Claude d'Ygé de Lablatinière |
LE MYSTÈRE DES CATHÉDRALES
ET L'ÉNIGME FULCANELLI
ET L'ÉNIGME FULCANELLI
Claude d’Ygé
Article paru dans la revue Initiation et Science n° 44, septembre-décembre 1957
« La poursuite d'une chimère insaisissable aurait-elle pu
survivre
à tant d'efforts accumulés au cours des siècles ?
C'est bien peu
probable. » (Anonyme)
« Or nous avons ce thresor de lumière en vaisseau de terre,
à fin que l'excellence de cette puissance soit de Dieu,
et non point de nous. »
(Seconde Epistre de saint Paul aux
Corinthiens, Ch. IV.)
Il y a plus de trente ans que parut dans la boutique de l'éditeur
Jean Schemit, aujourd'hui disparu, un ouvrage étrange, oeuvre magistrale,
intitulé Le Mystère des Cathédrales,
qui passa inaperçu à l'époque, et ne fut acheté que par les « spécialistes » et
quelques bibliophiles bien informés. L'ouvrage fut cependant très vite épuisé,
puis rare et très recherché.
Nous devons à la courageuse initiative de M. Jean Lavritch,
directeur des Editions de l' « Omnium Littéraire », la magnifique réimpression
du « Testament Alchimique, Scientifique et Spirituel » du seul Adepte qui se
soit manifesté au vingtième siècle bien qu'anonymement, le savant et laborieux
Fulcanelli, digne successeur de ses rares devanciers, dont Cyliani fut le
dernier en date. « Ce nom célèbre est si
solidement implanté dans les mémoires jusqu'aux générations figures et les plus
lointaines, qu'il est positivement impossible qu'on lui substitue jamais
quelque patronyme que ce soit, fût-il apparemment certain, le plus brillant ou
le mieux préconisé... De même que la plupart des Adeptes anciens, en jetant aux
orties du fossé la dépouille usée du vieil homme, Fulcanelli ne laissa, sur te
chemin, que la trace onomatique de son fantôme, dont le bristol altier proclame
l'aristocratie suprême. » (1)
Mais l'énigme de ce pseudonyme n'ayant pas été résolue et la
plupart des modernes étant épris de merveilleux, bien qu'ayant la haine du
secret, certains voulurent absolument découvrir l'identité de l'auteur du Mystère des Cathédrales. Pour les uns,
Fulcanelli serait le libraire érudit « Pierre Dujols », mort le 19 avril 1926,
âgé de 61 ans, auteur d'une curieuse préface, écrite pour la réédition du Mutus
Liber, laquelle fut intitulée hypotypose,
et signée du pseudonyme de Magophon (2) : la parole du Mage, Magosphone.
Dans un article nécrologique paru dans le Voile d'Isis (3) Paul Le Cour écrit que
Pierre Dujols n'a publié aucun livre, mais « a toutefois laissé un manuscrit,
n'ayant pas jugé à propos de le publier de son vivant... qu'il affirmait avec
toute son autorité que la transmutation métallique est possible, qu'elle fut
connue de toute antiquité et que c'est SA CONNAISSANCE SEULE qui peut donner le
pouvoir à la fois sacerdotal et royal des initiés, leur conférant la
connaissance des lois de l'univers matériel et spirituel, ainsi que celle de
son histoire passée et future ». Pour d'autres, c'est le préfacier lui-même ;
pour la majorité des passionnés du MYSTÈRE FULCANELLI, ce serait Julien
Champagne, l'illustrateur avoué de l'ouvrage, ami intime de Pierre Dujols, mort
en 1930, l'année de la parution des Demeures
Philosophales. Quoi qu'il en soit, nous croyons le problème insoluble comme
celui de Shakspeare ou de Louis XVII : peu importe aux « pauvres hommes
labourans, sortis de la basse pouldrière », aux étudiants sincères, aux
chercheurs infatigables, amoureux désintéressés de la Science.
Comme l'écrit si justement Robert Amadou dans l'excellent
article publié à l'occasion de la réédition du premier ouvrage de Fulcanelli
(4) : « que la discrétion excitante de Fulcanelli procède d'une nécessité
spirituelle, ou bien qu'elle entretienne une pieuse mystification... les pages
signées Fulcanelli méritent notre intérêt à
des titres supérieurs ».
Le pseudonyme lui-même ne contient-il pas, en effet, la clef
de l'énigme, ou tout au moins la raison profonde de cet anonymat :
Vulcain-Hélios, le feu terrestre, élémentaire, mais philosophique, et le feu
céleste et divin (Lumière et Vie). Dieu le Feu ! Fulcanelli = Le forgeron du
Soleil. Et Fulcanelli est Frère d'Héliopolis, la citadelle solaire, résidence
d'Elias Artista, qui préside au Grand-Oeuvre.
Ce pseudonyme n'est-il pas la preuve signée d'une filiation
sans tache, prodigieusement entretenue, afin que soit réaffirmée sans cesse,
dans sa double manifestation spirituelle et scientifique, la Vérité éternelle,
universelle et indivisible.
L'opinion des plus instruits et des plus qualifiés est que
celui qui se cacha, ou se dissimule encore de nos jours sous ce fameux
pseudonyme de Fulcanelli, est le plus célèbre et sans doute le seul alchimiste
véritable (peut-être le dernier), de ce siècle où l'atome est roi.
Tous ceux qui, plus qu'à l'alchimie, s'intéressent à
l'histoire et surtout à l'histoire de l'art, seront séduits et passionnés par
ce livre d'une érudition sans pareille, dans lequel l'auteur leur ouvre, à
l'aide de la clef du cabinet hermétique, la porte qui donne accès au jardin de
compréhension de tous les symbolismes.
Aux poètes, aux peintres, aux architectes, aux musiciens ce
livre apporte un message instructif et une source inépuisable d'inspiration.
Quant aux étudiants alchimistes, s'ils sont patients,
tenaces et laborieux, capables d'un gros effort soutenu, Le Mystère des Cathédrales sera pour eux, avec les Demeures Philosophales, l'oeuvre
fondamentale qu'ils devront étudier avec soin avant de s'attaquer à l'étude
approfondie des textes classiques anciens ; la connaissance de ces deux livres
de Fulcanelli leur en rendra la lecture plus aisée, facilitant le déchiffrement
des énigmes hermétiques, permettant ainsi une juste interprétation des anciens
traités.
L’Oeuvre du grand Adepte contient aussi les plus belles
pages que nous connaissions sur la Lumière du Moyen Age, et en particulier sur
l'Art Gothique. Le Mystère des
Cathédrales donnera satisfaction aux plus exigeants.
Un solide examen du contenu de cet ouvrage exceptionnel fera
oublier au chercheur sincère l'intérêt mineur de l'anonymat de son auteur.
Combien ont perdu un temps précieux à essayer de résoudre cet insoluble
problème, et qui ignorent même le contenu des deux livres...
« ...Le vulgaire éprouve toujours une peur instinctive de
tout ce qu'il ne comprend pas, et la peur n'engendre que trop facilement la
haine, même quand on s'efforce en même temps d'y échapper par la négation pure
et simple de la vérité incomprise ; il y a d'ailleurs des négations qui
ressemblent elles-mêmes à de véritables cris de rage, comme par exemple celle
des soi-disant « libres-penseurs » à l'égard de tout ce qui se rapporte à la
religion.
La mentalité moderne est donc ainsi faite qu'elle ne peut
souffrir aucun secret ni même aucune réserve ; de telles choses, puisqu'elle en
ignore les raisons, ne lui apparaissent d'ailleurs que comme des « privilèges »
établis au profit de quelques-uns ; et elle ne peut non plus souffrir aucune
supériorité ; si on voulait entreprendre de lui expliquer que ces prétendus «
privilèges » ont en réalité leur fondement dans la nature même des êtres, ce
serait peine perdue, car c'est précisément ce que nie son « égalitarisme ». Non
seulement elle se vante, bien à tort d'ailleurs, de supprimer tout « mystère »
par sa science et sa philosophie exclusivement « rationnelles » et mises « À LA
PORTÉE DE TOUT LE MONDE »; mais encore cette horreur du « mystère » va si loin,
dans tous les domaines, qu'elle s'étend même jusqu'à ce qu'on est convenu
d'appeler la « vie ordinaire ». (5)
NOTES
(1) Eugène Canseliet, in préface de la deuxième édition. pp.
15 et 16.
(2) Nourry, Editeur, 1914, in-fol - Sur l'édition originale
d'Altus, La Rochelle, 1677, in-fol. (3) Juin 1926.
(4) Journal Combat,
23 février 1958.
(5) René Guénon. - Le
Règne de la Quantité. Collection « Tradition » I. Gallimard, Editeur, 1945
: Ch. XII, p. 89. - Voir aussi Ch. IX, Double
sens de l'anonymat, p. 67 (Anonymat moderne, et anonymat traditionnel).
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