LE PILOTE DE L'ONDE VIVE
ou
Le secret du flux et reflux
de la mer et du point fixe
Mathurin Eyquem du Martineau
1678
AVERTISSEMENT AU LECTEUR.
La première fois que ce Traité parût au jour, quelques-uns de ceux qui n’en comprenaient pas le sens allégorique, publièrent d’abord qu’il était si abstrait qu’on ne le pouvoir goûter ni entendre :
Ceux au contraire qui ont quelque connaissance des Principes de la nature, et qui se plaisent aux Livres qui traitent de la Philosophie secrète des Anciens, y ont pris tant de satisfaction, que ne s’en trouvant presque plus d’exemplaires, ils m’ont demandé avec empressement de leur en donner cette nouvelle Edition : et pour m’y engager encore plus volontiers, ils ont bien voulu me faire grâce d’un petit discours assez curieux sur la même matière, qu’ils m’ont conseillé de mettre à la fin de ce recueil. C’est ce que nous avions à dire de notre part, laissons maintenant parler l’Auteur à ceux qui liront son Ouvrage.
AMI LECTEUR,
Ayant plu à Dieu de me donner quelques lumières dans la Philosophie naturelle, et particulièrement sur la cause du flux et reflux de la Mer, et sur celle du Point fixe, j’en ai fait la matière du Discours que tu verras dans la suite. Je l’ai accompagné d’un Voyage abrégé des Indes, avec la figure et l’explication de la Quadrature du Cercle tant recherchée par les Anciens, dont l’Histoire m’a été faite par un Gentilhomme que j’ai rencontré dans mes Voyages. J’avais de la répugnance à la joindre à mon Traité du flux et reflux, à cause qu’elle peut plutôt passer pour une fable, que pour une véritable Histoire. En effet, on a peine à s’imaginer que pour faire un Voyage des Indes, il soit absolument nécessaire d’équiper deux Vaisseaux, puis s’embarquer dans un, et faire seulement servir l’autre à porter des victuailles. Qu’on soit obligé d’aller aux Iles Fortunées pour attendre le vent : que de ce lieu on fasse voile aux Hespérides ; qu’on y prenne des eaux et un sel convenable à faire ce voyage : que ces eaux et ce sel étant mis dans un vaisseau, aient la vertu de donner pendant le chemin tous les vents propres, et qu’ils rendent le voyage heureux : que le Port des Indes où l’on va, soit dans un petit golfe inconnu, qu’on suppose être au Royaume d’Eden, qui borde la Mer Rouge : qu’il faille charger ces Vaisseaux de plusieurs marchandises qu’on ne rapporte pas communément des Indes ; et qu’enfin on n’emploie que vingt-quatre heures pour retourner de ce lieu à Dantzig : certes tout ce détail paraît fabuleux ; et quelque science qu’il contienne, celui qui le voudrait faire passer pour une histoire sérieuse, ne serait pas raisonnable. Ce que je trouve de plus admirable, et de plus digne à considérer, est une figure de la Quadrature du Cercle, composée sur les Principes de la Nature, et dont on n’a pas encore entendu parler.
Ayant communiqué cette Histoire, et cette Figure à un de mes amis parfaitement bon Physicien, et l’ayant prié de m’en dire son sentiment ; il m’a assuré que l’un et l’autre étaient mystérieux, qu’ils renfermaient de grands secrets, et qu’ils ne s’adressaient pas proprement à des Matelots et autres gens de marine, mais plutôt aux Hommes les plus doctes. En un mot, il m’en a dit tant de bien, que je me suis trouvé obligé de l’y ajouter pour seconde Partie. Qu’on ne me blâme donc point si l’on n’en comprend pas le sens d’abord, je n’y mets rien du mien : je ne fais simplement que la relation d’une Histoire ou d’une fable, comme on voudra l’appeler, et aussi sincèrement qu’elle m’a été faite ; enfin Lecteur profites-en si tu peux : mais fais-en la lecture entière, et suspens ton jugement jusqu’à la fin : peut-être y trouveras-tu plus de satisfaction que tu ne penses, ou du moins seras-tu récompensé par le présent qu’on te fait de Deux Nouveaux Traités sur notre Philosophie.
Au reste comme les mouvements que j’ai observé en la Mer sont en si grand nombre, qu’il se pourrait rencontrer de la confusion à les traiter séparément ; pour les rendre plus intelligibles, je les ai réduits sous six principaux Mouvements, et tout le Traité en onze Chapitres, qui renferment plusieurs questions naturelles et curieuses, et qui servent beaucoup à l’éclaircissement du sujet. J’ai commenté chacun de ces Chapitres d’un entretien ou colloque familier que j’ai eu aux Tuileries avec un de mes amis à qui je fis la lecture de ce Livre.
CHAPITRE I.
Des nombres les plus parfaits et mystérieux ; premiers principes.
Comme je traiterai dans tout ce Discours des Causes naturelles, il semble qu’auparavant, il serait à propos de parler de l’Etre des Etres ; c’est à dire, de cette première Cause, de laquelle toutes les autres sont produites, et dépendent. Mais comme c’est une substance infinie, et incompréhensible, qu’il est nécessaire d’une vocation singulière pour traiter un sujet si éminent, que je n’en ressens aucune, et ne reconnais point en moi assez de lumières pour pénétrer si avant :
J’aime mieux m’en rapporter à ce qui en est écrit, que d’entreprendre un Ouvrage que les Hommes ni les Anges ne pourront jamais définir. Je traiterai donc simplement et succinctement dans ce Chapitre des nombres les plus parfaits et mystérieux, par lesquels les Sages, qui ont recherché avec soin et exactitude les secrets de la Nature, ont eu une parfaite connaissance de Dieu : je ferai connaître ceux pour lesquels ils ont eu le plus de vénération, et je les ferai servir de base et de fondement à tout ce discours.
Il n’est rien de plus certain, que les nouveaux Sages, infiniment plus éclairés que les anciens, sont demeurés d’accord, que le nombre de trois était le plus parfait ; parce qu’il se rapporte à la très sainte et très sacrée Trinité des personnes unies en un seul Dieu, que ce nombre est sans fin, comme il est sans commencement, et que tous les autres nombres en dépendent, comme les effets de leur cause.
Après ce nombre, a suivi celui de sept, puis celui de neuf, ensuite celui de dix, puis celui d’onze, et enfin celui de douze ; et ceux qui ont passé plus avant, sont sortis des termes de la Nature, après lesquels il n’y a rien de certain.
COLLOQUE 1.
L’Ami. Il est vrai que les Anciens ont eu grande vénération pour les nombres, particulièrement pour ceux de sept, et de neuf ; mais ils n’en ont jamais dit les raisons, les propriétés, ni démontré l’usage : Si vous en savez des particularités, vous me ferez plaisir de me le dire.
L’Auteur. N’ayant point lu d’Auteur qui en ait traité distinctement et à fond, j’en ai cherché la connaissance dans les traditions populaires ; et dans mes voyages ayant eu le bonheur de rencontrer des savants Cabalistes, et conféré souvent avec eux, voici ce que j’en ai appris.
Dans leur cabale, les sept Planètes se prennent pour le nombre de sept, tant chanté dans leurs œuvres secrètes.
Que ces sept points sont masculins ; et lorsqu’ils veulent faire des œuvres particulières, ils prennent un de ces points, et les joignent aux nombres féminins ; et de cette union se fait un composé conforme à leur intention ; comme lorsque nous joignons les voyelles aux consonnes, de leur mélange nous formons des mots, qui expriment nos sentiments et nos pensées.
Que le nombre de neuf signifie le Ciel Cristallin, parce que si nous comptons les Cieux de degré en degré, à commencer par celui de la Lune, qui est le plus près de la terre, ce Ciel se trouve le neuvième, et les Philosophes voulant imiter la Nature, et composer un Ciel qui lui ressemble, prennent des eaux pures, qui ont en elles un degré de feu naturel, et en composent un Ciel, qui a les mêmes vertus et les mêmes propriétés.
Le dixième Ciel, qui est purement un degré de feu très subtil, appelle premier mobile, se prend pour le dixième nombre, parce qu’il coagule et perfectionne les eaux du Ciel Cristallin, qui est au dessous, et le retient par sa propre vertu.
Que le Ciel Empyrée se prend pareillement pour le onzième nombre, parce qu’il est parfait, et qu’il sert de séjour aux Bienheureux ; qu’il n’y a point de changement, ni de vicissitude en lui. Finalement que le nombre de douze fait la fin du cercle ; c’est-à-dire, lorsque ce nombre aura accompli sa révolution avec le feu central, la Nature sera par lui entièrement consommée et transmuée. Voilà, Monsieur, ce que j’en ai appris ; passons, s’il vous plaît, aux seconds principes, qui seront plus intelligibles.
CHAPITRE II.
Des seconds principes.
Lorsque Dieu fit l’ouvrage de l’Univers, il créa trois sujets, pour s’en servir dans ses desseins.
Le premier, est la nature Angélique, dont il se sert pour inspirer à l’homme, qu’il a créé libre entre toutes les créatures, par un effet de sa miséricorde et de sa clémence, les sentiments d’une vie glorieuse et immortelle, par la pratique d’une vie pure et sainte.
Le second, sont les influences que les Astres distillent jusqu’au centre de la terre, par un effet de sa puissance, par le moyen desquelles la terre et les autres Eléments sont animés et produisent incessamment les diversités des choses, que nous voyons sur son théâtre pour son ornement, le bien et l’utilité de cet homme.
Et le troisième est un Globe au centre de la terre, avec certains corps, par les souffles et les mouvements desquels il fait rejeter les mêmes influences vers la surface ; lesquelles s’alliant avec les Eléments sont insinuées dans les mixtes, et exécutent, par un effet de sa justice, ses volontés dans la basse région.
Bien que nous sachions que Dieu ait pu faire toutes choses par sa parole ; néanmoins les Ecritures nous apprennent qu’il a créé le monde dans plusieurs intervalles, et par quelque travail. Il l’a voulu ainsi, pour nous faire connaître qu’il fallait que toutes choses travaillassent pour sa gloire, et que l’homme même y serait sujet comme les autres créatures.
Pour comprendre l’ordre que Dieu a tenu lors de la création du Monde, et de la distribution des choses, suivant ma pensée il faut considérer cet esprit infini comme un Ouvrier (si nous pouvons parler ainsi, sans offenser sa divine Majesté) qui travaille une matière, en sépare les parties, et les établit suivant leurs qualités, leurs propriétés, et leur mérite.
Pour ce sujet, je suppose que Dieu avant toutes choses, avait créé la nature Angélique, incorruptible, et éternelle, pour l’adorer et le servir.
Ensuite, pour n’être pas obligé de créer les choses les unes après les autres, il créa tout d’un coup une matière qui contenait les quatre Eléments, et toutes les semences, que nous appelions Chaos. Que, dans cette matière, les choses y étaient confusément mêlées, et en sont sorties par ordre. Voici la disposition de ce chaos, et comme il a plu à Dieu que les choses en soient sorties.
Il créa par sa toute-puissance, au centre de cette matière, un Globe, la surface duquel est divisée en douze parties égales, chacune ayant au milieu un corps sphérique, qui occupe le diamètre de la partie qui se meut circulairement, sur des pôles qui lui sont propres.
Au centre de ce Globe, par le dedans, un autre corps fixe et arrêté comme la terre au milieu de l’Univers, auquel Dieu a attaché l’esprit de feu, afin que de ce lieu étendant sa qualité dans la masse, il la fit travailler, et en fit sortir ce qui était en elle.
Le feu, qui auparavant était au dessus de toute la masse, par sa nature, ne fut pas sitôt renfermé au centre, qu’il commença d’agir, s’insinua peu à peu dans la matière, (comme nous voyons qu’il agit dans l’eau, la réduisant en vapeur) la troubla, l’agita, l’éleva, et en fit distiller une quintessence pure et incorruptible, de laquelle Dieu a créé le Ciel Empyrée, où les Anges et tous les Bienheureux l’adorent, et chantent ses louanges.
Après cette quintessence, le feu s’étant fortifié, en fit sortir une seconde moins pure, de laquelle, par la parole de Dieu, les Cieux inférieurs ont été faits et élevés en rondeur, comme la figure la plus parfaite, autour de la matière dont elle était distillée.
Le feu s’étant de plus fortifié, fit sortir une troisième quintessence, contenant les semences de toutes choses.
Ces semences ont été spécifiées ; purifiées, et réduites en corps, que nous appelions Astres. Ces corps sont divisés en Etoiles errantes, que nous appelions Planètes, et en Etoiles fixes. Celle-ci furent placées au Firmament, et sont demeurées attachées à leur Ciel, comme des Abeilles à leur rayon : d’où elles jettent sur la terre leurs semences, et y font des procréations conformes à leur nature. De sorte qu’on peut dire qu’elles sont les auteurs des Minéraux, et d’une partie des Végétables.
Les Planètes ont été placées plus près de la terre ; le Soleil à leur milieu, afin que de ce lieu, par l’action de son mouvement, les Etoiles et les autres Planètes, fussent émues, excitées, et jetassent leurs semences ; et la Lune au plus bas degré, afin qu’elle les reçût et les réfléchît au centre, par la sympathie qu’elle a avec les eaux et les composés Elémentaires, pour être ensuite élevées vers la surface, par la vertu des causes centrales : si bien que nous pouvons dire aussi, qu’elles sont les auteurs des Métaux, des grands Végétables, et des insectes, qui n’ont point d’ordre dans les semences des composés, qui se font par copulation de mâle et de femelle.
Ces choses étant faites avec le reste des créatures, ce qui est resté au milieu de l’Univers, a été appelle Eléments corruptibles, desquels tous les corps sublunaires sont composés.
COLLOQUE II.
L’Ami. Il est vrai que les Astres influent sur les composés, les atténuent ou les animent, suivant la nature de leurs influences ; mais que leurs influences soient apportées au centre, et que du centre elles soient réfléchies à la surface de la terre, par les mouvements des corps que vous y établissez ; que ces influences soient la cause des vents, des pluies, des grêles, du tonnerre, de la foudre, des orages et des tempêtes, qui se forment dans la région Elémentaire, c’est ce que je n’accorde pas, parce que l’orbe de la terre est si prodigieusement épais, qu’il est impossible qu’elles la puissent pénétrer. Et quand elles y seraient apportées, les corps que vous y supposés ayant un mouvement réglé, nous causeraient toujours une même température, ou douce, ou violente, et il n’y aurait jamais de changement dans la basse région.
L’Auteur. Si tous les Eléments étaient réduits en terre, serrés et unis ensemble, et pétrifiés comme des Rochers, je crois qu’elles ne les pénétreraient pas : Mais comme l’air et l’eau sont pénétrables et fluides, les influences les pénètrent, et y sont apportées comme les rayons du Soleil pénètrent un corps diaphane, et sont poussées au centre avec autant d’activité, qu’un éclair se montre et disparaît.
Ce n’est pas le mouvement des corps qui sont au centre, qui font le tempérament de l’air, et sa variation, ce sont les diverses qualités des influences des Planètes, qu’ils distribuent dans le temps qu’elles ont marqué en tombant sur le point fixe, et ce temps est toujours suivant leur force ou leur faiblesse. Il n’y a que ce sujet dans la nature capable de recevoir les influences des Astres, et les distribuer à jours certains, et qu’on peut prédire : car autant que les Planètes ont de divers regards entre eux à l’heure d’un nouveau quartier de la Lune, c’est autant de diverses influences qui tombent ; les unes sont fortes, les autres sont faibles ; les unes sont d’une nature, les autres d’une autre ; les unes sont pour être produites le jour même qu’elles sont tombées ; d’autres le lendemain, et d’autres quatre jours après, plus ou moins. Il est d’une nécessité qu’il y ait un sujet certain sur lequel les influences tombent, qui les reçoive, qui les distribue, et mette au jour par ordre, pour éviter la confusion, qui se ferait autrement dans la nature. Ce sujet ne peut être dans un lieu plus propre qu’au centre de l’Univers, parce que c’est un point ferme, constant et immuable, que les Astres et les Cieux, qui tournent tout autour, y jettent leurs influences perpendiculairement, ce qu’ils ne feraient pas en tout autre point.
Ce point doit avoir une forte antipathie avec les influences, afin qu’elles en soient rejetées aux corps qui l’environnent, et que ceux-ci, par le moyen de leurs souffles continuels, les élèvent par les pores de la masse, jusqu’à la surface, et dans la moyenne région, pour produire l’effet auquel elles sont délivrées.
De toutes les influences qui tombent ici bas, il n’y a que celles qui se font au temps que les Planètes ont des regards entre eux, à chaque changement de quartier de la Lune, qui soient portées au centre, parce qu’elles tombent sur la Lune, qui a la propriété de les réfléchir ; comme les rayons du Soleil sont réfléchis lorsqu’ils tombent sur un miroir, aux objets qui lui sont opposés, et leur communiquent leurs qualités, comme je dirai dans la suite.
Ce sont les influences qui composent les Métaux dans la terre, et qui forment la constitution de l’air dans chaque quartier de la Lune, qui font toutes les variations et les changements que nous voyons arriver dans la basse région.
Celles qui se font par les autres aspects des Planètes, dans d’autres temps, ne font aucun changement dans la constitution de l’air ; mais elles sont répandues sur les composés, et par le moyen de l’air s’y insinuent, et leur communiquent leurs qualités et leurs vertus, et ne passent pas plus avant.
Ces douze Corps qui environnent le Corps fixe (que je nomme Satellites en ce lieu seulement) ont le pouvoir par leurs mouvements et leurs souffles, de faire lever et baisser les eaux de la mer, comme je dirai incontinent, après avoir dit un mot des Eléments, de leurs qualités et mélanges.
CHAPITRE III.
Des Eléments, de leurs qualités et mélanges.
Après que Dieu eut séparé du Chaos la matière la plus subtile, qu’il en eut créé les Astres et les Cieux, qu’il les eut placés chacun dans le lieu convenable à leur nature, qu’il les eut établis pour Souverains sur les Causes inférieures, ce qui resta au fond fut une matière pesante, crasse et impure, contenant les quatre Eléments. Les Eléments étaient doubles avant que la matière subtile, qui était proprement l’esprit du Chaos, en fût séparée : mais cette séparation étant faite, ils sont demeurés simples dans leurs qualités, et dépouillés de toutes vertus ; savoir le feu qui occupe le centre chaud, la terre qui l’environne, comme l’Elément le plus opaque et impur, sèche ; l’eau qui environne la terre, et qui la rafraîchit, froide ; et l’air qui les environne tous, humide. Ce sont leurs qualités simples.
Le feu échauffe l’air, l’air humecte l’eau, l’eau refroidit la terre, et la terre arrête le feu : Et dans un autre sens, le feu échauffe la terre, la terre condense l’eau, l’eau rafraîchit l’air, et l’air humecte le feu, et le rend fluide. Et de ces qualités et mélanges, avec les influences des Astres qui s’y mêlent, qui les rendent doubles, qui les lient et les unissent ensemble, et leur redonnent leur première vertu, se forment les composés sublunaires.
COLLOQUE III.
L’Ami. Si les Eléments étaient simples et distingués les uns des autres, comme vous dites, ils ne s’uniraient point, et ne feraient jamais de génération ; car l’union vient de la sympathie des objets, et non du contraire ; il est nécessaire qu’ils soient doubles, et que chaque Elément contienne en soi les autres Eléments, afin que de cette combinaison, les composés se forment.
L’Auteur. Sans la vertu que Dieu a mis aux causes centrales, qui par leur action naturelle, les agitent, et les influences des Astres qui s’y mêlent, en accélèrent le mouvement, et leur rendent leur première forme, ils seraient comme des cadavres dépouillés de toutes vertus. Mais comme ces influences pénètrent la terre jusqu’au centre, elles y excitent les corps, dont nous avons parlé, qui les rejettent par leur antipathie ; elles s’étendent dans les bas Eléments, elles les animent, elles les mêlent, elles les subliment, et de leurs plus pures parties en composent les mixtes, quelquefois font bruire la mer, gronder le tonnerre, tomber la foudre, et font des prodiges.
Ce serait ici un lieu propre pour traiter de cette matière, et faire voir comment cela se fait, autrement que ceux qui en ont écrit, et comme les Astres s’alimentent et se soutiennent naturellement par eux-mêmes, et se soutiendront tant que l’Auteur de la Nature les détruise, et les renferme dans leur premier néant : Mais ce serait sortir du sujet que j’ai entrepris, et faire un gros volume, au lieu d’un prototype ; c’est pourquoi je le remets à un autre temps, pour parler du Flux et Reflux de la Mer, et du Point fixe, qui sont mes principaux objets.
CHAPITRE IV.
L’Auteur
Avant que d’entrer dans le Discours du Flux et Reflux de la Mer, et du Point fixe, j’ai cru qu’il était nécessaire, pour une plus parfaite intelligence, d’en dresser la figure en en ce lieu, afin d’y avoir recours, et faire voir comme les choses qui le causent, sont disposées au centre de la terre. La voici :
COLLOQUE V.
L’Ami. Cette figure a quelque rapport à celle des Boussoles que l’on imprime pour la Mer, par le moyen de laquelle les Pilotes connaissent les vents propres à leurs navigations ; vous en faites apparemment une explication particulière.
L’Auteur. Il est vrai que ses rayons montrent les vents, mais pour les connaître finement, il faut avoir leur aimant ; et le Pilote qui sait parfaitement l’usage de cet aimant, s’assujettit facilement les vents, et les approprie à sa navigation, en tous temps et en tous lieux. Mais comme ces Pilotes sont rares, le commun s’attache à l’aiguille aimantée, parce qu’elle montre le pôle du Nord, et la partie fixe et sensible de notre hémisphère ; et c’est par là qu’ils naviguent, et qu’ils sont aussi souvent arrêtés très longtemps dans des ports, et n’en peuvent sortir faute de vent propre. Cette figure a un autre fondement et d’autres démonstrations ; en voici l’explication.
CHAPITRE V.
Explication du Système ou figure.
Le caractère qui est au milieu ressemblant à un Soleil, qui jette douze rayons, est le Point fixe, où réside le feu élémentaire, dont nous avons parlé (que Dieu a placé au centre), les douze petits corps qui l’environnent en forme de Globe, sont ceux que Dieu a donnés pour le garder, et empêcher que les eaux ne l’approchent. Les deux cercles moyens, qui sont à une ligne près l’un de l’autre : le plus bas vers le centre, montre la circonférence de la Mer : celui qui le suit tout près, marque la circonférence de la terre, qui contient la Mer et la borne : les deux espaces vides qui paraissent dans le cercle qui marque la Mer, sont les deux parties de la Terre, d’où la Mer s’est retirée, pour s’élever, et se faire pleine aux deux points où vous la voyez. Les deux grands cercles qui entourent la figure, représentent les faces, concave et convexe, du dixième Ciel, que nous appelions premier mobile. Les caractères qui sont décrits entre ces deux cercles, représentent le Ciel, divisé en douze parties égales, chacune desquelles est appelée du nom de quelque animal, terrestre ou marin, duquel elle a les qualités, propriétés et vertus au huitième degré.
EXEMPLE.
Cette figure qui est tout au bas, où est écrit Orient, c’est le caractère du Bélier :
Celle qui suit le côté où est écrit Septentrion, s’appelle Taureau :
La suivante, les Gémeaux
Après vient le caractère du Cancer
Puis celle du Lion
Après suit celle de la Vierge
Ensuite la Balance
Puis le Scorpion
Ensuite le Sagittaire
Puis vient le Capricorne
Ensuite le Verseau
Et finalement les Poissons
Comme chacune de ces parties du Ciel sont simples, celle-ci ont aussi les qualités simples des Eléments, et forment la complexion universelle des composés.
SAVOIR :
Le Bélier, le Lion, et le Sagittaire, ont la nature du feu.
Le Taureau, la Vierge, et le Capricorne, ont celle de la terre.
Les Gémeaux, la Balance, et le Verseau, celle de l’air.
Le Cancer, le Scorpion, et les Poissons, ont celle de l’eau.
Elles ont plusieurs autres vertus et propriétés, que nous dirons dans la suite, particulièrement celles qui doivent servir à notre sujet.
COLLOQUE V.
L’Ami. Je crois que tout votre raisonnement sur la cause du flux et reflux de la mer, de ses mouvements, et du point fixe, roule sur cette figure ; m’en voilà pleinement instruit : Je suis prêt de vous entendre ; vous commencerez lors qu’il vous plaira.
L’Auteur. Je me persuade, Monsieur, que la plupart des Anciens, qui ont écrit du flux et reflux de la mer, ne l’avaient vue que par imagination : Car s’ils étaient exposés aux voyages que les hommes de ce temps y font communément, ils auraient connu ses divers mouvements, et en auraient parlé.
Les Romains qui ont eu les plus belles lumières de la nature, et qui en ont le mieux écrit, ont cru que la Zone torride était rôtie par l’ardente chaleur du Soleil et inaccessible, Saint Augustin même n’a pu s’empêcher de dire, que la terre était plate comme une table, et qu’il n’y avait point d’Antipodes. Cependant nous savons par notre propre expérience, que la Zone torride est habitée, que le climat y est tempéré, par les vapeurs qui s’y élèvent tous les jours, qui s’opposent aux rayons du Soleil, se réduisent en rosée, et quelquefois en pluie, rafraîchissent le pays, et le rendent fertile ; que la terre et la mer sont sphériques, et qu’il y a des hommes partout. Ce qui fait voir leur erreur, et leur peu d’expérience en ce fait.
L’Ami. J’ai vu la Mer en plusieurs endroits de la terre ; mais je n’y ai jamais remarqué qu’un montant et un descendant, dont chacun parle, et je crois qu’elle n’a point d’autres mouvements.
L’Auteur. Ce que vous dites sont ses mouvements ordinaires, qui ne peuvent être ignorés ; mais elle en a encore de secrets, qui la font monter plusieurs fois, une fois plus haut qu’une autre, et descendre de même, et a plusieurs autres mouvements que vous verrez dans la suite.
CHAPITRE VI.
Discours de la Mer, et de tous ses mouvements en général.
La Mer a vingt et un mouvements, que je réduis en six principaux. Le premier est simple, et sa fonction est d’engendrer, produire des eaux, et les retirer en soi-même dans certain temps. Le deuxième est pareillement simple, et son mouvement est croître et s’élever, jusqu’à ce qu’elle se soit faite pleine dans six heures. Le troisième est simple, comme les précédents, et son mouvement est de descendre, et de se faire basse mer jusqu’à son dernier degré, pendant autres six heures, retardant toujours de 24 minutes d’heure à chaque fois qu’elle se fait pleine, qui est quarante-huit minutes pour chaque jour naturel. Le quatrième mouvement en contient quatorze ; savoir sept montants plus haut l’un que l’autre, et sept descendant aussi plus bas l’un que l’autre. Le cinquième est double ; c’est à dire, qu’elle fait deux pleins dans deux saisons de l’année extraordinairement hauts. Le sixième est pareillement double ; c’est à dire aussi qu’elle fait dans un temps de l’année un plein extraordinairement haut, ainsi que les précédents. Et dans un autre temps, opposé à celui-ci, se fait extraordinairement basse.
COLLOQUE VI.
L’Auteur. Voilà, Monsieur, tous les mouvements que j’ai observés dans la Mer.
L’Ami. Il y en a beaucoup, et peu de gens se les pourront imaginer : mais n’ont-ils point d’autre explication que celle que vous venez de faire ?
L’Auteur. Je prétends vous faire connaître en peu de paroles des secrets qui jusqu’à présent ont été inconnus. La cause du Flux et Reflux de la Mer est si particulière, que pour la faire comprendre, il faut ouvrir la terre jusqu’au centre, et la mettre à l’envers : Mais comme il est difficile à un Peintre, pour expert qu’il soit dans son Art, d’accomplir si bien ses Ouvrages, qu’un bizarre n’y trouve quelque coup de pinceau qui lui déplaise ; je suis déjà persuadé que mes Ecrits ne seront pas au goût de tous les hommes, que beaucoup les critiqueront, même sans fondement et sans les examiner : Mais ceux qui connaîtront la Nature, qui auront accès avec elle, et la caresseront aux champs et à la ville, chez les nobles et les roturiers, garderont le silence.
L’Ami. Si les hommes qui composent, étaient obligés d’écrire au goût de tous les autres, ils seraient aussi empêchés que celui qui voudrait leur donner à tous en même temps ce qu’ils souhaiteraient. Il doit suffire de ne rien écrire de ridicule, qui soit contre le bon sens et les bonnes mœurs : Car quelques misérables que puissent être les Ecrits d’un Auteur un peu raisonnable, l’on y apprend toujours des choses que l’on ne savait pas. Continuez seulement.
L’Auteur. Voici le premier mouvement.
CHAPITRE VII.
Du premier mouvement de la Mer.
Le premier mouvement ne convient pas seulement à la Mer, mais à toute la nature ; comme étant ce mouvement par lequel les composés se forment, et prennent leur être.
Ce mouvement procède proprement du feu élémentaire, qui s’insinue et se produit au centre des matières, les digère, les corrompt, les unit, et les fait végéter.
Nous avons dit ci-devant, que Dieu avait mis un corps au centre de l’Univers, et qu’il lui avait joint le feu élémentaire, et douze corps qui l’environnent, et se meuvent autour de lui. Tant ce corps que toute la masse de l’Univers, ne sont qu’un composé animé et animant. Le feu dont je viens de parler, est établi dans son centre, comme la chaleur au cœur de l’animal, se répand dans tout le composé, l’anime et le fait agir. Les ondes profondes, et les flots, que nous voyons s’élever si prodigieusement, et s’entre suivre dans la mer, procèdent de ce feu central qui est en elle, qui la trouble et l’agite, comme le pouls et les artères sont agités dans l’animal par le mouvement du cœur, et le cœur par la chaleur qui est renfermée en lui ; et c’est le premier mouvement.
Les corps qui se meuvent aux environs de ce feu central, sont comme les poumons de tout ce composé, et font le second mouvement, comme je dirai ci-après.
COLLOQUE VII.
L’Ami. J’ai cru qu’il n’y avait point d’autre chaleur élémentaire que celle du Soleil ; qu’elle servait à la composition des Mixtes, et à les faire végéter : mais il semble que vous faites faire ces fonctions au feu que vous établissez au centre, et lui donnez la domination du composé.
L’Auteur. Le Soleil et les autres Planètes sont des objets distingués des Eléments : Car bien qu’ils en aient les qualités simples ou mêlées, ils ne sont pas pour cela Eléments ; ce sont eux qui contiennent les principales semences des choses, et les Eléments les corps dans lesquels les semences sont jetées, et spécifiées chacune selon leur nature. Le Soleil est le principal Seigneur, et le vrai Dominateur des composés bruts. Il sert à organiser les corps, leur donner la forme, et plusieurs autres vertus dont les Eléments sont dépourvus, comme Dieu donne la forme à l’homme, et embellit son Ame des vertus qu’il lui plaît. Le feu central, que j’appelle en ce lieu tyran du monde, que chaque sujet reçoit en naissant, si petit qu’il soit, est néanmoins celui qui le soutient, et le sujet ne se détruit que par sa privation.
Il y a encore un autre feu plein d’amour et de douceur, qui distille de la Source éternelle, ou premier Mobile, dont j’ai parlé au Colloque du Chapitre des Nombres, qui est le Principe des choses, auquel rien ne résiste. Il pénètre tout, résout tout, sublime tout, et coagule tout ce qui lui plaît ; se produit dans sa Sphère, et fait toutes choses nouvelles. Voici le second et le troisième Mouvement.
CHAPITRE VIII.
Du second et troisième mouvement de la Mer.
J‘expliquerai les deux et troisième Mouvements de la Mer conjointement, parce qu’ils n’ont qu’une même cause. Ce sont ces deux Mouvements qui composent son Flux et Reflux ; cette grande Merveille du monde, qui a tant fait écrire les Hommes.
Cet Esprit infini, qui a fait l’Ouvrage de l’Univers, a mis au centre un corps dont nous avons parlé, que nous appelions fixe, et lui a joint cette chaleur élémentaire que nous appelions centrale ; laquelle, par le moyen des Causes supérieures, produit, fait naître, végéter et exciter toutes les choses que nous voyons dans le monde, en occupe le centre, excite la concupiscence, qui ne se corrige dans les animaux que par la raison ; et leur être ne cesse que par sa privation, comme j’ai dit.
Ce point a douze principaux rayons, qui répondent aux douze Corps dont j’ai ci-devant parlé. Il les inspire, et leur donne le mouvement et l’action, comme il a inspiré les Cieux, les composés qui sont au dessous, et leur a donné aussi le mouvement et l’action : Et Dieu, comme la première Cause, a établi l’ordre du Mouvement, a ordonné à quelques-uns de ces Corps de se tourner à droite, et à d’autres à gauche : comme au premier mobile d’aller d’Orient en Occident, et aux Cieux inférieurs, d’Occident en Orient.
Ces douze Corps environnent ce point fixe en forme de Globe, sont comme les poumons d’un animal, qui aspire et respire ; et dans cette aspiration et respiration, par le moyen de leurs souffles, ils font élever et baisser les eaux de la Mer : comme un animal qui aspire et respire, abat et élève ses flancs ; ou comme deux hommes qui auraient chacun un tuyau, percé en bas de deux trous, opposés à chaque tuyau, et disposés en sorte que les bouts des tuyaux, avec les trous, seraient sous l’eau, au milieu d’un vase rond, qui en serait plein : les quatre trous des deux tuyaux répondant directement aux quatre parties de la circonférence du vase ; lesquels souffleraient l’un après l’autre par le bout supérieur des tuyaux ; et à force de vent feraient lever et baisser les eaux successivement dans les quatre parties du vase qui leur seraient opposées, à mesure qu’ils se succéderaient, pour reprendre leur haleine : Ou bien, qui souffleraient par le tuyau d’une pipe, où il y aurait un poids à l’autre bout ; lesquels reprendraient leur haleine pour ressouffler de nouveau, et feraient élever ce poids comme auparavant, qui s’était baissé au trou de la pipe pendant qu’ils reprenaient leur haleine.
Ils gardent par leurs souffles le point fixe, et empêchent que la Mer n’en approche, comme le noyau d’un pavi (variété de pêche, note de L.A.T.) empêche que la chair n’approche de son amande, qui en occupe le centre, et en laquelle réside toute la vertu : Car si la Mer approchait du centre, et le surmontait, il n’y aurait plus d’ordre dans l’Univers : tout se détruirait comme l’animal se détruit, et son être cesse, lors que la chaleur naturelle est attaquée et surmontée par le flegme son contraire.
Ces corps répondent aux douze Signes du premier Mobile, et portent leurs mêmes noms. Ils reçoivent les influences des Astres par les rayons du centre, et les communiquent aux Eléments, et à tous les Composés.
Quatre de ces Signes les plus principaux de qualités contraires, sont fixés et arrêtés aux quatre principales parties du Monde, comme des bastions : savoir, le Bélier chaud dans la partie Orientale : Le Cancer froid dans la partie Septentrionale : La Balance humide dans la partie Occidentale, et le Capricorne, de qualité sèche, dans la partie Méridionale.
Les autres huit se meuvent circulairement chacun vis-à-vis de son rayon ; non pas comme les Cieux autour de la terre, mais chacun sur des Pôles qui leur sont propres ; comme une abeille dans sa logette, et font leur tour ou révolution en douze heures vingt-quatre minutes, par des mouvements différents : comme le Taureau et les Poissons dans la partie Orientale, tournant en dedans du côté du Bélier, qui est entre-deux.
La Vierge et le Scorpion, dans la partie Occidentale, tournant aussi en dedans vers le centre, du côté de la Balance, qui est aussi entre-deux.
Le Lion et les Gémeaux, dans la partie Septentrionale, tournant en dedans vers le centre, du côté du Cancer, qui est entre-deux.
Le Sagittaire et le Verseau, dans la partie Méridionale, tournant en dedans du côté du Capricorne, qui est aussi entre-deux.
Quatre de ces huit ont toujours le visage vers le centre, quand les autres quatre l’ont à la surface ; c’est à dire, quand le visage de ceux-ci, qui l’ont vers le centre, commence à se tourner, et à monter à la surface. Le visage de ceux qui l’ont à la surface, commence à tourner en dedans ; de sorte qu’il y en a toujours quatre des huit, qui ont le visage vers le centre, par chaque espace de six heures douze minutes, et les autres quatre à la surface, et font leur révolution entière en douze heures vingt-quatre minutes. Ces Mouvements sont propres et naturels à ces Corps comme au premier Mobile, et aux Cieux inférieurs d’aller d’Orient en Occident, et d’Occident en Orient ; et aux Planètes de se mouvoir dans leurs Epicycles, monter à leurs Apogées, et descendre à leurs Périgées.
Ces signes, ou Corps, sont encore appelés Vents, dont les quatre principaux sont, le Bélier, en la partie Orientale, que nous appelions Est.
La Balance, en la partie Occidentale, que nous appelions Ouest. Le Cancer en la partie Septentrionale, que nous appelions Nord : Et le Capricorne en la partie Méridionale, que nous appelions Sud.
Les autres huit sont des Vents qui participent de ceux-ci, et en tirent leurs noms.
Comme les Poissons et le Taureau dans la partie Orientale ; savoir, les Poissons, Est-Sud-Est, et le Taureau Est-Nord-Est. La Vierge et le Scorpion en la partie Occidentale ; savoir, la Vierge, Ouest Nord-Ouest, et le Scorpion, Ouest Sud-Est. Le Verseau et le Sagittaire en la partie Méridionale ; savoir, le Verseau, Sud-Est, et le Sagittaire, Sud-Ouest. Le Lion et les Gémeaux, en la partie Septentrionale ; savoir, le Lion Nord-Ouest, et les Gémeaux, Nord-Est.
Voilà d’où dérivent tous les autres Vents que je ne nommerai point parce qu’ils ne feraient qu’embrouiller, et qu’ils sont inutiles à notre sujet.
Les Vents et les souffles sont naturels à ces corps, comme aux Astres et aux Cieux d’influer, et leur souffle est réglé comme l’aspiration et respiration aux Poissons et aux Animaux, et sont agités et mis hors de cette règle par les influences des Astres ; ainsi que le pouls de l’homme est mis hors de son assiette naturelle par le moyen de la fièvre, qui n’est causée le plus souvent, que par quelque maligne influence des Etoiles et des Planètes, qui excitent le centre, poussent les humeurs, troublent la constitution, et la dérèglent.
Ainsi, l’agitation naturelle des flots de la mer, et le mouvement de son flux et reflux, sont excités par notre feu central, les mouvements et les souffles de ces corps que nous venons de nommer ; et voici comme cela se fait.
Je suppose que la mer soit pleine aux Signes du Bélier et de la Balance, de notre figure, où elle est basse, et qu’elle veuille se faire pleine aux parties Septentrionale et Méridionale, où sont les Signes du Cancre et du Capricorne, où elle est pleine. Les deux Signes du Lion et des Gémeaux, qui sont aux côtés du Cancer, ayant le visage vers le centre, se tournent en dehors ; savoir, le Lion à droite, et les Gémeaux à gauche ; et peu à peu leurs mouvements portant leurs souffles vers les eaux qui sont élevées du côté des Signes du Taureau et de la Vierge, les chassent et les élèvent de force égale le long de la ligne vers le point du Cancer ; lequel par son souffle direct et continuel, les élève jusqu’au point qui leur est limité ; comme un jet d’eau est élevé et poussé en hauteur, suivant aussi la hauteur et la force de l’eau, ou quelque autre instrument qui la pousse.
Les signes opposés aux Gémeaux et au Lion, qui sont le Verseau et le Sagittaire, se tournent dans le même temps que ceux-ci, et de la même manière, par le moyen de leurs souffles, poussent les eaux qui sont aux cotés du Scorpion et des Poissons : et avec l’assistance du souffle direct et continuel du Capricorne, les élèvent de force égale le long de la ligne, comme les précédents, et de ce côté, au point qui leur est ordonné : Tellement qu’en six heures douze minutes, qui est la moitié du temps de leur révolution, la mer se fait pleine aux parties Méridionale et Septentrionale ; et basse mer en celles d’Orient et d’Occident, où les eaux déclinent vers le centre le long de la ligne qui passe d’Orient en Occident, avec les visages des Signes du Taureau et des Poissons, du Scorpion et de la Vierge, qui sont dans ces deux parties, à mesure que les visages et les souffles des autres signes montent, et s’élèvent de leur côté : ainsi que les jets des eaux dont nous avons parlé, s’abaissent peu à peu, lors que le poids des eaux, ou l’instrument qui les poussait auparavant, vient à cesser petit à petit, comme elles étaient montées.
Et lorsque la mer se veut élever, et se faire pleine aux parties Orientale et Occidentale, où sont les Signes du Bélier et de la Balance, les Signes du Taureau et des Poissons, qui sont aux cotez du Bélier, le visage vers le centre, se tournent en dehors ; savoir, le Taureau à droite, et les Poissons à gauche du côté du Bélier, soufflent de force égale, à mesure que les visages s’élèvent : ils chassent les eaux vers les Signes du Verseau et des Gémeaux, et avec l’assistance du souffle direct et continuel du Bélier, les élèvent le long de la ligne au point qui leur est déterminé : et les Signes qui leur sont opposés ; savoir, le Verseau et le Scorpion, qui ont leurs visages vers le centre, s’élèvent au même temps que ceux-ci, peu à peu avec leurs souffles, et de la même manière que nous avons dit, chassent les eaux qui sont aux côtés des Signes du Lion et du Sagittaire, aussi de force égale, et avec l’assistance du souffle direct et continuel de la Balance, les élèvent le long de la ligne au point qui leur est ordonné.
De sorte qu’en six heures douze minutes, il se fait pleine mer aux deux parties d’Orient et d’Occident, et basse mer en pareil temps en celles du Septentrion et du Midi ; tellement qu’en douze heures vingt-quatre minutes il se fait pleine mer dans les quatre parties du Monde : et il n’est jamais pleine mer en une partie, qu’il ne le soit en celle qui lui est opposée, et basse de même ; parce que les Signes, qui auparavant avaient élevé les eaux au plein de mer précédent, rentrent en dedans, déclinent pour achever leur révolution, et ne les soutiennent plus ; excepté les fixes, qui les arrêtent à leur périgée, les y soutiennent, jusqu’à ce qu’elles soient prises par les Vents des autres Signes, qui s’élèvent peu à peu, les prennent, et les relèvent vers la surface.
Lorsque la mer est à son périgée, quand elle ne serait pas relevée par les souffles des Signes, ainsi que je viens de dire, les eaux qui sont à leur dernier période, n’étant plus soutenues par les Vents qui les ont élevées, et mises dans leur plein, descendraient naturellement aux deux côtés où la mer est basse, et s’égaleraient par toute la terre : Aussi voyons-nous que les cours des eaux le long des côtes, et dans les rivières, soit en montant ou descendant, sont beaucoup plus forts à la deux, trois, quatre et cinquième heure de leur cours, qu’à la première et dernière heure ; et il faut qu’il soit ainsi, afin qu’au moyen de cette règle la terre soit fixe et arrêtée au centre de l’Univers, donne le repos aux hommes, et au reste des créatures.
COLLOQUE VIII.
L’Ami. Ne s’y fait-il point d’autres Vents que ceux qui proviennent des Signes que vous venez de nommer au centre ?
L’Auteur. Il y en a de deux sortes, les premiers sont ceux qui proviennent des influences des Astres, qui sont apportés au centre, lequel les communique aux Signes qui l’environnent ; ceux-ci les produisent et les mettent au jour, comme vous avez vu dans de certains temps, suivant les principes d’Astrologie, qui sont les véritables Vents sur lesquels l’on se doit fonder, parce qu’on les connaît par les aspects des Astres, et on les pronostique plusieurs années avant qu’ils arrivent.
Les seconds ne sont point des Vents, mais réputés Vents par le vulgaire. Ce sont des vapeurs et des exhalaisons engendrées dans la terre par le Soleil, et la chaleur centrale ; lesquels agissant de concert sur l’eau qui est dans la terre, la pressent d’en sortir ; et comme elle ne peut se retirer, et se rejoindre promptement à son tout, s’évapore, et gagne le haut, s’étend dans les concavités de la terre ; la chaleur la suit, la presse comme auparavant ; elle cherche à s’échapper, et en ayant trouvé le moyen, elle sort comme de la fumée, agitée du vent, par la fente d’une porte ou d’une fenêtre mal fermée, elle passe avec précipitation, et s’élève dans la moyenne région. Pour l’ordinaire, cela se fait le matin, quand le Soleil commence à échauffer et ouvrir les pores de la terre : ce que j’ai vu plusieurs fois au pied des Alpes, aux Monts Pyrénées, et plusieurs autres endroits, tant pleins qu’élevés, particulièrement à la Cayenne, et aux Iles qui sont près de la Ligne, où les vapeurs s’élèvent tous les jours, rafraîchissent l’air du Pays, et le tempèrent. Mais comme ces vapeurs et ces exhalaisons n’ont pas un principe .certain, sur lequel on puisse asseoir un jugement solide, sur l’heure et le temps de leur levée, du temps de leur durée, et du côté qu’elles s’élèveront et qu’elles souffleront ; si leurs Vents seront chauds ou froids, secs ou humides ; si leurs Vents seront doux, médiocres, ou violents ; nous ne les mettons point au rang des Vents qui ont leurs principes certains, comme ceux de nos Signes ; point que ces vapeurs ne s’élèvent que dans des climats humides et aquatiques, et sujets aux grandes chaleurs, ne s’étendent que fort peu ; et les Pilotes ne mettent jamais leurs vaisseaux en mer sur des Vents de cette nature, parce qu’ils sont de peu de durée, qu’ils les abandonneraient bientôt, et s’en pourrait trouver de contraires, qui les obligeraient de relâcher : ils attendent un de nos maîtres Vents pour sortir du port, parce qu’il suffit bien souvent pour faire leur voyage, quand il serait de cinq cents lieues, s’il est bien ménagé.
L’Ami. Il est vrai que peu de gens savent distinguer les Vents, qui sont produits par les vapeurs de la terre, et de l’eau, d’avec ceux qui viennent des Astres, dont la différence est très grande ; car ceux-ci ont un principe certain, et leurs règles, et les autres n’en ont point. Mais dites-moi si les corps que vous m’avez montré, soufflent lors qu’ils se tournent vers le centre, comme lors qu’ils se tournent vers la mer et l’élèvent ; pourquoi les Vents soufflent sur la terre et sur la mer, plusieurs jours d’un même côté ; puisque suivant le cours des Signes centriques, ils ne doivent souffler que pendant six heures douze minutes ? pourquoi quelquefois les Vents déclinent d’un point à un autre, et retournent peu de temps après à leur premier point ? pourquoi les Vents changent quelquefois du point où ils sont, au point qui leur est opposé, et retournent à leur premier ?
L’Auteur. Si ces corps aspirent et respirent comme font les animaux, ainsi que nous avons dit, qu’ils fassent leur respiration lorsqu’ils se tournent vers la mer, et l’élèvent par leurs souffles, ils ne peuvent pas souffler, lorsqu’ils se tournent vers le centre, qui est le temps qu’ils aspirent : Car si un animal tranquille et tempéré, aspire et respire mille fois dans une heure. Il faut douze heures vingt-quatre minutes à ces corps pour aspirer et respirer une fois ; par cette raison vous voyez qu’ils ne soufflent point, lorsqu’ils se tournent du côté du centre ; aussi serait-il superflu, puisque leur souffle n’y produirait aucun effet ; le demi tour qu’ils font vers le centre leur sert seulement de rafraîchissement, et pour reprendre des nouvelles forces pour ressouffler comme auparavant.
Dans le nombre des corps que je vous ai montré, il y en a de fixes et de mobiles ; les fixes, sont le Bélier en Orient, et la Balance en Occident. Le Cancer en la partie du Nord, et le Capricorne en celle du Midi. Ces quatre sont appelles maîtres Vents ; lorsque l’influence est distribuée à quelqu’un de ces corps, le vent souffle sans discontinuer, vers le côté opposé du Signe qui souffle, et continue peu ou beaucoup, suivant que l’influence est forte, ou qu’elle est confirmée au quartier suivant de la Lune. Si l’influence est confirmée, comme il arrive souvent, le vent souffle des mois entiers du même côté : Si l’influence est distribuée aux Signes mobiles, le vent ne souffle de leur côté que pendant six heures douze minutes, qui est le temps qu’ils emploient pour se lever avec la mer, et la faire pleine ; puis peu à peu, ils portent leur vent au Signe fixe, ou Maître vent du côté qu’ils se tournent, et l’y joignent, jusqu’à ce qu’ils aient achevé leur révolution ; et lorsqu’ils recommencent à monter, ils reprennent leurs mêmes Vents, et continuent ainsi, tant que l’influence dure, et jusqu’à ce qu’elle soit consommée, ou qu’une autre la fasse cesser.
L’Ami. D’où vient que ceux qui vont aux longs cours, sont obligés de naviguer par plusieurs sortes de Vents, qu’ils appellent rums (sic - L.A.T.) ; que des Vents les portent cent lieues, d’autres soixante, et d’autres trente, plus ou moins ?
L’Auteur. Les Mariniers trouvent toujours ces Vents en même lieu, ils sont réglés, et n’ont point d’autre cause, que les influences des Astres, et nos Signes centriques, qui les repoussent. Mais leur distance en distance, et leur diversité, provient de l’inégalité de la terre ; car qui pourrait voir sous la mer la figure de la terre, comme elle est disposée en elle-même, verrait que la diversité de ses figures, ses concavités et ses conduits, s’opposant aux Vents qui sortent du centre, les coupent et les divisent en plusieurs parties, avant qu’ils soient au jour ; que c’est ce qui fait la diversité des rumps (sic, autre orthographe dans le texte - L.A.T.) des Vents ; qu’ils sont forts ou faibles, obliques ou droits, et poussent les Vaisseaux peu ou beaucoup suivant leur force et la disposition de leurs conduits ; comme qui opposerait à la bouche d’un soufflet, des corps taillés diversement ; lesquels sans difficulté, en soufflant, écarteraient les Vents, directement ou de côté, suivant leur disposition.
L’Ami. D’où viennent les grands coups de vent, que nous voyons toujours au Printemps, les Vents suivent le Soleil, qu’ils se lèvent et se couchent avec lui, et que nous voyons quelquefois des nuages qui vont d’un côté et les autres d’un autre ?
L’Auteur. Lorsqu’il y a plusieurs influences pour distribuer aux Signes fixes, c’est à dire, que plusieurs Etoiles dans un quartier de la Lune, versent ensemble leurs influences, la plus forte prend le dessus, et règne ; celle qui suit, ou approche de sa force, étant dans l’impatience de régner, s’échappe quelquefois, souffle, et s’oppose à la première : mais comme il faut que son influence soit consommée avant que celle-ci puisse régner, elle se retire jusqu’à ce que la première ait fait son temps. Et s’il arrive que la première cesse, et que la dernière règne, c’est que cette dernière s’est levée lors que l’autre était à sa fin. Et encore que l’influence soit consommée, les nuages ne laissent pas de rouler, quoi que rien ne les pousse, à cause du mouvement que l’influence leur avait donnée, c’est d’où viennent les changements.
Une forte influence étant à un des quatre Signes fixes, et qu’il en vienne d’autres aux Signes mobiles, qui sont à ses côtés ; ces Signes étant tous dans une même partie du monde, conspirant à même fin : lors que les Signes mobiles, qui sont au deux côtés du fixe viennent à se tourner de son côté, ils y joignent leurs Vents : Pour lors le vent est si grand, qu’il fait des prodiges ; mais cela ne dure que trois ou quatre heures ; d’autant que ces Signes se renferment en dedans avec leurs souffles. Ce vent se renouvelle huit heures après, si l’influence dure encore ; non pas de même force, mais à quelque degré moins.
Et lorsqu’on voit au Printemps les Vents Orientaux s’élever, et suivre le Soleil, un bon Général doit faire battre aux champs, faire marcher l’artillerie, et le bagage, et commander que les Soldats suivent leur Prince, comme leur Capitaine, pour vaincre ses ennemis : Un Courtisan, que les Nymphes et les Dryades suivent Apollon, et lui fassent la Cour comme Diane. Un Théologien, qu’on travaille pour le Ciel, et que l’on convertisse les âmes : Et un Physicien, que le Soleil ouvre les prisons dans lesquelles les Vents sont retenus, qu’il les attire et les fasse suivre dans sa course, c’est à dire, la chaleur du Soleil ouvrant les pores de la terre, excite la chaleur centrale ; et toutes deux ensemble font sortir des concavités de la terre, des corpuscules, ou vapeurs chaudes et humides, très légères et subtiles, qui grondent en sortant, comme celles qui sortent d’un bois vert qui est brûlé par le feu ; et comme ces vapeurs sortent du bois à mesure que le feu les presse ; de même ces corpuscules ou humidités aériennes sortent à mesure que le Soleil passe et ouvre les pores de la terre ; et comme on les voit lever, il semble que ce soient des Vents qui s’élèvent, suivent le Soleil, et se couchent avec lui ; c’est un présage de beau temps, lorsque cela arrive.
Et quant à la diversité des Vents que l’on remarque souffler tout à la fois, les uns d’un côté, et les autres d’un autre, il faut savoir que les Vents à leur commencement, élèvent toujours avec eux quelques vapeurs en l’air, desquelles les nuages se forment : cela se voit particulièrement en mer, lorsque le vent veut changer le vent fusteur (sic - L.A.T.), pousse directement en l’air, du fonds de la mer, une vapeur très subtile, mêlée d’un peu d’exhalaison ; cette vapeur se grossit, et s’étend peu à peu. Et si le vent doit être véhément, les Dauphins dans la Méditerranée, et les Marsouins dans l’Océan, s’élèvent sur la mer, et se découvrent. Ces nuages vont du côté que le vent les pousse : Un autre vent contraire à celui-ci, voulant s’élever pour régner, fait aussi lever d’autres vapeurs et exhalaisons du côté qu’il se veut lever ; ces vapeurs prennent le dessus, se condensent et multiplient peu à peu ; forment des nuages comme les précédentes, et courent du côté que le vent qui les a faites lever, les pousse.
Comme ce changement se fait subitement, les nuages du premier vent qui étaient en train d’aller, roulent toujours, tant que le vent qui les pousse soit apaisé, que les autres nuages se joignent à eux, et les amènent de leur côté : ce qui fait dire à ceux qui ignorent les principes de la Nature, que les Vents viennent, et soufflent immédiatement d’en haut ; qu’ils les ont observés, et les ont vus, comme si les esprits étaient visibles. Il faut qu’ils sachent que le vent est un air agité, par les esprits de nos Signes centriques, excités par les influences des Astres, leurs supérieurs, qui sont tombées, et ont fait leurs impressions sur le point fixe central, lesquelles il leur a distribuées comme j’ai dit, les fait souffler extraordinairement, et font élever avec cet air, des vapeurs et des exhalaisons, dont se forment les nuages que nous voyons dans la moyenne région : Cet air est chaud ou froid, sec ou humide, suivant la qualité de l’esprit qui le pousse, et qu’il est pur ou chargé de vapeurs : Car si les Vents soufflaient immédiatement d’en haut, il faudrait qu’ils vinssent des Astres, ou d’une certaine partie des deux : cela étant, ils ne produiraient ni vapeurs ni exhalaisons ; les Vents rouleraient, et n’auraient aucune stabilité, parce que les Astres et les Cieux, qui roulent et vont tous les jours d’Orient en Occident, et auxquels leur cause serait attachée, les emporteraient avec eux, et leur feraient faire le tour de la terre en vingt-quatre heures, ce qui n’est pas.
Ces subtiles vapeurs, et exhalaisons dont je viens de parler, qui s’élèvent dans l’air, viennent d’en bas ; car les Dauphins, et les Marsouins qui s’élèvent du fonds de la mer à la surface, témoignent qu’il y a du changement au fonds, et l’annoncent aux Mariniers, qui se tiennent sur leurs gardes. Je sais qu’il y a des gens dans le monde très doctes et savants en plusieurs choses ; lesquels néanmoins ignorent les causes naturelles, et les moyens que Dieu a établis dans l’Univers ; qui disent, que les Vents sont des vapeurs et des exhalaisons qui sortent de la terre, soufflent et font les Vents que nous sentons. Cela n’est point, parce que si les Vents sortaient de la terre, les vapeurs qui en sortiraient, ne feraient point en mer un changement si subit, que celui que nous y voyons ; et ne sauraient être apportées en mer, troubler l’air, et faire des tempêtes et des orages furieux dans un quart d’heure, qui font souvent périr les vaisseaux, qui sont à plus de mille lieues de terre, et dans des endroits où il ne se trouve point de fonds : ce qui marque indubitablement qu’ils partent du centre, et sortent par la mer, qui est un Elément plus flexible et pénétrable que la terre. Et quand il serait vrai que les vapeurs et les exhalaisons qui forment les nuages que nous voyons dans la moyenne région, fussent proprement les Vents qui soufflent communément, toujours faudrait-il que ces vapeurs et ces exhalaisons, qui ne se peuvent lever d’elles-mêmes, eussent une cause qui les produisît, qui les poussât, et les fît sortir de la terre, et les agitât dans la moyenne région ; ainsi que l’air y est poussé et agité par les esprits des Vents ; cette cause ne pourrait être que l’agent général, qui n’est autre chose que le feu central, qui émeut et agite toutes choses. Si cette chaleur centrale agissait d’elle-même immédiatement, et sans cause dominante, elle ferait incessamment sortir de la terre, où il y a toujours de l’eau, l’exhalaison et la vapeur de tous les côtés avec précipitation, comme le feu ferait sortir celle qui serait dans un pot qu’il ferait bouillir, par un couvercle percé de plusieurs trous, droits et obliques ; ce qui ferait un brouillard perpétuel dans la basse région, nous obscurcirait le jour, nous donnerait des pluies continuelles, nous causerait des maladies pestilencieuses, et nous priveraient de la douceur de la vie. Certes, si les Vents étaient réellement la vapeur et l’exhalaison, et qu’ils se fissent d’eux-mêmes, et sans cause dominante, il faudrait renoncer aux principes de l’Astrologie, établis et suivis depuis plus de quatre mille ans ; par le moyen desquels on fait tous les jours des pronostiques certains ; des temps auxquels nous devons avoir des Vents, des Pluies, des Grêles, du Tonnerre, des Orages, et plusieurs autres choses que nous admirons journellement ; il n’y aurait jamais de Vents certains, quelquefois plusieurs Vents souffleraient ensemble de tous les endroits de la terre, comme j’ai dit, seraient contraires les uns aux autres, empêcheraient la navigation et le commerce des hommes : II faut nécessairement qu’il y ait dans ce bas Univers une cause certaine, sur laquelle les influences des Astres tombent, et qu’elle les distribue par ordre pour éviter la confusion ; il faut que cette cause soit arrêtée comme un but, afin que l’influence la rencontre lors qu’elle tombe. Qu’y a-t-il au monde de plus arrêté que le point central de l’Univers, qui contient cet esprit de feu élémentaire, qui occupe le centre de toutes choses ; c’est lui qui reçoit, par le moyen de la Lune, toutes les influences des Planètes, qui les garde et les distribue par ordre aux composés sublunaires, suivant leurs propriétés, et leurs destinations.
L’Ami. C’est assez parler des Vents, et de leur nature, je vous prie parlons un peu d’une opinion nouvelle et contraire à la vôtre, qui est suivie de beaucoup de gens ; en voici la substance.
Certains Philosophes faisant le Système du monde, ont estimé que le Soleil était fixe et arrêté au centre de l’Univers, ayant seulement un mouvement d’ascension et descension, que le Firmament était fixe et sans mouvement, et que la terre se mouvait dans l’Ecliptique au lieu du Soleil.
L’Auteur. Ce n’est pas sans raison que cette opinion fait du bruit, car si on place la terre entre les Cieux, au lieu même du Soleil, et si on lui donne les mêmes mouvements, elle nous fait voir tant d’apparences célestes de celles qui nous sont démontrées par Thico et les autres ; qu’elle peut surprendre le jugement de ceux qui ne sont pas pleinement versés dans cette science : mais pour ceux qui en ont la théorie et la pratique, elle leur baille assez de jour pour en reconnaître la fausseté, et pour conclure en faveur de celle que nous suivons, comme ayant ses principes mieux établis et plus certains ; en voici mes raisons.
Il y a deux mille ans, ou environ, qu’Aristarche Samien (et avant lui quelque autre) faisant le Système du monde, eut la pensée que le Soleil était fixe et arrêté, et que la terre et les Cieux se mouvaient autour de lui, parce (dit-il) que la terre produit tant de choses qui ont vie et mouvement, que la cause ne doit pas être moindre que son effet ; mais cette opinion n’a pas été suivie, elle est demeurée comme éteinte ou assoupie, jusqu’au temps de Copernic, qui l’a relevée, et appuyée d’un Système tout extraordinaire. Comme il est inutile à mon sujet, vous me dispenserez, s’il vous plaît, de le rapporter tout au long ; je poserai seulement les points principaux, pour en dire ma pensée, renvoyant ceux qui en voudront savoir davantage, à son Livre, et aux machines du Système, qui en a été très artistement composé avec celui de Thico, et plusieurs autres, par les RR. PP. Jésuites, en leur Maison de Clermont à Paris.
Je suppose donc, suivant ce Système, que le Soleil est au centre de l’Univers, au lieu de la terre, que le Firmament est fixe et sans mouvement, que la terre est placée dans l’Ecliptique, entre les autres Planètes, au lieu où nous mettons le Soleil, et qu’elle a deux mouvements principaux : Le premier sur son centre, faisant un tour en vingt-quatre heures d’Occident en Orient : Le second, dans la ligne Ecliptique du Zodiaque, qu’elle en fait le tour, aussi d’Occident en Orient en trois cens soixante-cinq jours cinq heures et cinquante-trois minutes, suivant son calcul ; ces mouvements étant les principaux, et qui font la question, je ne parlerai point des autres.
Pour être plus intelligible, je me servirai d’une méthode si familière, que les moins éclairés la pourront comprendre, et usiter avec grande facilité, et découvriront par son moyen les divers mouvements des Astres et des Cieux ; comme une règle certaine qui tombe sous les sens, et de laquelle les Anciens se sont servis, avant l’invention et l’usage des instruments.
Pour connaître lequel c’est de la terre ou des Cieux, qui se meut et fait un tour en vingt-quatre heures, il faut nécessairement supposer la terre fixe et arrêtée au centre de l’Univers, et que le Firmament tourne autour de la terre.
Cette supposition faite, il faut s’attacher à connaître les pôles sur lesquels il fait ce mouvement. Prenez pour exemple celui du Nord, qui est sur notre horizon, examinez les Etoiles qui sont de son côté, attachez-vous à celle qui fait son tour le plus petit, qui est la première d’une constellation de sept Etoiles, que nous appelions petite Ourse, autrement l’Etoile du Nord, qui sert de guide à tous les Mariniers Septentrionaux.
Cette Etoile étant découverte, marchez en ligne directe du côté du Midi, tant que vous connaissiez qu’elle se fasse voir sur l’horizon, pendant douze heures seulement, ce temps fait juger que c’est la juste moitié de son mouvement journalier ; que le pôle du Nord est lors dans l’horizon, et que vous êtes précisément au milieu du Ciel entre les deux pôles, Nord et Sud ; car si vous étiez plus près du pôle du Nord que de celui du Midi, cette Etoile serait plus de douze heures sur l’horizon, suivant que vous en sériés peu ou beaucoup éloigné ; et le contraire, si vous étiez plus près du pôle du Midi que de celui du Nord.
De ce lieu à six heures du soir, regardez à l’Orient, remarquez-y une Etoile qui se lèvera sur l’horizon en ligne directe, conduisez cette Etoile de l’œil, et vous trouverez qu’à minuit précisément elle se trouvera toujours sur votre tête, et qu’à six heures du matin, elle se couchera et disparaîtra.
L’on appelle la route de cette Etoile, Ligne Equinoxiale, parce qu’elle est justement entre les deux Pôles du Nord et du Sud, où se fait le plus rapide mouvement du Firmament, et les Equinoxes du Printemps et de l’Automne, lorsque le Soleil y passe. Cette ligne est constante et immuable, ainsi que les pôles, et sépare le Ciel et la terre en deux parties égales, une vers le Nord, et l’autre vers le Sud.
Cette observation faite, retournez vers le Pôle, remarquez qu’en vous en approchant, il s’élève sur l’horizon, et lorsque vous aurez cheminé le quart de la surface de la terre, qui est suivant les divisions Géographiques, deux mille sept cens lieues Françaises, vous l’aurez directement sur la tête, et l’Etoile tournoiera tout autour comme un petit cercle ; ne changera jamais tant que vous demeurerez en ce point, mais s’abaissera vers l’horizon quand vous l’abandonnerez, et vous retirerez du côté de la Ligne. Rien ne fait cette variation que le mouvement de l’homme, quand il change de place, et s’approche ou s’éloigne des Pôles, ou de la Ligne ; car les Montagnes, les Villes et les Châteaux, qui sont fixés et attachés à la terre, ont toujours leur même degré d’élévation, sans vicissitude ni changement.
Après cet établissement, qui a pu servir de base et de fondement à la Géographie, et à toutes ses parties, je dis, si la terre se mouvait sur son centre, hors le centre de l’Univers, et hors notre Ligne Equinoxiale céleste, son mouvement de longitude nous ferait changer tous les jours d’horizon, et le cercle qui est décrit autour du Pôle du Nord par son Etoile (qui nous fait connaître l’heure du jour et de la nuit, en quelque saison de l’année, et en quelque partie Septentrionale que nous soyons) se perdrait.
La Ligne du mouvement diurne de la terre, ne s’accordant pas avec la Ligne Equinoxiale céleste, qui fait le milieu des Pôles Arctique et Antarctique, changerait les Pôles, ferait perdre les mesures des hauteurs que l’on prend dans la navigation, sur les Pôles (que nous connaissons par leurs Etoiles et l’aiguille aimantée) ainsi il n’y aurait aucun ordre dans la navigation ; il faudrait renoncer à son commerce, qui est des plus importants, parce qu’il n’y aurait aucune sûreté.
La terre fixe et au centre de l’Univers, nous rend tous les jours les Etoiles fixes perpendiculaires à une heure certaine ; et la terre tournoyant le centre de l’Univers, par son mouvement de longitude, nous en changerait incessamment l’heure et la situation.
La terre mobile par son mouvement de longitude, nous changerait l’Orient et l’Occident, le Nord et le Sud, ferait un très grand dérèglement dans la Géographie, sur lesquels elle prend toutes ses mesures ; et dans la navigation, parce qu’elle changerait les points des Vents.
La terre fixe au milieu de l’Univers, nous fait voir le milieu du Ciel et un horizon constant ; et la terre, par son mouvement de longitude, change incessamment l’horizon, et coupe le Ciel en parties inégales.
La terre fixe au milieu de l’Univers, nous fait voir les Etoiles du Nord et du Sud, toujours d’une égale distance ; et la terre dans son mouvement de longitude, du Signe du Cancer à celui du Capricorne, nous les approcheraient et éloigneraient de quarante-sept degrés ou environ.
Les hommes qui habitent sous le premier degré du Cancer, en la partie Septentrionale, qui voudraient découvrir de nouvelles Etoiles en la partie du Sud, les découvriraient sans partir de leur lieu, dans six mois, qu’ils y seraient portés par le mouvement de la terre.
La terre fixe et arrêtée au centre de l’Univers, a servi pour trouver le mouvement des Cieux, et ses Pôles, le mouvement du Soleil et de tous les Astres ; ce qu’on n’aurait pu faire avec certitude, si elle avait été mobile.
La terre fixe au centre de l’Univers, fait que les hommes qui sont sous les Pôles, ont toujours les Etoiles qui en sont proche, qui leur tournent sur la tête, et il n’y a que le mouvement de l’homme qui en fasse le changement. La terre se mouvant sur son centre, d’Occident en Orient, ferait que les vapeurs et les exhalaisons dont se forment les nuages, qui seraient poussées par les Vents d’Orient en Occident, passeraient plus vite quatre fois que la balle d’un canon, et nous laisserait derrière celles qui viendraient d’Occident presque avec la même vitesse ; parce que le mouvement de la terre sur son centre, serait d’une rapidité incompréhensible ; au contraire, nous voyons journellement les nuages aller d’Occident en Orient, et d’Orient en Occident, d’un mouvement égal, quand ils sont poussés par un vent égal.
Si la terre se mouvait sur son centre, la Ligne de son mouvement varierait toujours, à l’égard du Firmament, à cause de son mouvement de longitude, ferait que les Etoiles se lèveraient quelquefois plus tôt, quelquefois plus tard, et se coucheraient de même : se lèveraient une fois directement, une autre fois obliquement, et n’observeraient jamais de régularité, à cause des divers mouvements de la terre, qui changerait incessamment l’horizon.
En un mot, tout corps grave et pesant, tend naturellement en bas, où est son centre : la terre est un corps grave et pesant, par conséquent elle tendrait à son centre, qui est en bas, si elle n’y était point. Son centre est le centre de l’Univers, comme le point le plus bas, et le plus éloigné des Cieux et des choses pures ; donc il s’ensuit que la terre est au centre de l’Univers ; car s’il était autrement, ce serait contre nature, et nous pourrions soutenir que les pierres, et autres corps graves, que nous jetterions en l’air, s’y soutiendraient par eux-mêmes, et rouleraient autour de la terre, qui est leur centre ; comme la terre roulerait autour du centre de l’Univers, qui est le sien ; parce qu’une partie d’un corps a la même propriété que son tout ; et toutes les démonstrations que l’on peut donner au contraire, sont fausses et abusives.
A ces raisons, faut ajouter celles qui sont alléguées par quelques Auteurs qui ont écrit contre cette opinion, qui sont, lors que la terre parviendrait aux points des solstices, par son mouvement de longitude, les longs jours artificiels, et les longues nuits artificielles, seraient inégaux.
Lorsqu’elle parviendrait aux points des Equinoxes, aux mois de Mars et de Septembre, les Equinoxes ne se feraient pas par toute la terre, comme lorsque le Soleil y passe.
Les ombres des stilles (sic - L.A.T.) Orientales seraient de grandeur inégale, le Soleil étant en même élévation.
Les choses graves ne tomberaient pas en angles droits sur les superficies planes.
Un jet de pierre porterait plus loin d’un côté que d’autre.
Les Oiseaux qui s’élèveraient à la moyenne région, ne pourraient rattraper leurs nids.
Si la terre n’était pas au milieu de l’Univers, on ne verrait jamais justement la moitié du Ciel, les Planètes et les Etoiles ne paraîtraient toujours de grandeur égale en Orient, en Occident, et au Midi, parce qu’elles ne seraient pas partout également distantes de la terre.
Les Eclipses de Lune n’arriveraient pas toujours, quand la Lune et le Soleil sont diamétralement opposés ; mais seulement parfois, quand ils ne seraient pas aux points de l’Ecliptique ; ce qui est contraire aux apparences.
Examinons à présent les choses suivant la nature, s’il y a plus de raison que le Soleil soit stable au lieu où Copernic le met, que la terre.
Si le Soleil est le mâle, et la Terre, la femelle, comme cela ne se révoque point en doute ; la Terre, comme la plus matérielle, plus pesante, plus impure et corruptible, doit être au point le plus bas, et le plus éloigné des choses pures et spirituelles. Elle y doit être fixe et arrêtée, pour y attendre et recevoir constamment les influences des Astres, comme un théâtre, sur lequel chacun doit faire son personnage, exercer son action, et produire un effet conforme à sa nature.
Si le Soleil était en bas, cet ordre serait irrégulier et contre nature, qui ordonne le mouvement et le dessus au mâle, et le dessous et la stabilité à la femelle, pour recevoir l’influence du mâle, laquelle autrement se perdrait, parce que sa matrice ne serait pas dans son centre, et ne ferait point de génération.
Si le Soleil était fixe et arrêté, il serait comme un homme qui veille, tranquille et tempéré, qui ne produit aucune chose, quoi qu’il le pût : Cependant, il est nécessaire qu’il travaille pour répandre sa semence ou son influence, qu’il s’échauffe par son mouvement, qu’il communique sa chaleur aux Astres, qu’il les anime, qu’il les dilate, et les oblige de verser la leur ; ce qu’ils ne feraient pas, s’ils n’étaient excités et animés par l’amour du Soleil ; c’est à dire, que l’amour du Soleil, comme de toute créature, est le motif du mouvement, et le mouvement la cause de la chaleur, la chaleur la source de l’éclat et de la lumière, et l’éclat et la lumière, celle de l’influence, et l’influence le témoignage de l’amour, qui est la fin du cercle, et l’accomplissement de toutes choses.
Si bien que si le Soleil était sans mouvement, nous pourrions dire certainement qu’il serait sans amour, et s’il était sans amour, il serait sans action, sans chaleur, sans lumière et sans influence : et les Astres qui sont aux Cieux, qui tirent leur lumière de celle du Soleil, ne produiraient aussi aucun éclat, ni aucune influence. Tout serait éteint, sans vie et sans action, et serait sur le penchant de son premier néant. Voilà mon opinion contre le Système de Copernic, à quoi faut ajouter la disposition de la Sainte Ecriture.
Josué nous apprend dans l’ancien Testament, qu’il arrêta par sa prière le Soleil au milieu de sa course. Et l’Evangile, (qui sont les paroles prononcées par Jésus-Christ même, fils de Dieu) que les Cieux passeront, mais que ses paroles ne passeront pas. Par conséquent, concluons que la terre est fixe et arrêtée au centre de l’Univers ; que le Soleil et tous les Cieux tournent tout autour, et y versent leurs influences. Outre que les vrais Sages n’ignorent pas ces vérités, ils connaissent encore suffisamment, que le Firmament, outre son mouvement journalier, fait quelques progrès d’Occident en Orient, qu’il y passera par succession de temps, et que la nature nous donne tous les ans des fruits célestes à jours certains, mille fois plus excellents que la Manne ; qui peuvent rendre heureux les hommes qui les connaissent, et qui en savent user.
L’Ami. Il est vrai que l’opinion commune, et pour laquelle je tiens, est plus recevable que celle de Copernic : mais toujours, est-ce quelque chose d’admirable, d’avoir si bien ajusté son Système à celui de Thico, qu’il fasse balancer les opinions. Et ses partisans en sont si entêtés, que sitôt qu’un homme propose des raisons au contraire, sans les examiner ni les entendre, ils disent, qu’il n’y a point d’homme d’esprit, qui ne soit de cette opinion : Cela m’est arrivé, et m’a surpris ; ce qui me fait présumer que vous serez critiqué.
L’Auteur. Il est vrai que ceux qui n’ont pas le fond et l’usage de cette doctrine, s’y trouvent embarrassés ; mais ceux qui la possèdent, et qui se donnent la peine de l’examiner, en trouvent bientôt le défaut. Les hommes qui lui donnent bruit, se plaisent à la nouveauté, et ne considèrent pas si elle a de bons ou de mauvais fondements ; ce qui a fait les hérésies et les schismes qui sont aujourd’hui parmi les hommes. Il y en a d’autres qui applaudissent plus, parce qu’elle a des partisans, que par connaissance. La critique est la moindre de mes peines, et l’on ne peut avoir que du plaisir, de voir un Philosophe aux prises avec un Matelot d’eau douce, qui par hasard rendra sa critique insipide.
L’Ami. Tous les hommes ne sont pas propres à se donner la peine d’examiner des points si difficiles ; ceux qui les applaudissent, font mieux à mon sens, que ceux qui les combattent ; car pour réfuter avec raison une opinion revêtue de quelque apparence, comme celle de Copernic, il faut auparavant entrer dans le cabinet, l’examiner à fond, et le consulter plus d’une fois. Mais pourquoi nous embarrasser des sentiments particuliers ? laissons suivre cette opinion à qui voudra, il n’y a rien de plus libre ; si elle n’est pas à notre goût, rien ne nous force d’entrer dans son parti, tenons-nous à la nôtre. A dire vrai, je crois que nous ferons mieux, puisque nous en avons l’usage utile, il y a plus de quatre mille ans, et que les Ecritures qui sont de la Religion et de la Foi, l’établissent positivement : ainsi chacun sera satisfait dans son opinion.
Disons à présent quelque chose des opinions de ceux qui ont écrit du flux et reflux de la mer :
J’en trouve de si erronées, que je n’y puis penser sans étonnement. Je ne prétends pas vous les réciter, cela serait inutile ; j’en rapporterai seulement trois, qu’on pourrait, comme les plus raisonnables, opposer à la vôtre.
La première est, que le flux et reflux se fait par un balancement de la terre, du Nord au Sud, et du Sud au Nord. La seconde, que les influences des Etoiles, qui sont aux parties du Nord et du Sud, attirent successivement les eaux de la mer à elles, et font le flux et reflux. Et la troisième, que c’est par la naturelle sympathie de la Lune avec les eaux de la mer ; laquelle les élève et les attire à elle, à mesure qu’elle se tourne.
L’Auteur. Il est vrai que ces trois opinions sont communément reçues ; mais il n’y a pas d’apparence que le flux et reflux se fasse par aucun de ses moyens.
Car si le flux et reflux se faisait par un mouvement de la terre, du Nord au Sud, et du Sud au Nord, comme vous dites :
1. Il n’y auront jamais de flux ni de reflux à l’Orient et à l’Occident, et les eaux y seraient toujours égales, ce qui n’est pas.
2. Le mouvement de la mer se faisant de douze en douze heures, les édifices qui seraient sous la Ligne Equinoxiale, auraient la Ligne à un plein de mer d’un côté, et à un autre plein d’un autre.
3. Les vaisseaux qui s’en iraient aux longs cours, étant portés au delà de la Ligne par un plein de mer, seraient rapportés au deçà par un autre.
4. Les eaux étant une fois penchées du côté où se ferait le plein, par leur pesanteur, empêcheraient la terre de se relever ; et ne se relevant point, il n’y aurait ni flux, ni reflux.
5. Les édifices de haute élévation, vers les Pôles où l’inclination se ferait, qui serait de soixante-huit pieds, ou environ, suivant les règles de Géométrie, pencheraient si fort, qu’à un plein de mer tout au moins crouleraient, et au second se renverseraient.
6. Le Peuple du Nord, à la basse mer, perdrait de vue certaines Etoiles qu’ils voient toujours, parce qu’elles seraient cachées sous le Pôle ; et par même raison, ils en verraient d’autres dans la partie Méridionale, qu’ils n’ont jamais vus ; et lors qu’ils auraient pleine mer, ils verraient des Etoiles sous le Pôle qu’ils ne voient pas ; et celles qu’ils voient du côté du Midi, leur seraient cachées.
7. Les pleins de mer leur seraient toujours égaux, et à la même heure, et ne les auraient pas successivement à toutes les heures du jour et de la nuit, comme nous les avons. Si le flux et reflux se faisait par le mouvement de la terre, du Nord au Sud, et du Sud au Nord, il nous hausserait et baisserait incessamment les Pôles, et l’on n’y pourrait prendre de justes mesures, et il faudrait que la terre fît un tour entier en quatorze jours, vingt-quatre minutes : ce qui serait contraire à la nature des Eléments, qui ne peuvent avoir deux mouvements contraires à la fois, s’ils ne sont conduits par une cause étrangère et surnaturelle.
Il y aurait d’autres accidents que je n’explique point, parce que ceux que je viens de dire ne tombent pas sous le sens.
Si le flux et reflux se faisait du Nord au Sud, et du Sud au Nord, par la force des Etoiles, qui attireraient successivement à elles, les eaux de l’un à l’autre pôle, comme deux hommes, une scie à une pièce de bois. Outre les raisons qui viennent d’être dites, il faudrait que les Etoiles qui sont à l’un et à l’autre Pôle, fussent de force égale, ou inégale : si elles étaient de force égale, elles tiendraient la terre et la mer en équilibre, et n’y aurait jamais pleine mer, ni d’un côté ni d’autre ; et si elles étaient de force inégale, les eaux de la mer, qui auraient été une fois attirées du côté où les Etoiles seraient les plus fortes, y demeureraient ; parce qu’elles ne pourraient être attirées de l’autre côté, où les Etoiles seraient les plus faibles ; et par conséquent, il n’y aurait jamais de flux ni de reflux.
Ceux qui disent que le flux et reflux de la mer, se fait par les influences de la Lune, auraient plus de raison ; soit parce que la mer se rencontre toujours pleine dans les quatre parties du monde, où la Lune se trouve ; soit encore, parce que les os des animaux se trouvent toujours pleins de moëlle, et les végétables pleins de suc et de sève, lorsqu’elle est pleine ; ou soit par la naturelle sympathie qu’elle a avec les eaux, à cause de sa qualité froide : Car ceux qui ont cette opinion, prennent deux cours du flux et reflux de la mer, qui se font dans les quatre parties du monde, à toutes les heures du jour et de la nuit, en vingt-huit jours, vingt-deux heures, vingt-quatre minutes, suivant les mouvements réguliers de nos Signes terrestres, pour un cours ordinaire de la Lune, qui se fait en vingt-neuf jours, douze heures quarante-quatre minutes ; et font décliner son Epicycle du surplus ; ce qui ferait voir au contraire, que la Lune suivrait le mouvement de la mer, et s’y accommoderait, plutôt que la mer ne s’accommoderait au mouvement de la Lune.
Si le flux et reflux se faisait par la force de l’influence de la Lune : En premier lieu, la mer serait toujours pleine, du côté que la Lune se tournerait, et jamais à son opposé, parce qu’il faudrait que les influences de la Lune, qui attireraient les eaux du côté qu’elle serait, eussent encore la faculté de les rejeter du côté qui lui serait opposé ; pour y faire pleine mer à même temps, et tenir la terre fixe, et l’empêcher d’incliner : ce qui est absurde ; d’autant que les influences des Astres, ni la sympathie des choses qui ont la faculté d’attirer, n’ont pas celle de rejeter dans le même temps. En second lieu ; il n’y aurait jamais qu’un plein de mer en vingt-quatre heures, qui suivrait toujours la Lune, qui ferait incliner la terre du côté que les eaux pencheraient, et le reste du temps, la mer serait basse dans toutes les autres parties de la terre : les eaux de la mer se tiendraient sujettes du côté de la Lune, et ne l’abandonneraient point dans sa circulation ; ainsi que nous voyons la limaille de fer se joindre et se tenir sujette à l’aimant, la paille à l’ambre, et toutes les choses qui sympathisent. Il est vrai, que la Lune influe sur tous les composés ; qu’elle leur donne de la vigueur, ou les débilite, suivant qu’elle est forte ou faible dans son cours, une fois le mois. Mais il est vrai aussi, que depuis le premier jour qu’elle s’est conjointe au Soleil, et s’est faite nouvelle, elle va toujours croissant, jusqu’à dix-huit heures vingt-deux minutes de son quinzième jour ; à laquelle heure elle se fait pleine, et commence à décroître, et à diminuer, jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à son dernier quartier. Au contraire, la mer monte pendant sept jours, et puis s’abaisse pendant autres sept jours ; après lesquels elle commence à monter et à descendre comme auparavant : ce qui est contraire au mouvement de la Lune.
La Lune concourt seulement au quatrième mouvement de la Mer avec les autres Planètes, ainsi que je montrerai dans la suite : Mais dans le grand flux et reflux que je viens d’expliquer ; ni elle ni les autres Planètes n’y concourent nullement ; il a sa cause dans son centre incorruptible, ainsi que celui des Cieux.
Peut-être que vous direz, qu’il n’y a point de flux ni de reflux en la Méditerranée qui est Orientale ; que n’y ayant point de flux ni de reflux, il n’en doit point avoir en Occident ; et que par conséquent, son mouvement ne peut être que du Septentrion au Midi, et du Midi au Septentrion.
Je réponds, que la Méditerranée n’est point une mer, mais un étang plein d’eau salée, qui n’a de communication à l’Océan, que par le Détroit de Gibraltar, qui est si serré, et sa barre est si haute, à cause de la proximité des terres, qu’il est impossible que les eaux de l’Océan, qui haussent et font les marées, y puissent entrer en six heures douze minutes : lever les eaux de la Méditerranée au même degré que celles que nous voyons le long des côtes, qui font face à l’Océan ; en sortir et se faire basses de même en pareil temps ; joint qu’il n’est pas vrai, que la Méditerranée soit sans flux et reflux ; car j’en ai remarqué dans le plus grand calme, près d’un pied, aux côtes les moins sablonneuses ; et à celles qui sont entièrement sablonneuses, deux pieds ; et plus de cinq à six pieds, lors qu’il y avoir des Vents en mer : ce qui marque, si nous n’y voyons pas, le flux et reflux si haut qu’en l’Océan, que c’est à cause de son étroite communication avec l’Océan : Que son fond, qui est presque tout de rochers, élevé à preuve de sonde, ne peut être pénétré par les Vents qui viennent du centre, pour élever les eaux comme ils font à l’Océan. Mais il n’est pas de même en la partie Occidentale, et par toutes les côtes des terres accessibles, qui font face à l’Océan ; car l’on y remarque assurément un flux et reflux réglé, et de même force que celui du Nord et du Sud. Il ne faut pas même s’imaginer que le petit flux et reflux que nous y avons observé, vienne de sa communication avec l’Océan ; parce qu’il serait impossible que les eaux se pussent étendre dans une si vaste étendue que la Méditerranée, et en sortir par un si petit détroit en si peu de temps.
Car si ce petit flux et reflux se faisait par la communication des eaux de l’Océan, que nous y avons reconnu monter et s’y étendre environ quarante lieues du Détroit, ainsi que dans la rivière de Bordeaux ; cela se ferait à peu près au temps que la mer serait dans son plein ; les eaux passeraient par dessus la barre du Détroit, et se retireraient presque en même temps ; la barre du Détroit serait toujours à fleur d’eau, et les vaisseaux n’y passeraient jamais, particulièrement à la basse mer, sans un extrême péril. Si les eaux passaient par quelque canal au défaut de la barre, les eaux serraient plus serrées, et auraient encore plus de difficulté, pour entrer et sortir, qu’auparavant ; et ne sauraient s’étendre dans les extrémités de la Méditerranée, ni faire lever et baisser les eaux dans douze heures vingt-quatre minutes, comme elles se haussent et se baissent dans l’Océan. Et par une raison surabondante, si la Lune gouvernait les eaux de la mer, elle donnerait à celles de la Méditerranée (comme étant de même nature et qualité) un montant et descendant réglé de seize à dix-huit pieds, semblables à celui de l’Océan, que nous voyons journellement : car sa sympathie et ses influences agissant sans obstacle, élèveraient et abaisseraient infailliblement ses eaux, au même degré, ce qu’elle ne fait point : et si nous n’y voyons pas ce grand flux et reflux, il n’y a point d’autres causes, ni d’autres raisons que celles que nous avons dites, du Détroit et de sa barre, qui empêche la communication de ses eaux ; et de son fond, qui est pour la plus grande partie de rochers, qui s’opposent aux Vents qui sortent du centre, les empêchent d’agiter les eaux, les élever, et leur donner le même mouvement, qu’à celles de l’Océan : Aussi n’y voit-on jamais de tempêtes, ni d’orages furieux, comme sur l’Océan ; ni dans son calme, les ondes si profondes, ni ses flots si élevés ; car si cela était, les galères et les autres vaisseaux, dont les Orientaux se servent dans leurs commerces, n’y résisteraient pas.
Ce petit flux et reflux n’a donc point d’autre cause, que celle qui fait celui de l’Océan ; et l’extraordinaire hauteur des eaux que nous y voyons, arrive quelquefois, à proportion comme dans l’Océan, et par toutes les autres mers, procède des Vents extraordinaires, que nos Signes centriques jettent, lors qu’ils sont excités par les rayons des aspects des Astres supérieurs, qui sont portés au centre par le moyen de la Lune ; ils soufflent, ils excitent la mer, l’enflent, et l’élèvent extraordinairement : si les influences sont malignes, ils font sortir de la terre, les exhalaisons et les vapeurs mêlées, qui s’élèvent à la moyenne région ; il s’en forme des orages et des foudres, qui mettent, s’il semble, toute la nature en convulsion. Si au contraire, les influences sont bénignes, nous sentons souffler un vent doux, qui nettoyé et purifie l’air, le rend tranquille, serein et agréable ; et cela se fait à chaque quartier de la Lune ; car c’est dans ce temps que la mer s’ouvre, et fait passage à l’influence des Astres, que la Lune réfléchit au centre ; ainsi que le Ciel s’ouvre à la fin de chaque Signe, au temps que le Soleil entre dans un nouveau ; et ces influences ont dans ce temps, cent fois plus de vertu, qu’en tout autre.
Qu’on ne dise donc plus, que la Lune vulgaire soit la cause du flux et reflux, aussi de la mer vulgaire, cela n’est pas ; c’est notre point fixe, et ses douze Signes qui le gouvernent, et le gouverneront jusqu’à la fin du monde, que tout retournera à son premier néant.
Quand les Philosophes ont dit, que le Soleil et la Lune gouvernaient la mer, ils n’ont point entendu la mer vulgaire, de laquelle ils n’ont jamais connu le flux et reflux, ni ses mouvement ; mais ils ont entendu parler de leur mer Philosophique, qui a son point fixe dans son centre, ainsi que l’Océan, dont j’ai distinctement parlé, si vous y avez pris garde.
Voilà la manière dont la Lune influe ; mais elle n’est pas la cause singulière de cette influence ; elle n’en est que le moyen, par lequel les influences des Planètes sont apportées au centre ; lequel ensuite les réfléchit, et les communique par ses rayons aux Signes qui l’environnent, de nature contraire à l’influence, et des Signes du premier mobile ; dans lesquels les aspects et les regards des Planètes qui ont causé les influences, se sont faites.
Ces signes produisent et mettent au jour, dans la région élémentaire, leurs effets dans les composés ; ils y font leurs impressions, ils les atténuent, ou leur donnent de la vigueur, suivant la nature et qualité de l’influence.
L’Ami. Vous avez tenu un discours qui me passe, et que je comprends faiblement ; cela sera cause peut-être, que je vous ferai des questions irrégulières ; si cela arrive, vous y suppléerez, s’il vous plaît.
Dites-moi, si les Etoiles fixes influent, et si leurs influences sont apportées au centre, et sublimées à la surface, comme celle des Planètes.
L’Auteur. Vous êtes trop éclairé, pour avancer rien d’incongru ; c’est moi qui vous prie de suppléer à mon insuffisance, si je ne satisfais au mérite de vos questions, suivant vos intentions : néanmoins, je tâcherai de m’expliquer, et de lever vos doutes, le mieux qu’il me sera possible.
Bien que les Etoiles soient en grand nombre, et que chacune ait un sujet en terre qu’elle affecte, et sur lequel elle influe : pour cela, leurs influences ne se mêlent point ; et comme elles n’ont pas besoin d’une longue digestion et putréfaction, d’une grande sublimation, ni d’une forte et longue chaleur, comme les influences minérales et métalliques ; elles ne sont point apportées au centre ; mais après qu’elles se sont alliées et conglutinées avec une humidité aérienne, elles sont portées dans la matrice qui leur est propre ; elles y sont digérées, corrompues, sublimées, et conduites à leur perfection, par la chaleur centrale, et celle du Soleil, chacune suivant sa nature, et la disposition de sa matrice.
L’Ami. Pourquoi obligez-vous les Planètes, d’influer sur la Lune, pour apporter les influences au centre.
L’Auteur. Pour deux raisons ; la première, par la singulière sympathie qu’elle a avec les bas éléments et leurs composés. La seconde, parce que la Lune étant le premier degré de perfection des Planètes, elles ne sauraient parvenir au Soleil, qu’elles ne passent par son degré. Toutes les Planètes tendent naturellement au Soleil, comme à leur Roi ; et la Lune étant un milieu, par lequel il faut qu’elles passent avant d’y parvenir ; elles y jettent leurs influences, elles y prennent le sceau et le caractère de la Lune ; et étant rejetées au centre, il les digère, il les corrompt, et les sublime dans les entrailles de la terre, où elles sont nourries, augmentées, et conduites à leur perfection, par la chaleur centrale, et celle du Soleil, suivant les matrices pures ou impures, qu’elles rencontrent.
Il est nécessaire que ces influences soient apportées au centre, parce qu’elles ont besoin d’une matrice bien close, d’une longue digestion et putréfaction ; d’une grande sublimation et nourriture ; d’une forte et longue chaleur, pour parvenir à leur degré de perfection, où elles n’arriveraient jamais, si elles étaient portées dans les matrices communes des autres Etoiles, qui font leurs productions en quarante-cinq jours, un peu plus ou moins ; parce que la chaleur extérieure venant à leur manquer, par l’absence du Soleil, l’action de la chaleur centrale qui en est soutenu, et qui doit travailler sans intermission, cesserait ; les composés demeureraient éteints, sans mouvement, et ne produiraient rien de conforme à l’intention de la nature, et de la semence, et seraient comme des fruits avortés.
L’Ami. Vous dites que le Ciel et la mer s’ouvrent dans de certains temps, et que les influences que les Planètes versent dans cet intervalle, sont plus fortes, et ont plus de vertu qu’en tout autre ; c’est une nouvelle doctrine, de laquelle je n’ai point encore entendu parler, et que je ne conçois pas, je vous prie de m’en donner l’explication.
L’Auteur. Nous ne devons point appeler nouvelle doctrine, celle qui est aussi vieille que le monde, ni blâmer ce que nous n’entendons pas ; mais nous devons nous accuser nous-mêmes de notre peu d’intelligence, et faire notre possible pour entrer dans l’esprit des Auteurs. Un sot s’abuserait, s’il croyait pouvoir comprendre à l’ouverture d’un Livre, ce qu’un homme de bon sens, et d’un esprit sublime, ne peut apprendre qu’avec beaucoup de peine, et un long travail. Si on ne pouvait parler que des choses qui ont été dites, les hommes n’auraient besoin que de leur seule mémoire, puisque l’esprit, qui est la lumière naturelle, avec laquelle ils voient et pénètrent toutes choses, ne pourrait plus rien innover et découvrir : il faudrait qu’ils se renfermassent entièrement à ce que les anciens auraient écrit : ce qui est absurde, parce que le monde renferme tant de merveilles, qu’encore qu’il subsistât cent mille ans, et que tous les jours l’on découvrît des choses nouvelles, il en resterait encore plus qu’on n’en aurait découvert : Je vous fais part des miennes, comme à mon ami ; mais afin que vous en soyez plus éclairci, vous saurez que toutes les fois que le Soleil sort d’un Signe, et qu’il passe dans un autre, il se forme dans ce même temps un certain mélange des influences, et des vertus du Soleil, et de ce Signe, qui composent une influence d’une nature différente de celle qui fluait auparavant ; cette influence tombe sur la Lune, qui la reçoit et la garde ; et de toutes les influences des Planètes, il n’y a que celle-ci que la Lune garde et retient par devers elle, dont se forme une production particulière, renvoyant les autres au centre, pour y être digérées, et sublimées, dans les matrices qui leur sont convenables.
Et lorsque la mer s’ouvre à tous les quartiers de la Lune, c’est à dire, qu’à tous ses quartiers, qui sont de sept jours quelques heures, et quelques minutes, la mer achevant son cours du montant ou descendant, qui est de pareil temps (comme je dirai incontinent) elle fait une espèce de station et de repos, pour prendre un mouvement nouveau ; et dans ce même temps, la Lune étant pareillement en aspect avec les Planètes, réfléchit leurs influences au centre, qui en fait la distribution aux Signes qui l’environnent, comme un miroir distribue et réfléchit les rayons du Soleil, aux objets qui lui sont opposés. Ces influences nous signifient toujours, à chaque quartier de la Lune, quelque chose nouvelle dans la région élémentaire ; et nous voyons aussi, que les hommes qui s’attachent à la vie rustique, s’appliquent à tous les changements de quartier de la Lune ; soit à labourer, soit à semer, soit à émonder, ou soit à cueillir ; ils font toujours quelque besogne nouvelle, qui concerne l’agriculture.
L’Ami. Pourquoi la Lune garde-t-elle plutôt les influences du Soleil, que celles des autres Planètes ?
L’Auteur. Parce que les choses parfaites ont de l’affinité, et sympathisent mieux ensemble, qu’une chose parfaite avec une qui ne l’est pas. Bien que la Lune ne soit pas si parfaite que le Soleil, elle est néanmoins plus parfaite que Saturne, Jupiter, Mars, Vénus, et Mercure, parce que sa substance est fixe, ou peu s’en faut, et celle des Planètes ne l’est pas : c’est pourquoi, la Lune ne s’améliorant pas avec elles, elle rejette leurs influences au centre, pour y être digérées, pourries, sublimées et perfectionnées, comme j’ai dit.
Mais comme le Soleil est parfait, et qu’il s’en faut quelque chose que la Lune ne le soit ; elle retient ses influences, s’allie avec elles, et se rend parfaite avec elles ; c’est la raison pour laquelle l’on trouve toujours la Lune dans les matrices du Soleil, parce qu’elle n’a pas besoin de tant de digestions et de sublimations, de si forte chaleur, ni si longue, que les autres Planètes, pour être conduite à la perfection ; mais elle a seulement besoin d’une matrice pure, et bien close.
L’Ami. Les influences des Planètes, dont vous avez parlé, sont ce les mêmes qui produisent les Vents des Signes centriques ? ne tombent-elles jamais sur la Lune, qu’au changement de ces quartiers ? et ne sont-elles apportées au centre, que dans ce temps ?
L’Auteur. Les Planètes ont diverses opérations, comme les animaux ; elles ont des regards doux et bénins, qui rendent l’animal qui naît au temps qu’elles regardent la Lune, ou leur ascendant, d’un bon œil, sein, tempéré, joyeux, agréable, facile, heureux en toutes choses, et de longue vie. Elles ont d’autres regards qui les agitent, les troublent, les rendent précipités, furieux, déplaisants, valétudinaires, et malheureux dans le cours de la vie. Ces sortes d’influences se font à toutes les heures du jour et de la nuit, et se répandent par tout, lors que les Planètes se trouvent en aspect avec la Lune ; ainsi elles ne sont point apportées au centre.
Mais les influences que les Planètes versent, lorsqu’elles sont en aspect avec la Lune à chaque chargement de quartier, et desquelles les composés métalliques se forment : ces influences, dis-je, sont apportées au centre, elles y excitent nos Signes centriques, lesquels par la force de leurs souffles, les élèvent dans les entrailles de la terre ; elles élèvent avec elles une humidité aérienne ou mercuriale, et une très pure partie de la terre grasse et soufreuse, avec lesquelles cette influence s’allie ; laquelle s’attachant aux concavités de la terre, s’y digère, s’y pourrit, s’y résout, s’y sublime, s’y nourrit, et s’y alimente par des matières semblables, jusqu’à une entière perfection.
Si le vent de nos Signes n’élevait cette matière, elle demeurerait au centre, et ne s’y ferait aucune génération métallique, vents, orages, ni aucun changement de temps sur la terre. Comme vous êtes bon Physicien, je me persuade que vous entendez facilement ce que je viens de dire.
L’Ami. Je vous entends, et suis satisfait ; je vous prie, parlons à présent du quatrième mouvement de la mer.
L’Auteur. Bien que le quatrième mouvement ait sa cause dans les Cieux, sa conception n’en est pas pour cela plus difficile ; et je me persuade, que vous y appliquant, comme vous avez fait au précédent, vous le comprendrez avec la même facilité ; parce que tous ses mouvements sont sensibles comme ceux des animaux.
L’Ami. Je m’y attacherai autant qu’il me sera possible : lisez.
CHAPITRE IX.
Du quatrième mouvement de la Mer.
Bien qu’il semble que ce mouvement, qui en contient quatorze, ait sa cause difficile, et de grande discussion, elle ne l’est pas pourtant. Il n’y a point d’homme qui ne la conçoive incontinent, pourvu qu’il ait une légère connaissance de la Sphère naturelle ; car si la cause du mouvement précédent, est cachée dans le centre de la terre ; la cause de celui-ci au contraire, bien qu’elle soit dans les Cieux, est néanmoins visible. Ces deux causes sont opposées, et l’on peut dire, que la supérieure, qui fournit la forme, qui est invisible, est néanmoins visible ; et celle qui la reçoit, qui en est animée, et qui doit être visible, est invisible et cachée.
Ce mouvement se divise en sept, montants plus haut l’un que l’autre, et en sept descendants, aussi plus bas l’un que l’autre.
Tous ces mouvements procèdent des sept Planètes, et en sont absolument gouvernés ; ils élèvent la mer de degré en degré, l’un après l’autre, comme ils sont élevés dans leurs Cieux, et la font baisser de même.
Le premier régime et gouvernement de ces mouvements est donné à Saturne, la plus haute des Planètes ; parce que le chaos, au commencement du monde, était plein : que pour en séparer les Eléments, et les réduire au centre, il en fallut élever les parties les plus subtiles, pour rendre le reste pondéreux et susceptible de génération ; et à mesure que ces parties s’élevaient, et se séparaient du chaos, la masse se diminuait, et s’abaissait aussi. Cette séparation donna de l’air au chaos, qui était plein comme un œuf, lors qu’il sort du ventre de la poule ; car Dieu travailla sur le chaos, pour séparer ces parties subtiles d’avec les grossières, impures, et corruptibles, sans comparaison, comme la Nature travaille sur l’œuf, lorsqu’elle en veut produire un poulet.
Premièrement, l’œuf est extérieurement échauffé par un degré de chaleur ; laquelle dilatant et ouvrant les pores de la coquille, et excitant la chaleur centrale de l’œuf, exhalent son humidité superflue ; de sorte, que si le lendemain vous regardez cet œuf, vous y verres une petite couronne à un bout, qui marque que son humidité la plus subtile, s’est exhalée par ses pores, et que l’air s’y est introduit en son lieu.
Le second jour, cette couronne se montre un peu plus grande que le premier ; le troisième, plus que le second, et continue ainsi pendant dix jours, à mesure que son humidité s’exalte : ce qui reste, ce temps passé, sont les Eléments corruptibles, dont le corps est composé.
Le second régime est donné à Jupiter, immédiatement au dessous de Saturne. Le troisième à Mars, au dessous de Jupiter. Le quatrième au Soleil, au dessous de Mars. Le cinquième à Vénus, au dessous du Soleil. Le sixième à Mercure, au dessous de Vénus ; et le septième à la Lune, au dessous de Mercure.
Les eaux s’étant ainsi retirées de degré en degré, depuis le Ciel de Saturne jusqu’à celui de la Lune, de jour en jour, pendant sept jours ; elles commencent à monter par même degré pendant sept autres jours, tant qu’elles soient parvenues au Ciel de Saturne : et lorsqu’elles y sont arrivées, elles commencent à descendre, puis à remonter, comme je viens de dire : employant à chaque régime actuel, vingt-quatre heures, quarante-huit minutes ; montant aujourd’hui plus haut que hier, demain plus haut qu’aujourd’hui, et après demain plus haut que demain ; et descendent de même, aujourd’hui plus bas que hier, demain plus bas qu’aujourd’hui, et après demain plus bas que demain, jusqu’à ce que les eaux aient fait le cours des sept Planètes, en montant et descendant. Pendant ce temps, la Mer se fait pleine dans toutes les quatre parties du Monde.
Ce nombre rompu de quarante-huit minutes, que la Mer retarde par chaque jour naturel, est à remarquer. Il fait que la Mer se fait pleine en quatorze jours, onze heures, douze minutes, à toutes les heures du jour, et de la nuit ; et sert de règle aux Patrons qui viennent de la haute Mer, pour trouver l’heure certaine de la marée, et entrer dans les Ports, où l’on ne peut entrer que de pleine Mer.
Ce mouvement de la Mer répond précisément aux mouvements de nos Signes centriques, lesquels en vingt-huit révolutions emploient justement ce même temps. Ce qui ne serait pas, si le mouvement de la Mer d’un plein à l’autre, comme le vulgaire croit, était précis et réglé de douze heures. Au contraire, le mouvement des Planètes, qui se rapporte justement à celui de nos Signes centriques, et qui fait que la terre est abreuvée de son eau, à toutes les heures du jour, et de la nuit, arriveraient toujours à la même heure : et il y aurait certains points de la terre, qui n’en seraient pas arrosés. Ainsi tout concourt avec subordination, au soutien des ordres que Dieu a établis dans la structure de l’Univers.
Voilà comme la Lune concourt au flux et reflux de la Mer ; c’est à dire, concurremment avec les autres Planètes, et non pas singulièrement, comme l’on s’imagine.
Le secret du mouvement de la Mer, que je viens d’expliquer, est si grand, qu’il surpasse tous les secrets, et jamais homme ne l’a écrit ni révélé, que je sache.
C’est ce mouvement qui est le principe des choses qui tirent leur origine de la Mer ; qui les fait germer dans sept jours, qui les fait végéter, et leur donne au bout de sept autres jours leur première forme, qui leur en donne une nouvelle, sept jours après, et leur donne enfin, au bout de sept autres jours, celle qui convient à leur nature.
Ensuite le Soleil les prend ; il travaille sur elles, il les dilate ; il les organise, et leur donne dans quinze jours leur dernier degré de perfection : comme il dilate la Lune, la remplit de vertus, et lui donne sa perfection, à mesure qu’il la regarde, et lui communique directement ses rayons et son influence.
Le mouvement que la Mer fait en s’abaissant de jour en jour, corrompt entièrement, au bout de sept jours, la forme qu’elle leur avait donnée à son plein, et leur en donne une autre ; Et le mouvement qu’elle fait, en montant de jour en jour, corrompt aussi entièrement au bout de sept autres jours celle-ci, et leur en communique une toute nouvelle, et plus parfaite.
Comme la Lune, à chaque changement de quartier, reçoit des influences des Astres, qu’elle en reçoit de plus nobles, lorsqu’elle se conjoint au Soleil, et qu’elle les communique aux Composés élémentaires. De même, toutes les fois que la Mer s’abaisse vers le centre où réside le Soleil central, elle en reçoit des vertus nouvelles, qu’elle élève et communique par l’agitation ses ondes et ses flots successifs, aux choses qu’elle a fait naître.
Entre les choses que la Mer procrée tous les mois, ainsi que la Lune, il se trouve le long de ses bords, dans une espèce d’écume grasse comme du bitume, un je ne sais quoi ressemblant à un oiseau, qui prend la nature des sept Planètes successivement, et des petites sources d’eaux vives, claires et transparentes comme du cristal, qui prennent celle du neuvième Ciel.
Tous ces Mouvements ont des noms propres, qui conviennent à leur nature et à leur vertu.
Le premier commence par Saturne, la plus haute des Planètes ; c’est à dire, par le descendant : les eaux s’étant baissées d’un degré, ce mouvement est appelle eaux mortes, à cause que Saturne, du mouvement duquel elles sont parties, est le symbole de la mort ; et qu’elles n’auraient jamais rien produit, si elles y étaient demeurées.
Lorsque les eaux sont descendues de degré en degré, jusqu’à la Lune, leur degré le plus bas, elles s’appellent eaux basses : Lorsque les eaux sont à ce degré, elles y germent, s’il faut ainsi parler, non pas le premier jour qu’elles y sont parvenues, mais le second, qui est le premier qu’elles commencent à monter : et lorsqu’elles sont à ce second jour, nous appelions ce mouvement, pointe d’eau ; et le deuxième jour qu’elles sont montées à Mercure leur second degré ; ce mouvement est appellé mouvement en puissance. Lorsqu’elles sont montées à Vénus, le troisième jour, leur troisième degré, elles sont appelées eaux vives, comme qui dirait venir de puissance en acte. Etant montées au Soleil, leur quatrième degré, au quatrième jour, ce mouvement est appelé mineur. Le cinquième jour, étant montées à Mars, leur cinquième degré, ce mouvement s’appelle mouvement d’altération. Le sixième jour étant montées à Jupiter, leur sixième degré ; ce mouvement est appelle mouvement de cupidité. Finalement lors qu’elles sont parvenues le septième jour à Saturne, leur septième degré, ce mouvement est appelé chef d’eau, parce qu’elles ne peuvent monter plus haut, et qu’elles ont parachevé leur Cercle.
En effet, ce mouvement parait sous la ligne Equinoxiale en certain temps de l’année, comme un chef ou une petite montagne, et dure pendant quatre jours : deux jours en Saturne, savoir, le jour qu’elles y sont montées, et le jour qu’elles y prennent le mouvement pour descendre. Le troisième est, lors qu’elles sont descendues à Jupiter, leur second degré d’abaissement ; et le quatrième, lors qu’elles sont descendues à Mars, leur troisième degré d’abaissement. Ce qui fait quatre jours après lesquels le Chef se perd et se submerge.
L’on ne donne point de titre aux eaux, depuis Saturne en descendant, jusqu’à ce qu’elles soient parvenues à la Lune, leur dernier degré, que celui d’eaux mortes qu’on leur a donné, étant encore en Saturne, quand elles ont commencé à descendre. Si bien qu’elles ne sont pas si tôt descendues à la Lune, qu’elles commencent à monter, et ne sont pas sitôt montées à Saturne, qu’elles commencent à descendre.
Ces eaux continuent toujours ces mouvements de degré en degré, jour par jour, et successivement : En telle sorte qu’en vingt-huit jours, vingt-deux heures, vingt-quatre minutes, la Mer fait deux cours dans chaque partie du Monde, pendant que la Lune en fait un.
L’on voit donc par ces divers mouvements, que la Mer se trouve pleine dans des temps que la Lune est basse ; qu’elle s’abaisse dans des temps que la Lune croît ; qu’elle se fait pleine au temps que la Lune est pleine, il est vrai : Mais aussi elle monte et croît quand la Lune descend, et décroît à son dernier quartier ; et elle est pleine au temps que la Lune est entièrement basse. Si la Lune gouvernait la Mer, la Mer suivrait absolument ses mouvements : et lorsque la Mer aurait commencé à croître, elle ne s’arrêterait pas au septième jour, et ne prendrait pas le mouvement du descendant comme elle fait ; mais elle monterait sans discontinuer jusque et passé le quatorzième jour, ainsi que la Lune croît, et descendrait de même sans discontinuer, jusqu’à la fin de son cours ; même son cours serait égal à celui de la Lune, qui est de vingt-neuf jours, douze heures, quarante-quatre minutes : Au lieu que celui de la Mer n’est que de quatorze jours, onze heures, douze minutes : Et si on le double pour le faire cadrer à celui de la Lune, comme j’ai dit au précédent Chapitre, il ne sera que de vingt-huit jours, vingt-deux heures, vingt-quatre minutes. Il faut que la Lune retarde pour s’égaler au mouvement de la Mer, afin qu’elle se trouve tous les jours aux quatre parties du Monde, lors que la Mer s’y fait pleine. Qu’elle avance ensuite pour se joindre au Soleil, et se faire nouvelle dans son temps : ainsi que nous voyons dans les Ephémérides qu’elle est deux jours dans des Signes, et trois jours dans d’autres. Ce qui procède du mouvement qu’elle fait dans son Epicycle, et du lever direct et oblique de quelques Signes du Zodiaque. qui l’avancent et retardent dans son cours, au lieu que le mouvement de notre centre, dont la révolution se fait en douze heures vingt-quatre minutes, est singulier, ferme et constant, comme celui du premier mobile : et le mouvement des sept Planètes que je viens d’expliquer, s’accorde si bien à ce mouvement, qu’en cent ans il ne s’y trouvera pas une minute de différence. Cela marque la correspondance des choses hautes avec les basses, comme dit Hermès, ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut, est comme ce qui est en bas ; ce qui durera sans corruption jusqu’à la consommation des siècles.
COLLOQUE IX.
L’Ami. Il est vrai qu’avec un peu d’application, l’on peut facilement comprendre les mouvements que vous venez d’expliquer, et leur cause ; mais il me semble qu’à travers ce discours, je vois quelque chose que je ne connais pas ; je voudrais bien qu’il vous plût de m’en éclaircir, et me dire ce que vous entendez par cet Oiseau, et ces sources claires et limpides, qui prennent, dites-vous, successivement la nature de tous les Planètes.
L’Auteur. Comme les Signes célestes sont les maisons et les domiciles des Planètes, qu’ils montrent, lorsqu’ils sont chacun dans ceux qu’ils affectent, beaucoup plus de vertu que dans les autres ; que tous les mois le Soleil sort d’un Signe et entre dans un nouveau ; que la production dont j’ai parlé se fait dans ce Signe ; je dis, que ce Signe forme la complexion universelle de cette production ; et comme ce Signe est soumis à la Planète qui le domine, les choses qui en sont produites, ont la nature de cette Planète ; ainsi que les ascendants et les Planètes qui dominent, forment la complexion de tous les composés, et leur donnent leur nature.
Je puis vous dire avoir rencontré parmi le monde, des hommes qui m’ont assuré avoir vu cet Oiseau, mais ils le dépeignent tous diversement.
Le premier dit, qu’il a son plumage luisant, de couleur changeante, comme la gorge d’un pigeon, et l’appelle Alcion ; qu’il fait ses petits en Hiver, dans l’écume grasse qui est poussée aux bords de la mer, par l’impulsion des ondes et des flots : que pendant neuf jours, qui est le temps qu’il employé pour les éclore, la mer se calme, et ne s’y fait jamais d’orage, et que les Crocodiles du Nil dorment pendant ce temps.
Le deuxième demeure d’accord de ce que le premier dit ; mais il ajoute, que son plumage est grisâtre ; que c’est un Phœnix, et qu’il se renouvelle au Printemps ; que ces petites sources d’eau claires et limpides qui l’environnent, se dessèchent peu de temps après ; et en leur lieu succède un jonc odorant et piquant ; duquel, lorsqu’il est sec et fort, cet Oiseau dresse un bûcher de douze brins seulement, et l’allume par son mouvement à la faveur des rayons du Soleil, se consomme, et renaît de ses cendres, beaucoup plus fort qu’il n’était.
Le troisième, que son plumage est très luisant, mais d’un rouge brun, qu’il fait ses petits en été ; que c’est un Pélican, parce, dit-il, que ses petits naissent de ces sources d’eau, et qu’après qu’ils sont éclos, de son bec il ouvre sa poitrine, et les nourrit de son sang ; ils meurent et ressuscitent plus forts que la première fois.
Et le quatrième, qu’il a son plumage luisant et noir comme l’Aigle, qu’il est presque fait comme un Dragon ; qu’il fait ses petits en Automne, et que c’est un Serpent ailé de la mer, qu’il habite avec les Dragons et conçoit ; et lorsque les petits qu’il a dans son ventre sont à terme, ils lui percent les flancs, le tuent, et se repaissent de son sang et de sa chair, meurent et ressuscitent ensemble.
Bien que je croie que toutes ces opinions signifient quelque chose de particulier, néanmoins je n’en adapte aucune à mon sujet ; et si quelqu’une en pouvait approcher, ce serait la seconde. Mais s’il était vrai que ce fût un Phœnix, il faudrait qu’il naquît, et se consommât tous les mois ; ce qui ne serait plus ce qu’on dit du Phœnix, qu’il est singulier, et ne se renouvelle que tous les cinq cens ans ; ce qui me fait croire que ce sont d’autres Oiseaux, dont je n’ai pas connaissance.
L’Ami. Ce que vous dites peut être, mais du vôtre, qu’en dites-vous.
L’Auteur. Ce que je sais de particulier de cet Oiseau, le voici.
Dans un voyage que j’ai fait à Madagascar il y a quelques années, après avoir doublé le Cap de Bonne Espérance, nous rangeâmes la côte, jusqu’à ce que nous eûmes reconnu que nous repassions la Ligne. Pour lors nous étant approchés de terre pour découvrir quelque havre, nous aperçûmes une petite baie, couverte de quelques montagnes ; ayant jugé que notre vaisseau y pouvait être en assurance, nous y entrâmes et mouillâmes l’ancre. Ayant fait mettre la chaloupe dehors, je me mis dedans avec notre Pilote ; car c’était en quelque façon de lui que je tenais la connaissance de cet Oiseau.
Etant à terre, nous prîmes, lui et moi, notre chemin le long de la côte ; et après avoir marché une heure ou environ, examinant en passant toutes les écumes que nous rencontrions le long de la mer, nous entendîmes une forte piaillerie d’Oiseaux ; ayant tiré de ce côté, et en étant proche, notre voyage sera heureux, dit mon Pilote, car j’aperçois un flocon d’écume extraordinairement élevé, et une infinité d’Oiseaux marins qui l’environnent ; qui est une marque indubitable, que celui que nous cherchons n’en est pas loin : Et comme nous approchions, ces Oiseaux nous voyant, se retirèrent dans des trous qui étaient à des rochers près de là, et nous regardaient si fixement, qu’ils nous donnaient de la crainte. Néanmoins ils ne branlèrent pas, et nous laissèrent examiner à loisir cette écume, que nous trouvâmes d’une qualité grasse comme bitume, et d’une consistance si solide, que nous la pouvions facilement manier sans la rompre.
Après en avoir examiné quantité, nous parvînmes enfin à un flocon plus élevé que les autres ; nous étant avancés, nous y aperçûmes une ouverture comme celle d’un nid d’Oiseau, et un petit œuf dedans, avec plusieurs petites sources d’eau, plus claires que du cristal, qui adhéraient à l’écume, tout autour du nid. J’avoue que je n’eus jamais plus de joie, et dans mon transport, j’opinais incontinent qu’il le fallait prendre ; mais mon Pilote s’y opposant, me dit, bien que l’œuf ait de grandes vertus, elles ne sont pas considérables comme celles de l’Oiseau, il faut prendre patience. Nous étant consultés, nous résolûmes de nous tenir auprès, et de veiller jusqu’à ce qu’il fût éclos : Qu’en attendant notre Pilote irait en diligence à notre vaisseau, pour nous faire apporter des rafraîchissements, un matelas, et une voile, pour faire une cabane. Ce qui fut à l’instant exécuté ; notre cabane étant dressée, chacun se disposa de veiller à son tour : la nuit ne fut pas sitôt venue, et nous dans la cabane, que les Oiseaux qui étaient dans les trous sortirent, retournèrent autour du nid, et recommencèrent leur piaillerie comme auparavant.
Ceux qui ont écrit, que la piaillerie des Oiseaux était de mauvais augure, avaient grande raison, car nous en eûmes la preuve peu de temps après.
Le jour ne fut pas sitôt fini, que ces Oiseaux, à la faveur de la lumière que nous avions dans notre cabane, nous vinrent assiéger ; et ayant trouvé les défauts des jointures, entrèrent dedans avec violence, nous attaquèrent avec furie ; et après un combat de plus d’une heure, nous fûmes obligés de leur céder la place, et nous sauver dans l’obscurité. Après avoir marché quelque temps parmi des rochers très raboteux, et difficiles, nous arrivâmes enfin à un, où il y avait une petite caverne ; nous y entrâmes, et y passâmes le reste de la nuit.
Sitôt que le jour fut venu, étant sortis, nous nous trouvâmes environnés de précipices, qui nous faisaient frissonner. Ne pouvant concevoir comment nous les avions évités dans notre désordre, et une nuit si sombre. Il fallut s’en démêler peu à peu, et après avoir reconnu le chemin par lequel nous étions venus le jour précédent, nous cherchâmes un lieu commode pour regarder de loin notre nid et nos Oiseaux. Etant montés sur une petite éminence, de laquelle nous les pouvions voir à l’aise, et ayant regardé de ce côté, nous ne vîmes que notre cabane ; en étant approchés, nous ne trouvâmes plus de nid, ni d’Oiseaux, que ceux que nous avions massacrés le soir, qui ressemblaient par la tête et le plumage à des Aiglons.
Nous étant lamentés un peu de temps inutilement de notre disgrâce, nous retournâmes à notre vaisseau, où étant arrivés, nous envoyâmes quérir le matelas et la voile ; et nous étant trouvés couverts de blessures, et enflés comme des hydropiques, des coups de becs que ces animaux nous avaient donnés, chacun se fit tirer du sang, et se mit au lit, jusqu’à ce qu’il fût guéri. Et comme je reprochais à mon Pilote, que s’il avait voulu nous aurions pris l’œuf, sans hasard de la vie, comme nous avions fait ; il est vrai, me dit-il, si nous avions pris cet œuf, nous en eussions fait de grandes choses ; mais si nous avions pu prendre l’Oiseau, nous en eussions bien fait de plus grandes ; et l’ayant pressé de me dire à quoi l’un et l’autre étaient propres : prenant l’œuf, me dit-il, et le donnant à manger à des poules, et ensuite donner à manger de la chair de ces poules, si peu que rien à des malades, elle guérit toutes fièvres, elle rajeunit, fait tomber les cheveux blancs, et revenir les dents à ceux qui les ont perdues. Mais l’Oiseau, en le faisant cuire avec l’eau des sources qui étaient autour de son nid, outre qu’il fait le même, corrige les vices de Nature, règle le tempérament, guérit la poulmonie (synonyme de phthisie, l'une des formes de la tuberculose - L.A.T.), la paralysie, hydropisie, la lèpre, la manie, la migraine, la goutte, et toutes maladies incurables, de quelque nature qu’elles soient. Après m’en avoir fait ces éloges, j’en fus plus sensiblement touché qu’auparavant ; mais notre perte étant sans remède, il fallut s’en consoler ; nous continuâmes notre route, dans laquelle mon pauvre Pilote mourut de déplaisir. C’est tout ce que je peux vous dire de cet Oiseau, et que son œuf ressemblait à ceux que pondent communément les poules grasses ; n’ayant qu’une pellicule, si blanche et si délicate, que le jaune paraissait à travers ; que l’Oiseau habite dans les cavernes des hautes montagnes qui sont le long de la mer, et que bien souvent, comme la mer le fait naître, elle le couvre et le fait disparaître.
L’Ami. Ce que vous venez de dire de cet Oiseau est rare, et marque que le Pilote qui vous en avait donné la connaissance, n’était pas commun, et qu’il savait plus que la marine.
L’Auteur. Il savait parfaitement toutes les mers ; il connaissait finement les terres ; il savait scientifiquement distinguer les Vents d’en haut d’avec ceux d’en bas ; en un mot, il savait plus que le bord, l’estribord, et le bas bord ; et je n’ai jamais fait une si grande perte, ni plus sensible.
L’Ami. Il est très difficile de perdre nos amis sans douleur, particulièrement ceux qui nous ont obligés. Mais enfin, ce que vous venez de dire de cet Oiseau, est-ce une vérité, et croyez-vous que la mer en produise qui ait les vertus que vous avez dites ?
L’Auteur. Ce n’est point une fable, quant à l’œuf ; mais une histoire qui m’est arrivée. A l’égard de l’Oiseau, je ne l’ai point vu ; et pour ses vertus et celles de l’œuf, le récit m’en a été fait par mon Pilote, pendant la maladie dont il est mort, et je crois que cela peut être, puisque j’ai rencontré depuis des hommes qui m’ont assuré l’avoir vu, comme je vous ai dit.
L’Ami. Comme peut-on connaître ces hommes, parmi un si grand nombre qu’il y en a dans le monde ?
L’Auteur. A leurs armes et à leur vertu.
L’Ami. Quelles sont leurs armes ?
L’Auteur. Celles de nature.
L’Ami. Quelles sont les armes de nature ?
L’Auteur. Celles qu’un chacun y prend, suivant ses lumières et ses connaissances, mais les plus honorables et profitables, sont celles du Signe de la Croix.
L’Ami. Je vous prie, expliquez-vous.
L’Auteur. Je ne puis m’expliquer plus nettement, ni vous parler plus sincèrement ; je vous prie n’en parlons plus, car le souvenir de ma perte se renouvelle, et commence à me mettre dans un chagrin insupportable.
L’Ami. Je serais marri de vous déplaire, n’en parlons plus ; mais dites-moi ce qu’il vous semble du flux et reflux de l’Euripe, qui l’a sept fois par jour ; de la mer Caspienne, qui n’a aucune communication avec les autres mers, qui reçoit des eaux douées de plusieurs Fleuves et Rivières, qui néanmoins est salée comme l’Océan, et ne se hausse ni ne se baisse. Pourquoi l’on appelle certaines mers, noire, blanche, jaune, rouge, etc.
L’Auteur. Vous me demandez tant de choses, que s’il fallait y répondre suivant leur mérite, nous n’achèverions pas ce soir la lecture de ce manuscrit ; en trois mots en voici ma pensée.
Comme les Planètes affectent les jours de la semaine, et les eaux de l’Océan, et les gouvernent en partie, comme j’ai fait voir, elles affectent aussi les eaux de l’Euripe, et les heures du jour naturel ; elles divisent les heures du jour naturel, en sept parties égales ; et suivant ce partage, elles règnent tour à tour ; elles élèvent les eaux et les abaissent, non pas de la même manière que celles de l’Océan, mais d’une autre toute différente.
Dans l’Océan, elles abaissent premièrement les eaux de degré par degré, et jour par jour, comme elles sont élevées dans leurs Cieux : mais en ce flux ici, un Planète ne succède point à l’autre, que celui qui le précède n’ait consommé sa révolution, c’est à dire, qu’il fait entièrement son tour en montant et descendant.
Encore que je dise que l’Euripe ait son flux et reflux sept fois par jour, il ne faut pas s’imaginer qu’il soit réglé comme celui de l’Océan, qui ne se rompt jamais ; il l’a seulement de cette manière pendant une partie du cours de la Lune, et le reste hétéroclite. Cette variation procède de la Lune, lorsqu’elle est tardive, c’est à dire, lorsque son épicycle (après qu’elle a été directe un temps) la rapporte en rétrogradant dans le même Signe d’où elle était sortie ; comme lorsque la Lune est directe, elle concourt à ce flux et reflux ; lorsqu’elle est tardive, ou rétrograde, par une influence contraire, ainsi que toutes les Planètes, lorsqu’elles sont rétrogrades, elle en rompt l’harmonie, trouble et dérègle son flux et reflux. Je vous dirais assurément de belles choses sur ce sujet ; mais comme l’heure nous presse, et que je ne veux pas abuser de l’honneur de votre audience, je les remets à la première rencontre.
La mer Caspienne est un Lac qui a communication par des canaux souterrains, avec la mer Noire, qui n’en est pas éloignée, laquelle la rend salée : elle perd ses eaux par d’autres canaux, de la même force que sont les Fleuves et les Rivières qui découlent dedans : c’est pourquoi les eaux y sont toujours également salées, et ne se haussent ni ne se baissent jamais.
Pour les mers, Noire, Blanche, Jaune, Rouge, etc. les couleurs qui leur paraissent, procèdent de la nature de leur âme, qui est unie à leur centre ; je sais que d’autres diront, qu’elles procèdent de leur fond, duquel elles relèvent la couleur à la surface ; l’un et l’autre sont véritables, mais le premier est plus physicien. Passons s’il vous plaît, au cinquième mouvement.
CHAPITRE X.
Du cinquième mouvement de la Mer.
Ce mouvement est double, et consiste en deux Marées, qui se font extraordinairement hautes, aux mois de Mars et de Septembre.
Pour entendre ce chapitre, ainsi que tout ce que nous avons dit dans tout ce discours, il se faut souvenir qu’il est dirigé sous la Sphère droite, les Pôles du Nord et du Sud étant dans l’horizon.
La Ligne Equinoxiale, qui prend à l’Orient, où est décrit le Signe du Bélier, et qui répond en Occident, où est décrit aussi le Signe de la Balance, divise la Sphère en deux parties égales. Cette ligne marque le milieu et la profondeur de la mer, où il y a le moins de terre, et par conséquent, les parties les plus faibles du point fixe ou feu central, les eaux les plus courageuses, montent et s’assemblent en cette partie, l’attaquent, le pressent, et voudraient le faire sortir du centre, parce que c’est le lieu naturel de leur repos.
Encore que je dise, que les eaux les plus courageuses attaquent le point fixe, il ne faut pas s’imaginer, que ce soit par haine, puisque le feu central est leur vie, ainsi que de tous les corps élémentaires ; mais c’est plutôt pour le cacher aux hommes, contre lesquels elles ont une extrême jalousie, à cause qu’il se montre quelquefois de nuit à ceux qu’il aime, comme une petite lumière, que nous appelions communément ardent, et leur indique les trésors cachés, dont il est absolument le maître.
Lorsque le Soleil, aux mois de Mars et de Septembre, passe sous cette Ligne pour aller vers les Pôles, le mouvement du premier mobile étant dans cet endroit extrêmement rapide, emporte aussi le Soleil avec plus de rapidité, que vers les Pôles où le mouvement est plus lent ; ce mouvement s’échauffe plus qu’auparavant, la chaleur tombe perpendiculairement sur les eaux, le feu central se meut de son côté, agit plus qu’auparavant, ces deux feux attaquent l’eau qui est entre-deux ; laquelle se sentant pressée, ne pouvant résister à tant de chaleur, s’échauffe ; une partie s’élève en vapeur à la moyenne région, comme si elle voulait combattre contre le Soleil ; mais elle y est réduite en rosée, ou en pluie, et précipitée au lieu d’où elle était sortie. Une plus grande partie descend, et se retire avec précipitation vers les Pôles du Nord et du Sud, qui sont bas dans l’horizon, comme dans sa pente naturelle, jusqu’à ce que le Soleil ait passé la Ligne ; et lorsqu’il est passé, elles reviennent à l’assaut, attaquent le point fixe comme auparavant. Cela dure quatorze ou quinze jours, savoir, sept jours avant que le Soleil soit parvenu à la Ligne, et sept jours après l’avoir passée : C’est ce qui donne au mois de Mars et de Septembre, les grandes et fortes marées dans les deux hémisphères du Nord et du Sud, qui enfle les eaux des Rivières, les grossit, et les fait déborder.
COLLOQUE X.
L’Ami. Au langage que vous avez tenu dans ce manuscrit, il semble que vous soyez du sentiment de ceux qui tiennent, que le Soleil n’est chaud qu’à cause de son mouvement, qui produit la chaleur : ce ne serait pas mon opinion ; car si le Soleil n’était chaud qu’à cause de son mouvement, il s’ensuivrait que son mouvement serait le principe de la chaleur, et non pas la chaleur le principe du mouvement. Si la chaleur provenait du mouvement du Soleil, la Lune qui a un mouvement aussi rapide à proportion, et qui est beaucoup plus près de la terre, nous échaufferait ainsi que le Soleil : Au contraire, nous savons, que plus la Lune est pure et proche de nous, plus elle nous communique de froidure ; donc la chaleur ne peut provenir du mouvement. Mais si le Soleil est chaud, c’est à cause de l’esprit de feu qui est en lui, qui l’échauffé et l’anime, et nous sentons sa chaleur, tempérée ou violente, suivant qu’il s’éloigne ou s’approche de nous.
L’Auteur. Si la chaleur que nous sentons dans cette basse région, procédait du centre du Soleil, suivant l’opinion commune, elle dominerait les autres qualités qui sont en lui, les corromprait, et le composé se détruirait ainsi que les composés naturels, dans lesquels une des qualités élémentaires prédomine, et ne serait pas éternel. Le Soleil est un composé de qualités égales comme l’or, dans lequel aucune qualité ne prédomine ; et la chaleur qu’il nous communique, procède de son influence ; il ne donne son influence, qu’au moyen de son mouvement, ainsi que tout mâle jette la sienne, par son mouvement naturel, ou violent ; naturel, lors qu’intérieurement, par de certaines images qui passent en dormant par la mémoire, réveillent les esprits, les échauffent, et les animent par l’affinité naturelle qu’il y a entre ces facultés. Ces esprits échauffent les vaisseaux spermatiques : ils se dilatent, ils s’ouvrent, et la semence qui est la vraie influence s’échappe. La violente, lors que le mâle se conjoint à la femelle ; par ce mouvement il jette sa semence dans la matrice, qui la retient et conçoit. De même le Soleil, au moyen de son mouvement s’échauffe, verse son influence sur la terre ; qui contient les matrices des choses, qui la retiennent et conçoivent : Et si nous sentons sa chaleur plus forte dans un temps que dans un autre, cela vient de ce que ses rayons, qui sont proprement la source de son influence, de sa semence, et de sa lumière, nous regardent obliquement ou perpendiculairement. S’ils nous regardent perpendiculairement, les atomes ou corpuscules de son influence sont réfléchis, et nous échauffent : Si obliquement, ne trouvant rien qui les arrête, et qui les réfléchisse, passent outre, et ne nous échauffent point. Ainsi je crois que ceux qui tiennent que la chaleur procède du mouvement, sont fondés en meilleure raison, et je suis de leur sentiment. Voici le sixième Mouvement.
CHAPITRE XI.
Du sixième Mouvement de la Mer.
Le sixième Mouvement est double comme le précédent : II consiste en une grande marée, qui se fait vers les mois de Décembre et de Janvier, et dans un grand descendant qui se fait dans les mois de Juin et de Juillet.
Ni l’un ni l’autre de ces deux Mouvements n’ont point leur cause au centre, ni leur être certain. Leur cause est casuelle, et dépend de la diversité des aspects et influences des Astres : qui causent les vents, les pluies, les neiges, et les orages, la sécheresse ou le calme, et n’arrivent que par accident : Car l’extraordinaire hauteur de la Mer, qui arrive aux mois de Décembre et de Janvier, qui est le temps auquel les pluies et les neiges abondent le plus, n’est pas générale. Elle n’est que dans les rivières de la partie du Nord ; elle procède ou des influences des Astres, qui excitent extraordinairement les souffles de nos Signes centriques, qui font monter la Mer par leurs vents excessifs dans les rivières plus haut que de coutume, repoussent les eaux qui en descendent, les enflent en sorte que bien souvent elles sortent de leur lit, et ravagent les campagnes ; ou de la grande abondance des neiges qui sont sur la terre dans cette saison, qui fondent précipitamment ; en sorte que les ruisseaux coulent en abondance dans les rivières, les grossissent, les élèvent, et les font déborder ; ou par des pluies continuelles qui grossissent les ruisseaux et les rivières. Mais celui-ci est de fort peu de durée, parce que les eaux des pluies coulent incessamment, à mesure qu’elles tombent : Mais tous ces flux sont casuels, et n’ont point leur cause certaine.
Le second Mouvement procède des aspects et des influences des Astres, qui font sortir de nos Signes centriques des vents chauds et secs ; joint la chaleur du Soleil, qui est véhémente en cette saison, qui conspirent également à exhaler les eaux des ruisseaux, les dessèchent, ne coulent plus, et les rivières ne sont plus si grosses. Cela fait que la Mer s’étant retirée à la fin du descendant, les eaux se trouvent extraordinairement basses. Le semblable se fait de ces deux Mouvements dans la partie du Sud, savoir, le flux ou montant lors que nous avons l’Eté, et que les eaux sont basses ; et la basse mer lors que nous avons l’Hiver, et que les eaux sont hautes. Il y a plusieurs raisons naturelles, que je retranche pour ne point ennuyer le Lecteur.
COLLOQUE XI.
L’Auteur. Voilà, Monsieur, ce qui concerne la cause du flux et reflux de la Mer, de ses Mouvements, et du Point fixe. Il ne reste plus que la relation d’une Histoire d’un voyage abrégé des Indes, et de la quadrature du Cercle fort curieux, qui me fut faite il y a quelques années par un Gentilhomme que je rencontrai en Italie ; par laquelle il est montré qu’on peut faire ce voyage en neuf mois, au lieu de trois années qu’on y emploie ordinairement. Bien que je l’estime fabuleuse, par ses circonstances, je l’ai joint néanmoins à ce petit Traité, à la persuasion d’un de mes Amis, bon Physicien, à qui je l’ai communiqué ; lequel m’a assuré que c’était plutôt un mystère important qu’un véritable voyage. Ne me blâmez pas si vous y trouvez des choses qui répugnent au bon sens et à la raison ; je n’en suis ni l’Auteur ni l’Interprète : J’en fais seulement un rapport sincère, ainsi qu’on me l’a fait. S’il est vrai qu’il contienne quelque secret utile à l’homme ; je souhaite de tout mon cœur que les honnêtes Gens en profitent, pour la gloire de Dieu, et le salut de leur âme.
L’Ami. Je me souviens d’avoir autrefois ouï dire que des gens avaient fait de semblables voyages ; mais je n’en ai jamais vu, et j’ai examiné plusieurs Auteurs qui ont écrit du long cours, sans y avoir trouvé aucune chose qui en approche : au contraire, j’ai reconnu en tous de grands soins, de grandes fatigues, et une infinité de périls presque inévitables ; si par le moyen de cette Histoire nous en pouvons avoir la clef, et de la quadrature du Cercle, que personne n’a encore trouvée, le public, et moi particulièrement, vous en serons très obligés.
L’Auteur. Le voici, écoutez.
SECONDE PARTIE.
Voyage abrégé des Indes Orientales, et la quadrature du Cercle.
L’Auteur.
Il y a quelques années que me trouvant à Venise, et voulant retourner en France, je m’embarquais pour venir à Padoue. Etant entré dans la barque, je fus assez heureux de prendre place auprès d’un Gentilhomme des plus honnêtes et des plus généreux qu’on se pût imaginer ; comme vous verrez dans la suite : ce qui m’obligea, après un discours général et indifférent, de lier une conversation particulière avec lui ; dans laquelle étant tombés par hasard sur la cause du flux et reflux de la Mer, et du Point fixe ; et lui ayant dit les remarques particulières que j’en avais faites, et mon sentiment. Cette pensée n’est pas à rejeter (me dit-il) la manière dont vous l’établissez, et les raisons dont vous vous servez pour l’appuyer, jointes à l’expérience que vous en avez, méritent d’être mises au jour. Si vous avez ce dessein, et que vous souhaitiez grossir votre Ouvrage d’un voyage nouveau des Indes, qui conviendra fort au sujet, pour être plus court et plus utile que celui que l’on fait d’ordinaire, je vous en ferai la description pour l’avoir fait avec un de mes amis. Vous me faites trop de grâce (Monsieur, répartis-je) je l’accepte, à la charge qu’il en fera la plus belle et principale partie. Il y a du plaisir à vous obliger, répliqua-t-il ; car vous êtes extrêmement reconnaissant, et rendez avec usure les choses que l’on vous prête. Je ne fais pas si grand cas de ce que je veux vous apprendre, que je ne le mette au dessous de vous : Mais il suffit que vous me témoignez le désirer, pour vous le communiquer avec plaisir. En voici l’Histoire.
Un homme se disant mon parent, et mon ami, me prit un jour en particulier, et me tint ce langage. Vous étiez encore dans le berceau, que je conçus une tendre amitié pour vous ; laquelle s’étant augmentée par la vertu que je vous ai vu pratiquer, et les mouvements du sang, comme étant descendu d’un de mes frères, décédé il y a trois cens ans. (A ces paroles je souris, et crûs qu’il extravaguait, ou qu’il voulait rire.) Je sais que cela est comme incroyable (continua-t-il) mais la chose n’en est pas moins véritable ; et vous en pouvez avoir la preuve par les Titres de la Maison qui sont entre vos mains. Vous trouverez qu’en l’année... mes frères et moi fîmes le partage des biens que nos parents nous avaient laissés. Après qu’il fut fait, chacun prit le parti qui convint le plus à son inclination. Mes frères s’établirent dans le commerce, et la mienne m’ayant porté à voyager, je vendis à mon aîné la maison où vous demeurez, qui m’était échue en partage. Je lui en passai le contrat, et vous le trouverez parmi vos Titres. (Cette vérité me surprit, et m’obligea à l’écouter plus sérieusement, et avec plus d’attention que je n’avais fait.) Et m’en ayant compté l’argent (continua-t-il) je fis mon équipage, et partis quelques jours après. J’ai demeuré près de deux cens ans à me promener de tous cotés : J’ai eu plusieurs aventures ; mais une sur toutes, par le moyen de laquelle je me suis toujours entretenu dans une parfaite santé, comme vous voyez. Enfin ; ma curiosité s’étant lassée, et n’ayant plus d’objet, étant retourné dans ma patrie, je n’ai trouvé que des visages nouveaux. Tous ceux que je connaissais, et qui me pouvaient connaître n’y étant plus. Depuis j’y ai vécu en personne privée, sans me faire connaître. J’ai pris un soin singulier de me faire instruire de la Famille, particulièrement de celle de mon frère aîné, duquel vous êtes directement descendu, à dessein de la servir dans l’occasion, s’il m’était possible. Et vous ayant reconnu pour le plus sage et accompli de vos parents, J’ai cru que vous méritiez que je vous fîsse part de ma bonne fortune. Elle n’est point sujette à la vicissitude et révolution des temps, ni au caprice de la Fortune, qui renverse bien souvent les Familles les mieux établies : elle dépend seulement de la liberté. C’est une navigation, par le moyen de laquelle vous pourrez aller aux Indes Orientales, et en revenir en peu de mois, au lieu de trois années qu’on y emploie ordinairement, en rapporter des trésors immenses et précieux ; parce que le lieu que je vous enseignerai est inconnu aux simples navigateurs.
Ce voyage se fait sans peine, sans péril, et la dépense qu’il y convient faire est assez médiocre : II y a seulement des temps à prendre, et quelques circonstances à observer. Comme vous pourriez y manquer, j’ai résolu d’en faire le voyage, pour vous le montrer, si vous êtes dans ce sentiment, disposez vos affaires, et soyez prêt à vous embarquer lorsque je vous le dirai. Je le ferai avec joie, répartis-je, et serai toujours prêt lors que vous le ferez. Pensez-y donc, répliquais-je. Et m’ayant quitté s’en alla sur le Port, choisit et fréta deux navires, les fit équiper, et munir de toutes choses nécessaires. Quelques jours après m’étant venu dire que tout était prêt, nous nous embarquâmes dans un, et donna ordre à celui qui avait la conduite de l’autre, destiné pour apporter les victuailles, de nous suivre.
Nous fîmes voile le quinzième du mois de Mars, et prîmes la route des Iles Fortunées, autrement dit les Canaries. Nous y arrivâmes le premier jour du mois d’Avril, sans aucune aventure remarquable. Après avoir mouillé l’ancre, nous descendîmes à terre, et nous fîmes conduire dans la meilleure Hôtellerie.
Au bout de trois jours, que la fatigue de la Mer se fut un peu dissipée, mon parent me proposa de nous aller promener dans l’Ile, voulant me faire voir, disait-il, des choses plaisantes, et contraires au sentiment de bien des gens, qui croient connaître les secrets de la Nature, et qui les ignorent.
Lui ayant témoigné que je n’avais de volonté que la sienne, nous sortîmes sur l’heure, et prîmes le chemin droit à une montagne qui était devant nous. Comme nous marchions, devisant de choses indifférentes : m’arrêtant par le bras ; Voyez-vous cette montagne (me dit-il) me la montrant du doigt ; peu de gens savent ce qu’elle contient, non pas même ceux du pays, et qui en sont voisins. Et à même temps, voulant passer outre, je l’arrête à mon tour, et lui dis ; C’est ne me rien dire si vous n’achevez. Vous le saurez tantôt, repartit-il : Continuons seulement notre chemin.
Lorsque nous fûmes arrivez au pied de cette montagne, il me montra une infinité de petits animaux, qui ressemblaient à des fourmis volantes ; lesquelles entraient et sortaient confusément d’une caverne, qui était au pied de la montagne. Il y en avait de noirs et hideux : il y en avait de si polis, que l’éclat du Soleil les faisait reluire comme des Iris. Quelques-uns paraissaient doux et bénins, et d’autres furieux et affreux. Comme je les considérais attentivement, et que je cherchais dans mon imagination la cause de ces objets, celle de leurs figures, et de leurs divers mouvements. S’approchant de moi, Je vois bien, me dit-il, que vous êtes en peine de trouver l’origine de ces animaux : n’y rêvez plus ; ce sont les esprits des vents, revêtus des corps élémentaires. qui se jouent, et qui attendent le commandement de se mettre en campagne. Vous me surprenez, répartis-je, de dire que ce sont des esprits : ne savons-nous pas que les esprits sont invisibles ? que s’ils prennent des corps, c’est par permission divine, ou pour nous signifier de sa part des choses que notre entendement ne peut, ou ne veut concevoir ; que cette transformation se fait toujours en la présence des hommes, à qui Dieu veut que ces choses soient révélées ? Où est la nécessité que ces esprits prennent des corps dans un lieu désert et inaccessible comme celui-ci, puisqu’ils n’y peuvent produire la cause de leur transformation ? Vous et moi en sommes la cause, répliqua-t-il, et Dieu permet qu’ils se manifestent à nous, pour des raisons qui nous sont inconnues.
Ce sont ces esprits qui conduisent dans cette région élémentaire, les vapeurs et les exhalaisons desquelles se forment les nuages, les vents, les pluies, les foudres et les orages, que les influences des Astres, qui tombent au centre de l’Univers (et qui en sont rejetées) font lever de la terre. Nous devons attendre en ce lieu les vents qui nous sont nécessaires (en partie) : Car tous ceux qui aspirent à ce voyage sont obligez, avant de mettre en pleine Mer, de reconnaître cette terre ; autrement ils flotteraient sur l’Océan comme un vaisseau sans gouvernail, et sans Pilote, et n’arriveraient jamais à bon port.
Il me montra plusieurs autres curiosités, que j’ai imprimées dans ma mémoire, pour m’en faire un entretien secret dans mes heures de retraites. Le jour commençant à se retirer, et la nuit à s’approcher, nous reprîmes le chemin de notre Hôtellerie. Lorsque nous y fûmes arrivés, il me pria de le laisser seul un peu de temps ; (car il faisait souvent de petites retraites, dans lesquelles il était bien aise de n’être point interrompu). J’en fus ravi, parce que je voulais méditer sur les choses que j’avais vues, et les écrire, crainte d’en perdre le souvenir. Il se retira d’un côté, et moi de l’autre. Quelque temps après, nous étant venu dire que le souper était prêt, nous y allâmes. Comme il y avait Compagnie, nous ne parlâmes que de choses générales et indifférentes. Le souper fini, chacun se retira dans sa chambre. J’avoue qu’il me fut impossible de dormir, parce que j’eus toute la nuit dans la tête ce que j’avais vu le jour. A peine l’Aurore commençait-elle à poindre, que je me levai, et m’en allai dans sa chambre lui donner le bonjour ; et lui ayant demandé s’il avait bien dormi, mieux que vous, me dit-il ; car je me persuade que toute la nuit vous avez rêvé à ce que vous vîtes hier, qui vous en aura empêché. Vous dites vrai, répartis-je ; quelque chose que j’aie pu faire pour en éloigner le souvenir, il m’a été impossible, et j’ai attendu le jour avec une extrême impatience. J’y ai pris néanmoins un singulier plaisir, et il faut, s’il vous plaît, que nous y retournions tantôt ; car je serai bien aise de le revoir encore. Je le veux bien, repartit-il, mais il ne se faut pas si fort arrêter à une chose, qu’elle nous en fasse négliger d’autres, de quelles nous avons pareillement affaire.
Après avoir déjeuné, nous prîmes le chemin de notre montagne : mais soit qu’il le manquât à dessein, ou sans y penser, au lieu de prendre le sentier qui nous y conduisait, nous en prîmes un qui allait à la prairie qui était au bas. Cette prairie était bordée d’un nombre infini de Cannes dont on fait le sucre, et entourée de coteaux touffus de Grenadiers et Citronniers, d’où découlaient plusieurs ruisseaux, qui faisaient un doux et agréable murmure. Comme il vit que je considérais avec attention cet aspect : Arrêtons-nous un peu ici, me dit-il, et admirons le plaisir que la Nature a pris en le faisant.
A peine fûmes-nous assis, qu’un vieillard, d’une façon grave et majestueuse nous vint aborder, et nous ayant salués, nous dit de bonne grâce : Je connais, Messieurs, à votre façon que vous êtes Etrangers, et que la curiosité de voir le pays, vous a conduit ici. Cette raison m’oblige de vous prier d’entrer chez moi, pour vous rafraîchir un moment. Nous le remerciâmes, et fîmes ce que nous pûmes pour nous en dispenser : mais ses instances furent si pressantes, qu’il fallut enfin lui accorder. Et bien, Monsieur, lui dis-je, puisqu’il vous plaît que nous entrions chez vous, prenez la peine de nous montrer le chemin, et nous vous suivrons. A même temps il prit le devant, entra chez lui, et nous le suivîmes. Soyez les bien venus, nous dit-il : Si vous n’êtes pas traités comme vous le méritez, ma mauvaise fortune en sera la cause. Il commanda qu’on apprêtât la collation.
Pendant que les apprêts se faisaient, nous entrâmes dans une salle dont la vue s’étendait sur des Jardinages capables de divertir les plus mélancoliques ; tant par la diversité de leurs compartiments, que par celle des arbres et des fleurs dont ils étaient remplis. De là nous passâmes dans une galerie à perte de vue ; les fenêtres de laquelle répondaient d’un côté sur d’autres jardins où étaient plusieurs grottes, cascades, et palissades d’eau ; et de l’autre côté, sur la prairie que nous avions déjà vue. Cette galerie était entièrement lambrissée de bois aromatique, qui la rendait d’odeur suave et douce. Ses lambris de toutes parts, représentaient en peinture haut et bas relief, toutes les Histoires saintes et profanes qui ont jamais été écrites.
Comme l’excellence de ces Ouvrages attiraient notre admiration, la curiosité d’en connaître les Auteurs m’obligea de le supplier de m’en dire le nom. Ces Ouvrages que vous voyez (me dit-il) ; ce Palais et son enceinte ont été faits par la Nature, et n’est pas possible aux hommes d’en faire de semblables.
Comme je voulais entrer en matière, et raisonner sur la possibilité et impossibilité de la Nature ; l’on nous vint dire que la collation était sur la table. Incontinent, nous ayant pris par la main ; Allons, Messieurs, allons nous rafraîchir (nous dit-il) je suis fâché du peu de diligence de mes gens : il faudra regagner le temps qu’ils nous ont fait perdre, à demeurer à table demie heure plus que nous n’aurions fait. Il marcha le premier, et nous le suivîmes. Ayant passé de chambre en chambre, d’appartement en appartement, nous arrivâmes enfin à la salle où la collation nous attendait. La diversité des objets que j’avais vus, et leur rareté se représentant incessamment à mon imagination, me suggérait que c’était un enchantement semblable aux Palais des Fées de l’Antiquité, d’où je ne sortirais jamais, me donnait une extrême inquiétude. Je ne vous en ferai pas la peinture, parce que le temps nous presse, et que je crains de n’en avoir pas assez pour vous dire des choses plus importantes et nécessaires : Mais figurez-vous tout ce que l’esprit humain a jamais inventé pour enrichir le Palais d’un grand Prince, soit en architecture régulière, sculpture, haut et bas reliefs, peinture, miniature, tapisseries, meubles d’or et d’argent : Cela n’est rien en comparaison.
Ayant lavé les mains, il nous fit seoir mon parent et moi d’un côté, et se mit de l’autre. Et bien qu’il eût des Officiers en nombre, qui se tenaient toujours devant lui dans un profond respect, et attendaient ses commandements, il voulut néanmoins lui-même nous servir des viandes qui étaient sur la table, nous pressant incessamment de manger, par cent paroles obligeantes :
Ce qui était inutile ; car les viandes étaient si délicates, et si bien apprêtées, qu’elles nous conviaient d’elles-mêmes.
Après être sortis de table, l’ayant remercié de sa bonne chère, nous voulûmes prendre congé de lui, et nous en retourner. Où voulez-vous aller (dit-il) il est presque nuit ; les chemins de ce lieu sont des plus difficiles, et fort peu de gens les savent : Vous ne sauriez arriver de jour à votre logis, sans hasard de vous perdre : II faut coucher ici. Ce serait trop vous incommoder, Monsieur (répartis-je). Nullement, (répliqua-t’il) et je ne vois point de cause qui pût vous dispenser de me faire ce plaisir, que la mauvaise chère que vous avez faite. Que dîtes-vous, Monsieur (répartis-je) : toute la terre ne saurait faire un meilleur régal que celui que nous venons de faire : Et il y a d’autant plus de quoi l’admirer et s’en étonner, que c’est dans un lieu champêtre et inaccessible, éloigné de toute commodité de vivres et de commerce, et serait très mal à vous de dire autrement, et payer un bienfait par une ingratitude. S’il est ainsi (dit-il) vous ne devez pas hésiter à m’accorder la prière que je vous fais. Si vous prenez nos importunités pour des offices (répartis-je) et que vous souhaitiez que nous les continuions, pour vous obliger nous y consentons pour autant qu’il vous plaira. Vous ne pouvez m’obliger plus sensiblement (répliqua-t-il), et peut-être que vous n’en serez pas marris : Allons faire un tour de promenade, pendant que le souper s’apprêtera.
Nous demeurâmes dans ce Palais quatre jours à considérer incessamment choses nouvelles. Au dernier, après avoir vu ses Parterres, ses Jardinages, ses Fontaines, ses Grottes et ses Cascades, et un nombre infini de figures entremêlées, auxquelles il ne manquait que la parole : Nous étant trouvés au bout d’une allée du Parc, et un peu fatigués de la promenade ; poussant sa bonne humeur plus qu’il n’avait fait : Vous ne me connaissez pas (nous dit-il) et ne savez qui je suis : je veux vous l’apprendre, mais auparavant asseyons-nous. Etant entrés dans un Cabinet qui était au bout de l’allée, et chacun s’étant assis à sa commodité, il commença en cette sorte.
Je suis persuadé que vous avez souvent entendu parler des Pygmées sans les connaître ; j’en suis le Roi. A ce mot nous étant levés pour lui faire des excuses si nous ne lui avions pas porté le respect que nous lui devions, faute d’avoir l’honneur de le connaître, et voulant nous tenir debout. Point de façon, je vous prie (nous dit-il) je suis un homme comme vous ; reprenez vos places, si vous voulez m’obliger. (Nous le ferons, répartis-je, puisque votre Majesté nous le commande) : Qui a eu une puissance souveraine sur toute la terre (reprit-il) et maintenant réduit dans cette misérable caverne. J’avais choisi pour mon séjour cette Ile, comme la principale clef de mes Etats Indiens, et comme un climat tempéré, abondant en miel, en sucre, en fruits et en toutes les douceurs de la vie.
J’ai vécu dans cette félicité, depuis le commencement du monde, jusqu’au temps que l’avidité des hommes les a armés contre eux-mêmes, qu’ils ont cherché à s’agrandir et faire des progrès les uns sur les autres ; qu’ils ont trouvé l’invention des Vaisseaux, et l’art diabolique de la poudre et du canon ; qu’ils ont porté leurs armes dans mes Indes, se sont emparés des mines d’or et d’argent, et ont subjugué mes Royaumes ; poussés par une avidité insatiable, ils sont venus dans cette Ile, où je tenais ma Cour ; m’ont déclaré la guerre, ont défait mes Armées, et m’ont réduit à me sauver de nuit dans cette caverne, qui leur est inconnue, où je me tiens secrètement avec le peu de gens qui me restent ; ils nous ont fait passer pour des Barbares, et pour faire la guerre aux grues. Il est vrai, depuis que les Amazones ont aussi été subjuguées, qui étaient auparavant un Peuple contre lequel nous étions toujours en guerre, pour nous entretenir dans l’exercice des armes, fuir l’oisiveté, et attendre une meilleure fortune ; nous avons fait la guerre à ces animaux ; nous nous sommes repus de leur chair et de leur sang, comme d’un mets délicieux, et avons fait nos couchettes les plus molles et délicates de leurs dépouilles. Nous leur faisons encore la guerre, mais avec tant de circonspection, qu’ils ne s’en aperçoivent point, car s’ils le savaient, ils nous dresseraient des embûches, nous surprendraient, enlèveraient les trésors qui nous restent, et nous feraient leurs esclaves. Je veux bien qu’on sache que nous n’avons rien de barbare que le nom ; que nous avons parmi nous la courtoisie, la cordialité, la sincérité, et la justice, comme les autres Nations : Que nous possédons dans toute leur pureté, l’Astrologie, la Musique, la Médecine, toutes les Langues, et les principes des Arts libéraux. Ils n’ont jamais parlé de nous aux Nations qui auraient pu prendre nos intérêts, et nous venger de leur injustice, que par paraboles, énigmes, fables, ou figures : Ils ne leur ont jamais dit nettement qui nous étions. Votre Majesté sait donc l’Astrologie (dis-je l’interrompant) : parfaitement, répliqua-t-il ; si je n’appréhendais de lui déplaire, je lui demanderais la grâce de me dire ce qui me réussira du voyage que j’ai entrepris ; m’ayant répondu qu’il ne fallait pour cela que la Géomancie, il marqua à même temps sur la poussière, avec une baguette qu’il avait à la main, plusieurs petits ronds rangés bizarrement ; et après les avoir médités, voici des choses bien extraordinaires, dit-il, je vous prie, dites-moi le jour et l’heure de votre naissance, et le Pays où vous êtes né, afin que je les rectifie par l’Astrologie.
Lui ayant dit, il traça sur la poussière d’un autre côté avec la même baguette, quelques lignes quadrangulaires, et des caractères que je ne connaissais point ; et marmottant je ne sais quoi entre ses dents, s’écria tout d’un coup, qu’est-ce que je vois ? est-ce un rêve, ou une vérité ? Je vois, Monsieur, que le Ciel vous prépare une des plus hautes fortunes : Vous devez être un jour Roi de sept Royaumes, et en posséder les trésors. Mais ce qui me surprend le plus, est que vous y êtes conduit par un homme le plus savant du monde, qui les méprise : je ne dois plus vous regarder comme vassal, mais comme frère. Ce discours m’ayant donné de la pudeur, l’interrompant : Jusqu’à ce jour, dis-je, j’avais ajouté quelque créance à l’Astrologie, pour certains pronostics, qu’un de mes amis qui s’y connaît avait faits, et qui s’étaient heureusement rencontrés véritables : mais ce que votre Majesté vient de me dire m’en désabuse, et me persuade, que ce n’est que bagatelle, qu’elle n’a que des principes incertains, et mal établis, et qu’elle se rit agréablement de moi : Mais afin qu’elle en ait plus de sujet, je la supplie de me dire, comme elle s’est conservée depuis le commencement du monde, et que tant d’autres hommes qui sont venus depuis, soient morts.
Je n’ai rien dit qui ne soit véritable, et que je ne soutienne par de bons principes, répliqua-t-il : mais touchant ma personne, vous saurez que les Amazones avaient un Fleuve de si grande vertu, qu’il me rajeunissait toutes les fois que je m’y pouvais baigner. Elles s’y opposaient, et c’était le sujet de notre guerre : Mais depuis qu’elles ont perdu leurs Etats, et moi les miens, je me suis renouvellé par la dépouille des jeunes grues, qui ont la même vertu que ce Fleuve. Et comme j’allais lui faire encore une question, mon parent m’ayant fait signe que c’était assez, et qu’il était temps de s’en aller ; levant le siège, nous sommes redevables à la fortune, dit-il, de nous avoir procuré l’honneur de voir votre Majesté, que nous ne connaissions à la vérité que comme une fable ; mais nous lui serions doublement obligés, si elle nous faisait naître les occasions de vous revancher par nos services, des courtoisies que nous en avons reçu. Je n’ai rien fait, répliqua-t-il, que je ne fasse tant que vous me ferez l’honneur de demeurer. Nous lui rendîmes grâces de ses civilités : Mais comme nous voulions sortir ; les Princes, dit-il, n’ont pas accoutumé de recevoir des visites des étrangers, et les laisser partir sans leur faire des présents : Ce serait de mauvaise grâce à moi, de vous laisser aller sans vous en faire ; je vous demande un moment. A même temps, étant entré dans son cabinet, qui était près du lieu où nous étions, il prit deux médailles, accompagnées chacune d’une longue chaîne d’or, et en nous les présentant, nous dit fort obligeamment, s’il fallait proportionner mes présents à votre mérite, je vous connais d’une si haute estime, que je me trouverais dans l’impuissance de vous en faire : Et bien que ceux que je vous présente soient de peu de valeur, je vous crois si honnêtes, que vous les recevrez comme s’ils étaient de plus haut prix. Ce dont je vous conjure, est de vous souvenir du malheureux Roi des Pygmées, lorsque vous verres ses armes, qui sont gravées sur ces Médailles. Nous les reçûmes respectueusement, avec protestation d’en conserver une mémoire éternelle. Après l’avoir derechef remercié, nous prîmes congé de lui ; et comme nous sortions, me tirant doucement par le bras, il me dit à l’oreille : Adieu mon libérateur, mais plutôt mon assassin, et se renferma incontinent. Comme un moment de joie recrée les esprits, et les envoie dans toutes les parties les plus éloignées, les réjouît et les anime ; de même un déplaisir sensible par un contraire effet, les glace et les éteint dans un moment ; dans cet instant je sentis l’effet de ces deux contraires.
Le premier dilatant mon cœur, en fit sortir un torrent de joie, laquelle s’étendant par tous mes nerfs et toutes mes veines, marqua le plaisir que j’avais de lui faire service : Mais le second, comme un poison mortifère, serrant mon cœur suffoqua la source des esprits vitaux ; et glaçant dans un moment le sang des veines et des artères, raidit mes nerfs, et me rendit comme paralytique.
Mon parent qui marchait toujours, s’étant aperçu que je ne le suivais pas, se retourna, et m’ayant vu comme immobile contre la porte du Palais, vint à moi, et me trouvant plus pâle qu’un trépassé, me demanda d’où procédait ce changement si subit ; d’une parole, répondis-je d’une voix languissante, que ce Prince vient de me dire, et lui ayant dit, il se prit à rire, en disant, la douleur que vous venez de ressentir est le prélude d’une joie future, et vous exécuterez un jour avec plaisir ce qu’il vient de vous dire. Ah, Monsieur, répartis-je, n’insultez pas, s’il vous plaît, à ma peine, si vous ne voulez me voir mourir sur l’heure. Vous êtes trop tendre pour un homme, répliqua-t-il, demeurons-en là, et parlons des choses qui vous soient plus agréables ; voyons quelles sont les armes.
Ayant tiré les Médailles qu’il nous avait données, et les ayant regardées, nous vîmes qu’il y avait d’un côté en pièces de rapport, artistement appliquées, trois fleurs de lis de sable en chef, et une perle façon de larme en cœur, une couronne Royale pour timbre, et deux Anges pour supports. Et de l’autre côté de la Médaille, une femme nue tenant d’une main une pomme d’or, et un flambeau allumé de l’autre, avec le même timbre, et les mêmes supports.
Et comme nous marchions devisant de notre aventure, je me souvins tout à coup de notre montagne, ce qui m’obligea de lui dire qu’il en fallait chercher le chemin. Il me répondit brusquement contre son ordinaire, il n’en est plus besoin, puis que vous en avez vu le prototype ; retournons seulement à notre Hôtellerie, le plus promptement qu’il nous sera possible, et retirons nos gens de l’inquiétude où ils sont de nous avoir perdus il y a quatre jours. Allons, dis-je, craignant de lui déplaire ; effectivement étant arrivés, nous les trouvâmes dans une consternation indicible, ne sachant ce que nous étions devenus ; nous en régalâmes une partie avec nous, et donnâmes ordre à l’Hôte de faire bonne chère au reste : Ainsi chacun tâcha de se réjouir, et de noyer son chagrin dans la joie et le divertissement. Le lendemain le vent s’étant rendu propre, nous nous embarquâmes, levant l’ancre, et fîmes voile vers les Hespérides, où nous arrivâmes le six de Mai, avec notre même fortune, nous mouillâmes l’ancre à l’île du Cap Vert ; et ayant ordonné aux Matelots de calfeutrer les Navires, et les caréner, nous descendîmes à terre. Sitôt que nous fûmes descendus, voici, me dit-il, le lieu où nous devons faire la seconde station, et prendre les eaux convenables à notre voyage. Ce lieu est aussi délectable que les Canaries ; regardez cette Prairie verdoyante, émaillée de mille fleurs, et cette Forêt sombre qui est au bout ; les Arbres chargés de fleurs, de feuilles et de fruits, renfermés de sept montagnes, d’où découlent plusieurs petits ruisseaux, qui font le murmure confus que nous entendons : Voyez ces Sirènes et ces Tritons, mêlés ensemble, qui se baignent dans ces Fontaines ; ces Nymphes le long des Bois et des Prairies, fleurer les fleurs, savourer la douceur des fruits, et se jouer à mille jeux ; tout y est tranquille et dans une profonde paix ; approchez, regardez ces eaux de diverses couleurs, et de goûts différents. M’étant avancé, je vis que toutes ces eaux, bien qu’elles fussent diverses en couleurs et en goûts, procédaient néanmoins d’une même source : que les unes étaient chaudes, douces et amères, les autres froides, aigres et salées, et d’autres tenaient le milieu ; ce qui me donna occasion de lui demander à quoi elles étaient propres.
Ces eaux sont venimeuses dans leur source, me dit-il, mais lorsqu’elles sont cuites à un certain degré, et administrées suivant l’art, elles guérissent toutes maladies chroniques et désespérées, et ont d’autres propriétés et vertus que je passe sous silence : nous avons seulement besoin de celle qu’on appelle Pelidor, qui est d’un vert naissant, comme seule nécessaire à ce voyage. A même temps ayant demandé un vaisseau, et lui ayant apporté, il en puisa avec une coupe qu’il avait et la mit dedans : Puis montant à la source par les degrés de nature, il prit du fruit d’un arbre, qui avait des racines dans la fontaine, et le mit dans le vaisseau, avec cette eau ; et l’ayant bien fermé, l’exposa aux rayons du Soleil contre un rocher qui était proche ; laissons-la purifier, dit-il, pendant que nous irons à l’île de Sel, qu’on appelle par corruption, Ile de Fer, parce qu’il y a quantité de mines de ce métal qui est près d’ici. Et ayant commandé à quelques Matelots de prendre des victuailles, et d’entrer dans une de nos chaloupes, nous nous embarquâmes, et prîmes la route de cette Ile. Lors que nous y fûmes arrivés, il commanda aux Matelots de nous attendre ; nous étant avancés vers le milieu de l’île, et en étant proche, se tournant de mon côté, il me dit, c’est ici où règne Pluton : A ce mot le frisson me prit, et faisant deux pas en arrière, et quoi, Monsieur, lui dis-je, un peu bégayant, de peur de voir quelque démon, l’enfer est-il en ce lieu. Faut-il faire des imprécations et des pactes, pour faire la navigation que nous avons entreprise ? si cela est, je vous déclare que j’y renonce, et que je n’en suis point : Non, non, me dit-il, nous ne ferons rien indigne d’un Chrétien, c’est un mystère, il est vrai, mais un mystère Religieux, que Dieu n’accorde qu’à ses amis, et à ceux qui peuvent souffrir le martyre pour son nom. En ce cas, repris-je, il n’y a rien que je ne fasse, et je serai ravi de mourir pour la gloire. Je suis bien aise de vous voir dans ces sentiments, répliqua-t-il ; mais ce n’est pas encore ici le lieu ni l’heure de votre vocation ; continuons cependant notre entreprise, avancez et ne craignez rien ; regardez cet abîme, c’est le plus profond qui soit au monde ; les Rochers caverneux et inaccessibles qui l’environnent, contiennent plusieurs pierres précieuses, semblables à celles qu’on nous apporte d’Orient, mais qui ont plus de vertu.
Plusieurs hommes en ont eu connaissance, et sont venus ici pour en prendre et faire leur fortune, quelques-uns y ont réussi, et d’autres en ont été empêchés par des Aigles et des Griffons furieux, qui en ont la garde : Si nous voulions nous en prendrions, car j’en sais le moyen ; mais comme deux Vents opposés empêchent la navigation d’un et d’autre côté, elles seraient contraires à la nôtre ; il nous faut seulement prendre un vieux sel, haut, clair, luisant et moussu, qui est aux environs ; car c’est ce sel qui tient la clef des Vents que je vous ai montré aux Iles Fortunées ; qui les commande, abrège et rend le voyage heureux : et se tournant du côté droit, me le montra dans une caverne : S’étant avancé pour le prendre, chose incroyable, ces Aigles et ces Griffons, qui auparavant rôdaient tout à l’entour, avec une fierté indicible, s’adoucirent tout à coup, lui vinrent au devant d’une façon soumise, lui becquetaient doucement les mains, comme s’ils avaient voulu exprimer qu’ils se soumettaient à son pouvoir. Il les caressa pareillement par cent paroles aimables et courtoises, comme si ces animaux eussent été raisonnables, pendant lesquelles il prit le sel qu’il souhaitait ; et l’ayant caché discrètement, les régala d’une coupe pleine d’ambroisie qu’il avait apportée ; et nous étant retirés en toute diligence dans notre chaloupe ; nous reprîmes le chemin du Cap Vert ; où étant arrivés, nous trouvâmes que nos gens avaient achevé la carène des Navires, et nous attendaient avec impatience.
Il prit le vaisseau où était l’eau de Pelidor, dont j’ai parlé, l’ayant ouvert, puisa la plus claire ; et ayant bien nettoyé le vaisseau, en remit dedans une partie, et mit ensuite le sel que nous avions apporté, ferma bien le vaisseau, le mit dans notre Navire, et ayant mis l’eau qui était restée dans un autre, le fit mettre dans le Navire destiné pour les victuailles, ordonna aux matelots de rendre ce qui était nécessaire dans cette Ile. Tout étant prêt, nous levâmes l’ancre, et la misaine seulement, à cause des orages et des tempêtes, qu’il prédit que nous devions avoir. Il fit allumer la lampe près de la boussole, fermer le tillac et toutes les portes ; commanda qu’on tînt le gouvernail, et qu’on fît porter au Sud. Peu de temps après, ayant regardé par les fenêtres de la chambre, nous aperçûmes que certaines vapeurs, qui s’élevaient de la mer, formaient des nuages qui couvraient l’air ; lesquels nous donnèrent des pluies en abondance, des vents et des orages furieux, comme il avait dit, qui durèrent quelques mois.
Au bout de quarante jours que nous eûmes levé l’ancre, étant sorti sur le tillac, avec son astrolabe, il prit ses hauteurs au pied de la croisée antarctique, qui est une constellation de quatre Etoiles qui paraissent du côté du Sud, à laquelle les Pilotes prennent leurs hauteurs lorsqu’ils sont près de la Ligne : Et ayant trouvé qu’elle était élevée de trente degrés et sur l’horizon ; il me dit que nous étions sous la Ligne Equinoxiale que l’orage durerait encore quarante jours : Tirant une lunette de longue vue qu’il avait dans sa poche, il me fit voir la mer Noire du côté du Nord, et le Cap de Bonne Espérance vers le Midi. Comme je ne pouvais comprendre comme cela se pouvait, en étant si éloignés ; il me dit que cela se faisait, parce que la mer était sphérique comme la terre ; que lorsqu’on était sous cette Ligne, l’on était au point le plus élevé du Globe ; que de ce lieu l’on voyait facilement les Pôles dans l’horizon, et qu’ayant une lunette d’une fabrique la plus fine qu’on se peut imaginer, et taillée d’une manière, qui étendait et recourbait les rayons visuels, lui faisait voir les choses les plus basses et les plus éloignées, et les représentait avec leurs couleurs et leurs dimensions naturelles.
Il commanda au Pilote de faire toujours porter au Sud, pour prendre le vent au dessus du Cap, afin de le doubler, et longer les terres au dessous de Madagascar.
Quarante jours après, comme il avait dit, étant sorti de la chambre, et monté sur le tillac, il prit derechef ses hauteurs, sur la même constellation ; et ayant reconnu qu’elle était au même degré, il me dit que nous passions la Ligne pour la seconde fois, et que les pluies et les orages cesseraient bientôt : En effet, peu de temps après, nous aperçûmes que les brouillards commençaient à s’apaiser, que l’air s’éclaircissait, et qu’un vent de Sud Ouest, plus doux que le précédent, poussait notre vaisseau. Prenant sa lunette, et me faisant voir la mer Blanche, qui se découvrait peu à peu, il dit tout haut, nous sommes hors de tout danger, hissons la grande voile, et qu’on fasse porter vers l’Orient. A dire vrai, nous n’eûmes plus de peine, et notre chagrin cessa ; le Ciel s’éclaircit, la mer se calma, et l’air et la mer, qui avaient été longtemps agités par les vents et les orages, prirent un tempérament tranquille, et nous commençâmes à goûter le plaisir de la navigation. Ayant cinglé vers la mer Arabique, nous entrâmes en peu de temps dans une mer azurée, et ensuite d’un vent Oriental, dans la mer Rouge. Nous tirâmes droit à un Canal qu’il nous montra, qui conduit dans les terres du Royaume d’Adam qu’on appelle Aden par corruption, entre la Ville qui en porte le nom, et celle de Zibith, aussi capitale du royaume de Zibith, qui borde la mer Rouge. Ensuite d’un vent de Sud, toutes les voiles hautes, nous entrâmes dans ce Canal, et puis dans un petit Golfe, entouré de hautes Montagnes, plein d’eau d’un rouge brun, ou violet foncé : c’est ce que nous appelions mer de pourpre, me dit-il, tant souhaitée des hommes doctes ; néanmoins autant inconnue aux Scolastiques, que la source du Nil, qu’on fait descendre des Montagnes de la Lune. C’est ici la terre de laquelle Adam, le premier homme, a été créé, et le lieu où sont conduites, par la divine Providence, les choses les plus précieuses qui naissent aux Indes Orientales, et celles qui viennent du Paradis Terrestre, par les quatre Fleuves qui en descendent. Il était nécessaire de vous en montrer le chemin, et de vous y conduire, car son entrée est si difficile, et son réduit si petit, que vous n’y seriez jamais parvenu sans naufrage.
Ayant amené et mouillé l’ancre, et ordonné aux Matelots, qu’une partie s’employât à calfeutrer les Navires, et les caréner, et l’autre à recueillir le long de la mer et des côtes, de quoi les charger, il me prit par la main, et me dit d’une tendresse paternelle, et vous, mon fils, venez avec moi faire un autre travail. Vous savez déjà, que pour venir en ce lieu, il a fallu par le moyen de l’Art, forcer la nature de nous fournir les vents qui nous étaient nécessaires ; il en faut faire de même pour retourner ; c’est un mystère qui ne doit pas être ignoré, autrement nous ne sortirions jamais de ce havre, et toutes nos peines seraient inutiles. Achevons donc notre ouvrage, rectifions la matière qui est dans notre vaisseau, tant que nous y voyons par avance, les vents qui nous sont propres, et les aventures qui nous doivent arriver dans notre retour.
Il prit le vaisseau qui était dans notre Navire, le porta à terre, et l’ouvrit, et ayant tiré le sel qui était dedans, qu’il trouva changé de sa première forme, le mit dans un autre, versa dessus de l’eau de Pelidor, le ferma, et le mit à la grande chaleur du Soleil ; et m’ayant commandé de me tenir auprès, et d’observer ce qui se passerait, il s’en alla. A peine m’eut-il quitté, que je vis certaines vapeurs s’élever du fond ; qui formaient des petits nuages qui se résolvaient en pluie à mesure qu’ils s’élevaient ; laquelle tombant en bas, fit une obscurité. Après cette obscurité, parut un jour clair et serein, qui me fit voir une terre légère, couverte d’un vert naissant, chargée de fruits d’un jaune pâle, le Ciel d’un bleu céleste, avec un Aurore éclatant, suivi d’un Soleil enflammé : J’étais si attentif à considérer ces merveilles, qu’on m’aurait pris pour un extasié ; et j’y aurais sans doute passé la nuit, s’il ne m’était venu dire qu’il était temps de souper. Je m’en retirais avec peine, mais il fallait obéir. M’ayant demandé ce qui s’était passé pendant son absence, je lui en fis la relation, et lui marquai toutes les circonstances que j’avais exactement observées. J’en suis bien aise, dit-il, les couleurs que vous avez vu, sont celles des mers sur lesquelles vous commanderez un jour. C’est assez, n’en parlons plus, soupons et nous reposons, demain nous ferons des choses nouvelles.
Le lendemain étant allés vers notre Vaisseau, il l’ouvrit, et mettant sur la matière qui était dedans de la même eau, il me dit : Chaque fois que nous ferons ceci, nous abrégerons notre retour de la moitié du temps que nous avons employé pour venir : il nous le faut réitérer si souvent, que notre retour se fasse à Danzig avec une telle vitesse, qu’il passe plutôt pour un songe, ou une rêverie, que pour une vérité : ce qui arrivera à la septième fois. Mais afin que nos gens ne s’aperçoivent pas de notre Art, et que nous le puissions réduire en pratique sans qu’ils en aient connaissance, lorsque nous partirons d’ici, après avoir levé l’ancre et mis à la voile, vous leur ferez prendre à chacun un gobelet d’un breuvage que je vous donnerai, qui les assoupira de telle sorte, qu’ils ne s’éveilleront qu’à la rade. Vous veillerez seul avec moi, parce qu’il vous faut prendre de l’eau de toutes les Mers, sur lesquelles nous passerons, et la mettre dans des vaisseaux chacune séparément, pour en faire ce que je vous dirai dans la suite.
Notre ouvrage étant achevé, nous portâmes notre vaisseau dans le Navire, et allâmes le long de la côte aider nos gens à recueillir la charge de nos Vaisseaux.
Les Matelots n’eurent pas sitôt achevé la carène des Navires, que la charge en fut prête, nous les fîmes lester de mines d’or et d’argent, que nos gens avaient trouvé au pied de deux petites montagnes, et achever de remplir de bois de Brésil, de Cannelle, de Girofle, de Muscade, d’Encens, d’Aloès, de Myrrhe, d’Ambre, de Manne, de Coton, de Lin, de quelques Perles, de Pierres fines, de Nard, et d’un Baume précieux.
L’embarquement étant fait, il me dit ; avant de partir il faut aller rendre grâces à Dieu à un Temple qu’il y a sur cette Montagne (qui est une de celles qui sont le long de la côte où nous étions) et consulter un saint Homme qui le garde. Allons quand il vous plaira, lui dis-je. Nous étant mis en chemin sur l’heure, nous n’arrêtâmes point que nous n’y fussions arrivés. Etant là je croyais trouver un Temple à la façon des nôtres, et un homme sociable, avec lequel je pus raisonner, et m’instruire de quelques particularités du pays que j’avais en pensée. Je trouvai que ce Temple était fait en Dôme, comme la Rotonde de Rome. Il n’y avait pour y entrer qu’une porte qui était d’airain, et posée du côté du Soleil levant. Etant entrés, je vis que l’Autel était posé au milieu du Temple, soutenu de quatre piliers de différentes qualités, quoi qu’ils fussent d’une même matière.
Ces piliers étaient en l’air ainsi que l’Autel, soutenus d’un lien invisible. Autour de l’Autel, par le haut, le bas et les cotés étaient sept lampes ardentes, qui éclairaient à l’Autel, soutenues aussi par un lien invisible. Les murailles du Temple étaient azurées, et parsemées d’étoiles brillantes comme celles du Firmament. Le Gardien de ce Temple était assis sur l’Autel, comme sur un Trône, vêtu d’une Tunique tirant sur un rouge-brun. Il rayonnait de toutes parts comme un Soleil, et avait un livre ouvert devant lui. Autour du Temple il y avait douze fenêtres, et à chacune fenêtre une figure si artistement travaillée, que je suis encore en doute si ce sont des corps animés, ou des figures : car elles ouvraient la bouche, roulaient les yeux, joignaient les mains, et se mouvaient comme des créatures vivantes. Directement au dessous il y avait douze niches, dans lesquelles il y avait aussi en chacune une figure plus blanche que l’Albâtre, qui avaient les yeux enflammés comme des Colombes, et jetaient du lait par les mamelles. Au dessous des niches (tout autour du Temple par le dedans), il y avait un gazon herbu, élevé en manière de Perron : Sur le Perron il y avait des Agneaux par petits troupeaux qui paissaient vis-à-vis des figures.
Un autre homme que celui qui était sur l’Autel, prenait les Agneaux, et les égorgeait l’un après l’autre, mettait leur sang dans des vases ; et ayant divisé en deux les toisons des Agneaux qu’il avait égorgés, en faisait baiser une partie à la figure de la fenêtre, et l’autre à la figure de la niche, vis-à-vis desquelles les Agneaux avaient été pris ; et les attachait à une colonne qui était au pied du Perron : et après les y avoir laissés quelque temps, mettait chaque partie dans un vase, arrosait de sang celle qu’il avait fait baiser à la figure de la fenêtre, et de lait celle qu’il avoir fait baiser à celle de la niche, et mettait les vases sur un petit piédestal qui était vis-à-vis des figures. Au dessous du piédestal il y avait une petite lumière qui brûlait incessamment, et qui consommait le Sacrifice. Lorsque cet homme avait achevé son expédition en un endroit, il en allait faire autant à un autre : Mais ce qui me surprit davantage, fut de voir que dans ces gazons il y naissait successivement d’autres Agneaux à la même place où ceux qui avaient été égorgés avaient été pris : que cet homme n’avait pas sitôt fait le tour du Temple, qu’il n’achevait que dans un an, à ce que me dit mon parent, que les Agneaux du premier lieu se trouvaient aussi forts qu’étaient ceux qu’il avait égorgés l’année précédente. Il recommençait et continuait toujours sans intermission cet exercice. Ma curiosité m’ayant porté de demander à cet homme à quelle fin il sacrifiait ces Agneaux, n’ayant pas répondu, et voulant redoubler, croyant qu’il n’avait pas entendu, mon parent me frappant sur l’épaule, me dit à l’oreille, Cet homme est muet et sourd : nous sommes dans le Temple du Silence, dédié à la Mémoire : il faut seulement regarder, considérer avec jugement, se souvenir et se taire.
Les figures des niches avaient les yeux élevés vers celles qui étaient au dessus, et semblait qu’elles leur offraient en sacrifice ces victimes, ou les priaient d’en avoir pitié. Celles des fenêtres avaient le visage et les yeux tournés du côté du saint Homme ; et le mouvement de leurs yeux, de leurs lèvres, et de leurs mains, ne semblaient se faire que pour le louer, ou requérir quelque chose de lui.
Toutes ces figures avaient leurs titres à leur piédestal en lettres Hébraïques : Et tout autour du Temple était aussi écrit en mêmes caractères d’or, d’une grandeur démesurée ces paroles, per ignem et aquam totum fecit : Mon parent, qui n’ignorait point ces mystères, après avoir fait sa prière, s’adressa au Saint Homme qui était à l’Autel, et lui parla en cette sorte.
Saint Homme, qui êtes en vénération parmi les Anges et les Hommes, et en ce lieu l’Interprète des Oracles du Dieu tout-puissant : Je vous supplie très humblement, de lui présenter les vœux que je viens de faire, et m’obtenir de sa miséricorde, par vos intercessions, la rémission de mes fautes passées ; la grâce d’une parfaite pénitence, et celle d’une meilleure vie à l’advenir ; afin qu’un jour tous ensemble, nous puissions dans son Royaume lui rendre l’honneur et la gloire que nous lui devons : Et d’autant que nous sommes éloignés de notre Patrie, et sur le point de partir pour y retourner, si j’ai manqué au mystère que j’ai entrepris, je vous supplie me faire connaître ma faute, et m’inspirer les moyens d’y remédier avant notre départ : me révéler si mon parent ici présent, que j’ai instruit avec tout soin et exactitude, fera un bon usage de mes leçons, comme il promet, et que j’espère.
Ce saint Homme, qui jusqu’alors avait paru intrépide, s’éleva droit, et fit la réponse que vous allez entendre.
RÉPONSE.
Mortel, pour réponse à ta prière, le Tout-Puissant, qui est en ce lieu invisible, m’inspire de te dire ; que pour la vie exemplaire que tu mènes, il t’a rempli de grande Sapience : Pour cette raison tu n’as point failli. Que tu gardes toujours ses commandements et ses œuvres, et tu parviendras à la dernière perfection. Si ton parent suit tes préceptes, ce qui dépendra de lui, sans doute il aura la même récompense. Et pour gage certain de ces paroles, sortant de ce Temple, il te sera présenté par une main inconnue, une boîte que tu recevras, et la garderas sans l’ouvrir, jusqu’à ce que tu sois arrivé dans ton pays, que tu délivreras à ton parent.
Quand il eut achevé ces paroles, il s’assit comme auparavant, et ferma son livre, sur lequel je vis qu’il y avait pour titre en gros caractères d’or : Liber Vivi et Sapientiae. Après cette réponse, nous lui fîmes chacun une profonde révérence, et reprîmes notre chemin. Ainsi que nous marchions, étant encore près du Temple, nous aperçûmes un bras tendu, qui tenait en sa main une boîte, et qui nous la présentait. Mon parent sachant qu’elle lui était destinée, s’avança et la prit avec respect. L’ayant serrée, nous continuâmes notre chemin. Etant arrivés à nos Vaisseaux, sans rien témoigner de ce qui s’était passé, il était prêt : on lui dit qu’on n’attendait que ses ordres pour partir. Il commanda qu’on levât l’ancre, et qu’on hissât toutes les Voiles : ce qui fut fait incontinent. Le vent s’étant rendu propre, nous sortîmes du Port.
Ce fut lors qu’ayant fait apporter sur le tillac du Navire, dans lequel il avait fait entrer tous nos matelots, et attacher celui qui avait servi à porter les victuailles ; une cacque pleine de liqueur qu’il avait dans sa chambre. Tenant une coupe en main, me la donna, et me dit d’en faire boire à tous ceux qui étaient dans le Navire : en reconnaissance de la peine et du soin qu’ils avaient pris pour recueillir diligemment les marchandises, et charger les Navires. Ce qu’ayant fait, chacun fut tellement assoupi, que la plupart n’ayant pu gagner leur lit, demeurèrent surpris d’un profond sommeil, au lieu même où ils avaient bu. De sorte que je demeurai seul avec lui : Et ayant puisé de l’eau des Mers sur lesquelles nous passions, comme il m’avait recommandé, nous nous trouvâmes le lendemain à la rade de Danzig.
Avant que d’éveiller nos Matelots, dit-il, entrons dans la chambre, que je vous dise ce que vous ferez des eaux que vous avez recueillies. Etant entrés il me dit : Si celle de pourpre, qui est la première, venait à vous manquer, vous en feriez avec celle d’azur et rouge, en les exposant au Soleil.
Dans celle de pourpre, vous y sèmerez de bon blé ; à même temps se formera une terre, qui produira un froment que jamais homme n’a vu son pareil.
Dans la rouge, vous y noierez une truite mouchetée de noir et de blanc, et elle produira du poisson de la même espèce qui ne s’épuisera jamais.
Dans la verte, une pomme d’api ; elle produira un arbre immortel, chargé de feuilles et de fruits en abondance.
Dans la jaune, des pépins d’un bon Complan ; elle produira une vigne, et des raisins éternels, si vous la savez cultiver.
Dans la blanche, un gland doré : elle produira une forêt de Chênes d’une continuelle verdure, qui vous récréera dans votre solitude ; vous fournira d’ombrage contre la chaleur du Soleil, et du bois pour vous faire éviter les rigueurs de l’Hiver. Et dans la noire, vous y mettrez trois Etoiles terrestres, en disant trois fois d’une ferme foi, Domine, Domine Deus meus, et Pater meus, descende super terram, et exultabit anima mea. D’où se formera un Ciel et une terre nouvelle, qui produiront comme un nouveau Paradis terrestre, des fruits incorruptibles, qui serviront à vous féliciter dans ce monde, et à vous rendre heureux dans l’autre. Mais afin de mériter ces grâces, il faut mortifier votre corps par des jeûnes fréquents, élever votre esprit à Dieu par des prières continuelles, visiter les pauvres, leur faire l’aumône, et panser les malades. Ce que vous pouvez faire facilement si vous savez bien user du baume, et du trésor qui est dans notre Vaisseau.
Je vous assure, Monsieur, lui dis-je, que j’en ferai un bon usage. Cependant je vous prie, dites-moi s’il n’y a point d’autre chemin pour aller aux Indes que celui que nous venons de faire. Le Soleil, la Lune, et les autres Planètes en tracent un chaque jour (me dit-il) vous pouvez choisir de plusieurs qui sont ici ; Néanmoins si vous commencez votre voyage par les Azymes, ou les quatre points Cardinaux, il sera plus facile et plus court que tous les autres, mais moins lucratif. Toutefois celui que nous venons de faire, qui s’accomplit en autant de temps que l’enfant demeure dans le ventre de sa mère ; c’est à dire en neuf mois, vous doit suffire si vous êtes raisonnable.
Allons maintenant éveiller nos gens : En disant ces paroles, il sortit de la chambre, et s’en alla sur le tillac. Je le suivis : Et comme j’avais la bouche ouverte pour lui demander quelque chose qui m’était venu dans la pensée, il tomba une nuée sur notre Navire qui le couvrit, et se fit un petit vent qui l’enleva, et le fit disparaître : ce qui me fit jeter un cri si haut, que tous nos Matelots s’en éveillèrent, et je pâmais de douleur. A leur réveil, m’ayant trouvé comme mort, ils me secoururent du mieux qu’il leur fut possible. Après que j’eus repris mes sens, je leur fis le récit comme nous avions vogué depuis les Indes, et comme après être arrivés au Port il avait disparu. Ce qui les mit encore dans un plus grand étonnement : mais enfin il fallut prendre patience.
Et comme je donnais les ordres pour descendre à terre, je me souvins de la boîte que le saint Homme lui avait ordonné de me délivrer lorsque nous serions arrivés. Dans l’incertitude s’il l’avait emportée, je rentrai promptement dans la chambre pour voir si elle y était : je la trouvai sur la table, je la pris, et l’ouvris sur le champ, tant j’avais d’impatience de savoir ce qu’il y avait.
J’y trouvai une figure des plus bizarres, que j’ai toujours gardée, et que voici.
L’Ami. Ce gentilhomme ayant tiré cette figure de sa pochette me la montra : l’ayant examiné je lui rendis ; il la serra, et continuant, avec un billet contenant ce que je vous vais dire.
L’Auteur. D’autant que ce billet porte l’explication de la figure, j’ai cru qu’il était nécessaire de la dresser en ce lieu avant que de réciter le billet, pour une plus parfaite intelligence. La voici.
BILLET.
Ami, sois attentif à ce que je vais dire, et pèse mes paroles.
Cette figure que tu vois est semblable à celle du Temple que tu as vu, et en fait l’explication.
Le Temple, ainsi que cette figure, représente le Globe de l’Univers. Les douze figures mouvantes qui sont aux fenêtres du Temple, celles qui sont aux niches ; les Agneaux et les gazons qui sont à leurs pieds, sont appelez peuples et alliances, et signifient les fruits que les Signes célestes, que tu vois gravés autour de cette figure, produisent successivement chaque mois dans le Paradis terrestre, dont les Sept Planètes qui sont aussi gravées autour de l’Agneau qui est au centre, sont les Chefs. Cet homme qui vole dans cette figure, qui tient une épée d’une main, et un Globe de l’autre, représente le Temps, qui détruit et sacrifie tout au Temple de Mémoire, ainsi que tu as vu : les lignes qui partent du Midi et du Septentrion, qui répondent aux parties Orientale et Occidentale, signifient les quatre piliers qui soutiennent l’Autel du Temple, et que tout le cercle de cette figure se réduit en ces quatre parties, qu’on appelle Eléments. Les trois lignes qui répondent directement au Signe du Verseau, des Gémeaux, et de la Balance, qui forment un triangle équilatéral dans le Carré ; que les quatre Eléments se réduisent avec le soufre de la Planète dominant en eau Mercuriale, de laquelle ces trois Signes ont leur nature. L’angle qui procède du carré, et du triangle qui répond au Signe du Bélier, qui a la nature du feu, et forme la figure d’un homme renversé crucifié : que de cette eau Mercuriale, et le Signe du feu qui est en cet angle, est produit l’Agneau qui est au centre de la figure ; et cet Agneau celle du saint Homme qui est assis sur l’Autel. Ces quatre lignes qui partent de l’Orient, de l’Occident, du Midi et du Septentrion, et qui aboutissent vers le centre de la figure : que l’Agneau a en lui la nature des quatre qualités Elémentaires également distribuées. Les sept Etoiles, ou Planètes, qui sont autour des sept lampes qui éclairent à l’Autel du Temple ; et les rayons qui environnent l’Agneau, le livre de Vie du saint Homme : Car il faut que tu saches que cet Homme a été un Agneau en son temps, par sa vertu et ses souffrances, et que sa vie est toute pure et céleste. La figure triangulaire qui est dans le Carré, que cet Agneau étant devenu Homme, a été élevé en Croix : car ces deux angles d’en bas représentent les deux bras ; l’angle d’en haut les pieds, et l’angle qui est hors du triangle en bas, formé par un angle du Carré, représente la tête, et toutes ces parties ensemble, un Homme renversé crucifié. Cette manière de Croix renversée s’inspire, à son imitation, de chercher la Croix : et lorsque tu l’auras trouvée, la prendre avec respect et humilité, pour participer à sa gloire.
Et comme dans la composition de ce Corps parfait, les Eléments ont passé les uns dans les autres, se sont unis, et se sont faits amis, sans jamais pouvoir être séparés ; cette circulation et union Elémentaire est appelée avec raison Quadrature du Cercle, par le moyen de laquelle toutes choses sont consommées : et celui qui cherche la Quadrature ailleurs, perd son temps et son huile : Profite de ces paroles si tu es sage.
Après avoir lu ce Billet, je le repliai, et le remis dans la boîte comme il était, et la serrai. Cette lecture me fit faire une nouvelle réflexion sur la perte que je venais de faire, et renouvela en mon cœur une douleur très sensible : il fallut néanmoins s’en consoler, et donner les ordres nécessaires pour notre débarquement : Ce qu’ayant été exécuté, et fait des dons à tous ceux qui étaient dans notre Vaisseau, proportionnés à ma fortune, et à leur emploi, je fis apporter le reste chez moi.
L’Auteur. Comme ce Gentilhomme achevait cette histoire, notre barque arrivait au Port de Spolete. L’ayant voulu presser de m’éclaircir de quelque chose que je croyais n'avoir pas bien entendu, il me fit signe de me taire. Je gardai le silence ; et m’étant pressé de sortir le premier de la barque pour lui donner la main à la descente, lorsque je me retournai pour lui tendre, je ne le vis plus. Je le cherchai des yeux sans dire mot, à droite et à gauche ; mais ne le voyant pas, je demandai aux Matelots, et à la Compagnie ce qu’il était devenu : ils me dirent qu’il était sorti immédiatement après moi, et qu’ils ne savaient le chemin qu’il avait pris : ce qui me donna un tel chagrin, que j’en pensai mourir : Mais ayant fait réflexion que mon mal était sans remède, je me consolais à rappeler ma mémoire des choses qu’il m’avait dites. Sitôt que je fus à mon Hôtellerie ; pour n’en perdre pas le souvenir je pris la plume, et traçais sur du papier la figure que vous avez vue, et l’histoire que vous venez d’entendre. Je sais bien qu’elle n’est pas régulière, qu’il était nécessaire de supposer des aventures de Danzig aux Iles Fortunées ; de ce lieu aux Hespérides, et des Hespérides aux Indes ; d’autant que les trajets et les temps sont longs, et pouvaient permettre le récit de quelque agréable aventure pour récréer le Lecteur. Je l’aurais fait si j’avais voulu, ayant pour cela plus de madère qu’il n’était nécessaire : Mais ne m’en ayant pas été fait, c’eût plutôt été une rapsodie de discours embrouillés, sans forme et sans figure, qu’une sincère Relation. Si vous y trouvez des défauts, ne m’en blâmez point ; parce que je n’ai rien avancé qui ne soit essentiel, et qui ne m’ait été dit par le Gentilhomme dont j’ai parlé, qui m’a donné cette Histoire pour l’ornement de mon Traité du flux et reflux de la Mer.
L’Ami. Je crois que le Gentilhomme qui vous a fait le discours que vous venez de réciter, a prétendu vous faire part d’une Histoire scientifique, sous une allégorie fabuleuse ; et je reconnais de si grandes choses dans la figure de la Quadrature du Cercle, de laquelle vous avez fait graver l’image, que je suis surpris de ce que vous lui donnez le titre de bizarre. Je me persuade que celui qui a inventé la Quadrature du Cercle, a entendu parler de la Quadrature des Eléments : Et comme ils sont toujours en guerre, il a voulu dire que le Philosophe qui trouvera le moyen de les unir et mettre d’accord, en sorte qu’ils puissent tous quatre exister dans un sujet, sans que le chaud surmonte le froid, et le froid le chaud : le sec l’humide, et l’humide le sec, comme ils sont dans cette figure, pourra certainement dire avoir trouvé la véritable Quadrature du Cercle : Car les points qui composent cette Quadrature, remplissent justement l’espace du Cercle Elémentaire, qui le réduit encore aux trois Principes naturels montrés par la figure triangulaire, tirée sur le carré ; et celle-ci à la production d’un objet qui les renferme tous en soi. C’est la véritable Philosophie des Anciens, connue de peu de gens, mais la plus raisonnable, puis qu’elle nous apprend à connaître parfaitement Dieu par les degrés et les opérations de la Nature, à nous humilier pour sa gloire, et à faire notre salut. Ce Gentilhomme était assurément un des douze frères Rose-Croix de Danzig, qui savent de jour en jour ce qui se passe par tout le monde, et qui se rendent invisibles quand bon leur semble, et toutes les fois qu’ils veulent.
L’Auteur. Il est vrai que si l’Auteur de la Quadrature du Cercle n’avait entendu que tracer simplement sur un cercle un carré qui renfermât en soi les mêmes quantités et espaces de la surface pleine du Cercle (suivant le sentiment commun), il me semble qu’il ne faut pas être grand Philosophe pour trouver cette Quadrature : Car si l’on mesure la circonférence d’un Cercle ; que l’on divise cette mesure en quatre parties égales, et que l’on forme un carré de ces quatre lignes ; il n’est rien de plus certain que ce carré sera régulier, qu’on le pourra diviser en autant de parties égales ou inégales que l’on voudra, et qu’il contiendra justement en soi les mêmes quantités des espaces qui se trouveront renfermées par le Cercle, duquel les quatre lignes du carré font la circonférence. Cela tombe sous le sens, et l’expérience en est facile. La voici.
Que l’on prenne un vaisseau rond qui représente le Cercle, et un carré qui aient les dimensions que j’ai dit : qu’ils soient également unis et posés de même hauteur ou profondeur : remplissez-en un d’eau, ou de sable bien fin : videz-le dans l’autre, vous trouverez certainement qu’il le remplira avec la même justesse : Mais de cette Quadrature il n’en revient aucune utilité, au lieu que le Philosophe, auteur de la Quadrature du Cercle, qu’on a mise en ce Livre, n’a point entendu faire une proposition de cette nature, qui ne serait qu’une bagatelle, et ce serait donner au public une chose assez infructueuse. Il y a plus d’apparence qu’il ait voulu parler de celle dont l’image est ici représentée, laquelle néanmoins, encore que le carré soit renfermé par le Cercle, et que les quatre cotés ne soient pas de la même quantité que la circonférence du Cercle, doit donner à connaître, que de la manière que cette Quadrature est établie, elle contient en soi tout ce qui est contenu par le même Cercle ; ce qui n’est pas un petit mystère. J’ai bien voulu en faire part au public, avec le récit de son Histoire, telle que je la tiens du Gentilhomme que je rencontrai dans mes voyages, et à qui j’avais dessein de dédier ce Livre sous le titre du Mercure inconnu : afin que si par hasard elle tombait entre les mains de quelque Savant, qui en comprît la doctrine et son utilité, il voulut bien à son défaut en faire l’explication, et la donner au public, avec la même sincérité que je les ai exposés l’un et l’autre.
L’Ami. Vous alliez faire bien aises Messieurs les Chimistes, de dédier votre Livre à leur Mercure.
L’Auteur. Vous êtes un railleur, Monsieur, je ne crois pas qu’il y ait dans tout ce Discours un mot dont ces Messieurs puissent tirer avantage. Je veux qu’ils sachent que je ne reconnais point d’autre Mercure que l’Homme, qui est un Mercure lépreux, à cause de son péché, lequel a fait mourir le Soleil de Justice, c’est à dire, JESUS-CHRIST Fils de Dieu ; et qu’il n’y a rien qui le puisse laver de sa lèpre, et l’unir à l’humanité glorieuse de JESUS-CHRIST que les eaux du Baptême et la Pénitence, ni d’autre Pierre Triangulaire que celle de la très sainte et très adorable Trinité, du Père, du Fils, et du Saint Esprit, unis en une seule Essence, et une seule Divinité ; ce que tout Chrétien doit savoir et connaître pour son salut.
L’Ami. Je vous prie, ne vous engagez pas plus avant ; car vous êtes assez échauffé de la lecture que vous venez de faire.
L’Auteur. C’est peu de chose. J’ai crû être obligé de vous parler ainsi, pour vous dissuader de cette pensée, si vous l’aviez, et tous ces Messieurs, que je conseille de ne point acheter mon Livre dans cet esprit, puisqu’il y a des choses plus importantes et meilleures à considérer. Mais il se fait tard, la nuit s’approche, il faut se retirer pour éviter le serein. Je vous rends grâces, Monsieur, et vous assure de rechercher avec empressement les occasions de me revancher de l’honneur que vous m’avez faite, de me donner une audience favorable dans un temps qui vous est si précieux
L’Ami. Je ne pouvais mieux l’employer, et vous prie de croire que je m’en fais un extrême plaisir.
L’Auteur. Je vous donne le bonsoir, et demeure votre obligé.
M. E. S.D.M.B.
FIN