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DUFRENNE Les gravures alchimiques du Val de Fontanalba.




LES GRAVURES ALCHIMIQUES DU VAL DE FONTANALBA

Roland Dufrenne


(La Fontanalba est une petite rivière de montagne qui traverse le département des Alpes-Maritimes au sud-est de la France. Elle coule dans les montagnes à l'ouest de Tende. C'est un affluent de la Bieugne, qui est un affluent de la Roya).


Lors des nombreux séjours effectués sur le site de Fontanalba pour l'étude des gravures rupestres préhistoriques, j'avais remarqué, sur deux roches de la zone XVI, plusieurs gravures linéaires d'époque historique qui paraissaient avoir le même auteur et dont le sujet était manifestement alchimique. Intrigué par ces motifs, je me réservais de les étudier plus attentivement, ce que j'ai pu faire cet été avec l'aide de mon épouse. L'examen confirma mes premières déductions et permit des découvertes inattendues. 

Les deux roches morainiques sont très facilement accessibles puisqu'elles bordent le sentier destiné à la visite didactique des gravures hors des zones interdites d'accès. L'une présente une paroi lisse verticale aux teintes vertes et orangées ; la surface de la deuxième, en plan oblique, est séparée par un décrochement en deux panneaux, de teinte jaune orangé, gravés de motifs piquetés préhistoriques. Les gravures linéaires, exécutées en traits fins, sont très soignées pour certains motifs, moins pour d'autres, ce qui a pu faire penser que ces dernières n'avaient pas le même auteur.

La première roche (fig. 1) porte essentiellement une gravure, baptisée "la cathédrale", qui représente à première vue la façade d'une église ou d'une chapelle avec son portail en plein cintre, un large et haut perron et une croix surmontant un toit à deux pentes. Le dessin montre un quadrillage horizontal ou en losange qui figure la maçonnerie de pierres ou de briques. Latéralement et symétriquement sont représentés deux rameaux végétaux de style héraldique montrant, outre le feuillage, un trèfle, un lys et une fleur assimilable sans risque d'erreur à une rose. A l'extrémité des deux pentes du toit sont représentées, toujours symétriquement, deux motifs en volutes. Deux autres volutes symétriques prennent naissance sous la croix sommitale.


Fig. 1 - Val de Fontanalba. Roche A. 
 

Un espace non quadrillé, à la base du bâtiment, laisse apparaître une date : 1776.

En dessous et à gauche de l'"église", figure un motif qui a été interprété comme pouvant représenter les armes du royaume de Savoie. On y reconnaît deux animaux aux dents agressives qui pourraient être des fauves si ce n'est qu'ils portent un collier comme des chiens. Sous la gueule des animaux affrontés, figure une croix inscrite dans un cercle lui même encadré par deux motifs rayonnants qui sont en fait les ailes schématiques d'un aigle bicéphale dont ne sont visibles, au-dessus et sous le cercle, que les deux têtes et la queue.

A l'opposé, c'est-à-dire en dessous et à droite de l' "église", on trouve un petit motif de forme semi-circulaire orné d'un fin quadrillage en losanges.

L' "église" occupe la partie supérieure droite de la paroi lisse, mais un examen attentif de la roche permet de distinguer deux autres motifs beaucoup moins visibles et qui s'avèrent représenter, à la partie inférieure gauche, une ébauche grossière et incomplète d'une facade d'"église", et au centre, une façade présentant les mêmes détails que la "cathédrale", mais composés de façon beaucoup moins soignée, en traits malhabiles.

La deuxième roche attire le regard surtout par les gravures piquetées très particulières composées de corniformes et de "peaux" de bovins qui ornent sa surface (fig. 2). 


Fig. 2 - Val de Fontanalba. Roche B 
(les astérisques marquent les emplacements des
deux gravures représentant le personnage et le lion).


Un examen attentif est nécessaire pour déceler les gravures linéaires aux dimensions réduites. Deux motifs se distinguent d'abord. L'un d'eux représente un personnage portant culotte, à la mode du XVIIIe siècle. Il tient en main gauche un rameaux végétal comparable à ceux jouxtant la "cathédrale", c'est-à-dire composé principalement d'un trèfle, d'un lys et d'une rose. Le deuxième motif, figurant à quelques centimètres sur la droite, au bord du décrochement de la roche, représente un lion d'aspect héraldique, de la gueule duquel s'élève un motif floral équivalent aux précédents et toujours composé d'un trèfle, d'un lys et d'une rose (fig. 3). 


Fig. 3 - Val de Fontanalba. Le lion alchimique


Au-dessus de ce motif figure la même date, 1776, que celle inscrite sur la façade de l'"église", ainsi qu'un texte très difficilement lisible que j'évoquerai bientôt. Une inscription plus lisible figure quelques centimètres en dessous. On peut lire : a li 7 gossto 1776, et en dessous le nom Antonio Dolsa (fig. 4).


Fig. 4 - Val de Fontanalba. 
Texte gravé : a li 7 gossto 1776 Antonio Dolsa


Toutes références considérées, la singulière gravure léonine ne trouve d'interprétation qu'à travers un symbolisme bien particulier, celui de l'alchimie. En effet, l'association des trois végétaux - trèfle, lys, rose - représentés à plusieurs reprises sur les différents motifs, n'est pas due au hasard. Si chacun de ces végétaux recèle une valeur symbolique rattachée à la religion catholique (trinité, virginité, passion et sang du Christ), leur association évoque le symbolisme alchimique dans lequel ils sont souvent utilisés (fig. 5). 


Fig. 5 - Gravure du Rosarium Philosophorum (Anonyme)


De façon naturelle, le trèfle, équivalent du triangle, symbolise une triplicité ou une trinité. Il symbolise la matière de l'oeuvre pendant le cour des opérations alchimiques. Cette matière est en effet composée de 3 principes : sel, soufre et mercure, dont les interactions se répètent au cour des trois phases - appelées également les trois oeuvres - qui constituent le Grand Oeuvre. 

Les deux fleurs, le lys et la rose, représentent les fruits de l'oeuvre accomplie. Le but de l'oeuvre alchimique est l'obtention de la Pierre Philosophale. Pour être utilisable, le résultat de la coction finale - la première pierre, le Soufre ou médecine du premier ordre - doit être orienté, au moyen de l'argent ou de l'or, vers la pierre au blanc qui donne l'Elixir, ou médecine du deuxième ordre, et permet la transmutation des métaux en argent, ou vers la pierre au rouge, Pierre Philosophale, médecine du troisième ordre, qui permet la transmutation des métaux en or. Le lys, symbole de la blancheur et de la pureté, symbolise l'accès à la pierre blanche, donc à l'Elixir qui garantit santé et longévité à celui qui l'ingère. La rose, que l'on peut considérer de couleur rose ou rouge (telle qu'elle est représentée le plus souvent en héraldique), symbolise la pierre au rouge qui donne la poudre de projection aurifère. 

Les trois végétaux gravés sur la roche, expriment donc l'oeuvre alchimique dans son ensemble en évoquant la matière par ses principes, et le résultat final : la pierre au blanc et la pierre au rouge. 

La plupart des traditions symboliques associent le lion au soleil dont il évoque les rayons par sa crinière ; par extension, le lion, roi des animaux, est également associé à l'or, roi des métaux. Dans le domaine alchimique, le lion est un important et constant symbole qui est appliqué à la matière lorsque celle-ci renferme un "feu secret" qui est considéré comme un feu d'essence céleste. Le symbole du lion est utilisé particulièrement à deux reprises au cours des opérations alchimiques : le lion vert et le lion rouge. 

Le lion vert représente le mercure philosophique (qu'il ne faut pas confondre avec le métal liquide) à la fin de la première partie de l'oeuvre. La matière qui a été "transpercée" par le métal de Mars et purifiée par le sel philosophique, livre un mercure coloré en vert, considéré par les alchimistes comme un or philosophique non mûr appelé également Vitriol vert (fig. 6 et 7). 

Le lion rouge est le soufre philosophique, ou soufre des Sages, matière rouge résultant de la deuxième partie de l'oeuvre. C'est l'or philosophique mûri qui, par la coction, donnera la Pierre Philosophale (fig. 6). 


Fig. 6 - Le lion rouge et le lion vert
Rouleau alchimique attribué à George Ripley (Beinecke Library)


Fig. 7 - Lion vert dévorant le soleil. 
Rosarium Philosophorum (XVIe siècle)


Dans son traité, "Les douze clefs de la Philosophie", le moine alchimiste Basile Valentin évoque ces deux lions : 

"Alors tu as dissous et nourri le vrai lion par le sang du lion vert, car le sang fixe du lion rouge a été fait du sang du lion vert, parce qu'ils sont d'une seule nature." 

La teinte orangée de la roche de Fontanalba laisse penser que le lion gravé représente le lion rouge, symbole de la matière qui, par une dernière opération, générera la Pierre Philosophale, blanche et rouge.

J'ai déjà mentionné le fait qu'une inscription gravée est juxtaposée au motif léonin. Une date, 1776, est bien visible, mais le texte qui est inscrit sur neuf lignes est très difficilement lisible. Avec l'aide de mon épouse, il m'a fallu près de deux heures pour déchiffrer à la loupe, lettre par lettre, l'ensemble de l'inscription, qu'il m'a encore fallu corriger en examinant un agrandissement photographique. Voici ce texte : 

1776 
e stato 
fatto a le 7 
questo lione 
chi a fette questo 
leone a le Antonio Dolsa 
filio 
di 
Andrea Dolsa 

Traduction : 
1776 
Cela a été fait à 7 
ce lion qui a fait ce lion à Antonio Dolsa 
fils de Don Andrea Dolsa.

Ce texte est obscur et ne trouve jusqu'à maintenant aucune traduction littérale satisfaisante. On sait que les textes alchimiques sont émaillés de doubles sens, d'images symboliques et de jeux de mots recouvrant la réalité des matières et des opérations alchimiques. Dans le présent texte, il faut tout d'abord souligner que le nombre 7 n'est en relation avec aucun substantif. Le lion peut ainsi avoir été fait le 7 du mois, à la septième heure ou à la suite d'une septième opération, le soufre philosophique étant le résultat de sept sublimations, appelées les aigles. On remarque ensuite les deux orthographes du mot qui désigne le lion : lione et leone, le second terme étant celui qui est utilisé en italien moderne. Sous l'apparente obscurité de la forme, il semble que le fauve figurant sur la gravure représente un lion qui s'est transformé en un autre lion désigné comme étant celui d'Antonio Dolsa, c'est-à-dire maîtrisé, dompté. Cette image difficilement compréhensible au premier degré, pourrait exprimer l'image du lion vert engendrant le lion rouge (mercure philosophique produisant le soufre de même nature), première étape décisive de la pierre philosophale, matière domptée et conquise. 

La gravure représentant un personnage en habit du XVIIIe siècle portant un rameau floral similaire à celui du lion, s'éclaire de façon la plus simple (fig. 8). Elle représente l'alchimiste lui-même, opérateur du magistère et détenteur de la Pierre Philosophale sous ses deux aspects. Un seul détail important doit être signalé. Le rameau comporte un élément supplémentaire qui le différencie des autres : un fruit ou une fleur en forme de croissant de lune. A n'en pas douter, c'est l'astre lunaire qui est ici hermétiquement représenté car tout alchimiste sait que l'oeuvre s'accomplit de nuit en période de lune croissante. 


Fig. 8 - Val de Fontanalba. L'alchimiste.


A droite de l'"alchimiste", un examen attentif avec une lumière appropriée permet de déceler une gravure linéaire peu marquée et aux traits peu soignés (fig. 9). On découvre un personnage qui, en beaucoup plus grossier, est copié sur l' "alchimiste". Incomplète et malhabile dans les détails, la gravure reprend la disposition de la gravure qu'elle voisine : personnage et rameau floral, à la différence près que le personnage ne tient pas en main le rameau mais une sorte de lance ou de flèche qu'il pointe sur la base du rameau. 


Fig. 9 - Val de Fontanalba. Personnage à la lance.


A première vue, on aurait pu penser qu'une gravure aussi fruste et peu visible n'était qu'une copie maladroite du personnage au rameau, mais le détail de la lance ou de la flèche ne peut avoir été conçu que par une personne instruite de l'hermétisme alchimique. En effet, lors de la première partie des opérations de l'oeuvre, la matière première réduite en poudre et chauffée, reçoit l'adjonction de limaille de fer qui est censée l' "ouvrir". Le symbolisme le plus conventionnel utilise l'image de saint Georges transperçant le dragon de sa lance, ou celle de la lance de Mars, dieu auquel le fer est associé. 

Le personnage, dont la facture fruste indique peut-être la nature "imparfaite" des matières utilisées, peut donc être assimilé au "héros" armé de sa lance qu'il pointe sur les racines du rameau, celles-ci symbolisant la matière première minérale donnée pour "racine" de la Pierre. 

Il nous faut maintenant revenir à la première roche sur laquelle sont gravées les "chapelles" en nous intéressant avant tout à l'édifice le mieux visible et exécuté avec le plus de soin (fig. 10). 


Fig. 10 - Val de Fontanalba. La chapelle-athanor.


L'édifice comporte des particularités qui sont inattendues sur une représentation d'église. En premier, on se demande quelle peut être la fonction de la base maçonnée servant de soubassement à la façade ? Il ne s'agit ni d'escalier ni de perron (fig. 11). 


Fig. 11 - Val de Fontanalba. Détail de la chapelle-athanor.


De plus, sur la partie supérieure de cette maçonnerie apparaît quatre carrés quadrillés qui figurent des matériaux différents ou tout simplement quatre ouvertures. Pour quelle raison ? Ensuite, les doubles volutes qui partent du toit ne correspondent à aucune réalité architecturale. Enfin les deux rameaux symétriques qui décorent les côtés de l'édifice nous alertent une fois de plus sur le caractère particulier de cet ensemble architectural. 

On retrouve en effet, de part et d'autre de la chapelle, les trois végétaux (trèfles, lys, roses) dont le symbolisme alchimique a été explicité plus haut. Mais ces rameaux présentent un détail particulier que les autres ne possèdent pas ; il s'agit de ce qui pourrait être une fleurette en forme d'étoile à cinq branches. Or, l'étoile est une figure alchimique de grande importance puisqu'elle est la signature, le sceau, de la première partie de l'oeuvre. A l'issue des premières opérations, une étoile est imprimée dans le culot métallique. 

Cette spécification alchimique nous amène à ne plus considérer l'édifice comme une chapelle quelconque, mais à reconnaître dans cette construction, la représentation hermétique du fourneau alchimique, l'athanor, souvent figuré. par une tour de forteresse, par un palais, par un temple ou une église (fig. 12 et 13). 


Fig. 12 - L'athanor et l'alchimiste


Fig. 13 - Athanor (2e planche du Mutus Liber, 1677)


Le fourneau est composé de trois parties : en partie basse, le cendrier qui, par des ouvertures, permet le tirage ; en partie médiane, le foyer, et en partie haute l'emplacement réservé à la matière ou au composé traité. A la partie supérieure sont également aménagées des cheminées permettant l'évacuation des fumées du foyer. 

La maçonnerie détaillée de la "chapelle" de Fontanalba, évoque avec éloquence les rangs de briques réfractaires qui constituent le fourneau qui peut être de section circulaire ou quadrangulaire. Le soubassement énigmatique trouve naturellement sa fonction de cendrier, et les quatre carrés remarqués sur le dessin, deviennent des ouvertures d'aération pour le tirage du feu. 

Le foyer correspond au corps principal de la "chapelle", le portail représentant la porte de chargement du combustible. De ce fait, les volutes étranges qui décorent le toit s'expliquent elles aussi par la représentation schématique de l'évacuation des fumées ou de la chaleur du foyer. 

Il est vrai que le toit de la "chapelle" est surmonté d'une croix qui devrait indéniablement placer l'édifice sous le signe de la religion chrétienne (fig. 14). 


Fig. 14 - Val de Fontanalba. Croix sommitale de la chapelle-athanor.


La croix n'est pas une figure étrangère à l'alchimie, bien au contraire. La croix est, en effet, le hiéroglyphe du creuset (creuset - croisé - croix), et, lors des opérations, l'emplacement du creuset est bien au-dessus du foyer. Par ailleurs, si l'on examine attentivement le dessin du sommet du toit de la "chapelle", on remarque que, sous la croix, figure un motif circulaire. La croix est donc posée sur un cercle ; or, la croix sur le cercle est le symbole de l'antimoine, métal intimement impliqué dans l'élaboration du Grand Oeuvre. 

Les deux autres gravures représentant l'une, une ébauche très lacunaire, l'autre, une ébauche plus élaborée de la "cathédrale", symbolisent vraisemblablement les trois phases de l'oeuvre, et les états de la matière : du grossier à la perfection. 

Nous avons vu que, au-dessous et à gauche de la chapelle-athanor, figure une gravure qui semblerait évoquer les armes de Savoie. Là non plus, il ne faut pas se fier aux apparences. La croix blanche de Savoie ne figure pas dans un cercle, et si derrière l'écusson figure bien un aigle, celui-ci n'est pas bicéphale et aucun fauve ne le côtoie. 

Pour cette gravure encore, le symbolisme alchimique propose une interprétation cohérente. 

La croix inscrite dans un cercle est un symbole universellement solaire. En alchimie, les quatre branches de la croix peuvent également symboliser le temps (les quatre saisons de l'année) ou les quatre éléments (1) - air, feu, eau, terre -, mais le rayonnement de l'énergie ou du "feu" céleste est représenté par l'aigle dont les ailes forment les rayons du cercle solaire et dont les pattes (l'une à peine esquissée) forment une sorte d'éclair sinueux. Des trois principes alchimiques (mercure, sel, soufre), l'aigle représente le plus volatil, le sel, chargé d'attirer comme un aimant l'énergie céleste, et dont la double nature est figurée par les deux têtes. La forte énergie que renferme l'agent salin se manifeste en détonations lorsque, mêlé à la matière de l'oeuvre, il est soumis à l'action du feu naturel. 

Par ailleurs, il est important de remarquer que les deux têtes de l'aigle sont dessinées en forme de croissant lunaire. Ce qui ne surprendra guère l'alchimiste conscient du rôle important de la lune dans le processus de l'Oeuvre. 

Les deux animaux qui encadrent le motif central et qui portent au cou le collier de la domestication, sont très vraisemblablement des animaux hybrides, c'est-à-dire des chiens dotés de queues de lion. Dans le symbolisme alchimique, se sont le chien d'Arménie et la chienne de Corascene, l'un étant le soufre ou élément mâle de la pierre, et l'autre étant le mercure ou élément féminin (fig. 15).


Fig. 15 - Val de Fontanalba. Motif solaire encadré par deux chiens.


Détail important, l'animal de gauche prend dans sa gueule une des têtes de l'aigle. En effet, dans l'oeuvre alchimique, le mercure se nourrit du "feu" céleste que lui prodigue le sel. Le mercure deviendra ainsi le lion vert. Ensuite, le soufre, le chien d'Arménie, régénéré par le lion vert, deviendra le lion rouge. On comprend ainsi pourquoi les deux chiens ont une queue de lion ; c'est parce qu'ils ont la potentialité de devenir lion, l'un vert, l'autre rouge. 

A peu de distance de la partie inférieure droite de la chapelle-athanor, on trouve un petit motif gravé semi-circulaire dont la surface interne, finement quadrillée en losanges, évoque soit des écailles de poissons soit un travail de vannerie (fig. 16). 


Fig. 16 - Val de Fontanalba -
Représentation de la matière première de l'oeuvre alchimique


A n'en pas douter, c'est la matière première de l'oeuvre qui est ici représentée. Les auteurs des textes alchimiques présentent la matière minérale comme d'aspect écailleux, ce qui lui vaut d'être assimilée à un dragon. Mais, considérant le dessin régulier en profil de coupe, il s'agit plus vraisemblablement de la représentation de la matière après les trois premières purifications, lorsque le lingot est entouré d'un fin réseau tressé comme une corbeille (2). La matière est alors appelée le chymica vanus, le van chimique, la corbeille de Bacchus. 

Le dessin de la gravure rappelle également la forme du creuset. En effet, il est dit de la matière de l'oeuvre alchimique qu'elle est le contenu et le contenant. Après le décryptage des gravures des deux roches de Fontanalba, il reste, dans l'avenir, à rechercher une meilleure compréhension des inscriptions (3) et tenter de trouver des informations sur l'auteur de ces gravures qui semble être l'alchimiste lui-même : Antonio Dolsa, dont le nom de famille est inconnu dans la vallée de la Roya. 


Notes :

(1) Cf. Fulcanelli, Le mystère des cathédrales, 1957, planche VII
(2) Gibert (J.-F.) - 1995, Propos sur la Chrysopée, p. 161
(3) Notamment lʼinscription : ANTONIO PASTO CEL (ou CELI), pour laquelle
      nous nʼavons pas actuellement de signification satisfaisante.


Bibliographie :

Aromatio (A.) - 1996. Alchimie, le grand secret, Découvertes Gallimard. 
Canselier (E.) - 1972. L'alchimie expliquée sur ses textes classiques, Edit. J.-J. Pauvert. 
   - 1978. Alchimie, Edit. J.-J. Pauvert. 
   - 1986. Introduction et commentaires du Mutus Liber (1677), Edit. Suger. 
Fulcanelli - 1957. Le mystère des cathédrales. Omnium Littéraire. 
Gibert (J.-F.) - 1995. Propos sur la Chrysopée, Dervy. 
Klossowski (S.) - 1974. Alchimie, florilège de l'art secret, Edit. du Seuil. 
Pernety (Dom) - 1787. Dictionnaire mytho-hermétique. (réédit. en 1972) Bibliotheca Hermetica. Valentin (B.) - 1956. Les douze clefs de la philosophie, Edit. de Minuit.