Edouard IV
Roi d'Angleterre
EXPLICATION D’UNE LETTRE DE GEORGE RIPLEY
À ÉDOUARD IV, ROI D’ANGLETERRE
D’ EYRÉNÉE PHILALÈTHE (GEORGE STARKEY)
Texte provenant de la Bibliothèque des Philosophes Chimiques 1741
Cette lettre, qui a été écrite immédiatement à un roi sage et vaillant, contient tout le secret de l’œuvre hermétique, quoique décrit et celé avec beaucoup d’art, comme l’auteur même l’affirme, et qu’en cette lettre, il promette de dénouer entièrement le noeud le plus difficile. De mon côté, je rends témoignage avec lui que cette lettre, quoique brève, contient ce qu’un philosophe peut désirer, tant pour la théorie que pour la pratique de nos mystères alchimiques.
Il est essentiel que cette lettre soit la clef de tous les écrits que j’ai mis au jour et j’assure que je ne me servirai d’aucun terme douteux ni allégorique, comme dans mes autres traités, où il paraît que je prouve des choses qui se trouveraient fausses si l’on ne les prend figurément ; ce que j’ai fait afin de cacher cet art, ainsi qu’il convient, mon intention n’étant pas que cette clef devienne vulgaire. Je prie fort ceux qui la posséderont de la tenir secrète et cachée et de ne la communiquer qu’à quelque ami dont la fidélité lui soit éprouvée et connue et de la discrétion duquel il soit sûr.
Ce n’est pas sans raison que je fais cette exhortation. Car je suis certain que tout ce que j’ai écrit jusqu’à présent n’est pas à comparer à ce que j’en vais expliquer, à cause des contradictions que j’ai entremêlées dans mes autres ouvrages. C’est pourquoi je ne me servirai en cette lettre que d’une méthode bien différente de celle que j’ai autrefois employée. Je commencerai par tirer la substance physique que renferme la lettre de Riplée. Puis, je la réduirai en plusieurs définitions et conclusions, que je promets d’éclaircir par la suite.
Les huit premières stances de cette lettre en vers n’étant que des assurances de respect, je prends la première conclusion, à la neuvième stance, savoir que tout se multiplie par sa propre espèce et que, par conséquent, les métaux le peuvent être, puisqu’on peut les changer d’imparfaits en parfaits.
Dans la dixième stance est renfermée la seconde conclusion, qui est que le fondement le plus sûr pour pouvoir transmuer est de réduire tous les métaux et minéraux, qui sont issus de nature et principe métallique, en leur premier mercure, en les rendant en leur matière première.
La troisième conclusion, contenue dans la onzième stance, est que, parmi tous les soufres minéraux et métalliques et tous les mercures, il n’est que deux soufres qui soient propres à notre ouvrage, avec lesquels le mercure est uni essentiellement et radicalement.
La quatrième conclusion, tirée de la même stance, porte que celui qui comprend comme il faut ces deux soufres et ces deux mercures trouvera que l’un est le plus pur de l’or, qui en son apparence est soufre et en son occulte est mercure, et que l’autre est le mercure le plus pur et le plus blanc, qui est véritable argent vif dans son extérieur et soufre en son intérieur ; et ce sont là les deux principes de notre œuvre.
La cinquième conclusion, qui se tire de la douzième stance, est que, si les principes sur lesquels travaille un philosophe sont vrais et les opérations exactes et régulières, l’effet en doit être sûr, lequel n’est autre chose que le mystère véritable des philosophes alchimiques.
Ces conclusions ne sont pas en grand nombre, mais elles importent beaucoup, de sorte que leur extension, leur illustration et même leur éclaircissement doivent satisfaire un véritable fils de la science.
I. EXPLICATION DE LA PREMIÈRE CONCLUSION
Comme notre dessein n’est pas d’engager personne dans l’entreprise de l’œuvre et de l’art hermétique, mais d’y conduire seulement les enfants de la science, je ne m’arrêterai point à prouver la possibilité et la réalité de l’alchymie (ou de la transmutation), puisque je l’ai fait dans un autre traité bien suffisamment.
Que celui qui ne veut pas croire ne croie point. Que celui qui veut subtiliser subtilise. Mais celui dont l’esprit est persuadé de la vérité et de la dignité de cet art doit être attentif sur l’éclaircissement de ces cinq conclusions et il ne manquera pas de sentir son cœur palpiter de joie.
Dans ces conclusions, je ne m’arrêterai particulièrement qu’à éclaircir les endroits où se trouvent les secrets de l’art hermétique.
À l’égard de la première conclusion, où il affirme la vérité et la possibilité de l’œuvre et de l’art, que ceux qui voudront satisfaire leur curiosité plus amplement sur cet article lisent avec attention les témoignages des philosophes. Mais que ceux qui sont incrédules restent dans leurs erreurs, dès que, par la subtilité de leurs discours et de leurs arguments, ils veulent en éluder les preuves et ne pas croire à tant de personnes, dont plusieurs, dans leur siècle même, se sont acquis une grande réputation.
Pour expliquer au net cette première clef, je ne m’arrêterai qu’au témoignage de Riplée qui, dans la quatrième stance de la lettre que j’explique, assure le roi qu’étant à Louvain, il vit pour la première fois l’effet de ces grands et admirables secrets des deux élixirs, l’un blanc, l’autre rouge. Et dans les vers suivants, il proteste qu’il a aussi trouvé la voie du secret alchimique, dont il lui promet la découverte, à condition néanmoins de la tenir secrète et cachée. Et quoique, dans la huitième stance, il atteste qu’il ne confiera jamais ces mystères au papier, il offre pourtant de montrer au roi non seulement l’élixir blanc et rouge, mais même la manière de le travailler et opérer en peu de temps et à peu de frais.
Ceux donc qui ne croient pas à cette philosophie alchimique regarderaient ce fameux auteur comme un imbécile ou un sophiste insensé, d’écrire de telles choses à son prince, s’il n’avait pas été capable de les mettre au jour et de les effectuer. Mais son histoire, ses sublimes écrits en cet art, sa réputation, sa gravité, enfin sa profession le justifient entièrement de cette téméraire calomnie.
II. EXPLICATION DE LA SECONDE CONCLUSION
La seconde conclusion renferme en substance que tous les métaux et les corps des principes métalliques peuvent être réduits et réincrudés en leur première matière mercurielle, ce qui est le premier et le plus sûr fondement de la possibilité de la transmutation métallique ; c’est sur quoi nous nous étendrons le plus. On doit bien m’en croire et c’est ici le pivot sur lequel roulent tous nos mystères hermétiques.
Sachez donc, principalement, que tous les métaux et la plus grande partie des minéraux ont pour prochaine matière un mercure auquel adhère presque toujours un soufre externe et non métallique, bien différent de la substance interne ou noyau du mercure.
À ce mercure, le soufre ne manque pas et c’est par son moyen qu’il peut être précipité en une poudre sèche, par une liqueur qui nous est connue, mais qui ne sert point à l’art de la transmutation. Ce mercure peut être fixé au point qu’il endurera toutes sortes de feux, qu’il souffrira l’épreuve de la coupelle même, et cela sans aucune addition ni mélange que la liqueur qui le fixe, laquelle ensuite en peut être séparée tout entière, sans perdre de son poids ni de sa vertu.
Dans l’or, le soufre est fort pur, mais il l’est moins dans les autres métaux, d’autant qu’il est fixe dans l’or et dans l’argent et qu’il est volatil dans les autres. Dans tous les métaux, il est coagulé, mais il est coagulable dans le mercure ou argent vif. Ce soufre est si fortement uni dans l’or, l’argent et le mercure que les Anciens ont toujours cru que le soufre et le mercure n’étaient qu’une seule et même chose.
Il y a partout une liqueur dont nous devons, dans cette contrée, l’invention à Paracelse, quoiqu’elle ait été et qu’elle soit commune parmi les Maures, les Arabes et quelques-uns même des plus savants alchimistes. Et c’est par le moyen de cette liqueur que nous savons séparer, en forme d’huile teinte et métallique, le soufre externe et coagulable du mercure, mais qui est coagulé dans les autres métaux. Pour lors, le mercure restera dépouillé de son soufre, excepté de celui qu’on peut dire interne ou central, qui ne peut être coagulé que par notre élixir. Car, de lui-même, il ne peut jamais être fixé ni précipité ni sublimé, mais il demeure sans altération en toutes les eaux corrosives et en toutes les digestions où on le peut mettre à l’épreuve.
Il y a donc une voie particulière de réduire le mercure en huile, aussi bien que tous les minéraux et métaux. C’est par la liqueur alkaest qui, de tous les corps composés de mercure, peut séparer un mercure coulant ou argent vif, duquel tout le soufre est alors ainsi séparé, excepté son soufre interne et central, qu’aucun corrosif ne peut toucher ni dissoudre.
Outre cette voie universelle de faire la réduction, il s’en voit d’autres particulières, par lesquelles l’artiste peut réduire le plomb, l’étain, l’antimoine et même le fer en mercure coulant, et cela se fait par le moyen des sels qui, parce qu’ils sont corporels, ne sauraient pénétrer les corps des métaux aussi radicalement que le fait la liqueur alkaest. Et c’est pour cette raison qu’ils ne dépouillent pas entièrement le mercure de son soufre, mais ils lui en laissent autant qu’on en trouve ordinairement dans le mercure commun.
Mais observez que le mercure des corps a quelques qualités particulières, selon la nature du métal ou du minéral dont il est extrait. Pourquoi il est inutile à notre œuvre de dissoudre en mercure l’espèce des métaux parfaits. Il n’a pas plus de vertu que le mercure commun et vulgaire. Il n’est qu’une seule humidité applicable à notre vrai ouvrage, qui n’est assurément ni du plomb ni du cuivre. Elle n’est même tirée d’aucune chose que la nature ait créée, mais d’une substance requise, composée par la nature et l’art du philosophe hermétique.
Or, si le mercure tiré des corps a une qualité aussi froide et les mêmes faces et superfluités que le mercure vulgaire, jointes à une forme distincte et spécifique, c’est ce qui le rend encore plus éloigné de notre mercure que n’est le mercure commun.
L’art philosophique est d’œuvrer un composé de deux principes. Dans l’un se trouve le sel et dans l’autre, le soufre de la nature. Cependant, n’étant l’un et l’autre entièrement parfaits ni imparfaits et pouvant être changés, exaltés et dignifiés par notre art, on en vient à bout par le mercure commun. Il tire non le poids, mais la vertu céleste et astrale du composé ; ce qui ne se pourrait faire si ses principes étaient sans défauts ou absolument imparfaits. Cette vertu, étant d’elle-même fermentative, produit dans le mercure vulgaire une race bien plus noble que lui, qui est notre vrai hermaphrodite, notre androgyne, qui se congèle de soi-même et dissout tous les corps.
Examinez avec attention un grain de semence, où le germe est presque invisible. Séparez ce germe du grain, il meurt aussitôt. Mais, en laissant tout entier le grain avec son faible germe, il s’enfle, fermente et produit. Il n’y a donc que le germe qui produit la plante. De même, il en est de notre corps. L’esprit fermentatif, vivifiant et générant, qui est en lui, est la moindre partie du composé et les parties impures et corporelles du corps se séparent avec la lie du mercure.
Outre cet exemple du grain, on peut encore observer que la vertu ignée et cachée de notre corps purge et purifie l’eau, qui est sa propre matrice, en laquelle il souffle, c’est-à-dire qu’il en expulse quantité de terre sale et une grande abondance d’humidité salée. Pour en avoir la preuve et en voir l’effet, faites ce que je vais dire.
Faites vos lotions avec de l’eau de fontaine bien pure. Pesez premièrement une pinte de cette eau avec exactitude et en lavez votre composé, en faisant la préparation des huit ou dix aigles ou sublimations et mettant à part toutes les fèces et scories. Ensuite, après les avoir bien séchées, distillez ou sublimez tout ce qui se pourra distiller ou sublimer et il en sortira une très petite quantité de mercure. Mettez le reste de ces fèces dans un creuset, entre des charbons ardents, et toutes les matières féculentes du mercure se brûleront comme du charbon, mais sans produire de fumée.
Après que tout sera consommé, pesez le reste et vous ne trouverez que les deux tiers du poids de votre corps, l’autre partie
étant demeurée dans le mercure. Pesez aussi le mercure que vous avez distillé ou sublimé et celui que vous avez préparé, chacun séparément. Le poids de ces deux mercures n’approchera pas à beaucoup près du mercure que vous avez pris d’abord. Faites aussi bouillir l’eau qui a servi à vos lotions et s’évaporer jusqu’à pellicule. Ensuite, mettez-la au froid. Il en résultera des cristaux qui sont le sel du mercure cru.
Ces opérations ne sont, il est vrai, d’aucune utilité. Elles satisfont seulement beaucoup l’artiste, en lui faisant voir les matières étrangères qui se trouvent dans le mercure et qui ne se peuvent découvrir que par la liqueur alkaest. Mais, néanmoins, elle ne le fait que d’une manière destructive et non pas générative, différente en cela de notre opération préparatoire et efficiente, qui se fait naturellement entre le feu et l’eau, la chaleur et l’humide, c’est-à-dire le mâle et la femelle (3), dans la propre espèce où se trouve le ferment analogue, qui opère les merveilles que toute autre chose ne peut faire.
Par conséquent, si vous faites fermenter votre corps imparfait et le mercure séparément, vous tirerez de l’un du soufre très pur et de l’autre un mercure noir et impur. Cependant, vous ne ferez jamais rien de ces deux matières, parce qu’il leur manque la vertu fermentative, qui est le chef-d’œuvre et le miracle du monde.
C’est cette vertu qui fait que l’eau commune devient herbe, plante, arbre, fruit, sang, chair, pierre, minéraux ; enfin, c’est elle qui forme tout.
Cherchez-la donc seulement, elle le mérite. Quand vous la posséderez, elle mettra le comble à votre félicité, puisqu’elle est un trésor inestimable. Mais je dois vous instruire en même temps que la qualité fermentative ne travaille point hors de son espèce et que les sels n’ont point la puissance de faire fermenter les métaux.
Si vous voulez savoir pourquoi quelques alkalis séparent le mercure des minéraux et des métaux les plus imparfaits, considérez qu’en tous les corps, le soufre n’est point aussi radicalement mêlé et aussi intimement uni qu’il l’est avec l’or et l’argent et qu’il s’allie avec quelques alkalis qui sont extraordinairement dissous et fondus avec lui. Par ce moyen, les parties sont disjointes et le mercure se sépare par le feu.
Le mercure est donc séparé, par ce moyen, de son soufre, autant qu’il est nécessaire seulement, lorsqu’il ne s’agit que d’une dépuration du soufre par une séparation du pur d’avec l’impur. Mais ces alkalis, en séparant ce soufre, rendent le mercure d’une qualité inférieure à sa première, parce qu’ils l’éloignent de la nature métallique.
Voici un exemple : le soufre du plomb ne brûlera jamais. Quoique vous le sublimiez et le calciniez pour le convertir en sucre ou en verre, il reprendra toujours, par le flux et le feu, sa première forme. Mais le soufre en étant, comme j’ai dit, séparé, si vous le joignez au nitre, il prendra feu aussi facilement que le soufre commun, de sorte que les sels, agissant sur le soufre dont ils séparent le mercure, manquent du ferment, qui ne se peut trouver que dans les substances de même nature.
Par la même raison, le ferment du pain n’agira pas sur une pierre ni celui d’un animal ou d’un végétable, sur les métaux et les minéraux. Quoique vous puissiez tirer le mercure de l’or par le moyen du premier être du sel, ce mercure, néanmoins, n’accomplira jamais notre œuvre. Mais une part de mercure, tirée de ce même principe, c’est-à-dire de l’or, par trois parties de
notre mercure seulement, mettra l’ouvrage à son point de perfection par une digestion continuelle.
Pourquoi notre mercure est-il supérieur en puissance à l’autre ? Ne vous en étonnez pas : c’est qu’il est préparé par le mercure commun. Le ferment qui survient entre le corps préparé et l’eau cause la mort, puis la régénération. De là se fait une opération dont il est l’unique auteur. Rien autre ne pourrait même le faire. Car, outre qu’il sépare du mercure ce qu’il a de terrestre et qui brûle comme du charbon et une humidité qui se dissout dans l’eau commune, il lui communique un esprit de vie, qui est le vrai soufre embryonné de notre eau invisible, mais dont le progrès du travail est sensible à la vue.
Nous concluons de là que toutes les opérations de notre mercure, exceptée celle qui se fait par le mercure commun et par notre corps selon les règles de l’art, sont fausses et qu’elles ne perfectionneront jamais notre œuvre. De quelques manières que soient travaillés ces mercures, ils n’auront jamais la vertu du nôtre. C’est le sentiment de tous les savants et de l’auteur de la Nouvelle Lumière alchimique. Aucune eau dans toute l’île des philosophes, dit-il, n’y est propre, sinon celle qui se tire des rayons du soleil et de la lune.
Je vais vous expliquer le sens de ces paroles. Le mercure, en son poids, est incombustible ; c’est un or fugitif. Notre corps, en sa pureté, est appelé la lune des philosophes, étant bien plus pur que les métaux imparfaits. Son soufre est aussi pur que le soufre de l’or. Ce n’est pas qu’il soit en effet la lune, ne pouvant seulement demeurer au feu.
Maintenant, je viens à la composition de ces trois principes de notre composé. Il intervient un ferment tiré de la lune, hors de laquelle, quoique ce soit un corps, il sort néanmoins une odeur spécifique. Souvent, il arrive qu’elle perd de son poids, si le composé est trop lavé, après avoir été suffisamment purifié.
Si le ferment du soleil et de la lune entre dans notre composition, quels avantages n’en résultent-ils pas ? Il engendrera une race mille fois plus noble que lui, au lieu que, si vous travaillez sur notre corps composé par la voie violente des sels, vous aurez, à la vérité, du mercure, mais il sera bien moins noble que le corps, parce qu’il sera séparé et non exalté par cette opération.
III. EXPLICATION DE LA TROISIÈME CONCLUSION
Cette conclusion nous apprend qu’entre tous les soufres minéraux et métalliques, il n’y en a que deux à l’usage de notre œuvre et qui sont unis essentiellement à leur propre mercure. Ici se dévoile ce grand secret de notre art, que nous avons toujours caché avec soin aux vulgaires imprudents, en leur donnant le change et leur insinuant deux voies différentes, comme a fait Riplée. Soyez certain que nous n’avons qu’un seul et vrai principe, qu’une seule manière et qu’une seule voie linéaire et uniforme pour nous conduire dans notre travail et que celui qui s’éloigne de ce principe n’atteindra jamais à la perfection de l’œuvre.
Comme ces deux soufres sont les principes de notre ouvrage, ils doivent être homogénés ou rendus de la même nature. C’est uniquement l’or spirituel que nous cherchons à faire devenir blanc, puis rouge ; et cet or est l’or vulgaire même, qu’on voit tous les jours, mais dont on n’aperçoit pas l’esprit, qui est caché dans son intérieur. Ce principe n’a besoin que de composition et cette composition doit indispensablement être faite avec notre soufre blanc et cru, qui n’est autre chose que le mercure vulgaire préparé par de fréquentes cohobations sur notre corps hermaphrodite, jusqu’à ce qu’il se convertisse en eau ignée ou ardente.
Le mercure n’a en lui qu’un soufre passif. Notre art consiste à multiplier en lui un soufre actif et vivant, qui sort des reins de notre corps hermaphrodite, qui a pour père un métal et pour mère un minéral.
Prenez, pour parvenir à votre but, la plus chérie des filles de Saturne, qui porte pour armes un cercle d’argent surmonté d’une croix de sable en champ noir, qui est l’emblème du grand monde (4). Mariez-la au plus vaillant des dieux (5), qui réside dans la maison d’Aries, et vous y trouverez le sel de nature. Acuez votre eau avec ce sel, du mieux qu’il vous sera possible. Il vous en
résultera le bain lunaire, dans lequel l’or veut être purifié et rectifié.
Je puis vous assurer en outre que, quand vous auriez notre corps réduit en mercure, sans addition de mercure commun, ou le mercure de quelque autre corps métallique, fait par soi-même, c’est-à-dire sans addition de mercure, il vous serait totalement inutile. Car il n’y a que notre mercure seul qui ait une forme et un pouvoir céleste, qu’il ne reçoit cependant pas tant de notre composé ou principe que de la vertu fermentative qui procède des deux, c’est-à-dire du corps et du mercure. C’est de cette conjonction que sort une admirable et merveilleuse créature. Appliquez-vous donc à marier le soufre avec le mercure, c’est-à-dire que notre mercure, qui est empreint du soufre, doit être marié avec notre or. Alors, vous aurez deux soufres mariés et deux mercures d’une même extraction, dont les pères et mères sont l’or et l’argent.
IV. EXPLICATION DE LA QUATRIÈME CONCLUSION
Je vais à présent vous expliquer et vous rendre sensible tout ce que nous avons dit ci-devant. Cette conclusion contient principalement que ces soufres sont, l’un, le plus pur soufre de l’or et, l’autre, le plus pur soufre blanc du mercure ; ce sont là nos deux soufres. L’un, qui parait un corps coagulé, porte néanmoins son mercure dans son sein ; l’autre est, en toute manière, vrai mercure, mais mercure très pur, qui porte son soufre au-dedans de lui-même, quoique caché sous la forme et la fluidité du mercure.
Ici, les sophistes se trouvent dans un embarras extrême, causé par leur ignorance sur l’amour métallique. Ils travaillent sur des substances hétérogènes ou, s’ils s’exercent sur des corps métalliques, ils joignent mâle avec mâle ou femelle avec femelle. Quelquefois, ils travaillent sur un corps seul ou, s’ils prennent les deux sexes, le mâle sera impuissant et la matrice de la femelle sera viciée. De sorte que, par leur inconsidération, ils ne remplissent jamais leurs espérances et ces ignares attribuent à l’art la faute qu’ils ne doivent justement imputer qu’à leur folie et qui est une suite de leur inintelligence des philosophes.
Il est plusieurs de ces sophistes que je sais qui rêvent sur plusieurs pierres végétables, minérales et animales. Quelques-uns même y ajoutent l’ignée, l’angélique et la pierre de paradis. Ces opérations, quoique fort inconséquentes, puisqu’ils n’en tirent rien de bon pour la perfection de l’œuvre, n’ont rien qui vous doive surprendre. Le but où ils tendent est trop haut pour que leur imagination bornée y atteigne. Pour réparer ce défaut de capacité, ils inventent des manières nouvelles, qu’ils croient être convenables pour y arriver. Ils emploient pour cela deux voies, l’une qu’ils appellent voie humide, l’autre, voie sèche. Cette dernière, à ce qu’ils prétendent, est un labyrinthe qui n’est connu que des plus illustres philosophes ; l’autre est le seul dédale, voie aisée, de peu de dépense et que les pauvres même pourraient entreprendre.
Quoi que puissent dire ces sophistes, je peux vous protester qu’il n’y a qu’une seule voie, qu’un seul régime dans la conduite de notre ouvrage et qu’il n’est point d’autres couleurs que les nôtres. Ce que nous enseignons de contraire à ces principes uniques n’est que pour voiler, aux yeux du vulgaire et des impudents, le plus grand des secrets. Chaque chose doit avoir ses propres causes. Donc, il n’y a point d’effet qui soit produit par deux voies sur des principes différents.
C’est pourquoi nous avertissons et assurons derechef les lecteurs que, dans nos premiers écrits, nous avons caché beaucoup de choses sous prétexte de deux voies, que nous y avons insinuées et que nous allons toucher en peu de mots exactement.
L’un de nos ouvrages est une minutie qu’un enfant pourrait faire, qu’une femme saurait aisément élaborer ; ce n’est autre chose que la cuisson par le feu. Nous assurons que le plus bas degré de l’œuvre est que la matière soit excitée et puisse d’heure en heure circuler sans que le vaisseau qui la contient se brise. Pour remédier à cet inconvénient, il faut qu’il soit très fort. Mais notre cuisson linéaire ou uniforme est un ouvrage interne, qui avance de jour en jour et d’heure en heure, et bien différent de cette chaleur externe, car il est invisible et insensible.
En cet ouvrage, notre Diane est notre corps, lorsqu’il est mêlé avec l’eau. Car, pour lors, le tout est appelé la lune, parce que tout est blanchi et la femme gouverne. Notre Diane a un bois, parce que, dans les premiers jours de la pierre que notre corps est blanchi, il pousse plusieurs végétations. Dans la suite de l’ouvrage, on trouve dans ce bois deux colombes. Car, après trois semaines, elles sont fortement unies dans les embrassements perpétuels de Vénus. En ce temps, la composition est entièrement teinte d’une pure verdeur. Et ces colombes sont circulées sept fois, parce que dans le nombre de sept se trouve toute perfection. Elles meurent enfin, car elles ne s’élèvent plus et ne donnent plus aucun signe de mouvement. Pour lors, notre corps est noir comme le bec d’un corbeau. Dans cette opération, tout se change en poudre plus noire que le noir même.
Nous usons souvent de ces allégories, lorsque nous parlons de la préparation de notre mercure. C’est un trait de notre prudence, pour abuser les gens trop simples qui, ne prenant les choses qu’à la lettre, sont indignes de mettre la main à l’œuvre. Nous le faisons aussi pour obscurcir et embarrasser un peu nos traités et nos procédés. Souvent, nous parlons de l’un lorsque nous devrions parler de l’autre. Si notre art était dévoilé aux yeux de la multitude, tout au long et dans un ordre méthodique de procéder, le nombre d’ignorants qui se trouveraient parmi ceux qui l’exerceraient ferait passer nos couvres pour des folies et mépriser nos ouvrages.
Ayez donc confiance en ce que je dis, que rien n’est plus naturel que nos ouvrages ; et c’est cette naturalité qui nous enhardit à prendre la liberté de confondre le travail des philosophes et de l’embarrasser avec ce qui n’est que l’effet de la simple nature. C’est aussi pour maintenir les imbéciles dans l’ignorance de notre vrai vinaigre, sans le secours et la connaissance duquel tous leurs travaux deviennent inutiles. Pour finir cette conclusion, souffrez que j’ajoute encore quelques paroles.
Prenez votre corps, qui est l’or vulgaire, et notre mercure, qui a été acué sept fois par son mariage avec notre corps hermaphrodite, qui est un chaos et l’éclat de l’âme du dieu Mars dans la terre et l’eau de Saturne. Mêlez ces deux ensemble en tel poids que la nature le demande. Dans ce mélange, vous possédez nos feux invisibles. Car dans l’eau ou mercure est un soufre actif ou feu minéral et, dans l’or, il y a un soufre mort et passif, mais cependant actuel. Quand ce soufre de l’or est excité et revivifié, il se forme, du feu de la nature qui est dans l’or et du feu contre nature qui est dans le mercure, un autre feu participant de l’un et de l’autre. C’est l’union de ces deux feux en un seul qui cause la corruption qui est l’humiliation, d’où vient ensuite la génération qui est glorification et perfection du composé.
Je crois devoir vous instruire maintenant que l’or seul gouverne ce feu interne. L’homme en ignore entièrement le progrès. Tout ce qu’il peut faire est d’être attentif dans le temps de son opération et d’apercevoir seulement la chaleur. Il remarquera que ce feu opère tous les degrés de chaleur nécessaires à la cuisson. Il n’y a point de sublimation dans ce feu-là, car la sublimation est une exaltation. Sans lui, on ne peut espérer aucune réussite et tout le travail tombe dans l’inutilité.
Tout notre ouvrage ne consiste donc en autre chose qu’à multiplier ce feu, c’est-à-dire circuler le corps, jusqu’à ce que la vertu du soufre soit augmentée. De plus, ce feu est invisible et, comme il n’a aucune dimension, soit en haut, soit en bas, il étend la sphère d’activité de notre matière dans l’œuf, de manière que sa substance, quoique matérielle et visible, se sublime et monte par l’action de la chaleur élémentaire. Cette vertu spirituelle est cependant toujours existante dans ce qui reste au fond du vaisseau, aussi bien que dans la matière plus élevée. La raison est que cette vertu est comme la vie dans le corps de l’homme, laquelle l’anime en toutes ses parties, étant diffusée par toute la capacité et en tout le contenu de la machine en même temps, sans être attachée ni fixée à une localité particulière.
Voilà le fondement de nos sophismes et c’est, je crois, avec raison que nous assurons qu’il n’y a aucune sublimation dans le feu philosophique proprement dit. Le feu est vie ; c’est une âme qui n’est pas sujette aux dimensions des corps. D’où il arrive que l’ouverture de l’œuf ou le refroidissement de la matière dans le travail tue cette vie ou ce feu qui réside dans le soufre secret. Rien de plus commun que de savoir allumer et gouverner le feu élémentaire ; les enfants même n’en sont pas ignorants. Mais il n’y a que le vrai sage qui puisse discerner, avec quelque justesse, le vrai feu interne. En effet, c’est une chose surnaturelle qui agit dans le corps, quoiqu’elle n’en fasse point partie. C’est pourquoi nous disons que le feu est une partie céleste ; qu’il est toujours le même jusqu’au dernier période de son opération. Alors, étant à son point de perfection, il n’agit plus. Car tout agent se sépare, lorsque le terme de son opération est arrivé.
Ainsi, lorsque nous parlons de notre feu qui ne sublime point, n’allez pas vous méprendre et croire que l’humidité de notre composition, qui existe dans l’œuf, ne doive point se sublimer. C’est, au contraire, ce qu’elle doit faire incessamment. Le feu qui ne sublime point est l’amour métallique, qui réside dans toute l’étendue de l’univers, céleste et terrestre, et dans toute notre matière.
Maintenant, il ne me reste, pour conclure ce que je viens de vous expliquer, qu’à vous recommander l’attention la plus scrupuleuse sur la qualité de la matière dont vous ferez choix pour votre couvre. Cette maxime est certaine. Il ne résulte jamais rien de bon d’un mauvais principe ; un méchant corbeau pond un méchant neuf.
Que votre semence et votre matière soient pures ; elles vous produiront une race noble.
Que le feu externe soit tel qu’en lui, votre confection puisse agir librement de tous côtés dans l’œuf. Par ce moyen et en peu de jours, il produira ce qui fait l’objet de votre attente, c’est-à-dire le bec du corbeau.
Continuez ensuite votre cuisson et, en 130 jours, vous verrez la blanche colombe ; 90 jours après paraîtra l’étincelant chérubin, d’une beauté surprenante.
V. EXPLICATION DE LA CINQUIÈME ET DERNIÈRE CONCLUSION
Si les opérations d’un homme sont régulières et ses principes vrais, dit ici notre excellent artiste, le chef-d’œuvre qui en résultera doit couronner ses travaux et le magistère sera assuré.
Hommes vulgaires, fols et aveugles, s’écrie le célèbre Riplée, qui, sans considérer que chaque chose dans le monde a sa propre cause et sa propre action, ne suivez que les conseils de vos stériles idées, croyez-vous qu’un pilote puisse voguer sur mer avec un carrosse, quelque beau qu’il soit ? L’essai qu’il en ferait serait sans doute une folie. Vous persuadez-vous qu’avec le plus brillant navire bien équipé, vous puissiez aller à la volée, sans boussole et sans voiles ? Jason eût-il abordé l’heureuse Colchide ? Loin d’arriver à la côte d’or et d’être devenu le possesseur de la précieuse toison, le premier rocher eût mis un obstacle invincible à son bonheur et son naufrage eût été certain. Ce sont cependant des insensés de cette trempe qui cherchent notre secret dans des matières triviales et qui, cependant, espèrent de trouver l’or d’Ophir, l’or de Corinthe ou celui du fleuve Phison. Mais leurs recherches sont vaines. Ce bonheur est réservé pour peu de personnes, illuminées d’en haut. La voie en est droite et simple, quoique couverte d’écueils, mais elle n’est trouvée et frayée que par un très petit nombre d’élus.
NOTES
1. Chanoine régulier de Bridlington en Angleterre.
2. Ce prince commença son règne et mourut aux mêmes années que Louis XI, Roi de France ; c’est-à-dire qu’il régna vingt-deux ans, depuis l’an 1461 jusqu’en 1483. On peut donc juger du temps où vivait Ripley.
3. Quelques philosophes entendent aussi, par l’or mâle, l’or vulgaire qui, dans la seconde opération de l’œuvre, fait fonction de mâle par son union avec le mercure philosophique de la première opération, lequel mercure est sa compagne, sa femelle, à laquelle il dépose sa teinture spermatique, sulfureuse et aurifiante, pour l’engrossir, la faire concevoir et enfanter l’or philosophique dans la propre espèce, c’est-à-dire dans le mercure philosophique même, qui est la mère propre, qui avait auparavant engendré cet or vulgaire, considéré comme son enfant et de son espèce, parce que, dans le mercure philosophique, il y a un soufre aurifique solaire et astral, principe de l’or métallique, et c’est dans ce mercure philosophique que se trouve ce soufre ou or solaire, moteur animant et vivifiant qui, comme ferment spirituel ou esprit fermentateur, est l’agent opérant toutes les merveilles de l’œuvre. Quelquefois encore, les philosophes appellent mâle leur mercure préparé par la première opération, pour être marié à l’or cru vulgaire, comme sa femelle, pour la seconde opération. La distinction de cette nominale application dépend de l’état et de la gradation actuelle où se trouvent le mercure philosophique et l’or vulgaire dans l’ceuvre. Car ce qui est agent y devient patient et ce qui est patient y devient agent, chacun alternativement, jusqu’à ce qu’il en résulte la perfection, où le plus digne domine souverainement.
4. Toute cette allégorie n’est que pour expliquer l’antimoine, que les chimistes désignent par un globe, mais c’est l’antimoine philosophique.
5. C’est le Mars ou le fer, dont se fait le régule étoilé avec l’antimoine, mais il faut entendre le Mars philosophique.