Planche 4 du Mutus Liber |
CANSELIET La récolte alchimique de l'Esprit Universel .*
LA RÉCOLTE ALCHIMIQUE DE L'ESPRIT UNIVERSEL
EUGÈNE CANSELIET
(Article paru dans la revue Initiation et Science n° 42 de mars-avril 1957)
Le fluide universel, l'esprit du monde, - spiritus mundi -,
tient en alchimie une place importante aux côtés de la matière première avec
laquelle il forme le couple primordial, artisan de la Création, que celle-ci
soit celle de la Genèse ou bien celle de l'homme fait à l'image de Dieu. Au
vrai, la Science reconnaît maintenant le puissant animateur des anciens
Philosophes dans le rayonnement cosmique des physico-chimistes lancés, d'autre
part, dans la voie de découvertes qui ne sauraient relever du progrès, si l'on
en juge à la somme des calamités promises par elles à la masse des hommes. Si
tant est que les expériences atomiques n'aient point, d'ores et déjà, les
répercussions qu’il faut, malgré tout, redouter, la seule menace de
l'utilisation démente des engins basés sur la fission nucléaire suffit pour la
guerre, suffit à torturer les âmes et à troubler, sinon à détruire, tous leurs
espoirs fondés sur la vie même.
N'est-ce pas la crainte que les hommes ne mésusent quelque
jour de cette force astrale qui incita les Adeptes à ne parler que très peu du
moyen de la recueillir à sa source, quand ils savaient combien il est
relativement facile de s'en saisir au sein de la substance grave ? Oui, certes,
car voilà bien ce que n'ont pas manqué de faire les savants de notre époque,
orgueilleusement affranchis des entraves de la Philosophie antique et
clairvoyante, présomptueusement dédaigneux de ses lois qui tenaient sagement
closes les portes des officines et des laboratoires sur des découvertes
susceptibles tôt ou tard, de tourner au plus grand mal de l'humaine nature.
Grâce aux savants atomistes du monde, quelque délirant potentat ne
libérera-t-il pas soudainement le feu terrible que Jésus-Christ est venu mettre
dans la terre et duquel il a dit : « Que veux-je, si ce n'est qu'il soit allumé
? (Ignem veni mittere in terram, et quid volo nisi ut accendatur » (S. Luc,
XII, 49.)
Qu'on ne croie pas, nous l'avons dit, que la désintégration
moléculaire soit très difficile à réaliser ;
c'est bien la formation scientifique de notre temps qui en rend le
processus compliqué, si ce n'est impossible, en raison de ses voies détournées,
nécessitant des procédés ainsi que des capitaux également titanesques. Voilà
pourquoi encore les alchimistes, dans leurs traités, s’exprimèrent si obscurément,
usant de l'allégorie, voire de l’ambigüité et de la contradiction, afin
d'éloigner les profanes et les indignes. C'est ce qu'a parfaitement compris
Jacques Bergier, tout à fait désigné pour porter, sur le sujet, un jugement
spécialement autorisé. Il le formule avec assurance et clarté, dans une petite
étude, Mystère et Poésie au XVIème siècle,
laquelle vient à la suite d'une très séduisante Anthologie des Poètes du XVIème siècle, formant le volume n° 87 de
la Bibliothèque Mondiale :
« Sur ce point particulier, il est d'ailleurs difficile
de ne pas leur donner raison (aux alchimistes) ; s'il existe un procédé permettant
de fabriquer des bombes à hydrogène sur un fourneau de cuisine, il est
nettement préférable qu'il ne soit pas révélé... »
Il ne faudrait surtout pas qu'on prît pour une boutade cette
courte citation qui perd beaucoup de sa puissance, ainsi séparée du contexte.
Jacques Bergier a vu juste, et nous sommes bien placé pour affirmer, après lui,
qu'il est possible de parvenir à la fission atomique en partant d'un minerai
relativement commun et bon marché, et cela par un processus d'opérations ne
réclamant rien d'autre qu'une bonne cheminée, un four de fusion à charbon,
quelques brûleurs Méker et quatre bouteilles de gaz butane.
L'esprit - universel dans son essence primordiale - est un
feu en puissance dont l'énergie, pour nos trois règnes, en vue de toute
évolution, se manifeste et se développe, selon les cas, en des délais divers
comportant, pour les minéraux, des durée quasi sans limites. L'objectif majeur
de l'alchimiste est précisément de raccourcir le temps que la Nature exige pour
ses transformations et duquel il se rendra maitre jusqu'à en annuler, pour lui,
les inexorables conséquences.
La génération des minéraux, au sein de la terre, les. efforts
de l'homme à l'aider, à la précipiter, constituent donc les deux phénomènes de
base qui régentent toute l'alchimie, dans sa partie physique, et que Mircea
Eliade ne s'est pas fait faute d'examiner minutieusement, tout au long de son
récent livre, Forgerons et Alchimistes
(Flammarion). C’est pour l’auteur l’occasion
de mettre à profit l'érudition la plus précise et la plus vaste, laquelle
embrasse religions et mythologies, à travers la luxuriante floraison des
littératures anglaise et allemande.
En exemple de la lenteur extrême des réactions naturelles, citons
le cas de l'hydrogène et de l’oxygène, qui, bien que réunis, ne forment pas de
l'eau instantanément si on ne leur présente soit une flamme quelconque, soit l’un
des catalyseurs en mousse, platine ou palladium. Quoique le mélange de ces deux
gaz ne réalise pas un équilibre stable, la
combinaison il est vrai, s'opérerait d'elle-même, mais de manière tellement insensible
qu'il serait impossible qu'on la décelât. En effet, on peut se faire l’idée du
temps considérable que la synthèse de l'eau réclamerait pour s'accomplir
totalement, en l'absence de toute ignition, par simple extrapolation, d’après certaines
vitesses de réaction observées en rapport avec l’élévation de la température.
Très exactement, l'alchimie est
uniquement l'élaboration du Grand Oeuvre,
donnant lui-même pour résultat la Médecine universelle ou Pierre philosophale,
laquelle restitue à son possesseur, c'est-à-dire à l'Adepte, la science infuse
et, dès cette terre, la vie éternelle.
Qui ne connait la locution détachée d'un vers de l'Enéide,
de cette partie du Sixième Livre, à tout point de vue bouleversante, où fait
saillie, humainement, l'émotion profonde d'Enée refermant ses bras sur le vide,
dans l'embrassement déçu du fantôme de son père. Le vieil Anchise fournit alors
à son fils l'explication sollicitée, à l'endroit de cette multitude qui se
presse sur les rives du Léthé et dont il lui révèle qu'elle attend, dans la
paix et l'oubli, la réincarnation.
« Ce sont les âmes à qui d'autres corps sont réservés
par le destin (Animae quibus altera fato corpora debentur) ».
L'irréprochable Enée s'étonne devant la réalité de la transmigration
décrite par Virgile et qui demeure, pour l'homme sur la terre, la source de
toute sagesse, en même temps que celle du réconfort, de la consolation et de
l'espoir :
« 0 père, est-ce qu'il faut penser que quelques âmes
sublimes montent d'ici vers le ciel, et, de nouveau, reviennent en des corps
pesants ? (0 pater, anne aliquas ad coelum hinc ire putandum est sublimis animas,
iterumque in tarda reverti corpora ? ) ».
Voici les quatre vers par lesquels Anchise répond immédiatement
à son fils et desquels on nous passera de donner encore le latin à la suite,
tant nous parait indispensable de souligner, avec persévérance, combien il est
important que toute traduction soit faite rigoureusement, afin que s'en dégage
néanmoins le sens ésotérique. On ne devrait jamais sacrifier à la forme ni à
l'élégance, lors même que l'une et l'autre fussent, simultanément, appelées par
la Vérité, qui, dans ses plus discrets rayonnements, ne saurait se manifester,
du fait de l'artiste habile, sans qu'elle fût souriante, pure et belle :
« Tout d'abord, l'esprit nourrit à l'intérieur le ciel,
les terres, les plaines liquides, le globe brillant de la lune, les astres des
Titans, et l'âme, introduite dans les membres, meut la masse entière et se
mélange au vaste corps ».
« Principio coelum, ac terras, camposque liquentes,
« Lucentemque globum lunae, titaniaque astra,
« Solritus intus alit, totamque infusa per artus
« MENS AGITAT MOLEM, et magno se corporo miscet. »
Nous avons mis en capitales l’apophtegme fameux qui
différencie l’esprit de la matière, plus exactement l’âme, exprimée avec le
substantif mens, par le prophète de
la IVeme Eglogue qui réunit les trois principes, chers aux alchimistes, l’âme,
l’esprit et le corps, dans leur rôle réciproque, à savoir encore le soufre, le
mercure et le sel.
Oui, l'âme anime le corps, tandis que l'esprit l'alimente le
vivifie, celui-ci étant cette vertu astrale dont parle Basile Valentin, dans sa
huitième Clef, à propos de la génération consécutive à la putréfaction. De
même, l'Adepte commence-t-il sa quatrième Clef par cette phrase qui doit nous faire
considérer avec horreur la crémation du cadavre : « Toute chair née la terre sera anéantie
et, de nouveau, sera rendue à la terre comme ; comme, auparavant, elle fut
terre, alors le sel terrestre donne une nouvelle génération par le souffle de
vie céleste » (Les Douze Clefs de la
Philosophie - Editions de Minuit, 1956, P. 131)
Le mystérieux moine d'Erfurt semble commenter ici l'inscription
tumulaire de son contemporain Nicolas Flamel, gravée sur la petite pierre qui
survécut à l'impardonnable démolition de l'église Saint-Jacques-de-la-Boucherie
et qui, au musée de Cluny à Paris, nous présente également un corps décharné
par les vers :
« DE TERRE SUIS VENU ET EN TERRE RETOURNE. »
Si l'esprit universel est capable de rendre la vie à ce qui
l'a perdue, il est aisé de s'imaginer quel peut être son pouvoir sur la matière
vivante, à quelque stade qu'elle soit parvenue de son évolution. Nous l'avons
déclaré tout de suite, en écrivant les premières lignes de cette courte étude :
le rôle du fluide cosmique est capital dans la science d'Hermès, laquelle, sans
lui, ne recèlerait aucune chose qui ne fut couramment connue de tous les
laboratoires. C'est pourquoi l'alchimiste n'a rien de plus pressé que de
s'assurer, au début même de ses opérations, le concours de cet agent qui est
considéré, par la pluralité des auteurs, comme l'artisan réel du Grand Oeuvre.
La planche IV du Mutus
Liber nous enseigne, sans détour, la manière de récolter le flos coeli, avec l'appareillage de la
voie humide où la distillation commune conserve une grande importance Ainsi
voit-on l'alchimiste et sa compagne occupés à recueillir laborieusement cette rosée,
— du grec rôsis, force - examinée par
Fulcanelli dans ses deux ouvrages :
Le Mystère des Cathédrales et Les Demeures Philosophales, lesquels paraîtront
de nouveau cette année, édités par l’Omnium Littéraire aussi parfaitement
qu'ils le furent jadis chez Jean Schemit.
A cette époque, voici donc plus de trente ans, nous effectuâmes,
avec un soin extrême, la série des manipulations proposées par l'ouvrage
symbolique d'Altus, ce qui fait que nous sommes à portée d'affirmer qu'elle
conduit à un résultat tangible, qui ne laisse pas d'offrir autant de singularité
que de valeur.
Magophon, c'est-à-dire Pierre Dujols de Valois, écrivit en
1914,pour l'édition nouvelle du Mutus
Liber chez Emile Nourry (Saintyves), une Hypotypose, - ou Explication, si
l'on préfère - qui est remarquable et que Derain, à Lyon, aurait dû reprendre,
au lieu de l'introduction, aussi brève que vaine, faite par le docteur Marc
Haven pour une toute première réimpression, que nous n'avons jamais vue, du
même recueil d'images. Magophon signale que les deuxième et troisième planches
ne sont pas à leurs places, après avoir formulé, pour la première servant de
page de titre, une remarque que nous reproduisons en terminant afin que le
chercheur, ou plutôt l'expérimentateur, soit mis en garde et ne subisse point
d'amère déconvenue :
« Cette page initiale comporterait une critique non
imputable à l'auteur instruit, mais à l'artiste profane qui, dans la reproduction
des figures, a commis, sans s'en douter, un lourd contresens. Et c'est déjà un
grand point de le signaler, sans qu'il soit nécessaire d'y insister davantage.
»
Pas plus que l'érudit libraire, mort en 1926, nous n'avons
licence, aujourd'hui, de rectifier l'erreur involontaire du dessinateur
anonyme.
Eugène CANSELIET