RIPLEY Traité du Mercure et de la Pierre des Philosophes.
GEORGE RIPLEY
XVème siècle
Maintenant mon fils, pour vous dire quelque chose du Mercure des Philosophes, apprenez que quand vous aurez mis votre eau de vie avec l'homme rouge (qui est notre Magnésie) et avec la femme blanche, qu'on appelle Albifique, et qu'ils seront tous conjoints ensemble, en sorte qu'ils ne fassent qu'un même corps, assurément c'est alors que vous avez le Mercure des Philosophes,. Car après qu'il est joint en cette matière avec le mâle et la femelle, on nomme cette eau non seulement le Mercure des Philosophes, mais leur eau de vie, le sang de l'homme rouge, sa chair, son corps et ses os. Concevez donc qu'il y a plusieurs sortes de lait, savoir lait de vierge, lait de femme, et aussi lait d'homme, lesquels aussitôt qu'ils sont alliés ensemble, et que la femme sera devenue grosse par la conception, c'est pour lors que cet enfant se doit nourrir de lait. Ainsi il est aisé de concevoir que ce lait n'est pas un lait de vierge, mais plutôt c'est le lait de l'homme et de la femme, avec lequel l'enfant se doit toujours nourrir jusqu'à ce qu'il soit devenu plus robuste, auquel temps il lui faut continuer une plus forte et plus ample nourriture. La nourriture que j'entends, c'est la fermentation qui lui donne sa forme, en vertu de laquelle il puisse espérer une œuvre virile. Car jusqu'à ce que l'enfant, c'est à dire, notre pierre, ait tout à fait reçu sa forme, et qu'elle ait été fermentée avec son semblable, ce qui s'entend, avec le sang du Dragon vert, et le sang rouge du Dragon rouge, soit que la Pierre soit blanche, soit aussi qu'elle soit rouge, elle ne pourra jamais faire un ouvrage parfait. Concevez donc, mon fils, que la première eau est cette eau et ce lait que Dieu a formé de la Nature, et qu'elle est véritablement cause de génération, comme nous l'avons remarqué ci-dessus. Pour lors, après la conjonction qui se fait de ce mariage, ils engendrent l'eau de vie et le lait des Philosophes, avec lequel ou avec lesquels vous augmenterez et nourrirez sans cesse votre Pierre.
Je pourrais vous en dire beaucoup plus d'avantage sur cette première matière, mais ce que je vous en ai dit, est suffisant pour éviter toute sorte d'obscurités en mes paroles ; venons enfin, avec l'aide de Dieu, à la pratique de cette Pierre des Philosophes. Remarquez donc, mon fils de mettre exactement ces trois matières (qui ne sont pourtant qu'une même chose) dans un vaisseau de verre, et que vous les laissiez doucement putréfier. Mettez enfin l'alambic sur votre vaisseau, et tirez en toute l'eau que vous pourrez distiller. Laquelle distillation vous ferez au bain-marie, mettant ensuite votre vaisseau sur le feu de cendre, y faisant un feu lent pendant douze heures : alors retirez votre matière du vase, et la broyez seule, sans y mêler de l'eau que vous aurez tirée par distillation. Ensuite étant bien broyée, remettez-la dans le vase, y versant par-dessus l'eau distillée, et après l'avoir bien bouché, mettez-le dans le bain pendant trois jours, puis la distillez au même bain, comme vous avez ci-devant fait, alors elle sera beaucoup plus noire qu'auparavant. Ce que vous réitérerez par trois fois, et ne la broyant plus ensuite, vous y verserez toujours par-dessus l'eau que vous en distillez ; et à chaque distillation, vous y donnerez un feu convenable pendant sis heures ou d'avantage, jusqu'à ce qu'elle devienne médiocrement sèche. Alors mettez-y derechef votre eau, et la dissolvez encore au bain avec la chappe aveugle. Et à toutes les distillations que vous en ferez, vous devez séparer le flegme, c'est à dire, rejetant au commencement les six ou sept premières gouttes d'eau de la chaque distillation. Observant cet ordre, vous ferez en sorte qu'elle boive de sa propre eau, sept fois autant qu'elle pesait au commencement. Alors elle sera d'une couleur blanche, et d'autant plus blanche qu'elle aura bu d'avantage de sa propre eau. Et c'est ce qu'on appelle l'Elixir blanc.
Outre que notre eau s'appelle Homogène, et de plusieurs autres noms, remarquez encore que cette eau et cette première matière engendrent tant la Pierre rouge que la blanche. Apprenez aussi que quand cette première matière est poussée jusqu'à une parfaite blancheur, alors la fin de l'un est le commencement de l'autre ; c'est à dire, de la Pierre rouge, qui est notre Magnésie rouge, et le cuivre vierge, comme nous l'avons marqué au commencement. Faites en sorte, mon fils, de bien comprendre le sens de ces paroles. Notre cuivre vierge est notre or : je ne dis pas néanmoins que le cuivre soit or. Pareillement, notre cuivre est notre soufre vif : mais tout soufre vif n'est pas le nôtre. De même l'Argent vif, c'est notre Mercure : je ne dis pas pourtant que l'argent vif vulgaire, soit notre argent vif : mais comme j'ai dit ci-dessus, cette eau de vie, qui est notre Sperme et notre première matière, est notre Mercure et notre esprit de vie, lequel se tire de cette bénite terre d'Ethiopie, qu'on appelle Magnésie, et à laquelle on donne encore beaucoup d'autres noms.
Au reste, remarquez mon fils, qu'il n'y a point de parfaite génération sans corruption, car la corruption cause la pureté, et la pureté la génération. Considérez donc que notre venin teignant, donne teinture et la reçoit pareillement sans cesse, et c'est ce que nous appelons note corps, notre âme et notre esprit ; et lors qu'ils sont joints et unis ensemble, ils ne deviennent qu'une seule et même chose, hors laquelle il n'y aura jamais rien. C'est pourquoi nous tenons que celui-là ne doit pas passer entièrement pour sage qui croit qu'il se puisse trouver une autre Médecine transmuable en Sol ou Lune. Laquelle Médecine à la vérité ne nous sera pas d'une grande utilité, si elle n'est mêlée avec le corps, car alors elle perfectionnera son ouvrage suivant la forme à laquelle elle est née ; car elle n'a jamais reçu l'être que pour devenir corporelle. De plus, sachez qu'il y a autant de différence entre la première matière (que l'on appelle Sperme des métaux) et la Médecine, qu'il y en a entre ladite Médecine et l'or. Car le Sperme ne sera jamais Médecine sans corps, ni la Médecine métal sans se corporifier. Il y a encore beaucoup de différence entre l'Elixir et la Médecine, de même qu'entre le Sperme de l'homme et la femme, avec l'enfant qui s'engendre d'eux dans la matrice. Vous voyez maintenant que le Sperme est une chose et l'enfant un autre, quoi qu'ils proviennent tous deux d'une même racine et d'un même genre, et qu'ils soient une seule chose, une seule opération et enfin un seul vaisseau, qu'on lui donne divers noms. Etant véritable que l'enfant naît de l'homme et de la femme, quoi que l'homme soit une chose et la femme une autre, encore bien que tous ne soient que d'un même genre. C'est aussi ce que vous devez entendre en la composition de notre Pierre. Quant à ce que j'ai dit ci-dessus, que la corruption est cause de la génération, c'est une vérité, car vous devez savoir que toute chose en sa première matière est corrompue et amère, et que cette amertume et cette corruption s'appelle venin teignant, qui donne pourtant la vie à toutes les choses vivantes. Ce que vous connaîtrez clairement, ai avec juste raison vous examinez les natures des choses. Et faites, mon fils, une sérieuse réflexion, que quand Lucifer, cet Ange de superbe, se révoltât principalement contre Dieu, et qu'il eut transgressé le commandement du Très-haut, ce coup lui devint fâcheux, très dur et amer, ne plus ne moins que la chute et l'infidélité de nos premiers Pères Adan et Eve, qui fut bientôt punie de la mort qui s'en ensuivit, laquelle leur causa une corruption et une amertume insupportable, aussi bien qu'à nous, en cette même corruption s'est étendue. Je pourrais vous rapporter beaucoup d'autres semblables exemples, s'il en était besoin. Mais les passant sous silence pour parler de ce qui ait plus à notre propos, remarquez avec soin que tous les fruits précieux qui naissent de la terre, leur première matière est amère et âpre, en sorte qu'elle retient encore quelque marque de cette première corruption, et précédente pourriture, laquelle amertume néanmoins par le moyen de l'action continuelle d'une chaleur douce et naturelle est convertie en une extrême douceur. Maintenant, mon fils, si vous avez de l'entendement, ce que je viens de vous dire en peu de paroles vous doit suffire, pour pouvoir pénétrer plus avant dans les mystères cachés de la Nature, et concevoir ma pensée. Souvenez-vous donc bien que suivant le Proverbe ancien, celui qui n'a pas goûté les choses amères, n'a pas mérité de goûter celles qui sont douces et agréables.
Pour vous dire maintenant quelque chose de plus touchant notre Airain, sachez que le mot Airain signifie une chose stable, ou eau permanente. Et ce qu'il faut encore considérer dans la nature de notre Airain, sont les quatre lettres mystérieuses de son nom, qu'on appelle B.R.A.S. Lequel mot proprement est Anglais, et signifie en notre Langue, Airain. En premier lieu, la lettre B, signifie le premier corps de notre œuvre, lequel est notre olive douce et amère, et notre airain permanent en sa forme. Secondement l'R, marque la racine de notre œuvre et la source de l'humeur radicale, permanente, qui est notre teinture et rose rouge, qui putréfie toutes choses pour leur donner l'être conformément à leur origine. Ensuite l'A, vous donne à connaître notre père Adam, le premier des hommes, duquel est née Eve, la première des femmes. D'où vous pouvez apprendre que dans notre magistère, il y a pareillement un mâle et une femelle. Remarquez donc que notre airain est le commencement de notre œuvre, notre or et notre olive, d'autant qu'il est la première matière des métaux, de même que l'homme est l'origine de l'homme et de la femme. Enfin l'S, signifie l'âme de notre vie, je veux dire cet esprit de vie que Dieu inspira dans Adan, et dans toutes les autres créatures, lequel est appelé quintessence.
D'avantage, je vous dis, mon fils, que par ces quatre lettres nous entendons les quatre Eléments, sans lesquels rein ne s'engendre dans la Nature. Ces lettres signifient encore le Soleil et la Lune, qui sont la cause de toutes les choses vivantes, de leur germe et accroissement. Et partant dans ce nom composé de quatre lettres consiste toute notre opération, parce que dans notre airain se trouve le mâle et la femelle, desquels, nait celui que l'on appelle Engendré. Remarquez donc bien, mon fils, ce qui est signifié par notre airain doux, que l'on appelle notre Sandiver, ou notre Sel nitre, qu'on nomme aussi sang de dragon, Sol et Lune ; enfin notre Mercure et notre eau de vie, et de divers autres noms dont les Philosophes ont parlé obscurément et sous des Enigmes. Vous devez donc savoir que notre première matière n'est ni l'or ni l'argent commun, ni de la nature des corrosifs, ni d'aucunes autres choses étrangères desquels se servent aujourd'hui ceux qui sont dévoyés, et qui ne semblent marcher qu'en tâtonnant dans les ténèbres. Donnez-vous garde enfin de ne vous servir d'aucune chose de genre différent, parce que vous devez être assuré que l'on ne peut recueillir que ce que l'on aura semé. Au reste, concevez que notre Pierre est parfaite et achevée dans son propre genre, elle sera pour lors une pierre dure qui ne se dissout pas facilement. Toutefois si vous y joignez sa femelle, elle se tournera en huile, qu'on appelle l'huile des Philosophes, l'huile incombustible, et de plusieurs autres noms.
Sachez aussi qu'il y a diverse sorte de fermentation, les unes corporelles, les autres spirituelles. Les corporelles en quantité, et le spirituelles en qualité. La fermentation corporelle augmente le poids et la quantité de la Médecine ; toutefois elle n'a pas tant de force que la Médecine même, ou que la fermentation spirituelle, car elle augmente la Médecine seulement en quantité, et non en vertu : mais la fermentation spirituelle l'augmente en l'une et l'autre manière, en force que là où la corporelle à pouvoir sur cent, la spirituelle a puissance sur mille. Outre que toutes les fois qu'elle est fermenté par des qualités spirituelles, elle retient toujours le même nom de Médecine ; mais lorsqu'elle est fermenté avec une substance corporelle, on la nomme Elixir. Il y a donc diverses façons de fermenter, ce même qu'il y a de la différence entre la Médecine et l'Elixir ; car l'un est spirituel, et l'autre est corporel. Apprenez aussi que pendant que le ferment sera spirituel, il sera toujours en gomme et huile liquide, qu'on ne peut aisément transporter d'un lieu en un autre : mais lorsque votre Pierre sera en Poudre, ce sera une Pierre que vous pourrez porter partout dans votre bourse. Par conséquent vous voyez maintenant la différence qu'il y a entre la Médecine et l'Elixir. Il n'y en a pas moins entre l'Elixir, l'or et l'argent ; d'autant que l'or et l'argent sont de difficile fusion, au contraire de l'Elixir, qui se fond en même temps et facilement à la flamme d'une chandelle. D'où vous ne connaîtrez que trop bien il y a de différence de notre composition, au tempérament d'icelle.
Enfin pour dire quelque chose du boire et du manger qui leur sert de nourriture, concevez que leur viande se prend des Pierres aériennes, et leur breuvage se tire de deux corps parfaits, qui sont le Soleil et la Lune. La boisson qui se tire du Sol s'appelle Or potable ; celle qui se tire de la Lune se nomme le lait de la Vierge.
Maintenant, mon fils, nous vous avons parlé assez clairement si la grâce divine ne vous manque point ; car la boisson qui se tire du Sol est rouge, et celle qui se tire de la Lune est blanche, et partant l'un s'appelle Or potable, et l'autre Lait Virginal ; l'un aussi est mâle et l'autre est femelle, quoi que l'un et l'autre prenne son origine d'une même source et d'un même genre. Pensez donc aux paroles que je viens de vous dire, autrement si vous vous égarez dans les ténèbres, il ne se peut qu'il ne vous en arrive du mal faute d'intelligence. Faites en sorte que vous soyez diligent à la circulation de la roue Philosophique, c'est à dire, afin que vous sachiez tirer l'eau de la terre, l'air de l'eau, le feu de l'air, et la terre du feu, et que toutes ces choses enfin soient extraites d'une même tige et racine, c'est à dire, de leur propre genre, et que vous les nourrissiez de leur propre viande et nourriture naturelle, dont leur vie puisse être entretenue sans cesse. Quiconque donc a de l'entendement, comprenne ce que j'ai dit, ne m'étant pas permis d'en dire d'avantage. Et toi mon fils, si tu as bien entendu et compris ce que j'ai représenté ci-dessus, je ne doute point que tu ne cache avec soin des secrets si grands et si considérables.
FIN