ROGER BACON
DE L'ADMIRABLE POUVOIR ET PUISSANCE DE L'ART, OU IL EST TRAITE DE LA PIERRE PHILOSOPHALE.
Traduit en Français par Jacques Girards de Tournus.
A LYON
Par Macé Bonhomme
1557
Le traducteur au lecteur,
En un Petit corps gît souvent grande puissance.
Ce qu’entendras (lecteur) lisant ce livre,
Que j’ai traduit & mis en apparence,
Pour d’aucun sots l’erreur ne faire vivre :
Car il démontre à l’œil ce qu’il faut suivre,
Ou rejeter touchant faits admirables,
Tend à ce que l’Art imitant Nature,
Peut bien ce là que maints estiment fables,
Gens hors raison, & d’inique censure.
Aucun y a, qui demandent lequel des deux est plus puissant, ou nature ou art. Répondant à laquelle question, ou demande, je dis combien que nature soit puissante et admirable, que toutefois l’art, usant de nature pour instrument, est de plus grand pouvoir que la vertu naturelle, comme nous voyons en plusieurs choses. Or tout ce, qui est sans opération de nature, ou d’art, ce n’est point chose naturelle, c’est-à-dire, que c’est chose feinte, et environnée de fraudes et tromperies. Même il y en a aucuns, qui par un subit et léger mouvement, et par une apparence de membres, ou aussi par diversité de voix, subtilité d’instruments, ténèbres, ou accord, proposent aux hommes maintes choses admirables, qui ne sont aucunement vraie (Le monde est plein de ces balliverneries, comme il est manifeste). Qu’ainsi soit les joueurs, plein de raillerie et gaudisserie, baillent maintes mensonges d’une vélocité de mains. Et les divinateurs d’une variété de voix au ventre et gosier, par choses controuvées et en leur bouche, forment voix humaine de loin, ou de près, ainsi qu’ils veulent : et comme s’il y avait humain esprit, qui lors parlât. Voire, ils feignent et sont des bêtes brutes. Mais les causes ou raisons sujettes à l’herbe et cachées aux côtés de la terre, démontrent que les choses que lesdits divinateurs feignent par grand mensonge, sont une puissance humaine, et non point esprit. Aussi ce n’est vérité, ains fraude et déception, dire, que les choses inanimées se meuvent légèrement, ou souvent, par temps de nuit, ou par temps que le jour faut, qu’on appelle communément entre chien et loup. Au reste, consentement contrefait tout ce que les humains veulent, selon qu’ils se disposent par ensemble. En toutes ces choses n’y a considération d’aucune raison naturelle, ni d’art, et n’y est point la puissance de la nature : mais en ceci l’occupation est plus méchante, quand l’homme méprise les lois de Philosophie, et contre toute raison invoque les méchants esprits, afin que par eux il accomplisse sa volonté. En quoi certes y a erreur, de ce qu’il croit, que les esprits s’humilient à lui, et qu’on les contraint par humaine volonté (ce qui est impossible, pour autant que l’humaine puissance est beaucoup moindre, que celle des esprits) et aussi, que par certaines choses naturelles, desquelles il use, il a ferme opinion, qu’on appelle, ou qu’on figure lesdits malins esprits. Derechef, il y a abus, quand par invocations, déprécations et sacrifices il s’efforce de les apaiser, et amener pour l’utilité des mortels. Considéré, que plus aisément sans comparaison faudrait impétrer de Dieu, ou des bons esprits, ce que l’homme doit réputer utile et profitable. Que comme soit ainsi, par telles choses inutiles les mauvais esprits n’assistent point pour lui favoriser, ou pour obtempérer à sa volonté, sinon d’autant que Dieu (lequel régit et gouverne le genre humain) permet pour les péchés des hommes. Et pour ce, ces voies et manières là, sont sans enseignement ou préceptes de sagesse (voire plutôt opèrent au contraire) ni jamais les Philosophes en ont eu cure et soin. Aussi ils ne se sont souciez des charmes et caractères. Et pour dire ce, qu’il en faut tenir et croire (après tout considéré) je connais, que sans doute toutes choses semblables de ce temps sont fausses et douteuses. Voire, ne plus ne moins, que cette œuvre là serait faux et abusif, quiconque ferait caractères, et proférerait des charmes devant un chacun, afin qu’il se fit un e vertu et puissance d’attraction de fer par l’aimant, comme si icelle totalement était inconnue. Certes aucunes choses y a entre les irraisonnables, c’est-à-dire, dont on ne peut donner raison (comme on dirait de la susdite attraction) desquelles les amoureux de science ont fait mention par œuvre de nature, et d’art, afin, qu’ils cachassent les secrets aux gens indignes. Pour raison desquels plusieurs choses sont cachées en diverses façons et manières, aux livres desdits Philosophes. Auxquels le sage et prudent personnage doit avoir cette considération et sagesse de mépriser les charmes et caractères, et approuver l’œuvre de la nature, et de l’art. Quoi faisant, il verra les choses animées et inanimées symboliser, et courir ensemble à nature, pour la conformité d’icelle, non point pour la vertu du charme, ou du caractère. Et en ce point là, les ignares estiment maints secrets de nature, et d’art, être chose magiques. Et aussi les magiciens follement se confient aux charmes et caractères, de ce qu’ils attribuent, je ne sais qu’elle vertu à iceux, et que pour leur gain et attente, délaissent l’œuvre de la nature et de l’art pour l’abus desdits charmes et caractères. Pour cette raison de quoi l’un et l’autre genre de ces hommes là (savoir est, ignares et magiciens) sont dépouillés, ou privés de l’utilité de sagesse, par leur sottie et folie, qui à ce les contraint. Or il y a certaines dépréciations anciennement instituées des hommes véritables, ou plutôt ordonnées de Dieux, et des Anges, lesquelles peuvent retenir leur première et originelle vertu. Mêmement en plusieurs régions se font encore certaines oraisons sur le fer ardent, et quasi blanc d’être embrasé et allumé, et sur eau de fleuve, et semblables choses, qu’on croit se faire par l’autorité de prélats : et auxquelles les simples et innocents sont approuvés, et les coupables condamnés : comme on dirait les exorcismes ou conjurations, que les prêtres font en l’eau bénite : et comme on lit en la loi ancienne de l’eau de purgation, par laquelle l’on approuvait adultères, ou fidélité au mari, et plusieurs autres choses de cette, ou telle et semblable sorte. Mais quand est des choses, et des déprécations, qui sont contenues aux livres des magiciens, on les doit toutes rejeter (combien qu’il y ait quelque chose de vérité) parce qu’il y a tant de choses fausses, qu’on ne peut discerner vérité d’entre mensonge. Dont il faut nier, que Salomon, et je ne sais quels autres sages, les aient composées à tous ceux qui le disent : joint, que tels livres ne sont point reçus de l’autorité de l’Eglise, ni des sages gens, ains de séducteurs, qui prennent la simple lettre, composant nouveaux livres, multipliant nouvelles inventions : afin, que plus fort, ils attirent à eux les hommes (comme nous savons par expérience) proposent titres renommés à leurs œuvres et les attribuent impudemment à l’autorité de tels ou tel Auteur (comme s’ils n’opinaient rien d’eux-mêmes) et aussi font haut style aux choses contingentes, et sous ombre de texte feignent leur mensonges. Mais pour revenir et choir à notre premier propos, les caractères (qui contiennent sens d’oraison inventée) ou ils sont composés et pour traits à la volée, ou ils sont fait à la culture des étoiles en temps esseulés. Or tout ainsi comme nous avons parlé des oraisons, aussi nous jugerons premièrement desdits caractères, et secondement des signets ou images. Si les caractères ne sont fait en leur temps, l’on connaît qu’ils n’ont totalement aucune efficace vertu. Et pour ce celui qui les pourrait ainsi qu’ils ont formés aux livres, n’ayant égard, sinon qu’à la seule figure, laquelle il fabrique à l’exemplaire est jugé de tout homme sage et de bon esprit, qu’il ne fait chose qui vaille. Au contraire, celui-là, qui en dues constellations, (ou notation d’astres) fait œuvre ou aspects, ou inspection des cieux, peut disposer non seulement les caractères, mais toutes ces œuvres tant d’art que de nature, selon la vertu ou influence du ciel. Toutefois, pource qu’il est difficile de percevoir la certitude des corps célestes à cette cause, en ces choses il y a grand erreur en plusieurs, et par façon, que peu de gens y a, qui peuvent véritablement et utilement ordonner quelque chose. Même pour cela le vulgaire des Mathématiciens, qui jugent et opèrent par les étoiles magiques, et par œuvres, comme par jugement en temps élu, n’excelle point beaucoup, ores qu’eux très expert, et suffisamment ayant l’art pourraient faire plusieurs utilités. Néanmoins il est à considérer, que le médecin expert, et un chacun de autre pratique et vacation, peut bien utilement ajouter des charmes et des caractères (ores qu’ils soient feints) selon l’opinion de Constantin médecin. Non point pour ce qu’iceux caractères et charmes soient de quelque valeur, mais bien afin que plus dévotement, et de plus grande avidité ou courage le patient reçoive la médecine, qu’on lui baillerait, qu’il se confie d’avantage, qu’il se réjouisse, et que l’esprit d’icelui s’excite. Aussi l’âme étant excitée, peut renouveler au propre corps plusieurs choses, tellement que d’infirmité ou maladie il prendrait convalescence, et viendrait à santé par le joie et confiance fait tel ou semblable cas, et vient à magnifier son œuvre, à fin que ledit patient soit incité d’avoir espérance de guérison, mais qu’il ne face point cela pour aucune fraude et tromperie, ni pour croire faire croire audit patient qu’il se porte bien, il n’est point abominable de bailler à aucun des charmes et brevets, si nous croyons audit Constantin médecin. Car lui en l’épître des choses qu’on pend au col, ainsi permet des charmes et caractère, et les soutient en ce cas là. Joint (comme dessus) que l’âme peut beaucoup sur son corps par ses véhéments effets, ainsi que démontre bien Avicenne au livre de l’âme, et au VIII des animaux, et tous les sages s’y accordent. A cette cause et raison l’on fait des jeux, et apporte l’on choses délectables devant les malades (voire aucunes fois on permet à leur appétit maintes choses contraires) lesquelles esjouissent tant iceux quelquefois, que l’affection et désir de l’âme, et leur grand espoir vient à vaincre et surmonter leur maladie. Sur quoi, pource qu’il ne faut aucunement blesser vérité, c’est à dire , mentir, il convient diligemment considérer, que tout agent (non point seulement les substances, ne pareillement les accident de la III, espèce de qualité) fait vertu, et apporte ombre et apparence en nature extrinsèque, et que des choses se font certaines vertus sensibles. Pour autant, cela (savoir est faire des jeux, et apporter choses délectables, devant malades) peut profiter et faire (tant pource qu’il est plus notable qu’aucunes choses corporelles, que principalement pour l’excellence, et la dignité de l’âme raisonnable) espèce hors soi. Et n’exerce les hommes seulement de chaleur, mais aussi les esprits sont excités de lui, tout ainsi que des autres animaux. Cela n’est point de merveille, joint, que nous voyons bien qu’aucun animaux se transmue, et attirent des choses obéissantes à eux. Comme l’on dirait, et que nous lisons du Basilic, qui tue par le seul regard du Loup, qui rend l’homme enroué, s’il le voit le premier, que l’homme le voie, et de la hyène (ainsi que raconte Solinus des merveilles du monde, et les autres auteurs) qui ne permet qu’entre son ombre le chien jappe et aboie. Item des jugements en aucuns Royaumes, qui s’emplissent et conçoivent par l’odeur de chevaux, comme narre ledit Solinus. Au cas pareil, et qui plus est, Aristote dit au livre des choses végétables, que les fruits des palmes femelles prennent maturité par l’odeur des mâles. Ainsi donc plusieurs choses semblables et merveilleuses adviennent par les espèces et vertus des animaux, et des plantes, comme affirme ledit Aristote au livre des secret. Non point qu’il faille dire pour cela, que les plantes, et les animaux puissent atteindre à la dignité de nature humaine. Car s’il était ainsi, ils pourraient aucunement faire vertus et espèces, et rendre ou donner chaleurs pour attirer les corps dehors eux, ce qu’ils ne peuvent faire. Pour raison de quoi icelui Aristote dit au livre du sommeil et veille, que si la femme menstrueuse regarde le miroir, elle l’infecte, et qu’en icelui appert nuée de sang. Aussi Solinus encore narre, qu’il y a en Scythie des femmes, qui ont doubles prunelles ès yeux (dont Ovide dit, Nos quoque pupilla duplex) lesquelles quand elles se courroucent, tuent les hommes, par leur seul regard. Certes nous savons que l’homme de mauvaise complexion, et ayant maladie contagieuse, comme lèpre, mal caduque, fièvre aiguë, les yeux fort malades, ou autres cas semblables, qu’il contamine et infecte les autres, qui sont devant lui. Et à l’opposé, nous connaissons, que les hommes bien complexionnés, et sains (et notamment ceux-là, qui sont jeunes) confortent les autres, et qu’on se réjouit de leur présence. Qui est pour causes des suaves esprits, des vapeurs salubres et délectables, et de la bonne chaleur naturelle : et aussi pour cause des vertus, qui se font d’iceux, ainsi que Galien enseigne aux arts. Et ces choses viennent au mauvais, si l’âme est corrompue par divers et grands péchés, si le corps est débile et de mauvaise complexion, et semblablement si la cogitation est très forte, et le désir véhément à nuire, et porter mal encontre. Car lors la nature de complexion, et de fermenté agit plus fort par les cogitations de l’âme, et par les grands désirs, qu’on a. Donc le Lépreux, qui par grand souhait cogitation, et véhémente sollicitude, pourchasserait d’infecter ou envenimer un autre, qui serait devant lui, l’infecterait plutôt et plus fort, que s’il ne pensait point à cela ni le désirerait, et poursuivrait, joint, que nature (ainsi que démontre ledit Avicenne aux lieux prédit) obéit aux pensées et véhémentes affections de l’âme. Voire il ne se fait aucune opération humaine, sinon par cela, que la vertu naturelle obéit aux membres, cogitations et souhaits de l’âme. Or ledit Avicenne démontre au III de la Métaphysique, que cogitation est le premier mouvant, en après le désir conferme à cogitation, puis la vertu de l’âme étant aux membres, qui obéissent aux cogitations et désirs. Et cela (comme dit est) advient aux mauvais. Par quoi quand ces choses se trouvent être en l’homme, à savoir bonne complexion, santé de corps, jeunesse, beauté, élégance de membres, âme nette de péché, forte pensée, et ardent désir à quelque œuvre, alors tout ce qui se peut faire par l’espèce, et vertu de l’homme, par les esprits, et la chaleur naturelle, il est de nécessité qu’il se fasse plus fort avec plus grandes véhémences, que s’il défaillait en aucune de ces choses. Et principalement (dis-je) il est de besoin qu’il se face avec plus grand effort, s’il y a grand désir, et forte intention. Ainsi donc se peuvent faire de grandes choses par paroles et œuvres d’homme, quand toutes les causes ci-devant dites, concourent, joint, que lesdites paroles sont de l’intérieur par pensées de l’âme, et que le désir est par mouvement des esprits, chaleur, et vocale arterie, et leur génération à voies ouvertes par lesquelles y a grand ressort d’esprit, de chaleur, d’évaporation, de vertu, et d’espèces qui se peuvent faire de l’âme, et du cœur. Même nous voyons que haleine et bâillement proviennent du cœur par telles arterie aux parties intérieures, et que plusieurs résolutions d’esprits, et de chaleur se font, lesquelles nuisent aucune fois, quand elles proviennent d’un corps malade, et qu’il soit de mauvaise complexion, et à l’opposite aident, et confortent, quand elles sont produites d’un corps net, sain, et de bonne complexion. Au moyen de quoi certaines opérations naturelles se peuvent par conséquent faire en la génération, et en la prolation de paroles, avec intention et désir d’opérer. Dont non sans cause l’on dit, que vive voix a grande vertu : non point qu’elle ait cette efficace, ou puissance, que les magiciens seignent, ni semblablement, qu’ils estiment à faire, et altérer, mais selon que nature a ordonné. Et à cette cause, il faut bien sagement prendre garde en ces choses : joint que l’homme peut facilement décliner et en l’une et en l’autre partie : et que ia plusieurs errent, de ce, que les uns nient toute opération, et les autres en croient plus qu’il ne faut, et déclinent à l’art magique. Par façon qu’il y a eu au monde plusieurs livres de charmes, caractères, oraisons, conjurations, sacrifices et semblable folies, qui sont purement magiques.
Comme on dirait, le livre des offices des esprits, le livre de la mort de l’âme, le livre de l’art notoire, & autres infinis, qui ne contiennent ( comme dit est) pouvoir & puissance ni de art, ni de nature : mais bien choses controuvées par les magiciens. Toutefois il est nécessaire de considérer qu’on répute & estime plusieurs livres être de ceux des magiciens, qui ne sont pas tels, mais qui contiennent dignité de sapience. Et quant à ce, l’expérience d’un chacun démontrera ceux là, qui sont suspects, & ceux qui ne le sont point. Même si aucun trouve en quelqu’un d’iceux l’œuvre de nature ou d’art, qu’il le preuve & reçoive : si autrement, qu’il le délaisse, comme étant suspect & indigne d’un homme sage considère que tel livre serait superflu, & que c’est à faire à un magicien de pénétrer chose superflue, & non nécessaire. Et ne faut douter qu’en éprouvant la nature & l’art, on ne parvienne à chef de l’intention, qu’on aurait. Parce que, comme Isaac a estimé au livre des fièvres, l’âme raisonnable n’est empêchée en ses opérations, si elle n’est détenue par l’ignorance ? & que Aristote sus allégué est d’opinion au livre des secrets, qu’en telles choses le personnage sain & bon, peut toutes choses qui sont nécessaires à l’homme, avec toutefois influence de la vertu divine. Ce que témoigne le dit Aristote au troisième des Météores, disant, qu’il n’y a vertu, sinon par la puissance de Dieu, & à la fin des Ethiques qu’il n’y a vertu ni morale, ni naturelle de céleste vertu, sans influence céleste & divine. Donc quand nous parlons de l’énergie & pouvoir des choses particulières opérantes, nous ne rejetons point l’agent universel de la première de la première cause, qui infonde plus en la chose causée, que ne fait la seconde, comme contient la première proposition des cause.
Je raconterai donc maintenant merveilles par œuvres d’art & de nature, pour puis après (assignant les causes & manières des choses, auxquels il n’y a rien d’art magique ) dire & conclure, que toute puissance magique est inférieure à ces opérations, & indigne d’icelles. Premièrement par figuration de l’art même instruments pour naviguer se peuvent faire, sans qu’il y ait hommes nageant, comme des grands & marins navires, qui iraient par un seul homme gouvernant en plus grande légèreté, que si elles étaient pleines d’hommes navigants. Se peuvent aussi faire des chariots, qui sans bête ou animal se mouvraient avec inestimable effort, comme on estime avoir été les chariots garnis, & munis de rançon, desquels on bataillait anciennement. Aussi peuvent être fait instrument pour volet, où l’homme étant assis au milieu de l’instrument, virerait aucun engin, & par icelui les ailes, pource faites & composées artificiellement, battaient l’air à la manière d’un oiseau volant. Item se peut faire instrument petit en quantité, pour élever ou abaisser plusieurs poids, duquel il n’est rien plus utile au cas posé : joint que par instrument de la hauteur de doigts & largeur d’iceux, & de moindre quantité, pourrait quelqu’un, soi-même & ses compagnons délivrer de tout péril des prisons & les élever & descendre. Plus se peut facilement faire un engin, par lequel un homme tirerait à soi mille hommes par violence, sans aucune volonté d’iceux, se peuvent aussi faire instruments pour marcher en mer & au fleuve près d’un pré, sans péril du corps (même Alexandre le grand a usé de ces choses, afin qu’il vît les secrets de la mer, selon que narre le moral astronome) & tels instruments anciennement & de notre temps ont été faits & est certain qu’il y a instrument pour voler, lequel n’ai vu, & n’ai connu homme qui l’ait vu, mais bien connais par nom & surnom le sage, qui a découvert cet artifice. Bref, ils se peuvent faire infinies choses semblables, comme des ponts sur fleuves sans colonne, ou pilier, en arc, & aucun empêchement, & des machines & engins, desquels on a point encore ouï parler. Mais quoi ? on trouve plus des figurations naturelles, savoir est qu’on peut ainsi figurer choses claires, & miroirs, qu’une chose se montrerait plusieurs, un homme exercite, & plusieurs, & qu’il apparaîtrait tant de soleils, & tant de lunes, que nous voudrions. Car si aucunes fois les vapeurs se figurent tellement, que deux soleils, ou trois, & deux lunes apparaissent ensemble en l’air (comme Pline dit, au second livre de l’histoire naturelle) par même raison aussi peut une chose apparaître plusieurs & infinies. Raison c’est que après ce qu’elle excède sa vertu, il n’y a (comme argumente Aristote, au chapitre de la chose vaque) nombre déterminé. Au moyen de quoi, se peuvent faire infinie terreurs à toute cité & exercite, & certes périlleux, ou par multitude d’apparition d’étoiles ou d’hommes, sur eux assemblés, principalement s’il choit & advenait quelque cas, sous lequel ils se trouvaient. Emme (dis-je ) se peuvent figurer de choses si claires, qu’elles, étant mises très loin, apparaîtraient très prochaine, & au contraire, tellement, que par incroyable distance nous aurions lu des lettres très petites, & vu choses autant petites, que l’on eut pu percer, & aussi aurions fait apparaître des étoiles en quelque part nous aurions voulu. Et estime-t-on que Jules César en ce point a aperçu, par grands miroirs, au bort & rivage de la mer, en la Gaule, la disposition & assiette des châteaux & cités de la petite Bretagne. Il se peut aussi figurer des corps de telle industrie, que les très grands apparaîtraient très petits, & au contraire : & les hauts apparaîtraient bas & petits, & à l’opposité, & les occultes apparaîtraient manifestes. Qu’il soit ainsi, Socrate trouva & aperçut que le dragon qui corrompait la cité, & la région de son haleine & pestilence influence, résider entre des cavernes de montagnes ( & ainsi toutes les choses qui seraient contraires aux cités, & exercites, peuvent être aperçues des ennemis ). Aussi se peuvent tellement figurer des corps que les espèces & influences venimeuses & infectes iraient là où l’homme voudrait, ce qu’on dit qu’Aristote enseigna à Alexandre, par lequel enseignement ou doctrine il détourna contre la cité même le venin du basilic, qui était élevé sur les murailles d’icelle, encontre son exercite. Ils se peuvent pareillement figurer des miroirs, tels que tout homme, qui entrerait en quelque maison, verrait véritablement or, argent, pierres précieuses, & tout ce qu’il voudrait, & quiconque se hâterait de découvrir le lieu, ne trouverait rien. Mais pour dire ce que je vois dire, est des plus hautes puissances de figuration, qu’on peut amener & assembler rayons par diverses flexions & réflexion, en toute distance, que nous voulons, par façon, que tout objet se brûlerait ( ce que les miroirs, qui brûlent devant & derrière témoignent, comme certains auteurs enseignent aux livres traitant telles choses ) & davantage le plus grand cas de toutes les figurations & choses figurées, c’est qu’on décrive les corps célestes selon leurs longitudes & latitudes en figure corporelle, par laquelle ils se meuvent corporellement au mouvement diurnal. Lesquelles choses vaudraient un royaume à un homme discret & sage. Et quant est pour exemples de figurations, icelles suffiront, combien qu’on pourrait proposer, & mettre en avant plusieurs autres choses admirables. Or à icelles il y en a aucunes annexées sans figurations, & ( en toute distance que nous voulons ) pouvons artificiellement composer feu brûlant de salpêtre, d’huile, de pétrole rouge, & d’autres, d’ambre, de naphte, de pétrole blanc, & de semblables choses. Selon laquelle façon de feu Pline préallégué dit au 2. livre, qu’il y en eut a Rome un, qui se défendit contre l’exercite des Romains, & que par plusieurs projets il brûla les gendarmes armés. A quoi est prochain le feu Grégeois, & maintes choses brûlantes. En outre, se peuvent faire perpétuelle lumières, & de bains ardents sans fin ( ainsi comme nous avons connu plusieurs choses, qui ne brûlent point, mais qui se purifient seulement ) & d’autres choses merveilleuses & épouvantables de nature. Même l’on peut faire en l’air des sons comme de tonnerres , voir en plus grande horreur, que ne sont point les tonnerres, qui se font naturellement ( & certes un peu de matière, adaptée a la quantité d’un poulse, fait horrible son, & démontre véhémente éclair, ce qui advient en plusieurs sortes & manières ) par lesquels on détruirait toute cité & tout exercite, à la manière de l’artifice de Gédéon, qui a détruit l’ost & l’armée des Madianites avec seulement trois cens hommes, par trousses de flèches & carquois vides & par flambeaux ou torches, desquelles il sortait du feu, avec un bruit si violent, & un son si éclatant, qu’on ne le pourrait bonnement dire ou exprimer. Lesquelles choses sont merveilleuses, qui en pourrait user pleinement en due quantité & matière. Mais je propose de l’autre genre, savoir est des effets de l’art, choses émerveillables, lesquelles ores qu’elle ne soient de moult grande utilité, toutefois ont indicible démontrance de sapience, & se peuvent appliquer à la probation de toutes choses occultes ( auxquelles l’ignare vulgaire contredit ) & sont semblables à l’attraction de fer par l’aimant. Car qui est celui qui croirait telle attraction, si ne la voit, attendu qu’il y a en icelle plusieurs choses merveillables de nature, que le populaire ne sait point comme l’expérience montre, & enseigne l’homme désireux. Mais ces choses sont plus grandes & plus copieuses, de ce qu’il y a pareillement attraction de tous métaux par la pierre d’or & d’argent, & d’ailleurs que la pierre court au vinaigre, & aussi les plantes l’une à l’autre, & que les parties des animaux divisées localement concurrent au mouvement naturel. Ce qu’après qu’ai entendu, il m’a été rien difficile à croire ( quand je considère bien tout ) soit ceci, soit cela, tant en choses artificielles, que naturelles. Mais il y a plus grandes chose, que celles là ne sont, savoir est, que toute la puissance de mathématique ( jouxte l’artifice de Ptolomée, au viij de l’Almageste ) ne met pour instrument, sauf superficie, auquel toutes les choses, qui sont au ciel seraient véritablement décrites par leurs longitudes & latitudes : & que néanmoins ce n’est en la puissance du mathématicien, savoir, qu’icelles se mouvraient naturellement au mouvement diurnal. Pour autant le fidèle, & excellent expérimentateur souhaite, que est instrument se fit de telle matière, & par telle matière, & par tel artifice. Et pour ce que plusieurs choses se tournent au mouvement des corps célestes comme les comètes, la mer en son cours, & autres choses, en tout ou en leurs parties, il lui semble être possible, que naturellement elles se meuvent par le diurnal mouvement. Que s’il était ainsi tous instruments d’astrologie seraient inutiles, tant les exquis, que vulgaires, ni le trésor d’un roi se pourrait à grand peine acquérir. Or, pour suivre mon dernier propos de l’art, ils se peuvent faire de plus grandes choses, que n’avons dites, quant à l’utilité publique & privée, non point quant à aucun miracle, c’est à savoir que l’homme amènerait quantité d’or & d’argent sur le champ, & promptement, tant qu’il lui plairait, selon la perfection de l’art, & non toutefois selon la possibilité de nature. Qu’il soit ainsi, il y a dix sept espèces d’or, c’est à savoir huit de la mixtion d’argent avec or, & huit de l’admixtion de cuivre avec or, comme la première manière se fait de parties de l’or avec aucunes parties de l’argent, jusque qu^il parvienne au vingt deuxième carat ou degré de l’or, augmentant toujours un degré d’or avec un d’argent ; tellement, que la dernière espèce soit de vingt quatre degrés ou carats de pur or, sans mixtion d’autre métal. Outre lesquels vingt quatre carats, nature ne peut point procéder, comme l’expérience démontre. Mais quant à l’art, il peut augmenter l’or en beaucoup plus de degrés de pureté, & semblablement l’accomplir sans fraude ou déception. Mais cela est plus grand cas que ne sont point les choses précédentes, savoir est, que l’âme raisonnable ne peut être contrainte, & toutefois peut être de fait disposée, induite, & excitée à vouloir d’elle-même, & de plein gré changer ses meurs, affections, & cupidités, selon le désir & arbitre d’autrui. A quoi faire non seulement une personne singulière peut être provoquée, mais aussi toute une cité, & tout le peuple d’un royaume ( Et le philosophe Aristote démontre telle expérience au livre des secrets, tant de région, que d’exercite, & d’une chacune personne ) auxquelles choses est presque la fin de la nature, & de l’art. Toutefois le dernier point, & degré jusqu’où peut la perfection de l’art, avec toute la puissance de nature, c’est prolongation de vie jusqu’à un longtemps, laquelle certes plusieurs expériences ont démontré être possible. Même Pline, fus allégué, récite qu’un gendarme puissant de corps, & d’esprit, dura en état, outre accoutumé, ou commun age d’homme. Auquel, comme Octavien Auguste eut dit, & demandé, qu’il eut fait, pour qu’il vivait si longuement, il répondit en énigme, qu’il avait mis de l’huile par dehors, & du vin miellé par-dedans. Aussi depuis plusieurs car adviendrent. Même un rustique fouillant aux champs avec un fossoir, ou une houe, trouva un vaisseau d’or plein d’excellente liqueur, de laquelle ( estimant que c’était rosée du ciel ) lava sa face, & en but, au moyen de quoi il a été renouvelé d’esprit, de corps ,& de bonté de sapience. D’un bouvier a été fait messager du roi de Sicile, ce qui advint au temps du roi Ozias. Plus, il est prouvée par témoignage de lettres papales, que Almanic, étant captif entre les Sarrasins, récent médecine, par le bénéfice de laquelle il prolongea sa vie jusqu’à cinq cent ans, lors & quand le roi dédit Sarrasins, qui le détenait prisonnier, ayant reçu les messagers du roi Magus, avec cette médecine, que lui était envoyée, la voulut éprouver & expérimenter au dit captif, pour ce qu’il l’avait suspecte, & ne s’y fiait point. Aussi la dame de Tormery en la grande Bretagne, cherchant une biche blanche, trouva de l’onguent, duquel un forestier de bois s’était oint par tout le corps, sauf aux plantes des pieds, & vécut trois cent ans sans corruption, excepter douleurs & passions de pieds. Et nous avons expérimenté de notre temps plusieurs fois, qu’aucuns hommes ruraux ont vécu sans conseil & aide de médecin cent soixante ans, ou environ. Lesquelles choses se confirment par œuvres des animaux, comme on dirait du cerf, de l’aigle, du serpent, & de plusieurs autres, lesquels par la vertu des herbes, & des pierres, renouveler leur age & jeunesse. A raison de quoi les sages & philosophes se sont adonnés à tel secret étant excités par les exemples des bêtes irraisonnables, & estimant qu’il est possible à l’homme ce, qui est possible, & permis aux animaux bruts. Dont Artéphius en sa rapièce des secrets ( ou il enquiert les vertus desdits animaux, des pierres, & d’autres choses ) se glorifie pour les secrets de nature, qu’il a su, & principalement pour la longitude de vie, qu’il a vécu, & a régné par l’espace de 1025 ans. Ainsi par-là se corrobore & confirme la possibilité & prolongation de vie, joint, que l’âme est naturellement immortelle, & ne peut point mourir, & aussi qu’après le péché Artéphius a pu vivre environ mille ans, dès lequel temps petit à petit, lui est abrégé la longitude de vie. Pour raison de quoi faut dire, que telle abréviation soit accidentelles, & vu qu’elle est telle, faut aussi dire que la vie humaine se pourra prolonger, si ce n’est en tout, du moins en partie. Que si nous voulons chercher la cause accidentelle ( comme dit est ) de cette abréviation, nous trouverons qu’elle n’est du ciel, ni d’autre chose, sauf que du défaut de régime de santé, & de la corruption des père & mère. Même en temps ci les parents sont corrompus, & advient par cela qu’ils engendrent enfants de corrompue complexion & composition & leur fils de semblable cause se gâtent, & descend la corruption des pères aux fils, jusqu’à ce que l’abréviation de vie survienne, comme au temps de aujourd’hui. Toutefois pour cela ne s’ensuit point, que toujours elle s’abrégera, attendu qu’il y a temps posé ou préfixé aux choses humaines, savoir est que pour le plus les hommes vivent septante ans, & au surplus ne leur reste que labeur & douleur. Or est il qu’il y aurait remède, contre la propre corruption d’un chacun, si un chacun exerçait de sa jeunesse un parfait gouvernement de santé, qui consiste au boire & manger, sommeil & veille, mouvement & repos, évacuation, constriction, au passion d’esprit. Même si aucun observait ce régime-là dès sa nativité, il vivrait tant que permettrait nature prise des parents, & parviendrait au dernier but de cette nature tombée dès l’offense originelle, lequel terme toutefois il ne pourrait passer, pour autant que régime n’a remède, ou antidote contre l’antique souillure de nos premiers pères. Mais quoi ? impossible est que l’homme soit ainsi régi en tout par médiocrité des choses susdites, comme requiert & demande le dit régime de santé. Et pourtant il faut ( comme dit est ) que l’abréviation de vie advienne, non seulement de la corruption des pères & mères, mais aussi de cette cause là. Or l’art de médecine détermine suffisamment ce régime là. Combien que ni le riche, ni le pauvre, ni le sage , ni le fol, ni les médecins mêmes, tant parfait qu’ils soient, ne peuvent en eux, ni en autres accomplir & observer icelui régime également. Toutefois pour dire, nature ne défaut point en choses nécessaires, ni l’art absolu, mais au contraire peut surmarcher & vaincre les passions accidentelles, de sorte qu’elles soient effacées en tout, ou en partie. Et au commencement que l’age des hommes commença décliner, le remède eut été facile. Mais de six mille ans, & plus de temps en ça, il est difficile d’y mettre remède. Toutefois & nonobstant cela, les gens savants, mus (comme dit est) des raisons & considérations susdites, se sont évertués & efforcés de trouver les voies, non seulement contre le propre défaut de quelque régime que ce soit, mais aussi contre la pollutin & corruption des parents.
Non point pour dire que l’homme peut retourner à la vie d’Adam, ou d’Artéphius, pour la corruption déjà corroborée, mais qu’il peut vivre jusqu’à cent ans, ou que plusieurs peuvent prolonger leur vie outre le commun age des hommes, à présent vivant, quand les passions de vieillesse se retarderaient & ou elles ne pourraient être re tardées & cohibées, se adouciraient. Tellement, qu’outre estimation humaine la vie se prolongerait utilement, toutefois environ toujours le dernier terme. Pour laquelle chose connaître, faut entendre qu’il y a une fin de nature qui est établie aux premiers hommes après le péché, & une autre fin ou terme d’un chacun, venant de la propre corruption des parents. Outre lesquels termes l’on ne peut passer, mais on peut bien passer celui-là de propre corruption, & non point toutefois parvenir jusqu’au premier terme. A laquelle prolongation de vie je crois que tel sage, que l’on voudrait dire en ce temps, pourrait, atteindre combien que l’aptitude de l’humaine nature ne soit possible, selon qu’elle a été aux premiers hommes ( ce que n’est de merveille ) & que celle-ci s’étend à immoralité, tout ainsi qu’elle a été devant le péché, & qu’elle sera après la résurrection. Mais si l’on dit que ni Aristote, ni Platon, ni Hippocrate, ni Galien, sont parvenus à tel prolongement de vie, je répondrai qu’aussi ils ne sont parvenus à plusieurs médiocres vertus & sciences, qui après eux ont été sus par d’autres gens vertueux, & que par ce ils ont pu ignorer ces choses très grandes, combien qu’ils y aient travaillé, & pris peine à icelles. La cause c’est qu’ils se sont trop occupés aux autres, & sont plutôt parvenus à vieillesse, consumant leur vie aux pires choses, & vulgaires, & non pas aux meilleures & rares combien qu’ils aient aperçu plusieurs & divers secrets. Nous n’ignorons point que Aristote dit aux prédicamens, que la quadrature du cercle peut être connue restant néanmoins pour lors encore sue. Par quoi taisiblement il confesse l’avoir ignorée, & aussi tous les autres jusqu’à son temps. Mais au contraire, nous sommes certains qu’aujourd’hui la vérité s’en fait. Que comme soit ainsi, beaucoup plus pouvait Aristote ignorer les plus profonds secrets de nature, quand il n’a su la quadrature du cercle. Aussi les sages ou doctes de maintenant ignorent plusieurs cas, que les moyennement doctes sauront au temps avenir. Dont en toute sorte & manière que ce soit, cette objection est vaine & de nulle valeur. Ayant donc nombré certaines choses touchant la puissance de nature, & de l’art ( afin que nous concluons & assemblons beaucoup de peu de cas, le tout des parties, les choses universelles des particulières, selon que nous voyons qu’il ne nous est nécessaires d’aspirer à l’art magique, & vu que nature & l’art suffisent ) je veux maintenant poursuivre par ordre chacune choses susdites, & donner causes, & manière particulièrement. En premier lieu je considère, qu’au poils des chèvres & brebis, les secrets de nature ne sont point enseignés de pour qu’un chacun les entende, comme veut Socrate & Aristote. Lequel même dit au livre des secrets, que celui là serait infracteur du céleste sceau & cachet, qui communiquerait les secrets de nature & de l’art, ajoutant que plusieurs maux adviennent à celui-là qui les révèle. D’avantage il dit, comme est récité au livre des nuits Attiques, de la collation ou comparaison des sages, que c’est folie de donner des laitues à un âne, vu que les chardons lui suffisent. Et est écrit au livre des pierres, que celui qui divulgue les choses mystiques, ravale & diminue la majesté des choses. Aussi ne sont certains & stables les secrets, que la tourbe ou multitude fait & connaît, si nous avons égard à la probable division du vulgaire, qui toujours dit l’opposé des sages. Que ainsi soit, cela qu’un chacun voit & semblablement ce que voient les sages, principalement renomés, est vrai. Par quoi ce plusieurs voient, c’est à savoir, ce que le vulgaire voit, pour le regard de telle chose & telle, il faut que ce soit chose fausse ( je parle du vulgaire, lequel l’on s épare d’avec les sages en ce mot vulgus ). Car quant aux communes conceptions de l’esprit, le dit vulgaire s’accorde bien avec les sages, mais quant aux propres principes & aux conditions des arts & sciences, il discorde, se travaillant empres apparences, emphysèmes, subtilités, & en choses desquelles les doctes n’ont soin & cure. Le dit vulgaire donc erre & faut, tant en choses propres que secrètes. Au moyen desquelles (comme est dit) il est séquestré d’entre les sages, mais quant est pour le regard des communes, il est compris sous la loi de tous, & n’y a différence d’icelui avec les sages. Or est il que les choses communes sont de petite valeur, & ne sont proprement à suivre, sauf que pour les particulières & propres. Mais pour dire qui aurait été la cause ou raison que toutes gens de savoir n’ont déclarés leur secret, & qu’ils ont usé d’obscurité, ç’a été pour ce, que le vulgaire se moque des secrets de sagesse, les méprise, & ne fait ou peut juger des choses très dignes, & d’autre part, si quelque chose d’excellence tombe en sa notice, il la reçoit de fortune & par accident, & en abuse en diverses manières au dommage des personnes & de la communauté. Par quoi il est fol & bien bête, qui écrit quelque secret, s’il n’est scellé & caché du vulgaire, & si à grand peine se peut entendre des vertueux & sages. La vie desquels ainsi certes a été dès le commencement, & ont mussé au vulgaire les secrets de sagesse en diverses sortes & manières. Car aucun les ont cachés par caractères & charmes, & plusieurs autres par énigmes & choses figurées, comme dit Aristote au susdit livre des secrets, ô Alexandre je te veux montrer le plus grand secret des secrets, plût à la divine providence t’aider à le cacher, & à parfaire le propos de l’art de cette pierre, qui est point pierre, & est en chacun homme, & en chacun lieu, & en chacun temps, & qui s’appelle le terme ou la fin de tous les philosophes. Et trouve-t-on en plusieurs livres & en diverses sciences (comme dessus est dit) innombrables choses obscurcies par telles paroles, & manière de parler, que personne n’entendrait sans quelque docteur. Tiercement, je dis que les sages ont caché les secrets sous ombre & espèce d’écriture, savoir est tant seulement par lettres consonantes, que personne ne pourrait lire s’il ne savait la signification des dictions comme on dirait que les Hébreux, Chaldéens, Assyriens, & Arabes écrivent, & aussi les Grecs. Pour raison de quoi y a moult grande occultation entre eux, & notamment entre les Hébreux, gens de haut savoir. Car Aristote dit d’eux au livre ci-devant mentionné, que Dieu leur aurait donné toute sagesse, autant ce qu’ils eussent été philosophes, & que des Hébreux toutes nations ont eu commencement de philosophie. Ce que Albumasat au livre appelé Introductory maioris, enseigne & montre manifestement, & les autres philosophes au VIII. Livre des antiquités. Quartement, se fait occultation par mixtion de lettres de divers genres ou espèce. Même le moral astronome ainsi cacha sa sagesse, de ce qu’il l’aurait écrite par lettres Hébraïques, grecques, & Latines, en même ordre d’écriture. Quintement, les philosophes ont couvert & caché les secrets par autres lettres que celles-là qui se font par les gens de leur pays, c’est à savoir, par lettres étranges & d’autres nations, qu’ils feignent pour leur volonté. Et c’est le plus grand empêchement, du quel Artéphius ait usé en son livre des secrets de nature. Sextement, se sont figures non point de lettres, mais de Géométrie, lesquelles, selon la diversité des points, & notes ont la puissance des lettres, & d’icelles figures semblablement le dit Artéphius a usé en sa science. Septièmement, y a plus grand artifice de cacher des secrets, lesquels on baille en l’art notoire, qui est art de noter & écrire par telle brièveté que nous voulons, & par telle vélocité que désirons. Ainsi donc plusieurs secrets sont écrits aux livres Latins, & ai estimé qu’il était nécessaire de toucher ces occultations, parce que pour la magnitude des secrets, userai peut être d’aucune de ces manières, afin que du moins en cette affaire j’aide le studieux, ainsi qu’il me sera possible. Je dis donc que je veux exposer par ordre les choses que j’ai narrées ci-devant, & que partant je veux dissoudre l’œuf philosophal, & chercher (qui est le commencement à autres choses) les parties ou offices d’homme philosophique. Qu’on broie donc le sel diligemment avec ses eaux, & qu’on le purifie d’autres eaux broyées, & que par divers broiements on le froisse fort avec sels, & qu’on le brûle par plusieurs brûlements, afin qu il se fasse pure terre libre des autres éléments laquelle je pleige pour la grandeur de ma longitude, être digne d’un chacun (qu’on entende s’il est possible, que sans doute ce sera chose composée d’éléments, & pour autant partie de la pierre, qui n’est point pierre,& qui est en tout homme, & en tout temps de l’an, se qu’on trouvera en son lieu) après qu’on prenne de l’huile comme caillé de fromage & visqueux pour la première fois insecable, au qu’il trouve la vertu ignée soit divisée, & séparée par dissolution ( or elle se dissout en eau aiguë de tempérée agnité, avec feu lent) & qu’on le cuise jusqu’à ce que sa graisse ainsi que celle de chair, se sépare par distillation & qu’il ne sorte aucune chose de l’onctuosité, qui est la noire vertu en laquelle l’urine se distille, & après qu’on le cuise en vinaigre, jusqu’à ce (qui est cause d’adution) qu’il se dessèche en braise, & que l’on ait la dite noire vertu. Mais si l’on ne se soucie d’icelle, que l’on recommence, & qu’on veille, & prenne garde à ce que je dis, d’autant que la locution ou manière de parler est difficile. Or l’huile dissout, & en eaux aiguës, & en huile commune, qui opère plus expressément (voire en huile aiguë d’amendres sur le feu, tellement que l’huile se sépare, & que l’esprit occulte demeure) & en partie des animaux, & en soufre & arsenic. Même les pierres (auxquelles y a huile de superflue humidité) ont terme de leurs humeurs pource en partie qu’il n’y a véhémente union, vu que l’un se pourront dissoudre de l’autre, pour la nature de l’eau, qui est subjecté à liquéfaction de l’esprit, laquelle est moyenne entre ses parties & l’huile. Dissolution donc être faite, il demeurera humidité pure en esprit, comme bien fort mêlée des parties sèches, qui se meuvent en icelle, laquelle toutefois le feu (qui est appelé des philosophes, soufre fusil) résoudrait. Aucune fois l’huile, aucune fois l’humeur aéré, aucunes fois substance conjonctive ( que le feu ne sépare point ) aucune fois le camphre, qu’on le lave. C’est l’œuf des amoureux de science, ou plutôt le terme & la fin dudit œuf. Et voilà qui est parvenu à nous de ces huiles. Et est celui là réputé entrer huile de Chenesuc, lequel se sépare de l’eau, & de l’huile, dans lequel il se purge. D’avantage l’huile se corrompt (comme on fait) le broyant, ou froissant avec choses séchantes ( comme sont le sel, l’ancre )& le brûlant (toutefois passion se fait du contraire ) après il se sublime, jusqu’à ce qu’il soi séquestré ou privé de son oléaginéité, & l’eau est comme soufre, ou arsenic, aux minéraux. Il se peut préparer tout ainsi qu’iceux, néanmoins meilleur est qu’il se cuise en eaux tempérées en agnité, jusqu’à ce qu’il se purge, ou devienne blanc. Certes il se fait autre salutaire coction en feu sec ou humide ( selon que le fait se porte assez bien) ou le distille derechef, jusqu’à ce que il se rectifie, de la rectification duquel les plus derniers signes sont, blancheur & sérénité cristalline. Mêmement cette huile devient blanc du feu, se nettoie, reluit de sérénité, & merveilleuse splendeur ( ores que les autres en deviennent noirs ) & quand la matière en cette mode ou façon été arse, elle se congèle. De l’eau & de la terre d’icelui il s’engendre vif argent, même elle est comme vif argent en minéraux. Mais pour dire, la pierre de l’air, qui n’est point pierre se met en une pyramide ( c’est à dire, un grand bâtiment carré, large par le bas, & aigu par le haut, à la façon de la flamme du feu) en lieu chaud, ou bien en un ventre de cheval ou de bœuf, & se mue en fièvre aiguë. Par quoi quand elle vient d’icelle fièvre en 10 & de 10 en 21 afin, que les lies & bourbes des huiles se dissolvent en son eau, devant qu’elle soit séparée, qu’on itère dissolution & distillation par plusieurs fois, & jusqu’à ce qu’elle soit rectifiée. Et ce est la fin de cette intention. Néanmoins saches qu’après qu’on aura tout accompli ou parachevé, il faudra recommencer. Mais je veux chercher un autre secret. Que l’on prépare argent vif, mortifiant icelui avec vapeur d’étain par marguerites , & avec vapeur de plomb par la pierre Iherus, après qu’on le broie avec choses dessicantes & âcres, & choses semblables (comme il est dit ) & qu’on le brûle, en après qu’on l’élève en l’air , tant qu’il vienne a union de 12, & à rougeur de 21. & jusqu’à ce que l’humidité d’icelui se corrompe. Et n’est possible que son humidité se sépare pour l’amour de la vapeur ( comme l’huile devant dit ) parce qu’elle est véhémentement mêlée en ses parties sèches, & ne constitue point terme ou fin, ainsi qu’il est dit & récité des métaux dessus dit en ce chapitre. Que veux dire ! On sera déçu & abusé, si l’on l’entend bien les significations de ces termes & vocables. Or il est temps de traiter obscurément le troisième chapitre, afin qu’on entende la clef de l’œuvre, qu’on quiert & cherche. Aucune fois l’on met le corps calciné ( & cela se fait afin que l’humeur en icelui se corrompe par sel, & sel armoniac, & vinaigre ) & quelquefois on le cimente de vif argent, & on le sublime desdits sel, sel armoniac, & vinaigre, jusqu’à ce qu’il soit en poudre. Par ainsi les clefs de l’art, sont congélation, résolution, incération, projection (& est ici la fin & le commencement) toutefois purification, distillation, séparation, sublimation, calcination, inquisition coopèrent, & alors on se peut reposer. Or il y six cent & deux ans des Arabes passés que l’on me pria d’aucuns secrets. Qu’on prouve donc la pierre, & qu’on la calcine avec lente décoction, & qu’on la broie fort, sans toutefois choses aiguës, & que sur la fin on entremêle un peu d’eau douce, & qu’on compose médecine laxative de sept choses ( si l’on veut ) ou de six, ou de cinq, ou de quantes il plaira ( toutefois mon esprit se contente de deux ) desquelles la meilleure sera en six, qu’en autre proportion, ou environ, comme l’expérience peut enseigner le désireux, faut néanmoins résoudre l’or au feu, & le couler mieux. Mais si on me veut croire, on prendra une chose, c’est à savoir, le secret des secrets, de nature, qui peut choses merveilleuses. Qu’on mêle donc de deux, ou de plusieurs, ou du phœnix (qui est singulier animal) l’or au feu, &qu’on l’incorpore par véhément mouvement, auquel si on ajoute liqueur chaude quatre ou cinq fois, on aura le dernier propos, mais en après nature céleste se vient à débiliter & s’affaiblit si on y verse eau chaude trois ou quatre fois. Par quoi l’on divisera le faible du fort, en divers vaisseaux (si l’on me croit) & évacuera-t-on ce qui est bon. D’avantage on mettra ou ajoutera de la poudre, & exprimera-t-on diligemment l’eau qui est demeurée (car assurément elle amènera les parties indivisibles de la poudre) &pource on amassera à part soi cette eau, d’autant que la pondre desséchée d’icelle, à vertu ou puissance de médecine en corps laxatif. Qu’on fasse donc ( comme devant est dit ) jusqu’à tant que l’on vienne à distinguer le fort du faible, &que par trois, ou quatre, ou cinq, ou plus de fois, on ajoute la poudre, & qu’on fasse toujours en une même manière. Et si on ne peut opérer avec eau chaude, on fera violence. Que si pour aiguité ou tendreur de médecine elle vient à se rompre, après ce que l’on aura mis de la poudre, l’on ajoutera cautement plus de l’or & du mol. Au contraire. si pour l’abondance de la poudre elle se rompt, l’on mettra plus de médecine. Et si pour la force de l’eau, on la réinsérera avec un pilon, & amassera-t-on la matière tant bien qu’il sera possible, & l’on séparera l’eau petit à petit (& retournera en état) laquelle eau on séchera, joint, qu’elle contient poudre & eau de médecine, qu’il faut incorporer comme poudre. Or qu’on ne s’endorme point en ce lieu, car il y est contenu un moult utile & grand secret. Mais si on savait bien ordonner les parties d’un petit arbrisseau brûlé, ou d’un faulx, & de plusieurs choses naturellement garderont union, & qu’on ne mette cela en oubli parce qu’il sert, & est profitable à plusieurs choses. Or on mêlera trinité avec union amollie ou fondue, & proviendra (comme je crois) chose semblable à la pierre appelée des Latins Ibetus. Et sans doute qu’on mortifie ce qui es t à mortifier par la vapeur de plomb (on trouvera le plomb, si l’on à pris du mort) & qu’on ensevelisse le mort au four de circulation (Qu’on tienne ce secret, car il n’est pas sans utilité) & on fera le semblable avec vapeur de marguerite, ou avec la pierre dite des latin Tagus, & toutefois on enselevira le mort, comme j’ai dit. Or les ans des Arabes, savoir est passés, je réponds à ma manière, il faut avoir médecine qui dissolue en chose molle, & soit jointe en icelle, & qu’elle pénètre en son terme deux, & mêlée avec elle, & ne soit point cerf fugitif, & quelle transmue icelle, mais soit mêlé l’esprit par la racine, & soit par la chaux du métal fixe ( or l’on ^estime que fixation prépare, quand le corps & l’esprit se mettent en leur lieu, & se subliment ) & qu’il se fasse autant de fois, que corps soit fait esprit, & esprit soit fait corps. Qu’on prenne donc des os d’Adam, & de la chaux sous même poids ( six choses y a à la pierre petralle, & cinq à la pierre d’union ) & qu’on broie cela avec l’eau de vie ( de laquelle le propre est de dissoudre toutes autres choses ) par façon quelle soit dissoute en icelle, & brûlée ( or signe d’incération est que médecine ne coule sur le feu bien ardant ) en après qu’on la mette en même eau en lieu humide, ou que l’on la suspende en vapeurs d’eaux moult chaudes & liquides, puis que l’on la congèle au soleil, finalement on prendra du sel pierre, & convertira-t-on argent vif en plomb, & derechef on lavera tant le plomb, & le mondifiera-t-on tant, que la dite chaux soit prochaine à argent. Alors on opérera comme devant est dit. Item, on fera boire ainsi tout cela. Mais toutefois on prendra du sel pierre, lu, ru, vo, po, vir, can, utri, & du soufre, & ainsi l’on fera tonnerre & coruscation, & conséquemment artifice. Sur ce néanmoins qu’on voie considère, si je parle point en énigme, & en sens, couvert, ou bien selon sens littéral. Certes aucun ont autrement estimé, & n’ont été de cet avis. Même il ma été dit, qu’on doit tout résoudre la matière, de laquelle on aura d’Aristote aux lieux vulgaires & célèbres, pour l’amour de quoi je n’en veux parler. Or quand on aura ces choses là, alors on aura plusieurs simples & égaux, & fera-t-on cela par choses contraires & par diverses opérations, lesquelles j’ai ici appelées les clefs de l’art. Et Aristote dit, que qualité de puissance contient action & passion de corps, ce que aussi dit Averrois, en réprouvant Galien. Or cette médecine est estimée la plus simple qu’on puisse trouver, & la plus pure, & qui est bonne contre fièvres & passions de l’âme & des corps, & qui est de meilleur prix & marché que nulle autre quelqu’elle soit. Qui récrira ces choses aura la clef qui ouvre, & que personne ne clôt, & quand il l’aura close personne n’ouvrira.