Pages

VADIS Dialogue entre la Nature et le Fils de la Philosophie

Dialogue
entre la Nature
et le Fils de la Philosophie

Dialogus inter naturam et filium Philosophiae


AEgidius de Vadis

***

Francfort, 1595


AEgidius de Vadis a son ami N.S.P.D.

Ne soyez pas surpris, ô le plus excellent des hommes, qu'ignorant toute science j'entreprenne un ouvrage si fort au‑dessus de mes forces; car la vertu a tant de pouvoir que non seulement elle exalte pour les choses qu'on ne connaît pas un ardent amour et un grand désir, mais elle fait souhaiter même aux ignorants les plus engourdis d'approfon­dir toutes les sciences.
Parmi tous ceux‑là, je ne dois pas, comme les amis ont coutume de le dire, vous oublier, vous qui êtes tellement doué de vertu que je ne pourrais agir sans divulguer d'abord aux hommes d'honneur, d'ailleurs en‑dessous de vous, la vertu qui est innée en vous.
Je doute qu'il y ait, toute adulation mise à part, parmi les vivants, quelqu'un à qui, j'en prenne Dieu à témoin, elle puisse être mieux attribuée.
J'en vois plusieurs qui, par une manière brillante de parler ou d'écrire, s'attribuent de grands honneurs, quoiqu’ils ne montrent d'ailleurs que de belles paroles ou de pures fables et des choses frivoles. Ils ne font pas comme les élus, mais comme les enfants ou les jeunes gens. Si quelqu'un présente des promesses et de l'or, ils ne prisent point l'or, qui est d'un grand prix et d'une grande valeur, et lui préfèrent les pommes et les noix, qui lui sont inférieures. C'est la Grâce préférée à Achille.
Si quelqu'un dissertait sur les secrets de la Nature en se servant de mots affectés et recherchés qui, loin d'appartenir à cette chose là, ne sont que des bavardages, il serait sans aucun doute comme celui qui ne touche qu'à la coquille de noix sans en goûter le fruit.
C'est pourquoi leur manière de parler est comparable avec cela. Assez d'éloquence, et trop peu de sagesse.
Si je les blâme, c'est autant en raison de leur ignorance pour la barbarie de leurs dis­cours, qu'ils qualifient eux-mêmes de balbu­tiements ou de solécismes. Autant ils veulent parler de la coquille avec des mots élégants, autant je me complais à la douceur intérieure de la noix, quoique sans ornements.
Ils s'en tiennent à l'extérieur, et moi, je perçois clairement l'extérieur et l'intérieur.
Ainsi donc, ma confiance en vous est si grande que ces pages devraient être impri­mées en votre nom. Agréez d'un front joyeux mon offre, quoique modeste, aimez‑moi en retour comme à l'ordinaire.
de la Bibliothèque Royale de Richemont, le 17juillet 1521

PREFACE DE L'AUTEUR

Comme je m'étais exténué de fatigue depuis plusieurs années à pénétrer les secrets de la Nature, j'examinais enfin plus soigneu­sement les routes irrégulières, détournées ou directes, les sentences, les allégories et les proverbes qui m'avaient occupé, car les Phi­losophes sont si sentencieux et ne se conten­tent pas d'une seule idée. Ils présentent tant d'ambages qu'il paraît que personne ne peut se flatter de parvenir à la fin désirée. Ce qui me fit penser qu'il valait mieux lutter avec la mort contre les esprits follets et combattre avec la Nature.
Les Philosophes ayant surtout dit «La Nature t'instruira... », l'ayant donc interro­gée et consultée de mille et mille manières, Dieu voulant bien m'inspirer, elle m'apparut enfin, mais revêtue et parée de tant de diverses manières qu'au premier abord je ne fus pas peu stupéfait en la considérant. Car toutes les langues des hommes ne suffiraient pas pour expliquer ses diverses formes. Elle, cependant, voulant me donner quelque consolation, me tint cet obligeant discours: «Ne crains, rien, mon Fils, car je suis, dit­-elle, la Nature que tu as cherchée avec tant de soin et te suis envoyée par ordre de Dieu. Prends donc courage et réjouis‑toi, car je te rendrai heureux de deux manières. Première­ment en ce que tu sais combien Dieu est miséricordieux envers toi, qui es un vil pécheur, puisqu'il te rend digne de me voir avec les yeux de ton corps, quoique tu sois sans expérience et très faiblement instruit dans les sciences. Secondement, je te donne­rai des satisfactions bien consolantes en répondant à toutes les choses dont tu peux douter. Interroge‑moi donc comme il te plaira, et je te découvrirai tout ce qu'il t'est permis de connaître ».
A moi, ô bonne et divine Nature ! Pardon­nez‑moi, je vous en conjure, si mes balbutie­ments ne sont pas dignes de vous rendre grâce. Car, comme vous le disiez tout à l'heure, je suis très peu instruit dans les lettres. je poursuivrai néanmoins, et je rends grâce à Dieu qui, par son immense libéralité, vous met à ma disposition; et ensuite je vous interrogerai sur toutes mes incertitudes. Et elle me dit: « Poursuis, mon Fils, ne tarde pas à revenir sur ce que tu as connu: je vais attendre la fin de la prière ... ».

PRIERE

Ô Seigneur Dieu tout puissant, Père, Fils, Esprit Saint, accordez à Votre serviteur, quoiqu'il en soit indigne, de Vous connaître, de Vous désirer par‑dessus tout, de vivre selon vos saintes lois et d'accomplir le cours de cette présente vie.
Je crois fermement, je confesse authenti­quement que Vous êtes la source et l'origine du bien universel, de tout désir honnête, de la connaissance de toute opération et d'une persévérance raisonnable, car Vous avec créé le premier homme parfait dans ses natures et suffisamment doué de science; Vous avez donné à Vos serviteurs Betsaleel et Oholiab la connaissance de toutes opérations sur la fabrication des métaux. Vous avez donné une conduite à Votre serviteur Salomon et Vous avez inspiré les sublimes «Demandez et vous obtiendrez, frappez et l'on vous ouvrira ».
Ainsi donc, Vous, Dieu clément, mon conservateur et mon protecteur, je Vous sup­plie et Vous implore afin que Vous illuminiez mon intelligence pour que je puisse Vous demander les choses qui sont à la gloire et à la louange de Votre Nom très saint. Qu'il ne déplaise à Votre divine bonté, je Vous en sup­plie, que moi, indigne pécheur, je demande à votre miséricorde que Vous daigniez m'éclai­rer sur la connaissance des choses naturelles. Et, comme on ne peut Vous connaître direc­tement, mais par Vos glorieux effets, accor­dez-moi, ô Dieu très clément, la faculté de connaître et ainsi d'accomplir Vos oeuvres efficacement, avec ornement, sans être détourné par le monde ou les esprits malins, avec un cœur immuablement permanent et fixe en Vous. De manière à ce que toutes Vos oeuvres se fassent en louanges et en l'hon­neur de Votre très saint Nom pour la rédemption des captifs, pour le soutien des veuves et de tous les fidèles indigents, par l'intervention de Notre Seigneur JÉSUS­CHRIST, Votre Fils, qui vit avec Vous et règne avec Vous dans les siècles des siècles.
Amen.


CHAPITRE I

Dans lequel la Nature enseigne au Fils de l'Art quelle est la matière de la Pierre en disant que de la fin de l'intention résulte le principe de l’œuvre.
Le Fils:
«Après avoir, ô divine Nature, rendu des actions de grâce à mon Dieu pour tous ses bienfaits, je vous interrogerai si vous daignez me répondre ».
La Nature:
«Propose, mon Fils, avec l'aide de Dieu je répondrai à tes doutes. »
Le Fils:
« Puisque j'ai trouvé grâce devant vous, dites‑moi, je vous en conjure, Ô Divine, pourquoi les Philosophes ne nomment pas dans leurs livres la matière dont leur pierre est engendrée. J'ai lu plusieurs de leurs trai­tés, je ne me rappelle pas cependant avoir compris qu'aucun d'eux l'ait nommée. »
La Nature:
«Apprends, mon Fils, que tous les Philo­sophes l'ont nommée à découvert dans leurs livres; mais, comme ils ne parlent que pour les Philosophes et en leur nom, ceux qui ne sont pas initiés de la philosophie n'aperçoi­vent pas comment ils la nomment. Et leur subtilité ne consiste que dans la folie et la grossièreté des ignorants. Ecoute mes dis­cours, et je te montrerai comment ils la nom­ment de vive voix. Ne connais‑tu pas la sen­tence d'ARisToTE, qui dit: "Les actes des actifs sont disposés dans le patient: donc la forme n'agit que selon la disposition de la matière". Conçois cela. »
Le Fils:
« Ensuite, ô Divine.»
La Nature:
«Tu vois déjà comment ils la nomment; car si tu dis ce que tu veux faire, tu verras clairement, tu concevras et tu examineras soigneusement ce que tu cherches, parce que de la fin qu'on se propose résul‑i6 nécessaire­ment son principe. »
Le Fils:
« J’ai l'intention de produire le Soleil et la Lune. »
La Nature:
«Remarque d'abord comment tu as nommé les principes de ton opération, en exprimant ton intention, qui est de produire l'Or et l'Argent., qui doivent être eux‑mêmes le principe de ton opération: comme si tu avais dit vouloir produire un homme, tu aurais en même temps nommé ton agent. De cette manière, il ne te manquerait que le patient convenable à cette opération, car, de même qu'il n'est pas possible de produire un homme sans homme, on ne produit pas de l'or ou de l'argent sans or et sans argent; car tout semblable produit son semblable. »

CHAPITRE II

Dans ce second chapitre, la Nature dit que les minéraux sont de nature hermaphrodite car ils possèdent l'un et l'autre sexe, c'est‑à‑dire le soufre et l'argent vif, et que l'accroissement d'une chose dépend de son principe.
Le Fils:
«Mais comment, ô Divine ? je vois en effet que l'homme est engendré de l'union de l'homme et de la femme, mais dans la pro­duction de l'or et de l'argent, je n'aperçois aucun accouplement. »
La Nature:
« Il faut que tu saches, mon Fils, que toute croissance dans les végétaux, les minéraux ou dans les animaux n'est amenée de la puis­sance à l'acte que par la réunion de la forme à la matière, qui tient lieu du masculin et du féminin. Et si, dans les végétaux et les minéraux, il ne se fait point d'accouplement, il y a néanmoins entre eux une attraction qui fait connaître à l'homme la forme conve­nable à la matière: car, comme dit Platon: "les formes sont données selon la valeur de la matière: nulle génération n'est convenable si les choses ne se conviennent pas dans la Nature. Les minéraux et les végétaux sont hermaphrodites de leur nature, et il se fait en eux un accouplement de la forme avec la matière comme dans les animaux". »
Le Fils:
«Ô Divine, je vous demande instamment de me faire entendre de votre bouche com­ment se fait cet accouplement. »
La Nature:
« Fils, écoute ce qu'a dit Platon
"L'accroissement d'une chose est dans ce dont dépend son principe...". Ne vois‑tu pas que la génération et le développement de l'homme se font par le sang menstruel, et sa nutrition ou éducation par le lait, qui est un sang deux fois cuit, parce qu'il n'est différent du menstrue que par la réitération de la coction. La plante se fait d'une manière semblable par le subtil de la terre et de l'eau. Lorsque tu as la semence, confie‑la à la terre pour que, au moyen de son subtil et de son humide semblable, elle conduise de la puis­sance à l'acte. Considère pareillement la nature du corps minéral: il a été fait d'où il tire son origine. Réduis‑le aussi à sa propre matière, comme il a été dit des plantes, et tu accompliras ton dessein. »

CHAPITRE III

La Nature enseigne quelle est cette matière nécessaire à l’œuvre physique: elle en donne la preuve par l'exemple, comme on pourra le voir en lisant ce troisième chapitre.
Le Fils:
«Ô Divine, il me paraît impossible, si je le voulais, de réduire ce corps minéral à sa pre­mière matière telle qu'elle était. Car la pre­mière matière, selon les Philosophes, n'est ni chaude ni sèche, ni froide ni humide. Ainsi, cette réduction devrait être très éloignée des métaux.»
La Nature:
«Comment conçois‑tu la première ma­tière ? je ne parle pas de celle qui est très éloignée et qui est dite Hylé, mais de celle que l'on nomme Chaos. Quoique tu aies besoin d'une matière confuse pour la nou­velle forme que tu veux introduire, n'entends pas non plus celle des natures dont les élé­ments proviennent, ni celle provenant des qualités de ces mêmes éléments, mais seulement la matière prochaine, qui est dite sperme dans les animaux, semence dans les végétaux, soufre et argent vif dans les miné­raux. Supplée donc aux Philosophes, car cette première matière, très éloignée, n'est pas plus propre à créer un âne qu'un métal. Ainsi, je veux que tu réduises à la première matière en conservant l'espèce, en conser­vant même l'individu. Car les espèces sont sujettes aux actions sensibles. Observe bien l'exemple de cette réduction que je vais te donner: lorsque les hommes et les femmes se conjoignent ensemble, ils sont alors réduits à la première matière, parce que de leurs corps sont engendrés les spermes cruds par lesquels furent tout d'abord produits ces mêmes corps qui, cependant, ne sont pas détruits comme ils le seraient s'ils étaient réduits à la première matière éloignée. Il faut donc que tu fasses de même dans ton oeuvre, C'est‑à‑dire conserver l'espèce. Ce que tu dois particulièrement remarquer. »

CHAPITRE IV

Ce que sont le Chaos et cette matière néces­saire à l’Art. En plus, la matière de la pierre est susceptible de prendre toutes sortes de formes et se vend publiquement.
La Nature:
«Examine, mon Fils, que ce que tu cherches sera un ouvrage assez long. Mais parce que je remarque en toi de la propen­sion à ces choses, je t'expliquerai le plus briè­vement possible ce que tu désires. Apprends donc que la matière très éloignée se nomme Hylé et que c'est le premier principe de toutes choses. je vais rapporter ce qu'en dit Augustinus. Il s'exprime ainsi: "Quand je considère quelque chose d'informe, je n'y comprends d'abord rien de ce que je com­prenais, parce que, de même qu'en ne voyant rien on voit les ténèbres et qu'en n'entendant rien on entend le silence, il S'ensuit dès lors que l'Hylé est ce que l'on aperçoit entre quelque chose et rien".
L'autre matière, qui n'est pas si éloignée, se nomme Chaos; parce que le Chaos est une masse brute et indigeste dans laquelle toutes choses sont confuses et mêlées ensemble. Certains l'appellent matière ou masse confuse, discontinue dans son ori­gine; d'autres le nomment matière informe du ciel et de la terre, qui d'abord fut faite de rien et de laquelle toutes les espèces et toutes les diverses formes furent ensuite produites séparément. Lactance la définit ainsi ‑ "Le Chaos est une matière brute et désordonnée, un amas confus". Mais afin que tu conçoives mieux cette première matière qui t'est néces­saire par‑dessus toutes les autres et sans laquelle tu ne peux nullement accomplir ton oeuvre, je te dirai plus clairement ce qu'elle est. Car, quoique le Très Haut eût au com­mencement préparé les quatre éléments qui étaient confus en elle: la terre et l'eau, qui sont les plus pesants, parvenaient jusqu'à l'orbite de la lune, tandis que l'air et le feu, plus légers que les autres éléments, descen­daient jusqu'au centre de la terre. C'est pourquoi une telle matière était avec raison dite confuse. Au surplus, il reste dans ce monde quelques parties de cette matière confuse, qui est connue de tout le monde et se vend publiquement. Il est peu de personnes toutefois qui la reconnaissent comme ce chaos, cette matière confuse.
Il est donc nécessaire, mon Fils, de la connaître, puisque sans elle, comme je l'ai dit plus haut, tu travaillerais en vain. Existant sans forme et étant propre à recevoir toutes les formes, ce chaos peut aisément recevoir la forme que tu désirerais lui attribuer. Et si tu veux en savoir davantage là‑dessus, vois Raymond Lulle dans les chapitres 30 et 75 de son Testament, et tu trouveras comment Dieu a créé premièrement la quintessence dans laquelle toutes mes oeuvres sont com­prises universellement; lesquelles, à l'instar de la divine essence, il a divisées en trois par­ties. Il a créé les anges de la première, qui est la plus pure, de la seconde le ciel et les étoiles, et de la troisième le monde élémen­taire.
Ne crois pas cependant que lorsque Dieu créa la terre il le fit instantanément sans aucune succession de temps et sans matière précédente, concernant la succession des genres. Je t'instruis ici de cela à l'occasion de ton oeuvre, que tu dois assimiler à cette pre­mière division, car si tu prétends l'achever sans division, tes efforts seront vains.
De cette troisième partie divisée en cinq autres, Dieu créa premièrement la quintes­sence, et, des quatre autres, les quatre élé­ments. Lis donc les chapitres allégués plus haut et, avec le temps, tu obtiendras toutes ces choses.
Il reste., mon Fils, à traiter des natures, qui sont plus simples que les éléments; tu sauras donc qu'il y a deux natures: la nature de la chaleur, qui est active, et la nature de la froi­deur, qui est passive. La chaleur est engen­drée par le mouvement, et la froideur, ou la nature de la froideur, l'est par le repos de la terre; lis Avicenne dans la Clef de la Sagesse et tu trouveras toutes ces choses exposées d'une manière attrayante. Tu distingueras ce que c'est que le simple, le composé simple, et le composé du composé. Ces deux pre­mières natures sont dites simples, mais leur oeuvre est dite simple des simples, qui est la nature de la chaleur, de la froideur, de l'humidité et du sec. Et, relativement à la génération de ces natures, il dit qu'au com­mencement le créateur, sans prononciation des mots, dit: « Sois faite telle créature », et elle fut de suite créée. Cette création, qu'on ne pouvait dire ni grande, ni petite, ni sub­tile, ni grosse, ni se mouvant, ni se reposant, ni déterminée par aucune autre qualité ou assimilée à quoi que ce soit, et dans laquelle toutes choses existaient potentiellement. Et, pour les mettre en acte, Dieu créa la seconde créature, qu'il jugea d'être appelée Lumière. je t'ai déjà dit que la réduction de cette matière d'Avicenne aux qualités provenant des éléments est trop éloignée, mais, ayant la première et proche matière, tu feras cette réduction, car, pour diviser les éléments, tu ne manqueras nécessairement pas de toutes les autres matières, la matière confuse excepté pour les raisons invoquées. »
Le Fils:
«  Soyez comblée de bénédictions, ô divine Nature, j'ai bien fait attention à vos paroles sur cette réduction à la première matière., mais je ne vois pas très bien comment je puis réincruder les corps: dans les animaux, la chose me paraît facile, par leurs semences produites indigestes en eux, mais dans les minéraux, cela m'échappe. »

CHAPITRE V

On ne prend pas pour cette oeuvre physique la matière dont les métaux sont faits. La création de l'homme en est l'exemple. En outre, on voit comment les choses sont engendrées dans les entrailles de la terre.
La Nature:
« Il n'est pas étonnant que tu ne le conçoives pas; car tu ne sais pas encore de quoi procèdent ces corps. »
Le Fils:
« Cela est vrai, ô Divine, car je m'aperçois que d'une chose quelconque résulte cette matière, mais je ne comprends pas très bien quelle sera sa forme, parce que les métaux sont homogènes et une de leurs parties ne diffère pas de leur tout. Dans les hétérogènes comme les animaux et les végétaux, c'est bien différent, car leurs semences sont assez perceptibles. »
La Nature:
«Je t'ai déjà dit, ô mon Fils, que l'accrois­sement d'une chose est dans ce dont dépend son principe.»
Le Fils:
« Si cela est vrai, il s'ensuit que la forme et la matière des métaux ou leur accroissement doivent se trouver dans le soufre et le mer­cure car, d'après tous les Philosophes, tous les métaux en ont tiré leur origine. »
La Nature:
«Mon Fils, tu as dit la vérité. Il ne faut cependant pas prendre la matière dont les métaux sont, mais celle qui est deux. Pre­nons l'homme pour exemple, qui, par l'action de la Nature, a été fait au commen­cement du limon de la terre. Le premier homme n'a donc pas été fait de ce dont il est lui‑même, mais de son sperme, qui est de lui.
Prenons la même comparaison dans les végétaux. La plante, comme il a été dit ci­-dessus, est engendrée, ou plutôt produite, par le subtil terreux et aqueux mêlés ensemble. Si donc on prend pour la produire ce terreux et cet aqueux, si subtils soient‑ils, on n’y parviendra jamais. Que l'on ne prenne donc pas ce dont elle est elle‑même, mais sa semence ou ses boutures.
Les minéraux sont formés de soufre et d'argent vif, qui ne sont nullement pris pour produire ton oeuvre. je vais t'en faire voir la raison par la composition du savon, qui se fait d'une eau tirée des cendres, passée au tamis, et d'huile. Car si l'on prend un seul des agents, que l'eau soit congelée ou que la lessive soit dans le sel, il n'est pas possible de fabriquer le savon. Il en arrive de même au soufre qui, étant d'abord une eau, dont la nature est froide et humide, circule ensuite par la chaleur du soleil et se trouve changé en air, dont la nature est chaude et humide, et enfin en feu, dont la nature est chaude et sèche, avec lequel la terre se tempère ensuite: ainsi le soufre se fait.
Conçois la même chose du mercure, mais dans un ordre différent, parce que le premier est extrêmement chaud, et celui-ci extrêmement froid. Si l'on pouvait cependant avoir cette eau dont ils sont composés avant cette circulation, elle pourrait ensuite devenir un métal, comme il a été démontré avec le savon; ce qui ne peut arriver d'aucune autre manière.
Ainsi il faut conclure, comme il a été dit pour les animaux et les végétaux, qu'il ne faut pas prendre ce dont les métaux sont, mais ce qui est deux. Si tu m'as compris, mon Fils, le soufre et l'argent vif dont la pierre est créée ne sont pas ce dont les métaux sont engendrés, car le soufre et l'argent vif sont combustibles. Mais ils sont engendrés par cette chose qui est deux et qui résiste au feu. »

CHAPITRE VI

La Nature enseigne au Fils de l’Art que la matière ne peut pas se faire avec le mercure des Philosophes et pour quelle raison celui‑ci est appelé mercure des Philosophes.
Le Fils:
« Certainement, ô Divine, je suis persuadé de la vérité de tout ce que vous avez dit, car cela paraît évident à la lumière des comparai­sons précédentes. Néanmoins, je suis encore plus embarrassé qu'auparavant, car je ne puis comprendre en aucune manière quelle doit être cette forme.
Les Philosophes disent: "Prenez notre mercure et notre soufre" ; et vous, Nature, vous dites qu'ils n'entrent pas dans notre magistère. Aussi j'ignore ce que je dois prendre, car je ne connais rien d'autre que les soufres et les argents vifs. »
La Nature:
« Mon Fils, les Philosophes, en disant « prenez notre mercure », laissent à entendre qu'ils ne parlent pas du mercure commun, car ils précisent "notre". Car le mercure est dit être d'eux comme le fils est dit du père qui l'a engendré et que la Nature dit: "Il n'est pas possible d'amener leur mercure de la puissance à l'acte sans l'aide du Philo­sophe". Ainsi, ce mercure est dit à juste titre être des Philosophes parce qu'ils le dévelop­pent jusqu'à ce qu'il produise son effet. »

CHAPITRE VII

La Nature enseigne que toute chose a son contraire et que là où il y a attraction il y aura aussi rétention. C'est l’Art qui manifeste l'attrac­tion produite par l’Aimant.
Le Fils:
« Dites‑moi, je vous en conjure, quel est ce mercure qui est dit la semence des métaux. »
La Nature:
«Mon Fils, j'espère que ce que je t'ai dit précédemment te fera comprendre quelle est la matière, parce qu'elle résulte de la fin de ton intention. Apprends donc que chaque chose a quelque objet qu'elle hait et qu'elle aime, ce qui, par convention, s'appelle attraction dans les pierres, amour et haine chez les animaux. Examine donc quelle chose dans le monde est ta matière la plus proche en rapport avec l'attraction, sachant surtout que les corps légers ne peuvent pas être retenus supérieurement sans l'associa­tion des graves, qui le sont impérieusement.
Ainsi les uns et les autres, le grave et le léger, entre lesquels se trouve l'attraction comme entre la cause et l'effet, sont nécessaires dans l’œuvre. Ainsi l'homme, regardant la femme, l'attire et est attiré par elle plus que par les autres animaux existant hors de son genre et de son espèce.
De même, ton estomac, ayant de l'appétit et voyant des aliments, les désire bien plus que beaucoup d'autres objets qui sont vus par les yeux. Il désire ce qui convient à sa nature. Sache donc que là où il se fait attrac­tion, il se fait également rétention. La diges­tion en est la suite; par conséquent, l'évacua­tion doit aussi être dans ton oeuvre, de la même manière et dans le même ordre:
1. ‑dans la sommité du vase, comme dans l'estomac;
2. ‑ à son propre centre, comme dans le foie;
3. ‑ entre ses parois et son mouvement, comme dans les veines;
4. ‑dans toutes les parties du corps comme dans les membres. »
Le Fils:
«Je conçois, ô Divine, que toutes les choses créées ont des objets qu'elles haïssent ou qu'elles aiment, et c'est pourquoi le Philosophe dit: "En ayant le symbole, le pas­sage est plus facile" ; cependant, à cette occasion, cela se trouve contraire aux paroles des Philosophes, qui disent qu'une chose seule est nécessaire pour l’œuvre, à laquelle on ni ajoute rien et dont on ôte seulement les superfluités. Mais si l'attraction y est néces­saire, il doit donc falloir deux choses. »
La Nature:
« Mon Fils, ignores‑tu la définition de l'espèce qui est citée dans le nombre des dif­férents ? L'homme et la femme ne diffèrent pas quant à l'espèce, mais seulement par le nombre. Aussi, dans ce magistère, il n'y a pas d'autres différences. Je t'en donnerai pour exemple l'homme lui‑même, qui est engendré par le sperme actif naturel et par le sperme passif innaturel avec le sang mens­truel contre nature. Et ces spermes provien­nent originellement de ce même menstrue. De plus, la matrice dans laquelle ils sont reçus de cette manière ne diffère pas de ce sang, ainsi que l'un et l'autre corps de l'homme et de la femme. Vois donc que j'opère semblablement dans une chose qui n'en diffère que dans la combinaison des élé­ments, imite‑moi donc dans ton oeuvre et tu t)en réjouiras, et alors se vérifieront ces paroles: "Avant le premier pas, la Nature t'instruira".
Si tu t'écartes de cette route, tu ne par­viendras jamais à une bonne fin, car je ne me plais point dans les prodiges. Tu sauras ainsi, mon Fils, que l'attraction du fer par l'aimant dévoile et manifeste aux yeux des Sages la plus grande partie de mes secrets: ainsi, tu vois par là que l'attraction n'existe pas seule­ment dans les animaux, mais également dans les pierres.
Dispose donc ta matière avec discerne­ment et considère bien sa nature d'après ce qui a été dit plus haut. Par là tu connaîtras la forme qui lui est propre et qui convient à ton oeuvre et, quand tu l'auras, rien ne te man­quera. »


CHAPITRE VIII

Ce qu'est la dépuration, et que sans elle, à peine peut‑on opérer quelque chose de bon dans cet Art. Parce que tout le magistère consiste dans la préparation de la matière. Et que l'or vulgaire n 'est pas la matière de la pierre.
Le Fils:
«O Divine, je vous conjure de me dire pourquoi les Philosophes disent que le soleil doit être exalté dans le signe d'Ariès. Le mouvement d'Ariès doit y être observé par le soleil ascendant ou par le soleil s'y rassem­blant.»
La Nature:
« Sache, mon Fils, que les Philosophes ne disent pas que le mouvement du ciel soit mû par ce qui peut être à toute heure et à tout moment susceptible de génération et de cor­ruption. Ils disent que le soleil d'en haut est exalté dans le signe d'Ariès, qui est l'infor­tune de Saturne, et la maison de Mars, lequel est tout colérique; ainsi il faut que le soleil inférieur soit exalté dans la maison de Mars, c'est‑à‑dire dans Ariès, qui est ton fourneau dans lequel est abattue la frigidité tandis que la chaleur exalte ton soleil. »
Le Fils:
« Comment, ô Divine? je ne comprends pas que notre soleil soit exalté par la chaleur du fourneau, parce qu'il est parfait, comme l'assurent tous les Philosophes. »
La Nature:
« Conçois, mon Fils, que le soleil est épuré par la vertu du feu, que cette épuration est prise pour l'exaltation par les Philosophes, et que le soleil commençant dans Ariès à mon­ter à sa plus grande hauteur, de même ton soleil est toujours exalté jusqu'à la fin de l’œuvre. »
Le Fils:
«De quel soleil voulez‑vous parler, ô Divine ? »
La Nature:
«Je ne parle ni de celui d'en haut, ni de celui qu'on nomme vulgairement soleil, car, n'étant pas mixtes, ils ne peuvent être au­-delà de ce qu'ils sont; mais je parle du soleil des Philosophes, qui est une chose vile, d'un prix modique, qui peut, au moyen de ce magistère, être exalté au‑dessus de l'or, à des degrés infinis, et devient d'un prix infini et un trésor incomparable. »

CHAPITRE IX

Deux sont indispensablement nécessaires dans cet Art, c'est‑à‑dire l'agent et le patient, parce qu'un simple n'agit pas sur lui‑même.
Le Fils:
«Béni soit celui qui nous a créés., ô Divine, et soyez bénie dans toutes les oeuvres, car je commence déjà à savoir et à considérer votre sublime opération par vos superbes discours. A présent que j'ai, d'après votre instruction ` la matière et la forme et la manière d'exalter notre soleil dans Ariès, montrez‑moi, je vous en prie, comment la forme agit tandis que la matière supporte. Car, si je ne me trompe, c>est là qu'est caché le secret: attendu que cette action est nécessaire à une certaine pro­portion des nombres et des mesures. »
La Nature:
« Ce que je dis est vrai, mon Fils, car toute puissance de ton magistère consiste en cela, mais, pour le comprendre, tu dois savoir que cette Science est celle des quatre éléments, qui traite le mieux et le plus amplement, et par‑dessus toutes les autres sciences, de leur analogie et de leur discordance.
Parmi ces éléments, les uns sont excel­lents, les autres médiocres. Les uns sont actifs, les autres passifs, quoiqu'ils agissent tour à tour. Coïncidence et discordance, que nous concevons comme symbolisation, pré­ceptes de l'Art par lesquels tu sais la raison pour laquelle l'agent agit et la matière est passive. Car, selon Aristote, tout agent est plus excellent que son patient. Ainsi, de quelque nature que soit ton agent, son patient doit toujours être son contraire. Par exemple, si ta matière est d'une nature sèche et froide, il est nécessaire que ton agent soit d'une nature humide et chaude, car l'égal n'a point de pouvoir sur son égal. Sois attentif à cela. Et sache que les Philosophes n'ont pas précisément caché ce que tu cherches à pré­sent. »
Le Fils:
«Ô Bonté Divine, je vous prie instamment de ne pas dédaigner de m'instruire de cela, qui, selon moi, doit être le plus difficile de tous. »
La Nature:
« Tu as raison. Toute chose a été créée avec nombres et mesures. Aucune personne sensée n'en doute. Néanmoins, ces choses sont difficiles à connaître parfaitement, car personne ne peut les expliquer, à part les
savants élus, qui sont très rares et qui met­tent tout leur bonheur en cela. Toi qui es faible et d'une médiocre intelligence, je t'ins­truirai par des exemples familiers, comme la génération de l'homme, dans laquelle le mâle est dit l'agent, et la femelle, le patient.
Si donc l'agent est plus excellent que son patient, il faut aussi qu'il ait en lui les élé­ments les plus excellents, qui sont le feu et l'air, et que les deux autres soient dans le patient. Seulement, ils n'y sont pas dans le même ordre. Parce que, ainsi qu'il a déjà été dit, l'égal n'a pas de pouvoir sur son égal. D'où il s'ensuit que si la femme est aussi chaude que l'homme, il ne peut résulter d'eux aucune génération. Il faut donc que la femme soit très froide à l'égard de l'homme.
Ainsi, lorsque tu auras la matière, tu pour­ras, en animant sa nature, trouver plus facile­ment son agent, en ayant l'attention de ne pas sortir de la latitude de l'espèce que tu cherches.»
Le Fils:
«Je comprends parfaitement tout ce que vous dites, mais je ne vois pas le moyen de lui donner sa juste proportion. »
La Nature:
« En vérité, je te trouve passablement bête, mais je vais te donner un exemple de ta nature, semblable à toi. Si quelqu'un t'ordonnait de lancer une pierre que tu trouves trop lourde, tu lui dirais que tu ne peux pas la lancer. Tu ferais de même par rapport à la légèreté. Examine donc, en fai­sant l'épreuve, si la proportion y est entre toi et cette chose. Lorsque tu as faim et que tu vois des aliments, tu ignores la quantité dont tu as besoin, mais, en les mangeant, tu sens tout de suite à la force de ton estomac com­bien il t'en faut: fais donc de même dans ton magistère. »
Le Fils:
«Vos discours, ô Divine, sont assurément très vrais. Cependant, ils ne dissipent nulle­ment mes doutes: car je suis certain que, dans ces choses comme dans les autres, il y a un certain poids déterminé. Vous m'en ins­truisez vous‑même, non par la cause qui appartient aux Philosophes, mais plutôt par celle dont se servent les gens simples et peu éclairés. Parce qu'un estomac chaud et fort peut, en digérant, mieux conduire une espèce de la puissance à l'acte q'un estomac froid et débile. Et dans ces opérations, j'ima­gine que vous observez une certaine mesure, un poids et un nombre déterminés, et que cela est la cause de tout l'effet.

CHAPITRE X

Cette Science est une partie de la cabale et peut être enseignée par transmission orale, pourvu que l’on sache la proportion des poids.
La Nature:
« Mon Fils, ce que tu dis est véritable. Ces choses ne peuvent cependant se dire ou être communiquées qu'à ceux qui sont craignant de Dieu, et seulement par le discours. Car les écrits sont faits pour ceux qui en sont indignes comme pour ceux qui en sont dignes. Ce qui fait dire à quelques-uns que cette Science est une partie de la cabale dont la communication s'interprète par le dis­cours. Car les Philosophes, en traitant de cette Science., l'ont enveloppée de tant d'énigmes, de tant de détours, de difficultés, d'emblèmes et de doutes, que Pythagore ins­truit autant sur ce sujet par son silence que par ses propres écrits. C'est donc ici, sous cet arbuste, qu'est caché le lièvre, en ce que cette proportion est la clef de tous les secrets. Parce que les métaux, qui tirent leur origine d'une seule racine, sont diversifiés par leurs différents poids par cette seule pro­portion. Et les pierres précieuses ne diffèrent des métaux mêmes en qualité, chaleur, légè­reté, fusion, qu'au moyen de cette mesure ou proportion. Ce qui produit les métaux entre eux produit par le même régime et en elles­-mêmes les pierres précieuses, cependant avec différents instruments et sous diverses formes qu'il m'appartient, ainsi qu'à l'Artiste, de procurer. »

CHAPITRE XI

Comment la Nature gouverne toutes choses, tant inférieures que supérieures, par certaines mesures et proportions des éléments.
Le Fils:
«Qu'entendez‑vous, ô divine, par des ins­truments divers et une forme différente ? »
La Nature:
«J'entends que le lieu engendre et conserve ce qui s'y trouve placé, comme nous le voyons dans le premier livre de Ray­mond Lulle, par ce qui commence le cha­pitre; écoute, mon Fils, ce qu'il dit de cette proposition, car il te l'explique admirable­ment en disant: "Telles sont la multiplica­tion et les proportions que notre Seigneur m'a données pour faire la transmutation dans la Nature: une poignée de terre et neuf poignées d'air produisent dix poignées d'eau. Une poignée d'eau et neuf poignées de feu produisent dix poignées d'air, montant ainsi, par l'échelle vivificatrice, de la nature gros­sière à la nature simple et élevée. De même, une poignée de feu et neuf poignées d'eau produisent dix poignées d'air ou du mort, qui est l'eau vive, et, derechef, une poignée d'air du mort qui est l'eau vive et neuf poi­gnées de terre produisent dix poignées d'eau glorifiée... "
Toute la Nature est gouvernée par ces poids. Comprends donc cette doctrine, car elle est celle par laquelle toute mesure et toute tempérance ont besoin d'être faites; et il est nécessaire que cela soit fait ainsi dans cet Art, cela ne peut se faire autrement. Cette proportion est la chaîne dorée et la roue des cercles de tous les siècles par laquelle moi, la Nature, je gouverne en tour­nant et circulant au moyen de tous mes ins­truments. Vois Raymond Lulle à ce sujet. »

CHAPITRE XII

Il faut dans cet Art connaître les racines des métaux; cette Science, étant comme les autres, est facile à comprendre. Il faut prier Dieu, qui est le dispensateur de toutes les Sciences.

Le Fils:
« Veuillez, ô Divine, m'instruire, si vous le pouvez, d'une manière plus claire et plus facile, car ce que vous venez de dire est trop obscur. »
La Nature:
« Mon Fils, suis le conseil d'Avicenne, qui dit que «la connaissance des métaux et de leurs racines fait facilement ce magistère ». Examine leurs natures, et tu trouveras facile­ment ce que tu désires. Apprends, par la connaissance de l'espèce que tu cherches, quelle proportion elle doit avoir, et ne pose pas davantage de questions là‑dessus,, parce qu'il ne plaît pas à mon maître que de telles choses soient divulguées. Mais réfléchis soi­gneusement et implore le secours de ton créateur afin que sa miséricorde daigne éclairer ton intelligence, non sur cette partie seu­lement, mais aussi sur toutes les autres, afin qu'au moyen de ce magistère tu les connaisses toutes ensemble.
Quiconque connaît cette Science par ses oeuvres et par le raisonnement, presque tous mes secrets lui seront dévoilés. Car cette connaissance est le fondement de toutes les autres.
je veux encore t'apprendre, mon Fils, que les arithméticiens constituent leur matière dans la dyade ou le binaire, et la forme dans la monade ou l'unité. Car Averroes, le com­mentateur d'Aristote, dit: "La proportion inférieure des choses supérieures a lié la double".
Ainsi, mon Fils, tu m'as interrogée sage­ment, car il en est peu qui se servent de ces proportions, et même je n'en vois pas un entre mille qui considère ce qui dans son oeuvre sera la matière ou ce qui sera la forme. Et c'est pourquoi ils sont justement déçus, car leur recherche n'est que sur le mercure, qu'ayant compris une fois être l'argent vif ils ne s'en informent pas davan­tage, qu'il soit de deux parties ou d'une seule. Il leur suffit seulement de trouver la manière de le mortifier, et alors ils pensent avoir trouvé le magistère, tandis que dans la réalité ils en sont plus éloignés que jamais. je ne puis donc que te louer de ton incerti­tude. »

CHAPITRE XIII

Toutes choses gisent dans les nombres, et même les éléments sont liés par certains nombres.
Le Fils:
«Assurément, Divine, je me ressouviens d'avoir lu le commencement des consola­tions de la philosophie de Boethus, et je ne pense pas que vous le disiez sans raison. J'ai vu, dans quelques expériences, les éléments se combiner par certains nombres, dont les résultats n'auraient pu avoir lieu par aucun autre. D'ailleurs, les Philosophes disent des merveilles des nombres. Pic de la Mirandole les élève au point qu'on ne craindrait pas de dire que par eux on peut parvenir à toute Science. je pense de même. Aussi, je veux vous interroger librement à leur sujet et ne recevoir d'instruction de vous que celle que vous jugeriez à propos de me donner. »
La Nature:
«Les nombres renferment beaucoup de secrets, néanmoins, si tu peux m'imiter dans les choses dont tu désires être instruit, j'acquiescerai peut‑être à tes prières. »
Le Fils:
«Je désire avoir des éclaircissements sur le corps égalisé, ou plutôt à égaliser; car les Philosophes assurent que notre médecine peut être rectifiée au moyen de toutes sortes de corps, soit humain, soit minéral ou végé­tal. Ainsi donc, si elle n'était pas égalisée, comment pourrait‑elle donner ce qu'elle n'a pas ? »

CHAPITRE XIV

Cette Science, qui conduit à la connaissance des choses cachées, s’occupe de la recherche des choses naturelles.
La Nature:
« Certes, ce que tu cherches, mon Fils, est assez épineux, et je dois te prévenir que je n'éclaircirai tes doutes, que je ne dévoilerai toutes choses qu'à condition que tu ne les révèles à aucune personne qui en serait indigne. Tu sauras donc que cette Science recherche mes secrets plus profondément que toutes les autres, car d'elle seule je suis imitée, tant dans les générations que dans les transmutations par les digestions ou coctions ci‑dessous énoncées; lesquelles font voir comment les végétaux sont dans les ani­maux, les animaux dans les hommes, c'est‑à­dire comment la chair et le sang humain sont convertis. Enfin, cette Science recherche soi­gneusement toutes sortes de combinaisons des éléments qui sont dans l'univers et qui, selon Avicenne, sont au nombre de cent-quarante‑cinq, au moyen desquels toutes choses partagées par moi sont engendrées, diversifiées et variées: choses dont la connaissance te sera extrêmement nécessaire pour trouver ce que tu cherches.
Les cent‑quarante‑cinq éléments susdits peuvent être réduits à vingt‑quatre combinai­sons, que j’expliquerai par ordre, et qui te feront comprendre qu'il y a des qualités plus ou moins agentes ou patientes, au moyen desquelles tu trouveras la manière d'égaliser les éléments dans un corps. Et c'est précisé­ment ce que tu cherches.
Ne pense pas cependant que cette égalisa­tion puisse se faire selon la quantité de légè­reté ou de pesanteur, parce que le corps ainsi mélangé n'aurait ni mouvement, ni repos. Il faut donc que ce mélange se fasse suivant les substances et les qualités des éléments quant à l'égalisation de la vertu qui opère en puis­sance, car il est possible qu'on joigne peu de feu à beaucoup de terre afin que ce qui est terre ait assez de puissance pour agir, comme ce qui est feu, et ainsi des autres. Lorsque ces choses sont ainsi mélangées, les Philo­sophes ont le mélange égalisé, dans lequel je me complais extrêmement; parce que, d'un corps ainsi disposé, il n'y a ni action, ni passion, comme tu peux le voir dans l'or, qui ne peut être corrompu, par la raison précitée de l'égalisation.
Passons donc à ces combinaisons. La pre­mière de ces vingt‑quatre combinaisons peut donc présenter soit deux éléments plus grands et deux plus petits, soit trois plus grands et un plus petit, soit trois plus petits et un plus grand, soit enfin les éléments éga­lisés. Cette combinaison ne peut se faire ni par le poids, ni selon les qualités des quanti­tés; il faut donc qu'elle ait lieu par rapport aux vertus, et aussi aux puissances actives de ces mêmes qualités. Car les unions s'appli­quent aux puissances en puissance et aux vertus des qualités, et non au poids et à la quantité en puissance. Conçois donc que je parle ici des unions à l'occasion desquelles je t'ai dit plus haut que, si deux éléments sont plus grands comme le feu et l'air, l'eau et la terre seront plus petits. Et voilà la première combinaison.
Ou, si le feu et l'air sont plus petits, et l'eau et la terre plus grands, c'est la deuxième combinaison. Si le feu et l'eau sont plus grands, et l'air et la terre plus petits, c'est la troisième combinaison. Si le feu et l'eau sont plus petits, et l'air et la terre plus grands, c'est la quatrième combinai­son. Si le feu et la terre sont plus abondants, l'air et l'eau moins abondants, c'est la cin­quième combinaison. Si le feu et la terre sont moindres, l'air et l'eau plus grands, c'est la sixième combinaison. Mais si l'air est combiné avec l'eau ou avec la terre comme il a été dit du feu, cela produira six combinai­sons.
Ces combinaisons ne seront pas diffé­rentes dans la chose même, mais seulement dans la manière de combiner. Cela est évi­dent, car, si l'on dit que l'air et l'eau sont plus grands, la terre et le feu plus petits, c'est la sixième combinaison. Si l'on dit que l'air et l'eau sont plus petits, le feu et la terre plus grands, c'est la cinquième combinaison. Si l'on dit l'air et l'eau plus grands, la terre et le feu plus petits, c'est la quatrième combinai­son; si c'est le contraire, c'est la troisième. Si l'on dit que l'eau et la terre sont plus grands, le feu et l'air plus petits, c'est la deuxième; et le contraire, c'est la première.
Ainsi, tu dois comprendre qu'Avicenne, en voilant ces combinaisons, en a supposé douze, qui, dans l'exacte vérité, se réduisent à six, qui, si l'on en tire quatre de chacune, produisent vingt‑quatre.
Car, quand on dit que l'air et le feu sont plus abondants, il est possible que ce feu soit plus abondant que l'air, et que la terre soit encore moins abondante que l'eau, et ainsi toutes ces combinaisons peuvent se varier de quatre manières d'après la forme qui vient d'être dite. Car, dans la deuxième combinai­son, où il est dit que le feu et l'air sont moindres, l'eau et la terre plus abondants, il se peut que le feu soit très petit, l'air plus grand, l'eau plus grande et la terre plus abondante encore ‑ ce qui produit la pre­mière combinaison ‑ ou que le feu soit très petit, l'air plus grand, la terre plus grande et l'eau encore plus grande ‑ d'où la deuxième combinaison ‑ ou que l'air soit petit, le feu plus grand, l'eau plus grande et la terre plus grande encore ‑ d'où la troisième combinai­son. Tu dois concevoir ainsi les autres com­binaisons par ces exemples. Si tu veux, mon Fils, toutes les connaître, lis la grande alchi­mie d'Avicenne.»

CHAPITRE XV

Il y a quatre degrés seulement dans les choses de la Nature, et pas plus: l'or est le dernier terme désiré de la forme et de la matière.
Le Fils:
«Ô Divine, il ne m'est pas possible d'expliquer la douceur de votre doctrine. Je vous demande avec instance de m'instruire sur ce corps égalisé qui n'est ni actif, ni pas­sif, et dans lequel vous dites vous reposer: car dans ce corps est le dernier terme désiré de la forme et de la nature. »
La Nature:
«Apprends donc, mon Fils, que l'union égalisée tempérée dépend de la qualité des quantités eu égard aux puissances actives et que cette qualité est dite avoir ses degrés, du moins quant à l'union humaine, et cela jusqu'à quatre selon le degré de puissance ou, selon quelques-uns, jusqu'à dix. Quoique les Latins n'admettent que quatre eu égard à l'intelligence et à l'union humaine, degrés qui, naturellement, et d'après eux, peuvent être tempérés et égalisés à l'infini. Tu auras ainsi ton égalisation conformément à l'or; tu égaliseras à son instar l’œuvre que tu cherches et cela arrivera lorsque tu connaî­tras ses racines. Par les autres, tu serais trompé. »
Le Fils:
«Dieu aidant, et en imitant votre doctrine, j'espère parvenir au terme que je désire: je vous conjure cependant de m'expliquer ces quatre degrés d'après le sens de l'union humaine. »

CHAPITRE XVI

La Science des degrés se continue encore, et en quoi un degré surpasse l'autre.
La Nature:
«Sache, mon Fils, que le premier degré relatif à l'union humaine est celui dans lequel est l'égalité. Le deuxième excède l'égalité. Le troisième tend en quelque manière vers la lésion. Et le quatrième, à cause de son excé­dent, blesse le sens.
Par exemple, lorsque l'eau est bien tempé­rée, le froid également mêlé avec le chaud de manière que le sens s'y complaise, c'est le premier degré. L'eau qui n'est pas assez tiède est trop froide et déplaît au sens; elle repré­sente le deuxième degré. Si elle est chaude jusqu'à blesser le sens, c'est le troisième degré. Si elle est bouillante, c'est le qua­trième degré. Ces degrés peuvent aller jusqu'à l'infini: mais quant à nous, c'est conformément à l'augmentation de ces qua­lités là, surtout dans le quatrième degré, que cela concerne le domaine de l'union humaine. Lorsque cette union, évoquée plus haut, est dite égale et tempérée, c'est ce qui convient le mieux à la nature humaine, non pas que je considère ou sache quel degré est nécessaire ici dans les choses, mais je vois d'abord selon le toucher et le sens, et ensuite selon la vertu et la puissance.
Car le gingembre est froid selon le sens, le tact et la substance, et selon la propriété d'union il est chaud et humide. Le vin est froid et humide selon le tact extérieur, la sub­stance et le sens, et selon la propriété d'union il est chaud et sec.
Tu peux comprendre par là qu'un magis­tère est contraire à son occulte. »
Le Fils:
« O Divine, que vos paroles sont suaves ! Dévoilez‑moi donc encore quelque chose sur cette égalisation que je désire tant, car vous m'avez tant embrouillé dans ces combinai­sons que je ne sais à quel parti m'arrêter. »
La Nature:
«Si tu désires en savoir davantage sur ce corps égalisé ou à égaliser, écoute ce que les Philosophes pensent sur cet objet. »

CHAPITRE XVII

Où il est enseigné ce qu’est la quadrature du cercle, que plusieurs savants cherchent en vain, car ils ne comprennent pas ARisToTE ; plusieurs objets différents sont traités dans ce chapitre.
La Nature:
« Euclide, dans le Rosaire, s'exprime ainsi: "On pourrait connaître les proportions de cette eau si l'on divisait et multipliait le poids des corps en douze parties". Un certain autre dit aussi: "Si le contenant (le composé qui contient) a deux livres, ajoutez deux grains de mercure préparé..." et il ajoute: "Que la pierre de l'aigle soit neuf de ferment, c'est‑à­-dire de la terre, parce qu'une petite partie de ferment corrompt toute la masse". Socrate dit dans la Tourbe : "Si vous mettez un peu d'or, il en sortira une teinture puissante et. blanche". Parmenides dit: "Un surmonte dix". Hali ajoute: "Connaissez le poids et la quantité de la matière et ajoutez‑lui l'humi­dité qu'elle peut contenir: la quantité de la matière n'a point de poids déterminé... ».
Un autre s'exprime ainsi en vers: "Que la dixième partie des choses soit pleine de germes". Dans le traité qui commence par "Ainsi la terre existe...", il est dit: "La terre doit boire autant qu'il y a de l'autre masse...". Bacon dit, en parlant des unions des corps: "L'esprit doit être en proportion de la dixième partie du corps". Dans un autre traité, il est dit: "La proportion du corps est selon votre proportion, mais la pro­portion du métal est la cinquième et la sixième partie de la médecine".
On trouve, au commencement d'un traité: "Vénérable père, comprenez par les quatre angles les quatre éléments., et par douze les troisièmes imbibitions: prenez les poids, tournez la quadrangle dans le cercle, et vous aurez tout… ». Plus loin, dans le même traité: "Il est particulièrement à remarquer que dans ce cas les poids sont pris égalisés et sans angles, parce que nous usons ainsi de la ligne égalisée. Prenez donc un poids égal de chacun d'eux". Dans un autre traité en vers: "Qu'on prenne autant de soufre que de l'eau du fleuve...". Dans le même traité, avec insistance, on lit: "Faites que la quantité de la mère soit au pouvoir du fils afin que le nombre ternaire attire en lui
quatre retours  Ecoute aussi ce que dit
Hermes à ce sujet: "Ô Fils de la Science, sachez; donc que l'eau doit être pesée savam­ment, d'après la proportion que j'enseigne­rai: prenez donc deux tiers de l'humeur et quatre parties de la rougeur méridionale, autant de sehit qui est la terre citrine et de l'orpiment une moitié qui est huit  Ces paroles énigmatiques sont pleines de mys­tères et présentent un sens obscur.
Jean D'AuTuN, qui fut un excellent Philo­sophe, écrit à un cardinal: "Etablissez l'unité par le divin dinaire". Raymond Lulle, au chapitre 91, dit: "Et pour cela il est démon­tré que la vapeur du menstrue terrestre et de l'argent vif ne doit pas excéder le poids du métal pur, mais lui être égale" et, au cha­pitre 82 : "Joignez‑lui la neuvième partie de la tête rouge, dont la nature est très chaude, avec deux parties du pied blanc". Le Com­pagnon Benard dit aussi: "Dieu fit un et dix qu'il multiplia dix fois" et encore: "Mettez la dixième partie avec la dixième partie...". Arnauld de Villeneuve dit: "Ne soyez ni prodigue, ni avare, mais tenez le juste milieu  Un autre dit aussi: "Plus l’œuvre est élevée, moins elle exige d'argent". Certain autre dit encore: "Les poids que je propose renferment donc des secrets: cinq poids de Jupiter vif sont liés par deux; vingt fois cinq poids de vin pur donnent des bles­sures à Mars...". Et encore un: "Il y a vingt-­quatre heures dans le jour, ajoutez‑en une et il y en aura vingt‑cinq".
Mon Fils, je pourrais citer encore plu­sieurs de leurs paroles à ce sujet, mais il me semble que celles‑ci peuvent suffire pour satisfaire à tes doutes. Si tu les conçois, tu verras que, quoiqu'elles se diversifient, elles S'accordent cependant toutes dans le sens et l'intention. »
Le Fils:
«Je vous rends, ô bonne Divine, de nom­breuses actions de grâces, non seulement de tous vos bienfaits actuels, mais de tous les précédents. Car vous m'avez agréablement et finement éclairé, quoique les choses que vous venez de présenter soient assez obscures et même difficiles , j'espère cependant par leurs moyens et avec la grâce de Dieu parve­nir à ce que je désire. Je me souviens d'avoir lu dans le livre de Marie, sœur de Moise, "faites le mariage de la gomme avec la gomme..." et dans Morien "faites en sorte que la femme rouge saisisse la blanche...", mais il ne découvre pas la manière de le
faire, ainsi que vous l'avez pratiquée vous-­même de plusieurs façons.»
La Nature:
« Il n'en est pas de cette Science comme des autres, car elle ne doit pas être enseignée à tout le monde et il est peu d'hommes qui soient dignes d'une si grande faveur. Ainsi on ne doit, selon l’usage des anciens, la commu­niquer que par des énigmes, des paraboles, des figures et autres semblables. Les Sages, élus de Dieu, savent séparer le grain de la paille et faire la thériaque du serpent selon BAcON, déjà cité: "'Partout où Dieu a mis une grande vertu, il y a placé une grande dif­ficulté pour gardienne, comme on le voit dans les vipères, qui renferment un très grand secret qu'on ne peut obtenir qu'avec péril et difficulté très grands".
Je cache cette Science qui conduit à la confusion la plupart des hommes qui la recherchent. Il en est peu qui la trouvent, tandis qu'une infinité s'y perdent. Cepen­dant, rien au monde n'est plus vrai qu'elle, et toi, si tu ne peux comprendre la première leçon que je t'ai donnée, recommence‑la et prie le créateur de daigner éclairer ton intelli­gence, et finalement tu trouveras ce que tu cherches. »

CHAPITRE XVIII

Cette Science ne s'acquiert pas par des recettes ou de vaines études, mais en travaillant, en méditant et en exécutant la chose même.
Le Fils:
«Je vous implore, ô Divine, pour que vous daigniez au moins me développer l'un de vos propos. Vous avez dit plus haut vingt‑quatre heures font le jour, si l'on en ajoute une elles font vingt‑cinq. Quoique je pense que cela soit très vrai, j'ignore pourtant ce que vous voulez dire par là.»
La Nature:
«Tu n'as pas oublié que le jour est dans ton jour par le soleil luisant. Que ton soleil doit conduire cette oeuvre à sa fin. Ajoute‑lui un jour de lune qui est le mercure, et ils seront vingt‑cinq. Ne vois‑tu pas à présent ce que c'est ? »
Le Fils:
«Ô Divine, je vous remercie de nouveau de toutes mes forces, en vérité nous avons de grandes obligations envers les Philosophes qui nous ont transmis cette Science afin que les prudents et les ingénieux devinssent en l'acquérant plus dévots envers Dieu. Caton parlait bien lorsqu'il disait: "Celui qui n'a pas goûté les amertumes ne se ressouvient pas des douceurs, celui qui refuse de com­battre pour régner n'en est pas digne, qui pourrait opérer une victoire sans combat ?". »

CHAPITRE XIX

Dans lequel il est enseigné quel est le premier moteur dans les choses naturelles. Comment, d'un grain semé, la Nature le multiplie à l'infini, et comment l’Art imite la Nature. Et que, la pierre accomplie, on peut la conduire à la forme que l'on voudra.
La Nature:
« je vois, mon Fils, que tu commences à réfléchir. C'est pourquoi je me plais à t’ins­truire. Sache donc que le premier moteur en moi, Nature, est l'esprit végétatif, qui dans les végétaux est dit vapeur aérienne, et dans les animaux vapeur radicale ou chaleur innée : et c'est proprement dit le feu de nature. Ne pense pas cependant que ce soit le feu chaud et sec. C'est au contraire, comme je l'ai dit auparavant, le feu naturel, qui est proprement dit chaud et humide. Et à cause de cela, les Philosophes disent que leur pierre est végétale, puisque, sans cet esprit, elle ne croîtrait ni ne pullulerait. »
Le Fils:
«Qu'entendez‑vous, ô Divine, par croître et pulluler, car je ne pense pas qu'elle croisse ni qu'elle soit multipliée, si ce n'est comme le pain croît en ajoutant de la farine et les autres choses nécessaires à sa fabrication. »
La Nature:
«Mon Fils, tu l'entends mal. Car la pierre, C'est‑à‑dire la médecine que tu cherches, végète et se multiplie comme le grain de fro­ment jeté dans une bonne terre, lequel, lorsqu'il est mort, rapporte néanmoins beau­coup de fruits. Ainsi témoigne le divin PAuL, ce qui est semé ne fructifie pas qu'il ne soit auparavant corrompu, qu'il ne soit mort; ainsi, lorsqu'il est corrompu, il peut produire plusieurs autres grains. Tu dois comprendre de la même manière. Car d'un grain, qui est le plus petit poids, il proviendra, le grain excepté, cent mille talents, qui est le plus grand poids. Et même mille fois mille talents, et ainsi à l'infini sans aucune détermination d'un nombre, d'après la sainte volonté de conduire de la puissance à l'acte.
Tu vois par là que la comparaison avec le pain n'est pas juste, parce que l'opération du pain, si l'on excepte la fermentation, n'a aucune analogie avec ce qui est nécessaire à
cette oeuvre, et ainsi des autres. Si, dans l'exemple de la création, ou plutôt de la génération de l'homme, il ne se trouvait pas dans la matrice de la femme quelque peu de menstrue, ce qui est considéré comme le fer­ment, la génération de l'homme deviendrait impossible, de même que le pain que tu as donné en exemple parviendrait difficilement à la saveur du pain s'il n'était férir enté. C'est pourquoi, mon Fils, il existe plusieurs secrets dans la fermentation, qu'il serait long de décrire. Et c'est dans la vérité de cette chose qu'est caché le secret. Car, lorsque la pierre est achevée et parfaite, tu peux, au moyen de cette fermentation, la conduire à telle forme que tu voudras. Vois ce que disent les Philosophes à ce sujet: "Tout fixe dans le fixe se change en nature du fixe ...... Ne vois‑tu pas un sperme dans tous les ani­maux ? Et qu'il est produit par un sang deux fois cuit, et qu'auparavant il produit diverses formes, mis en divers lieux ? Réfléchis donc sur ce que j'ai dit plus haut, que le lieu engendre le placé. Le sperme est dans tous les animaux comme le mercure est dans les minéraux. Il est dit mercure à cause de son admirable adhérence, de sa mutabilité, il est si susceptible de toute espèce de forme qu'il s'assimile toujours à tout ce à quoi il est joint. Ainsi, dans l'astronomie supérieure, il est bon avec les bons, mauvais et infortuné avec les méchants. Sache donc que ce même mercure ne peut pas craindre dans l'astrono­mie inférieure d'être assimilé de la même manière, car dans les choses inférieures il possède tout en lui, comme dans les supé­rieures, et j'aurais pensé que tu l'aurais com­pris si tu ne t'étais exprimé ci‑devant de manière à m'en désabuser. »
Le Fils:
«Je me ressouviens, ô Divine, d'avoir entendu dire à certains Philosophes que celui qui ne s'est jamais trompé n'a jamais rien commencé. Permettez‑moi de m'égarer encore un peu avant de commencer, car, bien que vous répondiez obligeamment àtoutes mes questions, je suis encore embar­rassé sur beaucoup d'autres, et je suis même incertain sur ce que vous avez dit précédem­ment, à savoir qu'il faut avoir l'esprit végé­tatif, car je ne puis voir un tel esprit dans les minéraux. »

CHAPITRE XX

La médecine des pharmacopéens est corrup­tible, la médecine des physiciens est incorruptible: la pierre est multipliée par la multitude des esprits.
La Nature:
« Ecoute, mon Fils, ce que Raymond Lulle et jean de Rupescissa, son collègue, pensent sur ce sujet dans leurs quintessences. Ils disent que c'est vouloir préserver par une chose putride et qui se corrompt prompte­ment, vouloir restaurer une forme par une chose sujette à la difformité, rendre incor­ruptible par une chose défectueuse, guérir un malade avec une chose malade, rendre propre avec une chose sale, imaginaire et vaine. Mais, avec cette médecine, tu pourras guérir toutes les infirmités, même les plus désespérées, produire l'or, l'argent et les pierres précieuses. Mais elle ne doit pas être faite avec une chose corruptible, comme les médecines préparées chez l'apothicaire, dont la vertu momentanée s'éloigne à la première action qu'elle reçoit: parce qu'elles ne chan­gent pas, mais plutôt sont changées en sub­stance du mixte dont elles sont composées (par la digestion qui les surmonte), quoique néanmoins elles produisent quelque action sur certains sujets. Et cela parce qu'elles sont composées de choses qui se corrompent sou­dain, comme je l'ai dit plus haut.
Ecoute ce que dit Roger Bacon à ce sujet. Il s'exprime ainsi, dans sa lettre, sur la manière d'éloigner la vieillesse: "Il est nombre de choses qui ne montrent leurs forces et leurs qualités que par leur forme, leur matière, leur essence, leur couleur, leur durée, leur conservation et leur corruption", car, comme il le dit lui‑même, "ce qui se conserve longtemps conserve et ce qui se corrompt promptement corrompt. »
Vois donc de quelle complexion et de quelle puissance doit être la pierre, car si elle est sujette à la corruption, tu travailleras en vain sur elle et, comme le dit Job: "Qui pour­rait produire le pur tiré d'une puissance impure ?  Par ces considérations, tu pourras voir clairement que la chose que tu cherches ne doit pas être sujette à la corrup­tion. Quant à tes doutes sur l'esprit végétal: ne vois‑tu pas que si un grain de froment ou d'une autre semence était percé avant d'être semé, il perdrait son esprit végétal et ne pourrait plus croître sans cet esprit ? Car, la cause manquant, l'effet manque aussi.
De même, comment pourrais‑tu espérer multiplier à l'infini la médecine avec une petite quantité de la pierre sans la vertu de son esprit végétal ? Car je ne puis faire végé­ter nulle chose sans lui. La puissance végé­tale est la première dans l'homme ` excepté cependant la puissance élémentaire, et elle a sous elle la puissance générative, sous quatre autres puissances que je t'ai expliquées plus haut, à savoir: l'appétitive, la suspensive, la digestive et l'expulsive, qui, étant bien pro­portionnées, sans aucune altération et comme je les ai disposées, rendent sain tout le corps de l'homme, et qui complètent cette autre puissance dite sensible. Par elle d'abord tu juges tous les, objets avec ses cinq sens extérieurs, puis par la troisième qui est l'imaginative, ensuite par la quatrième, la rationnelle. Car si l'homme voit quelque affaiblissement dans la puissance végétale, sa puissance sensible est troublée, parce qu'il croit voir ce qu'il ne voit point, entendre ce qu'il n'entend point, son goût n'est pas bon et il distingue mal par l'odorat, parce que, cette puissance du végétal étant altérée, les autres puissances sont altérées ou détruites. Ainsi cette puissance végétale, ou son esprit, est spécialement nécessaire pour engendrer ou produire la médecine. Et si tu ignores, comme tu l'as dit, que cet esprit existe dans les animaux, recherche‑le avec soin tant dans les corps que dans les esprits et leurs milieux. Car sans lui tu ne viendras à bout de rien.»
Le Fils:
«Certes' ô divine Nature, vos paroles sont très vraisemblables au premier abord, mais elles sont ensuite difficiles à comprendre. je me rappelle que vous avez dit que la méde­cine devait s'égaliser à l'instar de l'or: elle n'est donc pas de l'or.»
La Nature:
«J'ai donné plus haut la distinction de l'or en parlant des anges du soleil, et j'ai dit quel est le soleil qui doit être exalté avec quelques raisons, car le soleil vulgaire ne s’exalte pas. Ce que Pline, dans son histoire naturelle, explique en disant que le soleil est, de tous les corps, le plus noble, qu'il n'éprouve aucune déperdition par le feu et que sa matière résiste à tous les incendies, à tous les bûchers. Fais attention que s'il n'était pas égalisé dans ses qualités, il ne pourrait pas endurer le feu, ni sa matière subsister. C'est pourquoi je t'ai dit qu'à l'instar de ses qualités, ta médecine doit nécessai­rement être égalisée. L'or n'est donc pas la médecine, parce qu'il n'a pas en lui cet esprit végétal dont je t'ai parlé, mais il est son aide. Quoique Rhasès dise que la teinture est dans les pierres comme le cœur dans les ani­maux. Ainsi, tu vois clairement ce qu'il n'est pas lui‑même, mais qu'il est à exalter par les Philosophes. Car je l'ai exalté moi‑même autant qu'il est possible. Voilà pourquoi les uns le disent précieux et les autres vil et à bas prix. Exalte‑le donc en le sublimant jusqu'à son plus haut degré, car tu le trouveras par attraction, comme je l'ai déclaré, et lorsque tu le verras ainsi, tu seras sûr d'avoir opéré sur une seule chose, la pureté étant d'une seule essence et l'impureté de plusieurs.
Tâche donc de n'avoir qu'une chose et non plusieurs, et enfin, pour te satisfaire, je découvrirai ce secret de tout l'Art par récapi­tulation.
Comprends, mon Fils, que cette Science ressemble aux aliments dans la nourriture. J'ai parlé précédemment de l'appétitive, de la relative, et de la digestive. je m'efforcerai de nouveau de te montrer non seulement la manière dont se fait leur digestion, mais aussi par quel moyen les aliment sont chan­gés en nourriture. »

CHAPITRE XXI

La digestion se fait au moyen de la chaleur humide, mais il ne suffit pas dans l’œuvre d'avoir une chaleur extérieure, encore faut-il avoir celle qui est cachée dans la matière.
La Nature:
« Conçois, mon Fils, que partout où il y a un végétatif pour instrument, il y a un sensi­tif pour moteur, car la digestion paraît se faire par les propriétés du moteur et non de l'instrument. Et quoique l'animal prenne quelquefois des aliments dans le végétal, ceux qui lui conviennent sont néanmoins dans le sensitif. Il faut donc que la conver­sion se fasse au moyen de sa propre chaleur naturelle qui digère l'aliment. Parce que nous n’apercevons aucune cause qui puisse se produire. Il n'est pas vraisemblable que cela puisse se faire par une seule chaleur, car alors la digestion se ferait plutôt par le feu des foyers que par une chaleur naturelle. Et si elle était ainsi produite, elle ne se change­rait pas en sang, en chair et en os comme le montre l'expérience. Il est nécessaire que quelque autre cause cachée y agisse, qui ne paraisse nullement, mais conserve néan­moins le lieu et engendre ce qui s'y trouve placé comme il a été dit plus haut; et, par là., réponde à cette cause qui n'est point divul­guée. Elle répond cependant en quelque manière aux incertitudes des hommes. Com­prends donc, mon Fils, que la chaleur exté­rieure ne te suffit pas dans ton oeuvre, quand bien même tu aurais toutes les choses qui lui sont nécessaires., avec la chaleur qui digère la matière, à moins que tu n'aies aussi cette cause occulte que je viens de te découvrir clairement si tu m'as bien comprise. Comme je l'ai dit, cette chose est cachée dans le moteur et non dans l'instrument. »

CHAPITRE XXII

La Nature enseigne que toute chose est avec une âme ou, ce qui revient au même, un esprit végétatif qui meut la chose; que cet Art ne dépend pas de nous, mais de Dieu tout puissant, et que pour cette raison nous devons l'invoquer et prier.
Le Fils:
« Ô Divine, il me paraît que vos paroles sont profondes, et vous touchez au but avec finesse, mais je ne vois pas bien comment je puis diriger mon opération suivant cette cause occulte, à moins que ce que vous dites être le moteur ne soit la cause de l'effet et, dans ce cas, la cause serait dans l'âme, qui ne produit d'effet que lorsqu'elle existe dans son propre corps. Parce que la nature ne se réjouit que dans sa nature, comme il est dit des esprits existant dans leurs corps morts. Car, quoiqu'ils fassent mouvoir, par le man­ger, ils ne digèrent pas par la chaleur natu­relle qu'ils n'ont point du tout, et par consé­quent pas par cette autre cause occulte dont vous nous avez parlé.»
La Nature:
«Mon Fils, tu as parfaitement répondu, car il en est ainsi dans la vérité. Joins donc l’âme avec son corps au moyen de l'esprit, car l'âme ne s'empare de son corps que par l'intermédiaire de son esprit. Attendu qu'elle est de sa nature trop éloignée du corps. Et si l'esprit, allégoriquement, est placé avec l'un et l'autre, le corps sera attiré, quoiqu'il soit de lui‑même inerte et sans effet et qu'il soit éloigné de la nature de l'âme.
Conçois donc ce que je t'ai dit si tu veux parvenir au magistère. Mais si tu ne peux pas le saisir au premier abord, alors prie le créa­teur qu'il daigne t'accorder sa grâce, avec laquelle ton intelligence s'éclairera et te fera accomplir ton dessein.
Ne recherche cependant pas cette méde­cine pour t'élever et te glorifier au‑dessus des autres, comme le font les arrogants, les ambitieux et ceux qui mettent du faste dans leurs professions, parce que ces sortes de gens sont réprouvés non seulement de Dieu, mais de tous, et de la Science même qu'ils sont indignes d'approfondir.
Ne la recherche au contraire que pour ser­vir Dieu de toutes tes forces, pour connaître ce qu'il a fait pour les hommes de sa propre
et bonne volonté, et combien il est infini dans sa miséricorde. C'est ainsi que tu deviendras digne des grâces infinies du tout-­puissant, dont le Très Saint Nom soit béni. Amen. »

Germinal, an X

Les Philosophes se sont plus efforcés de cacher l'Art que de le découvrir. Le fait est que la Science tout entière se fonde sur les métaux et leurs racines. A cause de cela, ils se sont employés à occulter l'Art à l'aide de particularités, d'opposés, de noms. Quant à moi, appliqué à l'étude de la Science, j'offre ce que j'ai trouvé dans mes voyages: regar­dez avec attention.
Bernardus a Portu Aquitanus



FIN