Paul Sédir |
THÉORIE ALCHIMIQUE DE LA CRÉATION
Paul Sédir
(Yvon Le Loup)
Outre les nombreux hiéroglyphes et figures symboliques dont
les alchimistes ont parsemé leurs livres, nous avons la bonne fortune de
posséder la source d’où ils ont tiré leur science et leur art : c'est la Table
d'Émeraude. Sans nous attarder à discuter l'âge et l'authenticité de ce
monument, nous allons en reproduire tout ce qui a trait au sujet de notre
étude, et nous compléterons cette citation par quelques brefs commentaires.
La meilleure version française de ce vieux texte est celle
qu’en a donné le très savant et très regretté marquis de Guaita dans son
dernier livre, la Clé de la Magie Noire;
en voici les extraits, d'après la version latine de Henri Khunrath :
"Il est vrai (en principe), il est certain (en
théorie), il est réel (en application) : Que ce qui est en bas (le monde
physique et matériel) est comme ce qui est en haut (analogue et proportionnel
au monde spirituel et intelligible) et ce qui est en haut comme ce qui est en
bas (réciprocité complémentaire) pour l'accomplissement des miracles de la
chose unique (loi suprême en vertu de quoi se parfont les harmonies de la
création universelle en son unité).
"Et, de même que toutes choses se sont faites d'un seul
(accomplies, réalisées, en vertu d'un seul principe), par la médiation d'un
seul (par le ministère d'un seul agent), ainsi toutes choses sont nées de cette
même unique chose, par adaptation (ou par une sorte de copulation).
"Le Soleil (condensateur de l'irradiation positive ou
de la Lumière au rouge, od) est son père (élément producteur actif de cet
agent) ; la Lune (miroir de la réverbération négative ou de la Lumière au bleu,
ob) est sa mère ; le vent (atmosphère éthérique ambulatoire) l'a porté dans son
ventre (lui a servi ou lui sert de véhicule). La terre (envisagée comme type
des centres de condensation matérielle) est sa nourrice (l’athanor de son
élaboration).
"C'est là le père (élément producteur) de l'universel
Télesme (perfection, but final à atteindre) du Monde entier (de l'Univers
vivant).
"Sa puissance (force d'extériorisation créatrice, le
fleuve Phishôn de Moïse) est entière (parfaite, accomplie ; intégralement
déployée jusqu'au total épanouissement). Quand elle s'est métamorphosée (mot à
mot : quand elle s'est tournée) en Terre (Aretz de Moïse, substance condensée
et spécifiée, forme ultime de l’extériorisation créatrice, matière
sensible)."
Six cents pages plus loin, le même auteur va nous fournir
d'autres éclaircissements : "Comme toutes les écoles d'Occultisme,les
alchimistes enseignaient, avons-nous dit, l'unité de la substance sous la
multiplicité des apparences phénoménales.
La matière sensible, diverse et multiforme, n'était pour eux
qu'une illusion plus ou moins durable, prolongée en divers modes convertibles :
les transmutations, dans leur système, consistaient au passage d'un de ces
modes à l'autre. Ils connaissaient trois principes générateurs des choses
manifestées et quatre éléments de manifestation.
Soufre, Mercure et Sel : ainsi dénommaient-ils leurs trois
principes; le Feu, l' Air, l'Eau et la
Terre : tels étaient les emblèmes de leurs quatre éléments.
Soufre, Mercure et Sel correspondaient à ce qu'ils nommaient
encore : feu inné, humide radical et base essentielle des corps. Traduisons :
- le soufre principe de la forme ;
- le mercure, principe de la substantiation
- et le sel, principe mixte de la manifestation objective.
Le Soufre-principe sera donc, suivant le dire naïf d'un
ancien alchimiste: "le feu céleste qui s'introduisant dans les semences
inférieures, suscite et fait paroistre la forme intérieure du plus profond de
la matière, avec tout son ornement et son équipage; et voilà comment la
génération se fait par le moyen de ce feu céleste, et comme toutes choses
élémentaires icy-bas en dépendent, comme de leur vraye source et origine."
Ce vieil auteur n'est pas moins explicite quand il définit
le Mercure-principe : "L'humide radical de toutes choses qu'en chymie on
appelle Mercure, c'est la substance humide, première née en la semence de
toutes choses ; sur laquelle le feu naturel ou souphre vital agit pour en
pousser les formes musses et cachées dans le trésor de son abysme. J'appelle
abysme, les vertus et propriétez de cet esprit de vie qu'il a presque infinies,
pour tirer de soy-mesme toutes sortes de formes."
Le Sel-principe, dit encore Pierre-Jean Fabre, est le siège
fondamental de toute la nature en général et en particulier ; c'est le point et
le centre où toutes les vertus et propriétés célestes et élémentaires
aboutissent et se terminent ... Principe de la corporification, qui est le nœud
et le lien des autres deux souphre et mercure et leur donne corps, et par ainsi
les fait paroistre visiblement aux yeux d'un chascun."
Ainsi donc, ajoute Guaita, "les trois Principes dans
leur signification universelle, ne sont ni les corps vulgairement dénommés
soufre, mercure et sel, ni aucune substance analogue, qui tombe sous nos sens.
Il faut y voir les trois aspects complémentaires d'une même essence, générative
des choses matérielles ; les trois termes de polarisation du virtuel occulte
sur le point de se manifester, en passant de puissance en acte.
Conçus dans leur synthèse opératoire, les Principes
représentent à eux trois l'énergie réalisatrice des corps. Envisagés
séparément, ils se réduisent à de pures abstractions, car ils n'existent que
les uns par les autres.
Ainsi, pour nous résumer, les Alchimistes, et je comprends
sous ce terme aussi bien les philosophes du feu nés en Europe que ceux de
l'Inde, du Tibet ou de la Chine, reconnaissent l'existence, dans l'acte de
création, des principes suivants, déterminés par voie d'analogie expérimentale
:
1. Le feu, principe fermentatif et vivifiant, chaleur
latente incommensurable, cause première, qui règne sur tout, par tout et dans
tout. Cet agent universel est le soufre.
2. Une essence essentiante, principe de l'humide, des ténèbres,
de la passivité, de la matière et de la putréfaction. C'est le Mercure formé
d'air et d'eau.
3. Un effet procédant de la réaction des deux précédents,
aboutissant à l'animation de la matière et au développement des trois périodes
de ses cycles innombrables. C'est le sel formé de Terre ; le moyen de toute
copulation, l'état fermentatif où aboutissent la Génération et la Putréfaction.
Ainsi en toute chose se trouve le quaternaire suivant : le
Principe, fin et complément de toute production, aussi bien dans l'ordre des
univers que dans celui des pierres. L'Agent, source de toute existence, émanée
du précédent. Le Moyen, source de tous les mixtes, par l'interaction de la
matière et de la forme.
Le Patient, résumé et lien commun, champ d'action des trois premiers
termes.
Ces quatre Modes se retrouvent aussi bien dans le principe
des choses, que dans leur constitution, leur engendrement, de sorte que l'on
peut tout résumer par le tableau suivant :
PRINCIPE
|
ENGENDREMENT
|
CONSTITUTION
|
ELEMENTS
|
QUALITES
|
|
DES CHOSES
|
DES CHOSES
|
DES CHOSES
|
|||
PERE
|
Principe
(effet)
|
Génération
|
Chaleur
incréée
|
Feu
|
Chaud
|
FILS
|
Agent
|
Putréfaction
|
Semence
|
Air
|
Humide
|
ESPRIT
|
Moyen
|
Fermentation
|
Sperme
enveloppe
|
Terre
|
Sec
|
VIERGE
|
Patient
|
Chaos
|
Humide
radical
|
Eau
|
Froid
|