Hermès Trismégiste
QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR L'HERMÉTISME
René Guénon
Extrait de Aperçus
sur l’initiation (1946), chapitre XLI
Nous avons dit précédemment que les Rose-Croix étaient
proprement des êtres parvenus à l’achèvement effectif des « petits mystères »,
et que l’initiation rosicrucienne, inspirée par eux, était une forme
particulière se rattachant à l’hermétisme chrétien ; en rapprochant ceci de ce
que nous venons d’expliquer en dernier lieu, on doit pouvoir comprendre déjà
que l’hermétisme, d’une façon générale, appartient au domaine de ce qui est
désigné comme l’« initiation royale ». Cependant, il sera bon d’apporter encore
quelques précisions à ce sujet, car, là encore, bien des confusions se sont
introduites, et le mot « hermétisme » lui-même est employé par beaucoup de nos
contemporains d’une façon fort vague et incertaine ; nous ne voulons pas
seulement parler en cela des occultistes, pour lesquels la chose est trop
évidente, mais il en est d’autres qui, tout en étudiant la question d’une façon
plus sérieuse, paraissent, peut-être à cause de certaines idées préconçues, ne
pas s’être rendu très exactement compte de ce dont il s’agit en réalité.
Il faut noter tout d’abord que ce mot « hermétisme » indique
qu’il s’agit d’une tradition d’origine égyptienne, revêtue par la suite d’une
forme hellénisée, sans doute à l’époque alexandrine, et transmise sous cette
forme, au moyen âge, à la fois au monde islamique et au monde chrétien, et,
ajouterons-nous, au second en grande partie par l’intermédiaire du premier (1),
comme le prouvent les nombreux termes arabes ou arabisés adoptés par les
hermétistes européens, à commencer par le mot même d’« alchimie » (el-kimyâ)
(2). Il serait donc tout à fait abusif d’étendre cette désignation à d’autres
formes traditionnelles, tout autant qu’il le serait, par exemple, d’appeler «
Kabbale » autre chose que l’ésotérisme hébraïque (3) ; ce n’est pas, bien
entendu, qu’il n’en existe pas d’équivalents ailleurs, et il en existe même si
bien que cette science traditionnelle qu’est l’alchimie (4) a son exacte
correspondance dans des doctrines comme celles de l’Inde, du Thibet et de la
Chine, bien qu’avec des modes d’expression et des méthodes de réalisation
naturellement assez différents ; mais, dès lors qu’on prononce le nom d’«
hermétisme », on spécifie par là une forme nettement déterminée, dont la
provenance ne peut être que gréco-égyptienne. En effet, la doctrine ainsi
désignée est par là même rapportée à Hermès, en tant que celui-ci était
considéré par les Grecs comme identique au Thoth égyptien ; ceci présente
d’ailleurs cette doctrine comme essentiellement dérivée d’un enseignement
sacerdotal, car Thoth, dans son rôle de conservateur et de transmetteur de la
tradition, n’est pas autre chose que la représentation même de l’antique
sacerdoce égyptien, ou plutôt, pour parler plus exactement, du principe
d’inspiration « supra-humaine » dont celui-ci tenait son autorité et au nom
duquel il formulait et communiquait la connaissance initiatique. Il ne faudrait
pas voir là la moindre contradiction avec le fait que cette doctrine appartient
proprement au domaine de l’initiation royale, car il doit être bien entendu
que, dans toute tradition régulière et complète, c’est le sacerdoce qui, en
vertu de sa fonction essentielle d’enseignement, confère également les deux
initiations, directement ou indirectement, et qui assure ainsi la légitimité
effective de l’initiation royale elle-même, en la rattachant à son principe
supérieur, de la même façon que le pouvoir temporel ne peut tirer sa légitimité
que d’une consécration reçue de l’autorité spirituelle (5).
Cela dit, la question principale qui se pose est celle-ci :
ce qui s’est maintenu sous ce nom d’« hermétisme » peut-il être regardé comme
constituant une doctrine traditionnelle complète en elle-même ? La réponse ne
peut être que négative, car il ne s’agit là strictement que d’une connaissance
d’ordre non pas métaphysique, mais seulement cosmologique, en entendant
d’ailleurs ce mot dans sa double application « macrocosmique » et «
microcosmique », car il va de soi que, dans toute conception traditionnelle, il
y a toujours une étroite correspondance entre ces deux points de vue. Il n’est
donc pas admissible que l’hermétisme, au sens que ce mot a pris dès l’époque
alexandrine et gardé constamment depuis lors, représente, fût-ce à titre de «
réadaptation », l’intégralité de la tradition égyptienne, d’autant plus que
cela serait nettement contradictoire avec le rôle essentiel joué dans celle-ci
par le sacerdoce et que nous venons de rappeler ; bien que, à vrai dire, le
point de vue cosmologique semble y avoir été particulièrement développé, dans
la mesure du moins où il est encore possible actuellement d’en savoir quelque
chose de tant soit peu précis, et qu’il soit en tout cas ce qu’il y a de plus
apparent dans tous les vestiges qui en subsistent, qu’il s’agisse de textes ou
de monuments, il ne faut pas oublier qu’il ne peut jamais être qu’un point de
vue secondaire et contingent, une application de la doctrine principielle à la
connaissance de ce que nous pouvons appeler le « monde intermédiaire »,
c’est-à-dire du domaine de manifestation subtile où se situent les
prolongements extra-corporels de l’individualité humaine, ou les possibilités
mêmes dont le développement concerne proprement les « petits mystères » (6).
Il pourrait être intéressant, mais sans doute assez
difficile, de rechercher comment cette partie de la tradition égyptienne a pu
se trouver en quelque sorte isolée et se conserver d’une façon apparemment
indépendante, puis s’incorporer à l’ésotérisme islamique et à l’ésotérisme
chrétien du moyen âge (ce que n’aurait d’ailleurs pu faire une doctrine
complète), au point de devenir véritablement partie intégrante de l’un et de
l’autre, et de leur fournir tout un symbolisme qui, par une transposition
convenable, a pu même y servir parfois de véhicule à des vérités d’un ordre
plus élevé (7). Nous ne voulons pas entrer ici dans ces considérations
historiques fort complexes ; quoi qu’il en soit de cette question particulière,
nous rappellerons que les sciences de l’ordre cosmologique sont effectivement
celles qui, dans les civilisations traditionnelles, ont été surtout l’apanage
des Kshatriyas ou de leurs équivalents, tandis que la métaphysique pure était
proprement, comme nous l’avons déjà dit, celui des Brâhmanes. C’est pourquoi,
par un effet de la révolte des Kshatriyas contre l’autorité spirituelle des
Brâhmanes, on a pu voir se constituer parfois des courants traditionnels
incomplets, réduits à ces seules sciences séparées de leur principe
transcendant, et même, ainsi que nous l’indiquions plus haut, déviés dans le
sens « naturaliste », par négation de la métaphysique et méconnaissance du
caractère subordonné de la science « physique » (8), aussi bien (les deux
choses se tenant étroitement, comme les explications que nous avons déjà
données doivent le faire suffisamment comprendre) que de l’origine
essentiellement sacerdotale de tout enseignement initiatique, même plus
particulièrement destiné à l’usage des Kshatriyas. Ce n’est pas à dire,
assurément, que l’hermétisme constitue en lui-même une telle déviation ou qu’il
implique quoi que ce soit d’illégitime, ce qui aurait évidemment rendu
impossible son incorporation à des formes traditionnelles orthodoxes ; mais il
faut bien reconnaître qu’il peut s’y prêter assez aisément par sa nature même,
pour peu qu’il se présente des circonstances favorables à cette déviation (9),
et c’est là du reste, plus généralement, le danger de toutes les sciences
traditionnelles, lorsqu’elles sont cultivées en quelque sorte pour elles-mêmes,
ce qui expose à perdre de vue leur rattachement à l’ordre principiel.
L’alchimie, qu’on pourrait définir comme étant pour ainsi dire la « technique »
de l’hermétisme, est bien réellement « un art royal », si l’on entend par là un
mode d’initiation plus spécialement approprié à la nature des Kshatriyas (10) ;
mais cela même marque précisément sa place exacte dans l’ensemble d’une
tradition régulièrement constituée, et, en outre, il ne faut pas confondre les
moyens d’une réalisation initiatique, quels qu’ils puissent être, avec son but,
qui, en définitive, est toujours de connaissance pure. D’un autre côté, il faut
se méfier parfaitement d’une certaine assimilation qu’on tend parfois à établir
entre l’hermétisme et la « magie » ; même si l’on veut alors prendre celle-ci
dans un sens assez différent de celui où on l’entend d’ordinaire, il est fort à
craindre que cela même, qui est en somme un abus de langage, ne puisse que
provoquer des confusions plutôt fâcheuses. La magie, dans son sens propre,
n’est en effet, comme nous l’avons amplement expliqué, qu’une des plus
inférieures parmi toutes les applications de la connaissance traditionnelle, et
nous ne voyons pas qu’il puisse y avoir le moindre avantage à en évoquer l’idée
quand il s’agit en réalité de choses qui, même encore contingentes, sont tout
de même d’un niveau notablement plus élevé. Du reste, il se peut qu’il y ait là
encore autre chose qu’une simple question de terminologie mal appliquée : ce
mot de « magie » exerce sur certains, à notre époque, une étrange fascination,
et, comme nous l’avons déjà noté, la prépondérance accordée à un tel point de
vue, ne serait-ce même qu’en intention, est encore liée à l’altération des
sciences traditionnelles séparées de leur principe métaphysique ; c’est sans
doute là l’écueil principal auquel risque de se heurter toute tentative de
reconstitution ou de restauration de telles sciences, si l’on ne commence par
ce qui est véritablement le commencement sous tous les rapports, c’est-à-dire
par le principe même, qui est aussi, en même temps, la fin en vue de quoi tout
le reste doit être normalement ordonné.
Un autre point sur lequel il y a lieu d’insister, c’est la
nature purement « intérieure » de la véritable alchimie, qui est proprement
d’ordre psychique quand on la prend dans son application la plus immédiate, et
d’ordre spirituel quand on la transpose dans son sens supérieur ; c’est là, en
réalité, ce qui en fait toute la valeur au point de vue initiatique. Cette
alchimie n’a donc absolument rien à voir avec les opérations matérielles d’une
« chimie » quelconque, au sens actuel de ce mot ; presque tous les modernes se
sont étrangement mépris là-dessus, aussi bien ceux qui ont voulu se poser en
défenseurs de l’alchimie que ceux qui, au contraire, se sont faits ses
détracteurs ; et cette méprise est encore moins excusable chez les premiers que
chez les seconds, qui, du moins, n’ont certes jamais prétendu à la possession
d’une connaissance traditionnelle quelconque. Il est pourtant bien facile de
voir en quels termes les anciens hermétistes parlent des « souffleurs » et «
brûleurs de charbon », en lesquels il faut reconnaître les véritables
précurseurs des chimistes actuels, si peu flatteur que ce soit pour ces
derniers ; et, même au XVIIIème siècle encore, un alchimiste comme Pernéty ne
manque pas de souligner en toute occasion la différence de la « philosophie
hermétique » et de la « chymie vulgaire ». Ainsi, comme nous l’avons déjà dit
bien des fois en montrant le caractère de « résidu » qu’ont les sciences
profanes par rapport aux sciences traditionnelles (mais ce sont là des choses
tellement étrangères à la mentalité actuelle qu’on ne saurait jamais trop y
revenir), ce qui a donné naissance à la chimie moderne, ce n’est point
l’alchimie, avec laquelle elle n’a en somme aucun rapport réel (pas plus que
n’en a d’ailleurs l’« hyperchimie » imaginée par quelques occultistes
contemporains (11) ; c’en est seulement une déformation ou une déviation, issue
de l’incompréhension de ceux qui, profanes dépourvus de toute qualification
initiatique et incapables de pénétrer dans une mesure quelconque le vrai sens
des symboles, prirent tout à la lettre, suivant l’acception la plus extérieure
et la plus vulgaire des termes employés, et, croyant par suite qu’il ne
s’agissait en tout cela que d’opérations matérielles, se lancèrent dans une
expérimentation plus ou moins désordonnée, et en tout cas assez peu digne
d’intérêt à plus d’un égard (12). Dans le monde arabe également, l’alchimie
matérielle a toujours été fort peu considérée, parfois même assimilée à une
sorte de sorcellerie, tandis que, par contre, on y tenait fort en honneur
l’alchimie « intérieure » et spirituelle, souvent désignée sous le nom de kimyâ
el-saâdah ou « alchimie de la félicité » (13).
Ce n’est pas à dire, d’ailleurs, qu’il faille nier pour cela
la possibilité des transmutations métalliques, qui représentent l’alchimie aux
yeux du vulgaire ; mais il faut les réduire à leur juste importance, qui n’est
pas plus grande en somme que celle d’expériences « scientifiques » quelconques,
et ne pas confondre des choses qui sont d’ordre totalement différent ; on ne
voit même pas, a priori, pourquoi il ne pourrait pas arriver que de telles
transmutations soient réalisées par des procédés relevant tout simplement de la
chimie profane (et, au fond, l’« hyperchimie » à laquelle nous faisions
allusion tout à l’heure n’est pas autre chose qu’une tentative de ce genre)
(14). Il y a pourtant un autre aspect de la question : l’être qui est arrivé à
la réalisation de certains états intérieurs peut, en vertu de la relation
analogique du « microcosme » avec le « macrocosme », produire extérieurement
des effets correspondants ; il est donc parfaitement admissible que celui qui
est parvenu à un certain degré dans la pratique de l’alchimie « intérieure »
soit capable par là même d’accomplir des transmutations métalliques ou d’autres
choses du même ordre, mais cela à titre de conséquence tout accidentelle, et
sans recourir à aucun des procédés de la pseudo-alchimie matérielle, mais
uniquement par une sorte de projection au dehors des énergies qu’il porte en
lui-même. Il y a d’ailleurs, ici encore, une distinction essentielle à faire :
il peut ne s’agir en cela que d’une action d’ordre psychique, c’est-à-dire de
la mise en œuvre d’influences subtiles appartenant au domaine de
l’individualité humaine, et alors c’est bien encore de l’alchimie matérielle,
si l’on veut, mais opérant par des moyens tout différents de ceux de la
pseudo-alchimie, qui se rapportent exclusivement au domaine corporel; ou bien,
pour un être ayant atteint un degré de réalisation plus élevé, il peut s’agir
d’une action extérieure de véritables influences spirituelles, comme celle qui
se produit dans les « miracles » des religions et dont nous avons dit quelques
mots précédemment. Entre ces deux cas, il y a une différence comparable à celle
qui sépare la « théurgie » de la magie (bien que, redisons-le encore, ce ne
soit pas de magie qu’il s’agit proprement ici, de sorte que nous n’indiquons
ceci qu’à titre de similitude), puisque cette différence est, en somme, celle
même de l’ordre spirituel et de l’ordre psychique ; si les effets apparents
sont parfois les mêmes de part et d’autre, les causes qui les produisent n’en
sont pas moins totalement et profondément différentes. Nous ajouterons
d’ailleurs que ceux qui possèdent réellement de tels pouvoirs (15) s’abstiennent
soigneusement d’en faire étalage pour étonner la foule, et que même ils n’en
font généralement aucun usage, du moins en dehors de certaines circonstances
particulières où leur exercice se trouve légitimé par d’autres considérations
(16).
Quoi qu’il en soit, ce qu’il ne faut jamais perdre de vue,
et ce qui est à la base même de tout enseignement véritablement initiatique, c’est
que toute réalisation digne de ce nom est d’ordre essentiellement intérieur,
même si elle est susceptible d’avoir à l’extérieur des répercussions de quelque
genre que ce soit. L’homme ne peut en trouver les principes qu’en lui-même, et
il le peut parce qu’il porte en lui la correspondance de tout ce qui existe,
car il ne faut pas oublier que, suivant une formule de l’ésotérisme islamique,
« l’homme est le symbole de l’Existence universelle » (17) ; et, s’il parvient
à pénétrer jusqu’au centre de son propre être, il atteint par là même la
connaissance totale, avec tout ce qu’elle implique par surcroît : « celui qui
connaît son Soi connait son Seigneur » (18), et il connaît alors toutes choses
dans la suprême unité du Principe même, en lequel est contenue « éminemment »
toute réalité.
NOTES DE BAS DE PAGE
(1) Ceci est encore à rapprocher de ce que nous avons dit
des rapports qu’eut le Rosicrucianisme, à son origine même, avec l’ésotérisme
islamique.
(2) Ce mot est arabe dans sa forme, mais non dans sa racine
; il dérive vraisemblablement du nom de Kêmi ou « Terre noire » donné à
l’ancienne Egypte, ce qui indique encore l’origine de ce dont il s’agit.
(3) La signification du mot Qabbalah est exactement la même
que celle du mot « tradition » ; mais, ce mot étant hébraïque, il n’y a aucune
raison, quand on emploie une langue autre que l’hébreu, de l’appliquer à
d’autres formes traditionnelles que celle à laquelle il appartient en propre,
et cela ne pourrait que donner lieu à des confusions. De même, le mot Taçawwuf,
en arabe, peut être pris pour désigner tout ce qui a un caractère ésotérique et
initiatique, dans quelque forme traditionnelle que ce soit ; mais, quand on se
sert d’une autre langue, il convient de le réserver à la forme islamique à
laquelle il appartient par son origine.
(4) Notons dès maintenant qu’il ne faut pas confondre ou
identifier purement et simplement alchimie et hermétisme : à proprement parler,
celui-ci est une doctrine, et celle-là en est seulement une application.
(5) Cf. Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch. II.
(6) Le point de vue cosmologique comprend aussi, bien
entendu, la connaissance de la manifestation corporelle, mais il l’envisage
surtout en tant qu’elle se rattache à la manifestation subtile comme à son
principe immédiat, en quoi il diffère entièrement du point de vue profane de la
physique moderne.
(7) Une telle transposition est en effet toujours possible,
dès lors que le lien avec un principe supérieur et véritablement transcendant
n’est pas rompu, et nous avons dit que le « Grand Œuvre » hermétique lui-même
peut être regardé comme une représentation du processus initiatique dans son
ensemble ; seulement, il ne s’agit plus alors de l’hermétisme en lui-même, mais
bien en tant qu’il peut servir de base à quelque chose d’un autre ordre, d’une
façon analogue à celle dont l’exotérisme traditionnel lui-même peut être pris
comme base d’une forme initiatique.
(8) Il va de soi que nous prenons ici ce mot dans son sens
ancien et strictement étymologique.
(9) De telles circonstances se sont présentées notamment, en
Occident, à l’époque qui marque le passage du moyen âge aux temps modernes, et
c’est ce qui explique l’apparition et la diffusion, que nous signalions plus
haut, de certaines déviations de ce genre pendant la période de la Renaissance.
(10) Nous avons dit que l’« art royal » est proprement
l’application de l’initiation correspondante ; mais l’alchimie a bien en effet
le caractère d’une application de la doctrine, et les moyens de l’initiation,
si on les envisage en se plaçant à un point de vue en quelque sorte «
descendant », sont évidemment une application de son principe même, tandis
qu’inversement, au point de vue « ascendant », ils sont le « support » qui permet
d’accéder à celui-ci.
(11) Cette « hyperchimie » est à peu près, par rapport à
l’alchimie, ce qu’est l’astrologie moderne dite « scientifique » par rapport à
la véritable astrologie traditionnelle (cf. Le Règne de la Quantité et les
Signes des Temps, ch. X).
(12) Il existe encore çà et la des pseudo-alchimistes de
cette sorte, et nous en avons connu quelques-uns, tant en Orient qu’en Occident
; mais nous pouvons assurer que nous n’en avons jamais rencontré aucun qui ait
obtenu des résultats quelconques tant soit peu en rapport avec la somme
prodigieuse d’efforts dépensés dans des recherches qui finissaient par absorber
toute sa vie !
(13) Il existe notamment un traité d’El-Ghazâli qui porte ce
titre.
(14) Rappelons à ce propos que les résultats pratiques
obtenus par les sciences profanes ne justifient ni ne légitiment en aucune
façon le point de vue même de ces sciences, pas plus qu’ils ne prouvent la
valeur des théories formulées par celles-ci et avec lesquelles ils n’ont en
réalité qu’un rapport purement « occasionnel ».
(15) On peut ici employer sans abus ce mot de « pouvoirs »,
parce qu’il s’agit de conséquences d’un état intérieur acquis par l’être.
(16) On trouve dans la tradition islamique des exemples très
nets de ce que nous indiquons ici : ainsi, Seyidnâ Ali avait, dit-on, une
connaissance parfaite de l’alchimie sous tous ses aspects, y compris celui qui
se rapporte à la production d’effets extérieurs tels que les transmutations
métalliques, mais il se refusa toujours à en faire le moindre usage. D’autre
part, on raconte que Seyidi Abul-Hassan Esh-Shâdhili, durant son séjour à
Alexandrie, transmua en or, à la demande du sultan d’Egypte qui en avait alors
un urgent besoin, une grande quantité de métaux vulgaires ; mais il le fit sans
avoir recours à aucune opération d’alchimie matérielle ni à aucun moyen d’ordre
psychique, et uniquement par l’effet de sa barakah ou influence spirituelle.
(17) El-insânu ramzul-wujûd.
(18) C’est le hadith que nous avons déjà cité précédemment :
Man arafa nafsahu faqad arafa Rabbahu.