1672
Bien que je n'eusse pas résolu de laisser ce grand secret des anciens savants à aucun homme par écrit, je l'ai néanmoins fait par cette affection et amour que j'ai pour toi, sachant que tu aurais bien de la peine à en venir à bout autrement, parce que la vie est courte, et cet art fort caché ; mais puisqu'une si précieuse perle n'est point pour des pourceaux & qu'il faut qu'on travaille un tel présent du ciel avec prudence et piété, c'est avec constance que je me suis déclaré envers toi et que je te conjure par ma main et bouche saintement, premièrement de garder fidèlement cet écrit de tous ceux qui sont méchants, avaricieux et vicieux, deuxièmement de n'en avoir d'autre but que la gloire de Dieu créateur de lumière, et la commodité de ton pauvre prochain. Garde-le étroitement de peur que mon âme ne t'accuse au jour du jugement. Je t'écris donc ce traité sur la place qui m'est destinée au ciel, tout comme j'ai trouvé ce trésor précieux et comme je l'ai touché de mes doigts. C'est pour cela que je l'ai souscrit de mon propre sang, mourant à Leyden le 23 mars 1672.
Prenez au nom de Dieu du plus pur et net sel de mer, comme il est cuit par le soleil ; il vient d'Espagne par mer. Le mien était de St.Uby. Faites-le bien sécher dans quelque lieu chaud, pillez-le bien subtilement en poudre dans un mortier de marbre afin qu'il se puisse dissoudre plus facilement en eau de rosée dans le mois de Mai ou de juin quand la lune est dans son plein. Remarquez que quand la rosée tombe avec un vent d'est ou de sud-est, il faut avoir planté des pilons d'un pied en terre ; mettez dessus de grands carreaux de verre sur lesquels la rosée s'attachera (on expose les carreaux quand le soleil est couché et on les ôte une demi-heure après son lever). Alors ayez un vase de verre dans lequel vous recevrez la rosée qui sera sur les dit verres plats, par un de leurs coins. Faites ceci tant que vous en ayez assez, car tout le quartier de la pleine lune est bon : en autre temps la rosée est trop faible. Ensuite il faut bien boucher le verre avec de la cire jusqu'à ce que vous en ayez besoin afin que les esprits ne se perdent pas et pour cet effet les mettre dans un endroit froid et non chaud.
Prenez du sel pillé et le jetez dans un verre bien net où vous aurez mis de cette rosée pour le dissoudre peu à peu autant qu'elle en pourra dissoudre, ce que vous connaîtrez si le dernier sel reste quatre jours sans se fondre. Alors c'est signe qu'il y en a assez et la rosée a son poids naturel comme la semence dans la matrice.
Prenez à discrétion de cette eau imprégnée de sel. Pour moi j'en ai mis 2 £; mettez-la en une fiole à courte queue à peu près de cette figure. Remplissez-la et lutez adroitement (pour moi je laisserais les trois quarts vides) comme j'apprendrai à faire en appliquant en même temps à son ouverture un couvercle qui ait justement la grandeur qu'il faut, ce qui doit se faire fort adroitement afin que les esprits subtilisés et vifs de la rosée ne s'évaporent, car quand ils sont partis l'âme du sel ne saurait jamais être ramenée, ni l'ouvrage réussi à bien ; faites sécher le lut de lui-même et mettez la fiole dans le fourneau du B.M. comme je vous montrerai à faire pour le faire pourrir. Bouchez-le donc de bonne boue , à cet effet, faites sécher le lut de lui-même et donnez le moyen degré du feu et le laissez, digérer 40 ou 42 jours et vous verrez la matière devenir noire, qui est une marque de sa pourriture. Lorsqu'elle sera en cet état, mettez ce verre avec sa matière à une boule de bois au fourneau au sec; donnez un bas degré de feu et continuez cela 13 jours également.
Alors la matière commence à se coaguler et devenir comme sel grisâtre à l'entour du verre, et quand vous remarquerez cela ne donnez plus de feu afin qu'elle ne sèche trop et la laissez refroidir insensiblement d'elle-même ; alors mettez votre verre au fourneau à pourrir comme devant, donnez le même degré de feu et continuez 40 jours, et la masse se résoudra d'elle-même; mais il faut bien prendre garde de rompre le lut, et quand vous le mettrez au fourneau à pourrir, il faut couvrir le goulot avec un morceau, de bois fait exprès, avec un petit chapiteau de verre afin que l'humidité ne le gâte pas, et quand vous verrez que la matière commence à noircir mettez le verre à congeler, et lorsqu'elle sera grisâtre et s'attache au verre, mettez-la pour la troisième fois et la quatrième à pourrir, et faites comme auparavant, et continuez cela en pourrissant et congelant jusqu'à cinq fois, ou bien jusqu'à ce que vous voyez que votre eau soit claire, nette et transparente dans la résolution et blanche comme neige dans la congélation ; alors elle est préparée et devenue en sel fixe ; mais avant que d'ouvrir la fiole pour la prendre, il faut auparavant, d'abord la faire résoudre en belle eau et ensuite la laisser refroidir doucement.
Ouvrez ensuite la fiole et vous trouverez la matière diminuée d'une troisième ou quatrième partie environ, mais au lieu d'eau salée c'est une espèce d'eau très douce et très pénétrante, un peu épaisse, laquelle est cachée par les Philosophes sous des noms singuliers, et c'est le mercure des Philosophes ; c'est l'eau dont le soleil et la lune sont faits, car comme on dit que le soleil est son père et la lune sa mère, ainsi vous trouverez dans cette eau la puissance des deux luminaires véritablement ensemble dans leurs propriétés naturelles. Si vous prenez 15 ou 25 gouttes de cette eau, elle fortifie l'esprit ; la mémoire, rend sage et donne des révélations de choses grandes et merveilleuses de tous les mystères inouïs et inconnus, desquels je n'ose plus parler ici par le serment que j'ai fait à Dieu. Le temps et la matière de vous servir de cette eau bénite vous sera révélé aussitôt que vous l'aurez prise, car vous aurez des influences bénignes comme si le ciel et tous les astres avec leurs forces travaillaient et opéraient miraculeusement en vous. Tous les arts et les perfections célestes vous viendront comme dans un songe, mais le principal est que vous apprendrez à parfaitement connaître la nature de toutes les créatures, et par tous ces miracles, Dieu Tout-Puissant, très Saint, Créateur du Ciel et de la Terre, comme Moïse, David et tous les autres saints, car la sagesse de cette fontaine vivante vous le fera connaître comme elle a fait à Salomon et aux autres frères de notre fraternité.
Lorsque vous aurez achevé l'œuvre susdit de la manière que je viens de vous l'enseigner, si vous voulez la pousser et procéder à une plus haute perfection, pour en avoir la teinture sur les métaux, écoutez ce fidèle et fructueux conseil :
Prenez au nom de Dieu de cette céleste eau de Paradis autant que vous en voudrez, dans un verre à dissoudre, et mettez-la sur un faible feu de cendres afin qu'il reçoive la même chaleur douce que les cendres, et ayez de bon or bien purifié pour l'élixir rouge, ou de l'argent à coupelle pour le blanc, car le procédé est partout le même, et dans l'un et dans l'autre, cet or ou cet argent doivent être battus en feuilles comme celui des doreurs.
Jetez-le dans le verre à dissoudre dans cette eau bénite comme vous avez fait avant avec le sel, et il se fondra comme la glace dans l'eau chaude ; continuez ceci jusqu'à ce que vous voyez que l'or ou l'argent y restent 4 jours sans se dissoudre; alors il a reçu son poids naturel ; mettez cette solution comme auparavant dans un verre rond ; et le remplissez jusqu'au tiers du verre, de sorte que les deux tiers soient vides, scellez hermétiquement, faites sécher le lut et mettez après dans le fourneau de l'humidité, faites le feu et le tenez 40 jours dans un continuel bain ; lors le soleil et la lune seront résouds radicalement et vous verrez la plus grande noirceur du monde. Sitôt que vous la remarquerez, ayez votre fourneau sec, et faites-le chauffer à son degré; mettez-y le verre avec la matière et donnez égal degré de feu, c'est-à-dire bas et doux pendant quinze jours ; avant ce terme vous verrez et entendrez des merveilles surprenantes qui m'ont surpris moi-même, et entendrez un bruit et un murmure qui se fait dans la fiole, comme si c'était de l'eau et de la glace qui se brisent et se fondent, et mille diverses couleurs paraîtront à vos yeux, et vous verrez comment le monde a été fait et créé dans son commencement, et quelle est l'origine, le milieu et la fin des temps. Après 12 ou 15 jours de temps, la matière se rassoira en une poudre de très beau rouge, mais pour la lune, d'une couleur comme un gris de perles. Alors le corps, l'âme et l'esprit seront unis ensemble, de quoi les Philosophes ont parlé.
Il n'y a point de vraie solution de corps sans que les esprits soient auparavant coagulés et bien réduits l'un dans l'autre et de l'autre dans une proportion égale afin que l'être corporel devienne comme une pénétrante puissance spirituelle, et au contraire l'incompréhensible puissance essentielle s'unit à lui corporellement par le feu, car il y a une telle communication entre eux deux, qui, comme le Ciel coopère dans le plus profond de la terre et produit tous les trésors et richesses du monde, ce que les Philosophes ont entendu quand ils ont dit : 0h l'admirable sympathie de la nature, connue aux vrais Philosophes. Cette poudre est déjà bonne à faire projection sur les métaux de cette manière : Faites fondre 5 parts de bon or ou argent dans un creuset, et mettez une part de votre poudre laquelle vous incorporerez dans un peu de cire. Jetez-la dedans et donnez fort grand feu pendant une heure. Otez après le creuset et vous trouverez l'or frangible et calciné. Jetez-en une part sur dix de quelqu'autre métal fondu que ce soit : il le changera assurément en soleil ou lune meilleurs que ceux des mines, mais je vous conseille néanmoins de ne point consumer la teinture à cela si ce n'était pour faire une épreuve ; car si vous mettez cette belle poudre rouge à pourrir encore une fois dans le Bain elle se changera en 25 jours en huile rouge pour l'or et pour l'argent blanche tirant sur le bleu. Si vous prenez quelque monnaie ou quelque métal et que vous le plongiez dans cette huile, il se changera dans le moment sans se gâter en pur or ou argent comme je vous en ai donné ici 4 preuves ; mais il s'en perd beaucoup en faisant cela, c'est pourquoi il le faut faire bien vite et adroitement si l'on en veut faire épreuve.
Quant à l'usage de cette huile pour le corps humain, 3 gouttes prises dans de l'eau de mélisse ou de bon vin du Rhin guérit toutes les maladies du corps en un moment radicalement, rajeunit le corps comme s'il était régénéré, chasse toutes les faiblesses des membres, fait croître les cheveux, les dents et les ongles en moins d'un mois : en un mot il chasse toutes les infirmités et tout ce qui est mauvais dehors par une grande sueur, raccommode tout ce qui est gâté et conserve l'homme dans une continuelle santé jusqu'à la fin de sa vie qui lui est destinée de Dieu. Si vous voulez achever cette huile pour en faire une projection plus forte, mettez-la encore à coaguler et durcir et elle se changera en poudre rouge plus belle qu'un rubis en 12 jours avec une variété incroyable de couleurs, laquelle deviendra beaucoup plus rouge qu'auparavant, semblable aux escarboucles, et pour le blanc plus blanche sur la neige. Une partie de cette poudre mise sur 5 d'or ou d'argent fondus après avoir donné grand feu pendant une heure comme j'ai dit déjà donneront une poudre de laquelle une partie sur 100 ou 150 d'autre métal fondu le change dans le moment en pur or ou argent selon que l'on a travaillé.
Si vous voulez augmenter cette médecine, mettez encore pour la troisième fois la poudre dans le bain pour dissoudre, ce qui se fait en 20 jours. Elle deviendra d'un beau clair transparent en huile rouge, mais pour le blanc, comme un cristal transparent, duquel une goutte fait tout ce que nous avons dit, mais il faut continuer à la prendre deux fois par an comme je l'ai expérimenté moi-même. La poudre est trop chaude et trop violente ; ainsi usez-en avec prudence, car il y va de la vie.
Cette dernière huile, afin que l'on en puisse faire projection se doit coaguler dans le fourneau au sec, & il paraîtra toutes sortes de couleurs et comme de petits animaux montants et descendants et enfin dans 8 jours la matière est au fond comme un corps mort et mise une partie sur cinq d'or ou d'argent fondus fait comme auparavant une médecine dont une partie choit sur 300 et plus de métal imparfait.
On peut continuer à résoudre & coaguler de cette manière jusqu'à quatre fois ; après la quatrième opération une partie de cette pierre ira sur 500 d'autre métal ; la cinquième fois elle ira sur 700. Quand vous l'avez augmentée et perfectionnée de la sorte jusqu'à cinq fois, il se résout en trois jours et se coagule en 24 heures en une rougeur d'une clarté incroyable et pour le blanc comme un rayon de lumière.
Je l'ai poussée jusqu'à la huitième fois, mais la septième elle était si subtile que j'en ai perdu beaucoup en ce qu'elle s'évapore subtilement en l'air, et à la huitième fois elle s'est tout évanouie et remplit l'air d'une odeur si suave et si agréable qu'il me semblait être en Paradis tant j'avais les sens saisis, surpris et enchantés d'une si charmante odeur. Aussi je vous conseille de ne pas pousser cet œuvre plus loin que la sixième fois, de peur qu'il ne vous arrive de même.
Je pourrais écrire encore beaucoup de merveilles de cet art céleste, savoir comme on peut préparer toutes sortes de pierres précieuses avec cela, mais il faudrait faire une grand livre pour le bien faire connaître par écrit, parce que cet art est infini et ne peut être tout à fait compris par la vue.
Mon propos, cher fils et neveu a été de te mener avec dévotion dans les mystères de la nature qui enseigne notre science ce que j'ai fait fidèlement. Commence ton ouvrage au nom du Seigneur comme j'ai fait, sois secret et charitable de tout ton cœur, ainsi tout te réussira dans le travail, et cependant que tu seras occupé beaucoup de frères de notre ordre t'iront voir en cachette car je t'ai écrit la vérité sur la place que Dieu m'a destinée dans le Ciel et par le même Dieu éternel tout ce que j'ai trouvé par le moyen de mes continuelles prières et toute diligence possible, ce que j'ai vu et manié.
C'est pour cela que j'ai souscrit ce testament avec mon propre sang au dernier jour de mon temps sur mon lit mourant à Leyden le 23 mars 1672.