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LIMOJON Entretien d'Eudoxe et de Pyrophile (avec numérotation des paragraphes)

 


Entretien d'Eudoxe et de Pyrophile 

sur
 
L'Ancienne Guerre des Chevaliers
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Extrait du Triomphe Hermétique ou la Pierre Philosophale Victorieuse
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Limojon de Saint-Didier

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  1. PYROPHILE.


  2. O moment heureux, qui fait que je vous rencontre en ce lieu ! Il y a long temps que je souhaite avec le plus grand empressement du monde, de pouvoir vous entretenir du progrés que j'ay fait dans la Philosophie, par la lecture des autheurs, que vous m'avés conseillé de lire, pour m'instruire du fondement de cette divine science, qui porte par excellence le nom de Philosophie.


  3. EUDOXE.


  4. Je n'ai pas moins de joye de vous revoir, et j'en auray beaucoup d'apprendre quel est l'avantage que vous avez tiré de votre application à l'estude de nôtre sacrée science.


  5. PYROPHILE.


  6. Je vous suis redevable de tout ce que j'en sçay, et de ce que j'espere encore penétrer dans les misteres philosophiques; si vous voulés bien continuer à me préter le secours de vos lumieres. C'est vous qui m'avez inspiré le courage, qui m'estoit necessaire, pour entreprendre une estude dont les difficultés paroissent impénétrables dés l'entrée, et capables de rebuter à tous momens, les esprits les plus ardents à la recherche des verités les plus cachées: mais graces à vos bons conseils, je ne me trouve que plus animé, à poursuivre mon entreprise.


  7. EUDOXE.


  8. Je suis ravi de ne m'estre pas trompé au jugement que j'ay fait du caractere de vostre esprit; vous l'avés de la trempe qu'il faut l'avoir, pour acquerir des connoissances, qui passent la portée des genies ordinaires, et pour ne pas mollir contre tant de difficultés, et qui rendent presqu'inaccessible le sanctuaire de nostre Philosophie: Je louë extremement la force avec laquelle je sçay que vous avés combattu les discours ordinaires de certains Esprits, qui croient qu'il y va de leur hôneur, de traitter de reverie tout ce qu'ils ne connoissent pas; parce qu'ils ne veulent pas, qu'il soit dit, que d'autres puissent découvrir des vérités, dont eux n'ont aucune intelligence.


  9. PYROPHILE.


  10. Je n'ay jamais crû devoir faire beaucoup d'attention aux raisonnements des personnes, qui veulent decider des choses, qu'ils ne connoissent pas: mais je vous avouë, que si quelque chose eust est capable de me detourner d'une science, pour laquelle j'ay tousjours eu une forte inclination naturelle, ç'auroit esté une espece de honte, que l'ignorance a attaché à la recherche de cette Philosophie; il est facheux en effet d'estre obligé de cacher l'application qu'on y donne; à moins que de vouloir passer dans l'esprit de la plupart du monde, pour un homme, qui ne s'occupe qu'à de vaines Chimeres : mais comme la vérité, en quelqu'endroit qu'elle se trouve a pour moy des charmes souverains; rien n'a pû me detourner de cette estude. J'ay leu les escrits d'un grand nombre de Philosophes, aussi considerables pour leur sçavoir, que pour leur probité; et comme je n'ay jamais pû mettre dans mon esprit, que tant de grands personnages fussent autant d'imposteurs publics; j'ay voulu examiner leurs principes avec beaucoup d'application, et j'ay esté convaincu des verités qu'ils avancent; bien que je ne les comprenne pas encore toutes.


  11. EUDOXE.


  12. Je vous sçay fort bon gré de la justice que vous rendés aux maistres de notre art: mais dites moy je vous prie, quels Philosophes vous avés particulièrement lûs, et qui sont ceux qui vous ont le plus satisfait ? Je m'estois contenté de vous en recommender quelques uns.


  13. PYROPHILE.


  14. Pour répondre à vostre demande, j'aurois un grand Catalogue à vous faire; il y a plusieurs années que je n'ay cessé de lire divers Philosophes. J'ay esté chercher la science dans sa source. J'ay leu la table d'emeraude, les sept chapitres d'Hermes, et leurs commentaires. J'ay leu Geber, la Tourbe, le Rosaire, le Theatre, la Bibliotheque, et le Cabinet Chimiques, et particulièrement Artefius, Arnaud de Villeneufve, Raymond Lulle, le Trevisan, Flamel, Zacchaire, et plusieurs autres anciens, et modernes, que je ne nomme pas; entre autres Basile Valentin, le Cosmopolite, et Philalethe.Je vous asseure que je me suis terriblement rompu la teste, pour tacher de trouver le point essentiel dans lequel ils doivent tous s'accorder, bien qu'ils se servent d'expressions si differentes, qu'elles paroissent mesme fort souvent opposées. Les uns parlent de la matière en termes abstraits, les autres, en termes composés: les uns n'expriment que certaines qualités de cette matiere; les autres s'attachent à des propriétés toutes differentes: les uns la considerent dans un estat purement naturel, les autres en parlent dans l'estat de quelques unes des perfections qu'elle reçoit de l'art; tout cela jette dans un tel labyrinthe de difficultés, qu'il n'est pas estonnant, que la pluspart de ceux qui lisent les Philosophes, forment presque tous des conclusions differentes.Je ne me suis pas contenté de lire une fois les principaux autheurs, que vous m'avés conseillés; je les ay relus autant de fois, que j'ay crû en tirer de nouvelles lumieres, soit touchant la veritable matiere; soit touchant ses diverses préparations, dont depend tout le succez de l'oeuvre. J'ay fait des Extraits de tous les meilleurs livres. J'ay medité là dessus nuit, et jour; jusques à ce que j'ay crû connoistre la matiere, et ses preparations differentes, qui ne sont proprement qu'une mesme operation continuée. Mais je vous avouë qu'apres un si penible travail, j'ay pris un singulier plaisir, à lire l'ancienne querelle de la Pierre des Philosophes avec l'Or, et le Mercure; la netteté, la simplicité, et la solidité de cet escrit m'ont charmé; et comme c'est une vérité constante, que qui entend parfaitement un veritable Philosophe, les entend asseurement tous, permettés moy, s'il vous plaît, que je vous fasse quelques questions sur celuy-ci, et ayés la bonté de me répondre, avec la même sincerité, dont vous avés toûjours usé à mon égard. Je suis asseuré qu'après cela, je seray autant instruit, qu'il est besoin de l'estre, pour mettre la main à l'oeuvre, et pour arriver heureusement à la possession du plus grand de tous les biens temporels, Dieu puisse recompenser ceux qui travaillent dans son amour, et dans sa crainte.


  15. EUDOXE.


  16. Je suis prest à satisfaire à vos demandes, et je seray tres-aise, que vous touchiés le point essentiel, dans la resolution où je suis de ne rien vous cacher, de ce qui peut servir pour l'instruction, dont vous croyés avoir besoin: mais je crois qu'il est à propos, que je vous fasse faire auparavant quelques remarques, qui contribueront beaucoup à éclaircir quelques endroits importants de l'escrit dont vous me parlez.Remarqués donc que le terme de Pierre est pris en plusieurs sens differents, et particulierement par rapport aux trois differents estats de l'oeuvre; ce qui fait dire à Geber, qu'il y a trois Pierres, qui sont les trois medecines, répondant aux trois degrés de perfection de l'oeuvre: de sorte que la Pierre du premier ordre, est la matière des Philosophes, parfaitement purifiée, et reduite en pure substance Mercuriele; la Pierre du second ordre est la mesme matiere cuite, digerée, et fixée en soufre incombustible; la Pierre du troisième ordre est cette même matiere fermentée, multipliée et poussée à la dernière perfection de teinture fixe, permanente et tingente: et ces trois Pierres sont les trois medecines des trois genres.Remarqués de plus qu'il y a une grande difference entre la pierre des Philosophes, et la pierre philosophale. La premiere est le sujet de la Philosophie consideré dans l'estat de sa première preparation, dans lequel elle est veritablement Pierre, puis qu'elle est solide, dure, pesante, cassante, friable; elle est un corps (dit Philalethe), puis qu'elle coule dans le feu, comme un metail; elle est cependant esprit puis qu'elle est toute volatile; elle est le composé, et la pierre qui contient l'humidité, qui court dans le feu (dit Arnaud de Villeneufve dans sa lettre au Roy de Naples). C'est dans cet estat qu'elle est une substance moyenne entre le metail et le mercure, comme dit l'Abbé Sinesius; c'est enfin dans ce mesme estat que Geber la considere quand il dit en deux endroits de sa Somme, prens nostre pierre; c'est à dire (dit-il) la matiere de nostre pierre, tout de mesme que s'il disoit, prens la Pierre des Philosophes, qui est la matiere de la pierre Philosophale.La Pierre Philosophale est donc la mesme Pierre des Philosophes; lors que par le Magistere secret, elle est parvenuë à la perfection de medecine du troisiéme ordre, transmuant tous les metaux imparfaits en pur Soleil, ou Lune, selon la nature du ferment, qui lui a esté adjouté. Ces distinctions vous serviront beaucoup pour developper le sens embarassé des escritures Philosophiques, et pour éclaircir plusieurs endroits de l'autheur, sur lequel vous avez des questions à me faire.


  17. PYROPHILE.


  18. Je reconnois desja l'utilité de ces remarques, et j'y trouve l'explication de quelques uns de mes doutes: mais avant de passer outre, dites moy je vous prie, si l'Autheur de l'escrit, dont je vous parle, merite l'approbation, que plusieurs Sçavans lui ont donnée, et s'il contient tout le secret de l'oeuvre ?


  19. EUDOXE.


  20. Vous ne devés pas douter que cet escrit ne soit parti de la main d'un veritable Adepte, et qu'il ne merite par consequent l'estime, et l'approbation des Philosophes. Le dessein principal de cet autheur est de desabuser un nombre presque infini d'artistes, qui trompés par le sens litteral des escritures, s'attachent opiniatrement à vouloir faire le Magistere, par la conjonction de l'Or avec le Mercure diversement preparé; et pour les convaincre absolument, il soutient avec les plus anciens, et les plus recommendables Philosophes, (1) que l'oeuvre n'est fait que d'une seule chose, d'une seule et mesme espece.


  21. PYROPHILE.


  22. C'est justement là le premier des endroits qui m'ont causé quelque scrupule: car il me semble qu'on peut douter avec raison, qu'on doive chercher la perfection dans une seule et même substance, et que sans rien y adjouter, on puisse en faire toutes choses. Les Philosophes disent au contraire, que non seulement il faut oster les superfluités de la matiere; mais encore qu'il faut y adjouter ce qui luy manque.


  23. EUDOXE.


  24. Il est bien facile de vous delivrer de ce doute par cette comparaison; tout de même que les sucs extraits de plusieurs herbes, depurés de leur marc, et incorporés ensemble, ne font qu'une confection d'une seule, et même espece; ainsi les Philosophes appellent avec raison leur matiere preparées une seule et même chose; bien qu'on n'ignore pas, que c'est un composé naturel de quelques substances d'une même racine, et d'une même espece, qui font un tout complet, et homogene; en ce sens les Philosophes sont tous d'accord; bien que les uns disent, que leur matiere est composée de deux choses, et les autres de trois, que les uns escrivent qu'elle est de quatre, et même de cinq, et les autres enfin qu'elle est une seule chose. Ils ont tous également raison, puisque plusieurs choses d'une même espece naturellement, et intimement unies, ainsi que plusieurs eaux distillées d'herbes, et mélées ensemble, ne constituent en effet qu'une seule et même chose, ce qui se fait dans nôtre art, avec d'autant plus de fondement, que les substances qui entrent dans le composé philosophique, different beaucoup moins entre elles, que l'eau d'oseille ne differe de l'eau de laituë.


  25. PYROPHILE.


  26. Je n'ay rien à repliquer à ce que vous venez de me dire. J'en comprends fort bien le sens: mais il me reste un doute, sur ce que je connois plusieurs personnes, qui sont versées dans la lecture des meilleurs Philosophes, et qui neanmoins suivent une methode toute contraire au premier fondement, que nôtre Autheur pose; sçavoir que la matiere Philosophique n'a besoin de quoy que ce soit autre que d'estre dissoute, et coagulée. Car ces personnes commencent leurs operations par la coagulation; il faut donc qu'ils travaillent sur une matiere liquide, au lieu d'une Pierre; dites moy, je vous prie, si cette voye est celle de la verité.


  27. EUDOXE.


  28. Vostre remarque est fort judicieuse. La plus grande partie des vrays Philosophes est du mesme sentiment que celuy-cy. La matiere n'a besoin que d'estre dissoute, et ensuite coagulée; la mixtion, la conjonction, la fixation, la coagulation, et autres semblables operations, se font presque d'elles mesmes: mais la solution est le grand secret de l'art. C'est ce point essentiel, que les Philosophes ne revèlent pas. Toutes les opérations du premier oeuvre, ou de la premiere medecine, ne sont, à proprement parler, qu'une solution continuelle; de sorte que calcination, extraction, sublimation, et distillation ne sont qu'une veritable solution de la matiere. Geber n'a fait comprendre la nécessité de la sublimation, que parce qu'elle ne purifie pas seulement la matiere de ses parties grossieres, et adustibles; mais encore parce qu'elle la dispose à la solution, d'où resulte l'humidité Mercuriele, qui est la clef de l'oeuvre.


  29. PYROPHILE.


  30. Me voilà extremement fortifié contre ces pretendus Philosophes, qui sont d'un sentiment contraire à cet Autheur; et je ne sçay comment ils peuvent s'imaginer, que leur opinion quadre fort juste avec les meilleurs Autheurs.


  31. EUDOXE.


  32. Celuy-cy tout seul suffit pour leur faire voir leur erreur; il s'explique par une comparaison tres juste de la glace, qui se fond à la moindre chaleur; pour nous faire connoistre, (3) que la principale des operations est de procurer la solution d'une matiere dure, et seiche, approchant de la nature de la pierre, laquelle toutesfois par l'action du feu naturel doit se resoudre en eau seiche, aussi facilement, que la glace se fond à la moindre chaleur.


  33. PYROPHILE.


  34. Je vous serois extremement obligé, si vous vouliés me dire ce que c'est que (4) le feu naturel. Je comprends fort bien que cet agent est la principale clef de l'art. Plusieurs Philosophes en ont exprimé la nature par des paraboles tres-obscures: mais je vous avouë, que je n'ay encore pu comprendre ce mistere.


  35. EUDOXE.


  36. En effet c'est le grand mistere de l'art, puisque tous les autres misteres de cette sublime Philosophie dependent de l'intelligence de celuy-cy. Que je serois satisfait, s'il m'estoit permis de vous expliquer ce secret sans équivoque; mais je ne puis faire ce qu'aucun Philosophe n'a cru estre en son pouvoir. Tout ce que vous pouvés raisonnablement attendre de moy, c'est de vous dire, que le feu naturel, dont parle ce Philosophe, est un feu en puissance, qui ne brule pas les mains; mais qui fait paroistre son efficace pour peu qu'il soit excité par le feu exterieur. C'est donc un feu veritablement secret, que cet Autheur nomme Vulcain Lunatique dans le titre de son esprit. Artephius en a fait une plus ample description, qu'aucun autre philosophe. Pontanus l'a copié, et a fait voir qu'il avoit erré deux cent fois; parce qu'il ne connoissoit pas ce feu, avant qu'il eust leu, et compris Artephius: ce feu misterieux est naturel, parce qu'il est d'une mesme nature que la matiere Philosophique; l'artiste neanmoins prepare l'un et l'autre.


  37. PYROPHILE.


  38. Ce que vous venez de me dire, augmente plus ma curiosité, qu'il ne la satisfait. Ne condamnez pas les instantes prieres que je vous fais, de vouloir m'éclaircir davantage sur un point, si important, qu'à moins que d'en avoir la connoissance, c'est en vain qu'on pretend travailler; on se trouve arreté tout court d'abord apres le premier pas, qu'on a fait dans la pratique de l'oeuvre.


  39. EUDOXE.


  40. Les sages n'ont pas esté moins reservez touchant leur feu que touchant leur matiere; de sorte qu'il n'est pas en mon pouvoir de rien adjouter à ce que je viens de vous en dire. Je vous renvoye donc à Artephius, et à Pontanus. Considerez seulement avec application, que ce feu naturel est neanmoins une artificieuse invention de l'artiste; qu'il est propre à calciner, dissoudre, et sublimer la Pierre des Philosophes; et qu'il n'y a que cette seule sorte de feu au monde, capable de produire un pareil effet. Considerez que ce feu est de la nature de la chaux et qu'il n'est en aucune maniere estranger à l'egard du sujet de la Philosophie. Considerez enfin par quels moyens Geber enseigne de faire les sublimations requises à cet art: pour moy je ne puis faire davantage, que de faire pour vous le même souhait, qu'a fait un autre Philosophe: Sydera Veneris, et corniculatæ dianæ tibi propitia sunto.


  41. PYROPHILE.


  42. J'aurois bien voulu, que vous m'eussiés parlé plus intelligiblement: mais puis qu'il y a de certaines bornes, que les Philosophes ne peuvent passer; je me contente de ce que vous venez de me faire remarquer; je reliray Artephius avec plus d'application, que je n'ay encore fait; et je me souviendray fort bien que vous m'avez dit que le feu secret des sages est un feu, que l'artiste prepare selon l'art, ou du moins, qu'il peut faire preparer par ceux qui ont une parfaite connoissance de la Chimie; que ce feu n'est pas actuellement chaud; mais qu'il est un esprit igné introduit dans un sujet d'une mesme nature que la pierre, et qu'estant mediocrement excité par le feu extérieur, la calcine, la dissout, la sublime, et la resout en eau seiche, ainsi que le dit le Cosmopolite.


  43. EUDOXE.


  44. Vous comprenés fort bien ce que je viens de vous dire; j'en juge par le commentaire que vous y adjoutez. Sachez seulement que de cette premiere solution, calcination, ou sublimation, qui sont ici une même chose, il en resulte la separation des parties terrestres et adustibles de la Pierre; sur tout si vous suivés le conseil de Geber touchant le regime du feu, de la maniere qu'il l'enseigne, lors qu'il traitte de la sublimation des Corps, et du Mercure. Vous devés tenir pour une verité constante, qu'il n'y a que ce seul moyen au monde, pour estraire de la pierre son humidité onctueuse, qui contient inseparablement le soufre et le Mercure des Sages.


  45. PYROPHILE.


  46. Me voilà entierement satisfait sur le principal point du premier oeuvre; faites moy la grace de me dire si la comparaison que nôtre Autheur fait du (5) froment avec la Pierre des Philosophes, à l'égard de leur preparation necessaire, pour faire du pain avec l'un, et la medecine universelle avec l'autre, vous paroist une comparaison bien juste.


  47. EUDOXE.


  48. Elle est autant juste, qu'on puisse en faire, si on considere la pierre en l'estat, où l'artiste commence de la mettre, pour pouvoir estre legitimement appellée le sujet, et le composé Philosophique: car tout de mesme que nous ne nous nourrissons pas de bled, tel que la nature le produit; mais que nous sommes obligés de le reduire en farine, d'en sepàrer le son, de la pétrir avec de l'eau, pour en former le pain, qui doit estre cuit dans un four, pour estre un aliment convenable; de mesme, nous prenons la pierre; nous la triturons; nous en separons par le feu secret, ce qu'elle a de terrestre, nous la sublimons; nous la dissolvons avec l'eau de la mer des Sages; nous cuisons cette simple confection, pour en faire une medecine souveraine.


  49. PYROPHILE.


  50. Permettés moy de vous dire qu'il me paroist quelque difference dans cette comparaison. L'autheur dit qu'il faut prendre ce minerai tout seul, pour faire cette grande medecine, et cependant avec du bled tout seul nous ne sçaurions faire du pain; il faut y adjoûter de l'eau, et mesme du levain.


  51. EUDOXE.


  52. Vous avez des-ja la réponse à cette objection, en ce que ce Philosophe, comme tous les autres, ne deffend pas absolument de rien adjouter; mais bien de rien adjouter, qui soit estranger, et contraire. L'eau qu'on adjoute à la farine, ainsi que le levain, ne sont rien d'estranger ny de contraire à la farine; le grain dont elle est faite a esté nourri d'eau dans la terre; et partant elle est d'une nature analogue avec la farine: de mesme que l'eau de la mer des Philosophes est de la même nature que nôtre pierre; d'autant que tout ce qui est compris sous le genre mineral, et metallique, a esté formé et nourri de cette mesme eau dans les entrailles de la terre, où elle pénètre avec les influences des astres. Vous voyés evidemment parce que je viens de dire, que les Philosophes ne contrédisent point, lors qu'ils disent que leur matière est une seule et même substance, et lors qu'ils en parlent comme d'un composé de plusieurs substances d'une seule, et mesme espece.


  53. PYROPHILE.


  54. Je ne crois pas qu'il y ait personne qui ne doive estre convaincu par des raisons aussi solides, que celles que vous venez d'alleguer. Mais dites moy, s'il vous plait, si je me trompe, dans la consequence que je tire de cet endroit de nostre autheur, où il dit que (6) ceux qui scavent de quelle maniere on doit traitter les metaux, et les mineraux, pourront arriver droit au but qu'ils se proposent. Si cela est ainsi, il est evident qu'on ne doit chercher la matiere, et le sujet de l'art, que dans la famille des metaux et des mineraux, et que tous ceux qui travaillent sur d'autres sujets, sont dans la voye de l'erreur.


  55. EUDOXE.


  56. Je vous réponds que vôtre consequence est fort bien tirée; ce Philosophe n'est pas le seul qui parle de cette sorte; il s'accorde en cela avec le plus grand nombre des anciens, et des modernes. Geber qui a sçeu parfaitement le Magistere, et qui n'a usé d'aucune allegorie, ne traite dans toute sa somme, que des metaux, et des mineraux; des corps et des esprits, et de la maniere de les bien preparer, pour en faire l'oeuvre, mais comme la matière Philosophique est en partie corps, et en partie esprit; qu'en un sens elle est terrestre, et qu'en l'autre elle est toute celeste; et que certains autheurs la considerent en un sens, et les autres en traittent en un autre, cela a donné lieu à l'erreur d'un grand nombre d'artistes, qui sous le nom d'Universalistes, rejettent toute matiere qui a reçeu une determination de la nature; parcequ'ils ne sçavent pas détruire la matiere particuliere, pour en separer le grain et le germe, qui est la pure substance universelle, que la matiere particuliere renferme dans son sein, et à laquelle l'artiste sage et éclairé, sçait rendre absolument toute l'universalité qui luy est necessaire, par la conjonction naturelle qu'il fait de ce germe avec la matière universalissime: de laquelle il a tiré son origine. Ne vous effrayés pas à ces expressions singulières; notre art est Cabalistique. Vous comprendrés aisement ces misteres avant que vous soyés arrivé à la fin des questions, que vous avés dessein de me faire, sur l'autheur que vous examinez.


  57. PYROPHILE.


  58. Si vous ne me donniés cette espérance, je vous proteste, que ces misterieuses obscurités seroient capables de me rebuter, et de me faire désesperer d'un bon succez: mais je prends une entiere confiance en ce que vous me dites, et je comprends fort bien que les metaux du vulgaire, ne sont pas les metaux des Philosophes: puisque je vois evidemment, que pour estre tels, il faut qu'ils soient detruits, et qu'ils cessent d'estre metaux; et que le Sage n'a besoin que de cette humidité visqueuse, qui est leur matiere premiere, de laquelle les Philosophes font leurs metaux vivants, par un artifice, qui est aussi secret, qu'il est fondé sur les principes de la nature; n'est ce pas là vôtre pensée ?


  59. EUDOXE.


  60. Si vous sçavés aussi bien les loix de la pratique de l'oeuvre, comme vous me paroissés en comprendre la theorie; vous n'avés pas besoin de mes éclaircissemens.


  61. PYROPHILE.


  62. Je vous demande pardon. Je suis bien éloigné d'estre aussi avancé, que vous vous l'imaginés; ce que vous croyés estre un effet d'une parfaite connoissance de l'art, n'est qu'une facilité d'expression, qui ne vient que de la lecture des Autheurs, dont j'ai la mémoire remplie. Je suis au contraire tout prest à desesperer de posseder jamais de si hautes connoissances, lorsque je vois que ce Philosophe veut, comme plusieurs autres, que celuy qui aspire à cette science, (7) connoisse exterieurement les propriétés de toutes choses, et qu'il penétre dans la profondeur des operations de la nature. Dites-moy, s'il vous plaît, qui est l'homme qui peut se flatter de parvenir à un sçavoir d'une si vaste estenduë ?


  63. EUDOXE.


  64. Il est vray que ce Philosophe ne met point de bornes au sçavoir de celuy qui pretend à l'intelligence d'un art si merveilleux: car le Sage doit parfaitement connoistre la nature en general, et les operations qu'elle exerce, tant dans le centre de la terre, en la generation des mineraux, et des metaux; que sur la terre, en la production des vegetaux, et des animaux. Il doit connoistre aussi la matiere universelle, et la matiere particuliere et immédiate, sur laquelle la nature opere pour la generation de tous les êtres; il doit connoistre enfin le rapport et la sympatie, ainsi que l'antipatie et l'aversion naturelle, qui se rencontre entre toutes les choses du monde. Telle estoit la science du Grand Hermes, et des premiers Philosophes, qui comme luy sont parvenus à la connoissance de cette sublime Philosophie, par la penétration de leur esprit, et par la force de leurs raisonnemens: mais depuis que cette science a esté escrite, et que la connoissance generale, dont je viens de donner une idée, se trouve dans les bons livres; la lecture, et la meditation, le bon sens et une suffisante pratique de la Chimie, peuvent donner presque, toutes les lumieres necessaires, pour acquerir la connoissance de cette supreme Philosophie; si vous y adjoutez la droiture du ceur, et de l'intention, qui attirent la benediction du Ciel sur les operations du Sage, sans quoy il est impossible de reussir.


  65. PYROPHILE.


  66. Vous me donnés une joye très-sensible. J'ay beaucoup leu; j'ay medité encore davantage; je me suis exercé dans la pratique de la Chimie; j'ay verifié le dire d'Artéphius, qui asseure que celuy-là ne connoit pas la composition des metaux, qui ignore comment il les faut détruire, et sans cette destruction, il est impossible d'extraire l'humidité metallique, qui est la veritable clef de l'art; de sorte que je puis m'asseurer d'avoir acquis la plus grande partie des qualitez, qui, selon vous, sont requises en celuy qui aspire à ces grandes connoissances; j'ay de plus un avantage bien particulier, c'est la bonté que vous avez, de vouloir bien me faire part de vos lumieres en éclaircissant mes doutes; permettez moy donc de continuer, et de vous demander, sur quel fondement l'Or fait un si grand outrage à la Pierre des Philosophes, l'appelant (8) un vers venimeux, et la traittant d'ennemie des hommes, et des metaux.


  67. EUDOXE.


  68. Ces expressions ne doivent pas vous paroistre étranges. Les Philosophes mêmes appellent leur Pierre dragon, et serpent, qui infecte toutes choses par son venin. Sa substance en effet, et sa vapeur sont un poison, que le Philosophe doit sçavoir changer en Theriaque, par la preparation, et par la cuisson. La pierre de plus est l'ennemie des metaux, puisqu'elle les detruit, et les devore. Le Cosmopolite dit qu'il y a un metail, et un acier, qui est comme l'eau des metaux, qui a le pouvoir de consumer les metaux, qu'il n'y a que l'humide radical du soleil et de la lune, qui puissent lui resister. Prenez garde cependant, de ne pas confondre icy la Pierre des Philosophes avec la Pierre Philosophale; parceque si la première comme un veritable dragon, detruit, et devore les metaux imparfaits; la seconde comme une souveraine medecine, les transmuë en metaux parfaits; et rend les parfaits plusque parfaits, et propres à parfaire les imparfaits.


  69. PYROPHILE.


  70. Ce que vous me dites ne me confirme pas seulement dans les connoissances que j'ay acquises par la lecture, par la méditation, et par la pratique; mais encore me donne de nouvelles lumières, à l'esclat desquelles, je sens dissiper les tenebres, sous lesquelles les plus importantes verités Philosophiques m'ont paru voilées jusques à present. Aussi je conclus par les termes de nostre Autheur qu'il faut que les plus grands Medecins se trompent en croyant (9) que la medecine universelle est dans l'or vulgaire. Faites-moy la grace de me dire ce que vous en pensés.


  71. EUDOXE.


  72. Il n'y a point de doute que l'Or possede de grandes vertus, pour la conservation de la santé, et pour la guérison des plus dangereuses maladies. Le cuivre, l'estain, le plomb, et le fer sont tous les jours utilement employés par les Medecins; de même que l'argent; parceque leur solution, ou decomposition, qui manifeste leurs proprietés, est plus facile que ne l'est celle de l'or; c'est pourquoy plus les preparations que les artistes ordinaires en font, ont de rapport aux principes, et à la pratique de notre art; plus elles font paroistre les merveilleuses vertus de l'or; mais je vous dis en vérité, que sans la connoissance de nostre magistere, qui seul enseigne la destruction essentielle de l'or, il est impossible d'en faire la medecine universelle; mais le Sage peut la faire beaucoup plus aisément avec l'or des Philosophes, qu'avec l'or vulgaire: aussi voyés-vous que cet Autheur fait répondre à l'or par la pierre, qu'il doit bien plustot se facher contre Dieu de ce qu'il ne luy a pas donné les avantages, dont il a bien voulu la doüer elle seule.


  73. PYROPHILE.


  74. A cette premiere injure que l'Or fait à la Pierre, il en adjoute une seconde, (10) l'appelant fugitive, et trompeuse, qui abuse tous ceux qui fondent en elle quelque esperance. Apprenés-moy, je vous prie, comment on doit soûtenir l'innocence de la Pierre, et la justifier d'une calomnie de cette nature.


  75. EUDOXE.


  76. Souvenés vous des remarques que je vous ay desja fait faire, touchant les trois estats differens de la Pierre; et vous connoistrez comme moy, qu'il faut qu'elle soit dans son commencement toute volatile, et par consequent fugitive, pour estre deputée de toutes sortes de terrestreïtés, et reduite de l'imperfection à la perfection que le magistere lui donne dans ses autres estats; c'est pourquoy l'injure que l'or pretend luy faire, tourne à sa loüange; d'autant que si elle n'étoit volatile, et fugitive dans son commencement, il seroit impossible de lui donner à la fin la perfection, et la fixité qui lui sont necessaires; de sorte que si elle trompe quelqu'un, elle ne trompe que les ignorans: mais est toûjours fidele aux enfants de la science.


  77. PYROPHILE.


  78. Ce que vous me dites est une verité constante: j'avois appris de Geber qu'il n'y avoit que les esprits, c'est à dire, les substances volatiles, capables de penétrer les corps, de s'unir à eux, de les changer, de les teindre, et de les perfectionner; lors que ces esprits ont este depouillés de leurs parties grossieres, et de leur humidité adustible. Me voilà pleinement satisfait sur ce point: mais comme je vois que la Pierre a un extreme mépris pour l'Or, et qu'elle se glorifie (11) de contenir dans son sein un or infiniment plus precieux; faites moy la grace de me dire, de combien de sortes d'or les Philosophes reconnoissent.


  79. EUDOXE.


  80. Pour ne vous laisser rien à desirer touchant la theorie et la pratique de nostre Philosophie, je veux vous apprendre que selon les Philosophes, il y a trois sortes d'or.Le premier est un or astral, dont le centre est dans le Soleil, qui par ses rayons le communique en mesme temps que sa lumière, à tous les astres, qui luy sont inférieurs. C'est une substance ignée, et une continuelle emanation de corpuscules solaires, qui par le mouvement du soleil, et des astres, êtant dans un perpetuel flux et reflux, remplissent tout l'univers; tout en est penetré dans l'estenduë des cieux sur la terre, et dans ses entrailles, nous respirons continuellement cet or astral, ces particules solaires penetrent nos corps et s'en exhalent sans cesse.Le second est un or elementaire, c'est à dire qu'il est la plus pure, et la plus fixe portion des Elemens, et de toutes les substances, qui en sont composées; de sorte que tous les êtres sublunaires des trois genres, contiennent dans leur centre un précieux grain elementaire.Le troisieme est le beau metail, dont l'éclat, et la perfection inalterables, lui donnent un prix, qui le fait regarder de tous les hommes, comme le souverain remede de tous les maux, et de toutes les necessités de la vie, et comme l'unique fondement de l'independance de la grandeur, et de la puissance humaine; c'est pourquoi il n'est pas moins l'objet de la convoitise des plus grands Princes, que celuy des souhaits de tous les peuples de la terre.Vous ne trouverés plus de difficulté après cela, à conclure, que l'or metallique n'est pas celuy des Philosophes, et que ce n'est pas sans fondement, que dans la querelle dont il s'agît icy, la Pierre luy reproche, qu'il n'est pas tel, qu'il pense estre: mais que c'est elle, qui cache dans son sein le veritable Or des Sages, c'est à dire les deux premieres sortes d'or, dont je viens de parler: car vous devez sçavoir que la Pierre estant la plus pure portion des Elemens metalliques, après la separation, et la purification, que le Sage en a fait, il s'ensuit qu'elle est proprement l'or de la seconde espèce; mais lors que cet or parfaitement calciné, et exalté jusques à la netteté, et à la blancheur de la neige, a acquis par le magistere une simpatie naturelle avec l'or astral, dont il est visiblement devenu le veritable aiman, il attire, et il concentre en lui mesme une si grande quantité d'or astral, et de particules solaires, qu'il reçoit de l'emanation continuelle qui s'en fait du centre du Soleil, et de la Lune, qu'il se trouve dans la disposition prochaine d'estre l'Or vivant des Philosophes, infiniment plus noble, et plus précieux, que l'or metallique, qui est un corps sans ame, qui ne sçauroit estre vivifié, que par nôtre or vivant, et par le moyen de nostre Magistere.


  81. PYROPHILE.


  82. Combien de nuages vous dissipés dans mon esprit et combien de misteres philosophiques vous me dévelopés tout à la fois, par les choses admirables que vous venez de me dire ! Je ne pourray jamais vous en remercier autant que je le dois. Je vous avoüe que je ne suis plus surpris apres cela, que la Pierre pretende la preference au dessus de l'or, et qu'elle méprise son éclat, et son merite imaginaires; puisque la moindre partie de ce qu'elle donne aux Philosophes, vaut plus que tout l'or du monde. Ayés, s'il vous plaît, la bonté de continuer à mon égard, comme vous avés commencé; et faites-moy la grace de me dire comment la Pierre peut se faire honneur (12) d'estre une matiere fluide, et non-permanente; puisque tous les Philosophes veulent qu'elle soit plus fixe, que l'or même ?


  83. EUDOXE.


  84. Vous voyés que vostre Autheur asseure, que la fluidité de la Pierre tourne à l'avantage de l'Artiste; mais il adjoute qu'il faut en même temps, que l'Artiste sçache la maniere d'extraire cette fluidité, c'est à dire cette humidité, qui est la cause de sa fluidité, et qui est la seule chose dont le Philosophe a besoin, comme je vous l'ay déja dit; de sorte qu'estre fluide, volatile, et non-permanante, sont des qualités autant necessaires à la Pierre dans son premier estat, comme le sont la fixité, et la permanance, lors qu'elle est dans l'estat de sa dernière perfection; c'est donc avec raison qu'elle s'en glorifie d'autant plus justement, que cette fluidité n'empèche point qu'elle ne soit douée d'une ame plus fixe, que n'est l'or: mais je vous dis encore une fois, que le grand secret consiste, à sçavoir la manière de tirer l'humidité de la Pierre. Je vous ay adverti, que c'est là veritablement la plus importante clef de l'art. Aussi est-ce sur ce point, que le grand Hermes s'ecrie, benite soit la forme acqueuse qui dissous les elemens. Heureux donc l'Artiste qui ne connoist pas seulement la Pierre; mais qui sçait de plus la convertir en eau. Ce qui ne peut se faire par aucun autre moyen, que par nostre feu secret, qui calcine, dissout, et sublime la Pierre.


  85. PYROPHILE.


  86. D'où vient donc (13) qu'entre cent artistes, il s'en trouve à peine un qui travaille avec la pierre, et qu'au lieu de s'attacher tous à cette seule, et unique matière, seule capable de produire de si grandes merveilles, ils s'appliquent au contraire presque tous à des sujets, qui n'ont aucune des qualités essentielles, que les Philosophes attribuent à leur Pierre ?


  87. EUDOXE.


  88. Cela vient en premier lieu de l'ignorance des Artistes, qui n'ont point autant de connoissance, qu'ils devroient en avoir, de la nature, ny de ce qu'elle est capable d'operer, en chaque chose: et en second lieu, cela vient d'un manque de penetration d'esprit, qui fait qu'ils se laissent aisement tromper aux expressions equivoques, dont les Philosophes se servent, pour cacher aux ignorans, et la matiere et ses veritables preparations. Ces deux grands défauts sont cause, que ces artistes prennent le change, et s'attachent à des sujets ausquels ils voyent quelques unes des qualités exterieures de la veritable matiere Philosophique, sans faire reflexion aux caracteres essentiels, qui la manifestent aux Sages.


  89. PYROPHILE.


  90. Je reconnois evidemment l'erreur de ceux qui s'imaginent que l'Or, et le Mercure vulgaires sont la véritable matiere des Philosophes; et j'en suis fort persuadé, voyant combien est foible le fondement sur lequel l'or s'appuye, pour pretendre cet avantage au dessus de la Pierre, alleguant en sa faveur ces paroles d'Hermès, (14) le soleil est son pere et la lune est sa mere.


  91. EUDOXE.


  92. Ce fondement est frivole; je viens de vous faire voir ce que les philosophes entendent, lors qu'ils attribuent au Soleil et à la Lune les principes de la Pierre. Le Soleil, et les astres en sont en effet la première cause; ils influent à la Pierre l'esprit, et l'ame, qui lui donnent la vie, et qui font toute son efficace. C'est pourquoi ils en sont le Pere et la Mere.


  93. PYROPHILE.


  94. Tous les Philosophes disent, comme celuy-cy, (15) que la Teinture phisique est composée d'un soufre rouge, et incombustible, et d'un Mercure clair et bien purifié: cette authorité est elle plus forte, que la precedente, pour devoir faire conclure que l'Or, et le Mercure sont la matiere de la Pierre ?


  95. EUDOXE.


  96. Vous ne devés pas avoir oublié, que tous les Philosophes declarent unanimement, que l'or et les métaux vulgaires ne sont pas leurs metaux; que les leurs sont vivans, et que les autres sont morts; vous ne devés pas avoir oublié non plus que je vous ay fait voir par l'authorité des Philosophes, appuyée sur les principes de la nature, que l'humidité metallique de la pierre preparée et purifiée, contient inseparablement dans son sein le soufre et le Mercure des Philosophes; qu'elle est par conséquent cette seule chose d'une seule et même espece, à laquelle on ne doit rien adjouter; et que le seul Mercure des Sages a son propre soufre, par le moyen duquel il se coagule, et se fixe; vous devés donc tenir pour une verité indubitable, que le mélange artificiel d'un souffre, et d'un Mercure, quels qu'ils puissent estre, autres que ceux qui sont naturellement dans la pierre, ne sera jamais la veritable confection Philosophique.


  97. PYROPHILE.


  98. Mais (16)cette grande amitié naturelle qui est entre l'Or et le Mercure, et l'union qui s'en fait si aisément, ne sont-ce pas des preuves, que ces deux substances doivent se convertir par une digestion convenable, en une parfaite Teinture ?


  99. EUDOXE.


  100. Rien n'est plus absurde que cela: car quand tout le Mercure, qu'on mêlera avec l'or se convertiroit en or; ce qui est impossible; ou que tout l'or se convertiroit en Mercure, ou bien en une moyenne substance; il ne se trouveroit jamais plus de teinture solaire dans cette confection, qu'il y en avoit dans l'or, qu'on auroit mêlé avec le Mercure; et par consequent elle n'auroit aucune vertu contingeante, ni aucune puissance multiplicative. Outre qu'on doit tenir pour constant, qu'il ne se fera jamais une parfaite union de l'or, et du Mercure; et que rapprocher ce fugitif compagnon abandonnera l'or aussi-tôt qu'il se sentira pressé par l'action du feu.


  101. PYROPHILE.


  102. Je ne doute en aucune maniere de ce que vous venez de me dire; c'est là le sentiment conforme à l'experience des plus solides Philosophes, qui se declarent ouvertement contre l'Or, et le Mercure vulgaires: mais il me vient en même temps un scrupule, sur ce qu'estant vray que les Philosophes ne disent jamais moins la vérité, que lors qu'ils l'expliquent ouvertement, ne pourroient-ils pas, touchant l'exclusion évidente de l'or, abuser ceux qui prennent leurs paroles à la lettre ? ou bien doit-on tenir pour asseuré, comme dit cet Autheur, (17)que les Philosophes ne manifestent leur Art, que lors qu'ils se servent de similitudes, de figures et de paraboles ?


  103. EUDOXE.


  104. Il y a bien de la difference entre declarer positivement, que telle ou telle matiere n'est pas le veritable sujet de l'art, comme ils font touchant l'or, et le Mercure; et donner à connoître sous des figures, et des allégories, les plus importants secrets, aux enfants de la science, qui ont l'avantage de voir clairement les verités Philosophiques, à travers les voiles enigmatiques, dont les Sages sçavent les couvrir. Dans le premier cas, les Philosophes disent negativement la verité sans équivoque; mais lors qu'ils parlent affirmativement, et clairement sur ce sujet, on peut conclure, que ceux qui s'attacheront au sens litteral de leurs paroles, seront indubitablement trompés. Les Philosophes n'ont point de moyen plus asseuré, pour cacher leur science à ceux qui en sont indignes, et la manifester aux Sages, que de ne l'expliquer que par des allegories dans les points essentiels de leur art; c'est ce qui fait dire à Artephius, que cet art est entièrement Cabalistique, pour l'intelligence duquel, on a besoin d'une espece de revelation; la plus grande penetration d'esprit, sans le secours d'un fidele ami, qui possede ces grandes lumieres, n'estant pas suffisante, pour démêler le vray d'avec le faux: aussi est-iI comme impossible, qu'avec le seul secours des livres, et du travail, on puisse parvenir à la connoissance de la matiere, et encore moins à l'intelligence d'une pratique si singuliere, toute simple, toute naturelle, et toute facile qu'elle puisse estre.


  105. PYROPHILE.


  106. Je reconnois par ma propre experience, combien est necessaire le secours d'un veritable ami, tel que vous l'estes. Au defaut de quoi il me semble que les Artistes, qui ont de l'esprit, du bon sens, et de la probité, n'ont point de meilleur moyen, que de conférer souvent ensemble, tant sur les lumieres qu'ils tirent de la lecture des bons livres, que sur les découvertes qu'ils font par leur travail; afin que de la diversité, et du chocq, pour ainsi dire, de leurs differens sentiments, il naisse de nouvelles étincelles de clarté, à la faveur desquelles ils puissent porter leurs decouvertes, jusques au dernier terme de cette secrete science. Je ne doute pas que vous n'approuviés mon opinion : mais comme Je sçay que plusieurs Artistes traittent de vision, et de paradoxe le sentiment des Autheurs, qui soutiennent avec celuy-cy, (18) qu'on doit chercher la perfection dans les choses imparfaites, je vous seray extremement obligé, si vous voulés bien me dire vostre sentiment sur un point, qui me paroit d'une grande consequence.


  107. EUDOXE.


  108. Vous estes déja persuadé de la sincerité, et de la bonne foy de vostre Autheur; vous devés d'autant moins la revoquer en doute sur ce point, qu'il s'accorde avec les veritables Philosophes; et je ne sçaurois mieux vous prouver la verité de ce qu'il dit icy, qu'en me servant de la même raison qu'il en donne, apres le sçavant Raimond Lulle. Car il est constant que la nature s'arreste à ses productions, lors qu'elle les a conduites jusques à l'état, et à la perfection qui leur convient; par exemple, lorsque d'une eau minérale tres-claire et tres-pure, teinte par quelque portion de souffre metallique, la nature produit une pierre precieuse, elle en demeure là; comme elle fait lorsque dans les entrailles de la terre, elle a formé de l'Or, avec l'eau Mercurielle, mere de tous les metaux, impregnée d'un pur souffre solaire; de sorte que comme il n'est pas possible de rendre un diamant, ou un rubis, plus precieux qu'il n'est en son espèce; de même il n'est pas au pouvoir de l'Artiste, je dis bien plus, il n'est pas au pouvoir même de la nature, de pousser l'Or à une plus grande perfection que celle qu'elle lui a donnée: le seul Philosophe est capable de porter la nature depuis une imperfection indeterminée, jusques à la plusque-perfection. Il est donc necessaire que nôtre Magistere produise quelque chose de plus-que-parfait, et pour y parvenir le Sage doit commencer par une chose imparfaite, laquelle estant dans le chemin de la perfection, se trouve dans la disposition naturelle à estre portée, jusques à la plusque-perfection, par le secours d'un art tout divin, qui peut aller au delà du terme limité de la nature; et si nôtre art ne pouvoit rendre un sujet plusque-parfait, on ne pourroit non plus rendre parfait, ce qui est imparfait, et toute nostre Philosophie seroit une pure vanité.


  109. PYROPHILE.


  110. Il n'y a personne qui ne doive se rendre à la solidité de vos raisonnemens: mais ne diroit-on pas, que cet Autheur se contredit icy manifestement, lors qu'il fait dire à la pierre, que le Mercure commun (quelque bien purgé qu'il puisse estre) n'est pas le Mercure des Sages; par aucune autre raison, sinon à (19) cause qu'il est imparfait; puisque selon lui, s'il estoit parfait, on ne devroit pas chercher en lui la perfection.


  111. EUDOXE.


  112. Prenez bien garde à cecy, et concevés bien, que si le Mercure des Sages a esté eslevé par l'art d'un estat imparfait, à un estat parfait, cette perfection n'est pas de l'ordre de celle, à laquelle la nature s'arrête dans la production des choses, selon la perfection de leurs especes, telle qu'est celle du Mercure vulgaire; mais au contraire la perfection que l'art donne au Mercure des Sages, n'est qu'un estat moyen, une disposition, et une puissance, qui le rend capable d'estre porté par la continuation de l'oeuvre, jusques à l'estat de la plusque-perfection, qui lui donne la faculté par l'accomplissement du Magistere, de perfectionner ensuite les imparfaits.


  113. PYROPHILE.


  114. Ces raisons toutes abstraites qu'elles sont, ne laissent pas d'estre sensibles, et de faire impression sur l'esprit: pour moy je vous avoüe que j'en suis entierement convaincu; ayés la bonté, je vous prie, de ne pas vous rebuter de la continuation de mes demandes. Nostre Autheur asseure que l'erreur dans laquelle les Artistes tombent, en prenant l'or, et le Mercure vulgaires, pour la veritable matiere de la pierre, abusés en cela par le sens litteral des Philosophes, est la grande pierre d'achopement d'un miliers de personnes ; pour moi je ne sçay comment avec la lecture, et le bon sens, on peut s'attacher à une opinion, qui est visiblement condamnée par les meilleurs Philosophes ?


  115. EUDOXE.


  116. Cela est pourtant ainsi. Les Philosophes ont beau recommander qu'on ne se laisse pas tromper au Mercure, ny même à l'or vulgaire; la plûpart des artistes s'y attachent neanmoins opiniatrément, et souvent apres avoir travaillé inutilement pendant le cours de plusieurs années, sur des matieres estrangeres, reconnoissent enfin la faute qu'ils ont faite; ils viennent cependant à l'or, et au Mercure vulgaires, dans lesquels ils ne trouvent pas mieux leur compte. Il est vrai qu'il y a des Philosophes, qui paroissant d'ailleurs fort sinceres, jettent neanmoins les Artistes dans cette erreur; soutenant fort serieusement, que ceux qui ne connoissent pas l'or des Philosophes, pourront toutesfois le trouver dans l'or commun, cuit avec le Mercure des Philosophes. Philalethe est de ce sentiment; il asseure que le Trevisan, Zachaire, et Flamel ont suivi cette voye; il adjoute cependant qu'elle n'est pas la veritable voye des Sages; quoy qu'elle conduise à la meme fin. Mais ces asseurances toutes sinceres qu'elles paroissent, ne laissent pas de tromper les Artistes; lesquels voulant suivre le même Philalethe dans la purification et l'animation, qu'il enseigne, du Mercure commun, pour en faire le Mercure des Philosophes, (ce qui est une erreur tres-grossiere sous laquelle il a caché le secret du Mercure des Sages), entreprenent sur sa parole un ouvrage tres penible et absolument impossible; aussi apres un long travail plein d'ennuys, et de dangers, ils n'ont qu'un Mercure un peu plus impur, qu'il n'estoit auparavant, au lieu d'un Mercure animé de la quintessence celeste: erreur deplorable, qui a perdu, et ruiné, et qui ruinera encore un grand nombre d'Artistes.


  117. PYROPHILE.


  118. C'est un grand avantage de pouvoir se faire sage aux dépens d'autruyt pour : moy je tâcheray de profiter de cette erreur, en suivant les bons Philosophes, et en me conduisant selon les lumieres que vous me faites la grace de me donner. Une des choses qui contribuë le plus à l'aveuglement des Artistes, qui s'attachent à l'Or, et au Mercure, est le dire commun des Philosophes, sçavoir que leur pierre est composée de mâle et de femelle, que l'Or tient lieu de mâle, selon eux, et le Mercure de femelle; je sçay bien, (ainsi que le dit mon Autheur), (12) qu'il n'en est pas de même avec les metaux, qu'avec les choses qui ont vie; cependant je vous serai sensiblement obligé, si vous voulés bien avoir la bonté de m'expliquer en quoy consiste cette différence.


  119. EUDOXE.


  120. C'est une vérité constante, que la copulation du mâle, et de la femelle est ordonnée de la nature, pour la generation des animaux; mais cette union du mâle et de la femelle pour la production de l'élixir, ainsi que pour celle des metaux, est purement allégorique, et n'est non plus nécessaire, que pour la production des vegetaux, dont la semence contient seule tout ce qui est requis, pour la germination, l'accroissement, et la multiplication des Plantes. Vous remarquerez donc que la matiere Philosophique, ou le Mercure des Philosophes, est une veritable semence, laquelle bien qu'homogene en sa substance, ne laisse pas d'être une double nature; c'est à dire qu'elle participe également de la nature du souffre, et de celle du Mercure metallique, intimement et inseparablement unis, dont l'un tient lieu de mâle, et l'autre de femelle: c'est pourquoy les Philosophes l'appellent Hermaphrodite, c'est à dire qu'elle est douée des deux sexes; en sorte que sans qu'il soit besoin du mélange d'aucune autre chose, elle suffit seule pour produire l'enfant Philosophique, dont la famille peut être multipliée à l'infini; de même qu'un grain de bled pourroit avec le tems, et la culture, en produire une assés grande quantité, pour ensemencer un vaste champ.


  121. PYROPHILE.


  122. Si ces merveilles sont aussi réelles, qu'elles sont vray-semblables, on doit avoüer que la science, qui en donne la connoissance, et qui en enseigne la pratique, est presque surnaturelle, et divine: mais pour ne pas m'écarter de mon Autheur, dites moy je vous prie, si la pierre n'est pas bien hardie de soutenir hautement, et sans en alleguer des raisons bien-pertinentes, que sans elle il est impossible de faire aucun or, ny aucun argent, qui soient veritables. L'Or lui dispute cette qualité, appuyé sur des raisons, qui ont beaucoup de vray-semblance; et il luy met devant les yeux ses grandes défectuosités, comme d'estre une matière crasse, impure, et venimeuse; et que luy au contraire est une substance pure, et sans défauts; de maniere qu'il me semble, que cette haute pretention de la pierre, combatuë par des raisons, qui ne paroissent pas estre sans fondement, meritoit bien d'estre soutenuë, et prouvée par de fortes raisons.


  123. EUDOXE.


  124. Ce que j'ay dit cy devant est plus que suffisant, pous establir la prééminence de la pierre, au dessus de l'or, et de toutes les choses creées: si vous y prenez garde, vous reconnoîtrés que la force de la verité est si puissante, que l'or en voulant décrier la pierre, par les deffauts qu'elle a en sa naissance, establit sans y penser sa superiorité, par la plus solide des raisons, que la pierre puisse alleguer elle-même en sa faveur. La voicy.L'or avouë, et reconnoit que la pierre fonde son droit de prééminence, sur ce (23) qu'elle est une chose universelle. En faut-il davantage, pour la condamnation de l'or, et pour l'obliger de ceder à la pierre ? Vous n'ignorés pas de combien la matiere universelle est au dessus de la matiere particulière. Vous venés de voir, que la pierre est la plus pure portion des Elemens metalliques, et que par consequent elle est la matiere premiere du genre mineral et metallique, et que lors que cette même matiere a été animée, et fécondée par l'union naturelle, qui s'en fait avec la matiere purement universelle, elle devient la pierre vegetable, seule capable de produire tous les grands effets, que les Philosophes attribuent aux trois medecines des trois genres. Il n'est pas besoin de plus fortes raisons, pour debouter une fois pour toutes, l'or et le Mercure vulgaires, de leurs pretentions imaginaires; l'or et le Mercure, et toutes les autres substances particulieres, dans lesquelles la nature finit ses opérations, soit qu'elles soient parfaites, soit qu'elles soient absolument imparfaites, sont entierement inutiles, ou contraires à notre art.


  125. PYROPHILE.


  126. J'en suis tout convaincu; mais le connois plusieurs personnes, qui traittent la pierre de ridicule, de vouloir disputer d'ancienneté avec l'or. Cet Autheur-cy soutient ce même paradoxe, et reprend l'or sur ce qu'il perd le respect à la pierre, en donnant un démenti à celle qui est plus agée que lui. Cependant comme la pierre tire son origine des métaux, il me paroît difficile de comprendre le fondement de son ancienneté.


  127. EUDOXE.


  128. Il n'est pas bien mal-aisé de vous satisfaire là dessus: Je m'estonne même que vous ayés formé ce doute; la pierre est la premiere matiere des metaux; et par conséquent elle est devant l'or, et devant tous les metaux; et si elle en tire son origine, ou si elle naist de leur destruction, ce n'est pas à dire qu'elle soit une production posterieure aux metaux; mais au contraire elle leur est anterieure, puisqu'elle est la matiere dont tous les metaux ont esté formés. Le secret de l'art consiste à sçavoir extraire des metaux de cette premiere matiere, ou ce germe metallique, qui doit vegeter par la fecondité de l'eau de la mer Philosophique.


  129. PYROPHILE.


  130. Me voilà convaincu de cette verité, et je trouve que l'or n'est pas excusable, de manquer de respect pour son ainée, qui a dans son parti les plus anciens, et les plus grands Philosophes. Hermes, Platon, Aristote, sont dans ses interests. Personne n'ignore qu'ils ne soient sur cette dispute, des Juges irrecusables. Permettés moy seulement de vous faire une question sur chacun des passages de ces Philosophes, que la pierre a cités icy, pour prouver par leur authorité, qu'elle est la seule, et veritable matiere des Sages.Le passage de la Table-d'Emeraude du grand Hermes, prouve l'excellence de la pierre, en ce qu'il fait voir que la pierre est douée de deux natures, sçavoir de celle des Estres supérieurs, et de celle des estres inferieurs; et que ces deux natures, toutes semblables, ont une seule et mesme origine; de sorte que nous devons conclure, qu'estant parfaitement unies en la pierre, elles composent un tiers estre d'une vertu inefable: mais je ne sçay si vous serez de mon sentiment, touchant la traduction de ce passage et le commentaire d'Hortulanus. On lit apres ces mots: ce qui est en bas est comme ce qui est en haut; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. On lit (dis je) pour faire les miracles d'une seule chose. Pour moy, je trouve que l'original latin a tout un autre sens: car le quibus, qui a fait la liaison des dernieres paroles avec les precedentes, veut dire que par ces choses (c'est à dire par l'union de ces deux natures) on fait les miracles d'une seule chose. Le pour dont le traducteur, et le commentateur se sont servis, detruit le sens, et la raison d'un passage, qui est de lui même fort juste, et fort intelligible. Dites moy s'il vous plait, si ma remarque est bien fondée.


  131. EUDOXE.


  132. Non seulement vostre remarque est fort juste; mais encore elle est tres importante. Je vous avouë que je n'y avois jamais fait reflexion; vous faites en cecy mentir le proverbe, veu que le disciple s'esleve au dessus du maistre. Mais comme j'avois leu la Table-d'Emeraude plus souvent en latin, qu'en françois, le defaut de la traduction et du commentaire ne m'avoit point causé d'obscurité, comme elle peut faire à ceux qui ne lisent qu'en françois ce sommaire de la sublime Philosophie d'Hermes. En effet la nature superieure, et la nature inferieure ne sont pas semblables, pour operer des miracles; mais c'est parcequ'elles sont semblables, qu'on peut par elles faire les miracles d'une seule chose. Vous voyés donc que je suis tout-à-fait de vôtre sentiment.


  133. PYROPHILE.


  134. Je me sçay bon gré de ma remarque: je doutois qu'elle pust meriter vostre approbation; et je m'asseure apres cela, que les enfants de la science me sçauront aussi quelque gré, d'avoir tiré de vous sur ce sujet un éclaircissement, qui satisfera sans doute les disciples du grand Hermes. On ne doute pas que le sçavant Aristote n'ait parfaitement connu le grand art. Ce qu'il en a écrit, en est une preuve certaine: aussi dans cette dispute, la pierre sçait se prevaloir de l'authorité de ce grand Philosophe, par un passage qui contient ses plus singulieres, et plus surprenantes qualités. Ayés, s'il vous plait, la bonté de me dire comment vous entendés celles-cy: (26) Elle s'épouse elle meme ; elle s'engrosse elle même; elle naist d'elle même.


  135. EUDOXE.


  136. La pierre s'épouse elle même; en ce que dans sa premiere generation, c'est la nature seule aidée par l'art qui fait la parfaite union des deux substances, qui luy donnent l'estre, de laquelle resulte en même temps la deputation essentielle du souffre et du Mercure metalliques. Union et épousailles si naturelles, que l'artiste qui y prête la main, en y apportant les dispositions requises, ne sçauroit en faire une demonstration par les regles de l'art; puisqu'il ne sçauroit même bien comprendre le mistere de cette union.La pierre s'engrosse elle-même; lors que l'art continuant d'aider la nature par des moyens tout naturels, met la pierre dans la disposition, qui luy convient, pour s'impregner elle-même de la semence astrale, qui la rend féconde, et multiplicative de son espece.La pierre naist d'elle-même: parce qu'apres s'être épousée, et engrossée elle même, l'art ne faisant autre chose que d'aider la nature, par la continuation d'une chaleur necessaire à la generation, elle prend une nouvelle naissance d'elle-même, tout de même que le Phénix renaist de ses cendres; elle devient le fils du soleil, la medecine universelle de tout ce qui a vie, et le veritable or vivant des Philosophes, qui par la continuation du secours de l'art, et du ministere de l'Artiste, acquiert en peu de temps le Diademe Royal, et la puissance souveraine sur tous ses freres.


  137. PYROPHILE.


  138. Je conçois fort bien, que sur ces mêmes principes, il n'est pas difficile de comprendre toutes les autres qualités, qu'Aristote attribuë à la pierre, comme de se tuer elle même; de reprendre vie d'elle même; de se resoudre d'elle même dans son propre sang; de se coaguler de nouveau avec lui, et d'acquérir enfin toutes les propriétés de la Pierre Philosophale. Je ne trouve même plus de difficultés apres cela, dans le passage de Platon. Je vous prie toutefois de vouloir bien me dire ce que cet ancien entend, avec tous ceux qui l'ont suivi, sçavoir: (27) que la pierre a un corps, une ame, et un esprit, et que toutes choses sont d'elle, par elle, et en elle.


  139. EUDOXE.


  140. Platon auroit deu dans l'ordre naturel, passer devant Aristote, qui estoit son disciple, et duquel il est vray-semblable, qu'il avoit appris la Philosophie secrete, dont il vouloit bien qu'Alexandre le Grand le crût parfaitement instruit; si on en juge par quelques endroits des écrits de ce Philosophe, mais cet ordre est peu important, et si vous examinez bien le passage de Platon, et celui d'Aristote, vous ne les trouverés pas beaucoup differens dans le sens: pour satisfaire neanmoins à la demande que vous me faites, je vous diray seulement que la pierre a un corps, puisqu'elle est, ainsi que je vous l'ai dit cy-devant, une substance toute metallique, qui luy donne le poids; qu'elle a une ame, qui est la plus pure substance des Elemens, dans laquelle consiste sa fixité, et sa permanence; qu'elle a un esprit, qui fait l'union de l'ame avec le corps: il luy vient particulierement de l'influence des astres, et il est le vehicule des teintures. Vous n'aurez pas non plus beaucoup de peine à concevoir, que toutes choses sont d'elle, par elle, et en elle; puisque vous avez déja veu, que la pierre n'est pas seulement la premiere matiere de tous les êtres contenus sous le genre mineral, et metallique; mais encore qu'elle est unie à la matiere universelle, dont toutes choses ont pris naissance; et c'est là le fondement des derniers attributs, que Platon donne à la Pierre.


  141. PYROPHILE.


  142. Comme je vois que la pierre ne s'attribuë pas seulement les proprietés universelles, mais qu'elle pretend aussi (28) que le succez que quelques Artistes ont eu dans certains procedés particuliers, soit uniquement venu d'elle; je vous avouë que j'ay quelque peine à comprendre comment cela s'est pû faire ?


  143. EUDOXE.


  144. Ce Philosophe l'explique toutesfois assés clairement. Il dit que quelques artistes qui ont connu imparfaitement la Pierre, et qui n'ont sceu qu'une partie de l'oeuvre, ayant cependant travaillé avec la pierre, et trouvé le moyen d'en separer son esprit, qui contient sa teinture, sont venus à bout d'en communiquer quelques parties à des metaux imparfaits, qui ont affinité avec la pierre, mais que pour n'avoir pas eu connoissance entiere de ses vertus, ny de la maniere de travailler avec elle, leur travail ne leur a pas apporté une grande utilité; outre que le nombre de ces Artistes est asseurement tres-petit.


  145. PYROPHILE.


  146. Il est naturel de conclure par ce que vous venez de me dire, qu'il y a des personnes qui ont la pierre entre les mains, sans connoistre toutes ses vertus, ou bien, s'ils les connoissent, ils ne sçavent pas comment on doit travailler avec elle, pour réussir dans le grand oeuvre, et que cette ignorance est cause que leur travail n'a aucun succez. Je vous prie de me dire si cela est ainsi.


  147. EUDOXE.


  148. Sans doute plusieurs Artistes ont la Pierre en leur possession; les uns la méprisent, comme une chose vile; les autres l'admirent, à cause des caracteres en quelque façon surnaturels qu'elle apporte en naissant, sans connoistre cependant tout ce qu'elle vaut. Il y en a enfin qui n'ignorent pas, qu'elle est le veritable sujet de la Philosophie; mais les operations que les enfants de l'art doivent faire sur ce noble sujet, leur sont entierement inconnuës, par ce que les livres ne les enseignent pas, et que tous les Philosophes cachent cet art admirable qui convertit la pierre en Mercure des Philosophes, et qui aprend de faire de ce Mercure la Pierre Philosophale. Cette premiere pratique est l'oeuvre secret, touchant lequel les Sages ne s'énoncent que par des Allegories, et par des enigmes impenetrables, ou bien ils n'en parlent point du tout. C'est là, comme j'ay dit, la grande pierre d'achopement, contre laquelle presque tous les Artistes trebuchent.


  149. PYROPHILE.


  150. Heureux ceux qui possedent ces grandes connoissances ! Pour moy, je ne puis me flatter d'estre arrivé à ce point: je ne suis qu'en peine de sçavoir, comment je pourray assés vous remercier, de m'avoir donné tous les éclaircissemens, que je pouvois raisonnablement souhaiter de vous, sur les endroits les plus essentiels de cette Philosophie, ainsi que sur tous les autres, touchant lesquels vous avez bien voulu répondre à mes questions; je vous prie instamment de ne pas vous lasser, j'en ay encore quelques unes à vous faire qui me paroissent d'une tres-grande consequence. Ce Philosophe asseure que l'erreur de ceux qui ont travaillé avec la Pierre, et qui n'y ont pas réussi, est venuë (29) de ce qu'ils n'ont pas connu l'origine d'où viennent les teintures, Si la source de cette fontaine Philosophique est si secrete, et si difficile à découvrir; il est constant qu'il y a bien des gens trompés: car ils croyent tous generalement que les metaux, et les mineraux, et particulierement l'or, contiennent dans leur centre cette teinture capable de transmuer les metaux imparfaits.


  151. EUDOXE.


  152. Cette source d'eau vivifiante est devant les yeux de tout le monde, dit le Cosmopolite, et peu de gens la connoissent. L'or, l'argent, les metaux, et les mineraux ne contiennent point une teinture multiplicative jusques à l'infini; il n'y a que les metaux vivants des Philosophes, qui ayent obtenu de l'art, et de la nature, cette faculté multiplicative: mais aussi il n'y a que ceux qui sont parfaitement éclairés dans les misteres Philosophiques, qui connoissent la veritable origine des teintures. Vous n'estes pas du nombre de ceux qui ignorent, où les Philosophes puisent leurs tresors, sans crainte d'en tarir la source. Je vous ay dit clairement, et sans ambiguité, que le Ciel, et les Astres, mais particulierement le Soleil et la Lune sont le principe de cette fontaine d'eau vive, seule propre à operer toutes les merveilles que vous sçavés. C'est ce qui fait dire au Cosmopolite dans son énigme, que dans l'Isle délicieuse, dont il fait la description, il n'y avoit point d'eau; que toute celle qu'on s'efforçoit d'y faire venir, par machines, et par artifices, estoit ou inutile, ou empoisonnée, excepté celle, que peu de personnes scavoient extraire des rayons du Soleil, ou de la Lune. Le moyen de faire descendre cette eau du Ciel, est certes merveilleux; il est dans la pierre, qui contient l'eau centrale, laquelle est veritablement une seule et même chose avec l'eau celeste, mais le secret consiste à sçavoir convertir la pierre en un Aiman, qui attire, embrasse, et unit à soy cette quintessence astrale, pour ne faire ensemble qu'une seule essence, parfaite, et plusque-parfaite, capable de donner la perfection aux imparfaits, apres l'accomplissement du Magistere.


  153. PYROPHILE.


  154. Que je vous ay d'obligations, de vouloir bien me reveler de si grands misteres à la connoissance desquels je ne pouvois jamais esperer de parvenir, sans le secours de vos lumieres ! Mais puisque vous trouvés bon que je continüe, permettés moy s'il vous plait, de vous dire que je n'avois point veu jusques icy un Philosophe qui eust aussi precisement déclaré que fait celui-cy, qu'il falloit donner une femme à la pierre, la faisant parler de cette sorte: (30) si ces Artistes avoient porté leurs recherches plus loin et qu'ils eussent examiné quelle est la femme qui m'est propre; qu'ils l'eussent cherchée et qu'ils m'eussent uni à elle; c'est alors que j'aurois pu teindre mille fois davantage. Bien que je m'aperçoive en general que ce passage a une entière relation avec le precedent je vous avoüe néanmoins que cette expression, d'une femme convenable à la pierre ne laisse pas de m'embarrasser.


  155. EUDOXE.


  156. C'est beaucoup cependant, que vous connoissiez déja de vous-meme que ce passage a de la connexité avec celuy que je viens de vous expliquer; c'est à dire que vous jugez bien que la femme qui est propre à la pierre et qui doit lui être unie, est cette fontaine d'eau vive, dont la source toute celeste, qui a particulierement son centre dans le Soleil, et dans la Lune, produit ce clair et precieux ruisseau des Sages, qui coule dans la mer des Philosophes, laquelle environne tout le monde; ce n'est pas sans fondement, que cette divine fontaine est appelée par cet Autheur la femme de la pierre; quelques uns l'ont représentée sous la forme d'une Nymphe céleste; quelques autres lui donnent le nom de la chaste Diane, dont la pureté et la virginité n'est point souillée par le lien spirituel qui l'unit à la pierre; en un mot, cette conjonction magnetique est le mariage magique du Ciel avec la Terre, dont quelques Philosophes ont parlé: de sorte que la source feconde de la teinture phisique, qui opere de si grandes merveilles, prend naissance dans cette union conjugale toute misterieuse.


  157. PYROPHILE.


  158. Je ressens avec une satisfaction indicible tout l'effet des lumieres, dont vous me faites part; et puisque nous sommes sur ce point, permettés moy, je vous prie, de vous faire une question, qui pour estre hors du texte de cet Autheur, ne laisse pas d'estre essentielle à ce sujet. Je vous supplie de me dire si le mariage magique du Ciel avec la Terre, se peut faire en tout temps; où s'il y a des saisons dans l'année qui soient plus convenables les unes que les autres à celebrer ces Nopces Philosophiques.


  159. EUDOXE.


  160. J'en suis venu trop avant, pour vous refuser un éclaircissement si necessaire, et si raisonnable. Plusieurs Philosophes ont marqué la saison de l'année, qui est la plus propre à cette operation. Les uns n'en ont point fait de misteres; les autres plus reservez ne se sont expliqués sur ce point que par des paraboles. Les premiers ont nommé le mois de Mars, et le printemps. Zachaire et quelques autres Philosophes disent, qu'ils commencerent leur oeuvre à Pâques, et qu'ils la finirent heureusement dans le cours de l'année. Les autres se contentent de representer le jardin des Hesperides émaillé de fleurs, et particulierement de violettes et de hyacinthes, qui sont les premieres productions du Printemps. Le Cosmopolite plus ingenieux que les autres, pour indiquer que la saison la plus propre au travail Philosophique, est celle dans laquelle tous les êtres vivants, sensitifs, et vegetables paroissent animés d'un feu nouveau, qui les porte reciproquement à l'amour, et à la multiplication de leur espece, dit que Venus est la Deesse de cette Isle charmante, dans laquelle il vit à découvert tous les misteres de la nature: mais pour marquer plus precisement cette saison, il dit qu'on voyoit paistre dans la prairie des beliers, et des taureaux, avec deux jeunes bergers, exprimant clairement dans cette spirituelle allegorie, les trois mois du Printemps par les trois signes celestes qui leur répondent: Aries, Taurus, et Gemini.


  161. PYROPHILE.


  162. Je suis ravi de ces interprétations. Ceux qui sont plus éclairés, que je ne suis dans ces misteres, ne feront peut-être pas autant de cas que je fais, du dénouement de ces enigmes, dont le sens toutesfois a esté, jusques à present, impénétrable à plusieurs de ceux, qui croyent d'ailleurs entendre fort bien les Philosophes. Je suis persuadé qu'on doit compter pour beaucoup, un pareil éclaircissement, capable de faire voir clair dans d'autres obscurités plus importantes; en effet peu de personnes s'imaginoient que les violettes et les hyacinthes d'Espagnet et les bestes à cornes du jardin des Hesperides; le ventre et la maison du bélier du Cosmopolite, et de Philalethe; l'Isle de la Deesse Venus, les deux pasteurs, et le reste que vous venés de m'expliquer, signifiassent la saison du printemps. Je ne suis pas le seul, qui dois vous rendre mille graces, d'avoir bien voulu developper ces misteres; je suis asseuré qu'il se trouvera dans la suite des temps, un grand nombre d'enfans de la science qui beniront votre memoire, pour leur avoir ouvert les yeux sur un point, qui est plus essentiel à ce grand art, qu'ils ne se le seroient imaginés.


  163. EUDOXE.


  164. Vous avés raison en ce qu'on ne peut s'asseurer d'entendre les Philosophes, à moins qu'on n'ait une entiere intelligence des moindres choses qu'ils ont escrites. La connoissance de la saison propre à travailler au commencement de l'oeuvre, n'est pas de petite conséquence; en voicy la raison fondarnentale. Comme le Sage entreprend de faire par nostre art une chose, qui est au dessus des forces ordinaires de la nature, comme d'amolir une pierre, et de faire vegeter un germe metallique; il se trouve indispensablement obligé d'entrer par une profonde meditation dans le plus secret interieur de la nature, et de se prevaloir des moyens simples, mais efficaces qu'elle luy en fournit; or vous ne devés pas ignorer, que la nature dès le commencement du Printemps, pour se renouveller, et mettre toutes les semences, qui sont au sein de la terre, dans le mouvement qui est propre à la vegetation, impregne tout l'air qui environne la terre, d'un esprit mobile, et fermentatif, qui tire son origine du pere de la nature; c'est proprement un nitre subtil, qui fait la fecondité de la terre et dont il est l'âme, et que le Cosmopolite appelle le sel-petre des Philosophes. C'est donc dans cette seconde saison que le Sage Artiste, pour faire germer sa semence metallique, la cultive, la rompt, l'humecte, l'arose de cette prolifique rosée, et lui en donne à boire autant que le poids de la nature le requiert; de cette sorte le germe Philosophique concentrant cet esprit dans son sein, en est animé et vivifié, et acquiert les propriétés, qui lui sont essentielles, pour devenir la pierre vegetable, et multiplicative. J'espere que vous serés satisfait de ce raisonnement, qui est fondé sur les loix, et sur les principes de la nature.


  165. PYROPHILE.


  166. Il est impossible qu'on puisse l'être plus que je le suis; vous me donnez des lumieres que les Philosophes ont caché sous un voile impenetrable, et vous me dites des choses importantes, que je pousserois volontiers mes questions plus loin, pour profiter de la bonté que vous avés de ne me rien déguiser; mais pour ne pas en abuser, je reviens à l'endroit de mon Autheur, où la pierre soutient à l'or, et au Mercure, qu'il est impossible, qu'il se fasse une veritable union entre leurs deux substances, parce, (leur dit-elle) (31) que vous n'estes pas un seul corps; mais deux corps ensemble, et par consequent vous estes contraires, à considerer les loix de la rature. Je sçay bien que la penetration des substances, n'estant pas possible selon les loix de la nature, leur parfaite union ne l'est pas non plus, et qu'en ce sens-là, deux corps sont contraires l'un à l'autre: cependant comme presque tous les Philosophes asseurent que le Mercure est la premiere matiere des metaux, et que selon Geber il n'est pas un corps, mais un esprit qui penetre les corps, et particulierement celuy de l'or, pour lequel il a une sympathie visible; n'est-il pas vray-semblable, que ces deux substances, ce corps et cet esprit peuvent s'unir parfaitement, pour ne faire qu'une seule et même chose d'une même nature ?


  167. EUDOXE.


  168. Remarqués qu'il y a deux erreurs dans vostre raisonnement; la premiere, en ce que vous croyés que le Mercure commun est la premiere, et simple matiere, dont les metaux sont formés dans les mines; cela n'est pas ainsi. Le Mercure, est un metail, qui pour avoir moins de souffre et moins d'impuretez terrestres que les autres metaux, demeure liquide, et coulant, s'unit avec les metaux, mais particulierement avec l'or, comme estant le plus pur de tous; et s'unit moins facilement avec les autres metaux à proportion qu'ils sont plus ou moins impurs dans leur composition naturelle. Vous devés donc sçavoir, qu'il y a une premiere matière des metaux, dont le Mercure mesme est formé, c'est une eau visqueuse, et Mercurielle, qui est l'eau de nostre pierre. Voilà quel est le sentiment des veritables Philosophes.Je serois trop long, si je voulois vous deduire icy tout ce qu'il y a à dire sur ce sujet. Je viens à la seconde erreur de vostre raisonnement, laquelle consiste en ce que vous imaginez, que le Mercure commun est un esprit metallique, qui selon Geber peut penétrer interieurement, et teindre les metaux, s'unir et demeurer avec eux, apres qu'il aura esté artificieusement fixé. Mais vous devés considerer que le Mercure n'est appelé esprit par Geber, que parce qu'il s'envole du feu, à cause de la mobilité de sa substance homogéne: toutesfois cette propriété ne l'empeche pas d'estre un corps metallique, lequel pour cette raison ne peut jamais s'unir si parfaitement avec un autre metail, qu'il ne s'en separe toujours, lors qu'il se sent pressé par l'action du feu. L'experience montre l'evidence de ce raisonnement et par consequent la pierre a raison de soutenir à l'or, qu'il ne se peut jamais faire une parfaite union de luy avec le Mercure.


  169. PYROPHILE.


  170. Je comprends fort bien, que mon raisonnement estoit erroné, et pour vous dire le vray, je n'ay jamais pû m'imaginer, que le Mercure commun fust la premiere matière des metaux, bien que plusieurs graves Philosophes posent cette vérité, pour un des fondemens de l'art. Et je suis persuadé, qu'on ne peut trouver dans les mines, la vraye premiere matiere des metaux, separée des corps metalliques, elle n'est qu'une vapeur, une eau visqueuse, un esprit invisible, et je crois en un mot que la semence ne se trouve que dans le fruit. Je ne sçay si je parle juste; mais je crois que c'est là le vray sens des éclaircissements que vous avez voulu me donner.


  171. EUDOXE.


  172. On ne peut avoir mieux compris, que vous avez fait ces verités connuës de peu de personnes. Il y a de la satisfaction à parler ouvertement avec vous des misteres Philosophiques. Voyés quelles sont les demandes que vous avez encore à me faire.


  173. PYROPHILE.


  174. Je ne sçay si la pierre ne se contredit point elle-même, lors qu'elle se glorifie, d'avoir (32) un corps impartait avec une ame constante, et une teinture penetrante ? ces deux grandes perfections me paroissent incompatibles dans un corps imparfait.


  175. EUDOXE.


  176. On diroit icy, que vous avés déja oublié une verité fondamentale, dont vous avés esté pleinement convaincu cy-devant; souvenez-vous donc que si le corps de pierre n'estoit imparfait, d'une imperfection toutefois en laquelle la nature n'a pas fini son opération, on ne pourroit y chercher, et encore moins y trouver la perfection. Cela posé, il vous sera bien facile de juger, que la constance de l'ame, et la perfection de la teinture ne sont pas actuellement, ni en état de se manifester dans la pierre, tant qu'elle demeure dans son estre imparfait; mais lors que par la continuation de l'oeuvre, la substance de la pierre a passé de l'imperfection à la perfection, et de la perfection à la plus-que-perfection, la constance de son ame et l'efficace de la teinture de son esprit, se trouvent reduites de la puissance à l'acte; de sorte que l'ame, l'esprit, et le corps de la pierre également exaltez, composent un tout d'une nature, et d'une vertu incomprehensible.


  177. PYROPHILE.


  178. Puisque mes demandes vous donnent lieu de dire des choses si singulieres, ne trouvés pas mauvais, je vous prie, que je continuë. Je me suis toujours persuadé que la pierre des Philosophes est une substance réelle qui tombe sous les sens, cependant je vois que cet Autheur asseure le contraire, disant (33) nostre pierre est invisible. Je vous asseure que quelque bonne opinion que j'aye de ce Philosophe, il me permettra de n'estre pas de son sentiment sur ce point.


  179. EUDOXE.


  180. J'espère toutesfois que vous en sérés bien-tost. Ce Philosophe n'est pas le seul qui tient ce langage: la pluspart parlent de la mesme maniere qu'il fait; et à vous dire le vray, nostre Pierre est proprement invisible, aussi bien à l'égard de sa matiere, comme à l'égard de sa forme. A l'égard de sa matiere; parce qu'encore que nostre pierre, ou bien nostre Mercure, (il n'y a point de difference) existe réellement, il est vray neanmoins qu'elle ne paroist pas à nos yeux, à moins que l'artiste ne preste la main à la nature, pour l'aider à mettre au monde cette production Philosophique; c'est ce qui fait dire au Cosmopolite, que le sujet de nostre Philosophie a une existence réelle; mais qu'il ne se fait point voir, si ce n'est, lors qu'il plait à l'artiste de le faire paroistre.La pierre n'est pas moins invisible à l'egard de sa forme; j'appelle icy sa forme, le principe de ses admirables facultés, d'autant que ce principe, cette energie de la pierre, et cet esprit dans lequel reside l'efficace de sa teinture, est une pure essence astrale impalpable, laquelle ne se manifeste que par les effets surprenants qu'elle produit. Les Philosophes parlent souvent de leur pierre considerée en ce sens-là. Hermes l'entend ainsi, lors qu'il dit que le vent la porte dans son ventre; et le Cosmopolite ne s'éloigne point de ce Pere de la Philosophie, lors qu'il asseure que nostre sujet est devant les yeux de tout le monde; que personne ne peut vivre sans luy; et que toutes les creatures s'en servent; mais que peu de personnes l'aperçoivent. He bien, n'estes vous pas du sentiment de vostre Autheur, et n'avoués vous pas que de quelque maniere que vous consideriez la pierre, il est vray de dire qu'elle est invisible ?


  181. PYROPHILE.


  182. Il faudroit que je n'eusse ny esprit, ny raison, pour ne pas tomber d'accord d'une vérité, que vous me faites toucher au doigt, en me developpant en mesme temps le sens le plus caché, et le plus misterieux des écritures Philosophiques. Je me trouve si éclairé par tout ce que vous me dites, qu'il me semble que les Autheurs les plus abstraits n'auront plus d'obscurité pour moy; je vous seray cependant fort obligé, si vous voulés bien me dire vostre sentiment, touchant la proposition que cet Autheur avance, (34) qu'il n'est pas possible querir la possession du Mercure Philosophique autrement, que par le moyen de deux corps, dont l'un ne peut recevoir la perfection sans l'autre. Ce passage me paroist si positif, et si precis, que je ne doute pas qu'il soit fondamentalement dans la pratique de l'oeuvre.


  183. EUDOXE.


  184. Il n'y en a pas asseurement de plus fondamental, puisque ce Philosophe vous marque en cet endroit, comment se forme la pierre sur laquelle toute nostre Philosophie est fondée; en effet nostre Mercure, ou nostre pierre prend naissance de deux corps: remarqués cependant que ce n'est pas le mélange de deux corps qui produit nostre Mercure, ou nostre pierre: car vous venés de voir que les corps sont contraires, et qu'il ne s'en peut faire une parfaite union: mais nostre pierre naist au contraire de la destruction de deux corps, lesquels agissant l'un sur l'autre comme le mâle et la femelle, ou comme le corps et l'esprit, d'une manière autant naturelle, qu'elle est incomprehensible à l'artiste, qui y prête le secours necessaire, cessent entierement d'estre ce qu'ils estoient auparavant, pour mettre au jour une production d'une nature et d'une origine merveilleuse, et qui a toutes les dispositions nécessaires, pour estre portée par l'art, et par la nature, de perfection en perfection, jusques au souverain degré, qui est audessus de la nature même.Remarqués aussi que ces deux corps qui se détruisent, et se confondent l'un dans l'autre, pour la production d'une troisième substance, et dont l'un tient lieu de mâle, et l'autre de femelle, dans cette nouvelle generation, sont deux agens, qui se dépouïllans de leur plus grossiere substance dans cette action, changent de nature pour mettre au monde un fils d'une origine plus noble, et plus illustre, que le pere et la mere, qui lui donnent l'estre; aussi il apporte en naissant des marques visibles qui font voir évidemment, que le Ciel a presidé à sa naissance.Remarqués de plus que nostre pierre renaist plusieurs diverses fois, mais que dans chacune de ses nouvelles naissances, elle tire toujours son origine de deux choses. Vous venés de voir comment elle commence de naistre de deux corps: vous avés veu qu'elle épouse une Nymphe Céleste, apres qu'elle a esté dépouillée de sa forme terrestre, pour ne faire qu'une seule et mesme chose avec elle; sçachés aussi qu'apres que la pierre a paru de nouveau sous une forme terrestre, elle doit encore estre mariée à une épouse de son mesme sang, de sorte que ce sont tousjours deux choses qui en produisent une seule, d'une seule et mesme espece; et comme c'est une verité constante que dans tous les differents estats de la pierre, les deux choses qui s'unissent pour lui donner nouvelle naissance, viennent d'une seule et mesme chose; c'est aussi sur ce fondement de la nature, que le Cosmopolite appuye une verité incontestable dans nostre Philosophie, sçavoir, que d'un il s'en fait deux et de deux, un, à quoy se terminent toutes les operations naturelles et Philosophiques, sans pouvoir aller plus loin.


  185. PYROPHILE.


  186. Vous me rendés si intelligibles, si palpables ces sublimes véritez, toutes abstraites qu'elles sont, que je les conçois presque aussi évidemment, que si c'estoient des demonstrations Mathematiques. Permettés moy, s'il vous plait, de vous demander encore quelques éclaircissements, afin qu'il ne me reste plus aucun doute touchant l'interpretation de cet Autheur. J'ay fort bien compris que la pierre née de deux substances d'une mesme espece, est un tout homogene, et un tiers-estre doüé de deux natures, qui le rendent seul suffisant par luy mesme à la generation du fils du Soleil: mais j'ay quelque peine à bien comprendre, comment ce Philosophe entend, que (35) la seule chose dont se fait la medecine universelle est l'eau, et l'esprit du corps ?


  187. EUDOXE.


  188. Vous trouveriez le sens de ce passage evident de lui mesme, si vous vous souveniés, que la premiere et la plus importante operation de la pratique du premier oeuvre, est de reduire en eau le corps, qui est nostre pierre, et que ce point est le plus secret de nos misteres. Je vous ai fait voir que cette eau doit être vivifiée, et fecondée par une semence astrale, et par un esprit céleste, dans lequel reside toute l'efficace de la teinture Phisique: de sorte que si vous y faites reflexion, vous avoüerés qu'il n'y a point de verité plus evidente dans nostre Philosophie, que celle que vostre Autheur avance icy, sçavoir que la seule chose dont le sage a besoin, pour faire toutes choses, n'est autre que l'eau et l'esprit du corps. L'eau est le corps et l'ame de nôtre sujet; la semence astrale en est l'esprit; c'est pourquoi les Philosophes asseurent que leur matiere a un corps, une ame et un esprit.


  189. PYROPHILE.


  190. J'avoüe que je m'aveuglois moi-même, et que si j'y avois bien fait reflexion, je n'aurois formé aucun doute sur cet endroit: mais en voici un autre, qui n'est point cependant un sujet de doute; mais qui ne laisse pas pour cela, de me faire souhaiter que vous veuïllés bien dire vostre sentiment sur ces paroles-cy: sçavoir, que la seule chose qui est le sujet de l'art, et qui n'a pas sa pareille dans le monde, (36) est vile toutesfois et qu'on peut l'avoir à peu de frais.


  191. EUDOXE.


  192. Cette chose si precieuse par les dons excellens, dont le Ciel l'a pourveüe, est veritablement vile, à l'égard des substances dont elle tire son origine. Leur prix n'est point au dessus des facultés des pauvres. Dix sols sont plus que suffisans pour acquerir la matiere de la pierre. Les instrumens toutefois, et les moyens qui sont nécessaires pour poursuivre les operations de l'art, demandent quelque sorte de dépense; ce qui fait dire à Geber que l'oeuvre n'est pas pour les pauvres. La matière est donc vile, à considérer le fondement de l'art, puis qu'elle coute fort peu; elle n'est pas moins vile, si on considère exterieurement ce qui lui donne la perfection, puisque à cet égard, elle ne coute rien du tout; d'autant que tout le monde l'a en sa puissance, dit le Cosmopolite; de sorte que soit que vous distinguiés ces choses, soit que vous les confondiés (comme font les Philosophes pour tromper les sots, et les ignorants) c'est une vérité constante, que la pierre est une chose vile en un sens: mais qu'elle est tres-precieuse en un autre, et qu'il n'y a que les fols qui la méprisent, par un juste jugement de Dieu.


  193. PYROPHILE.


  194. Me voila bien-tôt autant instruit que je puis le souhaiter; faites-moy seulement la grace de me dire, comment on peut connoistre, quelle est la veritable voye des Philosophes; puis qu'ils en décrivent plusieurs differentes, et qui paroissent souvent opposées. Leurs livres sont remplis d'une infinité de diverses operations; sçavoir de conjonctions, calcinations, mixtions, separations, sublimations, distillations, coagulations, fixations, dessications, dont ils font sur chacune des chapitres entiers; ce qui met les Artistes dans un tel embarras, qu'il leur est presque impossible d'en sortir heureusement. Ce philosophe insinüe, ce semble, que comme il n'y a qu'une chose dans ce grand art, il n'y a aussi qu'une voye; et pour toute raison, il dit, (37) que la solution du corps ne se fait que dans son propre sang. Je ne trouve rien dans tout cet écrit, où vos lumieres me soient plus necessaires, que sur ce point, qui concerne la pratique de l'oeuvre, sur laquelle tous les Philosophes font profession de se taire: je vous conjure de ne pas me les refuser.


  195. EUDOXE.


  196. Ce n'est pas sans beaucoup de raison, que vous me faites une telle demande: elle regarde le point essentiel de l'oeuvre; et je souhaiterois de tout mon coeur pouvoir y répondre aussi distinctement que j'ay fait à plusieurs de vos autres questions. Je vous proteste que je vous ay dit partout la vérité; je veux en faire encore de même; mais vous sçavés que les misteres de notre sacrée science ne peuvent estre enseignés, qu'avec des termes misterieux: je vous dirai néanmoins sans équivoque, que l'intention generale de notre art, est de purifier exactement, et de subtiliser une matiere d'elle-même immonde, et grossière. Voilà une verité très-importante, qui merite que vous y fassiez reflexion.Remarqués que pour arriver à cette fin, plusieurs operations sont requises, qui ne tendent toutes qu'à un même but, ne sont dans le fond considérées par les Philosophes, que comme une seule et même operation, diversement continuée. Observés que le feu separe d'abord les parties heterogénes, et conjoint les parties homogénes de nostre pierre: que le feu secret produit ensuite le même effet; mais plus efficacement en introduisant dans la matiere un esprit igné, qui ouvre interieurement la porte secrete, qui subtilise, et qui sublime les parties pures, les separant des parties terrestres et adustibles. La solution qui se fait ensuite par l'addition de la quintessence astrale, qui anime la pierre, en fait une troisieme depuration, et la distillation l'acheve entierement, ainsi purifiant, et subtilisant la pierre par plusieurs differents degrés, auxquels les Philosophes ont accoutumé de donner les noms d'autant d'operations differentes et de conversion des élemens; on l'éleve jusques à la perfection, qui est la disposition prochaine, pour la conduire à la plusque-perfection, par un regime proportionné à l'intention finale de l'art, c'est-à-dire jusques à la parfaite fixation.Vous voyés donc qu'à proprement parler, il n'y a qu'une voye, comme il n'y a qu'une intention dans le premier oeuvre, et que les Philosophes n'en décrivent plusieurs, que parce qu'ils considerent les differents degrés de depurations, comme autant d'operations et de voyes differentes, dans le dessein (ainsi que le remarque fort bien vostre Autheur) de cacher ce grand art.Pour ce qui est des paroles, par lesquelles vostre Autheur conclut, sçavoir, que la solution du corps ne se fait que dans son propre sang; je dois vous faire observer que dans nostre art, il se fait en trois temps differents, trois solutions essentielles, dans lesquelles le corps ne se dissout que dans son propre sang, c'est au commencement, au milieu, et à la fin de l'oeuvre; remarquez bien cecy. Je vous ay déja fait voir que dans les principales operations de l'art, ce sont toujours deux choses qui en produisent une, que de ces deux choses l'une tient lieu de mâle, et l'autre de femelle; l'un est le corps, l'autre est l'esprit: vous devés en faire icy l'application. Sçavoir que dans les trois solutions dont je vous parle, le mâle et la femelle, le corps et l'esprit, ne sont autre chose que le corps et le sang, et que ces deux choses sont d'une même nature, et d'une même espèce; de sorte que la solution du corps dans son propre sang, c'est la solution du mâle par la femelle, et celle du corps par son esprit. Voici l'ordre de ces trois solutions importantes.En vain vous tenteriés par le feu la véritable solution du mâle en la première opération, elle ne vous réussiroit jamais, sans la conjonction de la femelle; c'est dans leurs embrassemens reciproques qu'ils se confondent, et se changent l'un l'autre, pour produire un tout homogene, different des deux. En vain vous auriés ouvert, et sublimé le corps de la pierre, elle vous seroit entièrement inutile, si vous ne luy faisiez épouser la femme que la nature luy a destinée; elle est cet esprit, dont le corps a tiré sa première origine; aussi il s'y dissout, comme fait la glace à la chaleur du feu, ainsi que vostre Autheur l'a fort bien remarqué. Enfin vous essayeriés en vain de faire la parfaite solution du même corps, si vous ne reïtériés sur luy l'effusion de son propre sang, qui est son menstruë naturel, sa femme, et son esprit tout ensemble avec lequel il s'unit intimement, qu'ils ne font plus qu'une seule et même substance.


  197. PYROPHILE.


  198. Après tout ce que vous venés de me réveler, je n'ay plus rien à vous demander touchant l'interpretation de cet Autheur. Je comprends fort bien tous les autres avantages, qu'il attribuë à la pierre, au dessus de l'or et du Mercure. Je conçois aussi comment l'excez du dépit de ces deux champions, les porta à joindre leurs forces, pour vaincre la pierre par les armes, n'ayant pû la surmonter par la raison: mais comment entendés vous que (38) la pierre les dissipa, et les engloutit l'un et l'autre, en sorte qu'il n'en resta aucuns vestiges ?


  199. EUDOXE.


  200. Ignorés vous que le grand Hermès dit, que la pierre est la force forte de toute force ? Car elle vaincra toute chose subtile, et penetrera toute chose solide. C'est ce que vôtre Philosophe dit icy en d'autres termes, pour vous apprendre que la puissance de la pierre est si grande, que rien n'est capable de luy résister. Elle surmonte en effet tous les metaux imparfaits, les transmuant en metaux parfaits, de telle maniere, qu'il ne reste aucuns vestiges de ce qu'ils étoient auparavant.


  201. PYROPHILE.


  202. Je comprends fort bien ces raisons; mais il me reste nonobstant cela un doute, touchant les metaux parfaits; l'or par exemple est un métail constant et parfait, que la pierre ne saurait engloutir.


  203. EUDOXE.


  204. Vostre doute est sans fondement: car tout de même que la pierre, à proprement parler, n'engloutit pas les metaux imparfaits, mais qu'elle les change tellement de nature, qu'il ne reste rien, qu'il fasse connoistre ce qu'ils estoient auparavant; ainsi la pierre ne pouvant engloutir l'or ni le transmuer en un metail plus parfait, elle le transmuë en medecine mille fois plus parfaite que l'or, puisqu'il peut alors transmuer mille fois autant de metail imparfait selon le degré de perfection que la pierre a receuë du Magistere.


  205. PYROPHILE.


  206. Je reconnois le peu de fondement qu'il y avoit dans mon doute; mais à vous dire le vray, il y a tant de subtilité dans les moindres paroles des Philosophes, que vous ne devés pas trouver estrange, que je me sois souvent arrêté sur des choses, qui devoient me paraistre assés intelligibles d'elles-mêmes. Je n'ay plus que deux demandes à vous faire, au sujet des deux conseils que mon Autheur donne aux enfans de la science, touchant la maniere de proceder, et la fin qu'ils doivent se proposer dans la recherche de la medecine universelle. Il leur conseille en premier lieu, d'éguiser la pointe de leur esprit; de lire les écrits des Sages avec prudence; de travailler avec exactitude; d'agir sans précipitation dans un oeuvre si précieux: parce, dit-il, (39) qu'il a son temps ordonné par la nature; de même que les fruits qui sont sur les arbres, et les grappes de raisins que la vigne porte. Je conçois fort bien l'utilité de ces conseils mais je vous prie de vouloir m'expliquer comment se doit entendre cette limitation du temps.


  207. EUDOXE.


  208. Vostre Autheur vous l'explique suffisamment par la comparaison des fruits, que la nature produit dans le temps ordonné; cette comparaison est juste: la pierre est un champ que le Sage cultive, dans lequel l'art, et la nature ont mis la semence, qui doit produire son fruit. Et comme les quatre saisons de l'année sont necessaires à la parfaite production des fruits, la pierre de même a ses saisons determinées. Son hyver, pendant lequel le froid, et l'humide dominent dans cette terre preparée, et ensemencée; son printems, auquel la semence Philosophique estant échaufée, donne des marques de vegetation et d'accroissement; son esté pendant lequel son fruit meurit, et devient propre à la multiplication; son automne, auquel ce fruit parfaitement meur console le Sage, qui a le bonheur de le cueüillir.Pour ne vous rien laisser à desirer sur ce sujet, je dois vous faire remarquer icy trois choses. La première, que le Sage doit imiter la nature dans la pratique de l'oeuvre; et comme cette sçavante ouvrière ne peut rien produire de parfait, si on en violente le mouvement, de même l'artiste doit laisser agir interieurement les principes de sa matiere, en luy administrant exterieurement une chaleur proportionnée à son exigence. La seconde, que la connoissance des quatre saisons de l'oeuvre doit estre la règle, que le Sage doit suivre dans les differents regimes du feu, en le proportionnant à chacune, selon que la nature le demontre, laquelle a besoin de moins de chaleur pour faire fleurir les arbres, et former les fruits, que pour les faire parfaitement meurir. La troisieme, que bien que l'oeuvre ait ses quatre saisons, ainsi que la nature, il ne s'ensuit pas, que les saisons de l'art et de la nature doivent precisément répondre, les unes aux autres, l'esté de l'oeuvre pouvant arriver sans inconvenient dans l'automne de la nature, et son automne, dans l'hyver. C'est assés que le régime du feu soit proportionné à la saison de l'oeuvre; c'est en cela seul, que consiste le grand secret du Régime, pour lequel je ne puis vous donner de regle plus certaine.


  209. PYROPHILE.


  210. Par ce raisonnement, et cette similitude, vous me faites voir clair sur un point, dont les Philosophes ont fait un de leurs plus grands misteres, car l'intelligence des regimes ne se peut tirer de leurs escrits; mais je vois avec une extreme satisfaction, qu'en imitant la nature, et commençant l'ordre des saisons de l'oeuvre par l'hyver, il ne doit pas estre difficile au sage, de juger comment par les divers degrés de chaleur, qui répondent à ces saisons, il peut aider la nature, et conduire à une parfaite maturité les fruits de cette plante Philosophique.Mon Autheur conseille en second lieu aux Enfans de la science d'avoir la droiture dans le coeur, et de se proposer dans ce travail, une fin honnête, leur declarant positivement, que s'ils ne sont dans ces bonnes dispositions, ils ne doivent pas attendre sur leur oeuvre, la benediction du Ciel, de laquelle tout le bon succez depend. Il asseure que (40) Dieu ne communique un si grand don, qu'à ceux qui en veulent faire un bon usage, et qu'il en prive ceux qui ont dessein de s'en servir, pour commettre le mal. Il semble que ce ne soit là qu'une manière de parler qui est ordinaire aux Philosophes; je vous prie de me dire quelles réflexions on doit faire sur ce dernier point.


  211. EUDOXE.


  212. Vous estes assés éclairé dans nôtre Philosophie, pour comprendre, que la possession de la medecine universelle, et du grand Elixir, est de tous les biens de ce monde, le plus réel, le plus estimable, et le plus grand, dont l'homme puisse jouir. En effet les richesses immenses, les dignités souveraines, et toutes les grandeurs de la Terre, ne sont point à comparer à ce precieux tresor, qui est le seul des biens temporels capable de remplir le coeur de l'homme. Il donne à celuy qui le possede, une vie longue, exempte de toutes sortes d'infirmités, et met en sa puissance, plus d'or et d'argent, que n'en ont tous les plus puissants Monarques ensemble. Ce tresor a de plus cet avantage particulier, au dessus de tous les autres biens de la vie, que celuy qui en joüit, se trouve parfaitement satisfait, même de la seule contemplation, et qu'il ne peut jamais être troublé de la crainte de le perdre.Vous estes d'ailleurs pleinement convaincu, que Dieu gouverne le monde; que sa divine Providence y fait regner l'ordre, que sa sagesse infinie y a établi, depuis le commencement des siècles; et que cette mesme Providence n'est point cette fatalité aveugle des anciens, ny ce prétendu enchainement, ou cet ordre necessaire des choses, qui doit les faire suivre sans aucune distinction; mais vous êtes au contraire bien persuadé que la sagesse de Dieu preside à tous les evenements qui arrivent dans le monde.Sur le double fondement, que ces deux réflexions establissent, vous ne pouvés douter, que Dieu qui dispose souverainement de tous les biens de la Terre, ne permet jamais, que ceux qui s'appliquent à la recherche de ce précieux tresor, dans le dessein d'en faire un mauvais usage, puissent par leur travail parvenir à sa possession: en effet quels maux ne seroit pas capable de causer dans le monde un esprit pervers, qui n'auroit d'autre veuë, que de satisfaire son ambition, et d'assouvir ses convoitises, s'il avoit en son pouvoir, et entre ses mains, ce moyen asseuré d'exécuter ses plus criminelles entreprises; c'est pourquoi les Philosophes, qui connoissent parfaitement les maux et les désordres, qui pourroient arriver dans la société civile, si la connoissance de ce grand secret étoit revélée aux impies, n'en traittent qu'avec crainte, et n'en parlent que par enigmes; afin qu'il ne soit compris que de ceux, dont Dieu veut bénir l'estude, et le travail.


  213. PYROPHILE.


  214. Il ne se trouvera personne de bon sens, et craignant Dieu, qui n'entre dans ces sentimens, et qui ne doive estre entierement persuadé, que pour reussir dans une si grande, et si importante entreprise, il ne faille supplier incessamment la bonté Divine, d'éclairer nos esprits, et de donner sa benediction à nos travaux. Il ne me reste plus qu'a vous rendre de tres-humbles graces, de ce que vous avés bien voulu me traitter en Enfant de la science, me parler sincerement, et m'instruire dans de si grands misteres, aussi clairement, et aussi intelligiblement, qu'il est permis de le faire, et que je pouvois le souhaiter. Je vous proteste que ma reconnaissance durera tout autant que ma vie.


FIN.
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