LA TABLE D'ÉMERAUDE
Interprétation de Stanislas de Guaita
(Texte extrait du Serpent
de la Genèse, tome II - 1897)
Il est vrai (en principe), il est certain (en théorie), il
est réel (en fait, en application) : que ce qui est en bas (le monde physique
et matériel) est comme ce qui est en haut (analogue et proportionnel au monde
spirituel et intelligible) et ce qui est en haut comme ce qui est en bas
(réciprocité complémentaire) : pour l’accomplissement des merveilles de la
chose unique (loi suprême en vertu de quoi se parfont les harmonies de la
Création, omniverselle en son unité).
Et de même que toutes choses se sont faites (accomplies,
réalisées) d’un seul (en vertu d’un seul principe), par la médiation d’un seul
(par le ministère d’un seul agent) : ainsi, toutes choses sont nées de cette même
unique chose, par adaptation (ou par une sorte de copulation).
Le soleil (condensateur de l’irradiation positive ou de la
Lumière au rouge אוד,
aôd, Od) est son père (élément producteur actif de cet agent, [ce qui n’est
vrai qu’à notre point de vue terrestre]) ; la lune (miroir de la réverbération
négative ou de la Lumière au bleu אוב,
aôb, Ob) est sa mère (élément producteur passif [même remarque]) ; le vent
(atmosphère éthérique ambulatoire) l’a porté dans son ventre (lui a servi — ou
lui sert — de véhicule). La terre (envisagée comme type des centres de
condensation matérielle) est sa nourrice (l’athanor de son élaboration).
C’est là le père (élément producteur) de l’universel telesme
[1] (perfection, but final à atteindre) du monde entier (de l’univers vivant).
Sa puissance (force d’extériorisation créatrice, le fleuve פישון Phishôn de Moïse) est
entière (parfaite, accomplie ; intégralement déployée, jusqu’au total
épanouissement) quand elle s’est métamorphosée (mot à mot : quand elle s’est
tournée) en terre (ארץ
Aretz de Moïse, substance condensée et spécifiée ; forme ultime de
l’extériorisation créatrice, matière sensible).
Tu sépareras la terre (ici, dans un sens plus général, la
terre signifie ce qui appartient au monde matériel et tangible, au monde des
effigies) du feu (Principe d’action ; ce qui appartient aux mondes moral et
intelligible) ; — Le subtil de l’épais (sens analogue) avec délicatesse et une
extrême prudence.
Il (le fluide pur, universel, médiateur, et — d’après tels
gnostiques — Corps du Saint-esprit) monte de la terre au ciel (courant
hémicyclique de retour, ascendant ; reflux de Synthèse) et derechef (par un
mouvement à la fois alternatif et simultané), il descend du ciel en terre
(courant hémicyclique d’émission, descendant ; influx d’analyse), et il reçoit
(il se charge, il s’imprègne tour à tour de) la force (les vertus, les
propriétés, les influences) des choses d’en haut et d’en bas (des mondes
physique ou matériel et hyperphysique, ou astral ; et encore, à un autre point
de vue, des sphères sensible et intelligible).
Ainsi (c’est par ces principes que) tu auras (tu acquerras,
tu t’approprieras) la gloire (la souveraineté, l’empire) de l’univers entier ;
par la, toute obscurité (toute impuissance, toute indécision, toute erreur.
L’hiérogramme mosaïque חשך
Hoshek exprime ésotériquement toutes les idées négatives, symbolisées par le
cône d’ombre de la terre) s’enfuira de toi.
Là réside la force forte de toute force (le principe mutuel
d’activité ; le potentiel de toute manifestation, le support de toute action,
la base immanente de tout ordre phénoménal) qui vaincra (s’emparera de,
coagulera, fixera) toute chose subtile (volatile, fuyante, insaisissable, —
fluidique) et pénétrera (s’immiscera dans, décomposera, — dissoudra) toute
chose solide (cohésive, dense et permanente, — concrète).
Ainsi (par cet agent, ou encore, — par cette voie),
l’univers a été créé (réduit de principe en essence, d’essence en puissance
sementielle, de puissance en acte ; en un mot, — réalisé).
De là proviendront (là trouveront leur origine, leur
principe) des adaptations (des applications, ou des productions) merveilleuses,
dont le mode (la manière d’être, le type de formation) est ici (indiqué,
révélé, exposé).
C’est pourquoi je fus appelé Hermès (Mercure, mythe complexe
; au cas présent, emblème de la Mathèse, science intégrale vivante, dont le
caducée de Mercure symbolise le double courant : intuitif-synthétique et
analytique-expérimental) Le Trismégiste (trois fois très grand ou le plus
grand), possédant (pour avoir acquis) les trois parties de la philosophie (la
totale connaissance des trois mondes divin ou intelligible, psychique ou
passionnel, naturel ou sensible) de l’univers tout entier.
Ce que j’ai dit (mon enseignement, mon verbe) est complet
(consommé, intégralement proféré) sur le magistère (ou l’opération, le Grand
Œuvre) du soleil (mille significations : le Magistère du Soleil peut désigner
tout travail conduit à sa perfection ; l’on peut y voir la Genèse
intellectuelle ; la source et le rôle des courants fluidiques universels ;
l’évolution de l’aôr androgyne ou Lumière engendreuse ; enfin le Magistère des
alchimistes, à proprement parler, dont le secret, disent-ils, se trouve à
découvert dans ce texte de la table smaragdine).
NOTES
[1] Autre version Thèléma, θελήμα,volonté. Cette version
admise, faudrait restreindre l’acception symbolique du mot père au sens
d’élément de manifestation.