
Ais un Mercure extrait des corps subtilisés,
Par l’argent vif vulgaire ouverts & déliés :
Esprit qu’on peut nommer Mercure de Mercure;
Plus subtil, chaud & meur, que celui de nature.

Par cet esprit visible au Ciel glorifié,
Notre Laiton immonde est tout purifié,
Qu’il devient médecine infinie en puissance;
Pour exterminer tout, ce qui tout corps offense.

Qui a vu cet Azoth a vu notre Elixir;
Car de notre Elixir notre Azoth issir:
Puis qu’Elixir n’est rien qu’une eau Mercurielle;
Et que l’on nomme Azoth la vapeur qui sort d’elle.
Elixir est le corps en Mercure réduit;
Et l’Azoth est l’esprit qui des deux est produit:
Tout ce fait eau, par l’eau ; mais cette eau qui rien ne mouille,
En ne se joint sinon à sa propre dépouille.

Or l’on peut ce grand œuvre en trois parts diviser,
Et sous trois noms divers le secret déguiser,
Rebis est le premier, quand la pierre on compose:
Et qui les deux conjoints ne font plus qu’une chose.
Elixir le second, lors qu’en notre cercueil,
Flotte une mer d’argent sous des voiles de deuil.
Azoth est le troisième, alors que dans le vide
Du globe diaphane, une vapeur lucide
Hors de ses flots s’élève, & fécondant en haut :
Puis rechet quand la force à ses allés défaut.

Esprit qui ravit l’âme, & dans son sein la cache,
Lors que des corps pourris sa teinture il arrache.
Teinture, huile, âme, soufre, extrais par notre agent:
Vive eau qui brille, & roule aussi claire qu’argent,
Sous l’espèce éclatante, humide & inconstante
De l’esprit épuré de cette mer flottante.
Comme après que la terre aura son eau repris,
L’âme, & l’esprit seront dessous les corps compris:
Corps, & terre ou il faut que l’or meure & pourrisse,
Comme le sperme humain en l’humaine matrice.

On voit les végétaux par la terre produits,
Par putréfaction être en terre réduis :
Terre qui en vertu la première surpasse,
Par son sel qui l’anime, & qui la rend plus grasse.

Ceux qui du labourage ont pratiqué le train,
On eut soin  de la paille aussi bien que du grain :
Car la paille pourrie en graisse convertie,
Se rejoint à la terre, & lui donne la vie :
Dont après son grain propre, en un tel champ semé,
Est plus abondamment produit & animé.
Les métaux, du Mercure, ont tiré leur semence:
Il est leur propre terre & lui seul à puissance
De les réduire en lui par putréfaction,
Pour donner aux parfaits plus de perfection.
Car nos corps submergés dans les flots du Mercure
Et transmué en lui par propre pourriture :
Sont la terre féconde, & les champs fructueux,
Ou nos beaux grains semés se font plus vertueux.