LA NATURE DÉVOILÉE
ou
THÉORIE DE LA NATURE
La Chaîne d’Or d’Homère (Aurea Catena Homeri)
et l’Anneau de Platon (Annulus Platonis)
Anton Josef Kirchweger
Version de 1772 en langue françoise, traduction de Pierre de Fournelle
Basée sur l’édition originale de 1723 à Leipsic, en langue allemande
Aurea catena Homeri oder eine Beschreibung von dem
Ursprung der Natur und natürlichen Dingen
Franckfurt und Leipzig, 1723
TOME SECOND
AVANT-PROPOS
Comme dans la première partie j’ai traité, d’une manière
générale et universelle, de la génération de toutes choses, je ne traiterai de
même dans cette seconde partie, que d’une manière générale et universelle de
leur destruction: chacun en pourra tirer des spéculations particulières. Je
n’avance rien qui ne soit appuyé sur l’expérience, et je ne donne aucun procédé
que je n’aye pratiqué de mes propres mains. Si quelqu’un en est éclairé et
parvient au but désiré, qu’il en rende grâce à Dieu, auteur et dispensateur de
tous les biens, et non à moi; qu’il s’applique avec cela à pratiquer toute sa vie
le principal commandement de Dieu, la charité envers le prochain, sans
distinction d’amis ou d’ennemis. Comme je n’attribue ce que je sçais, ni à mon
mérite, ni à mon travail, mais uniquement à la bonté divine; je le communique
comme un talent qu’elle m’a confié, à ceux qui mettent leur espérance en elle,
et qui joignent à la droiture du coeur l’amour du travail et la fermeté. S’ils
ne vont pas droit au but, ils doivent m’excuser, puisque je ne puis pas
travailler avec eux; qu’ils ne désespèrent cependant pas de la réussite; aucun
fruit ne devient mûr avant son tems, et, de même qu’un enfant ne peut agir
comme un homme fait, un apprenti en Alchymie ne peut travailler comme un
Philosophe. Il sera toujours vrai de dire errando
discimus et imperfecti per tempus perfecti efficimur.
LA NATURE DÉVOILÉE
OU
THÉORIE DE LA NATURE
SECONDE PARTIE
De la destruction et analyse des choses naturelles.
ARBRE DE L’ANALYSE UNIVERSELLE
UNIVERSALITE
Le volatil, avec son phlegme et son huile subtile
L’acide, avec son phlegme et son huile grasse
L’alkali, les charbons, les cendres et le sel
ANIMALITE
Le volatil, avec son phlegme et son huile subtile
L’acide, avec son phlegme et son huile grasse
L’alkali, les charbons, les cendres et le sel
VEGETABILITE
Le volatil, avec son phlegme et son huile subtile
L’acide, avec son phlegme et son huile grasse
L’alkali, les charbons, les cendres et le sel
MINERALITE
L’esprit acide, avec son phlegme
L’huile acide et corrosive
L’alkali, la terre restante et son sel
CHAPITRE I
De quelle manière la
Nature détruit les choses naturelles, les réduit en leur première matière, à sçavoir
en nitre et en sel, et les fait redevenir vapeurs.
Nous avons prouvé ci-devant que la Nature procrée toutes
choses de l’eau primordiale et du chaos régénéré, c’est-à-dire de la pluie, de
la rosée et de l’eau de neige; soit qu’on les considère dans leur état de
volatilité, comme elles tombent de l’air sur la terre, soit qu’on les voie déjà
un peu fixes et corporelles, en forme de salpêtre ou de sel. Nous allons faire
voir que cette même eau chaotique détruit, sépare, résout et corrompt toutes
choses, tant volatiles que fixes, et les réduit en leur première matière, c’est
à dire en salpêtre et en sel, ceux-ci en eau et l’eau en vapeurs. La Nature, après
les avoir formées desdits principes, en montant de degré en degré jusqu’à la
perfection à laquelle elles sont destinées, revient sur ses pas, et les ramène
également par degrés jusqu’à leur première origine.
Nous avons démontré dans la première partie, au chapitre de
la terre et de ses exhalaisons, et en divers autres endroits, principalement
dans la naissance des minéraux, de quelle méthode la Nature se sert pour
résoudre ces spermes fixes, c’est-à-dire le salpêtre et le sel en eau, et
ensuite cette eau en vapeurs. Ainsi, il ne sera pas nécessaire de répéter ici
de quelle manière ils s’élancent par le centre de la terre en forme de vapeurs
jusque dans l’air, etc.
Après avoir posé ces principes généraux, nous commencerons
par la sphère animale, et nous dirons de quelle manière les animaux tombent en
corruption et rétrogradent en leur première matière.
CHAPITRE II
De quelle manière la
Nature détruit les animaux.
Les animaux pourrissent, se changent en mites et en vers,
ceux-ci deviennent mouches, et celles-ci se résolvent dans leur terme, en
première matière universelle, c’est-à-dire en nature saline, nitreuse et
chaotique, ensuite en eau et en vapeurs, d’où proviennent la rosée et la pluie,
et de celles-ci se régénèrent de nouveau le nitre et le sel très-volatils.
Les animaux sont d’une nature très-humide, succulente et
pleine d’un sel volatil; par cette raison, dès que leur esprit vivifiant et
balsamique est dissipé, ils commencent à se putréfier, à se gonfler, à exhaler
des parties volatiles qui infectent l’air d’une odeur très-puante, et tout
devient glaireux et humide. Pour abréger et pour ne pas nous arrêter sur des
images dégoûtantes, je n’en dirai pas davantage sur ce règne. En traitant de la
dissolution des végétaux, j’expliquerai plus amplement les effets de la
putréfaction qui y sont les mêmes, à peu de choses prés. Si quelqu’un a envie
de les étudier plus particulièrement dans les animaux, il n’a qu’à aller en un
endroit où il y a une charogne, pour y contempler, s’il en a le courage, les
changemens qui s’y font d’un jour à l’autre; il verra les vers s’y promener en
quantité. Qu’il prenne de ces vers bien engraissés; qu’il les enferme dans une
bouteille de verre; qu’il leur donne pour nourriture un peu de viande puante;
qu’il couvre la bouteille d’un papier où il y ait des trous, et qu’il la mette
à une petite chaleur du soleil: il y verra dans peu de jours, et même en peu
d’heures, comment ces vers se métamorphosent et deviennent des mouches, ou
moucherons de différentes espèces.
Cela provient principalement des parties volatiles animales;
mais les parties plus fixes, et qui ne sont pas si volatiles, se changent en
eau et en terre, dont par lexiviation on peut tirer du salpêtre et du sel. Ces
parties restantes, c’est-à-dire le salpêtre et le sel, se trouvent en tout
sujet dans sa dernière réduction: le volatil s’envole et s’exhale en forme de
vapeur pour être chaotisé dans l’air; les parties plus fixes se glissent dans
l’eau et dans la terre pour y être réduites en premier sperme plus fixe,
c’est-à-dire en salpêtre et en sel; de ces principes il naît des végétaux. De
cette manière le règne animal devient végétal, comme nous l’avons enseigné dans
la première partie.
Mais comme dans les animaux les os sont plus coagulés et
plus compacts, la Nature a aussi besoin de plus de tems pour les réduire en
poussière et en terre, comme nous le faisons observer dans les végétaux de
bois.
CHAPITRE III
De quelle manière la
Nature détruit les végétaux.
On peut examiner les végétaux avec moins de dégoût que les
animaux; car après qu’ils sont flétris, ils sont humectés par la pluie et par
la rosée, qui recuisent l’acide qui s’y trouve et le rendent volatil; celui-ci tiédit
et s’échauffe en partie par l’esprit qui y est implanté, en partie par la
chaleur du soleil et par la chaleur centrale qui s’y joignent. Cette dernière
s’élève continuellement d’en bas, comme celle du soleil darde d’en haut. Cette
chaleur de la terre est même sensible en hiver, dans les caves. Cet acide
réveillé, pénètre et parcourt les pores des plantes, échauffe et excite le
volatil, pour le faire exhaler en l’air afin d’y être chaotisé; il amollit
aussi les parties fixes et plus dures, les réduit en suc et en glaire, qui se
glissent dans la terre et se mêlent avec elle pour y être changés en un sperme
plus fixe et chaotique, c’est-à-dire en nitre et en sel.
Il naît aussi des mites et des vers des parties volatiles
des plantes; de ceux-ci il vient des mouches et des moucherons, lorsqu’elles
n’ont pas été trop desséchées par la chaleur; ce qui fait connoître que le
règne végétal peut devenir animal ou volatil, comme on peut le voir aux plantes
et aux arbres verdoyans, desquels les sucs superflus qui s’en écoulent
commencent à pourrir, et produisent ensuite des nids entiers de mouches et
toutes sortes d’autres insectes volatils. C’est de cette manière que se fait la
destruction des végétaux les plus foibles.
Avec des végétaux plus forts, comme les arbres, la Nature a
beaucoup plus à combattre, avant qu’elle puisse les réduire en leur première
matière et en eau chaotique. Voici comment elle agit pour y parvenir. Lorsque
l’arbre est mort, c’est-à-dire lorsque son esprit végétatif a cessé d’agir, la racine
perd sa vertu attractive et ne donne plus de nourriture au tronc; ce qui fait
que les feuilles tombent et que l’arbre se dessèche. Alors il se remplit
intérieurement, par les pores, de vapeurs qui commencent à en amollir peu à peu
les parties, à fermenter et à se putréfier par l’action de l’esprit implanté;
car dès que cet esprit, spécifié dans un individu, a été empêché par quelque
obstacle d’agir pour sa conservation, il reprend son universalité et n’agit
plus que pour sa destruction. Ainsi l’arbre est attaqué dans toutes ses
parties, et il devient, depuis la moelle jusqu’à l’écorce, spongieux, tendre et
vermoulu. Le soleil, la pluie et la gelée l’attaquent pareillement. Le soleil l’échauffe
d’outre en outre, et le fait quelquefois fendre, parce que son humide
conservatif l’a abandonné. La pluie qui survient l’humecte, et comme l’arbre
est échauffé et desséché par le soleil, il attire à soi avidement l’humidité,
par où il dépérit de plus en plus; car l’humidité y pourrit, et en pourrissant,
fait aussi pourrir l’arbre avec elle, et le réduit en poussière. Après cela, le
soleil, qui y darde de nouveau ses rayons, l’échauffe encore d’outre en outre,
et ouvre ses pores de plus en plus jusqu’à ce que la pourriture puisse le
pénétrer d’un bout à l’autre et le dissoudre entièrement. Voilà ce que font la
chaleur et l’humidité.
La gelée l’attaque encore plus vivement; car la chaleur
naturelle étant chassée de l’arbre, lorsque la chaleur du soleil revient, et
l’échauffe, le froid, qui avoit pénétré dans ses pores, s’y fond en eau. Cette
eau se tient dans le coeur et dans la moelle de l’arbre, et commence à y
pourrir, le gonfle tant en dedans qu’en dehors, l’amollit et le putréfie. La
Nature continue cette opération jusqu’à ce que l’arbre soit pourri dans toutes
ses parties, et qu’il tombe en poussière. C’est en cela que consiste la calcination
des végétaux. On peut voir la même chose dans les os du règne animal.
Cette calcination ou dissolution est très-lente; elle dure,
bien souvent, la vie de trois hommes et même plus, lorsque c’est un bois très-dur;
parce qu’il se détache seulement des petites parcelles de l’arbre
successivement, et de tems en tems: mais nous en voyons un exemple plus prompt
dans les saules et dans les ormes, à cause de leur humidité excessive. Lorsque
l’arbre est ainsi calciné et réduit en poussière, il pourrit plus promptement
et rétrograde en peu de tems en sa première matière, c’est-à-dire en salpêtre
et en sel, comme on peut le voir dans les jardins où l’on emploie, pour les
fumer, cette poussière qui y pourrit et se change très-promptement en sa
première matière. La calcination du bois est beaucoup plus prompte, lorsqu’il
est réduit en petites parties, comme il est aisé de le concevoir et de s’en
assurer par l’expérience; car si on prend des sciures d’un arbre, qu’on les
arrose avec de l’eau de pluie putréfiée et qu’on les expose à l’air tiède,
elles s’échauffent promptement, pourrissent, deviennent puantes, glaireuses et
se résolvent enfin en une eau épaisse. Si on n’y met point d’obstacles, cette
eau se remplit de vers et de mites, qui se changent ensuite en mouches ou
moucherons. Lorsque celles-ci se sont envolées, il ne reste plus qu’un peu
d’humidité terrestre, comme je l’ai expérimenté avec quelques plantes et
quelques bois; mais si on empêche ces vers et ces mouches de s’envoler, on peut
engraisser les terres des jardins avec ces végétaux pourris, ou en séparer les
principes par la Chymie, en les distillant. C’est en cela que consiste la séparation
naturelle, ou la calcination et destruction des végétaux, et leur réduction en
leur première matière.
Mais on pourra me demander pourquoi j’emploie, à cet effet,
l’eau de pluie pourrie et ce qu’elle peut contenir pour aider à la
putréfaction, ou quel est le principe, dans l’eau de pluie, qui fait pourrir. Je me sers de l’eau de pluie putréfiée, parce
qu’elle est le ferment homogène de toutes choses.
Plusieurs Chymistes, et non sans raison, y mêlent aussi du
levain ou de la lie de bierre ou de vin; mais ici je n’emploie que l’eau de
pluie, parce que je veux seulement démontrer que toutes choses prennent leur
naissance de l’eau chaotique, et qu’elles se détruisent réciproquement par
elle.
Pour ce qui est du principe putréfiant, le Lecteur lui-même
peut bien imaginer ce que c’est; puisque l’alkali est balsamique, par
conséquent le volatil et l’acide sont destructifs. Or, il est visible que l’eau
de pluie est plus volatile que fixe, et qu’elle contient aussi plus d’acide que
d’alkali.
Comme les parties succulentes des animaux pourrissent très-promptement,
et les parties sèches et dures plus lentement; de même les parties pleines de
sucs des végétaux pourrissent plus promptement que celles qui sont dures. Les
minéraux pourrissent encore plus lentement, comme étant d’une nature très-épaisse,
très-dure et très-sèche; et la raison pour laquelle les substances succulentes
et humides pourrissent, après la dissipation des esprits vitaux balsamiques,
plus promptement que les substances dures et sèches, est que le Créateur a
voulu que l’eau et l’humidité fussent l’instrument par le moyen duquel l’esprit
qui opère tout pût parvenir à la putréfaction qui, comme nous l’avons démontré
dans la première partie, est la clef principale pour ouvrir et fermer tout ce
qui est dans la Nature.
CHAPITRE IV
De quelle manière la
Nature détruit, corrompt et altère les minéraux.
Tout ce qui vient du ciel et de la terre est fait d’eau et
d’esprit. Cette eau contient deux choses, à sçavoir le salpêtre et le sel. Ces
deux derniers procréent dans leurs matrices convenables tout ce qui existe dans
ce grand monde, les animaux, les végétaux et les minéraux. Si dans l’air ces
sels sont en forme d’esprit, les hommes les attirent par leur respiration et
les changent en leurs propres substances et semence; et ainsi ils deviennent du
genre animal. S’ils tombent sur la surface de la terre en forme de rosée et de
pluie, il en vient des végétaux. S’ils pénètrent par les fentes, crevasses et
pores de la terre, par le moyen de l’eau, jusque dans sa profondeur, il en naît
des mines. Toute la différence de leurs opérations ne consiste, comme nous
l’avons déjà dit plusieurs fois, que dans leurs différens degrés de volatilité
et de fixité. Plus ils sont volatils, plus ils sont des animaux. S’ils tiennent
le milieu entre le fixe et le volatil, ils sont des végétaux. Plus ils
deviennent fixes, plus ils sont des minéraux: par où l’on voit que le passage
d’un règne à l’autre doit se faire par des nuances insensibles.
Comme tout est fait par ces deux sels, tout est aussi
détruit par eux. L’un est le feu et l’air, l’autre est l’eau et la terre; l’un
est le soleil, l’autre est la lune; l’un est la chaleur interne centrale,
l’autre est l’eau interne centrale. Le nitre est chaud et igné; car il est un
rayon pur et concentré du soleil et de sa propre essence, sa production et son
enfant, ou un soleil coagulé; parce qu’il est igné dans toutes ses parties,
lorsqu’il est mis en mouvement, quoiqu’il paroisse aussi froid et aqueux que la
glace: le sel au contraire est froid et aqueux; il est la véritable matière
d’attraction, une production et l’enfant de la lune, qui pour la génération
désire fortement le mâle, c’est-à-dire le salpêtre, sans lequel il ne se sent
pas assez de force pour procréer un corps parfait, à cause de sa qualité
terrestre froide, fixe et aqueuse. C’est donc de ces deux qu’on doit espérer et
attendre la génération et la destruction de toutes choses.
Cela posé pour fondement, nous examinerons avec quels
instrumens la Nature détruit les pierres et les minéraux. Elle a entre ses
mains, comme nous l’avons dit ci-dessus, un feu. Soit qu’elle le tire du
soleil, soit qu’elle le tire de la chaleur centrale; ce feu tiédit, et ensuite
échauffe si fort les rochers, les pierres, dans toutes leurs parties, que
quelquefois ils en deviennent presque rouges.
Qu’on touche seulement avec les mains, dans les jours
caniculaires, une pierre ou un fer exposés aux rayons du soleil; je pense qu’on
les retirera bien vite. Cette grande chaleur est suivie de l’eau ou du froid
qui humecte les pierres échauffées; et du combat de ces deux contraires, il
résulte un violent effort qui fait éclater la pierre, et en détache des
parcelles. Les attaques réitérées du feu et de l’eau réduisent ainsi peu à peu
et à la longue toute la pierre en petites parcelles avec d’autant plus de
facilité qu’à mesure qu’ils agissent sur elle, ses pores se dilatent et leur
donnent un accès plus libre. Ces parcelles exposées également à l’action de la
chaleur et de l’humidité, se brisent et se divisent de plus en plus; et à la
fin elles sont réduites en sable et en poussière. Cette poussière, qui étoit
auparavant pierre ou terre, continuant toujours d’être échauffée et humectée,
commence à se pourrir et à devenir d’une nature saline ou nitreuse par l’action
de l’esprit qui y est implanté; car cet esprit salin, coagulant, est réveillé
et excité par l’humidité à réagir sur son propre sujet. Alors la pierre avance
vers sa destruction, comme l’animal et le végétal vers sa mort; ensuite s’y
joint le sel de la terre et le sperme double volatil de la pluie et de la
rosée. Quand la pierre est venue au point d’être réduite en poussière, et
qu’elle est devenue saline, elle est déjà d’une autre nature, et propre à devenir
végétal. Dans cet état, il en croît des plantes et des arbres qui pourrissent
encore, et dont il naît des vers et des mites. De ceux-ci il vient des mouches,
des moucherons et des cochenilles, ou bien les animaux se servent de ces
végétaux pour leur nourriture. De cette manière la pierre est transmuée pour la
deuxième fois; à sçavoir en végétal, et de-là en animal. Cet animal pourrit et
se résout en une nature chaotique, universelle, saline, nitreuse, aqueuse,
vaporeuse hyléale, et c’est ainsi que la pierre devient matière première
chaotique.
Vous voyez donc comment la Nature rétrograde, et comment
elle vient à bout, sans autres instrumens que le feu et l’eau, de détruire les
corps les plus durs et les plus compacts. Elle le fait très-lentement; mais si
elle pouvoit avoir sous sa main une aussi grande quantité de sel que nous nous
en procurons par l’Art, elle opéreroit aussi promptement que nous, et elle
réduiroit bientôt les montagnes les plus hautes en de très-petites collines.
Si dans notre Art nous faisons rougir une pierre au feu et
que nous l’éteignions dans l’eau salée, elle se brisera en morceaux; et ce seroit
une pierre aussi grosse qu’une maison, s’il étoit possible de la faire rougir
et de l’éteindre dans ladite eau, elle s’y briseroit également. Plus nous
réitérerons cette opération, plus la pierre se réduira en petites parties, et à
la fin elle se changera tout-à-fait en glaire et en eau. Si au lieu de
dissoudre des sels dans de l’eau, nous les distillons en esprit, et si nous en
résolvons les pierres, elles se réduiront en une seule fois en eau. Cette eau
peut aussi être réduite très-promptement en vapeurs, et celles-ci derechef en
eau par la distillation. Le Lecteur verra par-là combien l’opération de l’Art
est plus prompte que celle de la Nature; car tandis que celle-ci emploie
plusieurs années pour calciner la pierre et la réduire en la première matière,
c’est-à-dire en une eau nitreuse et saline, l’Art le fait en peu d’heures.
La Nature procède avec les sujets minéraux et métalliques
comme avec les pierres. Elles les échauffe et les fait éclater avec l’eau, dans
laquelle est caché un sperme salin, soit en petite, soit en grande quantité.
C’est celui-ci qui détache le minéral ou le métal, comme sa progéniture, et peu
à peu les réduit tout-à-fait en rouille et en crocus; résout ce dernier, par la
longueur du tems en nature saline, et à la fin en eau. Ainsi la Nature ramène
les minéraux à leur première origine, et elle les détruit beaucoup plus vite
que les pierres, pourvu qu’elle soit à même de pouvoir opérer, parce qu’ils ont
un sel manifeste qu’elle n’a besoin que de réveiller par l’eau et son sel pour
agir au contraire; mais je ne parle ici que des minéraux et des métaux qui sont
encore renfermés dans les lieux de leur naissance ou dans leurs matrices, et
dans lesquels les terres des montagnes et des roches sont encore conjointes
avec les parties métalliques.
Pour ce qui regarde les métaux travaillés et affinés au feu,
j’avoue qu’il faudroit à la Nature un tems beaucoup plus long pour les
détruire; parce que l’humidité superflue en a été séparée par la violence du
feu, plus pourtant dans l’un que dans l’autre. C’est pourquoi, comme le soleil
et la lune sont privés presque totalement de leur humidité, même de leur
soufre, de leur arsenic, de leur marcassite, et qu’en partie ils y sont
concentrés; la Nature ne peut que très-difficilement les réduire en leur
première matière. Au contraire elle a beaucoup de facilité à détruire Mars et Vénus,
parce qu’ils renferment encore en eux une humidité superflue, et qu’ils sont
bien ouverts; ce qui fait que l’air humide et l’eau peuvent réduire facilement
le Mars en rouille, et Vénus en verdet, comme le Saturne et le Jupiter en
céruse. L’expérience a appris que le soleil et la lune, enfouis dans la terre,
peuvent y être réveillés, lorsque l’humidité saline de la terre excite leur
esprit acide à agir; car on a trouvé, au lieu du soleil et de la lune, leurs
électres, ou seulement de la poussière. Si on met de l’or ou de l’argent dans
des endroits qui exhalent beaucoup de vapeurs arsenicales ou marcassitiques, la
Nature viendra bientôt à bout de les détruire, comme on le voit par l’Art qui
doit nécessairement suivre la Nature dans ses degrés. Lorsqu’on fond ensemble
du soufre, de l’arsenic et de la marcassite; qu’on y met ensuite de l’or rougi
au feu; l’or s’y réduit en poussière. Il est facile alors de les dissoudre par
les sels ou par les vapeurs et esprits salins, et de les réduire en sa première
matière. Il en est de même de toutes choses: elles conservent leur être jusqu’à
ce qu’elles rencontrent ce qui est propre à les détruire; et cela ne peut
manquer d’arriver tôt ou tard; car la Nature n’est jamais oisive: sans cesse
elle détruit, ou plutôt elle crée sans cesse, parce que la corruption d’un être
est la génération d’un autre; en sorte que les destructions qu’elle opère, sont
moins des destructions que des transmutations, comme nous voyons que les
végétaux et les animaux, qui servent à notre nourriture, se changent en notre substance,
laquelle doit un jour se transmuer en végétaux, et ensuite par ce moyen, en
d’autres animaux.
L’art a aussi ses transmutations. Car les Philosophes, par
leur teinture, transmuent les métaux imparfaits en or et en argent; mais il ne
faut pas croire que cette teinture soit une médecine qui guérisse le métal tout
entier, tel qu’il croît dans la minière: elle ne guérit que les parties mercurielles
les plus pures, qui, par un long et fort feu, ont été séparées de toutes leurs
scories.
Aucun sçavant n’ignore que les Philosophes ne prennent pas
le minéral, tel qu’on le tire des mines, pour y jetter leur teinture; mais qu’ils
séparent auparavant du minéral, par le moyen du feu, le corrosif superflu, le
soufre, l’arsenic et la marcassite: alors ils prennent le métal malléable qui a
été séparé de tant de parties, car dans le grand fourneau de fonte, l’humidité
superflue, le soufre, l’arsenic et la marcassite volatile s’envolent en fumée
dans l’air, et retournent dans le chaos universel. Ce qui reste de la partie
plus fixe de la marcassite avec la matrice pierreuse de la mine, ou les
pierres, se change, partie en scories, et partie en régule. Ils affinent de
nouveau ce régule, et en séparent encore les parties les plus fixes qu’ils
appellent scories, jusqu’à ce qu’ils aient le grain métallique très-pur. C’est
ce grain que prennent les Philosophes, et qu’ils transmuent, par leur teinture,
en une chose plus parfaite, c’est-à-dire en or ou en argent. On peut, avec
beaucoup de justice, appeler cette transmutation une guérison de la maladie
métallique; car Saturne est mélancolique; Jupiter est perclus; Mars est bilieux
et amer; Vénus a la chaleur du foie, Mercure l’épilepsie; la lune l’hydropisie.
Toutes ces maladies sont guéries par leur médecine; et c’est ainsi qu’ils sont
ramenés à la nature tempérée du soleil.
Je considère le grain métallique comme la moëlle dans les
os. Si un homme est mélancolique, la moëlle de ses os en est aussi infectée.
S’il est bilieux, la moëlle l’est de même. Le médecin applique les remèdes à la
moëlle, et non aux os et aux chairs. S’il peut guérir la moëlle, il est certain
qu’il guérira aussi les maladies du corps; puisque la moëlle est ce qu’il y a
de plus éloigné dans le corps: et il faut qu’une médecine soit bien pénétrante
pour pouvoir passer jusque dans la moëlle; car la plupart des remèdes, sur-tout
ceux qui sont tirés des végétaux, restent dans la troisième ou quatrième
digestion; leur force se dissipe dans les veines, et ils s’évacuent par les émonctoires,
de manière qu’ils ne pénètrent pas dans la moëlle.
Quoique tous les hommes tirent leur origine d’une même
semence, ils ont cependant différentes complexions qui les rendent sujets à des
maladies différentes. Il en est de même des métaux: quoiqu’ils naissent tous de
l’acide universel, ils prennent dans leurs différentes matrices, différentes qualités
accidentelles, et contractent différens vices; c’est pourquoi ils ont tous
besoin d’une médecine tempérée pour acquérir un tempérament solaire, et pour
être exaltés par l’Art à une nature plus
parfaite. C’est ce que les Philosophes effectuent par leur teinture.
Il y a aussi dans les os des moëlles de différentes espèces.
La meilleure se trouve dans le tuyau, et l’autre, qui est moins parfaite, dans
les extrémités du tuyau, vers les jointures, ou vers l’os spongieux. Celle-ci
est pourtant en chemin pour parvenir à la perfection de la meilleure moëlle;
car cet os spongieux est couvert d’un cartilage, et ce cartilage est accompagné
de glandes mucilagineuses, dans lesquelles se cuit et se prépare la synovie,
laquelle, à certains égards, peut être regardée comme une première matière des
cartilages et de la moëlle. Or, le médecin ne cherche pas à guérir la synovie
ou le dur cartilage, ou l’os spongieux et sa moëlle, mais la meilleure moëlle; parce
qu’il sçait que, si la médecine pénètre jusqu’à la meilleure moëlle, il guérira
aussi les parties plus foibles, autant que la nature de ces parties en a
besoin. Cependant elle ne les change pas en moëlle; elle corrige seulement leur
mauvaise qualité et leur en donne une meilleure.
La même chose arrive avec les métaux et les minéraux. On ne
cherche pas à guérir, par la médecine ou teinture, le soufre, l’arsenic ou la
marcassite, mais le métal; et quoiqu’on la jettât sur du soufre, de l’arsenic
ou de la marcassite, elle ne les changeroit pas en soleil ou en lune; elle les
changeroit seulement en une nature solaire ou lunaire. Mais comme la moëlle
imparfaite, guérie de sa maladie, devient ensuite, par la digestion et par la
maturation, une moëlle de la meilleure qualité: de même le soufre, l’arsenic et
la marcassite des métaux étant rendus solaires et lunaires, par la médecine des
Philosophes, peuvent être réduits en or ou en argent par la digestion et la
maturation; mais non pas comme le métal qui se change en or ou en argent dans
la fonte.
Nous descendrons maintenant de la corruption ou de la
putréfaction à la conjonction et régénération de l’eau universelle chaotique,
et ensuite à celle de toutes les choses naturelles.
CHAPITRE V
De l’analyse ou de la
séparation, conjonction et régénération de l’eau chaotique, et quintessence.
Dans la première partie, nous avons expliqué le commencement
et l’origine de la Nature: comment toutes choses ont pris naissance de la
vapeur universelle, ou de l’eau chaotique; comment cette eau a été divisée en
quatre principes universels, ou en quatre élémens, et comment, par le commandement
du Créateur, ces quatre élémens régénèrent continuellement ce chaos divisé et
en font une semence universelle, pour la génération des animaux, des végétaux
et des minéraux, etc.
A présent nous traiterons généralement de leur analyse, et
nous commencerons, suivant l’ordre, par l’eau chaotique universelle, ou l’eau
de pluie, qui servira d’exemple et de modèle pour les autres choses. Nous
examinerons, par l’Art de Vulcain, ce qu’elle est capable d’opérer autant que
cela se peut (car il seroit impossible de l’approfondir tout-à-fait). Nous la
décomposerons et la diviserons en ses parties volatiles, moyennes et fixes.
Nous réunirons ensuite ces parties séparées; nous les coagulerons et fixerons,
afin que tout un chacun puisse voir comment le plus volatil peut acquérir la fixité
d’une pierre, et le fixe devenir volatil; le ciel, terre, et la terre ciel; le
volatil se changer en acide et en alkali, et au contraire: d’où il résultera
une harmonie concentrée, une quintessence ou un magistère universel. C’est sur
ce modèle que tous les autres seront contraints de se régler; tant les animaux
que les végétaux et les minéraux, comme étant enfant de la même mère.
Analyse du chaos
régénéré, ou de l’eau de pluie
Prenez de l’eau de pluie, ou de neige, laquelle vous
voudrez, qui est la semence ou le sperme de l’univers, et rien d’autre qu’eau
et esprit. Prenez, dis- je, de l’eau de pluie qui vient de l’Occident dans le
mois de mars: filtrez-la après que vous l’aurez ramassée dans un tonneau de
bois neuf, ou dans divers vases: mettez-la en un endroit où il ne fasse ni trop
chaud ni trop froid, mais qui soit sensiblement tiède: couvrez-la d’un
couvercle afin qu’il n’y tombe point d’ordures, et laissez-la reposer un mois
jusqu’à ce qu’elle sente mauvais: alors elle est mûre pour la séparation.
Première séparation du
chaos
Remuez bien toute cette eau avec un bâton: mettez-la dans un
alembic de cuivre: couvrez-le de son chapiteau: présentez-y un récipient:
distillez très-lentement un subtil après l’autre, jusqu’à moitié; vous aurez le
ciel et l’air avec leurs subtils séparés de leur réceptacle ou écorce: c’est
cela qui est le volatil: l’acide et l’alkali, ou l’eau et la terre restent dans
les résidus.
Deuxième séparation
Prenez ensuite ce qui reste dans l’alembic de cuivre;
distillez-le encore dans un autre récipient, jusqu’à une épaisseur de miel: ce
qui est passé est l’élément de l’eau, ou des phlegmes abondans, qui montent
avant l’acide et l’alkali, et d’abord après le volatil.
Troisième séparation
Retirez de l’alembic les résidus d’une épaisseur mielleuse:
mettez- les dans une retorte, au feu de sable, que vous augmenterez par degrés:
il montera d’abord un phlegme, et ensuite un esprit aigre comme du vinaigre,
qui est l’acide: celui-ci est suivi d’une huile épaisse et qui appartient à
l’acide: car l’acide est une huile étendue, et l’huile est un acide concentré.
Ces parties peuvent être nommées tout à la fois eaux essentielles, eaux
élémentaires et parties volatiles de la terre; parce que l’eau et la terre ne
sont jamais l’une sans l’autre, ou plutôt elles sont une même matière et ne
sont différentes qu’à raison de leur volatilité, de leur fixité ou de leur
consistance plus liquide et plus sèche. Par la même raison, ces parties peuvent
aussi être nommées le ciel et l’air fixe, comme je l’ai expliqué suffisamment
dans la première partie. J’y renvoie le Lecteur; qu’il en fasse l’application dans
cette seconde partie.
Après que toutes les parties liquides auront été distillées
par degrés, il restera dans la retorte un caput
mortuum noirâtre, un vrai charbon, qui brûle comme tous les autres
charbons, et qui est une terre vierge macrocosmique ou un alkali.
Vous avez à présent le chaos séparé en quatre parties: en
ciel, air, eau et terre; ou en volatil, acide et alkali, ou en une eau très-volatile;
en une eau grossière, et en un esprit acide, ou vinaigre, en une huile fétide
épaisse, et en charbon, dans lequel le sel alkali reste caché.
Gardez et conservez séparément chacune desdites parties,
comme un élément particulier. Chacun peut voir par-là ce que c’est que la
semence de l’univers, en quels principes elle peut être séparée, et quelle est
l’origine de toutes les choses naturelles.
Comme le chaos un et simple peut être divisé et séparé en
quatre parties, de même chacune de ses quatre parties peut être divisée en
plusieurs parties ou degrés: par la rectification, comme nous le dirons dans la
suite.
Première rectification
des parties du ciel
Prenez le produit de votre première distillation ou de la
première séparation du chaos: mettez-le dans un matras à long col, sans le
couper: adaptez-y un chapiteau convenable avec son récipient: et distillez au
bain-marie, par le premier et deuxième degrés, jusqu’au troisième. Vous verrez
passer une eau claire, transparente et volatile, qui est le ciel mêlé de l’air
le plus subtil. Ce qui reste dans le matras est l’eau plus grossière. Gardez
séparément ces deux choses, et la première rectification est achevée.
Deuxième rectification
Prenez le ciel et le rectifiez pour la deuxième fois, au
bain-marie, comme auparavant: distillez-en la moitié; l’eau en deviendra plus
subtile qu’elle ne l’étoit. Par-là vous aurez rendu le ciel plus subtil et plus
volatil.
Troisième
rectification
Prenez encore le ciel subtilisé, et distillez-le de nouveau
jusqu’à la moitié: le ciel sera devenu très subtil, et aura acquis un grand
éclat de diamant.
Pour ce qui regarde l’autre moitié restée, faites-la passer
encore une fois. De cette manière vous aurez le ciel séparé en trois parties:
le ciel subtil, le ciel plus subtil, et le ciel très-subtil. Mettez chacun à
part avec son étiquette ou son nom.
Rectification de l’air
Prenez à présent l’air le plus grossier, qui, dans la
rectification du ciel, est resté en arrière: ajoutez-le à l’élément distillé de
l’eau, qui est passé dans la seconde séparation du chaos: mettez ces deux ensemble
dans un matras, au bain-marie; et distillez par quatre degrés; l’air passera:
mais l’eau grossière ne montera pas facilement au feu du bain-marie, sur-tout
dans un matras à long col, mais bien au feu de cendres et dans un matras à col
bas. Par cette opération vous aurez l’air séparé de l’eau; mais il faut le
rectifier trois fois, comme vous avez fait le ciel, en en distillant toujours au
bain-marie la moitié seulement; par ce moyen vous aurez l’air subtil, l’air
plus subtil et l’air très-subtil. Vous y mettrez pareillement des étiquettes et
vous les rangerez en bon ordre.
Rectification de l’eau
Prenez ensuite l’eau qui est restée de l’air: mettez-la dans
un matras dont le col soit coupé, mais qui ne soit pas trop court: adaptez-y le
chapiteau et le récipient: mettez-le au feu de cendres: distillez du premier au
deuxième degré: l’eau la plus subtile montera: réservez-la en particulier,
comme étant la première partie: distillez encore la seconde partie du deuxième
degré jusqu’au troisième: mettez-le également à part: distillez après cela la
troisième partie de l’eau la plus grossière, du troisième au quatrième. Par ces
trois rectifications, vous aurez l’eau subtile, l’eau plus subtile et l’eau
très subtile. Arrangez-les en ordre avec leurs étiquettes, à la suite de l’air
séparé et rectifié: quoique je dusse attribuer les parties restantes liquides à
l’élément de l’eau, puisqu’elles sont humides et aqueuses. On ne trouvera
cependant pas mauvais que je les donne à la terre, puisqu’elles deviennent très-facilement
terrestres et coagulées.
Rectification de la
terre
Après que vous aurez séparé et rectifié ces trois élémens,
le ciel, l’air et l’eau, vous prendrez la terre et la partagerez également par
la rectification en trois parties, de la manière qui suit.
Prenez le produit de la troisième séparation du chaos; à sçavoir
le vinaigre ou l’acide avec son phlegme, son huile et la masse réduite en
charbon: pulvérisez le charbon: broyez-le avec l’huile: mettez-le dans une
retorte: versez-y l’acide: présentez le récipient, et distillez le vinaigre au
premier degré. Otez-le ensuite; mettez-le dedans une autre phiole: après cela
distillez l’huile, et mettez-la à part dans une autre phiole; à la fin
donnez-lui un feu du quatrième degré, pendant deux heures: laissez éteindre le
feu et refroidir le fourneau: tirez-en la retorte, et ôtez le charbon ou la
terre; de cette manière vous aurez la terre subtile ou le charbon, la terre
plus subtile ou l’huile, et la terre très subtile ou l’acide. Rangez-les en
ordre après l’eau.
Vous avez donc le chaos séparé et rectifié. Il faut à
présent le faire aller à la coagulation, à la fixation, à la régénération, en
quintessence en magistère ou arcane.
Il y aura peut-être des gens qui me demanderont ce que je
veux faire avec le charbon, qu’on calcine et réverbère ordinairement, ou qu’on
brûle en cendres pour en tirer le sel, par lexiviation. Ne diront-ils pas que, hors cela, le charbon
n’est bon à rien ? Mais qu’ils aient patience jusqu’à ce qu’ils voient ce que
j’en dirai dans la suite, où je leur indiquerai les raisons qui me font agir
ainsi.
La coagulation,
fixation et régénération de l’eau chaotique en quintessence, magistère ou
arcane
Vous avez tiré de l’eau chaotique, par la séparation,
premièrement quatre parties confuses, et de ces quatre parties vous en avez
tiré douze, par la rectification, c’est-à-dire trois parties de chacune, par ordre.
Prenez le charbon, qui est la terre subtile: mêlez-la dans un matras de verre,
avec la terre plus subtile; ajoutez-y la terre très-subtile; au moyen de quoi
les parties terrestres seront conjointes: mettez-les au bain-marie pendant
quatre jours et quatre nuits, en augmentant le feu d’un jour à l’autre,
jusqu’au troisième degré et même jusqu’au quatrième: adaptez-y le chapiteau et
le récipient, afin que, s’il monte quelque chose, il puisse passer dans le
récipient. Pendant cette opération, la masse ou corps terrestre se conjoindra,
se coagulera et se fixera. La preuve que cela est arrivé, est que si l’on tire
le matras du bain-marie et qu’on le mette à la cave, il s’y formera des crystaux,
ou bien l’odeur du compost aura plus d’aigreur. Lorsque cela est fait, mettez
le matras au feu de cendres (le col du matras doit être coupé, et n’être pas
trop long): distillez l’humidité tout doucement, jusqu’à totale siccité; il
faut y procéder de manière que les vapeurs aigres et l’huile ne montent point;
c’est pourquoi il faut que le degré de feu soit très-doux.
Nombre de Chymistes se trompent dans le degré du feu; le
font tantôt trop fort, tantôt trop foible. Voici une méthode sûre pour le
trouver. Arrangez tous vos fourneaux en sorte qu’il y ait quatre ou six
registres: lorsque vous voulez distiller quelque chose, ouvrez d’abord deux ou
trois registres, jusqu’à ce que vous voyiez monter ce que vous voulez
distiller: alors fermez deux registres, et n’en laissez ouvert qu’un seul, qui
fait le premier degré: distillez dans ce degré tout ce qui peut passer; et lorsqu’il
ne monte plus rien, ouvrez le deuxième registre, afin qu’il distille de
nouveau, et jusqu’à ce que la distillation cesse d’elle-même dans ce degré;
alors ouvrez le troisième et continuez jusqu’à ce qu’il ne distille plus rien:
agissez-en de même avec les quatrième, cinquième et sixième registres; si dans
une heure ou une heure et demie il ne veut rien passer, ouvrez-en encore un
autre, et lorsque la distillation commencera à aller, rebouchez un de ces
registres, jusqu’à ce qu’il soit nécessaire de le rouvrir. En procédant ainsi,
vous ne pourrez pas faire de faute.
Il faut donc, comme je l’ai déjà dit ci-dessus, séparer
toute l’humidité de la terre. Si quelque peu d’acide ou d’huile montoit en même
tems, il faudroit le reverser sur la terre; mais prenez bien garde au degré du
feu: car si vous le donnez trop fort et que l’huile monte, sa graisse
s’attachera par tout le matras et vous perdrez une partie fluide ou volatile et
très-noble de votre terre. C’est une chose essentielle à observer pour la
calcination et réverbération physique, que la partie la plus noble de l’eau
chaotique se congèle et se fixe, et que ce qu’elle a de trop ou de superflu
s’en détache par la distillation. La Nature ne prend en soi, en une seule fois,
qu’autant qu’elle a besoin. Lorsque tout est coagulé, fixé et desséché, alors
elle a besoin de nouveau de l’humidité: elle en prend encore autant qu’il lui
en faut, et laisse, comme la première fois, détacher le superflu. En observant
bien ce point, on s’épargne beaucoup de peines, de tems et de dépenses.
Lorsque l’acide et l’huile sont bien coagulés sur le
charbon, qu’il n’a rien passé qu’une eau insipide, sans goût, aigre et sans
force, ôtez cette eau; car la Nature l’a rejettée elle-même comme un superflu.
Quand cela est fait, augmentez un peu le feu, afin que la matière se dessèche
encore mieux dans le matras de verre et qu’elle soit tout-à-fait sèche. C’est-là
la calcination et réverbération physique qu’il faut répéter plusieurs fois. De
cette manière, la terre se coagule, se fixe, devient altérée, et plus elle est
sèche et altérée, plus elle attire volontiers sa propre humidité: car le sel
doit humecter la terre sèche, sans cela elle ne sçauroit produire les fruits
dont elle est capable.
Prenez donc du ciel très-subtil, trois parties; du ciel plus
subtil, deux parties; et du ciel subtil, une partie: mêlez-les toutes ensemble
dans un verre; de cette manière, un ciel sera descendu dans l’autre, comme nous
l’avons dit dans la première partie, c’est-à-dire que le ciel le plus subtil se
laisse prendre et fixer dans un ciel plus épais et que, descendant de plus en
plus, il devient air, eau et terre, jusqu’à ce qu’enfin il devienne tout-à-fait
terrestre, comme nous le verrons ici. Lorsque cela sera fait, prenez de l’air très-subtil,
trois parties: de l’air plus subtil, deux parties, et de l’air subtil, une
partie: mêlez-les pareillement; ensuite prenez de l’eau très-subtile, trois
parties: de l’eau plus subtile, deux parties: de l’eau subtile, une partie:
mêlez-les aussi ensemble; et, chaque partie étant conjointe, prenez l’eau,
ajoutez-y l’air et ensuite le ciel: tous les trois, joints ensemble, composent le
nectar d’ambroisie ou la boisson des dieux, qui doit rajeunir notre vieillard,
le revivifier et le régénérer. Versez donc de cette eau sur la terre sèche, autant
qu’il en faut pour l’humecter et la rendre d’une épaisseur mielleuse:
remuez-les bien ensemble avec une spatule de bois: ajoutez-y ensuite plus d’eau
pour la réduire en consistance de miel clair fondu. De cette manière elle a,
pour cette fois, assez d’humidité pour son accroissement: mettez le matras au
bain-marie, au premier degré du feu, et l’y laissez digérer deux jours et deux
nuits, afin que la terre s’humecte bien et se résolve. Distillez ensuite
l’humidité au bain-marie, et, si par ces degrés il ne veut plus rien passer, distillez
au feu de cendres jusqu’à ce que la terre, par degrés lents, devienne tout-à-fait
sèche et altérée, au point de se fendre. Observez pourtant qu’au commencement
le feu ne soit pas trop fort: car elle est encore trop volatile.
Lorsqu’elle aura été ainsi bien desséchée, versez-y de l’eau
nouvelle: procédez comme la première fois, en imbibant, distillant, desséchant
et réverbérant très-doucement au feu de cendres, et continuez ces imbibitions
et coagulations jusqu’à ce que la terre soit suffisamment engrossée par le
ciel, l’air et l’eau: ce que vous connoîtrez à la marque suivante.
Lorsque vous croirez qu’elle a attiré à soi beaucoup de
ciel, d’air et d’eau, vous y verserez de l’eau qui en a été distillée, à la
hauteur de quatre doigts: mettez le matras au bain-marie pendant vingt-quatre heures:
faites dissoudre et distiller jusqu’à la troisième partie: laissez refroidir le
fourneau, et mettez le matras dans la cave. S’il s’y est formé beaucoup de crystaux,
vous jugerez qu’autant il s’est coagulé du ciel volatil, de l’air et de l’eau,
et qu’en même tems la terre est devenue très subtile. Lorsque vous y verrez ce
signe, comme cela ne tardera point, il est tems de procéder à la fixation.
Prenez donc le matras: distillez-en toute l’humidité au
bain-marie, et finalement aux cendres: desséchez-en bien la terre, et donnez
tant-soit-peu de feu; elle se réverbérera au fond du matras, et deviendra brune
ou rouge avec d’autres couleurs entremêlées. Cette dessiccation et réverbération
aux cendres s’achèvera en un jour. Pendant la nuit, retirez le matras; ôtez-en
la matière avec une spatule de bois: broyez-la bien subtilement: remettez-la
dans le matras: versez-y de l’eau que vous aurez distillée, ou de nouvelle eau,
jusqu’à ce qu’elle devienne comme un miel épais: remettez-la de nouveau au
bain-marie, et distillez-en l’humidité: ensuite vous la coagulerez et
dessécherez aux cendres, et pour la faire réverbérer, vous augmenterez un peu
le feu, afin qu’elle acquière la même couleur qu’auparavant: laissez-la ensuite
refroidir: tirez la terre et broyez-la de nouveau: remettez- la encore dans le
matras: versez-y de l’humidité que vous en avez tirée, comme auparavant,
jusqu’à consistance mielleuse épaisse: remettez-la au bain-marie, et ensuite
aux cendres. Coagulez, desséchez, réverbérez, etc.
Vous continuerez cette opération jusqu’à ce que la terre
devienne dans une douce réverbération, et toute d’une même couleur; alors elle
peut souffrir un plus fort feu. Quand la terre est à ce point, retirez-la du
matras: broyez-la bien menue: remettez-la dans le matras: humectez-la de son
eau que vous en avez distillée: mettez-la ensuite aux cendres: distillez-en
d’abord l’humidité doucement: coagulez de même par degrés, et réverbérez à la
fin avec un feu un peu plus fort qu’auparavant: car la terre qui est au fond
acquerra encore par-là une couleur plus fixe, comme vous le verrez en retirant
le matras. Lorsque le fourneau sera refroidi, retirez la terre du matras:
broyez-la encore bien menue, et procédez en tout de la même manière
qu’auparavant. C’est une seule et même opération, dont l’essentiel consiste à
présent à réverbérer la terre plus fortement, et à faire en sorte qu’elle devienne
toute d’une même couleur, et de plus en plus résistante au feu. Il faut
continuer ces imbibitions, coagulations et réverbérations jusqu’à ce que la
terre devienne, par une plus forte réverbération aux cendres, fixe et rouge
comme du feu dans toutes ses parties; ensuite vous la pourrez, par degrés,
réverbérer encore davantage au sable, jusqu’à ce qu’elle soit si fixe qu’elle puisse
supporter le feu ouvert: alors le magistère est parfait. Il faut pourtant
observer de ne pas se presser de la mettre d’abord, au sortir du feu de sable,
dans un feu ouvert; mais vous la mettrez auparavant par quatre ou cinq degrés
au feu de paillettes de fer. Si elle s’y soutient bien et y résiste, pour lors
enfermez-la dans deux creusets lutés ensembles, et faites-la passer, par
degrés, par un feu de roue pendant quatre heures; alors en la retirant, vous
verrez le ciel et l’eau la plus volatile devenue une pierre corporelle de la
dernière fixité. C’est dans cet état qu’on peut dire comme Hermès: vis ejus erit integra, si versa fuerit in
terram.
C’est-là une médecine universelle, dont un, deux, jusqu’à
six grains, guérissent radicalement toutes les maladies, et qui restaure
l’humide radical, l’esprit animal, vital et naturel; enfin tout le baume animal
et vital.
L’Amateur verra, par cet exemple général, comment de la
vapeur aqueuse la plus volatile provient le corps le plus fixe et pierreux, et
que l’invisible et impalpable est devenu visible et palpable.
Que le Lecteur considère attentivement cette opération; car
elle est le modèle sur lequel on doit se régler pour tous les animaux, végétaux
et minéraux. Il faut également commencer par les faire pourrir; ensuite les
séparer, rectifier, coaguler, fixer et les faire régénérer en un corps
glorieux, transparent; et cela par des choses homogènes, comme je l’indiquerai
ci-après.
Mais, dira quelqu’un, cette opération paroît extraordinaire.
Premièrement, elle est très-longue et très ennuyeuse. En second lieu, elle est
contraire aux règles de tous les Philosophes. Ils parlent bien, dira-t-on, de
putréfaction, séparation, distillation, conjonction, fixation, coagulation et
régénération; mais ils ont conjoint ces principes, après la séparation, en
certains poids; les ont enfermés dans une phiole; de manière qu’aucune
transpiration, et encore moins aucune eau n’en pût sortir: ils les ont cuit
dans un même fourneau, dans un même vase, et par un même régime de feu, sans y
toucher jusqu’à ce qu’ils soient parvenus à leur dernière perfection: au lieu
que cet auteur veut qu’on conjoigne les parties, qu’on les distille, qu’on les
réimbibe, qu’on les dessèche, qu’on les coagule, qu’on les réverbère, qu’on
tire la masse du matras, qu’on la broie, qu’on la réimbibe de nouveau, qu’on la
distille, qu’on la dessèche, qu’on la coagule, qu’on la réverbère encore, qu’on
la tire du bain-marie, qu’on la mette aux cendres, ensuite au sable, ensuite au
feu de paillettes de fer, et à la fin, au feu ouvert: méthode qu’aucun
Philosophe n’a enseignée. Avec cela, il ne dit pas un mot de la séparation des
fèces, mais il laisse toutes les impuretés que tous les Philosophes ordonnent expressément
d’ôter: sans quoi, disent-ils, l’amer deviendroit plutôt un poison qu’une
médecine.
Les Philosophes disent aussi qu’il ne faut jamais laisser
éteindre le feu; que, sans cela, l'œuvre périroit; et celui-ci interrompt le
feu sans cesse. Voici ma réponse.
Je conviens moi-même que cet ouvrage est long et fâcheux, et
je ne l’ai pas mis ici pour qu’on soit nécessairement obligé de procéder ainsi;
mais seulement afin que le Lecteur voye comment l’eau chaotique peut être
séparée en ses degrés de subtilité, d’épaississement et de fixité. Je ne
prétends pas non plus engager personne à suivre ce chemin, à moins qu’on ne le
voulût entreprendre par curiosité. Il y a bien d’autres méthodes, plus courtes
et plus amusantes, dont j’indiquerai quelques-unes dans la suite.
Que le Lecteur se souvienne ici que j’ai dit, dans la
première partie, que le grand chaos primordial a été séparé en quatre parties,
en ciel, en air, en eau et en terre; que chacun de ces quatre a encore été divisé et séparé en ses degrés de subtilisation
et d’épaississement, comme je l’ai démontré dans le huitième chapitre de la
première partie, en traitant des exhalaisons de la terre. Nous avons montré dans
le procédé ci-dessus, pour l’utilité du Lecteur, ces degrés de subtilisation et
d’épaississement, afin qu’il voie que le plus subtil monte toujours avant le
moins subtil, et s’en laisse séparer. Celui-ci est suivi immédiatement par le
grossier; celui-ci par le plus grossier, et enfin par le très-grossier.
Je n’ai fait mention de cette méthode, qu’afin que chacun
voie de ses propres yeux comment la Nature travaille toujours dans le plus bel
ordre, sans jamais franchir les degrés intermédiaires.
Si le Lecteur s’imaginoit que je procède contre les règles
des Philosophes, je lui repliquerai, comme j’ai fait ci-dessus, que je ne
cherche pas le secret des Philosophes; mais que je suis un Physicien ou un Physophile,
qui suit exactement les voies de la Nature et qui imite scrupuleusement toutes
ses opérations. Les Philosophes ont écrit comme ils ont voulu. Je sçais,
peut-être, très-bien leurs méthodes; mais comme je ne les estime ni ne les
méprise, je les laisse telles qu’elles sont; et je suis uniquement les miennes,
parce que je suis certain qu’elles sont conformes aux loix de la Nature.
C’est elle qui m’a enseigné de ne pas enfermer l’humide et
le sec ensemble dans une phiole, comme font les Philosophes, et les coaguler
par une continuelle digestion, jusqu’à ce qu’ils soient totalement desséchés et
réduits entièrement en terre par un feu continuel. Celui qui, par la véritable voie
de la Nature, parvient au but et abrège l'oeuvre, doit emporter le prix.
Afin que les élémens de l’eau et de la terre produisent
leurs fruits, la Nature leur donne d’en haut la semence en forme d’eau, dont la
terre prend et retient autant qu’elle en a besoin pour ses productions. Elle
repousse l’eau superflue et surabondante par la chaleur inférieure et
supérieure, c’est-à-dire par la chaleur souterraine centrale et par la chaleur
du soleil, la chasse en l’air en forme de vapeurs et de fumée, d’où elle tombe
et distille de nouveau sur la terre. La terre en prend encore autant qu’elle en
a besoin pour ses productions et leur accroissement; le superflu s’élève de nouveau
dans l’air en forme de vapeur, fumée et brouillard; et la Nature continuera
cette circulation jusqu’à ce que la volonté du Créateur coagule et fixe tout
ensemble en une pierre. Par cette imbibition ou distillation du macrocosme,
naissent tous les fruits de la terre, chacun suivant sa qualité; car quand la
terre est desséchée et réverbérée par le soleil, le ciel fournit de nouveau l’humidité,
et l’imbibe encore avec la pluie et la rosée: ensuite le soleil revient et
dessèche, coagule, réverbère derechef la terre et l’altère, pour y attirer
d’autre humidité.
Par cette opération de la Nature, chaque Artiste doit
apprendre la plus belle méthode pour coaguler et fixer, comme, dans le chapitre
septième de la première partie, il doit avoir appris de la Nature même la plus
belle méthode pour résoudre et volatiliser; car il voit que chaque chose ne
prend en soi du feu et de l’eau qu’autant qu’elle en a de besoin, et qu’elle
laisse aller le superflu.
Plusieurs Artistes se sont ruinés, en voulant coaguler et
fixer toute l’humidité du sujet qu’ils avoient entre les mains. Ils y ont
consommé une quantité prodigieuse de charbon, et ont fait un si grand feu que
leur matras en est crevé et que tout leur trésor s’est perdu dans les cendres;
par où ils sont tombés dans une si grande détresse et affliction qu’il y en a
qui en sont morts de mélancolie.
Quelle misérable vie ! Quelle perte de tems ! Ils auroient
été plus sages s’ils eussent considéré le cours de la Nature, qui opère
journellement sous leurs yeux, et qui doit servir à tout physicien de modèle et
de précurseur. Cependant je ne puis les blâmer. Au commencement je pensois,
comme eux, faire les plus belles choses en suivant mes idées; mais l’expérience
m’a détrompé. Enfin, par une contemplation continuelle de la Nature et un
travail opiniâtre, je suis parvenu à la méthode que j’enseigne. Je la donne au
public tel que je l’ai apprise, avec les suites qu’elle a eues. Que ceux qui
veulent suivre cette voie se conforment à ce traité. Ils en retireront
certainement quelque satisfaction, au moins autant qu’ils espèrent en trouver
dans d’autres. S’ils rencontrent quelques obstacles, qu’ils aient recours à la
Nature et qu’ils la méditent. Il n’y a point de difficultés qu’ils ne puissent
lever par ce moyen.
On entend crier de tous côtés: suivez la Nature; et l’on ne
trouve personne qui l’ait étudiée comme il faut. Il est vrai qu’il y a un grand
nombre de physiciens qui ont écrit sur la Nature, et qui ont prétendu avoir
fait la description de toutes choses avec la plus grande exactitude. Ils ont
fait ce qu’ils ont pu; mais la plupart, et presque tous, n’ont décrit que
l’écorce et non l’intérieur; et par ces écrits ils ont, quoique innocemment et
sans le sçavoir, égaré et ruiné des milliers de personnes qui ont suivi leur
doctrine et qui ont trop expliqué la pensée des autres, tantôt d’une manière
tantôt d’une autre, suivant l’idée qu’ils se sont formée dans leurs esprits.
Pour moi, je n’entreprends pas de donner une description
détaillée de toutes choses. Ce seroit un ouvrage immense et au-dessus de mes
forces. Je me contente dans ce petit traité de faire voir en général, par la
théorie et par la pratique, la marche que la Nature suit dans ses opérations,
afin que tous les Artistes puissent désormais la prendre pour guide. Lorsqu’ils
auront compris quelques manipulations, ils pourront pousser plus loin leurs
spéculations et les confirmer par l’expérience. De cette manière ils trouveront
la véritable voie, et parviendront au but désiré.
Ne voit-on pas combien de tems on emploie pour la solution
d’un sujet, et combien il faut pour cela de charbon et de dépense ? Combien de tems
ne faut-il pas encore pour coaguler le liquide et le fixer en une poudre ?
Ainsi l’on travaille sur un seul sujet, non-seulement pendant plusieurs mois,
mais pendant plusieurs années, et l’on ne recueille que de la fumée.
L’Artiste qui veut coaguler un sujet, doit considérer
attentivement les substances et les parties qu’il a avec lui, à sçavoir l’eau
et l’esprit. Soit que l’esprit soit caché dans l’eau, soit qu’il soit en forme de
sel ou d’huile, en celle d’une poudre subtile ou en telle autre forme que ce
soit; il ne prendra jamais en soi plus d’eau qu’il n’en a besoin pour devenir
un corps coagulé et fixé. Comme il laisse détacher de soi, par la violence du
feu, tout le superflu, il faut le lui ôter, par la distillation, à l’imitation
de la Nature; et sur-tout avoir soin de ne pas distiller à trop grand feu, mais
à un feu très doux, au bain-marie, et de recohober l’humidité jusqu’à ce que la
terre puisse supporter un plus grand feu. Alors elle n’en a plus besoin: il faut
qu’elle se dessèche de plus en plus, et qu’elle avance vers la coagulation et
la fixation. A mesure que l’humidité superflue s’en détache, la semence (ou
l’esprit) se coagule de plus en plus et plus promptement.
Mais, dira quelqu’un, comment pourrois-je connoître que
l’esprit, qui est dans l’eau, s’attache au corps fixe, s’y coagule et s’y fixe,
pendant que je vois que, par la distillation, l’eau passe dans la même quantité
que j’y ai mise ? Je conviens que j’ai trouvé la même difficulté avant que de parvenir
à cette connoissance; mais faites attention à ce qui suit.
L’eau, comme le réceptacle, et le corps visible et sensible,
dans lequel l’esprit ou la semence invisible est caché, est le seul moyen par
lequel toutes choses se mêlent et s’unissent, parce que toutes choses liquides
et humides se mêlent plus facilement dans leurs plus petites parties que les sèches.
Cette eau renferme en soi l’esprit ou la semence et toute sa force, d’une
manière cachée et invisible, et elle est le véhicule de l’esprit. Les eaux sont
subtiles ou grossières, suivant qu’elles sont étendues, subtilisées, épaissies,
et suivant que la semence ou l’esprit est volatil ou fixe, l’eau s’ajuste avec
la semence, et la semence avec l’eau.
Par exemple, l’esprit-de-vin est une eau; le vinaigre est
aussi une eau, de même que l’huile; tout ce qui est liquide est eau,
différente, à la vérité, suivant la propriété de l’esprit coagulé ou résous;
car l’esprit n’opère pas de la même manière dans l’esprit-de-vin, dans le
vinaigre, dans l’huile, dans le sel, dans les acides corrosifs. Or, il est
visible que toutes les eaux sont résoutes et liquides, ce qui provient de
l’humidité superflue qu’elles contiennent. Si elles étoient coagulées, elles
seroient sèches; car les Chymistes nomment les choses sèches des choses
coagulées, ou les choses coagulées des choses sèches. C’est pourquoi il faut
leur ôter, par la distillation, leur humidité superflue, et cela de manière que
l’esprit ou l’acide qui reste caché dans cette humidité ne passe pas en même tems
avec elle; mais qu’il reste en arrière et se coagule. L’humidité doit passer
sans aucun acide, comme un phlegme insipide: alors la semence se coagule dans
l’instant, et si promptement que l’Artiste en ressentira la plus grande joie et
sera mille fois plus passionné à embrasser et à pratiquer l’Art de la Chymie;
parce qu’il voit que ses opérations sont infaillibles comme celles de la Nature
qu’il se propose d’imiter.
Considérez donc avec attention, si vous voulez profiter dans
cet Art, que l’eau ou l’humidité superflue n’est point la partie principale
qu’il faut coaguler; mais que c’est l’esprit ou la semence qui est cachée dans
l’eau qui se coagule, se concentre et se fixe par sa propre partie fixe ou,
pour mieux me faire entendre, par son propre acide et par sa partie alkaline;
alors l’humidité superflue, ou l’eau recolacée, s’en détache d’elle-même, et la
semence n’en retient en soi, pour sa consistance, que ce qui nécessaire pour
former et pour entretenir un corps dans une humidité permanente et incorruptible.
Elle retient si fortement cette humidité qu’elle a attirée, qu’elles se fondent
et fluent ensemble constamment dans toutes sortes de feu, comme de la cire et
sans fumer. On voit cela au caillou et au verre, dont l’humidité superflue a
été extraite au suprême degré; ils n’en retiennent pas davantage qu’il ne leur
en faut pour pouvoir couler comme de l’huile dans le feu le plus fort et le plus
violent, sans aucune diminution de leur consistance, à moins que, par la Nature
ou par l’Art, ils ne soient rétrogradés.
Ce seroit un grand ouvrage pour l’Artiste ainsi que pour la
Nature s’il falloit coaguler toute l’eau ou l’humidité superflue, autant que
chaque individu en a de concentrée en soi, en terre, en poudre sèche ou en
pierre: cela ne seroit pourtant pas impossible; mais outre que cela seroit
inutile, la plus longue vie d’un Philosophe ne suffiroit pas pour y réussir.
Qu’on en fasse seulement l’essai, en enfermant de l’eau de pluie ou de fontaine
dans une phiole, et en la mettant au feu pour la coaguler: on y trouvera bien
une terre, mais dans six mois, et même dans un an, on ne s’appercevra pas que l’eau
ait diminué en quantité, ou si peu que rien, ni qu’elle se soit coagulée.
Nous imiterons donc la Nature qui, dans le règne animal, ne
change pas toute l’humidité en animal ou en parties animales. Si cela étoit, il
ne rendroit point d’excrémens par la transpiration ni par les autres voies. De
même aussi dans les végétaux toute l’humidité ne devient pas végétale;
autrement ils ne donneroient pas des gommes, des résines comme on le peut voir,
principalement au printems, dans les grands végétaux et les arbres dont les
écorces, par la trop grande abondance de l’humidité superflue, se fendent et
laissent écouler le suc surabondant sous différentes formes. De même aussi,
toute l’humidité ne se joint pas aux minéraux et aux pierres dans leur
accroissement; si cela étoit, on ne verroit pas couler des montagnes tant de
grosses rivières, de fontaines, de sources.
Ainsi toute la pluie, la rosée, la neige, etc., n’est pas
employée à l’accroissement des productions de la terre; si cela étoit, la
chaleur centrale et terrestre et celle du soleil ne pourroient sublimer ni
attirer aucune vapeur ou exhalaison; au lieu que nous voyons qu’ils font tous
les jours tant de vapeurs, et en si grande quantité qu’il s’en forme
abondamment de la rosée, de la pluie, de la neige, qui sont de nouveau
précipitées sur de la terre. Par où la Nature nous enseigne l’imbibition et
cohobation du macrocosme: elle ne donne pas en une seule fois assez d’humidité
pour que ses productions en aient suffisamment, jusqu’à leur perfection; mais
elle cohobe toujours en imbibant continuellement peu à peu, et en desséchant de
nouveau.
Chacun peut donc voir clairement que l’eau ne sert que
d’enveloppe ou de véhicule à la semence ou à l’esprit (comme nous l’avons
suffisamment démontré dans la première partie) et qu’elle n’est pas elle-même
la semence ou l’esprit; que par cette raison elle ne veut pas être coagulée
toute entière, mais seulement autant que la semence en a besoin Si on versoit
dix muids d’eau sur une demi once de terre, toute l’eau volatile et l’humidité
s’en détacheroient par la distillation; la terre n’en retiendroit pas plus
qu’il ne lui en faut pour s’y coaguler avec elle: mais si l’eau contient aussi
en elle de la terre ou des parties fixes, elles resteront en arrière avec la
terre qui est son semblable.
La semence ou l’esprit opèrent dans les espèces ou individus
de la même manière que dans les universels. Lorsque cet esprit est devenu fixe,
il prend et attire à soi l’esprit volatil semblable à lui pour le fixer; de
même il laisse détacher l’eau superflue, dans laquelle cet esprit volatil étoit
caché, presque en même quantité qu’elle étoit auparavant. C’est de cette
manière que le semblable s’unit à son semblable, et l’attire à lui, suivant l’axiome:
Natura naturam ambit et amplectitur;
natura natura gaudet, et par la même raison, un contraire chasse et
repousse son contraire quand il s’agit de former une union et une unité
constante.
Tant que l’eau et la semence ou l’esprit ne sont pas unis
véritablement et constamment dans un même corps, il n’arrivera jamais aucune
union constante et permanente, ni aucune fixité; cela se voit clairement dans
les animaux et les végétaux qui sont d’une nature corruptible, et de très-facile
résolution, parce qu’ils abondent en eau recolacée ou superflue. Plusieurs
minéraux n’en sont pas trop privés non plus; car tant que l’eau recolacée ou
l’humidité superflue, insipide, n’en est pas séparée, ils sont sujets à
l’altération, à la corruption et à la résolution; c’est ce qui arrive aux animaux
et aux végétaux, qui, à cause de leur humidité superflue, se corrompent très-facilement,
sur-tout lorsqu’il leur en est ajouté extérieurement par la pluie, par l’eau,
la neige, etc. Les minéraux se corrompent de même, parce que cette humidité
superflue y est jointe plus ou moins et s’y joint encore d’ailleurs.
Que le Lecteur reconnoisse que l’eau recolacée sert de
marteau ou d’enclume à la semence ou à l’esprit qui y est implanté, qui, par
son moyen, est réveillé et excité à agir; car il ne sçauroit jamais se tenir en
repos dans les eaux; mais il y cause continuellement des altérations l’une
après l’autre Lorsque cet esprit est coagulé et fixé, que, par cette opération,
il est privé de son humidité superflue, et desséché, comme cela arrive dans les
pierres, les minéraux, les métaux, les pierres précieuses, le verre, etc., il y
est assoupi, concentré et poussé à sa plus grande force, et il reste dans cet
état constamment et incorruptiblement, jusqu’à ce qu’il soit réveillé par son
humide semblable à lui; pour lors il cherche à résoudre un tel corps coagulé,
en sa première madère, et il le détruit avec les mêmes instrumens dont il s’est
servi pour le former.
Quelqu’un pourroit m’objecter que les excrémens des animaux,
des végétaux et des minéraux, que la Nature évacue et expulse, ne sont pas une
eau recolacée, un être ou substance sans force; mais que ces eaux sont encore
pleines de semence et d’esprit, et participent très-fort de l’essence du corps
qui les expulse, comme l’urine, de celle de l’homme, les gommes et les résines,
de celle des arbres, et les eaux minérales, de celle des minières. Je dis
premièrement que la Nature les ayant trouvé superflues pour l’accroissement et
la conservation du corps déjà commencé ou engendré, elle a voulu les en
expulser; deuxièmement, que par la volonté du Créateur, la Nature ne se propose
point l’exaltation en quintessence, comme l’homme l’a pu faire par l’Art;
troisièmement, qu’elle enseigne aux hommes de s’adresser aux excrémens qui
s’écoulent des corps sans les endommager, et de chercher ce qui leur est
nécessaire pour l’entretien de leur vie et pour leur conservation, sans se
trouver obligés d’attaquer le corps même; chacun de ces excrémens étant,
suivant sa qualité, rempli de forces et de vertus.
Dans le règne animal la Nature nous a donné les excrémens,
comme l’urine, principalement la fiente, puis la sueur, la morve, les crachats
qui viennent de l’estomac et des poulmons, les larmes des yeux, la cire des
oreilles. Dans le règne végétal elle nous a procuré les gommes et les liqueurs qui
s’en écoulent d’elles-mêmes, la semence, les feuilles et les tiges. Il n’est
pas nécessaire de prendre le corps entier des animaux, ni de tirer de la terre
la racine des plantes, puisque les choses mentionnées ci-dessus ont la même
force que la racine.
Il n’est pas non plus nécessaire, pour avoir une
quintessence du règne minéral, de prendre le corps même des métaux. Au lieu de
l’or, un Artiste peut se servir des marcassites solaires, du vitriol solaire,
des minières sulfureuses solaires, des soufres fixes et embryonnés,
c’est-à-dire de ceux qui se trouvent dans l’antimoine, dans l’hématite, dans l’hémeril,
dans l’aimant, qui participent tous de la nature cordiale et corroborative de
l’or.
Il en est de même des autres astres rouges et des astres
blancs; car, comme l’antimoine a en lui le soufre embryonné volatil de l’or, le
bismuth contient le soufre embryonné volatil de l’argent; la calamine et la
tutie contiennent son soufre fixe, et l’or n’est- il pas aussi un vitriol
lunaire parfait ? Un Amateur peut donc voir que la Nature ne nous a pas
présenté un seul sujet pour la nature humaine, mais plusieurs, et en plus grand
nombre que nous n’en avons besoin. Où la Nature finit, il faut que l’Artiste
commence, et qu’il ôte de tous ces sujets l’humidité superflue. La Nature nous
en donne l’exemple dans les mines, et nous indique les moyens par lesquels nous
pouvons parvenir à la quintessence et à la fixité incorruptible; car dans les
mines, elle force les corps les plus durables qui ne peuvent être détruits par
l’eau et l’air, et même ne peuvent l’être que très-lentement par le feu. C’est
à cette fixité incorruptible que doit tendre l’Artiste: il aura un moyen de se
procurer la santé et une longue vie. Le secret consiste, comme nous l’avons
dit, à séparer du sujet l’humidité superflue et à concentrer l’esprit ou la
semence.
Mais quelqu’un pourra me demander si cette humidité
superflue, ou eau recolacée, est privée entièrement de tout esprit, force et
vertu, en sorte qu’elle ne puisse plus servir à rien. Je réponds que l’eau
recolacée ne peut jamais être absolument et totalement séparée de l’esprit ou
de la semence, en sorte qu’elle ne contienne plus en soi aucune force cachée,
ni aucun rayon de l’esprit; qu’il est également impossible que l’esprit soit
entièrement séparé de l’eau recolacée; mais qu’il participe toujours de cette
eau, quand même il seroit poussé jusqu’à la fixité de la pierre, et coagulé autant
qu’on le voudroit; car l’eau est tout esprit, et l’esprit est eau; ils ne sont
pas distincts l’un de l’autre par leur essence, mais seulement par leurs
accidens et par leurs opérations; ils ne sont qu’une même chose, et tout ce qui
existe n’est que cette chose diversement modifiée.
Plus l’esprit devient fixe et coagulé, plus il acquiert une
force supérieure pour agir. Si dans sa résolution, sous la forme de rosée et de
pluie, il avoit autant de force qu’il en a dans son extrême coagulation d’or ou
d’escarboucle, l’eau de pluie ainsi crue seroit une médecine universelle, et on
n’auroit pas besoin de se tourmenter pour résoudre les individus et les
semences coagulées et les réduire en quintessence et en magistère. Mais comme,
suivant la parole d’Hermès, sa force n’est entière que lorsqu’il est converti
en terre, il faut, par cette raison, concentrer et fixer cet esprit dilaté sous
la forme d’eau; alors il acquiert vim
integram, et fortitudinem fortissimam. Ainsi lorsque j’appelle l’eau
superflue un recolaceum ou phlegme inutile, ce n’est pas qu’elle soit sans
vertu; elle est comme la pierre angulaire méprisée, qui cependant est devenue
la pierre la plus utile, et le soutien le plus solide du bâtiment; car elle est
le propre véhicule de l’esprit concentré, par le moyen duquel, lorsqu’il est
insinué dans un corps malade, cet esprit ou cette quintessence est réveillée et
mêlée avec l’archée maladif, par où cet archée est fortifié et mis en état de
pouvoir expulser son ennemi, qui le rend infirme.
La véritable raison pour laquelle nous séparons cette eau
recolacée, c’est parce qu’elle est une semence qui est encore trop éloignée
dans l’huile ou dans la première matière, et qu’elle n’est pas encore assez
disposée ou devenue assez salée par la putréfaction ou par la fermentation; car
la salsuginosité est le commencement et le fondement de toute coagulation, et
la chose la plus prochaine dans la terre, pour être convertie en pierre
précieuse. C’est pourquoi l’eau recolacée, étant éloignée de cette
salsuginosité, ne peut être coagulée et devenir terrestre, ou que très lentement;
au lieu que l’esprit, étant d’une nature saline spermatique et disposé à se
coaguler, quelque volatil qu’il soit, peut se coaguler beaucoup plus tôt que
l’eau recolacée. Cependant si cette eau devient aussi, par la fermentation,
d’une nature saline, elle se laisse également coaguler, comme la semence et
l’esprit; mais comme elle ne se laisse coaguler qu’avec une lenteur incroyable,
nous la séparons par la distillation, pour abréger notre oeuvre et gagner du tems:
et si nous l’appelons inutile, nous n’entendons point dire autre chose sinon
que, pour cet oeuvre, elle est superflue et peu propre; car nous savons que le
Créateur a créé le moindre petit atome de terre, la plus petite goutte d’eau
pour son honneur, pour sa gloire et pour l’utilité de ses créatures. Que le Lecteur
considère bien ce discours, il ne contient pas un seul mot d’inutile. Si en une
seule fois il n’en pénètre pas bien le sens, qu’il le médite jusqu’à ce qu’il
l’entende bien.
Afin qu’un Amateur voie de ses propres yeux qu’il n’y a que
la semence aigüe et salée qui se coagule promptement, et non l’eau recolacée,
qu’il fasse attention à l’exemple suivant, qui lui fera toucher de ses mains ce
qu’il ne peut appercevoir dans un sujet chaotique ou universel.
Prenez des grappes de raisin bien mûres: exprimez-en le suc:
faites- le fermenter (ce qui est sa putréfaction); vous aurez du vin. Ou
prenez, si vous voulez, un vin déjà fait; plus il est vieux, meilleur il est:
mettez-le en telle quantité que vous voudrez dans un alembic: distillez-en
l’esprit ardent: rectifiez-le ensuite, jusqu’à ce qu’il soit à l’épreuve de la
poudre, et vous en aurez le volatil. Distillez ensuite de nouveau jusqu’à
l’épaisseur du miel: mêlez-le avec des briques pilées, dont, par lexiviation,
la poudre légère soit bien ôtée, en sorte que cette poudre de briques tombe
d’abord au fond de l’eau sans surnager (sans quoi vous ne pourriez pas bien
séparer le caput mortuum): faites dessécher ce mélange jusqu’à ce que vous en
puissiez faire des boulettes: mettez-les dans une retorte, au feu de sable:
adaptez-y un récipient: distillez par degrés; vous en tirerez d’abord un phlegme
grossier, ensuite un esprit aigre, qui est suivi d’une huile épaisse, fétide,
que vous tirerez par un degré de feu ouvert; il restera dans la retorte un
caput mortuum: brûlez-en le charbon, qui est la partie alkaline: tirez-le de la
retorte: réduisez-le en poudre avec vos mains: remplissez d’eau une terrine
profonde, et jettez-y la poudre; la farine des briques tombera au fond, le
charbon surnagera sur l’eau; retirez-le avec une plume: conservez-le: prenez
l’eau, filtrez-la et coagulez-la, vous trouverez le sel alkalin du vin: prenez
ce sel et la poudre de charbon: desséchez-les bien tous les deux: broyez-les
avec l’huile fétide: mettez-les ensuite dans un matras: versez dessus l’acide
ou le vinaigre: mettez-le au bain-marie pendant un jour et une nuit, après
l’avoir couvert de son chapiteau et avoir adapté le récipient, vous en
distillerez au bain-marie par degrés toute l’humidité ou recolaceum, qui voudra
passer: délutez le chapiteau et le récipient: verser sur le résidu de l’esprit-de-
vin ou du volatil: remettez de nouveau le chapiteau et le récipient, et
distillez lentement au bain-marie; il ne passera qu’un pur phlegme ou une eau
recolacée; toute la force de l’esprit-de-vin restera avec la semence, ou avec
l’acide et l’alkali. S’il montoit encore quelque peu d’esprit avec le phlegme,
cet esprit-de-vin sera si foible en comparaison de ce qu’il étoit auparavant,
qu’il ne sera plus à l’épreuve de la poudre; la raison en est que la terre en a
attiré l’esprit autant qu’elle en avoit besoin et a laissé détacher d’elle le
superflu.
Par cette opération, un Artiste pourra concevoir de quelle
manière la semence ou l’esprit salin se coagule et se fixe, et comment il
laisse détacher de soi l’humidité superflue. Cet effet ne peut être apperçu
dans l’eau universelle ou la pluie; parce que ses principes volatils sont
presque tous semblables en odeur, en goût, en couleur, et n’ont point de
qualités spécifiques, ou d’acidité sensible, comme ceux des règnes animal,
végétal et minéral qui sont spécifiés. L’esprit-de-vin, l’esprit d’urine et
l’esprit de vitriol ont une acidité sensible. Lorsque celle-ci est coagulée sur
son alkali, pendant un jour et une nuit, qu’on a couvert l’alembic de son
chapiteau et qu’on y a adapté le récipient, il en distille, au bain-marie, de
l’acide. Le phlegme ou l’eau recolacée demeure vuide, douce, sans odeur ni
goût, comme une simple eau de fontaine. On voit par-là que cette acidité doit nécessairement
avoir quelques qualités particulières et différentes de l’eau insipide; cette
acidité est l’esprit ou la semence qui, par la putréfaction et la fermentation,
a pris une nature saline et coagulante.
Après que l’Artiste aura coagulé le vinaigre et
l’esprit-de-vin sur le charbon et sur le sel, et qu’il en aura distillé l’eau
recolacée, qu’il réfléchisse sur la quantité de phlegme et d’acidité ou de
semence qu’il aura tiré de son vin distillé; il trouvera que l’eau recolacée
excède de beaucoup la semence, qu’il pèse auparavant l’esprit-de-vin qu’il aura
rectifié jusqu’à l’épreuve de la poudre à canon; après qu’il l’aura versé sur
ses parties fixes et qu’il en aura distillé l’eau recolacée, qu’il repèse cette
eau et qu’il voie quelle petite quantité d’acidité ou de semence étoit cachée
dans cette eau, encore que l’Artiste ait cru que l’esprit-de-vin étoit
dépouillé de tout phlegme, puisqu’il allumoit la poudre. Par cette épreuve il
connoîtra que l’esprit-de-vin contient, à très-peu de chose près, autant de
phlegme qu’il pèse, et que son acuité, qui se laisse coaguler et fixer, est en très-petite
quantité.
Pour donner à l’eau recolacée la louange qu’elle mérite, je
dois dire qu’elle est un excellent humide radical, purifié, qui restaure celui
de nos corps, et dont les Etiques et ceux qui ont la consomption, devroient se
servir pour boisson ordinaire; mais il ne faut l’entendre que de cette eau
recolacée, de laquelle l’esprit-de-vin, qui allume la poudre, a été coagulé et
fixé; car elle est un mercure très-pur, végétal, universel, insipide, volatil
et coagulable, etc. Par cette opération, le Lecteur verra qu’il n’y a que la
semence, l’esprit et l’acuité, ou la substance saline spermatique de toutes
choses, qui se laisse coaguler, et non l’eau recolacée. Or, si un Artiste
sépare l’eau recolacée de la semence, la coagulation s’en fait dans le moment,
laquelle est suivie immédiatement de la fixation.
J’ai dit que la terre se rassasioit de l’esprit-de-vin, et
qu’elle laissoit passer encore quelque acuité avec l’eau recolacée. On pourroit
être embarrassé de sçavoir comment s’y prendre pour coaguler et fixer aussi
cette acuité ou toute autre qui aura passé; cela est fort facile. Il n’y a,
comme je l’ai déjà dit, qu’à dessécher et altérer ce qui est coagulé, ou la
terre même, par une douce réverbération aux cendres; c’est-à-dire la dessécher
bien doucement; pour lors l’alkali, le coagulant ou la terre deviennent de
nouveau avides d’attirer le reste de la semence qui a passé, à la coaguler et
fixer, il ne passera que l’eau recolacée, insipide et sans goût, comme une eau
pure de fontaine; et vous aurez le magistère du vin, la quintessence ou
l’arcane végétale, etc. Il en est de même de tous les végétaux ou animaux,
comme nous l’enseignerons dans la suite. Lorsque la coagulation est faite, la fixation
suit après, c’est-à-dire qu’il faut réverbérer cet arcane de plus en plus aux
cendres, jusqu’à ce qu’il puisse supporter le quatrième degré de feu; ensuite
on le met au sable jusqu’à ce qu’il puisse supporter ce degré: après cela on
continue par les autres degrés, comme nous l’avons dit ci-dessus.
Le Lecteur voit par-là quod
Natura gaudeat Natura propria; Natura recipiat Naturam; Natura amplectatur
Naturam, et contrarium seu non necessarium ipsa repellat. En même tems que
la Nature rejette l’hétérogène et le superflu, elle prend et attire à elle ce
qui lui est agréable, promptement et non avec lenteur; quoiqu’il paroisse
qu’elle va lentement vers la perfection: car en perfectionnant, elle se hâte
avec beaucoup de diligence, comme vous l’expérimenterez dans la pratique.
La raison pour laquelle je n’ai pas un fourneau, ou un
régime de feu continuel; que du bain-marie je saute aux cendres, de-là au
sable, aux paillettes de fer et au feu ouvert, et qu’ainsi j’interromps la chaleur,
c’est qu’en cela je suis la Nature qui m’apprend que, si je veux durcir et
coaguler quelque chose, il ne faut pas que je fasse toujours cuire dans l’eau,
parce qu’elle amollit tout au lieu de le durcir. Comme mon intention est de
fixer de plus en plus ma médecine, je donne aussi de plus en plus un degré de
feu plus fort, comme le fait la Nature; parce qu’une chaleur foible ne peut pas
faire un corps constant et fixe et que je vois que les cendres, les paillettes
de fer et le feu ouvert donnent encore une chaleur plus forte; que plus le feu
est fort, plus il fixe l’esprit, et plus l’eau recolacée s’en sépare et laisse
avancer l’esprit et la semence, jusqu’à la dernière coagulation de la pierre et
du verre. Car la Nature fait, dans le degré aqueux, des animaux aquatiques
froids et de facile corruption; et plus la chaleur dont elle se sert est sèche,
plus ses productions sont durables. L’on voit en effet que, pour faire les
poissons et leurs espèces, elle emploie le vase de l’eau; que pour les animaux
parfaits et qui ont leurs habitations sur la terre et dans l’air, elle se sert
d’une petite chaleur sèche; que pour les végétaux, qui ont un corps plus dur et
plus sec que les animaux, elle y emploie une chaleur plus forte et plus sèche;
on voit encore que le soleil y darde continuellement et fortement ses rayons
ainsi que sur la terre sur laquelle ils croissent, et, comme ils ne peuvent pas
bouger de leur place, ils sont extrêmement échauffés et desséchés; au lieu que
les animaux mobiles peuvent éviter cette chaleur, en tout ou en partie, et se
réfugier à l’ombre ou à la fraîcheur. Les minéraux, au contraire, ont besoin
d’une chaleur encore plus forte, intérieure et centrale, par laquelle ils sont
coagulés en différentes manières, jusqu’en pierre. Plus les minières
s’approchent du centre de la terre, plus elles doivent supporter la chaleur.
Comme, dans un animal, la plus forte chaleur naturelle est concentrée dans
l’estomac, principalement en hiver, de même aussi la plus forte chaleur de la
terre est concentrée dans le ventricule du grand Demogorgon, ou dans le centre de
la terre; sans cela la Nature ne pourroit sublimer une si grande quantité de
vapeurs, jusqu’à la superficie de la terre. Or, plus un sujet est proche du
centre de la terre, plus fortement il est fixé, pourvu que la grande quantité
d’humidité qui monte continuellement n’y porte point obstacle. On trouve aussi
les plus fortes et les meilleures veines métalliques vers le centre; les
branches sont étendues très-menues dans la circonférence; parce que, plus la
chaleur centrale monte, plus elle s’affoiblit; si bien qu’elle ne peut fixer
tout parfaitement. De-là il arrive que, presque par-tout, beaucoup de minéraux
percent jusqu’à la surface de la terre, qui ne sont pas mûris tout-à-fait en métal
mais en minières de vitriol, d’alun, de soufre, de marcassite, de plomb,
d’étain, etc.
On pourra m’objecter et dire: si la Nature travaille les
métaux dans une si grande chaleur et sécheresse, pourquoi y a-t-il donc tant
d’eau dans la terre ?
Il est vrai qu’il y a beaucoup d’eau dans la terre, et
encore plus dans son centre; mais il est impossible que les eaux s’amassent en
si grande quantité dans les endroits où la Nature à dessein de former des
métaux. Car si une telle quantité d’eau se trouvoit ensemble, dans les endroits
où la Nature veut faire le guhr métallique, cette eau amolliroit ce guhr et son
sel vitriolique, l’entraîneroit avec elle vers la surface, et les cavités de la
terre resteroient vuides, parce que l’eau empêcheroit tout accroissement
métallique; mais comme l’eau ne coule pas en abondance dans tous les endroits
où les métaux se forment, la Nature remplit ces endroits avec ses vapeurs
corrosives, qui s’attachent aux rochers et aux pierres, les corrodent en les
résolvant, et en font suffisamment de guhr pour que les cavités de la terre en
soient farcies et remplies, comme les abeilles remplissent leurs cellules de cire.
Lorsque la Nature a tout-à-fait rempli ces endroits, aucune vapeur humide ne
peut plus y pénétrer; c’est pourquoi ce guhr se concentre, se coagule, se
dessèche et se fixe de plus en plus, jusqu’à ce qu’il devienne une pierre
riche, en métal qui peut résister à l’eau et au feu.
Il est vrai que, dans les endroits où il y a une grande
quantité d’eau, comme dans les marais, étangs et lacs souterrains, les vapeurs
y montent et que la semence minérale y entre et s’y accumule; mais elle y est
noyée: et lorsque l’eau s’élève vers la superficie, l’air froid coagule cette
semence, et en fait une matière métallique qui reste dans les eaux, se
précipite dans son tems, et forme toutes sortes d’électres, de gommes, de
mauvais sucs minéraux et de bitumes. Ce qui en recoule au centre, se prête de
nouveau à être sublimé à la circonférence, et à prendre son espèce dans son
lieu déterminé.
Il n’y a donc point, dans les endroits où la Nature
travaille les métaux, d’eaux souterraines qui puissent l’empêcher dans ses
fonctions. Si cela étoit, comment les mineurs tireroient-ils des mines tant de
minières sèches, dures et pierreuses, etc., point de molles et aqueuses ? On ne
trouve dans les minières d’autre eau que celle qui peut provenir des vapeurs
souterraines, copieuses, qui se sont accumulées, résoutes en diverses fentes
des rochers, et qui en coulent quelquefois, comme de petites fontaines, entre
les veines métalliques.
Il se trouvera sûrement des Lecteurs qui auront mauvaise
idée de mon opération, parce que j’interromps la chaleur et laisse refroidir
l'oeuvre. Ils doivent considérer que je ne cherche pas à faire des animaux mais
des choses fixes comme la pierre, qui ne se gâte et ne se corrompt pas si promptement:
et la Nature me montre le chemin que je dois suivre; puisqu’elle cuit ses
productions pendant le jour, et les échauffe par le soleil; que la nuit elle
les humecte et les rafraîchit par la lune, et interrompt ainsi la chaleur sans
leur porter aucun dommage. Ils doivent sur-tout faire attention que l’Art ne se
propose pas d’opérer les mêmes générations que la Nature; ce seroit une
curiosité inutile et superflue, puisque la Nature nous dispense elle-même de
cette peine. Il a en vue une génération différente, c’est-à-dire une génération
en quintessence, permanente, immortelle, glorifiée; un corps spirituel et un
esprit corporel. Son but est de séparer des créatures l’humidité corrompante ou
recolacée, et de faire une médecine pierreuse, saline, de facile solution dans
toute humidité qui, étant prise intérieurement, puisse pénétrer par tout le
corps, depuis l’estomac jusqu’à l’extrémité des os et de la moelle, comme la
fumée pénètre dans l’air; et dont la propriété soit de fortifier la Nature et
de l’aider à surmonter les obstacles qui nuisent à ses opérations. Il en
résultera une guérison parfaite de toutes les maladies; car un médecin habile sçait
bien que la Nature infirme n’a besoin que d’être fortifiée; et il ne peut y
avoir de meilleur confortatif que la quintessence dans laquelle tout est dans
la dernière pureté, et qui est une médecine fixe et pourtant spiritueuse, etc.
On sera sans doute surpris de ce que, dans mon opération, je
n’ai point séparé de fèces; car cette séparation est tellement en vogue que
chacun ne veut faire autre chose, sans avoir examiné ce que c’est que les
fèces, et sans sçavoir qu’il rejette le grain, pendant qu’il conserve l’écorce.
Si je ne sépare point de fèces, c’est que je n’en connois point dans la Nature.
Je soutiens que tout ce qu’elle fait, sans aucune exception, est pur, bon et
sain; que tout doit rester ensemble, et qu’on ne sçauroit s’en passer.
Je dirai donc, pour me faire entendre, que je ne donne le
nom de fèces qu’à un contraire qu’on a joint extérieurement à un sujet. Comme,
par exemple, si je donnois à un homme une pierre, un minéral, un corrosif ou un
poison pour sa nourriture, on verroit bientôt qu’ils lui sont contraires et hétérogènes.
Voilà ce qui est fèces pour l’homme; parce que la Nature n’a pas destiné les minéraux,
ni le poison pour sa nourriture, mais les végétaux tels que le pain, le vin qui
lui sont convenables et homogènes. C’est pourquoi chaque chose attire à soi son
semblable, et rejette ce qui lui est contraire comme un excrément; mais cet
excrément n’est pas absolument fèces en tout sens, ou une terre damnée qui ne
puisse servir à rien. S’il n’est pas propre à une chose, destinez-le à quelque
autre.
Ainsi toutes les choses hétérogènes, qui ne devroient pas
être jointes ensemble immédiatement, comme les minéraux et les animaux, sont
des fèces, les unes par rapport aux autres. Cependant, quoique les minéraux et
les animaux soient immédiatement contraires les uns aux autres et semblent être
hétérogènes dans leurs espèces et individus, ils sont pourtant, à les
considérer dans leur universalité ou dans leur essence, une même chose et
intrinsèquement homogènes; puisqu’ils ont pris leur origine d’une seule et
unique matière première et qu’ils peuvent facilement, par les milieux qui leur
sont propres, tirés du règne végétal, être rendus homogènes.
Je dis donc qu’il n’y a point, absolument parlant, de fèces
dans la Nature, c’est-à-dire que rien n’y est inutile; que tout ce que contient
un individu ou une chose universelle lui est indispensablement nécessaire. D’où
proviendroient en effet tant d’impuretés dans la Nature puisque toutes choses
ont pris leur origine d’un Dieu très-pur, et ont été faites de lui et par lui.
Mais je vais démontrer par l’expérience que les prétendues fèces que les Chymistes
rejettent, contiennent la teinture la plus fixe de chaque chose.
Si l’on distille lentement dans un alembic un animal ou un
végétal, putréfiés auparavant, on en tire un esprit et un phlegme recolacé; si
l’on pousse ensuite les résidus par la retorte et qu’on en distille, par
degrés, tout ce qui peut passer: on a un phlegme grossier, puis une liqueur
forte et aigre, qui est l’acide que j’appelle aussi vinaigre ou azoth. Cet
azoth est suivi d’une huile grasse, fétide; et le caput mortuum reste au fond
de la retorte, en forme de charbon. Les minéraux donnent également, par la
distillation, l’esprit, le phlegme, l’acide ou azoth, l’huile et un caput
mortuum; mais comme ils sont des corps fortement fermentés ou coagulés, leur
esprit n’est pas si volatil que celui des deux autres règnes; leur phlegme est
plus subtil, leur acide très-corrosif, et leur huile encore plus corrosive. Les
Chymistes tirent, après la distillation, le sel du caput mortuum, et le surplus
est ce qu’ils appellent fèces, et qu’ils rejettent comme entièrement inutiles.
Mais qu’ils sçachent que le charbon est un pur soufre ou une
huile coagulée, et que l’huile est, dans son centre, un charbon résous et liquide
qu’on peut facilement réduire en charbon; car lorsque dans une cucurbite haute
on en tire, au feu de cendres, son humide par degrés, il ne reste au fond
qu’une matière noire comme du charbon, qui cependant étoit huile auparavant; et
l’humide qui en a été ôté est un vinaigre très-aigre; ce qui prouve encore la
vérité de notre doctrine, à sçavoir que les principes ne diffèrent pas entr’eux
à raison de leur origine et de leur madère, mais seulement à raison de leur solution
et coagulation, de leur volatilité et fixité, de leur subtilité ou densité.
Ainsi le charbon est une huile coagulée; l’huile un acide ou azoth coagulé ou
concentré, et l’azoth un esprit volatil, coagulé ou concentré; et au contraire,
l’esprit volatil est un vinaigre raréfié et rendu subtil; le vinaigre une huile
raréfiée, et celle-ci un charbon résous; mais si vous brûlez le charbon en sel
et en cendres, il acquiert une plus grande fixité; et si les cendres et le sel
sont fondus en verre, le sujet est alors dans le plus haut degré de fixité
constante et incorruptible.
Pour examiner le charbon par l’analyse, il faut que
l’Artiste observe que chaque chose doit redevenir ce qu’elle étoit auparavant,
par le moyen de ce dont elle a pris naissance. Par exemple, le charbon étoit
auparavant une huile; l’huile étoit un vinaigre ou azoth; ainsi le charbon doit
redevenir huile par le moyen de l’huile, et l’huile doit redevenir vinaigre par
le vinaigre, puisqu’elle étoit vinaigre. Nous avons prouvé ci-dessus que la
chose étoit ainsi, en faisant voir que toutes les parties subtiles deviennent
de plus en plus épaisses, coagulées et fixées par la digestion; qu’au contraire
toutes les choses épaisses, en les digérant dans une plus grande quantité de
parties exténuées, s’exténuent et se subtilisent; car si l’on mettoit
immédiatement les parties subtiles avec des parties grossières en même poids,
nombre et mesure, l’un ne pourroit pas vaincre l’autre, et il en résulteroit
plutôt une chose tierce. C’est pourquoi si l’on veut changer une chose en une
autre, il faut toujours y ajouter une quantité et qualité excédentes. Ainsi, si
je veux volatiliser des choses fixes, il faut que j’y ajoute une plus grande
quantité de volatil, sans quoi je ne sçaurois vaincre son contraire; et de
même, si je veux fixer des choses volatiles, il faut que j’y ajoute une plus
grande quantité de fixe; sans cela, je ne sçaurois jamais lier l’oiseau
volatil.
De cette manière, si vous voulez de nouveau réduire le
charbon en huile, suivant l’ordre et la règle de la Nature, prenez une partie
de charbon pulvérisé fin; broyez-le avec trois ou quatre parties de son huile
propre, épaisse et fétide; versez-y ensuite six parties de son propre acide;
mettez-les cuire au bain-marie, dans une cucurbite haute, avec son chapiteau et
récipient; l’huile résoudra le charbon, l’acide résoudra et exténuera l’huile;
ainsi tout deviendra liqueur, et tout montera ensemble par la retorte. Si vous
voulez le rendre encore plus volatil, versez-y de son propre esprit volatil;
digérez-le au bain-marie; remettez ensuite le tout dans une retorte; il montera
et passera de plus en plus vite par l’alembic, suivant que vous y aurez ajouté
de l’esprit volatil en plus grande quantité. Vous voyez par-là comment un
principe coagule l’autre, le résout, l’épaissit, le subtilise, le fixe et le
volatilise, comme nous l’avons dit ci-dessus. C’est de cette manière qu’on peut
faire les véritables quintessences, bien différentes de ces teintures foibles,
extraites par l’esprit-de-vin.
Ce qui prouve que le charbon n’est pas fèces, mais la
teinture la plus fixe de chaque chose, c’est qu’une partie de charbon étant
résoute, elle en résout d’autres de plus en plus, jusqu’à ce que tout le corps
du charbon soit réduit en liqueur; car les parties volatiles qui ont passé les
premières doivent aussi résoudre les parties les plus fixes qui sont restées en
arrière, et les volatiliser.
Une autre preuve que le charbon n’est pas fèces, est que si
l’on fait fondre du sel de tartre, et qu’on y mette de la poussière de quel
charbon que ce soit, autant que le sel de tartre en peut prendre, on verra le
sel de tartre prendre une couleur bleu foncé, noirâtre et verdâtre, à cause de
l’abondante teinture. Versez ce sel fondu, pilez-le bien vite, versez-y de
l’esprit-de-vin le plus rectifié; il se teindra en peu d’heures et attirera à
soi la teinture; ensuite, prenez ce sel de tartre bleu, fondu; cuisez-le bien
avec de l’eau de fontaine; filtrez-le et précipitez le soufre avec une
eau-forte, un vinaigre, un esprit de vitriol, ou avec tout autre acide; vous trouverez
au fond un soufre qui ne le cédera pas en couleur à celui du Soleil, de Mars,
de Vénus et de l’antimoine, et qui se montrera dans l’eau-forte d’une couleur
jaune aussi foncée que le soleil la puisse faire. On voit par-là les qualités qui
sont cachées dans le charbon.
Les Chymistes auroient bien dû s’en appercevoir: d’autant
plus qu’ils attribuent à la teinture du sel de tartre de très-grandes vertus;
mais ils veulent absolument que cette teinture, qu’ils croient si constante et
si efficace, vienne du sel; je vais leur prouver combien ils se trompent.
Lorsque le sel de tartre est en fonte par le feu de charbon, chaque Artiste
peut voir que le charbon fait des flammes de toutes sortes de couleurs, comme
rouges, vertes et bleues; or ces couleurs ne proviennent que du soufre de
charbon qui, étant acide, s’attache volontiers au sel de tartre qui est un alkali,
et qui l’attire à soi comme il en est réciproquement attiré. Les flammes étant
dispersées en atomes très subtils, ce sel de tartre reste ainsi long-tems en
fusion avant que d’être coloré; mais si par l’inadvertance de celui qui
travaille, il saute une parcelle de charbon sur le sel de tartre dans le creuset,
ce sel devient bleu sur-le-champ. Si après cela il reste trop long-tems en
fusion, il perd sa couleur et redevient comme il étoit auparavant; par la
raison qu’il consomme le charbon et le convertit en sa nature par une
calcination très-violente: ainsi ce trésor passe dans la forme du sel.
Je vais enseigner une méthode, par laquelle on pourra faire
en grande quantité et à meilleur marché non-seulement la teinture du sel de
tartre, mais aussi celle du sel fixe d’un individu quelconque, animal, végétal
ou minéral, auquel les Chymistes ont attribué, sans beaucoup de raison, de si
grandes vertus, et cela par leur propre sel, sans aucun sel étranger:
c’est-à-dire la teinture du sel alkali extrait de chaque sujet, quel qu’il
soit, comme par exemple du vin: prenez de son tartre, six livres, ou bien des
ceps de vignes: mettez-en quatre livres dans un pot non vernissé, sans le
couvrir; mettez les deux autres livres dans un autre pot que vous boucherez et
luterez bien; faites mettre ces deux pots dans un fourneau de potier;
faites-les bien rougir et calciner. En retirant les pots du feu, vous trouverez
la matière du pot ouvert blanche, et celle du pot couvert noire; lessivez la
masse blanche dans l’eau; filtrez, coagulez et faites-la fondre dans un
creuset: prenez ensuite la matière noire; pulvérisez-la et mêlez- la peu à peu
avec ce sel de tartre en fonte jusqu’à ce qu’il flue très-épais et de couleur
bleue, noirâtre; versez-la alors bien vite dans un mortier de fonte pour la
pulvériser: mettez la poudre dans un matras; versez dessus de l’esprit-de-vin
le plus rectifié, mettez-le à une chaleur douce nuit et jour, et il en extraira
la teinture; décantez-la doucement des résidus; vous aurez une teinture
véritable du sel de tartre.
Prenez de même d’un animal ou d’un végétal, autant que vous
voudrez: partagez-le, comme ci-dessus, et brûlez-les en même tems dans le même
fourneau, un pot ouvert et l’autre fermé; lessivez-en l’un, et faites fondre la
matière; versez la masse noire jusqu’à ce qu’elle en soit teinte suffisamment;
tirez ensuite la teinture avec l’esprit-de-vin, ou avec son propre volatil, et
vous aurez la teinture véritable de chaque individu.
A l’égard des minéraux ou des métaux, il faut les faire
rétrograder en vitriol, et les faire calciner dans un fourneau de potier, une
partie à pot ouvert (il faut pourtant prendre garde que la chaleur ne soit pas
assez forte pour les remettre dans la fusion en corps métallique, mais qu’ils y
restent en corps spongieux, comme le caput mortuum du vitriol); tirez le sel alkali
de la partie calcinée à pot ouvert, faites-le fondre et mettez-y de l’autre
partie autant qu’il en peut prendre, de manière cependant que le sel reste en
flux; le sel se colorera; versez-le ensuite, et pulvérisez-le; versez-y de l’esprit-de-vin,
et vous aurez un extrait, ou une teinture semblable à celle ci-dessus.
Vous aurez donc fait toutes choses avec l’esprit-de-vin qui,
sans mépriser les eaux des apothicaires, aura cent fois plus de vertu que les
leurs, et si vous êtes curieux de sçavoir combien de teinture ou de soufre
contient votre esprit-de-vin coloré, vous n’avez qu’à le distiller au bain-marie;
vous ne trouverez qu’une très-petite quantité de poudre qui est le soufre du
charbon, lequel agit si puissamment. Considérez donc, messieurs les Chymistes,
qu’en jetant le caput mortuum ou le charbon, vous jettez une teinture qui, en
si petite dose, fait de si grands effets qu’un certain auteur l’a vendue pour
un or potable astral, et lui a attribué des vertus incroyables, s’étant imaginé
qu’il avoit tiré de l’air le soufre du soleil dans les jours chauds d’été.
Cependant tout ne provenoit que d’un peu de poussière de charbon, qui avoit
sauté dans le nitre fondu.
Si un tel soufre peut opérer de si grandes choses, en si
petite quantité et dans le tems qu’il n’est pas encore rendu volatil et réduit
en liqueur, mais seulement extrait et subtilisé dans la forme fixe par
l’esprit-de-vin, qu’est-ce qu’il opérera lorsque, par ses propres principes,
comme je l’ai enseigné ci-dessus, il sera réduit en une liqueur distillable ?
L’auteur mentionné ci-dessus a appelé son extrait un or potable. Quel titre
pourra-t-on donner à celui-ci, puisque le dissolvant et le dissous restent
conjoints ensemble, et que le fixe et le volatil y sont inséparablement unis ?
Lorsque les Chymistes ont brûlé le charbon en cendres, et
que de ces dernières ils ont tiré le sel par lexiviation, ils s’imaginent avoir
opéré au mieux et avoir séparé le fixe; mais qu’ils aillent dans une verrerie;
ils y verront que les cendres deviennent un corps solide, que le feu ne sçauroit
vaincre; un corps régénéré, glorieux, comme une pierre précieuse; et ils en
concluront, s’ils ont un peu de jugement, que ce qu’ils rejettent est la partie
la plus fixe, subjectum fixius, et corpus
figens fixissimum.
Dites-moi, Chymistes, votre but n’est-il pas que vos
teintures prennent la nature du verre, des pierres précieuses et des rubis ?
Sans cela vous n’en feriez aucun cas. Or, si vous jettez l’essence vitrifiante,
comment prétendez-vous faire une teinture fixe et si constante dans tous les
degrés de feu ? Ne voyez-vous pas que les sels se fondent au feu, à la vérité;
mais aussi qu’ils s’y évaporent continuellement et y diminuent en quantité ?
Que l’huile n’a aucune constance, et que l’acide est en soi-même volatil ?
Voyez donc ce que vous oubliez à tout moment, et ce que vous méprisez. C’est pourquoi
plusieurs Philosophes disent qu’on prend l’écorce et qu’on jette le fruit. Si
vous voulez fixer, pourvoyez-vous auparavant d’un corps fixe comme la base de
la fixité. Un architecte choisit les pierres les plus solides pour en faire les
fondemens de l’édifice qu’il veut élever. Prenez de même le fixe, et fixez
après son propre volatil, suivant l’ordre et les loix de la Nature même; alors vous
obtiendrez une véritable médecine.
L’opinion commune est que les animaux et les végétaux ne
contiennent en eux rien de fixe. Tous les esprits sont tellement préoccupés des
idées de fèces, ou de terre damnée, que l’on jette sans scrupule les parties
les meilleures, les plus pures, les plus transparentes, les plus éclatantes,
les plus fixes de tous les animaux et végétaux, et même quelquefois des
minéraux. Aussi n’a-t-on pu rien fixer, à moins qu’on n’ait emprunté quelque
chose du règne minéral; mais si l’on avoit considéré le soufre hermaphrodite,
animal et végétal du charbon qui est fixe et non fixe, et avec quelle promptitude
on peut le fixer ou le volatiliser, on en auroit jugé tout autrement. Car
qu’est-ce que les cendres ? Elles ne sont autre chose que le soufre fixe et
fixé végétal et animal, mêlé avec de la poussière, du sable et autres impuretés
dans les foyers et dans les fourneaux; à cause de quoi il ne peut pas montrer
sa blancheur d’ivoire; mais si l’on prenoit du charbon et qu’on le laissât
rougir dans un pot non vernissé, au feu de flamme ouvert et le plus violent,
jusqu’à ce qu’il fût réduit en cendres, on verroit alors sa blancheur lunaire
et sa constance à toute épreuve. Ces cendres, ou ce soufre fait de charbon,
n’est pourtant pas si bon que lorsqu’il paroît en sa couleur de cannelle, comme
nous l’avons démontré ci-dessus; laquelle couleur il acquiert par son propre alkali,
ou par un autre; et celui-ci même n’a pas, à beaucoup près, autant de force que
celui qui, avec son huile, passe en liqueur de couleur de rubis.
Par tout ce que nous venons de dire, chacun peut voir que
l’acide se change en huile, l’huile en charbon et le charbon en sel et en
cendres; que plus on fait fondre un sel ou un alkali, plus il devient terrestre,
et plus il dépose dans sa calcination, solution et filtration, une terre vierge
très-pure, sulfureuse. Cette terre est très-propre pour fixer les principes
séparés auparavant, et pour les réduire avec elle en une pierre de la nature du
verre, et cependant de solution facile. C’est cela qui est la quintessence
parfaite, ou le magistère parfait. On pourroit réduire promptement toute cendre
saline en une terre très-subtile et blanche comme la neige, en la jetant dans
un alkali fondu. De cette manière, un Artiste n’auroit pas besoin de faire
évaporer les sels par une longue et ennuyeuse fonte, et il pourroit, en une
seule fois, se procurer assez de matière pour fixer son oeuvre; mais cette opération
n’est pas nécessaire, car le charbon est suffisant pour fixer, par degrés,
toutes les parties volatiles d’un sujet.
Comme cette chose se trouve universellement et
particulièrement dans tous les individus du monde entier, qu’on me prouve qu’il
y ait aucunes fèces dans tout l’univers; qu’on me les montre, et je m’avouerai
vaincu. Car si quelqu’un me soutenoit qu’une terre est telle, je le renverrois
aussi-tôt à la vitrification. Le verre prouve assez qu’il conserve, par-dessus
toutes choses, la gloire de la constance perpétuelle. Mais il faut faire
attention qu’on ne peut, sans sel, réduire aucune terre en verre, quelle
qu’elle soit. Il faut qu’elle contienne déjà un sel né avec elle, ou qu’on y en
ajoute un extérieurement. Si les terres contiennent du sel, elles deviennent
fusibles, et, plus elles fluent au feu, plus l’humide superflu s’en évapore. Le
verre n’en retient pas davantage qu’il n’en a besoin pour prendre une forme de
verre, et il retient cet humide ou ce sel si fortement qu’aucun élément ne peut
lui en ôter presque rien.
De-là, un Artiste peut tirer une grande instruction. S’il ne
sçait pas réduire sa teinture saline en verre, qu’il y ajoute une terre subtile
préparée en son poids proportionné; qu’il les fasse fondre ensemble dans un
creuset bien clos et luté, dans un fourneau de verrerie, pendant quelques jours
et quelques nuits: elles flueront ensemble et acquerront un corps fusible de
verre. Mais il doit avoir soin de prendre, pour une teinture animale, une terre
préparée animale; pour une teinture végétale, une terre végétale; et pour une teinture minérale,
une terre homogène, telle que les corps métalliques en fournissent assez, après
que le soufre en est séparé; car lorsqu’il en est ôté, en tout ou en plus grande
partie, le corps devient un électre ou un verre métallique.
L’on voit par-là que l’on peut faire, des animaux et des
végétaux, une teinture très-fixe par elle-même, aussi bien que de tous les
minéraux, et qu’encore que ceux-là ne soient pas aussi fixes que ceux-ci et
qu’ils soient plus sujets à la corruption, il peuvent cependant, par l’habileté
de l’Artiste, être amenés au même degré de fixité et montrer qu’ils contiennent
dans leur centre l’incorruptibilité, aussi bien que les minéraux.
Ce qui prouve encore la vérité de ce que j’ai dit ci-dessus,
en plusieurs endroits de ce traité; à sçavoir que les animaux, les végétaux et
les minéraux ne sont différens qu’à raison de leur subtilité ou densité, de
leur humidité ou siccité, de leur solution ou coagulation plus ou moins grande;
mais qu’eu égard à leur origine et à leur essence, ils sont une même chose; que
les animaux sont des végétaux volatils ou étendus, et qu’au contraire les
minéraux sont des végétaux fixes ou concentrés, et les végétaux des animaux
fixes.
Je crois avoir assez prouvé qu’il n’y a point de fèces dans
la Nature, et que, par conséquent, je n’ai point dû en séparer dans
l’opération de la quintessence de l’eau chaotique.
Si j’interromps la coagulation et que je tire le corps de l’alembic,
si je le broie, l’humecte et le réverbère; si je laisse éteindre le feu; si je
broie le corps de nouveau, etc., je suis encore en cela la Nature, et abrège par-là
mon oeuvre; car ce que la Nature dessèche et réverbère par la chaleur du soleil
et par la chaleur centrale, elle l’humecte et l’imbibe de nouveau par la
fraîcheur de la lune et de la nuit, ou par la pluie; ensuite elle le dessèche,
le coagule et le réverbère de nouveau, d’en haut, par la chaleur du soleil;
d’en bas, par celle du centre; et continue ainsi alternativement et sans cesse.
Qu’un Artiste prenne bien garde que la Nature n’a pas en
vain toutes ces vicissitudes et qu’il l’imite aussi en ce point. Il n’y a point
d’avantage à faire des circuits bien longs lorsque, par des chemins plus
courts, on peut parvenir plus promptement au but. Je sçais que les Philosophes
disent que leur oeuvre ne se fait qu’en un seul vase. Je n’ai non plus qu’un
seul alembic, et quelquefois je me sers d’une retorte pour abréger et pour
faire monter les parties plus fixes; parce qu’elles ne montent pas facilement
si haut.
Au reste, si quelqu’un n’approuve pas ma méthode, qu’il
suive celle que bon lui semblera; mais cependant je lui conseille de faire
aussi l’essai de la mienne: il verra qu’elle sera celle qui lui réussira le
mieux. Je suis convenu que ma pratique avec l’eau chaotique est longue et
ennuyeuse, et j’ai promis d’enseigner quelqu’autres voies plus abrégées et plus
agréables. Je vais m’acquitter de ma promesse et en indiquer trois. La première
est suivant l’Art; la deuxième suivant la Nature elle-même, et la troisième
suivant les Artistes partisans de la séparation des fèces. Que chaque Artiste choisisse
celle qui lui plaira le plus, il en est le maître.
PREMIERE VOIE
Sans séparation des fèces
Prenez de l’eau de pluie putréfiée: remuez-la: agitez-la
bien, et mettez-la dans un alembic: distillez-en les esprits subtils; et vous
aurez le volatil. Réservez-le à part: distillez ensuite: et vous aurez un phlegme
grossier. Continuez la distillation jusqu’à une liqueur assez humide: gardez ce
phlegme distillé à part. Il est inutile pour cette opération de purifier et
d’édulcorer toutes sortes de sels. Tirez la liqueur restante de l’alembic:
mettez-la dans une retorte, et distillez encore, aux cendres ou au sable, le
phlegme, l’acide ou l’huile: le charbon ou la tête morte restera au fond de la
retorte: tirez-la et la pulvérisez, et mettez-y toute l’huile en broyant:
mettez-la dans un alembic haut: digérez quatre ou cinq jours au bain-marie:
distillez tout ce qui peut passer: ensuite ajoutez son esprit volatil
ci-dessus, que vous avez réservé: digérez-les ensemble au bain-marie, du
premier degré, deux jours et deux nuits: distillez lentement et par degrés ce
qui peut passer: et lorsque rien ne peut plus passer, mettez-le aux cendres
coaguler et réverbérer par le deuxième ou troisième degré du feu de cendres,
jusqu’à ce que la matière du fond prenne une couleur: tirez-la alors de l’alembic:
pulvérisez-la, et versez-y la liqueur que vous en aurez distillée au bain-marie
et aux cendres: mettez-la au bain-marie deux jours et deux nuits: ensuite
distillez tout ce qui peut passer, et reversez-le comme auparavant, pour en
faire des imbibitions ultérieures. Lorsque tout sera distillé au bain-marie,
mettez-le aux cendres et distillez tout le reste de l’humidité, jusqu’à
siccité: lentement pourtant et par degrés, afin de ne pas réveiller les esprits
plus fixes. Lorsque tout sera bien sec, réverbérez-le de nouveau, comme
auparavant: retirez-le ensuite: broyez, imbibez, digérez, distillez, coagulez,
réverbérez et réitérez jusqu’à ce que toute la matière ait une couleur
uniforme: fixez-la par tous les degrés des cendres et du sable, comme je l’ai
enseigné amplement dans la première partie; et vous aurez une quintessence et
un magistère du macrocosme, qui est aussi bonne que celle qui suit.
DEUXIEME VOIE
Voie de la Nature même
Prenez de l’eau de pluie putréfiée: distillez-en, dans un alembic
de cuivre, toute l’humidité jusqu’à une liqueur épaisse que vous remettrez dans
un autre alembic avec son récipient et son chapiteau: distillez encore au
bain-marie tout ce qui peut passer; il ne restera au fond que la terre que vous
mettrez aux cendres dans un alembic avec son chapiteau et son récipient:
desséchez-la doucement, par degrés, afin de ne pas la brûler, et afin de ne
point réveiller son vinaigre ou son huile; mais distillez-en seulement son
humidité superflue, et si vous vous appercevez qu’il passe par le bec du chapiteau
quelques vapeurs aigres, il faut aussi-tôt laisser éteindre le feu; car alors
c’est son vinaigre qui monte; ce qui ne doit pas être; et celui-ci seroit
d’abord suivi de son huile, ce qui feroit une opération violente et ne seroit
pas conforme à la Nature qui procède en tout doucement et lentement, jusqu’à ce
qu’elle fasse de l’eau une pierre; car elle ne fait pas naturellement avec facilité,
ou très-rarement, du charbon d’aucune chose; parce qu’elle n’en brûle aucune:
et jamais elle ne le fait, tel qu’on le fait par Art, excepté par le tonnerre,
lorsqu’il brûle les arbres: et en cela il n’y a ni génération ni corruption
naturelle, mais une violente destruction que fait le Vulcain supérieur.
Après que vous aurez distillé doucement, aux cendres, toute
l’humidité, réverbérez la terre doucement, par le deuxième degré: retirez-la
ensuite, et versez dessus de son phlegme, autant qu’il en faut pour la réduire
en épaisseur de miel fondu: mettez à dissoudre le mélange au bain-marie: distillez
ensuite audit bain, et après cela aux cendres: réitérez ces réverbérations,
exsiccations, imbibitions, digestions, distillations, coagulations, jusqu’à ce
que la terre soit d’une seule et même couleur dans toutes ses parties; car de
la couleur brune elle avancera toujours vers la couleur rouge, et lorsqu’elle
aura passé plusieurs fois par ces couleurs, réverbérez-la fortement, et
fixez-la aux cendres, ensuite au sable, comme nous l’avons dit ci-dessus, et
vous aurez une quintessence.
TROISIEME VOIE
Ou voie très-courte
pour la séparation des fèces
Prenez de l’eau de pluie putréfiée: distillez-en par l’alembic
la partie volatile spiritueuse: mettez-la à part, et marquez-la A. Distillez
ensuite la partie phlegmatique jusqu’à une épaisseur de miel fondu: réservez-la
aussi à part, et marquez-la d’un B. Tirez ce qui reste d’épaisseur mielleuse de
l’alembic, et mettez-le dans une retorte au sable: distillez-en premièrement un
phlegme grossier; ensuite un vinaigre; ensuite par degrés l’huile: au fond
restera le caput mortuum.
Séparez le phlegme grossier et le vinaigre de l’huile, par
décantation avec un entonnoir, et marquez-les d’un C. Réservez l’huile à part,
et marquez-la D. Mettez le phlegme et l’acide dans un alembic bas, au
bain-marie, avec son chapiteau et récipient: distillez; le phlegme passera et
l’acide restera au fond. Ajoutez cette eau à celle ci-dessus marquée B. De
cette manière vous aurez toutes les parties séparées. Il faut actuellement les
rectifier.
Rectifiez l’esprit volatil, marqué A, dans une cucurbite
haute: rendez-le aussi subtil que vous le voudrez: vous aurez l’esprit volatil
A rectifié prenez ensuite le vinaigre marqué C, et distillez par la retorte
doucement aux cendres; au moyen de quoi il sera aussi rectifié. Pour l’huile
marquée D, il faut la rectifier de la manière qui suit.
Tirez le caput mortuum de la retorte: prenez-en deux
parties, et trois parties de l’huile D: broyez-les ensemble: mettez le mélange
dans une retorte: distillez aux cendres et au sable, et vous aurez aussi une
huile rectifiée.
Prenez ensuite le caput mortuum et calcinez-le à feu de flamme
ouvert, jusqu’à ce qu’il soit réduit en cendres, et lessivez-les avec leur
phlegme B: filtrez, coagulez; et vous aurez un sel brun: faites rougir ce sel
au feu: dissolvez-le encore dans son phlegme: filtrez et coagulez de nouveau,
et continuez à le faire rougir au feu, à le dissoudre, filtrer, coaguler,
jusqu’à ce qu’il devienne blanc comme la neige; de cette manière vous aurez
toutes les parties rectifiées.
Conjonction
Prenez du sel, deux parties: du vinaigre, trois parties: de
l’esprit volatil, six parties: versez l’esprit volatil sur son sel, dans un alembic:
ajoutez-y ensuite le vinaigre: adaptez-y le récipient et le chapiteau, et
distillez au bain-marie jusqu’à l’oléosité: mettez l’huile à la cave; elle
formera des crystaux très-beaux et très-subtils: tirez-en ces crystaux:
faites-les sécher: distillez de nouveau le liquide au bain-marie, à moitié ou
jusqu’à l’oléosité: faites encore crystalliser, et réitérez jusqu’à ce qu’il ne
s’y forme plus de crystaux. Prenez ensuite tous ces crystaux; faites-les sécher
doucement au soleil ou à une petite chaleur de fourneau, et vous aurez la
quintessence du macrocosme ou du grand monde: servez-vous-en comme vous le
jugerez à propos.
Si vous en voulez faire une pierre, prenez ces crystaux
desséchés; mettez-les en poudre, et enfermez-les dans un matras, après que vous
les aurez pulvérisés: mettez-les au sable, et donnez, pendant trois heures, le
feu par degrés: ils se fondront comme du beurre, ou de la cire, en une pierre solide,
sans donner aucune fumée.
Si dans cette pierre, vous voulez coaguler son huile D et la
fixer, prenez de cette pierre trois parties, et de l’huile deux parties:
broyez-les bien ensemble dans un plat de verre: mettez-les dans un matras, à
petite chaleur de cendres, par degrés, pendant quatre jours et quatre nuits; et
l’huile deviendra fixe: ajoutez-y encore deux parties d’huile, fixez de nouveau
et réitérez cela jusqu’à ce que toute l’huile y soit fixée: donnez ensuite de
nouveau le feu par degrés, jusqu’à ce que tout se fonde ensemble en pierre, et
votre oeuvre sera achevé.
Cette dernière voie sera sûrement au gré du plus grand
nombre des Artistes, à cause de la séparation des fèces; mais l’on ne manquera
pas de faire, contre les deux autres, plusieurs objections, qu’il est à propos
de prévenir, en rendant raison de quelques-unes de mes opérations. Je dirai
donc, à l’égard de la première voie, que la raison pour laquelle je n’y ai pas
fait de déphlegmation ou de rectification est que j’aime la brièveté, sçachant
que la terre plus fixe, telle qu’est le charbon, ne retient point de phlegme,
mais seulement ses parties essentielles; et comme elles sont toutes homogènes,
il ne me reste aucun doute qu’il puisse y avoir rien d’hétérogène. Je sçais de
même que, soit que je fasse les imbibitions peu à peu ou que j’y verse tout en
une fois, la terre ne peut pas en retenir plus qu’il ne lui en faut, et qu’elle
laisse volontiers détacher de soi le superflu. Enfin la raison pour laquelle je
ne réduis pas le charbon en cendre est qu’il renferme le soufre essentiel embryonné
et que je ne veux pas le perdre, non plus que les autres parties.
A l’égard de la seconde voie, on me demandera en quel
endroit la Nature opère, comme je le fais ici. Je réponds que c’est par-tout.
La Nature ne procède-t-elle pas à la résolution des choses par leur putréfaction
? On le voit clairement dans les végétaux, lorsqu’un végétal desséché et
humecté de l’eau de pluie devient enfin glaire, pourriture et boue, comme les Païsans
et les Jardiniers l’expérimentent sans cesse, avec les grand amas de fumiers
qu’ils font de branches de sapin et d’autres arbres qui, étant humectées par la
pluie, dans les forêts, deviennent enfin une terre ou une boue noire et grasse
(c’est en quoi consiste la calcination naturelle). Dans cette terre ou dans
cette boue, il reste caché un sel essentiel nitreux, une graisse ou une huile
qui, par la calcination close, est brûlée en charbon; mais dans un feu ouvert,
le sel essentiel devient un alkali, et cela arrive par la violence de notre
feu.
Comme la Nature, principalement sur la superficie de la
terre, n’entreprend jamais une calcination si violente, mais seulement une
réverbération par la chaleur du soleil, elle ne brûle point le sel essentiel,
elle ne fait que le réverbérer pour le rendre avide d’attirer à soi une
humidité, c’est-à-dire la pluie et la rosée, dont le végétal tire son
accroissement. Si cependant il est continuellement imbibé, comme les Artistes
le pratiquent dans leurs vaisseaux où ils l’imbibent et en tirent l’humidité
par la distillation; l’accroissement végétal en est empêché et descend en une
nature minérale; c’est-à-dire que, par les continuelles imbibitions,
abstractions et réverbérations, il devient toujours plus fixe, plus terrestre
et plus pierreux, et c’est ce que nous demandons. Cette nature pierreuse n’est
pourtant pas semblable à une pierre dont on a ôté entièrement l’humide radical
salin.
Mais nous demandons, pour notre médecine, une nature saline
pierreuse, une salinité balsamique, qui seule peut restaurer nos corps, par sa fixité
et ignéité, et le préserver de la corruption. Ainsi j’ai eu raison de dire que
la seconde voie est celle de la Nature même. Que l’Artiste qui voudra suivre cette
voie la prenne pour modèle; il ne pourra pas s’égarer.
CHAPITRE VI
Des conclusions qu’on
peut tirer du chapitre précédent.
J’ai traité, dans le chapitre précédent, de la destruction,
de la séparation et de la régénération de toutes les choses naturelles en
général, et en particulier de l’eau chaotique régénérée, de laquelle tout naît
et prend son accroissement, afin que les Artistes aient, dans le travail de
cette eau universelle, un modèle pour toutes les espèces et tous les individus.
Ainsi, comme j’ai d’abord fait la séparation de l’eau chaotique, il faut
séparer de la même manière les parties fixes et les parties volatiles de chaque
individu animal, végétal ou minéral. Il faut ensuite les réunir dans le même ordre
qu’elles ont été séparées, et en faire une quintessence.
La Nature nous indique elle-même toutes les opérations que
nous devons faire, qui sont la putréfaction ou solution, la distillation ou
rectification, la conjonction, la coagulation, la fixation, l’imbibition,
l’incération, l’augmentation, la fermentation et l’application. La Nature
parcourt tous ces mêmes degrés, ainsi que nous avons expliqué en plusieurs
endroits de cette deuxième partie et de la première.
Lorsque l’Artiste sépare, il doit toujours regarder les
parties volatiles comme les plus élevées, c’est-à-dire comme le ciel et l’air,
les fèces comme l’eau et la terre; et il doit les distinguer suivant les termes
de la Chymie, en volatil, acide et alkali, en mercure, soufre et sel; en ame,
esprit et corps, ou les diviser en quatre élémens, comme les Aristotéliciens,
en feu, en air, en eau et en terre; n’importe quels noms il donne à ces
principes, pourvu qu’il ne les confonde pas et qu’il les réunisse dans l’ordre
convenable pour la coagulation; car sans cela, il en arriveroit un effet
contraire. Lorsqu’il aura séparé son sujet en quatre parties ou en trois par la
distillation, il pourra entreprendre par la rectification une préparation plus
subtile et séparer encore chacune d’elles en leurs degrés, comme je l’ai
enseigné dans le chapitre précédent, avec l’eau de pluie, c’est-à-dire en
subtils, plus subtils et très-subtils. Il pourra ensuite procéder à la
conjonction, à la coagulation et à la fixation qui ne demandent pas, à beaucoup
près, autant de tems que la putréfaction et la solution ou la séparation; car,
si une fois il comprend leur utilité, il pourra abréger l'oeuvre, par ses
propres spéculations, plus que je ne sçaurois le lui décrire.
Il doit toujours regarder les parties volatiles comme une
semence volatile, et le vinaigre ou l’acide, comme un médium ou comme une
semence demi fixe et demi volatile, ou comme la partie nitreuse, dans les
universels; et dans les espèces, comme le sel essentiel nitreux dissous. Il en
est de même de l’huile; car l’huile est un acide coagulé et concentré, et
l’acide est une huile résoute. Quant au charbon, il doit le regarder comme la
partie la plus fixe et comme une huile terrestre et coagulée: et s’il est
changé en cendres ou en sel alkali, il doit le regarder comme un sel précipité,
alkalisé et fixé; car le charbon peut être réduit, par un feu de calcination
violent et prompt, en cendres constantes au feu.
Si l’on broie ensemble l’huile et le charbon, et qu’on en
distille l’humidité dans une haute cucurbite à feu de cendres, l’huile se
change en charbon. Si on pousse fortement le feu, l’huile se change en liqueur
acide, par la distillation; et si on met le charbon dans un feu ouvert, il se
change, avec diminution de sa quantité, en cendres et en sel. Il faut qu’un
Artiste connoisse ces principes avant toutes choses; car s’il travaille sans sçavoir
ce que c’est que le volatil, l’acide ou le charbon, les cendres ou l’alkali, il
opérera sans règne ni mesure.
On peut donc comprendre, par le chapitre précédent, le but
général de toute séparation, coagulation et fixation. Que le Lecteur médite
long-tems avant que de mettre la main à l'oeuvre, et qu’il imprime bien dans
son esprit le procédé sur l’eau de pluie, comme son modèle. Je lui donne cet
avis, afin que, s’il fait des fautes et qu’il ne réussisse pas, il n’ait point
à me l’imputer. Avant que de passer à l’analyse et à la quintessence de chaque
règne, j’ajouterai encore quelques préliminaires importans.
Chaque chose porte avec soi le principe de sa dissolution et
de sa coagulation. Ce principe est l’esprit qui y est implanté, lequel, comme
nous l’avons déjà dit, a besoin de l’eau pour être mis en action. Où il n’y a
point d’eau, il n’y a point de putréfaction, et conséquemment point de
séparation dans notre Art pour pouvoir séparer le subtil de l’épais. C’est
pourquoi, lorsque nous voulons analyser un sujet quelconque; s’il ne contient
pas assez d’humidité pour le détruire et le putréfier, nous avons recours à
l’eau chaotique régénérée, qui sympathise avec toutes les choses de ce monde, comme
étant leur mère, et par ce moyen nous réveillons l’esprit coagulé et assoupi,
afin qu’après avoir souffert le tourment de la putréfaction et de la
séparation, le sujet parvienne, par la coagulation et la fixation, à la gloire
immortelle de la quintessence.
Comme l’eau chaotique régénérée, ou l’eau de pluie, est
d’abord volatile, et qu’elle devient ensuite demi fixe et fixe, c’est-à-dire
nitre et sel, nous devons la prendre dans son état de volatilité pour aider la
dissolution et la putréfaction des sujets volatils, tels que les animaux et les
végétaux; parce que c’est dans cet état qu’elle leur est homogène: mais les
pierres, les métaux, les minéraux ne se laissent pas dompter par cette eau
volatile. Il faut que nous prenions le nitre et le sel, et que nous les
réduisions en une même Nature dont les minéraux ont pris naissance; alors les
portes de l’enfer se rompent, et les habitans se délient.
Dans la première partie, en traitant de la génération des
minéraux, j’ai dit qu’ils prennent naissance d’un acide résous, salin et
spiritueux, c’est-à-dire du nitre et du sel, qui, dans les entrailles de la terre,
s’aigrissent par une forte fermentation et s’élèvent, par la chaleur centrale,
en forme d’esprit et de vapeur spiritueuse, jusqu’aux viscères des montagnes,
et y procréent toutes sortes de minéraux. Les esprits de nitre et de sel sont
donc homogènes avec tous les minéraux. Par leur moyen les minéraux sont
contraints de rétrograder; et leur humidité propre acide, minérale coagulée et
desséchée en est réveillée pour agir et pour détruire leur propre corps. Par-là
ils deviennent ce qu’ils étoient au commencement de leur coagulation,
c’est-à-dire un sel spécifié minéral spiritueux, un esprit salin minéral
métallique, ou un vitriol: celui-ci, par rétrogradation, devient un esprit, et
cet esprit, par régénération, un corps glorifié, pénétrant, médicinal et balsamique,
chacun suivant son espèce. Lorsqu’ils ont été une fois poussés jusque-là, alors
seulement ils peuvent être exaltés par la semence universelle volatile, ou
l’eau chaotique, ou bien par les animaux et par les végétaux, à une plus grande
et plus agréable spiritualisation; et on peut les faire fixes ou volatils,
végétaux ou animaux, ou même universels, comme on voudra; car chaque créature
doit nécessairement se laisser changer en toutes les autres, puisqu’elles sont
nées d’une même matière.
Après ce préambule, nous entreprendrons l’analyse des
animaux et nous y chercherons la quintessence.
CHAPITRE VII
De l’analyse des
animaux
Sans la putréfaction on ne sçauroit, dans le règne animal ni
dans le végétal, extraire par la séparation ou par la distillation, qu’une eau foible
qui retient seulement l’odeur du végétal ou de l’animal dont elle a été tirée.
Toutes leurs forces, au contraire, se développent lorsqu’on fait précéder la putréfaction.
On peut alors tirer du règne animal son sel volatil urineux, et du règne
végétal son esprit ardent volatil.
Nous devons donc commencer l’analyse d’un sujet quelconque,
animal ou végétal, par la putréfaction; nous en ferons ensuite la distillation,
la rectification, la conjonction, la coagulation, la copulation et la fixation.
C’est par ces degrés de préparation, marqués par la Nature elle-même, que nous
exalterons le sujet à la perfection de la quintessence. Mais comme on peut
prendre, pour faire une médecine, chacun des individus de ce vaste univers,
aussi bien qu’un sujet universel, de même on en fait une, non-seulement du
corps entier d’un individu, mais encore de chaque partie séparée comme du sang,
de l’urine, de la fiente, des os, de la peau, des cheveux, des cornes. Nous enseignerons
la manière d’analyser toutes ces parties conjointement ou séparément, de les
rejoindre ensuite et d’en faire une quintessence. Nous commencerons par les
liquides, et nous continuerons par les solides.
L’analyse du règne animal est la plus dégoûtante, à cause de
la puanteur qu’il exhale dans sa putréfaction; mais sa vertu à opérer est
d’autant plus forte et plus prompte, à cause de son sel pénétrant et volatil.
Je conseille cependant à un Chymiste de ne pas travailler avec le sang, sur-tout
s’il est encore chaud et nouvellement tiré de l’animal; car il m’est arrivé
qu’en voulant distiller les parties plus fixes par la retorte, il m’a apparu
dans le récipient, tant avec le sang humain qu’avec celui des animaux, la
figure monstrueuse, ou l’esprit représentant l’animal sur lequel je travaillois,
et le sang humain a fait, dans la retorte, un bruit comme s’il y eût un phantôme,
ce qui est fort effrayant; cela n’arrive pourtant pas toujours. Si vous laissez
putréfier le sang et la chair, ils donnent une puanteur insupportable. Il vaut
bien mieux prendre les excrémens si l’on peut les avoir, comme l’urine et la
fiente, qui sont tout ce qu’il y a de meilleur et qui contiennent toute la force
de l’animal; après cela les ongles, les cheveux, les écailles, etc. Cependant
nous n’omettrons aucune partie, afin que les Artistes n’aient rien à désirer.
Prenez, d’un animal, le suc ou l’urine et tout ce qui est
liquide; l’une de ces choses seule, ou toutes ensemble; car, quoique l’une soit
plus volatile ou plus fixe que l’autre, elles sont de la même nature,
puisqu’elles proviennent d’un même sujet. Mettez-les dans un vase que vous
couvrirez et placerez dans un endroit tiède ou tant-soit-peu chaud, pour qu’ils
s’y putréfient. Si vous voulez en éviter la puanteur, vous pouvez les mettre
dans un alembic, avec son chapiteau et récipient, bien lutés, que vous mettrez
au bain- marie, au premier degré: laissez-les-y au moins quatorze jours et quatorze
nuits: ensuite distillez au bain-marie, par degrés, tout ce qui peut passer, et
conservez-le.
Si vous voulez le rectifier, vous pouvez le faire.
Séparez-en le phlegme, vous aurez un esprit et un sel volatil urineux très-pénétrant.
L’acide ne monte pas au bain-marie par l’alembic: c’est pourquoi mettez la
matière restante dans une retorte au sable, et distillez encore par degrés
lents; il passera au commencement un phlegme; celui-ci sera suivi d’une liqueur
très-piquante sur la langue, qui est l’acide animal: après celui-ci, il montera
une huile épaisse; et à la fin il restera au fond une matière brûlée en
charbon, qui est la partie alkaline.
Vous avez donc séparé le volatil, l’acide, l’huile et le
charbon alkalin. Ce sont ces choses qui forment la substance intrinsèque de
l’animal, et qui sont les parties dont il est composé. Si vous voulez de
nouveau le réduire en un, il faut encore faire attention à l’axiome des
Philosophes, qui dit: Non transire posse
de uno extremo ad alterum ,absque medio.
L’esprit volatil et le charbon sont les deux extrêmes, et
ils ne s’uniront jamais ensemble sans leur nature moyenne; et leur nature
moyenne est l’eau ou le phlegme, l’acide et l’huile; et ceux-ci encore ne
s’uniront pas si on les y met dans un ordre renversé; ou ils s’uniront si
lentement que la peine et le travail vous ennuieront. Il faut les conjoindre
dans le même ordre qu’ils ont été séparés; alors ils s’uniront très-facilement
et se coaguleront promptement ensemble, par un degré de feu convenable.
Si vous rectifiez ces parties, vous les rendrez, à la
vérité, plus subtiles, mais non pas meilleures, ni d’une plus facile conjonction.
Ainsi voulez-vous travailler promptement ? Prenez le volatil avec son phlegme,
ou séparez-en le phlegme, si vous voulez: versez-le sur l’acide, ou azoth, et
tous les deux seront conjoints. Prenez ensuite l’huile: broyez-la avec le
charbon ou avec la tête morte: mettez-les dans un alembic, et versez dessus le
vinaigre et le volatil: faites-les digérer doucement ensemble, au bain-marie,
deux jours et deux nuits; et distillez ensuite par degrés lents; l’esprit volatil
montera très-foible avec le phlegme, et la plus grande partie du volatil et de
l’acide restera au fond. Retirez-les du bain-marie: mettez-les aux cendres:
coagulez et réverbérez, comme il est dit dans le cinquième chapitre. Lorsque
vous les aurez réverbérés, imbibez-les de nouveau avec leur volatil distillé:
faites-les digérer encore au bain-marie: distillez, coagulez et desséchez aux
cendres, et fixez ensuite, de la même manière que nous l’avons enseigné, avec
l’eau de pluie; car il faut que les choses se fassent ici dans le même ordre:
alors la quintessence sera parfaite.
Quelqu’un pourra me demander pourquoi je dis: laissez le
phlegme avec le volatil, ou séparez-le.
S’il n’est bon à rien, pourquoi le laisser: s’il est utile,
pourquoi le séparer ?
Je réponds qu’il est indifférent de laisser le phlegme avec
le volatil, ou de l’en séparer par la rectification; parce qu’encore qu’il y
reste, la partie essentielle fixative ne le prend pourtant pas en soi; elle le
laisse toujours se détacher par la distillation; mais il ne faut pas en conclure
que le phlegme n’est bon à rien. Prenez bien garde, comme je l’ai dit
ci-dessus, qu’il est une semence non encore mûre et point saline; que par
conséquent il est un véhicule et un instrument de l’esprit universel, tant
actif que passif, par le moyen duquel cet esprit coagulé et assoupi forge tout
dans un corps, ou l’a forgé, et le change tout, ou l’a changé; car aussi long-tems
que le phlegme y est joint, il excite toujours l’esprit à opérer et à faire de
continuels changemens.
Pour confirmer ceci, prenez la quintessence d’un animal sur
lequel tout son sel volatil soit coagulé et concentré: mettez-la dans un alembic:
versez dessus son propre phlegme, et remplissez-en l’alembic jusqu’au haut:
mettez-le dans un endroit chaud et (prenez-y garde) vous y verrez un jeu admirable;
car l’esprit représentera la figure de l’animal tel qu’il étoit lorsqu’il étoit
encore vivant; si vous mettez ce phlegme au froid, elle se dissipera aussi-tôt.
Il ne faut donc pas mépriser le phlegme; car il est rempli
et imprégné, par-tout, de l’esprit et de la force spiritueuse de son sujet, de
la même manière que le sont toutes les eaux distillées des Apothicaires.
Lorsque je prends intérieurement la quintessence, je préfère ce phlegme, qui en
a été séparé, à tout autre véhicule. Ce phlegme est aussi très-bon pour mettre
en putréfaction un sujet nouveau; au lieu de se servir d’autres espèces
étrangères comme de l’eau de pluie, de fontaine, ou du levain, etc., quoique
cependant l’eau de fontaine ou de pluie soient également homogènes. En voilà
assez pour les parties liquides des animaux. A présent nous opérerons sur les
parties sèches et plus sèches.
Prenez de la chair, des os, des cornes, des cheveux, des
ongles, la peau; en un mot, les parties solides d’un animal, toutes ensemble ou
seulement l’une d’elles: réduisez-les en parcelles aussi menues que vous
pourrez: mettez-les dans un alembic, et versez-y du sang ou de l’urine, ou des sucs
pourris du même animal, et au défaut de ces parties liquides, de l’eau de pluie
pourrie, ou bien de l’urine du microcosme, c’est-à-dire de l’homme, qui est le
centre de tout le règne animal, et dans lequel toutes les vertus des autres
animaux sont réunies, comme dans le vin sont réunies toutes les vertus des
autres végétaux, et dans l’or et dans son guhr vitriolique toutes les vertus
minérales: versez, dis-je, une de ces choses sur votre sujet réduit en menues
parties: mettez-le au bain-marie, ou de vapeur ou au fumier de cheval:
faites-le putréfier: séparez ensuite toutes les parties, au bain-marie, puis
aux cendres, par l’alembic et par la retorte: et vous rectifierez, si vous le
voulez, chaque partie à part, suivant que je l’ai enseigné plus haut: ensuite
joignez, coagulez, fixez et procédez en tout comme je l’ai déjà dit.
Comme les poils d’un animal sont d’une nature presque toute
grasse et coagulée et une graisse oléagineuse, que la plupart des choses
oléagineuses étant balsamiques, et entrent très-difficilement et très-lentement
en putréfaction, de même que les os et les cornes, un Amateur pourroit avoir
peur d’entreprendre des opérations si ennuyeuses. Mais je lui enseignerai
encore deux manipulations par lesquelles il pourra parvenir promptement à son
but.
Après que vous aurez coupé, râpé et limé des poils, des os,
des cornes, des ongles, etc., cuisez-les avec l’urine propre de l’animal dont
vous les aurez tirés, ou avec de l’urine d’homme, ou avec de l’eau de pluie
pourrie, ou avec de l’eau salée, jusqu’à ce qu’ils soient réduits en gelée: ce
qui se fait en deux ou trois fois vingt-quatre heures plus ou moins, suivant
que leur coagulation est dure ou molle. Ajoutez à cette gelée une suffisante
quantité d’eau de pluie ou d’urine pourrie, pour qu’elle n’ait que la
consistance de miel clair, fondu; elle ne tardera pas à se putréfier. Quand
elle sentira bien mauvais, il faut en faire la séparation et la conjonction,
comme nous l’avons marqué ci-dessus, c’est-à-dire qu’il faut en distiller les
parties volatiles par l’alembic, et les parties plus fixes par la retorte, au
sable et aux cendres, les rectifier et ensuite les conjoindre et les fixer.
La deuxième manipulation ne donne pas autant de substance
que par la putréfaction. Elle ne laisse pas néanmoins que d’être satisfaisante.
Prenez les cornes, les os, les cheveux et la peau: réduisez-les en parties bien
menues: mettez-les dans une retorte avec son récipient, et distillez lentement,
par degrés, ce qui veut passer: lorsque vous aurez fait la séparation de leurs
principes, conjoignez-les dans le même ordre qu’ils ont été séparés: par ce
moyen vous ne trouverez point de volatil, mais seulement un phlegme grossier,
un acide et une huile, et le charbon; car dans des parties si dures et si
desséchées, une partie du volatil s’est envolée, et l’autre partie a été
transmuée en acide ou en vinaigre animal.
C’est-là en quoi consiste la séparation et la conjonction de
l’Art, sans séparations de fèces, dans lesquelles toutes les parties, excepté
l’eau recolacée ou le phlegme, ont été concentrées et fixées. Il faut que
j’avertisse ici le Lecteur que, si je répète souvent une même chose, il ne doit
pas s’imaginer que cela soit superflu. Je le fais afin que, par chaque mot en
particulier, il ait occasion de pénétrer plus avant dans la Nature. Plusieurs
diront que je veux toujours suivre la Nature, et que cependant j’indique
plusieurs voies violentes qui lui sont contraires. Mais j’y ajoute toujours la voie
de la Nature, qui ne détruit aucune chose, ou très-rarement, au point de la
brûler et de la réduire en charbon: or, il faut qu’un Artiste considère le but
de la Nature et de l’Art. La Nature ne cherche pas à détruire un corps végétal
ou animal au dernier point: parce qu’il lui suffit de le résoudre en un suc
mucilagineux essentiel, n’ayant pas encore la puissance de faire un corps quintessencié,
d’une consistance glorifiée et qui est incorruptible en soi, comme le peut
faire l’Art, et comme le sont tous les corps de verre qui sont même plus
durables que l’or et l’argent. Car on n’entendra jamais dire, ou très-rarement,
que le verre et les pierres précieuses se soient corrompues, à moins que
l’Artiste ne les ait détruites à dessein, et qu’il les ait réduites en leur
première matière.
Mais par les voies naturelles, cela n’arrivera pas
facilement; on voit au contraire, dans les mines, que l’or et l’argent ont été
réveillés et détruits par les vapeurs arsenicales, jusqu’au point de ne laisser
après eux qu’une fleur stérile, et une pierre en forme d’électre.
J’enseignerai encore ici deux voies, dont l’une est celle de
la Nature même, et l’autre celle de l’Art, par où chacun pourra s’éclaircir
soi-même et choisir celle qui lui plaira le mieux. La Nature opère comme il
suit. Elle amollit les animaux morts et les plantes tendres, par la rosée et la
pluie, ou par d’autres eaux et humidités, et les fait tomber en putréfaction. Ensuite
elle distille les parties volatiles l’une après l’autre, en l’air, par la
chaleur du soleil et par la chaleur centrale; mais elle ne sçauroit élever, par
cette chaleur foible, l’acide, l’huile, etc. Les résidus sont appelés
aujourd’hui, dans les apothicaireries ordinaires, sel essentiel ou végétal; et
moi je les appelle un vitriol animal ou végétal, puisqu’il se candit de même,
et qu’il contient une terre qu’on peut précipiter. Ce sel ou ce vitriol donne,
dans la distillation, un esprit un peu acide, dont l’aigreur est d’un goût
minéral, c’est-à-dire d’une acidité vitriolique qui est suivi d’une huile
épaisse: ensuite vient le charbon. La Nature ne sépare point ces trois choses
dans le règne végétal et animal; et dans le règne minéral. Elle les fixe encore
plus et les concentre; par où elles deviennent toujours plus mordicantes et
plus corrosives, comme on le peut voir avec l’esprit et l’huile de vitriol.
Après que la Nature a réduit ainsi les animaux et les
végétaux en sel essentiel ou en vitriol, elle l’imbibe toujours et
continuellement avec les parties volatiles, c’est-à-dire avec la pluie, la
rosée, etc. L’Artiste peut faire une opération semblable, en faisant des
animaux une substance de sel essentiel, ou une gelée; et en les distillant
ensuite avec l’esprit volatil du même animal, l’imbibant avec cet esprit, le
coagulant et le fixant, par réitération, en quintessence. S’il n’avoit point de
volatil de cet animal, il n’auroit qu’à prendre l’esprit volatil d’urine
humaine, ou celui de l’eau de pluie, de la rosée, etc. Lorsque la Nature imbibe
souvent le sel essentiel, il croît en hauteur, dans l’air, et il s’en fait une
plante ou un arbre, au lieu que l’Artiste en fait la quintessence; à quoi la
Nature ne tend point encore. Pour rendre la chose plus claire, je joindrai ici
le procédé.
Prenez un animal (la même chose doit s’entendre des
végétaux), réduisez-le en gelée, par sa propre urine, par celle de l’homme ou
par l’eau de pluie putréfiée: laissez-les fermenter et putréfier ensemble:
versez ensuite ce qui est clair; filtrez-le, et distillez- en tout le volatil
au bain-marie, jusqu’à la troisième partie ou jusqu’à l’huile: mettez à part le
volatil: tirez l’huile ou la liqueur qui reste, et mettez-la à la cave pour
qu’elle se crystallise ou qu’elle s’épaississe comme une gelée; c’est cela qui
est le sel essentiel animal, ou le vitriol animal. Prenez ensuite ces crystaux
ou cette gelée, et mettez-les à un doux feu de cendres, pour les dessécher et
coaguler, sans pourtant les brûler en charbon: c’est ici où finit la Nature et
où l’Art commence. Laissez refroidir et versez dessus son volatil jusqu’à ce
qu’il surnage de deux ou trois, ou tout au plus, de quatre doigts: digérez de nouveau
au bain-marie: distillez et laissez monter ce qui voudra passer au bain-marie;
que rien ne se brûle en charbon ou en cendres; et lorsqu’il ne voudra rien
passer au bain-marie, remettez-le aux cendres: coagulez jusqu’à siccité, et
réverbérez-le un peu fortement: retirez-le ensuite: réduisez-le en poudre, et
imbibez-le de nouveau avec son volatil. Distillez de nouveau au bain-marie:
coagulez au feu de cendres, et réitérez ces imbibitions, coagulations,
réverbérations et fixations, jusqu’à ce qu’il ait passé par toutes les
couleurs, comme nous avons dit ci-dessus; et vous en aurez la quintessence.
De cette manière le volatil se fixe, comme cela doit être;
et à la fin il ne montera plus qu’un phlegme insipide qui a laissé en arrière
toutes les parties essentielles concentrées, qui ne sont qu’une nature animale
fixe, puisqu’elles résistent à tout feu. C’est-là la voie la plus simple et la
plus conforme à celle de la Nature. La deuxième voie est de la dernière pureté,
et ne souffre aucunes fèces (telles que les Chymistes se les imaginent); mais
elle est une quintessence purifiée. La voici.
Après que vous aurez séparé les parties volatiles, acides et
oléagineuses d’un animal ou d’un végétal, rectifiez et séparez le volatil et
l’acide de tout phlegme, le mieux que vous pourrez, et comme l’enseignent
presque tous les auteurs; prenez ensuite l’huile, broyez-la bien avec deux parties
de charbon et distillez-la de même par la retorte aux cendres et au sable; ou,
si vous ne vous souciez pas de l’oléosité, broyez l’huile avec son charbon:
mettez- les sur un fagot, au four d’un boulanger ou d’un pâtissier, le tems
qu’on le chauffe afin que les flammes, qui réverbèrent d’en haut sur le charbon
et sur l’huile, les réduisent en cendres ou en sel. Il faut pourtant avoir soin
de mettre le fagot en un endroit où il ne puisse point tomber de bois ou de
charbon dedans, et où cependant la flamme puisse jouer et réverbérer. Après
qu’ils sont réduits en cendres, lessivez-les avec leur propre phlegme: filtrez
et coagulez; vous aurez le sel alkali; mettez-le de nouveau sur un fagot, et
faites-le encore réverbérer et rougir au même four; ensuite résolvez-le encore
dans son phlegme ou dans de l’eau de pluie: distillez, filtrez, coagulez;
réitérez ces réverbérations, ignitions, solutions, filtrations et coagulations,
jusqu’à ce que le sel soit très-beau, clair et blanc. De cette manière les
trois parties, c’est-à-dire le volatil, l’acide et l’alkali, seront purifiées
au mieux; après cela il faut faire la conjonction.
La plupart des Artistes ont coutume de réverbérer sous la
moufle avec le feu de charbon; mais je recommande la réverbération au feu de
flamme, qui pénètre bien plus fortement et plus promptement que celui du
charbon; parce que la flamme contient en elle un volatil très-pur, très clair
et très-pénétrant: au lieu que le charbon renferme en soi un acide très-fort et
corrosif. Chacun est pourtant libre de se servir duquel de ces deux il voudra:
pour moi j’estime le feu de flamme meilleur, parce que je l’ai appris par
expérience.
Conjonction
Prenez de l’alkali rectifié, deux parties; mettez dans un alembic:
versez dessus quatre parties de son volatil: ajoutez-y ensuite trois parties de
son acide; ils s’uniront et se fixeront dans l’instant, et même ils flueront
constamment ensemble au feu, comme une huile incombustible; et à l’air, ils se fixeront
comme la glace. Il ne faut plus que les mettre avec le chapiteau et le
récipient au bain-marie, et en tirer le phlegme jusqu’à l’oléosité. Mettez ce
phlegme au froid; la quintessence se coagulera en crystaux. Retirez-les et
tirez-en de nouveau le phlegme ou l’humidité jusqu’à l’huile, ou faites
évaporer jusqu’à la pellicule: faites crystalliser de nouveau: continuez cette
opération jusqu’à ce qu’il ne s’y forme plus de crystaux; c’est alors que vous
aurez la quintessence. Faites-la sécher doucement: mettez-la dans un petit
matras au sable: donnez le feu par quatre degrés; elle se fondera en pierre; ce
que vous pourrez voir en faisant entrer par le bout du fourneau une bougie; car
elle restera comme une huile; et lorsque le feu sera éteint, elle sera pierre.
Cassez ensuite le matras: tirez-en la quintessence, et renfermez-la dans une
boite de buis, dans laquelle vous pourrez la porter sèche par toute la terre.
Lorsque vous voudrez vous en servir, prenez-en quelques grains et faites venir
de la première apothicairerie une eau appropriée, ou mettez-la dans du vin;
elle y fondra, comme le sucre ou de la glace; faites-la avaler et considérez
ses vertus.
Quoique vous ayez séparé avec un extrême soin le phlegme ou
l’eau recolacée de toutes les parties, il se trouvera pourtant dans sa
coagulation plus de phlegme que de quintessence. Vous verrez aussi dans cette
opération avec quelle vitesse les parties homogènes s’unissent ensemble, se
coagulent, s’embrassent, et qu’elles tiennent si fortement ensemble qu’elles
perceront plutôt le creuset ou le verre par le fond, que de se séparer l’une de
l’autre, tant elles se fixent avec promptitude. Et quand même, par addition, on
les feroit passer volatiles par la retorte, elles participent toujours des qualités
l’une de l’autre, et l’on ne sçauroit les distinguer.
J’ai enseigné à un Artiste toutes sortes de pratiques et de
méthodes, pour concentrer la substance entière de chaque chose (à l’exception
seulement de l’eau recolacée ou du phlegme), la réduire en forme sèche, fixe et
fusible. Il peut la porter avec soi par toute la terre. Un seul grain opère
plus puissamment que beaucoup de pintes d’eau distillée ordinaire.
Mais on pourra me demander pourquoi je brûle l’huile, qui
cependant est une partie essentielle. Je l’ai fait à dessein, afin d’accélérer
mon opération, et afin qu’un Artiste connoisse que l’Art réduit l’huile en sel,
et que le sel ou l’alkali est une huile fixe renversée; ce qui se voit aussi
par sa teinture, lorsque l’on verse dessus son acide et son volatil; puisqu’il
prend alors, ou une rougeur de rubis, ou une couleur jaune comme l’or, ou
quelque autre teinture de différentes couleurs. Mais si l’on veut conserver
l’huile et prendre seulement le fixe du charbon réduit en cendres, on le peut faire:
et lorsque la quintessence est fondue en pierre, on peut alors y ajouter
l’huile, la mêler avec la pierre, verser ensuite dessus les phlegmes qui en ont
été distillés, les faire cuire ensemble au bain-marie, les distiller par degrés
lents jusqu’à siccité; ensuite les coaguler et fixer aux cendres et au sable,
et les fondre en pierre, comme j’en ai enseigné la méthode ci-dessus, en
traitant de l’eau de pluie.
Quelqu’un pourra encore se plaindre et dire: oui, cette
méthode seroit bonne si on en pouvoit faire en quantité; et elle seroit encore
meilleure si les pauvres, aussi bien que les riches, pouvoient s’en servir et
que les Apothicaires pussent la donner à bon marché.
Cela est facile. Qu’un Apothicaire prenne trois corbeilles
pleines d’une herbe comme, par exemple, de la mêlée: ou bien qu’il prenne d’un
animal le sang, l’urine ou la chair: qu’il les mette putréfier dans un grand alembic:
qu’il prenne ensuite du même animal les os, les cornes, les ongles, le poil, etc.,
et qu’il mette, pendant le tems que les parties liquides ou molles se
putréfient, la moitié de ces parties sèches, réduites en parcelles bien menues,
dans une retorte, et qu’il en distille l’acide et l’huile jusqu’au charbon. Par
ce moyen, il aura de l’acide, de l’huile et du charbon en quantité.
Qu’il mette l’autre moitié des parties sèches dans un
fourneau de potier, au feu ouvert, dans un pot; et qu’il tire ensuite de leurs
cendres, par lexiviation, tout le sel fixe qu’il pourra. Qu’il distille, des parties
liquides mentionnées ci-dessus, qui étoient en putréfaction, un volatil en
quantité. Il peut aussi calciner les résidus, et en tirer le sel, par
lexiviation; ce qui augmente encore la quantité de sel. Après cette opération,
il aura les principes en quantité, et il n’aura plus autre chose à faire que de
les conjoindre et de les coaguler, pour avoir beaucoup de quintessence, qu’il
pourra vendre à très bon marché.
Je dois pourtant faire observer ici que les animaux ne
donnent pas beaucoup de sel fixe, mais beaucoup de terre vuide de sel. Comment
s’y prendra-t-on pour avoir du sel fixe en quantité, afin de fixer les parties
volatiles ? Il faut recourir aux endroits où la Nature fabrique d’elle-même
beaucoup d’alkali universel. Cet alkali universel est homogène à toutes les
créatures. Ne trouve-t-on pas des montagnes toutes entières de sel ? Et ce sel
commun de cuisine n’est-il pas le meilleur baume pour tous les animaux, et
principalement pour l’homme ? Il est très-facile de le spécifier sur chaque
sujet qu’on veut quintessencier, en prenant les parties sèches de l’animal
qu’on veut faire calciner au four d’un potier, et en y ajoutant, après qu’on
les aura réduites en menues parties, la quatrième ou la troisième partie de sel
commun. De cette manière le sel se brûle et se spécifie avec elles, et il devient
un alkali animal spécifique. Ainsi, un Artiste n’aura pas à se plaindre qu’il
ne peut point séparer la quintessence en quantité de toutes choses. Un Apothicaire
pourroit remplir sa boutique de quintessences qui, lorsqu’il en auroit une fois
beaucoup, ne deviendroient pas rances et ne se gâteroient pas comme ses eaux,
ses huiles et ses onguens; et il pourroit les vendre à très-bas prix. Car il ne
les vendroit pas par livres, par onces ou par demi onces; mais par grains et
par scrupules; parce qu’elles opéreroient en petites doses. Il pourroit les
faire en beaucoup moins de tems qu’il n’en emploie pour faire ses eaux et ses
huiles, et il en retireroit autant de profit et même davantage.
Avec les herbes il trouvera encore plus de facilité, comme
nous l’enseignerons dans le chapitre suivant. Il prendra d’une herbe en
quantité, comme par exemple trois corbeilles pleines: il en fera fermenter et
putréfier une; et les deux autres il les fera dessécher doucement à l’ombre. Lorsqu’elles
seront bien sèches, il fera brûler en cendres l’une des deux dans le four d’un
boulanger ou d’un potier. De l’autre, il en distillera le vinaigre et l’huile;
et de celle qui est putréfiée, il en distillera le volatil; des cendres il
tirera le sel, et après la rectification, il les conjoindra ensemble; et il
aura de cette manière la quintessence en quantité.
Par ce que, nous avons dit, un Artiste verra, pour peu qu’il
y fasse attention, que la Nature se laisse unir et séparer par des milieux,
dans un très-bel ordre. Elle manifeste elle-même ces milieux, et met le
vinaigre entre le volatil et l’alkali. Ce vinaigre peut se trouver dans tous
les sujets; et sans lui, on ne sçauroit faire aucune conjonction durable. Car
il n’est ni fixe ni volatil; mais un moyen, un véritable hermaphrodite, et un
Janus qui a la vue en avant et en arrière. S’il est joint au volatil, il lui est
agréable; il l’est pareillement à l’alkali. Avec le volatil, il devient
volatil; et avec le fixe, il devient fixe. Aucun auteur n’a expliqué ce point.
C’est un très-grand secret; et j’espère que plus d’un Lecteur me remerciera de
l’avoir publié.
Après avoir achevé l’analyse des animaux, nous nous
tournerons, suivant l’ordre, vers le règne hermaphrodite des végétaux, dont la
tête touche le règne animal, et la racine le règne minéral, pour manifester
leurs parties les plus intérieures, commençons.
CHAPITRE VIII
De l’analyse des
végétaux.
Ce règne, eu égard à la séparation et à la coagulation, est
semblable au règne animal; et il n’en diffère un peu que par la quantité de ses
principes. Car le règne animal a son sel fétide urineux; et le règne végétal a
son esprit fétide ardent, quoique bien des buveurs d’eau-de-vie le trouvent
aussi agréable que l’ambre. Les sujets de ce règne diffèrent aussi entr’eux,
comme ceux du règne animal. Car il y a des sujets mous et succulens tels que
des feuilles, des tiges, des racines, du fruit, du suc, de la gomme, de la
résine, de l’huile, de la semence; et des sujets durs et secs tels que des tiges,
des racines, du bois et de la semence. Nous enseignerons la manière de procéder
avec les uns et les autres.
Prenez tout ce qui est succulent et verd : pilez et écrasez du mieux que vous pourrez. Si
par sa propre nature, il n’y avoit pas suffisamment de suc, versez-y de l’eau
de pluie putréfiée, du vin et de l’eau salée autant qu’il en faut pour le
réduire à la consistance d’un bouillon clair; ou, si vous aimez mieux,
pressez-en le suc et laissez-le fermenter comme le vin, ou comme le cidre et le
poiré que font les Païsans; car chaque sujet mou et succulent peut être traité
ainsi; de même que les parties dures, lorsqu’elles sont coupées menues et qu’on
y joint une quantité suffisante d’humidité. Si vous voulez laisser ensemble les
herbes réduites en bouillon, mettez-les dans un vase de bois en un endroit tiède
et laissez-les macérer ainsi, environ quinze jours ou trois semaines, jusqu’à
ce qu’elles aient une odeur un peu aigre ou pourrie; alors mettez-les dans un alembic
et distillez-en doucement le volatil avec son phlegme subtil: tirez-en les
résidus: faites-les bien sécher: mettez- les dans une retorte au sable, et
distillez par degrés; vous aurez seulement alors un phlegme grossier, ensuite
un vinaigre, après cela l’huile épaisse, et au fond il restera une masse brûlée
en charbon.
De cette manière le végétal sera séparé. Il faut pourtant
prendre garde que, comme les végétaux ne se ressemblent point les uns les
autres, ils contiennent aussi plus ou moins de différens principes; car les uns
contiennent beaucoup de volatil, et les autres plus de vinaigre, suivant qu’ils
ont spécifié en eux plus de semence universelle, et qu’ils l’ont coagulée et
fixée. Leur vertu et leur force sont aussi réparties suivant ces principes, et
il faut les estimer et les appliquer à proportion.
Une herbe odorante qui a beaucoup de volatil a la force de
restaurer et de guérir l’esprit naturel volatil ou animal, et même le métal;
quoique cependant cela ne dépende pas toujours de la bonne odeur extérieure,
mais beaucoup plus de l’intérieure, laquelle distillée par l’archée, restaure et
guérit très-promptement les membres affligés. Si une herbe a beaucoup d’acide,
elle est spécifiée pour guérir les parties plus solides, tels que sont les
muscles, les tendons, les os, les cartilages, etc.
Il en est de même de l’huile; plus les parties essentielles
sont épaisses, plus elles confortent les parties plus épaisses et plus
coagulées du corps, ou les détruisent, suivant qu’elles sont appliquées. Chaque
médecin sçait qu’une chose volatile ne peut jamais servir de nourriture aux os
fixes, ni y pénétrer; car lorsqu’une substance si volatile entre dans le corps,
elle est poussée immédiatement par la chaleur interne dans tous les membres, et
finalement elle sort par les pores de la peau en forme de vapeur ou de sueur.
Un acide ne se dissipe pas si facilement; il agit par les urines ou par les
selles, ou procure le plus souvent une sueur grossière. Ne voit-on pas que,
lorsque l’on fait respirer une bonne odeur à une personne extrêmement
mélancolique, elle ressent, dans le moment même, un soulagement et une
restauration dans son coeur affligé, quoique, par cette odeur passagère, ce
soulagement ne soit pas de longue durée, sur-tout si son affliction provient de
quelques crimes énormes qu’elle pourroit avoir commis, ou si elle est
tourmentée par le nombre de ses dettes ou par une méchante fortune Elle avouera
pourtant que cette odeur étoit agréable à son coeur et à son esprit. Si au
contraire, on lui donne à sentir, par malice, quelque chose de mauvaise odeur,
elle deviendra dans le moment plus triste, plus affligée, plus malade et plus
en colère. De même aussi, un esprit chaud d’une herbe ou d’un animal réchauffe
un froid mélancolique; et un esprit froid narcotique ou anodin, rafraîchit un
bilieux.
Lorsque le végétal est ainsi séparé, la conjonction s’en fait
dans le même ordre et de la même manière que nous l’avons enseigné, en traitant
de l’eau de pluie et du règne animal. On peut opérer de même sur toutes choses,
suivant les voies, procédés et méthodes que nous avons indiqués ci- dessus. Pour
éviter la prolixité, nous ne les répéterons point ici.
Il faut pourtant que je régale encore d’une manipulation les
Amateurs de la Chymie. Nombre de Chymistes se sont tourmentés pour trouver le
sel volatil d’un végétal, sans y pouvoir réussir, quoique la chose soit très-facile.
Car si vous laissez macérer et putréfier une herbe jusqu’à ce qu’il s’y forme
des vers, ce qui arrivera bientôt, lorsque vous voyez ce signe, vous n’avez
qu’à distiller dans un alembic haut, au bain-marie; il montera un esprit animal
urineux, et le sel volatil s’attachera au chapiteau, ce qui est une preuve
évidente que le végétal est devenu animal et que le règne animal est tout plein
de sel volatil. Que le Lecteur note bien ceci; il trouvera, par ses spéculations,
bien d’autres choses, qu’il se seroit tourmenté l’esprit long-tems et
inutilement à chercher et à trouver.
Pour ce qui regarde les végétaux plus durs tels que sont les
herbes et les racines ligneuses, les bois, etc., on les traite comme les
parties osseuses des animaux; on les râpe, lime, scie, pile et écrase en menues
parties, le mieux qu’on peut: on verse par-dessus de l’eau de pluie pourrie, du
vin, de l’eau salée ou nitreuse, et on les fait macérer ou cuire jusqu’à ce
qu’elles deviennent molles et comme cuites; ensuite on les fait putréfier ou
bien, après les avoir coupées en petits morceaux, on les distille dans une
retorte, comme nous l’avons enseigné au sujet des animaux; et lorsqu’elles sont
séparées, on les conjoint, comme nous l’avons dit. Lorsque le bois est distillé
sans avoir été putréfié, il ne donne point de volatil, non plus que les
animaux, etc.
Au risque d’ennuyer le Lecteur, je lui dirai encore que
l’eau de pluie ou de neige, etc., est un volatil homogène avec tous les
individus du monde entier, et que l’on peut s’en servir pour toutes les choses
qui n’en ont point. De même, s’il travaille sur un sujet qui n’ait point assez
d’acide ou d’alkali, il n’a qu’à prendre le salpêtre ou son esprit; l’alkali le
remplace par le sel et par son esprit alkalin. Mais s’il pense que le nitre ou
le sel soit trop fort ou trop corrosif, il n’a qu’à séparer de l’eau de pluie,
par la distillation, tout son volatil et son phlegme, et distiller les résidus;
après la réverbération, il trouvera l’alkali. De cette manière il se procurera
tout ce dont il peut avoir besoin.
Un Artiste doit bien noter qu’un sujet universel se spécifie
en tous les individus. Par exemple, supposé que je n’eusse point de volatil
mais seulement un vinaigre, une huile et un alkali; je n’ai qu’à ajouter le
volatil de l’eau de pluie, comme un universel; il se spécifiera avec les autres
principes et prendra la même qualité et spécification de l’acide auquel il a
été ajouté; car l’axiome dit: A potiori
fit denominatio. Or l’acide, l’huile et l’alkali sont en plus grande quantité;
par conséquent ils peuvent dompter facilement le volatil, et le transmuer en
leur nature.
De même, si dans la nature des choses il existoit un sujet
purement volatil, et que vous ne trouvassiez point, dans le même règne, un
vinaigre ou un alkali homogène pour fixer ce volatil et le concentrer en une
pierre, vous n’avez qu’à vous tourner vers les universels, c’est-à-dire vers
l’eau de pluie ou de neige, ou vers le nitre et le sel; ils prendront
facilement la spécification du volatil auquel vous les ajouterez, et ils
opéreront suivant sa qualité et sa destination.
Chacun peut voir qu’à peine les sujets universels, comme la
rosée, la pluie, la neige, etc., sont nés, qu’ils se spécifient dans le moment:
qu’en tombant, ils s’attachent aux créatures animales, végétales et minérales,
et se changent en elles. On n’a qu’à faire cuire un végétal, un animal ou un minéral
avec du salpêtre et du sel, soit en liquide ou en sec; on verra d’abord le
nitre et le sel participer de leur qualité.
Il n’est pourtant pas nécessaire de recourir aux universels;
puisque Dieu a donné à chaque règne un sujet principal, qui renferme en soi
généralement tous les sujets ou individus du même règne et dont les principes
peuvent remplacer ceux qui leur manquent, ou tenir lieu de leur propre volatil,
acide et alkali. Tels sont, dans le règne animal, l’homme et la femme, avec
toutes leurs parties, l’urine, la fiente, la chair, la peau, les os, etc. Dans
le règne végétal, le vin, le bled, le froment. Dans le règne minéral, le
salpêtre et le sel.
Quelqu’un pourra avoir encore un petit scrupule dans la
séparation du règne animal et du végétal, de ce que, dans la distillation des
animaux et des végétaux, il passe au bain-marie, par l’alembic, une huile
subtile avec l’esprit volatil, et que je n’en ai pas fait mention.
Mais j’ai dit ci-dessus que plus une chose est ouverte et
subtilisée, plus elle devient volatile. Qu’est-ce qu’un esprit ardent, sinon
une huile extrêmement étendue, ou un salpêtre extrêmement volatilisé, et résous
en une semence de nitre ardent ? N’ai-je pas prouvé, jusqu’à ennuyer, que le volatil
et le fixe, l’acide et l’alkali ne sont aucunement distincts, à raison de leur
essence, mais seulement par accident, suivant que l’un ou l’autre a été rendu
plus volatil ou plus fixe ? C’est par rapport à ces formes accidentelles qu’on
leur donne une dénomination distincte, et non relativement à leur matière, à
raison de laquelle ils sont tous une même chose et universels.
On ne doit sur cela se faire aucun scrupule. Quand même l’huile
volatile monteroit dès le commencement, il n’y a qu’à la jetter de nouveau dans
la conjonction, sur la partie fixe, pour la rectifier par son moyen et pour la
coaguler. Des scrupules de cette nature ont empêché plus d’un Artiste de
pénétrer jusqu’au centre; parce qu’ils se sont imaginés qu’il falloit
nécessairement que ce fût un hétérogène, ou une partie rejettée par la Nature
même. De cette manière ils ont rejetté le meilleur et ont gardé dans leur main
la boue, comme font les distillateurs d’eau-de-vie, qui retiennent
l’esprit-de-vin et qui donnent les parties restantes, qui sont les meilleures
et en plus grande quantité, à manger aux cochons. Mais moi je vous dis que tout
ce que la Nature a composé, poison ou thériaque, est bon; car l’Artiste peut toujours
faire du poison une thériaque; il ne s’agit que de le mûrir et de le fixer.
Tout le monde sçait que les poisons minéraux, végétaux ou
animaux sont, presque tous, volatils, cruds et non mûrs, et que, lorsqu’ils
sont fixés, ils ne sont plus poisons mais un antidote et un préservatif contre
le poison. Par conséquent, si la Nature a commencé quelque chose et qu’elle
l’ait laissée imparfaite, il faut que l’homme achève de la perfectionner, pour
avoir occasion de contempler et d’admirer les ouvrages de Dieu qui sont si
divers et si merveilleux, et pour le remercier de lui avoir donné la faculté de
les connoître et de s’élever par eux jusqu’à leur auteur. Finissons par-là ce chapitre,
et tournons-nous vers le règne minéral, qui est le principal objet des recherches
des Chymistes.
CHAPITRE IX
De l’analyse des
minéraux.
Ce règne, suivant l’apparence extérieure, est tout différent
du règne animal et du végétal, quoique, intérieurement, ils soient la même
chose. Toute leur différence ne consiste qu’en ce que les minéraux sont
fermentés, digérés, coagulés et fixés plus fortement et plus long-tems, et
qu’ayant chassé hors d’eux, par un degré de chaleur plus fort, l’eau recolacée
ou l’humidité superflue, avec la semence volatile et les esprits volatils, ils
sont d’une nature plus sèche et plus pierreuse.
Les végétaux et les animaux sont nés de la semence volatile
universelle, comme je l’ai dit ci-dessus. Par cette même semence volatile, ils
sont réduits et régénérés en leur première matière; mais les minéraux ont pris
leur origine des parties plus fixes du sperme universel, c’est-à-dire du salpêtre
et du sel, et spécialement des vapeurs spiritueuses corrosives de ces deux,
fortement fermentés; en un mot, de l’esprit de nitre et de celui du sel, mêlés
ensemble, qui attaquent avec violence la terre changée en pierre, la corrodent,
la résolvent, et en font un guhr vitriolique ou alumineux.
Ainsi, comme les minéraux sont nés du sperme universel plus
fixe et plus spiritueux, il faut aussi que, par la semence ou par l’esprit de
nitre ou du sel, chacun se résolve et se réduise, suivant son degré, en un sel
essentiel ou vitriol, et celui-ci en vapeurs ou en une eau corrosive, suivant l’axiome:
Ex quo aliquid fit, in illud rursus
resolvitur; et per quod aliquid fit, per illud ipsum resolvi necesse est.
Ce règne a aussi, comme les autres, des sujets plus ou moins
fixes, c’est-à-dire un vitriol, un alun, un soufre volatil et fixe, un arsenic,
une marcassite et la pierre métallique, etc. Par cette raison, il faut aussi
conformer le degré de résolution au degré de fixation, et afin de ne pas s’y
tromper, il faut prendre les sujets tels que la Nature les donne, et qui
n’aient pas encore été travaillés par l’Art; car ceux qui ont passé par la main
des hommes sont beaucoup altérés par le feu, par toutes sortes d’additions, et
par la diminution de la chose qu’on emploie pour faire rétrograder ces sujets à
leur première origine.
La règle fondamentale de cette analyse, est que le salpêtre
ou ses esprits n’attaquent pas aussi fortement les minéraux alkalisés ou fixés,
que ceux qui sont encore remplis d’acides; au contraire, tous les acides
abhorrent le sel et ses esprits. En voici la raison. Si l’acide est joint à un
sujet alkalisé, ou il s’y tue et ne l’attaque point du tout, ou il s’y fixe au
lieu de le résoudre. De même, si l’on joint un sujet ou un menstrue alkalin à
un acide, il s’y tue également et ne l’attaque point non plus, ou s’y fixe, au
lieu de le résoudre. Au contraire, un semblable résout son semblable, c’est-à-dire
un acide résout un acide, et un alkali résout l’autre; mais ce que la Nature a
conjoint et uni ensemble d’une manière hermaphrodite (c’est-à-dire où la Nature
n’a pas encore assez travaillé, fixé, alkalisé, et où l’alkali est commencé
mais où il est comme en équilibre avec l’acide), l’acide, aussi bien que l’alkali
s’y rassasient tous deux, comme nous le montrerons dans la suite.
Or, j’ai dit que l’esprit de nitre et de sel sont des
menstrues universels, ou les semences du monde les plus fixes, qui ne
s’unissent pas seulement aux minéraux, mais aussi aux animaux fixes et aux végétaux.
Si on considère bien ce point et qu’on y fasse réflexion, on approchera plus
près du but, pour opérer bien des choses, sans cela très-longues et très-ennuyeuses.
J’ai dit encore que lorsque l’esprit spécifié, individué,
n’a pas par lui-même d’humidité superflue, pour être réduit en sa première
matière, il doit être réveillé par addition de l’esprit universel, pour pouvoir
agir sur son propre sujet; sur-tout les minéraux qui, presque tous, sont des
corps plus secs et qui ont chassé hors d’eux en plus grande partie leur
humidité superflue. De tels et de semblables corps secs doivent (à cause qu’ils
manquent de suffisante quantité de leur propre humidité, ou de l’acide
vitriolique ou alumineux) être aidés par l’acide ou par l’alkali universel, par
le moyen desquels l’esprit vitriolique ou alumineux, qui y est implanté, puisse
être réveillé et excité à agir sur son propre corps, et le réduire en sa
première matière.
Tous les Physiciens connoissent très-bien que, dans la
nature minérale, on trouve véritablement toutes sortes de sucs, de liqueurs et
d’eaux, qui sont propres à résoudre divers sujets, comme par exemple le
pétrole, le naphte, les eaux alumineuses, salines et nitreuses, l’eau de
vitriol, les bains sulfureux, etc. Mais comme toutes ces choses, dans l’état où
elles sont, sont beaucoup trop foibles pour attaquer un métal ou une pierre
fixée véritablement, et qu’elles sont encore bien moins capables de les réduire
en leur première matière, il faut que nous fassions attention à la véritable origine
et aux principes de tous les métaux et minéraux, et comment ils se spécifient
par diverses digestions, c’est-à-dire comment le sperme universel, qui est
l’esprit du nitre et du sel, se change dans les entrailles des montagnes en y
résolvant la terre en un guhr vitriolique et alumineux, dont ensuite, par un
degré de chaleur interne varié, il naît différens sujets.
Ainsi, puisque la première matière des minéraux est un acide
vitriolique ou alumineux, il faut aussi que nous nous en servions comme d’un
moyen principal, pour faire rétrograder les minéraux et les métaux à leur
premier principe, en les réduisant d’abord en une semblable substance
vitriolique et alumineuse, qui ensuite, par une réduction ultérieure, doit
devenir une vapeur corrosive minérale.
Alors seulement elle touche, avec sa racine, à la nature
minérale, avec sa tête, à la nature végétale, et elle peut être changée avec
les végétaux, et par les végétaux, en végétal, et finalement par l’animal en
animal, ou bien avec les minéraux et par les minéraux, en minéral ou en un
métal régénéré. Un Amateur verra encore par-là que la Nature ou l’Art passent
toujours per media mediata homogenea,
d’un principe à l’autre; ce qu’il doit considérer avec soin.
Quelqu’un pourra me dire: si vous n’avez point d’autre
menstrue à nous indiquer que l’esprit de nitre et de sel, l’esprit ou l’huile
de vitriol, de soufre et d’alun, il n’étoit pas nécessaire de barbouiller du
papier pour cela. Tout le monde les connoît; et on les a abandonnés depuis long-tems,
comme étant des corrosifs très-pernicieux.
Je réponds qu’on ne les a abandonnés que parce que l’on n’a
pas su en faire usage. Il ne s’agit cependant que de faire rétrograder les
minéraux, de la même manière qu’ils ont avancé dans leur formation, ou de
réduire le fixe en volatil, par les milieux convenables.
Considérez donc (je ne sçaurois trop vous le répéter) de
quoi et comment la Nature engendre les minéraux. Vous verrez qu’elle fixe, par
la terre, les vapeurs corrosives spiritueuses du nitre et du sel; qu’elle
dessèche leur humidité et que, plus il s’en dissipe, plus les minéraux se
coagulent et se fixent; qu’ainsi, puisqu’ils sont arides et desséchés, il faut
leur donner une humidité homogène et surabondante, afin de réveiller de nouveau
le sperme fixé et spiritueux qui y est renfermé et lié, et de les réduire en ce
qu’ils étoient dans leur origine, c’est-à-dire en un guhr vitriolique et
alumineux.
Que vous dirai-je donc maintenant, à vous qui abhorrez les
menstrues corrosifs que je recommande et que je conseille ? Vous cherchez
l’alkaest, et vous voulez qu’il soit doux et sans aucun corrosif ? Vous savez
cependant qu’il est appelé vinaigre très-aigre, acetum acerrimum. Vous savez aussi que les Philosophes, lorsqu’ils
veulent résoudre quelque sujet par l’alkaest, y ajoutent de l’esprit-de-vin; et
vous dites vous-même que c’est parce que l’esprit-de-vin adoucit les corrosifs.
Raisonnez donc plus conséquemment: apprenez la manière d’appliquer les corrosifs,
et sçachez qu’en les rejettant, vous rejettez la clef principale de toute
forteresse.
En traitant de l’analyse des animaux et des végétaux, nous
avons dit qu’il falloit prendre, pour les résoudre, leur propre suc, lorsqu’ils
en contenoient suffisamment, ou bien à son défaut, l’eau chaotique ou l’eau de
pluie putréfiée. L’on doit en faire de même à l’égard des minéraux. Lorsque l’humide
minéral manque, ou qu’on ne peut l’avoir en suffisante quantité, il faut avoir
recours à l’humide universel, afin de fortifier, de réveiller par lui l’humide
universel vitriolique ou alumineux coagulé, et de l’exciter à agir et à rompre
ses liens.
Mais comme les minéraux sont des corps fixes très-coagulés
et très-desséchés, ils demandent aussi un menstrue plus actif et plus pénétrant
que les animaux et les végétaux; et par cette raison, nous prenons la semence
universelle plus fixe, c’est-à-dire l’esprit de nitre et de sel. Ce que le
salpêtre ne peut pas opérer, le sel le fait, ou tous les deux ensemble.
Quoique l’on ne doive employer ces spermes universels que
dans le cas où l’humide minéral seroit en trop petite quantité, ou trop foible,
il faut toujours avoir la précaution de faire une bonne quantité d’esprit de
vitriol et d’alun; parce qu’ils sont un humide minéral, propre pour tous les
astres rouges et blancs. Les Anciens ont, sagement et avec raison, placé le
salpêtre à côté du vitriol, pour acuer le vitriol par le salpêtre, afin de
pénétrer mieux les sujets minéraux; et ils o n t tiré du salpêtre et du
vitriol, par la distillation, un menstrue universel pour le règne minéral. Mais
comme depuis, par une longue ignorance, on n’a pas su la bien appliquer, on
s’en est servi seulement comme d’une eau à séparer, sans sçavoir l’employer à
d’autres usages; quoique les métaux, par une longue digestion, y deviennent
toujours plus volatils et qu’enfin leur teinture passe, en bonne partie, par la
distillation; c’est à quoi on n’a fait nulle attention. On l’a rejetté comme
inutile, par la seule raison qu’il est un corrosif. Ce qui a induit en erreur,
c’est que dans les corrosifs il se précipite toujours quelque chose du métal,
en une poudre terrestre. En second lieu, que les métaux dissous dans les
corrosifs, reprennent facilement leur première forme par le moyen des
précipitans. On en a conclu que les corrosifs n’étoient point homogènes au
règne minéral, et cela a empêché de comprendre que ce règne fût corrosif dans
son origine. Mais la raison de ces effets est que les métaux, quoique résous et
disposés à la volatilisation par les corrosifs, cherchent toujours à devenir
terrestres; et si l’on sçavoit quelle est la chose qui peut conserver les
métaux toujours volatils et doux dans le liquide, nonobstant tous les
précipitans qu’on y verse, on verroit que les métaux ne produiroient jamais une
forme métallique, mais qu’ils s’uniroient plutôt avec le précipitant, et formeroient
un tiers être.
On devoit bien s’appercevoir que cette chose ne se trouve
pas dans le règne minéral; qu’il faut la chercher ailleurs et observer que, par
cette chose, les minéraux parviennent à une altération plus noble et convenable
non-seulement à la nature minérale, mais à celle des végétaux et des animaux; en
sorte qu’ils peuvent s’en servir sans aucun dommage. Ne voit-on pas que les
esprits des végétaux, leurs eaux, leurs huiles et leurs vinaigres restent plus
long-tems et plus constamment volatils que ceux des minéraux; et que ceux des
animaux aiment encore plus la volatilité, quoique toutes choses aient une
tendance naturelle à devenir terrestres, comme étant le lieu de leur repos, hors
lequel elles sont toujours en mouvement. Car on voit que tous les vinaigres se
dessèchent et deviennent terre; toutes les huiles se changent en nature de
gomme épaisse, et toutes les eaux déposent une terre. Pourvu que l’esprit-de-vin
rectifié trouve seulement un sujet auquel il puisse s’attacher, il devient
terrestre aussi bien que les autres. Le but unique de tout l’Art de la Chymie médicinale,
dans le règne minéral, est que le minéral soit réduit par ses propres
humidités; qu’ensuite, comme il conserve, par cette réduction, une nature
corrosive, hétérogène à la nature végétale et animale, cette nature corrosive
soit corrigée, dulcifiée et transmuée en une nature végétale, et de-là en une
nature animale.
On a décrit une infinité de menstrues et de dissolvans
radicaux. Chacun a cru le sien le meilleur; cependant tous en ont obtenu très-peu
d’effets. Au lieu que, s’ils eussent bien examiné la nature des choses, ils auroient
eu beaucoup moins de chemin à faire; puisque non-seulement ils ont fait souvent
eux-mêmes de tels menstrues radicaux, mais encore qu’ils ont trouvé à les
acheter tout faits: il ne s’agissoit que de sçavoir les employer.
On fait ordinairement un menstrue qu’on appelle vulgairement
eau-forte ou eau régale, de deux parties de vitriol et d’une ou de deux parties
de salpêtre. Après qu’on a calciné le vitriol, on le mêle avec le salpêtre crud,
et on en distille une eau-forte qui fait le même effet, de quelque manière
qu’on la compose; mais ce n’est pas là la bonne méthode; en voici la raison.
Lorsque le salpêtre est joint au vitriol, dans la chaleur, le vitriol qui a un
soufre brûlant, est contraire au salpêtre, et il en chasse promptement son
esprit avant qu’il ait pu bien attaquer et résoudre le vitriol. De cette manière
l’esprit de nitre passe dans le récipient et emporte avec lui une petite partie
de soufre vitriolique le plus volatil, dont même l’eau-forte retient l’odeur
fétide (comme on le voit en comparant l’odeur de l’eau-forte avec celle de
l’esprit de nitre, distillé avec la terre grasse), et ce qui reste est du
vitriol fixé, autant que le salpêtre et le feu l’ont pu faire; parce que le
nitre tourmenté et fluant au feu a été plutôt fixé que résous.
La véritable méthode est celle-ci. Faites une eau-forte distillée,
à la manière ordinaire, ou un esprit de nitre distillé avec de la terre grasse.
Prenez-en une livre: versez-la sur une livre de vitriol pur, et calciné à
blancheur: mettez-les dans une retorte et distillez-en l’eau-forte au sable,
par degrés lents, et seulement jusqu’au troisième degré, afin que le vitriol ne
s’y calcine point. Car si vous distillez l’eau-forte violemment sur du vitriol,
vous fixerez plutôt le vitriol que de le résoudre. Lorsque l’eau-forte sera
passée, ajoutez-y encore une livre de nouvelle eau-forte, et versez le tout sur
le vitriol resté dans la retorte: faites-le dissoudre et digérer ensemble, un
jour et une nuit: distillez ensuite lentement et seulement jusqu’à la troisième
partie; le vitriol sera au fond, comme du beurre, et gras comme une huile. Il
est alors un guhr minéral régénéré et spiritualisé, qu’il faut réduire en une
vapeur liquoreuse si l’on veut qu’il puisse résoudre les choses de sa nature.
Reprenez l’eau-forte qui est passée: ajoutez-y encore une
livre de nouvelle eau-forte, de manière qu’il y ait en tout trois livres
d’eau-forte jointe à une livre de vitriol: reversez-la encore sur le vitriol:
faites-le résoudre et digérer de nouveau, un jour et une nuit: distillez
ensuite de même lentement par degrés, et vous verrez passer avec l’eau-forte la
plus grande partie du vitriol très spiritualisé; il faut recohober jusqu’à ce
qu’il passe entièrement et qu’il ne reste plus rien au fond de la retorte:
alors on le fera encore passer, sans addition, une, deux ou trois fois; et par
ce moyen l’on aura le véritable menstrue radical, propre pour réduire tous les
astres rouges en leur première matière et pour les rendre semblables à lui.
Vous pourrez faire le même procédé si vous voulez, avec l’esprit-de-sel; mais
il n’est pas nécessaire; puisque le précédent résout tous les sujets acides et alkalins,
comme vous le verrez encore par l’expérience.
Si l’on veut faire une différence entre les astres rouge et
les astres blancs, quoique cela ne soit nullement nécessaire, il faut prendre
le menstrue de vitriol pour les astres rouges, et le menstrue d’alun pour les
astres blancs. Le menstrue d’alun se fait de la même manière que celui de
vitriol, avec de l’eau-forte ou de l’esprit de nitre. Voici une manipulation
que je publie, que la plupart ont passé sous silence et dont ils n’ont eu
aucune connoissance: je ne la donne qu’en petit, mais un Artiste instruit et
intelligent sçaura bien tirer des inductions du petit au grand; je ne sçaurois
l’aider davantage. Je lui donne une règle pour volatiliser les choses fixes.
S’il comprend bien mes raisons, qu’il en garde le secret; car beaucoup de ceux
qui liront ceci y trouveront de grandes difficultés qu’ils ne sçauront point
surmonter, quoique la chose soit très-manifeste et que la porte soit ouverte pour
entrer: apertâ jam portâ, intra in
conclave, amice. Faites attention que je viens de vous donner la clef pour
ouvrir toutes les serrures; mais une serrure n’est pas faite comme l’autre, et
quoiqu’il faille les ouvrir par une même méthode, on ne laissera pas d’être
souvent arrêté et obligé de faire plusieurs essais; en sorte que plus d’un
pensera que cette clef n’est pas faite véritablement pour toutes les serrures.
C’est pourquoi je veux bien encore enseigner la manière de faire usage de cette
clef, et pour mieux me faire entendre, j’expliquerai d’abord quels sont les
sujets alkalisés, les sujets acides, et ceux qui tiennent le milieu entre les
uns et les autres.
Parmi les sujets alkalisés, je comprends tous les soufres
minéraux embryonnés et les soufres métalliques fixes au suprême degré, tels que
sont les minières du Soleil, de Mars, de Jupiter, le talc, l’hémeril,
l’hématite et beaucoup d’autres choses pareilles, mais qui ne sont pas si
connues, et dans lesquelles la Nature a réverbéré fortement l’acide, ou l’a
coagulé, fixé et alkalisé. Ainsi, toutes ces choses, sans un être alkalin,
rétrogradent difficilement en leur première Nature.
Parmi les sujets acides, je comprends tous ceux dans
lesquels l’acide domine et qu’il résout facilement, parce qu’ils ne sont pas
encore assez fixés pour être alkalisés. Tels sont le Saturne, la Lune, le
bismuth et autres soufres blancs et arsenicaux, qui font connoître d’eux-mêmes,
dans les dissolvans, de quelle qualité ils sont, comme je l’ai enseigné dans le
chapitre de la génération des minéraux. Tenez donc pour acide tout ce que
l’acide peut attaquer, et pour alkalin tout ce que l’alkali peut attaquer; et
tout ce qui attaque indifféremment l’un et l’autre, regardez-le comme tenant de
la nature de tous les deux.
Parmi le nombre de ces choses hermaphrodites, vous pouvez
compter toutes les minières et tous les métaux dans lesquels l’acide a commencé
à se fixer et qui, par une digestion trop foible, est resté dans un état
mitoyen. Tels sont la Vénus, le Mars, le Mercure, etc., car on peut résoudre de
tels sujets aussi bien par un esprit acide que par un esprit alkalin, soit
séparés, soit unis.
Il ne faut pourtant pas prendre cette distinction si fort à
la lettre, par rapport au menstrue mentionné ci-dessus; car si on veut traiter
de tels sujets, par les menstrues universels seulement, comme par l’eau-forte
ou par l’esprit de nitre ou de sel, ils peuvent souffrir, dans l’un ou dans
l’autre sujet, quelque retardement à cause de la subtile ubiquité desdits
esprits. Mais si on les spécifie avec leur propre acide minéral vitriolique ou
alumineux, alors on est dispensé de faire cette attention.
Nous diviserons donc les sujets suivant le menstrue rouge ou
blanc, c’est-à-dire de vitriol ou d’alun, en minières métalliques rouges et
blanches, de Saturne, de Jupiter, de Mars, de Soleil, de Vénus, de Lune; et
ensuite en minières marcassitiques, de mercure, d’antimoine, de bismuth, de zinc,
et en toutes sortes d’autres marcassites de Soleil, de Lune, de Vénus, de
Saturne et de Mercure; et ensuite en soufres fixes embryonnés, à sçavoir
l’hématite, l’hémeril, le bolus, la sanguine, l’aimant, l’alun de plume, la
calamine, la tutie, etc., puis encore en soufres volatils embryonnés qui sont
dans l’antimoine, dans le bismuth, dans l’arsenic, dans le vitriol, dans les
rivières de soufre et dans toutes sortes de marcassites volatiles et autres
minières.
Nous enseignerons en général la manière de résoudre ces
quatre espèces, et de les exalter en quintessence.
Prenez donc une minière, laquelle vous voudrez; et après
l’avoir pulvérisée, faites-la rougir dans un creuset par un feu plus ou moins
fort, suivant sa fixité. Lorsqu’elle est rougie, aspergez-la avec une quantité
de soufre commun; remuez bien le tout ensemble avec un fil de fer, jusqu’à ce
que le soufre soit tout-à-fait brûlé; alors la minière est préparée à pouvoir
être dissoute dans le menstrue.
Si vous voulez la préparer encore mieux, après l’avoir bien
pulvérisée et avant que de la faire rougir, vous la laverez sur le drap pour
séparer la pierre de la partie métallique.
Prenez ensuite de cette minière ainsi préparée une partie;
mettez-la dans un alembic; versez dessus trois parties du menstrue susdit, fait
de vitriol pour les rouges, et d’alun pour les blancs; digérez au feu de cendres;
versez doucement, par inclination, ce qui est clair et résous; et sur ce qui ne
l’est pas, versez-y encore le triple de son poids de menstrue, et faites
digérer jusqu’à ce que tout soit résous et devenu en liqueur claire. Alors la
minière est dans son premier état; car si vous distillez cette liqueur au sable
par la retorte ou par l’alembic, jusqu’à la troisième partie, que vous laissiez
refroidir le résidu et que vous le mettiez à la cave afin qu’il se crystallise,
vous aurez un vitriol et materiam primam
illius minerae renatam. Si vous résolvez encore ce vitriol dans trois
parties de menstrue nouveau, que vous le distilliez et cohobiez par la retorte
jusqu’à ce que tout soit passé, vous aurez une liqueur vaporeuse et primordiale
qui ne peut être rétrogradée sans altération; car dès que vous voudrez la faire
rétrograder davantage, il arrive une transmutation et une spécification en une
autre chose, soit en un végétal, soit en un animal, soit en un universel ; mais
tant qu’elle reste vapeur corrosive, elle est dans l’état primordial des
minéraux; elle touche avec la racine au règne minéral, et avec la tête au règne
végétal; et dans cette situation, elle peut très-facilement être transmuée par
le végétal en animal. Vous avez ici le minéral entier avec tous ses principes;
car il n’a perdu ni son soufre, ni son arsenic, ni sa marcassite, comme les
métaux affinés les ont perdus dans la fonte; et tous ses esprits vitaux et
nutritifs ont été conservés.
Si vous voulez coaguler et fixer cette liqueur ou huile minérale,
il faut la cuire et digérer au bain-marie pendant trois jours et trois nuits,
dans une cucurbite basse, avec son chapiteau et récipient, et en distiller
l’humidité superflue. Lorsque rien ne veut plus monter, remettez au cendres;
distillez doucement tout le phlegme ou l’esprit foible: mettez le résidu dans
une phiole et faites-le coaguler aux cendres; il en proviendra une pierre
saline plus fluide au feu que l’huile, et qui à l’air se congèlera comme la
glace. Il n’est pas besoin de boucher votre phiole, car rien ne monte. De cette
manière, vous aurez la quintessence minérale, mais toute corrosive et nuisible
à la nature humaine; car dans cet état, elle est encore minérale. Pour la
rendre utile aux hommes, il faut la transmuer en végétal ou en animal, par les
végétaux et les animaux; car les végétaux et les animaux sont la nourriture de
l’homme, et non les minéraux. Pour ce qui regarde les minéraux, qui ont passé
par le feu, comme le soufre commun, l’antimoine fondu, le bismuth, l’or fin, le
cuivre, l’étain, le plomb, il faut que nous les fassions rétrograder par des
principes homogènes et que nous ajoutions ce que nous avons ôté par le feu. Or
on a ôté à l’antimoine crud sa matrice pierreuse et son esprit acide sulfureux
et arsenical, par le moyen duquel l’antimoine auroit pu être réduit plus
facilement en sa première nature, en l’aidant avec l’acide universel ou minéral
vitriolique Le soufre commun, fait de la minière de soufre; est privé de son
esprit, de son huile sulfureuse et de son essence cuivreuse, dont, par la
lexiviation, on tire le vitriol. L’or et l’argent et tous les autres métaux
sont privés de parties semblables.
Voici la manière de préparer chaque métal et chaque minéral
et de lui rendre ses principes qui lui ont été ôtés. L’or se calcine avec le
soufre, l’arsenic et l’antimoine; et la chaux, qui en est faite, se résout
facilement avec ledit menstrue. L’argent, le cuivre, le plomb et le fer, de
même que la minière d’étain se calcinent avec le soufre et se résolvent avec le
même menstrue, comme aussi le mercure sublimé avec du soufre et du sel commun.
Le vitriol s’y résout également. L’antimoine, bien mêlé avec le soufre au feu
jusqu’à ce que le soufre soit brûlé, se résout aussi dans le même menstrue.
Quant au soufre, comme il contient une huile sèche et
qu’aucune huile ne s’unit facilement avec un sel ou un menstrue salin, la
Nature nous a montré un menstrue propre et homogène, à sçavoir le pétrole, qui
est un soufre résous fluant avec lequel il faut le cuire en un foie odorant,
qui ne sent pas si mauvais que celui qui est fait avec l’huile de navette, de
lin ou d’olive; ensuite ce foie se résout en un sel ou en une liqueur
vitriolique.
Après que le Lecteur aura de la manière susdite réduit tous
les métaux et minéraux en un vitriol, et celui-ci en liqueur, et qu’il aura
coagulé cette liqueur en sel ou en une pierre saline, tout est préparé et rendu
propre à la transmutation végétale et animale, comme nous le dirons ci-après.
J’ai bien dit, à la vérité, que la qualité corrosive est
attachée naturellement au règne minéral, et qu’elle est contraire et hétérogène
au règne végétal, quoique moins cependant qu’au règne animal. J’ai aussi dit
qu’un corrosif ne sçauroit être utile à l’homme, mais qu’il lui est plutôt un
poison. L’Artiste doit sçavoir changer ce poison en antidote ou contrepoison;
et cela ne se peut faire que par la dulcification.
Cette dulcification est un grand secret dont il n’est fait
mention nulle part. Les Chymistes vulgaires tempèrent bien les corrosifs avec
l’esprit-de-vin, mais c’est sans les changer de nature; au lieu que les vrais Chymistes
sçavent les rendre, par une véritable transmutation, parfaitement homogènes à
la nature végétale et à la nature animale. Nous allons en découvrir sincèrement
le procédé et, pour le faire mieux comprendre, nous mettrons ici sous les yeux
du Lecteur un arbre de dulcification et d’harmonie, qui indiquera l’ordre dans
lequel l’animal doit être uni au végétal, et celui-ci, ou tous les deux, au
minéral.
CHAPITRE X
Arbre de
dulcification.
Afin que le Lecteur soit persuadé que, dans tout ce que je
fais, je cherche à me conformer aux loix fondamentales de la Nature, et que je
l’imite scrupuleusement dans ses procédés, il n’a qu’à considérer comment elle
dulcifie elle-même les minéraux et les rend homogènes à la nature humaine et à
la végétale. D’abord les vapeurs minérales corrosives, qui s’élèvent du centre
de la terre, déposent dans ses entrailles leur plus fort corrosif qui y attaque
les pierres et la terre, les corrode, les résout et les coagule; car il n’y a
point de distillateurs qui ne sçachent que les esprits minéraux corrosifs ne
montent jamais si haut que les vapeurs douces, végétales et animales; puisqu’on
est obligé, pour les faire passer, de se servir d’un vase plus bas tel que la retorte,
et d’un plus grand degré de feu.
Lorsque le corrosif le plus fort a été déposé dans la terre,
les vapeurs poussées par la chaleur centrale montent plus haut, jusqu’aux
végétaux; et ce qu’elles ont encore de mordicant est pris, sucé, attiré par leurs
racines, et est transmué en leur nature. Ce que le règne végétal n’a point
retenu avec moi, monte encore plus haut dans la région inférieure de l’air,
jusqu’au règne animal où les animaux attirent à eux, par la respiration, ces
vapeurs alors adoucies, les transmuent en leur nourriture, et finalement en
leur nature animale spécifiée. C’est en quoi consiste l’arbre de dulcification.
Ainsi la Nature ne saute pas tout d’un coup du règne minéral
au règne animal; mais elle passe par le règne végétal, et il faut qu’un minéral
soit changé en végétal pour que les animaux puissent s’en servir pour leur
nourriture. La Nature descend de même par degrés du règne animal au minéral. Elle
pourrit d’abord les animaux à la superficie de la terre, et les réduit en un
sel essentiel nitreux, dont elle se sert pour donner l’accroissement aux
végétaux; mais l’eau entraîne une partie de ce sel par les fentes et crevasses
de la terre jusqu’à son centre, où, trouvant une plus grande quantité de sels
déjà fermentés et minéralisés, il est transmué en leur nature. Car, comme nous
l’avons déjà dit, il ne peut point se faire de changemens d’une nature en une
autre, à moins que celle-ci n’excède en quantité. Si deux ennemis, d’égale
force, luttent l’un contre l’autre, aucun d’eux ne remporte la victoire; mais
si l’un est supérieur à l’autre, il faut que le plus foible succombe. Il en est
de même des différentes natures; et nous devons consulter cette règle pour la
dulcification. Je n’entends pas que, pour adoucir un corrosif, il faille le
noyer dans une grande quantité de quelque liqueur végétale; la Nature a ses
poids et mesures, auxquels l’Artiste doit se conformer, et il n’aura pas de peine
à les connoître. Car si une chose a trop de dulcifiant, elle en laisse séparer
le superflu par la distillation, et si elle en a trop peu, il est facile d’en
juger par le goût.
Je dis donc: si vous voulez parvenir à une véritable
dulcification des minéraux, c’est-à-dire les rendre homogènes au règne végétal
et au règne animal, procédez comme la Nature: n’allez point d’un extrême à
l’autre sans passer par le milieu; mais faites avancer les minéraux vers
l’animalité, par les végétaux.
Si vous mettez ensemble les trois volatils ou les trois
acides des trois règnes, ils combattront, comme deux feux; au lieu que si, en
suivant l’ordre de la Nature, vous mettez d’abord le volatil animal avec le
volatil végétal, la conjonction s’en fera sans répugnance. Après cela,
joignez-y le volatil minéral; alors, si vous les distillez, ils monteront
inséparablement ensemble, où ils resteront tous trois en arrière.
Prenez de l’esprit volatil d’urine et de l’esprit-de-vin,
parties égales: versez-les l’un dans l’autre: ajoutez-y ensuite le phlegme
acide de vitriol; ils s’uniront sans répugnance. Prenez même de l’acide animal
et de l’acide végétal, de chacun une partie: mêlez-les ensemble: ajoutez-y une
partie de l’esprit de vitriol; ils s’uniront encore très-facilement; car le végétal
est le copulateur qui s’associe et s’assimile aussi bien au règne animal qu’au
règne minéral.
Mais pour ne vous rien laisser à désirer, je vais vous
apprendre à extraire ces différens principes.
Prenez de l’urine putréfiée: distillez au bain-marie son
esprit volatil: rectifiez-le dans une fiole: séparez-en le phlegme le plus
grossier, jusqu’à ce qu’il devienne très clair et crystallin; et gardez-le à
part; vous aurez le volatil d’urine préparé.
Distillez encore les résidus au bain-marie jusqu’à une
liqueur de l’épaisseur du miel; le phlegme plus grossier en sera séparé: ôtez
ce phlegme: mêlez ce qui reste avec des cendres lessivées, jusqu’à rendre la
masse presque sèche, et que vous puissiez la mettre en boulettes: mettez-la
ensuite dans une retorte, et distillez-en au sable tout ce qui peut passer;
vous aurez l’acide animal avec une huile fétide: séparez l’huile per tritorium ou par un entonnoir de
verre: filtrez l’acide et le sel volatil qui est monté avec lui: distillez-le
encore une fois très-doucement par la retorte, et il sera aussi préparé.
Prenez d’un bon vin vieux: tirez-en l’esprit-de-vin à
l’épreuve de la poudre, et il sera aussi préparé comme il est enseigné dans
plusieurs livres. Après que vous aurez distillé, par l’alembic, votre esprit-de-vin,
prenez ce qui reste, et faites-le évaporer dans un vase de cuivre jusqu’à
consistance mielleuse ou jusqu’à ce qu’il monte au nez une vapeur aigre. Prenez
cette liqueur acide: mêlez-la avec de la poussière de charbon, ou avec des
cendres lessivées, et distillez par la retorte; il passera au commencement un
phlegme assez grossier, ensuite l’acide du vin et enfin, une huile fétide: séparez
l’huile de l’acide per tritorium ou
par un entonnoir: rectifiez l’acide du phlegme, deux ou trois fois, et il sera
aussi préparé.
De cette manière, vous aurez préparé tout ce qui est
nécessaire pour la dulcification de tous les corrosifs, et vous expérimenterez
que cette façon de dulcifier est aussi éloignée de celle dont on use ordinairement
que le ciel l’est de la terre. Je ne veux pas en faire l’éloge; la pratique le
fera assez.
Méthode pour dulcifier
Prenez donc de l’esprit-de-vin et de l’esprit volatil
d’urine, parties égales: mettez-les ensemble dans une cucurbite haute:
distillez au bain-marie et aux cendres, jusqu’à ce qu’il ne reste plus en
arrière qu’un phlegme assez grossier et sans esprit; et il sera séparé. Prenez
ensuite l’acide d’urine et l’acide de vin: versez-les ensemble dans une
retorte, et distillez-les; ils seront aussi séparés.
Prenez ensuite un corrosif quelconque, soit liquide, soit
sec, une partie, et versez-la sur trois parties de l’acide préparé: mettez-les
au bain-marie et distillez-en, dans un alembic bas, le phlegme jusqu’à la
consistance d’huile. Goûtez cette huile; si elle n’a plus de corrosif, cela
suffit. Si elle en a encore, versez-y de nouveau trois parties d’acide, et
distillez comme la première fois. Vous répéterez la même opération jusqu’à ce
que l’huile restante n’ait plus que de l’acidité; alors versez sur cette huile
trois parties d’esprit-de-vin préparé: distillez au bain-marie jusqu’à
l’oléosité; elle s’adoucira et deviendra plus homogène à la nature humaine.
Versez encore dessus trois parties de nouvel esprit-de-vin, en distillant
toujours de même. Plus vous réitérerez cette opération, plus l’huile deviendra
douce et agréable. Il faut remarquer que l’esprit-de-vin passe, aussi bien que
l’acide, presque toujours foible ou en phlegme; car le sel volatil reste avec
le corrosif, en le dulcifiant; et cela doit être ainsi; sans cela le corrosif
ne se transmueroit point.
Après que vous aurez dulcifié de cette manière votre corrosif,
mettez-le dans une retorte: distillez-en l’huile douce et très-agréable dont
tous les animaux et végétaux pourront prendre sans le moindre danger. Elle est
alors la quintessence et le magistère du minéral dont vous l’avez tiré.
Si vous voulez coaguler cette huile en une pierre saline et
fusible comme du beurre, mettez-la dans un petit alembic haut, avec son
chapiteau et récipient, au bain-marie: distillez-en l’humidité superflue, par
degrés; car la quintessence ne monte pas facilement au bain-marie: mettez-la
ensuite aux cendres, et distillez encore par degrés lents l’humidité qui n’a
pas voulu monter ni passer au bain-marie. Elle s’épaissira de plus en plus,
jusqu’à ce qu’elle flue dans le feu comme une huile, et qu’elle se condense à
l’air comme la glace. Vous l’aurez donc, de cette manière, en liquide et en sec;
remerciez-en Dieu.
Observez encore que, plus votre acide et votre esprit-de-vin
sont forts, plus la dulcification se fait promptement. Or, leur force consiste
en ce que leur eau recolacée, ou leur phlegme, en a été séparé, et qu’ils ont
été concentrés le plus qu’il a été possible.
Vous observerez de plus que, si vous voulez appliquer le
minéral, ou l’essence corrosive minérale seulement à l'oeuvre végétale et non
aux animaux, la dulcification avec l’esprit-de-vin n’est pas nécessaire
(quoiqu’il soit bon de conjoindre l’esprit et l’acide d’urine avec
l’esprit-de-vin et l’acide végétal) et si vous voulez l’appliquer à la nature
minérale, vous n’avez point du tout besoin de dulcification, à moins que vous
ne le vouliez bien. La dulcification, telle que je viens de l’enseigner, sert à
rendre les minéraux convenables à la nature humaine, et propres pour la
guérison des maladies.
Il se présentera des objections en foule. Quelques-uns
diront que ce procédé est contraire à ceux de tous les vrais Philosophes, qui
commandent expressément de séparer de chaque minéral son soufre, son mercure et
son sel, comme leurs principes propres. Au lieu, diront-ils, que je fais, de
chaque minéral, un sel ou un vitriol: de celui-ci une huile corrosive, et que
je fixe de nouveau celle-ci en sel. Où restera donc, diront-ils, le soufre et
le mercure en forme sèche et constante ?
Mon cher Lecteur, qui que vous soyez, si vous cherchez à
suivre la voie qui est décrite dans tous les livres, je vous avouerai
franchement que vous n’avez pas encore bien approfondi la nature des minéraux,
et qu’encore moins avez-vous entendu les Philosophes.
N’avez-vous pas lu dans leurs écrits (quoiqu’il ne soit pas
besoin ici d’une si haute intelligence, car leur voie est une voie plus élevée)
que sal metallorum est lapis
philosophorum et magisterium totius artis. Or, ce sel renferme et cache en
soi le mercure et le soufre. Lorsqu’on en fait une huile, il s’appelle soufre,
et son esprit intérieur actif est le mercure. De cette manière le soufre, le
sel et le mercure sont joints ensemble. Lorsque cette huile est de nouveau
coagulée et fixée en sel (comme en effet elle se coagule d’abord par la lente
abstraction de l’humidité), qu’elle flue constamment dans la chaleur, comme une
huile; que dans le froid elle se condense comme la glace; et qu’elle se fond
dans toutes sortes de liqueurs, comme le sucre se fond dans l’eau, sans aucune
précipitation: alors elle est une médecine, qui guérit toutes les maladies
quelconques.
On pourra encore m’objecter et dire que cette opération est
non-seulement faite avec des corrosifs, mais même que j’y laisse les corrosifs
sans les séparer.
Pour y répondre, je suis obligé d’entrer dans une longue
discussion, et de remonter à l’origine de toutes choses. Considérez donc qu’au
commencement Dieu a créé deux choses, desquelles tout a tiré son origine; à sçavoir
l’esprit ou la semence; et l’eau chaotique universelle, comme corps, réceptacle
et instrument de l’esprit ou de la semence. L’eau est visible et palpable, mais
l’esprit qui y est renfermé est toujours invisible, jusqu’à ce que, par les
degrés de putréfaction, de séparation, de conjonction, de coagulation et de
fixation, qui se suivent les uns les autres, il soit devenu visible, palpable
et corporel, comme nous l’avons indiqué suffisamment ci-dessus.
Or, l’eau est un recolaceum,
et il ne s’en coagule avec la semence qu’autant que celle-ci en a besoin indispensablement
pour prendre un corps. La Nature chasse dehors tout le superflu, par la
violence du feu et de la chaleur. Faites-y bien attention: l’eau recolacée est
un instrument et un réceptacle de l’esprit universel ou de la semence, par le
moyen duquel l’esprit doit faire ses opérations, se fixer et se volatiliser
soi-même et devenir fixe et volatil, céleste ou terrestre. Sans cette eau
l’esprit seroit sec et resteroit sans action, comme endormi ou mort. Tant que
cette eau recolacée est avec l’esprit ou l’esprit avec l’eau, il n’a jamais
aucun repos, et il est toujours excité à agir. C’est ce qu’on voit clairement
dans les animaux et les végétaux, sur-tout dans ceux qui abondent en humidité,
et dans lesquels l’eau recolacée n’est point séparée. Tant que l’animal vit et
que le végétal verdit, l’esprit se répand avec l’eau dans toutes leurs parties,
digère, putréfie, sépare, coagule et répartit ainsi la nourriture pour
l’accroissement et pour la conservation du sujet. Lorsque ce sujet meurt,
l’esprit agit au contraire; et au lieu qu’auparavant il avoit aidé et nourri le
végétal ou l’animal, il commence dans l’instant même que l’animal ou le végétal
a perdu son esprit vivifiant balsamique, à le réduire en pourriture; il le dissout
et le régénère en quelqu’autre chose. Or, il opère tout cela par l’eau, sans laquelle
il ne sçauroit agir, comme il est facile de le prouver.
Lorsque l’on essencifie un sujet et qu’on le coagule jusqu’à
son entière siccité, l’esprit est alors comme s’il étoit mort ou endormi; parce
que l’eau recolacée, qui est son moyen et son instrument, lui a été ôtée. Mais
s’il en retrouve une, soit des universels comme de l’air, de la rosée, de l’eau
de pluie, ou des espèces, ce qui arrive lorsqu’on le donne aux sujets végétaux
ou animaux et qu’on le leur fait prendre comme une médecine, il acquiert alors
de nouveau une humidité superflue, ou un instrument aqueux spécifié, qui
l’excite de nouveau à agir; et dans cet état il guérit ou détruit l’animal ou
le végétal, suivant qu’il est appliqué ou préparé.
Je dis encore que plus l’esprit universel est séparé de son
eau recolacée, plus il devient fixe et concentré; que lorsque cet esprit fixe
et concentré est rendu spiritueux par une chaleur excessive, il devient un feu
et un dragon dévorant, qui détruit tout; que par cette raison, l’esprit de
nitre, l’eau-forte et l’esprit-de-sel ne sont rien qu’un feu corrosif et que,
dans cet état, ils sont contraires à tous les individus, principalement aux
animaux et aux végétaux: mais comme nous avons indiqué des moyens pour apaiser
leur cruauté furieuse, et pour les réduire à une agréable douceur, un Amateur ne
doit pas craindre de les employer. Il doit sçavoir que, si l’esprit ou la
semence n’a pas une telle mordacité, il lui sera impossible de résoudre des
pierres et des métaux. Au reste, si cette voie ne lui plaît pas, qu’il essaie
de résoudre des corps aussi durs avec de l’esprit-de-vin ou d’urine, avec un acide
végétal ou animal, il verra lui-même la différence qu’il y aura, et il
apprendra bien, à la fin, à devenir sage par la pratique.
Je répondrai à présent à l’objection qu’on peut me faire, de
ce que je laisse la semence universelle, ou l’esprit avec l’esprit de nitre, ou
l’eau-forte, etc., c’est-à-dire le dissolvant avec ce qui est dissous. En voici
la raison. Lorsque la semence universelle est conjointe à la semence spécifiée,
et qu’ainsi elle prend la même spécification, la mère est jointe à l’enfant, et
l’enfant tire sa nourriture de la mère, de la substance et du sang de laquelle
il a été formé: rien n’est plus conforme à la Nature.
Tous les universels se rendent homogènes aux espèces, et en
prennent la qualité; de manière que, lorsque l’on concentre l’esprit universel
dans les espèces, leur vertu en est augmentée et exaltée; et plus il est
concentré et acué, plus il opère puissamment, et plus on le donne en petite
dose.
Je n’ai pourtant pas enseigné de donner cet esprit aigu aux
animaux et aux végétaux, avant qu’il ait été dulcifié. Mais prouvez-moi mon
erreur, à le donner après la dulcification. Qui ne veut pas en croire ma
théorie, l’apprendra par la pratique, qui le lui démontrera clair comme le
jour.
J’ajouterai seulement un exemple des plus simples, par
lequel chaque Artiste comprendra dans l’instant le prompt changement de
l’esprit ou de la semence aigüe et corrosive, en une douce.
Prenez de l’esprit de vitriol déphlegmé, ou de l’huile de
vitriol, une partie; versez dessus du vinaigre distillé simplement, six
parties: distillez-le aux cendres jusqu’à l’oléosité; il passera, dans une
cucurbite pas trop basse, au premier ou au deuxième degré de feu, un phlegme
clair ou une eau recolacée: versez-y encore d’autre vinaigre distillé, six
parties: distillez de nouveau jusqu’à l’oléosité, et répétez cette opération
jusqu’à trois fois: goûtez alors l’huile de vitriol sur la langue, et vous
verrez si la mordacité n’a pas été en plus grande partie changée en douceur.
Pour la dulcifier encore davantage, versez dessus de l’esprit-de-vin, six
parties: distillez au bain-marie dans un alembic, jusqu’à l’huile, de même que
vous l’avez fait avec le vinaigre, à l’exception qu’il faut faire la
distillation de l’esprit-de-vin au bain-marie: réitérez de même trois fois
cette opération: l’huile de vitriol, sur-tout si l’acide et l’esprit-de-vin ont
été bien forts, deviendra aussi douce que le sucre, et si douce que tout ce que
vous boirez et mangerez vous paroîtra doux, tant cette huile remplit les pores
de la langue. Ainsi, puisqu’avec l’azoth et l’esprit-de-vin seuls, les
corrosifs se dulcifient jusqu’à ce point, que sera ce lorsque le règne animal y
aura été ajouté ?
Voici encore une objection qu’on formera contre moi, en
disant que je n’établis que deux principes; à sçavoir l’eau recolacée et
l’esprit ou la semence qui y est cachée; que par conséquent, il n’y a autre chose
à séparer que l’eau recolacée: il suit de-là que tout le globe entier de la
terre, toutes les montagnes, toutes les pierres, les rochers, les prairies, les
champs et la terre ne sont qu’un esprit, une semence, un sperme coagulé.
Si quelqu’un ne vouloit pas croire que la masse de la terre
soit toute entière un sperme, qu’il prenne de la terre, en quel endroit et de
laquelle il voudra, la première est la meilleure: qu’il en lessive le sel, afin
que la semence spiritueuse corrosive ne s’y tue point: qu’il la dessèche et
qu’il la fasse rougir un peu au feu; qu’il observe son poids et qu’il verse
dessus de l’esprit de nitre ou de l’eau-forte; et au cas qu’ils ne l’attaquent
point, qu’il y verse de l’esprit-de-sel, jusqu’à ce qu’elle soit entièrement
dissoute: qu’il en distille l’esprit; et il trouvera au fond une terre saline,
blanche et corrosive, laquelle terre a rétrogradé par son premier principe ou
par son esprit primordial, à sa première nature, c’est-à-dire en sel.
Considérez à présent cette terre, si elle est une terre damnée, ou des fèces.
Il faut encore expliquer un point par rapport auquel un
grand nombre de Chymistes sont dans l’erreur. Lorsqu’ils emploient l’eau-
forte, l’eau régale, l’esprit-de-sel, etc., pour résoudre les minéraux, et
qu’ils voient que ces dissolvans, sur-tout l’eau régale, n’agissent pas sur eux
ou n’agissent que très-peu, ils disent qu’ils ne valent rien et qu’ils sont
gâtés, pendant qu’ils les gâtent très-souvent eux-mêmes. Car s’ils veulent
dissoudre le soleil, ils mettent avec l’eau-forte une quatrième partie de sel armoniac
ou d’esprit-de-sel. Si l’eau-forte est bien faite, et qu’elle contienne très-peu
d’eau, elle résout le soleil; mais si elle contient peu d’eau-forte, et trop
d’eau, elle laisse le soleil en son état, ou elle en dissout très-peu. C’est de-là
que résulte le dommage.
Si vous voulez résoudre une minière sulfureuse solaire,
comme la marcassite solaire, une minière aurifique ou du soufre solaire, avec
une eau régale que vous aurez beaucoup fortifiée, elle en résoudra à peine la
huitième partie, quoique auparavant elle ait résous le soleil entièrement.
Quelle peut en être la cause ? C’est celle-ci. L’eau-forte est un acide; et
l’esprit-de-sel ou le sel armoniac est un alkali. Tout le monde sçait que,
lorsque l’acide et l’alkali sont joints ensemble, ils se tuent l’un l’autre, se
précipitent, se dulcifient et se fixent; et qu’ainsi il en résulte un tiers sel
corrosif, qui, dans le liquide, n’a pas la puissance d’attaquer un corps si
dur: et lorsqu’il est coagulé, il fixe plutôt qu’il ne résout. Lors donc qu’une
livre d’eau-forte est foible et qu’il y a beaucoup d’eau, elle se tue, se
précipite et se fixe avec les quatre onces de sel armoniac ou d’esprit-de-sel,
et elle ne les attaque presque point; si elle est forte, elle attaque bien;
mais cependant l’alkali est en trop grande quantité; on en voit la preuve
lorsque, avec elle, on veut dissoudre une marcassite pierreuse. Elle attaque
plus volontiers le soleil, qui est un corps affiné, séparé de toutes les
pierres, de toutes les sulfuréités et de toutes les gangues; mais non la
marcassite ni le gravier, encore qu’on les lave, et qu’on les sépare de la
terre sur le drap avec le plus grand soin; car elles conservent toujours, dans leurs
plus petites parties, un mélange de leurs matrices pierreuses, sur lequel
l’acide se fixe et se tue, aussi bien que sur le soufre des marcassites. Il ne
l’attaque quelquefois point du tout; de manière que dans les extractions et
dans les solutions, on n’en a aucune satisfaction; car plus un corps est
desséché et séparé de toute humidité, moins une humidité y peut agir, à moins
qu’il ne soit réveillé par un humide du même degré, comme par son médium, ainsi
que la pratique le fait connoître.
Prenez une livre d’eau-forte, et quatre onces
d’esprit-de-sel: mêlez- les ensemble: distillez doucement par la retorte, aux
cendres, jusqu’à une assez forte oléosité: mettez-les ensuite à la fraîcheur;
il s’y formera des crystaux. Ceux-ci sont un nitre régénéré; car l’eau-forte
est un acide nitreux, et l’esprit-de-sel un alkali. C’est ainsi que la pointe
de l’acide est rompue, au point de ne pouvoir plus attaquer avec la même force.
Il en est de même du sel armoniac ou du sel commun.
Distillez une livre d’eau-forte, sur quatre onces de sel armoniac ou de sel
commun, par la retorte, au feu de cendres: tirez-en le caput mortuum:
comparez-le avec de nouveau le sel armoniac, en les essayant sur la langue; et
vous trouverez que le sel armoniac a retenu en lui une grande acidité de
l’eau-forte. Or, autant celle-ci a perdu d’acidité sur le sel armoniac, autant
s’est elle affoiblie et débilitée, de sorte qu’elle ne peut plus agir si
vivement.
Pour prouver que l’eau-forte se tue avec la marcassite, vous
n’avez qu’à faire dissoudre la marcassite dans l’eau régale; et lorsqu’elle
n’en dissoudra plus, vous décanterez tout le liquide, jusqu’à la siccité.
Versez sur les résidus de l’eau de fontaine: mettez-la dans un endroit chaud,
et faites-la un peu cuire: versez ensuite cette eau: filtrez-la et coagulez-la
jusqu’à une siccité raisonnable; vous trouverez une terre saline ou un vitriol,
qui s’est fait de l’eau régale et de la marcassite. On voit par-là que l’eau
régale s’est tuée avec la marcassite, et qu’elle en a résous très peu.
Afin que l’eau régale, et d’autres pareils menstrues en
dissolvent une plus grande quantité qu’ils ne font ordinairement, il faut y
ajouter, à la vérité, des sujets alkalisés et les acuer avec un alkali: mais non
pas de manière que l’acide s’y puisse tuer tout-à-fait. Ainsi, par exemple,
pour une livre d’eau-forte, je prends seulement deux onces de sel armoniac, et
je les fais digérer doucement au sable ou aux cendres pendant un jour et une
nuit, à petite chaleur: je la distille ensuite et je m’en sers sur-le-champ.
De cette manière, je dissous deux, trois, et même quatre
fois autant qu’un autre avec son dissolvant affoibli.
Mais quelqu’un pourra me demander pour quelle raison il faut
ajouter à l’eau-forte du sel armoniac ou de l’esprit-de-sel, puisque, sans
cela, elle est déjà très-forte. Le voici: j’ai dit que tous les minéraux sont
formés par l’acide universel, et cet acide fait plus facilement les moindres
métaux que les parfaits; car dans les imparfaits, il n’est pas encore fixé et alkalisé
si fortement, ni rendu si terrestre que dans le soleil et dans les sujets
solaires, et par conséquent il y domine encore plus ou moins, suivant que le
minéral ou le métal est plus éloigné ou plus près de la perfection. C’est pour cela
que l’eau-forte le dissout, tandis qu’elle ne peut pas dissoudre les sujets
solaires; parce qu’un acide attaque facilement l’autre; au lieu que, dans les
minéraux fixés fortement et alkalisés, il s’émousse et se tue tout-à-fait.
Ainsi, lorsque l’on veut qu’ils soient également attaqués et dissous, il faut
ajouter à l’eau-forte un alkali, pour y réveiller, par son moyen, son semblable.
L’alkali fixe, une fois réveillé, délie lui-même ses liens par l’aide de
l’acide, et se prête facilement à rétrograder en un acide; car tout ce qui est
volatil demande à devenir acide, et tout ce qui est acide demande à devenir alkali
ou fixe. Au contraire, tout ce qui est alkalin cherche de nouveau à devenir
volatil, afin que le supérieur devienne l’inférieur, et l’inférieur le
supérieur, par une circulation perpétuelle.
L’alkali qui dissout ses sujets alkalins semblables, ne dissout
point les sujets acides. La raison en est que l’alkali n’est pas si pénétrant
ni si subtil, et qu’il retient toujours en soi une terrestréité grasse, qui
l’empêche de pénétrer dans leurs pores: et quand même il les attaque, il les
corrode seulement et les réduit en poussière, ou les fait gonfler comme une
éponge. Et notez que, par le terme alkali, je n’entends pas seulement les sels alkalins
volatilisés et les fixes, tels que sont tous les alkalis volatilisés des
animaux, le sel armoniac, le sel commun et d’autres alkalis fixes: mais aussi
la terre alkaline volatilisée et la fixe.
Vous prétendez, me dira-t-on encore, réveiller l’alkali par
d’autres alkalis, tels que le sel, le précipité de vitriol, ou le sublimé de
sel armoniac, ou de sel commun. Mais l’alkali n’en sera-t-il pas, au contraire,
plus fortifié, et ne se tuera-t-il pas avec l’acide, d’une manière comme de
l’autre ?
Je réponds qu’à la vérité, lorsque l’eau-forte contient
beaucoup d’alkali volatil ou fixe, elle se tue plutôt que de se dissoudre,
comme je l’ai dit ci-dessus. Mais lorsqu’elle n’en contient que très-peu, cela
ne peut l’empêcher de dissoudre. Autant de pores que la trop grande quantité de
sel alkali occuperoit, autant en occupe l’alkali fixe ou volatil, réveillé et
résous. Car la solution consiste uniquement dans la saturation du menstrue,
dont il faut, par conséquent, que les pores soient vuides.
C’est pourquoi, lorsque la trop grande quantité de sel armoniac
ou de précipité de sel remplit les pores de l’eau-forte, avec leur terre
subtile alkaline, cette eau ne peut dissoudre une marcassite.
Mais autant il y a de pores vuides, autant prend-elle de
marcassite en soi. On voit par-là pourquoi nombre de Praticiens ne peuvent
venir à bout de dissoudre leurs sujets.
Observez encore que la Nature fait facilement, dans le règne
inférieur, d’un volatil un acide, et de l’acide un alkali. Lors même qu’un
sujet paroît tout-à-fait volatil, il renferme cependant en soi une partie
d’acide et d’alkali, encore que le volatil ait la supériorité qui empêche
l’acide et l’alkali de dominer. Mais si l’acide a la supériorité, il s’associe
à son semblable et prend volontiers en soi un autre acide. De même, si l’alkali
a la supériorité, encore qu’il soit mêlé avec le volatil et avec l’acide, il
aime pourtant son semblable.
C’est à quoi un Artiste doit bien faire attention, s’il veut
éviter un nombre de fautes.
J’établis toujours les principes, afin que s’il m’arrivait
de me tromper dans les conséquences, l’on puisse en tirer de plus exactes, et
ne pas être induit en erreur.
Les Philosophes disent: notre dissolvant et ce qui est
dissous doivent être ensemble, ou tous les deux volatils, ou tous les deux
fixes. En second lieu, le dissolvant doit être homogène à ce qui est dissous.
En troisième lieu, le menstrue doit être mercuriel ubiquotique,
et s’assimiler à toutes choses. Or, on doute que l’eau-forte et l’esprit de vitriol
aient cette qualité. Mais j’ai enseigné ci-dessus que le dissolvant reste avec
ce qui est dissous. J’ai aussi prouvé que le nitre et le sel et leurs esprits
sont homogènes à tous les sujets; car j’ai démontré qu’ils sont universels, et
personne n’ignore que tous les universels sont homogènes aux sujets spécifiés,
et les sujets spécifiés aux universels. Leur universalité prouve également
qu’ils sont mercuriels ubiquotiques.
Quelqu’un dira: je veux bien accorder que le nitre et le sel
soient ubiquotiques et universels, par rapport à tous les êtres spécifiés; mais
le vitriol est sûrement un acide et un mixte, qui paroît être contraire au
menstrue universel et mercuriel, parce que le vitriol contient plus de soufre
que de mercure.
Nous avons prouvé ci-dessus que le vitriol est un primum Ens des minéraux, et tous les Artistes
sçavent qu’il contient du mercure, du soufre et du sel. Il n’importe pas qu’il
soit plus sulfureux que mercuriel; puisque nous avons fait voir plus haut que
le mercure et tous les sujets arsenicaux mercuriels tirent leurs essences du
soufre. Plusieurs auteurs posent en fait que le vitriol est la première matière
des métaux, aussi bien que le mercure. Il y en a qui l’ont recommandé pour être
materia lapidis, suivant cette
sentence: Visita Interiora Terræ,
Rectificando Invenies Occultum Lapidem. Or, si le vitriol est la première
matière des métaux, il faut nécessairement qu’il ait la puissance, après sa résolution,
de réduire les métaux en leur première matière et qu’il soit homogène à tous
les minéraux; s’il est materia lapidis,
il faut par conséquent qu’il soit un extrait ou une quintessence de tous les
minéraux.
Il est également convenu que le nitre et le sel sont des
sujets universels: qu’un grand nombre d’auteurs recommandent de les chercher
dans tous les amas de fumier, et ils les appellent tout en toutes choses, parce que l’on peut les trouver par-tout. Puisqu’ils
sont universels, ils sont un sujet propre à recevoir toute forme et toute spécification.
Avec le vitriol ils se spécifient, s’unissent ensemble et restent avec lui, aussi
bien volatils que fixes. Tout ce qu’ils résolvent, ils le font de nouveau
volatil, et de nouveau fixe; ils restent avec lui liés inséparablement, et si
l’on entreprend de les séparer, on n’en séparera que la partie volatile: la
partie fixe restera en arrière; car une semence reste volontiers avec une autre
semence, sur-tout la spécifiée avec l’universelle; et elles laissent détacher
d’elles l’eau recolacée.
C’est donc une erreur qui participe de la folie, que celle
de plusieurs Artistes qui s’imaginent qu’ils séparent les menstrues par
abstraction ou par réverbération, ou en digérant et brûlant dessus de l’esprit-de-vin,
etc. Belle découverte ! S’ils goûtoient seulement le menstrue qu’ils en ont
distillé, ils expérimenteroient bientôt que la force est diminuée presque de
moitié, et ils le verroient encore mieux si, avec ce menstrue, ils vouloient
dissoudre quelques nouveaux sujets pour lesquels il seroit trop foible.
Qu’on considère seulement les corps dissous, et qu’on les
pèse avant et après leur résolution; on verra la différence de leurs poids; car
tout ce qui doit devenir fixe, c’est-à-dire l’acide, s’attache à la terre; et
tout ce qui doit devenir volatil, s’élève en haut. Que l’on se vante tant qu’on
voudra d’être habile dans la théorie et dans la pratique; c’est un fait dont il
faut convenir.
Je vous assure positivement que si quelqu’un dit ou écrit
qu’il a un menstrue de rosée ou d’eau de pluie ou d’autres eaux menstruelles,
insipides, etc., ce sont de purs mensonges, et qui sont bien condamnables
puisqu’ils engagent des Artistes dans de folles dépenses qui n’aboutissent qu’à
les faire périr de chagrin et de misère.
Qu’on examine les menstrues, et qu’on les sépare en quatre
parties, c’est-à-dire en volatil, en acide, en alkali et en mixte composé des
trois. Il est bien certain que tous les volatils, comme la rosée, la pluie,
l’esprit-de-vin, l’esprit d’urine, etc., n’attaquent aucunement un corps
coagulé; et même quand il contiendroit aussi de l’acide, ils peuvent si peu s’en
teindre et s’en rassasier qu’il en faudroit employer cinq ou six seaux pour en dissoudre
seulement une livre; et lorsque la solution est faite, ce n’est pas encore une véritable
solution mais seulement une extraction; car l’esprit-de-vin s’envole par la distillation
et le corps dissous reste au fond, sec et étendu en atomes. Il ne vaut pas
mieux qu’auparavant; il est seulement plus subtil et réduit en plus petites
parties.
Si l’on se sert de l’azoth, ou de l’acide végétal ou animal,
ils attaqueront, à la vérité, avec plus de force que l’esprit-de-vin et d’urine
ou qu’un volatil extrême. Mais quelle sorte de sujets attaqueront-ils ? Ce ne
sera pas une pierre ni un minéral alkalisé; ils ne résoudront facilement que
les sujets qui, par eux-mêmes, sont acides, ou qui sont remplis de beaucoup
d’acide. Avec dix livres d’acide de vin distillé, on ne pourra pas dissoudre
une livre de Vénus ou de Mars, qui sont si ouverts; au lieu qu’avec deux ou
trois livres d’esprit de nitre ou de sel, d’esprit ou d’huile de vitriol ou
d’huile de soufre, je ferai dissoudre une livre de Mars, plus encore de Vénus;
et je réduirai cette dissolution, d’abord après la distillation, en première
matière, c’est-à-dire en vitriol. Si j’en tire l’acide, par la distillation, il
me restera un vert de gris ou un crocus martial, et même en petite quantité.
Avec un alkali spiritualisé, on en dissout davantage à la vérité, mais sans acide,
toute dissolution est presque comme un coup d’épée dans l’eau.
Voulez-vous composer, fortifier et mêler les menstrues
ci-dessus, pour voir s’ils ne dissoudront pas davantage qu’auparavant, et mieux
que les corrosifs aigus tout seuls ?
Mêlez l’esprit-de-vin avec le vinaigre, ou un volatil avec
l’acide, ou l’esprit d’urine avec son acide, ou bien tous ces quatre ensemble:
versez-les alors sur une pierre calcinée, suivant l’usage, ou sur un autre
minéral lié fortement, en suffisante quantité.
Vous verrez combien ils opéreront, c’est-à-dire rien.
Cependant, si vous les versez sur un sujet ouvert, ou qui n’est pas si
fortement lié, comme le vitriol, l’alun, le Vénus, le Mars, la Lune, le
Saturne, etc., ils l’attaqueront d’abord et en feront un vitriol doux comme du
sucre. Mais en quelle quantité ? D’une livre, sur laquelle vous aurez versé six
livres de menstrue. Il ne dissoudra de Vénus ou de Mars qu’à peine quatre gros,
jusqu’à une once. Je ne parle pas du vitriol et de l’alun; car ils sont purement
des sels de très-facile solution. Voilà votre menstrue si puissant et non
corrosif.
Si vous versez un acide minéral, comme l’eau-forte, l’esprit
de vitriol, etc., sur le vinaigre ou sur l’esprit-de-vin, vous acuez, à la
vérité, le vinaigre, etc., mais vous dulcifiez le corrosif, et le tuez de
manière qu’il ne pourra plus attaquer avec autant de force qu’auparavant. Ce
menstrue pourtant dissoudra plus que le vinaigre et l’esprit-de-vin seul.
Si vous versez de l’eau-forte sur du vitriol sublimé, etc.,
ou sur un corrosif, un esprit d’urine ou un azoth d’urine, vous tuez tout-à-fait
le corrosif et en faites un tiers sel, qui ne dissout que très-peu ou point du
tout. Or, quelle en peut être la cause ? C’est celle-ci. Plus les corrosifs
sont étendus, plus ils deviennent foibles, et moins ils dissolvent. Au
contraire, plus les corrosifs sont concentrés, plus ils sont mordicans et plus
ils attaquent avec violence. L’esprit-de-vin et l’azoth sont des corrosifs
étendus et dilatés: ils sont entièrement remplis d’eau recolacée; et quand
même, par la rectification, on les rendroit très-ignés, une livre n’en opère
pas tant que deux onces, ou une once d’eau-forte déphlegmée. Vous l’éprouverez
dans la pratique.
Car si vous prenez un esprit-de-vin très-igné, et un vinaigre
très-rectifié igné, trois livres d’esprit-de-vin, une livre d’acide de vinaigre
et une demi livre de sel de tartre; que vous versiez l’esprit-de-vin sur le sel
de tartre, ensuite le vinaigre, que vous les mettiez digérer au bain-marie ou
aux cendres et que vous les distilliez doucement, il passera un phlegme
insipide très-clair, presque dans la même quantité et dans le même poids que l’esprit-de-vin
et le vinaigre que vous y avez ajouté. Pesez aussi les résidus du sel de tartre,
qui a retenu à soi l’aigu ou l’esprit volatil de l’esprit-de-vin et du
vinaigre; vous comprendrez par-là qu’une si grande quantité d’esprit-de-vin et
de vinaigre ne renfermoit qu’environ une demi once d’aigu ou de sel volatil.
Versez, au contraire, une livre d’eau-forte ou d’esprit de nitre déphlegmé, sur
une demi livre de sel de tartre; vous trouverez, après en avoir distillé le
phlegme, que le sel de tartre a augmenté en quantité de la moitié, ou du moins,
d’un quart.
Considérez à présent la différence des dissolvans.
Si quelqu’un affirme qu’il a un dissolvant insipide, ce ne
peut être qu’un esprit salin, résous et fortifié par son propre acide, et un
volatil étranger; comme si je faisois fondre ensemble du sel et du salpêtre
dans la rosée ou dans l’eau de pluie distillée, et que je la filtrasse. Or, si
on distille un tel menstrue au bain-marie, ou aux cendres, on y trouvera un
beau sel médium, ou un acide mortifié, pareil au nitre: et quand on le
distilleroit cent fois, sans le concentrer en petit volume pour y faire dominer
l’acide, il est toujours impuissant pour dissoudre les métaux. Il en prendra
bien la teinture, mais il extrait si peu de leur soufre, par la distillation,
que l’on regrette la peine et le tems qu’on y emploie. On appelle cet extrait
un soufre du Soleil et de la Lune. Mais quel soufre est-ce ? On prétend d’abord
qu’il doit être le plus grand cordial et avoir la vertu de rajeunir, comme un
vrai or potable. Avec cela, quelques Philosophes disent, peut-être dans le
dessein de tromper, que c’est un soufre, mais qu’on doit extraire des résidus
le sel et le mercure.
Or, je prie un Chymiste, honnête homme, sçavant et
compatissant, de me dire combien il faut de tems, de dépenses, d’embarras et de
soin; quel déchet il y a de toutes sortes de matières et d’eaux précieuses, et
combien il faut brûler de charbon avant qu’on en puisse seulement séparer le
soufre et le sel (car pour le mercure coulant, je n’en veux point du tout
entendre parler) et les réduire en liquide. Tout cet ouvrage n’est qu’une
sottise imaginée à plaisir, pour tromper les disciples de l’Art et leur faire
prendre le change.
Je ne dirai cependant pas qu’il est impossible de faire un
mercure coulant des métaux: mais c’est un travail tout-à-fait inutile, très-long
et très-coûteux, et je ne sçais comment cela est venu dans l’idée, ni pourquoi
on cherche le mercure avec tant d’empressement dans les minières et dans les
métaux, attendu que dans aucune minière (excepté la propre mine du mercure) on
ne trouve jamais aucun mercure coulant, mais bien des acides vitrioliques, de
l’alun, du soufre, de l’orpiment, de la marcassite, etc., desquels naissent par
degrés et se forment les métaux et non du mercure coulant, comme nous avons dit
ci-dessus.
Je vous dis, à vous Chymistes, ne vous étudiez pas à
extraire le soufre: vous vous abuseriez très-fort en cela; car il n’est qu’une
certaine partie du métal subtilisé, et rien de plus. Il faut que le corps
entier du métal soit dissous et réduit en liquide, qu’il puisse monter dans la
distillation et qu’il soit une huile douce, spiritueuse, ou un sel spiritualisé,
qui, approprié à la nature humaine, ne soit pas fixe mais volatil, afin que, par
l’archée de l’estomac, il puisse être réduit aussi-tôt en fumée et en vapeur et
que, sous cette forme, il puisse pénétrer dans le sang et avec lui dans toutes
les veines, jusque dans la moelle et dans les os. C’est cela qui fait une
véritable médecine; car si la médecine est fixe, il faut, pour qu’elle produise
son effet, que l’archée la rende volatile. Faites-la donc vous-même volatile et
homogène, si vous voulez rappeler des mourans à la vie. Quoi que j’aye dit
presque par-tout dans ce traité qu’il faut fixer les médecines, je ne l’ai fait
que parce que tel est le préjugé général, dont on seroit bientôt revenu si l’on
considéroit que l’animal lui-même rend toutes choses volatiles pour sa
nourriture et pour son accroissement.
Il ne faut pourtant pas vous imaginer que je veuille avoir
une médecine très-volatile, comme l’esprit-de-vin: étant excitée par la
chaleur, elle perceroit trop vite par toutes les veines, et sortiroit par les
pores de la peau, ou s’évacueroit par les selles, et ne feroit que très-peu
d’effet. Je veux qu’elle ne soit ni trop volatile, ni trop fixe, mais demi fixe
et demi volatile, comme le sont tous les acides. Dans cet état moyen, elle
s’attache au sang, s’unit avec lui, circule avec lui dans toutes les veines, et
expulse les maladies par les urines et par les sueurs. Elle doit donc être un
acide, eu égard au degré de fixité. Mais quant à sa qualité, elle doit être
douce comme du sucre; parce que la Nature attire avidement à elle tout ce qui
est doux.
Si vous ne préparez pas ainsi votre médecine et que vous
restiez attaché à votre extrait de soufre, vous prenez l’ombre pour le corps.
Quand même les meilleurs Philosophes parleroient autrement, je ne les écouterois
point. Je partirai toujours de ce principe: que la Nature ne joint jamais
ensemble des hétérogènes, et par conséquent qu’il n’y a point de fèces dans
quelque sujet que ce soit; quoique plusieurs se soient imaginés le contraire, d’après
cette sentence: Animam extrahe; relinque
corpus.
Mais moi je vous dis: prenez l’ame ensemble avec le corps,
si vous voulez guérir l’esprit et le corps humain. Ces sortes de gens ne se
contrarient-ils pas eux-mêmes en disant que, lorsque la maladie est dans le
sang ou dans les parties liquides, l’ame les guérit; et que de même le corps
doit guérir le corps, un esprit l’autre, et un corps l’autre ?
De pareilles gens sont bien condamnables d’avoir introduit
dans l’Art de telles erreurs, qui sont cause de la ruine d’une infinité de
personnes: et malheureusement ces faux Philosophes ne sont que trop communs.
Quelqu’un, après des années de travail, n’a qu’à trouver, par hazard, quelque
manipulation qu’il auroit pu apprendre dans un quart d’heure, si le destin ne
lui eût pas été contraire; il en fait autant d’éloges que s’il avoit concentré
le ciel et la terre; il s’écrie qu’il n’y a de vraie méthode que celle qu’il a pratiquée
et que, quand un ange descendroit du ciel pour en enseigner une autre, ce ne seroit
que mensonge, comme si Dieu n’avoit pas mille voies pour nous aider; il donne
la torture aux écrits des Philosophes pour les faire accorder avec son travail
et, charmé de sa rare découverte, il se hâte de la mettre au jour, pour l’amour
du prochain. Ainsi, d’une seule chose à laquelle ils ont appliqué la physique
toute entière, plus d’un auteur de cette trempe a eu l’Art de barbouiller de
gros in-fol. Ils communiquent, sous
le voile des hiéroglyphes, des énigmes et des paraboles, les plus grands
secrets, dont le monde n’est pas digne, aux ames privilégiées; et cependant
pour le monde, ils y ajouteront une couple de vieilles recettes très-obscures
de la teinture universelle ou de la pierre philosophale.
Pour les approfondir, plusieurs sacrifient leur santé et
leur fortune; et lorsqu’on regarde la chose de plus près, on trouve souvent ce
secret dans quelque vieux bouquin exposé en vente publique: alors le secret est
éventé, et l’on n’en fait plus de cas.
Pour moi je me suis proposé d’écrire clairement en peu de
mots et sans détours, afin que tout le monde puisse m’entendre et que chacun
soit animé à faire des expériences qui tournent à l’avantage du public.
A quoi sert de parler par paraboles et par énigmes ? J’aimerois
mieux me taire que de faire perdre aux hommes leur tems et leur argent, et de
les priver par-là de leur nécessaire, qu’ils ont déjà tant de peine à se
procurer. Chaque auteur qui écrit des livres devroit y faire attention, et
plutôt ne pas écrire que d’induire les hommes en erreur, comme cela arrive
lorsqu’il n’est pas clair. Car je puis entendre mes propres énigmes; mais un
autre ne peut pas pénétrer dans mon esprit, pour sçavoir de quelle manière je
les ai entendues: c’est pourquoi chacun les explique, suivant ses idées; et par
le nombre de ces différentes explications, il arrive une confusion et des
erreurs qui occasionnent la perte et la ruine de ceux qui travaillent. Je
n’aurai point de reproche à me faire. Les diverses manières de procéder dans
les trois règnes, je les ai décrites sincèrement et sans obscurité, et je dirai
avec la même sincérité, touchant la médecine universelle ou la pierre
philosophale, que tout le secret consiste à réduire les métaux et les minéraux
en leur première matière, par quel menstrue l’on voudra, corrosif ou non,
mercuriel, sulfureux, salin ou autre, n’importe, pourvu qu’il opère promptement
et que par un tel menstrue l’on fasse rétrograder le minéral et le métal en sa
première matière saline; c’est-à-dire que le métal soit changé en une nature
saline, vitriolique ou alumineuse, ou en un sel minéral qui se résolve ensuite
dans le vinaigre ou dans l’eau de pluie, et qui ne dépose point de terre non dissoute.
Lorsqu’il en reste, c’est une preuve qu’il n’y a pas eu assez de menstrue.
Résolvez donc cette terre avec de nouveau un menstrue, et
réduisez de même en sel, en vitriol ou en alun, etc. Dissolvez encore ce
vitriol, ce sel ou cet alun dans l’acide dulcifiant que j’ai enseigné et dans
l’esprit-de-vin. Procédez en tout comme je l’ai dit. Plus souvent vous le
dissoudrez avec du nouveau vinaigre et de nouvel esprit de vin, en le coagulant
chaque fois jusqu’à l’oléosité, plus il deviendra doux et volatil et plus il
passera dans la distillation comme une huile, et par petites veines comme un
esprit-de-vin où un autre esprit; et après que vous l’aurez déphlegmé, il se
coagulera, se fixera dans une petite chaleur de cendres, sera dans la chaleur
fluide comme de la cire, et dans le froid condensé comme de la glace; il se
fondera dans toutes les liqueurs comme du sucre, sans se laisser précipiter; il
sera agréable et doux au goût, et il pénétrera dans tous les corps, comme une fumée.
On trouve par-tout et en quantité des descriptions de
menstrues simples et composés; mais je déclare au Lecteur qu’il commence par où
il voudra, qu’il ne fera jamais, sans corrosifs, ou très-difficilement, une
vraie et bonne solution minérale. L’alkaest et les autres menstrues radicaux
mercuriels sont tous et doivent être tirés de la racine des corrosifs.
On a beau dire qu’ils sont dulcifiés par l’esprit-de-vin,
etc., le corrosif est la pièce principale de la chose, et il le sera tant que
le monde durera. Cape, si capere potes.
CHAPITRE XI ET DERNIER
De l’alkaest.
Afin que le Lecteur ait une connoissance du fameux alkaest
et du vinaigre très-aigu, circulé, je lui en ferai la description et finirai par-là
mon livre.
Pour ne pas m’étendre en de trop longs discours, je dirai
seulement que les Philosophes, après avoir vu que les corrosifs, tels que je
les ai dépeints ci-dessus, ne pouvoient pas opérer un grand effet, ont cherché
et trouvé un moyen pour y réussir. Si un corrosif résout les métaux acides, il
ne dissout point ceux qui sont alkalins: et le corrosif, qui résout les sujets alkalins,
ne dissout point ceux qui sont acides; parce que l’acide et l’alkali, lorsqu’ils
sont joints ensemble, se mangent l’un l’autre, et qu’il en résulte une chose tierce.
Ils ont donc cherché dans la Nature s’ils ne pourroient point trouver un sujet
qui pût dissoudre indifféremment l’un aussi bien que l’autre, tant les sujets
acides que les sujets alkalins, et qui fit le même effet dans la solution.
Après avoir tout examiné, ils ont vu qu’il falloit que ce sujet fût
hermaphrodite, et qu’il pût embrasser les deux natures. Ils l’ont trouvé, entre
autres, dans les sujets mercuriels tels que sont les sujets arsenicaux, les marcassites,
les réalgals, après la séparation de leurs soufres combustibles, et dans tous les
mercures coulans et coagulés: ils ont pris de tels mercures et en ont fait un
choix chacun suivant son caprice; mais la plupart ont pris un mercure qui se
spécifie, le plus près de la substance métallique, qui, dans la conjonction,
s’y attache jusque dans la moelle, qui reste sans altération même après la
séparation et qui, dans la coagulation et fixation, ne se transmue en aucun
métal qu’en or et en argent.
Comme ils ont vu que ce mercure étoit trop épais et trop peu
aigu pour réduire les métaux en leur première essence et pour les rendre
liquides; qu’ils sçavoient que les métaux, pour être rendus homogènes à toutes
les créatures, devoient prendre une nature saline, oléagineuse ou aqueuse, et
que le mercure, dans sa simple nature, ne pouvoit pas donner cette nature
saline aux métaux; qu’ils voyoient aussi qu’aucune eau ni aucune terre simples
ne pouvoient résoudre le mercure ni les métaux, ni les réduire en une nature saline;
qu’enfin ils s’appercevoient bien que, s’ils vouloient réduire les métaux en
sel, en huile ou en eau, il falloit auparavant réduire le mercure en sel ou en
eau salée, afin que le semblable pût produire son semblable; ils prirent, par
cette raison, un tel mercure et le réduisirent en partie et en différentes
manières en sel et en eau, suivant la voie qui leur réussit dans leur
expérience. Plus ils acuoient le mercure, mieux il dissolvoit; moins il étoit
acué, moins, et plus lentement il dissolvoit; et ils virent bien que, sans
cette nature, le mercure ne pénétroit que très-peu ou point du tout. Ils furent
donc forcés, pour réduire le mercure en sel et ensuite en eau, d’avoir recours
à tous les acides, à tous les alkalis, et d’employer malgré eux les corrosifs,
sans lesquels le mercure ne vouloit pas agir. Mais les uns eurent une meilleure
méthode que les autres; quelques-uns, pour acuer le mercure, prirent des sels
animaux, végétaux et minéraux, suivant qu’ils réussirent le mieux. Alors, ils
recommandèrent cette méthode avec autant de chaleur que s’il n’y en avoit point
d’autres dans la Nature, et comme s’ils étoient les seuls qui eussent tout; ce qui
fait l’inversion de la Nature. Après avoir réduit le mercure en sel, ils
sentirent bien que la Nature se servoit de l’eau dans toute génération et
corruption, et dans toutes les mixtions; et qu’elle ne faisoit presque aucun
composé sel, pour lequel elle n’eût besoin d’eau. Pour cette raison, ils
réduisirent ce mercure salin en eau par l’eau, afin que, par ce moyen, il pût
mieux pénétrer les métaux et les minéraux, et les attaquer jusque dans leur
centre. Ils prirent donc ce mercure, et le réduisirent en eau par l’eau. Plus
cette eau étoit pénétrante, plus le mercure attaquoit promptement les métaux;
plus cette eau étoit foible, plus la solution du mercure étoit lente. A cause
de cela, les uns le mêlèrent avec des eaux minérales, d’autres avec des eaux
végétales, ou animales, ou universelles; ou ils firent de toutes ces eaux un
composé qui poussoit le mercure d’un côté et d’autre, jusqu’à ce qu’elles
l’eussent réduit avec elles en eau. S’ils faisoient cette eau aiguë et spiritueuse,
elle faisoit un effet d’autant plus prompt; si au contraire ils laissoient
cette eau grossière, crue ou tout-à-fait corporelle, en sorte que le mercure ne
fût pas devenu esprit avec elle, leur opération étoit imparfaite. Enfin,
lorsqu’ils ont eu parfaitement réduit le mercure en une telle eau spiritualisée,
ils l’ont appelée, suivant son acuité: Acetum
acerrimum; acidum metallicum Philosophorum; acherontem infernalem; alkaest;
alias etiam circulatum majus.
Il y en a aussi quelques-uns qui ont réduit le mercure en
eau, sans sel, seulement par le moyen du feu; et comme cette eau ne vouloit pas
pénétrer, ils ont encore été contraints d’avoir recours à des eaux salées,
pénétrantes et aiguës; et ils les ont acuées avec des eaux minérales, animales
et végétales ou universelles; mais quelques-uns étoient très timides et
scrupuleux, et craignoient que, s’ils y employoient des eaux minérales aiguës, le
mercure ne devînt par-là corrosif. Ainsi ils ne l’acuoient qu’avec des eaux
animales et végétales, avec lesquelles ils faisoient leurs opérations suivant qu’elles
leur réussissoient.
Si vous cherchez à composer un menstrue, choisissez entre
tous ceux-ci celui qui vous plaira le mieux. Vous en trouverez les procédés
dans divers auteurs avec toutes leurs manipulations. Lisez- les pour votre plus
grand secours; ces menstrues sont seulement cachés sous différens noms; vous
pouvez y exercer votre esprit.
La plus forte raison pour laquelle les Chymistes réussissent
si peu, c’est qu’ils abhorrent les corrosifs. Lorsqu’ils en entendent parler,
ils les décrient comme s’ils étoient des poisons.
Mais le poison le plus violent pour ces Amateurs est le
mépris même qu’ils ont pour les corrosifs, puisqu’il les égare et les engage
dans de vains travaux qui abrègent leurs jours et les font mourir dans
l’indigence et le désespoir. Si quelqu’un veut me suivre, qu’il ouvre premièrement
les serrures minérales avec une clef minérale de même nature, et qu’il attaque
les minéraux avec les plus forts corrosifs; qu’ensuite il monte par l’échelle
de la Nature d’un degré à l’autre, c’est-à-dire des minéraux aux végétaux, de-là
aux animaux; qu’il en fasse un homogène animal, végétal et minéral, par les
animaux, végétaux et minéraux. En s’y prenant de cette manière, il en apprendra
plus dans une heure qu’il n’en apprendroit dans toute sa vie, en travaillant
sans règle et à l’aventure, comme font presque tous ceux qui s’adonnent à la Chymie.
TABLE DES CHAPITRES
Contenus dans le
second Volume ; où il est traité de la Destruction et Analyse des choses
naturelles
CHAP . I De quelle manière la Nature réduit les principes
chaotiques, après leur altération en leur première matière, à sçavoir en nitre,
en sel, et comment elle les fait redevenir vapeurs
CHAP. II De quelle manière la Nature détruit les animaux
CHAP. III De quelle manière la Nature détruit les végétaux
CHAP. IV De quelle manière la Nature détruit, corrompt et
altère les minéraux
CHAP. V De l’analyse ou de la séparation, conjonction et
régénération de l’eau chaotique et de sa quintessence
CHAP. VI Ce qu’on peut conclure des chapitres précédens
CHAP. VII De l’analyse des animaux
CHAP. VIII De l’analyse des végétaux
CHAP. IX De l’analyse des minéraux
CHAP. X De l’arbre de dulcification
CHAP. XI De l’alkaest; ce que c’est