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VON SAENGER Alchimie et Cathédrale.

 

L'ALCHIMIE
Bas-relief du grand porche de Notre-Dame de Paris


ALCHIMIE ET CATHÉDRALE


Alexandre von Saenger



          Principe majeur de toute alchimie : «Solve et Coagula ».             
      (Dissoudre et coaguler).

Sachez que la fin n'est que le commencement et que la mort est cause de vie ; la vie est le commencement de la fin. Voyez noir (à la naissance), Voyez blanc (comme la vie) et Voyez rouge, (pour une nouvelle réincarnation). Hermès Trismégiste, le TROIS FOIS GRAND.
 

UN BREF HISTORIQUE. Le terme d'alchimie dénommé aussi, le « Grand - Œuvre » par ses adeptes, vient du mot arabe Al-kïmyâ, dérivé de « khem » le pays noir, nom qui désignait l'Egypte. Le dieu égyptien « Thoth », que les Grecs assimilaient à leur « Hermès », était scribe des Dieux. Il est l'auteur de la célèbre définition du divin : un « Cercle dont le centre est partout, la circonférence nulle part ».

L'alchimie a commencé par être pratiquée pendant des siècles en Chine et en Inde, puis à Alexandrie aux IIème et IIIème siècle. Véhiculée par les navigateurs, elle fut recueillie par les Arabes et transmise à l'Europe.

L'hermétisme chrétien a su favoriser la naissance d'une nouvelle alchimie occidentale au début du XIIème siècle. Florissante entre 1550 et 1650, elle s'étiole au début du XVIIIème siècle. Il a fallu attendre le XIXème siècle, pour la voir réapparaître. Elle connaît, peu après le début de la seconde moitié du XXème siècle un grand regain dans les milieux théosophiques, et une grande incompréhension populaire.

C.G. Jung l'analysa dans son ouvrage « Psychologie et Alchimie » (1944) et démontra qu'elle avait des analogies frappantes avec les visions et les rêves. L'alchimie a suscité chez les théosophes chrétiens le désir très profond d'une Gnose. Transmise d'une génération à l'autre, elle a été soumise à une première codification systématique vers 1677 avec la parution de la « Bible » des alchimistes, le « Mutus Liber », (le Livre Muet).

L'alchimie est dualiste. Elle est le reflet de la matière et de l'esprit, du visible et de l'invisible, du bien et du mal. Résonateur de l'âme, son manichéisme s'exprime par deux approches, par deux voies distinctes et complémentaires :

- la voie dite de la raison, de l'intelligence,  du rationnel, de l'objectif, appelé aussi « la  voie sèche »
 et une autre,

- la voie des sens, de l'irrationnel et du cœur, appelé « la voie humide ou voie cardiaque ».

Cette conférence sera donc le miroir de cette dualité. Toute Alchimie est une recherche d’une « Quête du Saint Graal », en rapport étroit avec l'imaginaire, le divin. La première partie est un survol quelque peu technique de l'alchimie, la seconde, plus sensitive fera appel à l'Alchimie et la religiosité, dont les rapports sont intimes.

QUEL EST LE BUT DE L'ALCHIMIE ? De tendre à purifier la matière et par « osmose et sympathie » - dans le sens hermétique du terme - l'esprit. Pour ce faire, utiliser les éléments de la nature - Psychiques et Physiques - en imitant et en accélérant les opérations de transformation de la phénoménologie de la vie naturelle.

Nous pouvons diviser le « Grand-Oeuvre » en trois grandes branches :

- La Spagyrie, dont le créateur a été Paracelse (1) et qui représente pour beaucoup une chimie archaïque. Cette science traite des monde des phénomènes dualistes de purification  et de transformation de la matière.

- L'Archimie, qui décrit est la phase de la  transmutation des alliages des métaux. Notre sidérurgie moderne en est dans son principe l'héritière.

- L'Alchimie, science toute ésotérique et   initiatique consacrée à la transformation du  « Plomb », l'être grossier en un « Or »  spirituel resplendissant.

Nous ne traiterons dans cette conférence que de l'alchimie, principe de résonance de l'âme, dans les cathédrales du monde. Comme la magie son dérivé, ou l'astrologie, elle doit être considérée comme une science ou plus exactement un « Savoir » traditionnel. Elle s'est remise en cause, souvent, en fonction des structures et des valeurs des sociétés de son temps qu'elles soient d'Orient ou d'Occident.

Les Sciences Alchimiques reposent sur l'observation des relations et interactions entre une matière structurée, le visible et l'invisible où se font les transformations de notre espace mental. (L'espace spatio-temporel). C'est là que se forme notre conscience, qui nous relie quelque part au divin. Cette conscience est le reflet de l'âme collective et universelle du monde invisible.

C'est par l'Alchimie que sera délivrée, progressivement, l'esprit de la matière et la matière de l'esprit.

Parler d'alchimie à notre époque fait venir à l'esprit l'image d'un vieillard un peu fou et solitaire, ployant sous le poids des âges. Solitaire, il se consacre dans son laboratoire souterrain et secret, auprès de son Athanor (2), ce four magique des alchimistes, à l'une des plus folles aventures humaines : changer le plomb en or. Cette image est fausse car la chimie ne dérive pas de l'alchimie, mais de la « Spagyrie », dont elle n'est que le principe.

N'ayant pas compris la vraie nature de la quête alchimique, l'opinion publique contemporaine a souvent appelé l'alchimie la « Mère folle d'une fille normale » (la chimie). Le XXème siècle, pétri d'un matérialisme conquérant, discrédita cette science traditionnelle qui tomba dans l'obscurantisme le plus complet.

Les alchimistes du Moyen-Age ont repris la vieille théorie grecque d'Empédocle (mort vers 490 av. J. C.) des quatre éléments qui ne désignaient pas les réalités concrètes et matérielles dont ils portent les noms, mais des « Etats », des balises, symbolisés par la matière. Ils sont :

               - la Terre, support de l'état solide
               - l'Eau, support de l'état liquide
               - l'Air, support de l'état volatile
               - le Feu, support de la lumière et de la chaleur.

A ces quatre éléments s'ajoutent trois « Principes » que Paracelse a popularisé par la fameuse division tripartite alchimique. Le Sel (ou Arsenic) lie les deux principes opposés que sont le Soufre et le Mercure et forme avec eux les trois constituants de l'homme : le Corps, l'Âme et l'Esprit,

                                         - le Corps est sel,
                                         - l’Âme mercure,
                                         - l'Esprit le soufre.

Le sel est le liant du corps, véhicule de l'âme et de l'esprit. Le mercure est le principe volatil de l'âme et de l'esprit. Le mercure est le principe volatil (car l'âme est peu sûre et changeante), il est en rapport avec les éléments mobiles que sont l'eau et l'air. Le Soufre, lui est fixe car l'esprit est en rapport avec les Sept métaux primaires contenus dans la terre (la matière). Il est dans l'élément feu qui transmute ces métaux.

Les alchimistes expérimentés n'étaient pas dupes de leurs symboles. Si le « Plomb » signifiait pour eux le profane, la vulgarité, la lourdeur, l'inintelligence, et « l'Or » précisément le contraire ; les initiés, dans l'acquisition d'une sagesse de vie se désintéressaient peu à peu des biens périssables, des métaux ordinaires qui fascinent les profanes. Car pour eux, le plomb se transmute réellement en un or tout spirituel.

L'Alchimie emprunte ses principes à la symbolique d'une cathédrale, d'un temple, d'une synagogue, d'une mosquée, d'une pagode etc. (ou tous les espaces sacrés), issus de la verticalité, règne végétal et minéral. Elle préfigure la forêt magique où les arbres sont les colonnes, le chœur, la clairière - toute druidique - où l'on danse autour du grand Feu, au pied d’un grand chêne. Ce rituel a symbolisé le sanctuaire, la pierre de l'autel, étant le point focal de toutes les énergies.

Comme les églises, son sol est un pavé mosaïque, cette dualité qui préfigure le bien et le mal, la nuit et le jour, la souffrance et la joie, ce chemin pleine d’épreuves sont autant d'obstacles qui conduisent au cœur de la perfection, après avoir vaincu le monde du combat manifeste. Les pierres sont comme des nervures, des points de tension, où les clefs de la voûte, parfaitement accordées, véhiculent le son parfait. Dans ces deux notions de tension et de résonance est contenu l'état de vibration de la matière.

L'alchimie possède en elle, tel le vase du Graal, un « Spiritus Mundi », une dimension spirituelle, une foi immense, l'âme de la vie et l'ordre des principes contenus dans cet enfant adulte qu'est l'homme. A la dualité du monde des phénomènes se greffe un ternaire, une trinité hypostatique qui est symbolisée chez les chrétiens par Père - Fils - Saint Esprit.

Cette triple face d'une seule divinité, se retrouve dans les cathédrales comme un rythme ternaire de l'esprit créateur. La crypte, le sol, la toiture sont situés sur trois niveaux et forment un immense « Mandala » (tibétain), un véritable cosmogramme qui métamorphose et transcende les images du monde.

En alchimie, la croix (3) possède une valeur symbolique et de mystique ascensionnelle énorme. Représentée au sol par la nef et le bas du transept, la croix devient un élément dynamique qui par son orientation par rapport aux quatre points cardinaux, scande par la ronde des saisons, et l'alternance mystique des solstices et des équinoxes.

Cette croix cardinale toute terrestre supporte son reflet, une croix céleste, verticale et polaire celle-là. Cette croix à trois dimensions, résume toute démarche alchimique, dans la dynamique ascensionnelle de la flèche située à la croisée du transept.

C'est dans ce point d'intersection que se trouve le centre, le point focal des énergies, le cœur du Christ pour le chrétien, « l'Oeuf originel, tous les principes Primordiaux et la Pierre Philosophale », le germe du monde. Les grandes rosaces des cathédrales sont autant des « Moulins de lumières » qui polarisent, filtrent et transmettent les spectres des couleurs. Ses couleurs sont en harmonie moyenne avec les Trois étapes de l’Œuvre alchimique.

Ces étapes sont :

- L'Oeuvre au Noir. 

Le monde des origines. (La colonne du Nord). La naissance, le devenir. Dans les cathédrales la rosace du Nord, la plus sombre. Tout commence par une origine. Il est minuit au Yin-Yang. Dans la matière impure désorganisée et opaque surgit une clarté : c’est l’Œuvre en Rouge (la colonne du midi). Les forces vives permettent à l'homme de s'engager sur un chemin créatif. Une étincelle jaillit à nouveau et c'est l’Œuvre au Noir (L’occident) contenue dans cette rosace sombre, au Nord de toute cathédrale. C'est aussi la fracture transitoire entre le monde visible et invisible, de la lune, cette dualité féminine, vers son reflet lumineux, masculin. Le soleil qui s'ouvre en sept rayons comme une palme de l'oie ou une coquille Saint-Jacques.

- L'Oeuvre au Blanc. 

Le monde adulte. Le monde manifesté. La rosace du midi, la plus claire. C'est l'épanouissement. Le Sud, mais aussi le midi, le soleil étant au Zénith, opposé au Nord, l'Oeuvre au Noir son géniteur. C'est son principe de fertilité, mais c'est aussi la victoire sur l'usure du temps toujours cyclique et circulaire, de gauche à droite ; sens de marche des pèlerinages au Moyen-Age d'où l'entrée par le portail Nord. Le déambulatoire et la sortie par le portail du Sud symbolisent une immersion régénératrice de la foi, en harmonie avec les Lois de l'univers. L'étincelle est devenue une grande flamme, et c'est l'Oeuvre au Blanc, contenue dans une rosace resplendissante de clarté, centrée vers les cycles éternels de vie, la fertilité rayonnante de la nature...                           

- L'Oeuvre au Rouge. 

La mort. Le monde en dissociation. Le processus de la putréfaction. La rosace d'Ouest est la plus rouge. Une nouvelle conscience s'est développée par le parcours de ces étapes alchimiques. Muni de ce Feu primordial, de cette flamme transmutée de l'homme, le soleil rejoint l'Ouest, dernière station du cycle, où dans le ciel étoilé, il se fond dans le Cosmos, à l'instar de « l'Abraxas », cette gemme oh combien magique, entourée l'« Ouroboros » le grand serpent de l'Univers. C'est l'Oeuvre au rouge, couleur de cette dernière rosace.

Les 3 Oeuvres Alchimiques marquant ainsi les 3 points cardinaux de la cathédrale, l'Est, le 4ème point, apportant la source de la Lumière (c'est-à-dire du Feu) pour accomplir la Grande Oeuvre.

Car l'Est, ou Orient, est le point majeur de transition entre la nuit et le jour, entre la dualité cachée et apparente de l'aube, c'est la dissociation entre l'ordre chaotique et cosmique. Moment de stabilisation et d'équilibre, éclairé par un transept lumineux, c'est le sanctuaire, le grand Trône du Christ - Roi créateur. Arche d'alliance entre le spirituel et le temporel, point de départ du monde différencié, l'étincelle devient conscience, la lumière est maîtrisée.

Ces 4 Extrémités énergétiques de la croix, mais aussi les 4 points cardinaux de l'Univers dynamisent 2 axes majeurs, formés par cette croix horizontale, reflet de toute architecture de cathédrale : (ou espace sacré),

- Celui de l'Est - Ouest, axe de toute naissance, de la Lumière, l'incarnation puis sa transfiguration. Il pivote sur l'axe Nord - Sud et « bascule verticalement » au rythme des jours et des nuits. Ainsi alternent les forces lunaires et solaires pour porter aux 3 Oeuvres l'énergie indispensable à toute transformation. Toute voûte de cathédrale est alors une barque céleste, un navire, quille en l'air, qui laboure le firmament étoilé.

- L'autre axe, celui du Nord - Sud, est l'axe de l'origine immobile et passive de la matière (l'Oeuvre au Noir) qui passe à un état beaucoup plus actif d'épanouissement, de fertilité, l'Oeuvre au Blanc. Cet axe ne bascule pas, mais sert de « pivot » à celui de la Lumière et de transfiguration que nous avons évoquée ci-dessus.

Les Trois étapes de l'Oeuvre alchimique, dans leurs multiples transformations, ont un déroulement « Horizontal ». Elles sont en quête constante, comme un vaste athanor, à la recherche d'une vérité purifiée.

Au Moyen-Âge, le sens de la marche, dans toute cathédrale se faisait dans le sens des aiguilles d'une montre. D'Ouest en Est. C'est-à-dire dans un sens dextrocentrique.

Tout « Espace sacré » représente un axe vertical du monde autour duquel évolue le tournoiement samsarique de la condition humaine, jusqu'à ce que l'Illumination en arrête la rotation : c'est alors que la circonférence se confond avec le centre.

Ayant trouvé enfin la « Pierre Philosophale » après un long labeur, la quintessence de toute la sagesse du monde, l'initié, maître de son destin peut, alors grâce à la magie de l'esprit, dans une vision d'amour, prendre conscience de sa propre immortalité.

Il a reçu le « Don de Dieu », terme alchimique marquant le dépassement de l'apparente dualité des choses. Il est en mesure de s'unir en esprit à l'incommensurable conscience de la Réalité, venant des origines. Il a passé le seuil qui est l'ultime réalisation de l'être. Car par elle, s'opère la mutation du corps physique en corps glorieux. L'initié, libéré des contingences qu'imposent les contraintes spatiaux - temporelles peut se manifester dans les régions en lesquelles résident les immortelles.

Sage ou mage, il peut choisir sa voie. Quittant les rivages du monde dans lequel règne la dualité, il peut œuvrer à parfaire d'autres dimensions, son évolution personnelle, ou servir l'humanité en œuvrant en son sein.

Supra-conscient, il saura alors prendre la forme qui convient à son action. Chevalier de l'esprit, il tendra une main fraternelle à ceux qui sauront reconnaître son rayonnement.


Notes :
                                               
(1) Philippus Aureolus Théophastus BOMBASTUS von HOHENHEIM, (1493-1541), dit Paracelse, Suisse, magicien et père de la médecine hermétique, prétendit avoir possédé et expérimenté l'élixir, « l'Homunculus » qui donne un immortel printemps

(2) - La cuisson de la matière (souvent de l'antimoine et de la rosé) se faisait dans l'Anthanor suivant des formules d'Hermès, cet hermétiste, pour obtenir l'Oeuf Philosophique. Cette cuisson se faisait dans une carafe en cristal clos « hermétiquement ».

(3) La Croix est un symbole binaire et quaternaire, ayant une charge métaphysique et émotionnelle très importante. Les 2 branches, l'une horizontale, l'autre verticale sont l'homme schématisé. (Les 3 autres symboles primordiaux sont : le Cercle, le Centre et le Carré).