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CRASSELLAME La Lumière sortant par soi-même des Ténèbres.




Marc-Antonio Crassellame

LA LUMIÈRE SORTANT PAR SOI-MÊME DES TÉNÈBRES

Poème sur la composition de la Pierre des Philosophes traduit de l'italien par Bruno de Lansac

1693




Lettre du traducteur à un de ses amis

Me voici, Monsieur, puisque vous l'avez voulu, rangé dans la catégorie chimique, et pour marque de mon obéissance je vous envoie la traduction que vous avez tant souhaitée. A dire vrai, je n'en attends pas un fort grand fruit, connaissant le goût du siècle comme je fais, et je suis fort sûr qu'on aimerait beaucoup mieux voir des traités de philosophie selon Descartes que selon Hermès. Le premier est à la mode et a toutes les grâces de . la nouveauté, au lieu que- le dernier est si vieux et si usé qu'à peine son nom est-il connu au monde ; l'un ne propose que des choses faciles à démon­trer, en se tenant à la seule superficie des corps, l'autre plus abstrait ne s'attache qu'à l'essence intérieure des choses ; enfin, l'un se renfermant dans la mécanique, ne donne aux choses qu'une vertu de machine, et prétend que le mouvement, de lui-même indifférent, ne produit des choses diverses qu'à raison des diverses configurations des corps qu'il meut, au lieu que l'autre tout intellec­tuel, admet une âme universelle du monde, agis­sante, intelligente et informante. Parlez je vous prie à un cartésien de centre, de feu de nature, de vertu séminale, d'un esprit directeur et architectonique en chaque mixte, de qualités élémen­taires, etc. : il ne manquera pas de traiter vos discours de galimatias, et vous de visionnaire, et pour peu que vous le pressiez, il vous logera bien­tôt de son autorité aux Petites Maisons. Mais, me direz-vous, ce n'est pas pour eux qu'on écrit c'est pour ceux qui sont dans nos mêmes principes, je le veux, mais si vous en ôtez les chimistes vul­gaires qui, ne consultant que leur avidité, aiment mieux un tas de fausses recettes que les meilleurs livres du monde, vous verrez qu'il en restera fort peu de ceux qui songent plutôt à devenir philo­sophes, qu'à devenir possesseurs de la Pierre philosophale ; mais vous me direz encore qu'il ne faut pas s'arrêter à tout cela, qu'il faut écrire pour l'honneur de la science seulement, pour empêcher qu'on ne l'opprime, et pour convaincre enfin les hommes de son excellence. Ah ! Monsieur, défaites-vous de cette pensée et comptez qu'une expérience de transmutation convertira plus de gens à la foi hermétique que tous les plus beaux raisonnements que vous pourriez faire. Cette nation demande des signes, et nous sommes dans un temps où l'on veut aller au fait, sans se mettre beaucoup en peine du reste. Mais sans examiner toutes les raisons que j'aurais eues de garder le silence, il me suffit de vous avoir obéi, et je serai trop bien payé de ma peine, si vous êtes content.

Au reste, Monsieur, comme cette traduction est principalement pour vous, j'ai suivi en la faisant les avis que vous m'avez donnés, c'est-à-dire que je ne me suis point attaché servilement aux expressions et aux propres mots de mon auteur; je les ai changés quand je l'ai jugé à propos, et je ne me suis attaché qu'à son esprit, et à son intention ; j'ai de mon autorité supprimé des répé­tions que j'ai cru inutiles et ennuyeuses, et j'ai aussi quelquefois ajouté du mien pour éclaircir des endroits qui me paraissaient trop obscurs ; enfin, je l'ai suivi fort scrupuleusement dans la doctrine, mais hors de la je lui ai donné autant que j'ai pu le tour français, et j'ai tâché de donner à ma traduction un air original. Si malgré toutes mes précautions, on y trouve .quelque chose à redire, je suivrai de bon cœur les avis qu'on pren­dra la peine de me donner, et je me corrigerai sans honte dans une seconde édition. J'avais eu d'abord quelque pensée de justifier en détail ma traduction par des notes ; mais j'ai cru ensuite que je ferais quelque chose de plus utile pour le lec­teur si, au lieu de la table des matières de. mon auteur, je substituais des remarques sur la doc­trine contenue en chaque chapitre, qui fussent comme le précis et le suc de tout le livre. A l'égard de l'auteur, ou plutôt du commentateur, je ne puis parler ni de son nom ni de sa patrie, car l'un et l'autre me sont Inconnus, mais ce qu'on peut dire de lui c'est qu'on n'a jamais traité cette matière plus noblement, toutes ses Idées sont gran­des, belles et recherchées, ses expressions vives et fortes, et ce qui est de plus louable en lui c'est qu'il parle en galant homme et sans envie ; il dit tout ce qu'il est permis à un esprit sincère de dire sur de pareilles matières, et s'il cache quelquefois la vérité, on peut dire que c'est sous des voiles de'gaze au travers desquels un esprit subtil peut péné­trer aisément. On ne saurait au moins lui reprocher d'enseigner de fausses pratiques à dessein de sur­prendre les esprits, et s'il ne vous montre pas précisément le chemin qu'il faut tenir, il ne vous jette pas malicieusement, comme font plusieurs autres, dans des voies détournées et dans des labyrinthes ; enfin, il est tel qu'Hermès l'avouerait sans peine pour un de ses plus dignes successeurs. Mais en voilà assez et trop pour une lettre, je suis, Monsieur, etc.


CHANT PREMIER

I

Le Chaos ténébreux étant sorti comme une masse confuse du fond du Néant, au premier son de la Parole toute-puissante, on eût dit que le désordre l'avait produit, et que ce ne pouvait être l'ou­vrage d'un Dieu, tant il était informe. Toutes cho­ses étaient en lui dans un profond repos, et les éléments y étaient confondus, parce que l'Esprit divin ne les avait pas encore distingués.

II

Qui pourrait maintenant raconter de quelle manière les Cieux, la Terre et la Mer furent for­més si légers en eux-mêmes, et pourtant si vastes, eu égard à leur étendue ? Qui pourrait expliquer comment le Soleil et la Lune reçurent là-haut le mouvement et la lumière, et comment tout ce que nous voyons ici-bas, eut la forme et l'être ? Qui pourrait enfin comprendre comment chaque chose reçut sa propre dénomination, fut animée de son propre esprit, et, au sortir de la masse impure et inordonnée du Chaos, fut réglée par une loi, une quantité et une mesure ?

III

Oh ! vous, du divin Hermès les enfants et les imitateurs, à qui la science de votre père a fait voir la nature à découvert, vous seuls, vous seuls savez comment cette main immortelle forma la Terre et les Cieux de cette masse informe du Chaos ; car votre Grand Œuvre fait voir clairement que de la même manière dont est fait votre Elixir philosophique, Dieu aussi a fait toutes choses.

IV

Mais il n'appartient pas à ma faible plume de tracer un si grand tableau, n'étant encore qu'un chétif enfant de l'art, sans aucune expérience. Ce n'est pas que vos doctes écrits ne m'aient fait apercevoir le véritable but où il faut tendre, et que je 'ne connaisse bien cet Illiaste, qui a en lui tout ce qu'il nous faut, aussi bien que cet admira- . blé composé par lequel vous avez su amener de puissance en acte la vertu des éléments.

V

Ce n'est pas que je ne sache bien votre Mer­cure secret, qui n'est autre chose qu'un esprit vivant, universel et inné, lequel en forme de vapeur aérienne descend sans cesse du ciel en terre pour remplir son ventre poreux, qui naît ensuite parmi les soufres impurs, et en croissant passe de la nature volatile à la fixe, se donnant à soi-même la forme d'humide radical.

VI

Ce n'est pas que je ne sache bien encore, que si notre Vaisseau ovale n'est scellé par l'Hiver, jamais il ne pourra retenir la vapeur précieuse, et que notre bel enfant mourra dès sa naissance, s'il n'est promptement secouru par une main indus­trieuse et par des yeux de Lincée car autrement il ne pourra plus être nourri de sa première hu­meur, à l'exemple de l'homme, qui après s'être nourri de sang impur dans le ventre maternel, vit de lait lorsqu'il est au monde.

VII

Quoique je sache toutes ces choses, je n'ose pourtant pas encore en venir aux preuves avec vous, les erreurs des autres me rendant toujours incertain. Mais si vous êtes plus touché de pitié que d'envie, daignez ôter de mon esprit tous les doutes qui l'embarrassent ; et si je puis être assez heureux pour expliquer distinctement dans mes écrits tout ce qui regarde votre magistère, faites, je vous conjure, que j'aie de vous pour réponse : Travaille hardiment, car tu sais ce qu'il faut savoir.

CHANT DEUXIEME

Que le Mercure et l'Or du vulgaire ne sont pas l'Or et le Mercure des philosophes, et que dans le Mercure des Philosophes est tout ce que cherchent les sages. Où l'on touche en passant la pratique de la première opération que doit suivre l'artiste expé­rimenté.


STROPHE I

Que les hommes, peu versés dans l'Ecole d'Her­mès, se trompent, lorsqu'avec un esprit d'avarice, ils s'attachent au son des mots. C'est ordinairement sur la foi de ces noms vulgaires d'Argent vif et d'Or qu'ils s'engagent au travail, et qu'avec l'Or commun ils s'imaginent, par un feu lent, fixer enfin cet Argent fugitif.

II

Mais s'ils pouvaient ouvrir les yeux de leur esprit pour bien comprendre le sens caché des auteurs, ils verraient clairement que l'Or et l'Ar­gent vif du vulgaire sont destitués de ce feu uni­versel, qui est le véritable agent, lequel agent ou esprit abandonne les métaux dès qu'ils se trouvent dans des fourneaux exposés à la violence des flammes 1 ; et c'est ce qui a fait que le métal hors de sa mine se trouvant privé de cet esprit, n'est plus qu'un corps mort et immobile.

III

C'est bien un autre Mercure et un autre Or, dont a entendu parler Hermès ; un Mercure humide et chaud, et toujours constant au feu. Un Or qui est tout feu et toute vie. Une telle différence n'est elle pas capable de faire aisément distinguer ceux- ci de ceux du vulgaire, qui sont des corps morts privés d'esprit, au lieu que les nôtres sont des esprits corporels toujours vivants.

IV

Oh grand Mercure des philosophes ! c'est en toi que s'unissent l'Or et l'Argent, après qu'ils ont été tirés de puissance en acte. Mercure tout Soleil et tout Lune, triple substance en une, et une subs­tance en trois. Oh chose admirable ! Le Mercure, le Soufre et le Sel me font voir trois substances en une seule substance.

V

Mais où est donc ce Mercure aurifique qui, étant résous en Sel et en Soufre, devient l'humide radical des métaux, et leur semence animée ? Il est emprisonné dans une prison si forte que la Nature même ne saurait, l'en tirer, si l'art indus­trieux ne lui en facilite les moyens.

VI

Mais que fait donc l'art? Ministre ingénieux de la diligente nature, il purifie par une flamme vaporeuse les sentiers qui conduisent à la prison. N'y ayant pas de meilleur guide ni de plus sûr moyen que celui d'une chaleur douce et continuelle pour aider la nature, et lui donner lieu de rompre les liens dont notre Mercure est comme garrotté.

VII

Oui, oui, c'est ce seul Mercure que vous devez chercher, ô esprits indociles ! puisqu'on lui seul vous pouvez trouver tout ce qui est nécessaire aux sages. C'est en lui que se trouvent en puissance prochaine et la Lune et le Soleil, qui sans Or et Argent du vulgaire, étant unis ensemble, devien­nent la véritable semence de l'Argent et de l'Or.

VIII

Mais toute semence est inutile si elle demeure entière, si elle ne pourrit, et ne devient noire ; car la corruption précède toujours la génération. C'est ainsi que procède la nature dans toutes ses opéra­tions ; et nous qui voulons l'imiter, nous devons aussi noircir avant de blanchir, sans quoi nous ne produirons que des avortons.

CHANT TROISIEME

On conseille ici aux alchimistes vulgaires et ignorants de se désister de leurs opérations sophis­tiques, parce qu'elles sont entièrement opposées à celles que la véritable philosophie nous enseigne pour faire la médecine universelle.

Strophe I

O vous ! qui pour faire de l'Or par le moyen de l'art, êtes sans cesse parmi les flammes de vos charbons ardents ; qui tantôt congelez, et tantôt dissolvez vos divers mélanges en tant et tant de manières, les dissolvant quelquefois entièrement, quelquefois les congelant seulement en partie, d'où vient que comme des papillons enfumés, vous passez les jours et les nuits à rôder autour de vos fourneaux « ... à rôder autour de vos feux insensés dans quel­que lieu à l'écart. » ?

II

Cessez désormais de vous fatiguer en vain, de peur qu'une folle espérance ne fasse aller toutes vos pensées en fumée. Vos travaux ne sont que d'inutiles sueurs, qui peignent sur votre front les heures malheureuses que vous passez dans vos sales retraites. A quoi bon ces flammes violentes, puisque les sages n'usent point de charbons ardents, ni de bois enflammés pour faire l'Œuvre hermé­tique ?

III

C'est avec le même feu dont la nature se sert sous terre, que l'art doit travailler, et c'est ainsi qu'il imitera la nature. Un feu vaporeux, mais qui n'est pourtant pas léger, un feu qui nourrit et ne dévore point ; un feu naturel, mais que l'art doit faire ; sec, mais qui fait pleuvoir ; humide, mais qui dessèche. Une eau qui éteint, une eau qui lave les corps, mais qui ne mouille point les mains.

IV

C'est avec un tel feu que l'art, qui veut imi­ter la nature, doit travailler et que l'un doit sup­pléer au défaut de l'autre. La nature commence, l'art achève, et lui seul purifie ce que la nature ne pouvait purifier. L'art a l'industrie en partage, et la nature la simplicité ; de sorte que si l'un aplanit le chemin, l'autre s'arrête tout aussitôt.

V

A quoi donc servent tant et tant de substances différentes dans des cornues, dans des alambics, si la matière est unique aussi bien que le feu ? Oui, la matière est unique, elle est partout, et les pauvres peuvent l'avoir aussi bien que les riches. Elle est inconnue à tout le monde, et tout le monde l'a devant les yeux ; elle est méprisée comme de la boue par le vulgaire ignorant, et se vend à vil prix ; mais elle est précieuse au philosophe qui en connaît la valeur.

VI

C'est cette matière, si méprisée par les igno­rants, que les doctes cherchent avec soin, puisqu'on elle est tout ce qu'ils peuvent désirer. En elle se trouvent conjoints le Soleil et la Lune, non les vulgaires, non ceux qui sont morts. En elle est ren­fermé le feu, d'où ces métaux tirent leur vie ; c'est elle qui donne l'eau ignée, qui donne aussi la terre fixe ; c'est elle enfin qui donne tout ce qui est nécessaire à un esprit éclairé.

VII

Mais au lieu de considérer qu'un seul composé suffit au philosophe, vous vous amusez, chimistes insensés, à mettre plusieurs matières ensemble ; et au lieu que le philosophe fait cuire à une chaleur douce et solaire, et dans un seul vaisseau, une seule vapeur qui s'épaissit peu à peu, vous mettez au feu mille ingrédients différents ; et au lieu que Dieu a fait toutes choses de rien, vous au contraire, vous réduisez toutes choses à rien.

VIII

Ce n'est point avec les gommes molles ni les durs excréments, ce n'est point avec le sang ou le sperme humain, ce n'est point avec les raisins verts, ni les quintessences herbales , avec les eaux fortes, les sels corrosifs, ni avec le vitriol romain, ce n'est pas non plus avec le talc aride, ni l'anti­moine impur, ni avec le soufre, ou le mercure, ni enfin avec les métaux mêmes du vulgaire qu'un habile artiste travaillera à notre grand Œuvre.

IX

A quoi servent tous ces divers mélanges ? Puis­que notre science renferme tout le magistère dans une seule racine, que je vous ai déjà assez fait connaître, et peut-être plus que je ne devais. Cette racine contient en elle deux substances, qui n'ont pourtant qu'une seule essence, et ces substances, qui ne sont d'abord Or et Argent qu'en puissance, deviennent enfin Or et Argent en acte, pourvu que nous sachions bien égaliser leurs poids.

X

Oui, ces substances se font Or et Argent actuel­lement et par l'égalité de leurs poids, le volatil est fixé en soufre d'Or. O soufre lumineux ! O vérita­ble Or animé ! J'adore en toi toutes les merveilles et toutes les vertus du Soleil. Car ton soufre est un trésor, et le véritable fondement de l'art, qui mûrit en élixir ce que la nature mène seulement à la perfection de l'Or.


LA LUMIÈRE SORTANT PAR SOI-MÊME DES TÉNÈBRES

Préface, avant-propos et commentaire de Bruno de Lansac


Le commentateur au lecteur

II se trouve tant de livres de chimie, soit impri­més, soit manuscrits, qu'on peut dire que jamais science n'a eu tant d'auteurs que celle d'Hermès. Heureux père d'avoir eu de tels enfants, glorieux maître d'avoir eu de tels disciples ; tu dois à bon droit être appelé le maître des maîtres, chacun de tes disciples étant digne de ce nom. Mais tous ces livres ne sont pourtant pas véritables, n'étant pas tous faits par des auteurs qui le fussent eux-mêmes ; les uns sont tronqués, les autres altérés ; et qui pis est, plusieurs sont falsifiés ; ce qui pro­vient de l'envie et de la rage de ceux qui, faute de génie Ou par une juste punition de Dieu, n'ont pu être admis à cette table. Il ne laisse pourtant pas, malgré la dépravation du siècle, de se trouver encore des gens de bien que la Providence a réser­vés, tous n'ont pas sucé ce venin contagieux, et il y en a qui ont évité la morsure du serpent, surtout ceux qui ont contemplé le serpent d'airain élevé sur la montagne, qui lui ont confié leurs espé­rances et ont observé ses saintes lois.

J'avais à peine achevé mon troisième lustre, quand par je ne sais quel instinct, je me jetai dans la lecture de ces livres et fis tous mes efforts pour en avoir l'intelligence. Mais mon esprit se trou­vant aveuglé par le trop grand éclat de cette lumière, et connaissant qu'il m'était impossible de développer tes énigmes de ce sphinx, je laissai là les livres, j'en abandonnai la lecture, et renonçai pour jamais à l'espérance de les entendre ; cepen­dant, au bout de quelque temps, ayant repris courage et imploré le secours divin, plein d'un nouvel espoir, je me remis à lire jour et nuit, de toutes mes forces, et consumai dans cette lec­ture douze années entières, après quoi je voulus essayer si je pourrais mettre en pratique ce que j'avais conçu dans mon esprit, mais incertain, je' faisais une résolution, puis une autre, et toujours il me restait des difficultés que je ne pouvais sur­monter. Enfin, je m'associai à deux diverses fois avec deux autres personnes, et cette société me donna occasion de mieux étudier, parce que j'étais obligé quelquefois de combattre leurs opinions, et quelquefois aussi de les approuver ; mais en vérité, nous étions tous des aveugles, et prenions pour une véritable lumière ce qui n'était qu'un effet de nos désirs et de quelque lecture. Nous fîmes ensem­ble quelques expériences, mais inutiles, et nous trouvions toujours qu'il nous manquait quelque chose. Enfin, je vins à comprendre que c'était per­dre son temps et sa peine que de travailler suivant le son des mots, que la seule raison nous doit conduire, et la seule possibilité de la nature redres­ser ceux qui se dévoient. En effet, que sert-il de se peiner sur tant d'ouvrages différents, tandis que la simple nature nous offre un seul sujet sur lequel on doit travailler ; et à quoi bon tant de fourneaux, tant de sortes de feux, tant de vaisseaux pendant que la même nature ne se sert que d'un seul vais­seau, d'un seul feu, et d'un seul fourneau. S'il n'y avait à travailler que suivant le sens littéral, le son des mots et la méthode apparente des auteurs, qu'il se trouverait de sages, et de doctes en cette science, qui à peine pourtant entendent un seul mot de latin. O combien y en a-t-il qui se croient fort habiles parce qu'ils savent faire une belle distillation, une calcination, ou une subtile subli­mation. Combien s'en trouve-t-il encore qui, s'étant mis une opinion dans la tête sur ce qu'ils ont lu, et comme ils parlent, sur le procédé de quelque auteur, s'imaginent être bien savants et qui, lorsque le succès ne répond pas à leur attente, n'ont garde de l'attribuer à leur ignorance mais à ce que le vaisseau s'est cassé, ou au régime du feu qu'ils espèrent de trouver en recommençant leur travail. Enfin, combien y en a-t-il qui croient pou­voir enseigner les autres, parce qu'ils ont leur cer­veau rempli d'une grande quantité de sentences. J'ai connu un homme qui avait, arrangés dans sa tête, je ne dirai pas tant de traités, mais tant de volumes, et dans un si bel ordre qu'à peine croi­rait-on qu'on pût avoir tant d'érudition. Cepen­dant, parce qu'il s'attachait au son des mots, il ne savait que des mots, et ignorait entièrement l'oeu­vre, qu'il ignorera toujours et ne fera servir son erreur qu'à tromper les autres, étant aussi éloigné de la vérité que le ciel l'est de la terre, et ne s'amu­sant qu'à des particuliers et à l'extraction des teintures avec beaucoup de dépense pour ceux qui ajoutent foi à ses paroles ; mais il n'est pas sur­prenant que la vérité lui étant inconnue, il tente plusieurs voies, et que toujours incertain il erre au milieu des ténèbres. Il ne suffit pas de charger sa mémoire de sentences, il faut les comprendre par l'entendement, en observant, comme nous avons dit, la possibilité de la nature, et jugeant de ses voies par la seule règle de la raison.

M'étant donc tombé entre les mains un manus­crit d'un auteur anonyme, mais très savamment écrit, en langue italienne, j'ai fait dessein dans ce temps que les ténèbres sont répandues par toute la terre, de mettre cette nouvelle lumière en lu­mière et d'y joindre de ma pan, autant qu'il m'est loisible, tout ce qui pourra servir à l'intelligence et à l'explication de ce manuscrit.

A l'égard de l'auteur de cet écrit, il ne m'est connu que par son anagramme, mais il suffit qu'il ait suivi la droite voie et découvert la vérité de la nature ; car quoiqu'il déclare ne savoir pas entière­ment l'œuvre, les choses qu'il dit démentent sa feinte ignorance.

Pour ce qui est de moi, cher lecteur, ne t'informe pas qui je suis, contente-toi que je ne cherche qu'à éclaircir la vérité, et que mon dessein est de publier encore de plus grandes choses que celles-ci, si Dieu me conserve la vie avec sa grâce, et après ma mort tu me connaîtras peut-être. Au reste, ne condamne point mon style, ni la manière dont ceci est écrit : cette édition a été faite à la hâte, et j'y ai été forcé par une puissance à laquelle je ne saurais résister. Mon intention n'était pas de pu­blier de telles choses de mes jours, mais enfin soit faite la volonté de celui qui règne et qui régnera aux siècles des siècles.

Adieu.


Avant-propos

II y a très peu de gens qui, entendant parler de la Pierre philosophale, ne froncent le sourcil à ce nom et, en secouant la tête, ne rebutent ce traité. En bonne foi, n'est-ce pas une grande injustice que de blâmer ainsi ce qu'on ne connaît point ? Avant que de donner son jugement, il faudrait au moins savoir ce que l'on condamne, et ce que c'est que la Pierre philosophale ; mais ceux qui en usent de la sorte, jugent de cette science par rapport aux artistes vulgaires qui, au lieu de la Pierre qu'ils promettent de faire, consument tout leur avoir, et celui des autres ;' et voyant tant d'impostures, tant de fausses recettes, et tant de vaines promesses des charlatans, ils prennent occasion de là d'atta­quer la vérité de l'art, ne considérant pas que ceci n'est point l'ouvrage des chimistes ordinaires, mais des vrais philosophes, et qu'il est aussi peu facile à ces philosophâtres de faire cette Pierre, que de faire descendre la Lune en Terre, ou de produire un nouveau Soleil.

Pour être philosophe il faut savoir parfaite­ment les fondements de toute la nature, car la science de la Pierre philosophale surpasse de bien loin toutes les autres sciences, et tous les autres arts, quelque subtils qu'ils 'soient ; y ayant toujours cette différence entre les ouvrages de la nature et ceux de l'art, que les premiers sont les plus parfaits, les plus achevés, et les plus sûrs ; et si (suivant l'axiome d'Aristote ) il n'y a rien dans l'entendement qui n'ait été auparavant dans le sens, il sera vrai de dire que ce que nous concevons nous ne le concevons qu'à l'occasion de ce que la nature fait tous les jours devant nos yeux ; car tous les arts ont tiré leurs principes et leurs pre­mières idées des ouvrages naturels ; ce qui est si connu de tous ceux qui ont quelque intelligence au-delà du commun, qu'il serait inutile de vou­loir le justifier.

Mais sans nous amuser à de vains discours, il faut savoir en général que la Pierre des philoso­phes n'est autre chose que l'humide radical des éléments, répandu à la vérité en eux, mais réuni dans leur Pierre, et dépouillé de toute souil­lure étrangère. Ainsi, il ne faut pas s'étonner si elle peut opérer de si grandes choses, étant très constant que la vie des animaux, des végétaux et des minéraux ne consiste que dans leur humide radical. Et de même qu'un homme, qui voudrait entretenir une lampe allumée: ne craindrait pas qu'elle s'éteignît s'il avait de l'huile de réserve, parce qu'il n'aurait qu'à y en remettre à mesure qu'il s'en consumerait. Tout de même lorsque notre humide radical, dans lequel le feu de la vie est renfermé, vient à se consumer, la nature a besoin qu'on lui refournisse du nouvel humide par .le moyen des aliments, sans quoi cette lumière de la vie, libre de ses liens, s'envolerait.

Il arrive cependant quelquefois que la chaleur naturelle est si débilitée en son humide radical par quelque accident, qu'elle n'a pas la force d'en reprendre de nouveau dans la nutrition, ce qui la rend languissante, et fait qu'enfin elle aban­donne son corps par la mort. Mais si quelqu'un pouvait lui donner une essence dépouillée d'excré­ments, et parfaitement purifiée par l'art, alors sans doute la chaleur naturelle attirerait cette essence à soi, la convertirait en sa nature, et redon­nerait au corps sa première vigueur ; mais tous ces médicaments ne serviraient de rien à un homme mort, quelque balsamiques, et quelque parfaits qu'ils puissent être ; car il n'y a que le feu de nature, renfermé dans le corps, qui s'appro­prie les médicaments, et se délivre par leur moyen des mauvaises humeurs, qui l'empêchent de faire avec liberté son office vital dans son propre humide radical.

Il faut donc par la voie de la nutrition lui four­nir un aliment convenable et restaurant, et alors ce feu vital recouvrera ses premières forces ; au lieu que les autres médicaments ne font qu'irriter la nature, bien loin de la rétablir. Que servirait à un soldat blessé à mort, et qui aurait perdu tout son sang, qu'on voulût l'exciter au combat par le son des trompettes, et le bruit des tambours, et qu'on prétendît l'encourager par là à soutenir les travaux de Mars ? De rien sans doute ; cela lui nui­rait au contraire, et ne ferait que lui imprimer une terreur funeste. Il en est de même d'une nature débilitée et languissante par la déperdition ou suffocation de son humide radical, et rien ne serait si dangereux ni si inutile que de l'irriter par des médicaments ; mais si on pouvait augmenter et fortifier l'humide radical, alors la nature d'elle-même se débarrasserait de ses excréments et de ses superfluités.

Nous pouvons dire la même chose à l'égard du végétal et du minéral. On s'étonne donc avec justice de l'entêtement de ceux qui sont sans cesse occupés à des remèdes pour la santé, et qui cependant ignorent entièrement la source d'où découlent et la santé et la vie. Que ces gens-là ne s'ingèrent plus de parler de Pierre philosophale, puisqu'ils se servent si mal de leur raison.

Pour conclure, je dis que celui à qui Dieu aura gratuitement accordé la possession de cette Pierre, et donné l'esprit pour s'en servir, non seulement jouira d'une santé parfaite, mais pourra encore avec l'aide de la Providence prolonger ses jours au-delà du terme ordinaire, et avoir le moyen de louer Dieu dans une longue et douce vie.

C'est une loi inviolable de la nature ; que toutes les fois qu'un corps est attaqué de maladie procé­dant de la contrariété des qualités, il tombe en ruine, parce qu'il n'est plus soutenu que par une nature languissante, et que son esprit vital l'aban­donne pour retourner vers sa patrie ; et quiconque aura tant soit peu flairé l'odeur de la philosophie, tombera d'accord que la vie des animaux, ou leur esprit viral étant tout spirituel, et d'une nature éthérée, comme sont toutes les formes qui déri­vent des influences célestes, (je ne parle pas ici de l'âme raisonnable qui est la vraie forme de l'homme) n'a nulle liaison avec les corps terrestres, que par des milieux qui participent des deux natu­res.

Si donc ces milieux ne sont très constants et très purs, il est sûr que la vie se perdra bientôt ne pouvant recevoir d'eux aucune permanence. Or, dans la substance des mixtes, ce qu'il y a de plus constant et de plus pur, c'est leur humide radical, lequel contient proprement toute la nature du mixte, comme nous le ferons voir dans un cha­pitre spécial. C'est donc là un véritable milieu, et un sujet capable de contenir en son centre la vie du corps, laquelle n'est autre chose que le chaud inné, le feu de nature et le vrai soufre des sages, que les philosophes savent amener de puissance en acte dans leur Pierre.

Ainsi celui qui a la Pierre des philosophes, a l'humide radical des choses, dans lequel le chaud inné, qui y était enfermé, a pris la domination par le moyen d'un artifice subtil mais naturel, et a déterminé sa propre humidité, la trans­muant par une douce coction en soufre igné. Toute la nature du mixte réside dans cet humide radical ; ce qui fait que lorsqu'on a l'humide radi­cal de quelque chose, on en a toute l'essence, toute la puissance,, et toutes les vertus ; mais il faut qu'il soit extrait avec beaucoup d'industrie, par un moyen naturel et philosophique, et non pas selon l'art spagirique des chimistes vulgaires, dont les extraits sont mélangés, pleins d'acrimonie, en sorte qu'il ne s'y trouve plus rien de bon ou très peu. Mais comme j'ai dit, il faut avant toutes choses bien comprendre ce qu'est cet humide radical duquel je me propose de traiter dans les chapitres suivants assez au long pour en instruire quiconque les voudra lire et relire avec supplication.

Qu'on juge donc de quel prix est la Pierre des philosophes, et s'il est vrai qu'on peut reprendre sa santé par le moyen de la substance nourrissante des aliments, et par la vertueuse essence de quel­ques bons remèdes, nonobstant que ces aliments et ces remèdes soient pris avec toute leur écorce, et avec le mélange de leurs excréments, quel effet ne doit-on pas attendre de leur humide radical, ou plutôt de leur noyau et de leur centre dépouillé de tout excrément, et pris dans un véhicule conve­nable.

Un pareil remède n'agit pas violemment, et n'irrite pas la nature ; au contraire, il rétablit ses forces languissantes, et lui communique, par ses influences bénignes et fécondes, une chaleur natu­relle en laquelle il abonde. C'est par là qu'il opère dans les corps des animaux des cures admirables et incroyables, lorsqu'au lieu d'employer la main du médecin, la nature seule sert en même temps de médecin et de, remède.

Tous les médicaments ordinaires ne font, comme nous l'avons dit, qu'irriter la nature, et l'obliger de ramasser toutes ses forces contre eux ; d'où il arrive qu'après avoir pris quelque remède, on reste longtemps languissant et abattu. La nature seule sait rejeter les excréments, et c'est cette seule faculté qui est nécessaire en pareille occasion. Car de donner des purgatifs à un corps affaibli, ce n'est qu'aigrir le mal, et augmenter les excréments, au lieu de les diminuer ; mais puisque c'est le propre de la nature, lorsqu'un homme est en santé, de rejeter d'elle-même les humeurs superflues, pourquoi quand elle est languissante, ne pas tâcher de la fortifier, et de lui communiquer une nou­velle vigueur par le moyen de notre médecine ? Que de cures admirables et d'effets surprenants naîtraient de cette méthode.

Je ne nie pas qu'on donne quelquefois des car­diaques qui, avec la faculté de purger, en ont encore d'autres très bonnes ; mais outre qu'on en use fort rarement, ces remèdes sont préparés si grossièrement, et leur vertu est si faible, qu'ils sont la plupart du temps fort inutiles ; il arrive même souvent que celui qui les prend est si mal qu'il n'a pas la force non pas de sentir l'effet du remède, mais de sentir même le remède. Je sais bien encore qu'il y a certains remèdes qui soulagent la nature sans l'irriter, et qui par leur vertu spécifique attirent et surmontent la maladie et l'humeur, et il est vrai qu'avec de tels remèdes on serait quasi sûr de guérir. Mais qui est-ce qui les connaît ou qui; les connaissant, les sait bien préparer ? La science douteuse ne produit que des effets douteux ; et il n'y a que la seule médecine philosophique qui soit propre à toutes sortes de maladies ; non que par de différentes qualités elle produise des effets différents, car sa faculté est uniquement de fortifier la nature, laquelle par ce moyen est en état de se délivrer de toutes sortes de maux, quand on les supposerait infinis.

C'est sans doute de cette médecine qu'il est dit dans l'Ecriture sainte que Dieu a créé une médecine de la Terre, que l'homme sage ne méprisera point. Elle est dite de la Terre, parce que les philosophes la tirent de la terre, et l'élèvent pourtant à une nature toute céleste. Qui connaît cette médecine n'a pas besoin de médecin, à moins qu'il n'en use en plus grande quantité que la nature ne demande ; car c'est un feu très pur, qui étant trop fort dévorerait une moindre flamme ; et comme un homme qui mange­rait trop suffoquerait sa chaleur naturelle par trop de substance, de même les forces du corps ne pour­raient soutenir une trop grande abondance de ce remède, et la chaleur naturelle serait trop dilatée. Les racines des arbres, et les semences des végétaux se nourrissent d'eau et vivent d'eau ; mais s'il y en a en trop grande abondance, elles se noient et meurent. En cela comme en toutes choses il faut de la prudence.

Qu'on ne s'étonne donc plus si notre Pierre opère de si grandes choses, lorsqu'elle est adminis­trée par les sages mains du philosophe et si les maladies les plus opiniâtres et les plus incurables sont guéries comme par miracle, puisque la nature est tellement fortifiée et renouvelée, qu'il n'y a point de mauvaise qualité qu'elle ne soit en état de surmonter.

Apprenez que c'est de la nature seule que vous recevez la guérison et la santé, pourvu que vous sachiez l'aider, et comme vous ne craignez point que votre lampe s'éteigne tandis que vous avez de l'huile pour y meure, ne craignez pas non plus que les maladies vous assaillent, tandis que la nature aura en réserve un si grand trésor. Cessez donc de vous fatiguer nuit et jour dans la recher­che de mille remèdes inutiles, et ne perdez pas votre temps dans de vaines sciences, ni dans des opérations fondées sur de beaux raisonnements, en vous laissant entraîner par l'exemple et par les opinions du vulgaire. Tâchez plutôt de bien comprendre ce que c'est que la Pierre des philo­sophes, et alors vous aurez le vrai fondement de la santé, le trésor des richesses, et la connaissance certaine de la nature avec la science.

Mais il est temps de dire ici quelque chose de la vérité et de la possibilité de cet art à l'égard de la teinture, par laquelle les philosophes assurent qu'on peut teindre en Or les métaux imparfaits, parce que la. connaissance de cette possibilité don­nera encore plus d'envie de s'attacher à l'étude de cette doctrine ; et sans nous arrêter à l'autorité des philosophes dont on peut lire les écrits à ce sujet, nous ne nous attacherons qu'aux raisons qui nous ont persuadé, afin d'en mieux persuader le lecteur, et lui donner lieu de juger des choses par lui-même et non pas par autrui, comme nous l'avons pratiqué avant que nous eussions la connaissance de la vérité.

Tous les métaux ne sont autre chose qu'Argent vif coagulé et fixé absolument ou en partie, et comme il serait trop long de rapporter ici l'au­torité des philosophes pour prouver cette vérité, nous les laisserons encore à part à cet égard, et nous dirons seulement qu'il est constant par l'expé­rience que la matière des métaux est Argent vif, parce que dans leur liquéfaction ils font connaître visiblement les mêmes propriétés et la même nature de l'Argent vif. Ils en ont le poids, la mobilité, la splendeur, l'odeur et la facile liquéfac­tion ; quoi qu'on jette dessus, il surnage à la sur­face. Ils sont liquides et ne mouillent point les mains ; ils sont mous et quand ils sont liquéfiés, ils s'en vont en fumée comme l'Argent vif en plus ou moins de temps, selon qu'ils sont plus ou moins décuits et fixés à l'exception toutefois de l'Or, qui pour sa grande pureté et fixité, ne s'envole point du feu, mais y demeure constant dans la fusion.

Les métaux démontrent toutes ces propriétés de l'Argent vif, non seulement dans la liquéfaction, mais encore en ce qu'ils se mêlent facilement avec l'Argent vif ; ce qui n'arrive à aucun autre corps sublunaire, la principale propriété de l'Argent vif étant de ne se mêler qu'avec ce qui est de sa propre nature. Donc, quand il se mêle avec les métaux, cela vient de la matière de l'Argent vif, qui leur est commune, et le Fer ne se mêle avec lui, et avec les autres métaux que difficilement parce qu'il a très peu d'Argent vif, dans lequel réside la vertu métallique, avec beaucoup de soufre ter­restre, et il faut même quelque artifice .pour lui donner la splendeur mercurielle, la facile liqué­faction, et les autres propriétés dont nous avons parlé, lesquelles toutes conviennent plus ou moins à certains métaux qu'à d'autres. La duc­tilité, qui consiste dans l'union mercurielle, et dans la conglutination de l'humide radical, est encore une marque dans les métaux que l'Argent vif y abonde, et y est très fixe, ce qui fait que l'Or est le plus ductile des métaux.

Outre ce que nous venons de dire, pour justi­fier que les métaux ne sont autre chose qu'Argent vif, on le découvre encore dans l'anatomie, et dans la décomposition de ces mêmes métaux, car il s'en tire un Argent vif de même essence que l'ar­gent vif vulgaire, et toute la substance du métal se réduit en lui, à proportion que chaque métal en participe ; mais du fer beaucoup moins que des autres métaux, à cause de quoi il est le plus imparfait, comme l'Or est le plus parfait en ce qu'il est tout Argent vif. D'où l'on doit conclure que si l'Or n'est le plus parfait des métaux, et n'est proprement tout métal que parce qu'il est tout Argent vif fixe, il n'y a point d'autre sub­stance d'Argent vif, soit pure ou impure, soit cuite ou crue cette différence, ne changeant rien à l'espèce, comme un fruit est toujours le même quant à l'espèce, soit qu'il soit vert ou mûr, acerbe ou doux, et qu'il diffère en degrés de maturité, ou comme un homme sain diffère d'un homme malade, et un .enfant d'un vieillard.

Cela posé, que les métaux ont pour substance métallique le seul Argent vif, leur transmutation ou plutôt leur maturation en Or ne sera pas impos­sible, puisqu'il ne faut pour cela que la seule décoc­tion ; or, cette décoction se fait par le moyen de la Pierre physique, qui étant un vrai feu métal­lique, achève dans un instant, par la main du phi­losophe, ce que la nature est mille ans à faire.

A l'égard de cette Pierre, elle est faite de la seule moyenne «et très pure substance de l'Argent vif et si l'Argent vif vulgaire peut bien se mêler avec les métaux lorsqu'ils sont en fusion, comme l'eau se mêle avec l'eau, que ne peut-on- pas dire de cette noble, très pure et très pénétrante médecine, qui est tirée de lui, et amenée à une souveraine pureté, égalité et exaltation ? Sans doute elle péné­trera l'Argent vif dans ses moindres parties ; elle l'embrassera comme étant de sa nature, et étant tout ignée et rouge au-dessus de la rougeur des rubis, elle le teindra en couleur citrine qui est le résultat de la suprême rougeur, mêlée et tempérée avec la blancheur de l'Argent vif.

A l'égard de la fixité, nous disons que la sub­stance de l'Argent vif dans tous les métaux, l'Or excepté, est crue et pleine d'une humidité super­flue, parce que c'est en cela que l'Argent vif abonde ; or le sec naturellement attire son propre humide, le dessèche peu à peu, et ainsi la sécheresse et l'humidité se tempérant l'une par l'autre, il se fait un métal parfaitement égalisé, qui est l'Or. Et comme il n'est ni sec ni humide, mais par­ticipant également de l'un et de l'autre, cette égalité fait que la partie volatile ne surmonte point la partie fixe, mais qu'au contraire elle résiste au feu, y étant retenue par celle-ci ; et parce que dans l'ouvrage de la nature le sec terrestre et l'humide sont liés en homogénéité ; de là vient que dans la substance de l'Argent vif, ou tout s'envole, ou tout demeure fixe et constant dans le feu ; sans que rien de la partie humide s'exhale, ce qui ne peut arriver à aucun autre corps, à cause du défaut de cette parfaite mixtion.

Nous voyons donc maintenant comment notre humidité desséchée et rendue souverainement pure, et pénétrante, peut entrer dans la substance de l'Argent vif, renfermée dans les métaux, la teindre et la fixer, après en avoir séparé les excréments dans l'examen, et qu'il n'y a que cette seule sub­stance qui se puisse convertir en Or, à l'exclusion des autres. Par où se découvre l'erreur de ceux qui s'imaginent qu'un corps imparfait, comme le cuivre, le fer ou quelque autre semblable, peut être tout converti en Or par la médecine, sans séparation de ses excréments et de la scorie ; et qu'il n'y a que sa seule substance humide mercurielle qui puisse être ainsi changée.

Ceux donc qui le prétendent sont des impos­teurs ; car il ne se peut faire d'altération que dans des natures semblables ; et quand on nous raconte que des clous ou autres morceaux de fer, trempés dans un certain menstrue, ont été transmués en Or, on nous dit faux, et l'on ne connaît pas la nature des métaux ; car, quoiqu'une partie paraisse Or, et que l'autre garde sa première forme métal­lique, il ne s'ensuit pas pour cela qu'il y ait eu de transmutation ; mais c'est une imposture, et n'est autre chose qu'une partie d'Or naturelle, collée adroi­tement à une autre partie de métal imparfait, à la vérité avec tant de justesse qu'il semble effective­ment que ce soit un clou entier, mais la fraude est facilement découverte par un esprit éclairé.

Ce furent les choses par lesquelles je demeurai persuadé de la vérité de la science, et je crois qu'elles suffiront à tout homme de bon entende­ment, pourvu qu'il les rapporte toujours à la possibilité de la nature. Cependant il peut consul­ter encore les autres auteurs ; mais avant que d'entreprendre l'Œuvre, qu'il lise et relise atten­tivement ce qui suit.


CHANT PREMIER

Le chaos ténébreux étant sorti comme une masse confuse du fond du néant, au premier son de la Parole toute-puissante ; on eût dit que le désordre l'avait produit, et que ce ne pouvait être l'ouvrage d'un Dieu, tant il était informe. Toutes choses étaient en lui dans un profond repos, et les éléments y étaient confondus, parce que l'es­prit divin ne les avait pas encore distingués.

CHAPITRE PREMIER

L'ouvrage de la Création étant un ouvrage divin, il est sans doute que pour le bien comprendre, il faudrait un esprit surnaturel, et que c'est se jeter dans de grands embarras que d'entreprendre de parler de ce qui est si fort au-dessus de nous puisque toutes les hyperboles, et toutes les simi­litudes, prisés des choses visibles, ne sauraient nous fournir d'idée qui réponde, comme il faut, à l'extension de ce point invisible et infini. Toutefois, si par les choses créées on peut aller jusqu'au Créa­teur, et s'il est de l'ordre de sa nature ineffable, de faire connaître ses propriétés et son essence, quoique d'une manière imparfaite à notre égard, par les choses qu'il produit au-dehors, il ne sera pas hors de propos de suivre notre poète dans les instructions qu'il donne sur ce sujet, et d'expli­quer un peu plus au long ce qu'il a si doctement écrit en peu de mots de ce merveilleux ouvrage, afin que ce que nous dirons puisse être de quelque utilité à ceux qui professent l'art hermétique, et serve en même temps à la louange de ce grand ouvrier dont (comme parle le prophète) les Cieux racontent la gloire, et leur étendue les œuvres de ses mains.

Il est impossible à l'homme d'élever un bâti­ment si auparavant il n'a posé ses fondements ; mais ce qui est défendu à la créature est permis au créateur ; parce qu'étant lui-même la base de ses propres ouvrages, il n'a pas besoin d'autre fondement. Si on demande donc pourquoi la Terre, pressée de tous côtés par l'air, demeure immobile, pourquoi les Cieux et la masse des corps célestes se remuent avec tant d'ordre, et que cependant nos yeux ne discernent point la cause et le prin­cipe de toutes ces choses ; il suffit pour toute réponse de dire que ce sont des émanations du centre, et que le centre en est la véritable base.

O mystère admirable, révélé à peu de person­nes ! La base de tout le monde, c'est le Verbe incréé de Dieu ; et comme le propre du centre est de représenter un point dans lequel il ne peut y avoir ni dualité ni division quelconque, qu'y a-t-il aussi de plus indivisible, quelle plus grande unité que le Verbe divin. Le point du centre, non moins indivisible qu'invisible, ne se peut comprendre que par la circonférence, de même le Verbe de Dieu invisible n'est compréhensible que par les créatures. Toutes les lignes se tirent du centre et aboutissent au centre ; de même tout ce qu'il y a de créé est sorti du Verbe de Dieu, et retournera en lui après la révolution circulaire des temps. Le point du cen­tre demeure immobile pendant que la roue tourne, de même le Verbe de Dieu demeure immua­ble pendant que toutes les autres choses sont sujettes à des changements et à des vicissitudes. Comme toutes choses sont émanées du centre par extension, ainsi toutes choses retourneront au centre par resserrement ; l'un a été fait par une bonté incréée, l'autre se fera par une sagesse impé­nétrable.

Le Verbe ineffable de Dieu est donc pour ainsi dire le centre du Monde, et cette visible circonfé­rence est émanée de lui, retenant en quelque façon la nature de son principe ; car tour ce qui est créé renferme en soi les lois éternelles de son créateur, et il l'imite autant qu'il peut dans toutes ses actions. La Terre est comme le point central de toutes les choses visibles : tous les fruits, et toutes les productions de la nature font aussi voir à l'oeil qu'elles renferment dans leur centre le point de leur semence, qu'elles l'y conservent, et que de lui émanent toutes leurs vertus et leurs propriétés, comme autant de lignes qui se tirent du centre, ou comme autant de rayons qui sor­tent d'un corps lumineux.

L'homme, ce petit Monde dont l'image a tant de. rapport avec celle du grand Monde, n'a-t-il pas un cœur duquel, comme du centre, dérivent les artères qui sont les véritables lignes des esprits vitaux, et leurs rayons étincelants ? Où, je vous prie, est le modèle et l'exemplaire de cette struc­ture, si ce n'est dans le grand Monde ? Où est la loi qui a prescrit une telle disposition, si ce n'est l'impression divine ? En sorte que comme Dieu soutient tout par sa présence, tout est gouverné aussi par ses lois éternelles. Posons donc pour constant que de ce point ont été tirées cette infinité de lignes que nous voyons.

Mais il y a une grande question, qui n'est pas encore bien décidée, à savoir comment et sous quelle forme était la matière des choses dans le point de sa création. Si nous considérons de près la nature, et la disposition des choses inférieures, nous aurons lieu de croire que ce n'était qu'une vapeur aqueuse, ou une ténébreuse humidité ; car si entre toutes les substances créées, la seule humi­dité se termine par un terme étranger, et si par conséquent c'est un sujet très capable de recevoir toutes les formes, elle seule aussi a dû être le sujet sur lequel a roulé tout l'ouvrage de la créa­tion. En effet, ce chaos ténébreux, comme l'a fort bien remarqué notre poète, étant informe, et une . masse confuse, propre à toutes les formes, et indifférente pour toutes (selon qu'Aristote et plusieurs savants scholastiques après lui, ont dit de leur matière- première) devait nécessairement avoir l'essence d'une vapeur humide.

On remarque que dans toutes les productions qui se font au monde inférieur, les spermes sont toujours revêtus d'une humeur aqueuse, et que les semences des végétaux, qui ont en elles une nature hermaphrodite, étant jetées en terre pour y être réincrudées, commencent par se ramollir et par être réduites en une certaine humidité mucilagineuse. Il ne se fait point de génération en quel­que règne que ce soit (comme nous le ferons voir dans un chapitre spécial) qu'auparavant les sper­mes ne soient réduits en leur première matière, laquelle est un vrai chaos, non plus universel, mais particulier, et spécifié.

La nature a voulu que les semences végétales fussent couvertes d'une dure écorce pour les défendre de l'injure des éléments, et les conser­ver plus longtemps, pour la commodité et l'usage du genre humain ; mais lorsque nous voulons les multiplier par une nouvelle génération, il faut nécessairement les réincruder, et les réduire en quelque façon dans leur premier chaos. A l'égard des semences des animaux, comme elles sont plus nobles, et plus remplies d'esprits de vie, elles n'auraient pu se conserver hors de leurs corps, à moins d'avoir une écorce plus dure que le marbre, ce qui aurait répugné à la dignité du composé, et aurait été fort incommode pour la génération. C'est pourquoi la sage nature n'a pas voulu sépa­rer le sperme du corps mais elle l'y a conservé tout cru et aqueux ; et ce sperme, comme on l'expliquera ailleurs, par l'excitation d'un mouve­ment libidineux, est jeté dans une matrice conve­nable, comme dans sa terre pour y être réincrudé par l'union du sperme féminin, de nature plus humide, et ensuite multiplié en vertu et en quantité par le moyen de la nutrition.

Ce que nous avons dit des deux règnes animal et végétal se peut fort bien appliquer au règne minéral ; mais comme nous en devons traiter dans un chapitre particulier, nous n'en dirons rien ici. Il suffit que nous ayons fait voir que l'humidité aqueuse ou la vapeur ténébreuse a été sans doute la matière de cette masse informe, et de cet embryon du Monde, qui devait servir de base et de fondement à toutes les générations. Et tout ce que nous avons avancé sur ce sujet se prouve par la doctrine évangélique, où il est dit du Verbe divin, que par lui toutes choses ont été faites, et que sans lui, rien de ce qui a été fait n'eût été fait ; et lorsqu'il est ajouté que ce Verbe était avec Dieu, cela veut dire qu'au commence­ment il y avait un centre ou un point infini, pre­mier principe incompréhensible, qui était ce Verbe éternel, duquel point toutes choses ont été tirées, et sans ce point rien ne pouvait être. Et à l'égard de cette vapeur humide, qui a servi à former le premier chaos, et qui a été tirée de ce point, Moïse nous la désigne assez, quand il dit que la lumière fut créée immédiatement, et que l'esprit du Sei­gneur se mouvait sur les eaux ; ne faisant, comme on voit, mention que de la lumière pour la forme, et de l'eau pour le sujet chaotique, et informe avant la manifestation de la lumière, par la vertu de l'esprit divin.

Au reste, quoiqu'il soit dit qu'au commence­ment Dieu créa le Ciel et la Terre, il ne faut pour­tant pas entendre que la distinction du Ciel et de la Terre ait été faite avant que la lumière fût séparée des ténèbres, n'étant pas de la dignité ni de l'ordre des choses, que la création de la lumière fût postérieure à celle de la Terre, et que les choses inférieures fussent produites avant les supé­rieures. Car si, selon l'opinion commune des théo­logiens, la troupe des Anges et des Esprits bien­heureux a été créée dans le point même de la création de la plus pure substance de la lumière, quelle apparence y aurait-il que l'élément de tous le plus grossier et la lie du Monde fût produit avant ces intelligences célestes ? Outre cela, je demanderai si en ce temps-là le ciel et la terre étaient distingués comme nous les voyons, ou s'ils étaient confus et pêle-mêle. Si c'est le premier, et qu'on entende que la terre occupait le centre du monde, et que les cieux l'environnaient sphériquement, comment se pouvait faire le mouve­ment des cieux sans la lumière de laquelle dérive tout mouvement ? Car de dire qu'ils ne se mou­vaient pas, ce serait avouer que la Terre, par ce repos et cette privation de mouvement, aurait été derechef comme engloutie dans son premier chaos sans aucune distinction, puisqu'il n'appar­tenait qu'à la seule lumière de chasser les ténèbres et de les repousser jusqu'au fond des eaux, comme nous l'expliquerons dans la suite. De même si on dit qu'ils n'étaient pas alors arrangés comme ils sont à présent, donc ils étaient confus et nulle­ment distingués en Ciel et en Terre, et le Ciel n'aurait pu à juste titre porter le nom de firma­ment, ou d'étendue, qui sépare les eaux d'avec les eaux ; mais c'eût été un chaos sans ordre, et une masse confuse, ce que nous accordons. Moïse fait donc ici une division générale du Monde, dési­gnant par le Ciel la partie supérieure visible, et la partie inférieure par la Terre, comme plus gros­sière et élémentaire ; après quoi il passe à la dis­tinction particulière en nous apprenant que la lumière fut tirée de ce point central et éternel. Or, comme la lumière était la véritable forme de cette première vapeur humide, il se fit aussi en même temps la production de toutes les formes en général.

Le chaos n'avait donc au commencement que l'apparence d'une eau nébuleuse, et ce qui confirme cette vérité, c'est qu'il est dit ensuite que les eaux, qui étaient au-dessus de l'étendue, furent divisées des eaux qui étaient au-dessous de l'éten­due, par où il paraît clairement qu'en haut et en bas, dessus et dessous l'étendue, ii n'y avait autre chose qu'une substance d'eau, comme le sujet le plus propre à toutes les formes, créé à cet effet d'une façon merveilleuse.

Ce fondement ainsi posé, il faut maintenant poursuivre la description de cet ouvrage immortel. Or, nous avons dit que du centre étaient sorties ces vapeurs confuses et sans ordre, qualifiées du nom d'abîme, sur lequel les ténèbres étaient épandues ; et alors, comme l'enseigne notre poète, tous les éléments confondus et mêlé;» ensemble sans aucun ordre, étaient dans un plein repos, et ce profond silence était comme une image de la mort ; les agents ne faisaient aucune action, les patients ne souffraient aucune altération ; nul mélange des uns avec les autres, et par conséquent nul passage de la corruption à la génération ; enfin, il n'y avait aucune marque de vie ni de fécondité.

STROPHE II

Qui pourrait maintenant raconter de quelle manière les deux, la Terre et la mer furent formés si légers en eux-mêmes, et pourtant si vas­tes, eu égard à leur étendue ? Qui pourrait expli­quer comment le Soleil et la Lune reçurent là-haut le mouvement et la lumière, et comment tout ce que nous voyons ici-bas eut la forme de l'être ? Qui pourrait enfin comprendre comment chaque chose reçut sa propre dénomination, fut animée de son propre esprit, et, au sortir de la masse impure et inordonnée du chaos, fut réglée par une loi, une quantité et une mesure.

Chapitre II

La lumière sortant comme un trait de cet éter­nel et immense trésor de lumière, chassa dans un instant toutes les ténèbres par sa splendeur radieuse, dissipa l'horreur du chaos, et introduisit la forme universelle des choses, comme peu aupa­ravant, le chaos en avait fourni la matière uni­verselle. Aussitôt on vit l'esprit du Seigneur se mouvoir sur les eaux, ne demandant qu'à produire, et tout prêt d'exécuter les ordres du Verbe éternel. Déjà par la production de la lumière, le firmament avait commencé d'être comme un milieu entre la superieure et la plus subtile partie des eaux, et entre l'inférieure et la plus grossière. Après quoi, de la plus pure lumière, enrichie de l'esprit divin, fut créée la nature angélique, dont l'office perpé­tuel est d'être portée sur les eaux surcélestes dans le ciel empyrée, toujours prête d'obéir aux ordres de son Souverain.

Les lois éternelles de Dieu ont passé de là aux créatures inférieures, et c'est sur ce divin modèle que la nature a formé ses règles pour toutes l'es choses d'ici-bas ; en sorte que chaque créature est comme le singe de son Créateur et représente parfaitement bien l'ordre admirable dont il s'est servi. Car, comme du centre du Verbe éternel les rayons de lumière s'épandirent au long et au large dans l'immensité, de même chaque corps créé pousse sans cesse hors de lui ses propres rayons, quoiqu'invisibles, qui se multiplient à l'infini. Or, ces rayons ou esprits, qui émanent ainsi de tous les corps, sont des particules, mais enveloppées de cette première lumière parfaitement pure, qui seule peut frapper er pénétrer le verre et même le diamant le plus dur, ce qui est refusé à l'air le plus subtil. C'est donc une loi de Dieu qui oblige chaque créature, autant que ses forces le lui peu­vent permettre, de suivre le premier ordre établi dans le point de la création. Ce que nous justi­fierons encore plus clairement dans un traité que nous ferons exprès, Dieu aidant, pour sa gloire et l'utilité des enfants de l'art.

Déjà par la vertu de cet esprit divin, séparateur, les plus pures et plus subtiles vapeurs avaient été ramassées, et comme elles participaient abon­damment de la lumière diffuse, elles étaient par conséquent un sujet très propre à y fixer la lumière.

Aussi vit-on d'abord le firmament orné de corps lumineux ; déjà des étincelles de lumière avaient brillé et déjà les étoiles tremblantes avaient fait éclater leurs rayons dans les cieux, quand le sou­verain Créateur rassembla toute cette lumière dans le corps du Soleil, qu'il fit comme le siège de sa Majesté, suivant ce que dit le Prophète :

II a mis son tabernacle dans le Soleil.

Par l'irradiation continuelle de la lumière, le jour avait apparu ; les éléments étaient émus ; le principe des générations était prochain, et n'atten­dait que le commandement du Verbe éternel. Cependant, quoiqu'il y eût naturellement de la sympathie entre les eaux inférieures et les supé­rieures, il ne laissait pas pourtant d'y avoir beau­coup de disproportion entre elles, et les agents supérieurs auraient sans doute agi avec trop de vitesse et de promptitude sur les inférieurs ; ce qui obligea le savant architecte de l'Univers d'unir ces deux extrêmes par un milieu convenable, afin que leur mutuelle action fût plus modérée. Pour cet effet, il créa la Lune, et l'établit comme la femelle du Soleil, afin qu'ayant reçu en elle sa lumière chaude et féconde, elle l'attrempât par son humidité, et versât par ce moyen des influences plus propres et plus convenables aux natures infé­rieures.

Il donna la domination sur le jour à l'un, et à l'autre la domination sur la nuit, la plaçant dans la plus basse partie du ciel, afin qu'elle fût plus en état de recevoir les influences des supé­rieurs et de les communiquer aux inférieurs. Il jugea aussi à propos de la composer de la moins pure partie des eaux supérieures, qu'il ramassa en un corps afin que sa lumière fût plus opaque, plus froide, et plus humide ; et de là vient que toutes les altérations des corps sublunaires sont attri­buées plutôt à la Lune qu'au Soleil, à cause de son affinité avec la nature inférieure, et que les milieux s'unissent bien plus aisément aux extrêmes, que les extrêmes ne s'unissent entre eux. Mais il est temps de poursuivre l'ordre de la création.

Déjà, par la création du firmament et des corps lumineux, s'était fait le mélange des éléments, et déjà les eaux inférieures commençaient à souffrir quelque altération, quand par l'action des supé­rieures, et par la voie de la raréfaction, il s'éleva comme du sein de ces eaux et se forma de la plus pure de leurs parties l'air que nous respirons ; et comme les eaux les plus grossières environ­naient encore toutes choses, Dieu, par sa parole, les rassembla toutes, faisant apparaître le sec ou la terre, qui fut comme l'excrément et les fèces de ce premier chaos.

Mais que dirons-nous du mouvement et de l'étendue des cieux, de la stabilité de la Terre, et de tout ce qui est contenu en eux ? Et comment pourrons-nous atteindre à ce qui est si fort au-dessus de notre portée ? Il semble qu'il ne doive appartenir qu'aux célestes habitants d'annoncer de si grandes choses ; cependant, puisque nous faisons la principale partie de cette lumière très pure, ce serait un crime de ne pas profiter des avantages que Dieu nous a donnés, et notre âme toute céleste quoique enfermée dans un corps élémentaire, serait indigne de son origine, si elle ne publiait de toutes ses forces les choses magnifi­ques du Très-Haut ; ce serait même une espèce d'impiété, et en quelque façon combattre l'har­monie admirable des ouvrages divins, que de n'oser nous élever jusqu'aux choses supérieures, puisqu'elles sont d'un même ordre avec nous.

Il n'y a qu'un seul auteur de toutes choses, dans lequel il ne peut y avoir de variété ; qu'il ne reçoit aucune exception, et il a toute la perfection qu'il est possible d'imaginer. Ainsi il faut recon­naître que tout est également l'ouvrage de sa sagesse, et l'effet de sa bonté et que l'intention du Créateur a été que les choses créées, qui étaient incompréhensibles en lui, fussent compréhensibles hors de lui, afin que par elles nous poussions par­venir à le connaître ; et puisque le ciel, l'air et le Soleil même, sont aussi bien les créatures de ses mains que la moindre pierre et le moindre grain de sable, il faut croire qu'il n'est pas plus difficile de connaître les uns que de comprendre les autres.

Peut-être que quelque esprit mal fait, et qui fuit la lumière pour suivre les ténèbres, s'imaginera que le corps humain est d'une structure moins noble, et moins parfaite que les cieux ; mais il se tromperait fort, puisque les cieux et le Monde même n'ont été faits que pour lui. Ayons donc bon courage et ne craignons point d'entreprendre de discourir des choses supérieures, par rapport à ce que nous connaissons des inférieures, puis­qu'une petite lumière en augmente une plus grande, et qu'une étincelle allume quelquefois un grand feu.

Mais avant que d'entrer dans la distinction des cieux, il faut savoir ce qu'on doit entendre par ce mot de Ciel, et consulter sur cela l'Ecriture sainte comme notre unique règle, puisque l'ordre de la création y est fort fidèlement décrit .dans la Genèse, quoiqu'un peu obscurément, et que Moïse n'en a rien dit que par inspiration divine, étant pourtant d'ailleurs fort savant, et fort instruit dans la science de la magie naturelle.

On nous y apprend donc que Dieu fit le firma­ment ou l'étendue, afin de séparer les eaux qu'avec les eaux, et que Dieu appela cette étendue Ciel, par où l'on voit que le mot de Ciel et celui de Firmament ne sont qu'une seule et même chose ; et que lorsqu'il est dit qu'il y a eu deux sortes d'eaux, les unes au-dessus du firmament, et les autres au-dessous, c'est comme si on disait qu'il y ; eu des eaux au-dessus du ciel, et des eaux au-dessous du ciel. Il est encore dit que les eaux, qui étaient au-dessous du ciel, furent rassemblées en un lieu, afin que le sec, c'est-à-dire la Terre, apparût, et que cet amas d'eaux fut appelé Mer, comme tout ce qui est au-dessus de ces eaux inférieures fut appelé du seul nom de Ciel ou Firmament.

Au reste, il ne faut pas croire que ces eaux inférieures puissent jamais outrepasser le comman­dement divin, qui porta qu'elles seraient assem­blées en un lieu. C'est pourquoi, quand nous voyons que ces eaux ne peuvent s'élever au-dessus de la région des nues, c'est parce qu'immédiatement au-delà est le ciel ou le firmament séparateur des eaux. Car, quoique le propre de l'eau soit de se raréfier, et que la raison naturelle nous dicte que plus elle monte, plus elle doit acquérir de raréfaction, à cause de la grande capacité du lieu, toutefois il arrive que ces eaux se resserrent au lieu de se dilater, et qu'elles se condensent en cet endroit-là, comme si elles y rencontraient un verre ou un cristal solide ; ce qui ne provient nullement du froid, ou de quelque autre cause éloignée, mais de leur seule obéissance aux ordres de Dieu, qui a voulu qu'elles fussent distinctes et séparées des eaux supérieures par le firmament. Nous pouvons donc déterminer que le ciel proprement dit contient tout cet espace, qui est depuis le dessus des nues jusqu'aux eaux supérieures, appelées par plusieurs le ciel cristallin ; et le ciel ou firmament (pour parler selon l'Ecriture) est le séparateur des eaux. A l'égard de la division qu'on fait du ciel en plu­sieurs parties différentes, ce n'est qu'une façon de parler.

Dieu plaça les étoiles et les autres luminaires dans le ciel, chacun dans le lieu qui convenait le plus à sa nature ; le firmament n'étant de soi autre chose que la division des eaux, et une certaine étendue dans' laquelle la lumière devait être répan­due pour éclairer et informer le monde. Mais comme la lumière est de nature spirituelle, et par conséquent invisible, il était nécessaire de la revêtir de quelque corps opaque, par le moyen duquel elle pût être sensible aux autres créatures, ce qui obligea le souverain Créateur de former des lumi­naires de l'amas des eaux supérieures, dont il fit divers corps suivant sa volonté, et leur départit la lumière nécessaire pour luire deçà et delà. Et comme dans tous les corps de cette basse région, les eaux inférieures ont servi à fournir la matière dont il était besoin, on doit dire aussi que tous les corps célestes n'ont été formés que de la seule matière des eaux supérieures, car en effet, à quoi bon multiplier les matières, puisque du seul chaos on pouvait faire toutes les diverses distinctions qui ont été faites.

Dieu donc ayant ramassé quelques parties des eaux supérieures, sous une forme sphérique, la nature de l'eau étant toujours de se condenser en rond, il les revêtit de lumière, et les plaça dans le firmament, afin (comme il est dit dans la Genèse) que quelques-unes présidassent sur le jour, et les autres sur la nuit et fussent les signes des temps et des saisons. Sur quoi il est bon de remar­quer en passant combien c'est une chose ridicule, pour ne pas dire impie, que d'ajouter foi aux discours de ces astrologues qui font leurs observa­tions sur ces corps célestes, avec la pensée de péné­trer dans les secrets de Dieu, touchant les divers événements des hommes, leurs inclinations, leurs actions, et autres accidents, qui ne peuvent être prévus que par Dieu seul, lequel s'en est réservé la connaissance, et duquel seul dépend tout ce qui arrive au Monde. Mais laissons-les flotter au gré de leurs erreurs, et contentons-nous de pouvoir, par le moyen de ces corps célestes, faire des pronos­tics touchant les divers changements du temps et des saisons, ce que pourra facilement connaître un homme un peu habile et expérimenté.

Tous les corps lumineux occupèrent chacun leur place dans la vaste étendue du firmament, et y furent balancés par leur propre poids et selon leur nature différente. Et quoique ce soient des corps légers, puisqu'ils sont formés des eaux supé­rieures ; néanmoins, par rapport au firmament, et eu égard à leur masse, ils seraient assez pesants pour craindre qu'ils ne sortissent de cette même place, s'ils n'y étaient arrêtés, et comme fixés par le vouloir de Dieu, et par la direction de quelque intelligence assignée à chacun d'eux, selon l'opi­nion de quelques théologiens, qui veulent que tous les corps des créatures aient chacun une intelli­gence particulière qui préside sur eux.

Ajoutez à cela le mouvement rapide du premier mobile qui, étant circulaire, fait que tout ce qui se meut par lui, demeure dans sa propre sphère et dans Son écliptique. L'expérience même nous fai­sant voir que quelque masse que ce soit, de plomb ou de marbre, dès qu'elle vient à tourner sphériquement, perd son poids, et vole, pour ainsi dire, en tournoyant également autour du centre, en sorte qu'un fil très délié serait capable de l'y retenir tou­jours dans une même distance. Nous voyons encore qu'une roue, quelque grande qu'elle soit, après le premier mouvement qui lui est imprimé, se meut par soi-même et tourne avec facilité autour de son axe. Après cela il ne faut plus s'étonner que les corps des luminaires, quoique d'une grandeur pro­digieuse, tournent facilement chacun dans sa pro­pre sphère, sans varier d'un seul point, comme s'ils étaient cloués à un mur solide. Au reste, la cause d'un tel mouvement ne provient que de cet esprit vivant et lumineux, dont ces corps sont pleins ; car cet esprit ne peut souffrir le repos, et c'est de lui que dépendent toutes les actions, et toute la force des esprits vitaux, comme nous le ferons voir quelque jour en traitant de la structure admi­rable de l'homme.

Le ciel donc proprement est pris pour le firma­ment, lequel de sa nature est unique, et sans dis­tinction. Mais comme nous avons accoutumé d'appeler du nom de ciel tout ce que nous voyons au-dessus de nous revêtu d'un habillement céleste, soit le lieu des eaux supérieures, soit l'empyrée, la dénomination se prenant ordinairement de ce qui est le plus sensible et le plus en vue ; de même Moïse a employé le mot de Terre pour désigner les éléments inférieurs, et celui de Ciel pour signi­fier les supérieurs. En imitant Moïse, nous appelle­rons donc tout ce qui est au-dessus de nous Ciel, et tout ce qui est en bas Terre ; après quoi, nous diviserons cette partie supérieure en trois classes ou en trois cieux.

Le premier ciel sera posé depuis cette région élémentaire, qui est immédiatement au-dessus des nues, et où les eaux inférieures ont leur terme assigné par le Créateur jusqu'aux étoiles fixes ; c'est-à-dire jusqu'au lieu où sont les planètes erran­tes, ainsi nommées parce que dans leur tour elles n'observent aucun ordre entre elles, mais tournent différemment les unes des autres pour mieux don­ner la forme à l'Univers et servir à marquer le changement des temps et des saisons.

Le deuxième ciel sera le lieu même des corps fixes, dans lequel les étoiles vont également, gar­dant toujours entre elles la même distance, et obser­vant un cours invariable, ce qui fait qu'on les appelle fixes, comme si elles étaient effectivement attachées à quelque corps solide. Ce premier et ce deuxième ciel se joignent successivement, et il n'y paraît aucune distinction, n'étant qu'un même firmament, et la même partie supérieure de l'Uni­vers, comme nous l'avons déjà dit.

Le troisième ciel sera le lieu même des eaux surcélestes, distinctes des eaux inférieures par le firmarnent séparateur - et c'est là que sont les cata­ractes des cieux qui s'y conservent pour l'exécution des secrets jugements de Dieu, et pour servir d'ins­truments à sa vengeance, comme on l'a vu autre­fois, lorsque Dieu envoya le déluge pour la puni­tion des hommes. C'est jusqu'à ce troisième ciel, voisin de l'empyrée, où résident la majesté de Dieu et l'armée de ses saints anges, et où l'Ecriture nous apprend que saint Paul a été ravi, et elle ne nous marque point de bornes plus éloignées que le troi­sième ciel.

On pourrait demander si ces eaux surcélestes mouillent ou non ; mais il n'y a nulle difficulté à décider qu'elles ne mouillent point, parce que ce sont des eaux raréfiées d'une raréfaction souverai­nement parfaite, et que c'est proprement l'esprit des eaux. Et s'il nous est permis d'argumenter du moins au plus : puisque les eaux inférieures, quoi­que grossières et comme les fèces des autres, ne mouillent point lorsqu'elles sont raréfiées et répan­dues, ça et là dans les airs, les eaux supérieures doivent encore moins mouiller, tant à cause de leur nature plus subtile, que parce qu'elles sont dans une bien plus vaste étendue. D'où l'on peut appren­dre que plus l'eau est raréfiée, plus elle approche de la nature de cette première eau très pure, pla­cée au-dessus du firmament dans la région éthérée.

De cette raréfaction des eaux, et de leur nature bien étudiée, le philosophe hermétique tirera plus d'instruction que de toute la science d'Aristote et de ses sectateurs, quoique d'ailleurs très subtile et très belle, considérée à d'autres égards. C'est ce qu'insinue le docte Sendivogius dans sa Nouvelle Lumière, quand il dit qu'on doit bien observer les merveilles de la nature, et surtout dans la raréfac­tion de l'eau ; mais nous traiterons de ces choses plus amplement dans leur lieu.

A l'égard de la matière, dont le firmament est composé, on ignore si ce n'est qu'un vide , ou si c'est quelque chose de différent des eaux qui l'en­vironnent. Mais en examinant de près la nature des choses, peut-être ne laisserons-nous pas de péné­trer la vérité malgré l'éloignement qu'il y a de là' à nous. Nous disons donc que la substance des eaux a servi de matière universelle, comme la lumière a servi de forme universelle ; er comme la lumière diffuse de tous côtés devait être principalement res­serrée dans le firmament, et y resplendir avec plus d'éclat, son domicile devait aussi par conséquent avoir plus d'affinité avec la lumière que la subs­tance matérielle n'en a, afin qu'elle eût lieu de luire et de l'épandre plus librement ; or, il n'y a que l'air, et la nature de l'air qui soit voisine du feu, ce que nous voyons par l'exemple de notre feu ordinaire qui vit d'air comme étant très conforme à sa nature, d'où nous concluons que dans la région éthérée où les éléments sont plus purs et dans une plus grande vigueur, la lumière tient lieu de feu, le firmament d'air, et les eaux supérieures d'eau.

A l'égard de la terre, comme elle n'est pas proprement un élément, mais l'écorce et la lie des éléments, elle n'a point de rang dans un lieu où il n'y en a point pour des excréments ; car la lumière étant là dans son propre et naturel habitacle, elle n'a pas besoin d'enveloppe, comme elle en a besoin ici-bas, ainsi que nous l'allons faire voir.

Après avoir parlé du ciel et des corps célestes, il est temps de venir aux éléments inférieurs ; et parce que nous avons souvent fait mention des eaux inférieures, il faut présentement en dire quel­que chose.

Les eaux inférieures ayant été séparées et ramassées en un lieu par la vertu du Verbe divin, à quoi contribua beaucoup l'action de la lumière qui, chassant les ténèbres, les obligea à se réfugier dans le profond des eaux, voilà aussitôt comme un nouveau chaos qui se fit voir dans la nature inférieure, car tous les éléments y étaient confondus et sans ordre, et il ne s'y faisait aucune action. Ce qui obligea le sage Créateur de départir à cette nature inférieure une lumière qui lui fût particulière ; mais parce qu'il est de la nature de la lumière de vouloir toujours s'élever en haut, il songea à lui donner un sujet qui fût propre à lui servir de domicile et à la retenir, et pour cela il choisit le feu.

Mais parce qu'il est très pur et très sec de sa nature, fort attractif de son humide naturel aérien, qu'il aurait trop aisément absorbé par l'action qui lui est naturelle, et se serait si fort augmenté, qu'il aurait été capable de consumer presque tout le monde et de convertir en lui tout l'air inférieur, la nature, prudente, ou plutôt l'Auteur même de la nature, en établissant le feu pour servir de véhi­cule à la lumière, voulut en même temps lui assi­gner une dure prison, à savoir la terre, et qu'il y fût retenu sous ses enveloppes impures, de peur qu'il n'échappât. Il fut donc garrotté pour ainsi dire, par un double lien, à savoir par la froideur de la terre, et par l'humidité de l'eau crasse, afin qu'étant soumis à ces qualités contraires et anti-péristatiques il demeurât arrêté pour la commo­dité de la nature inférieure. Voilà comment le feu fut fait le véhicule de la forme, c'est-à-dire de la lumière ; et son siège mis dans la terre, la lie des eaux inférieures, où il est détenu sous une dure écorce.

Ce feu agit sur la matière qui lui est plus voi­sine et plus propre à pâtir, à savoir l'eau, qu'il raréfie aussitôt et convertit en la nature de l'air qui est au-dessous des nues mêlé d'eau, et attiré par la force des corps célestes. Mais si ce feu trouve renfermée au centre de la terre une humidité aérienne, déjà produite par son action, laquelle n'ait pu s'exhaler à cause de la solidité des lieux et l'opacité de la terre, et qu'il agisse de nouveau sur elle, en joignant à cette humidité aérienne les plus sèches et les plus subtiles parties de la terre, de là se fait le soufre bitumineux et terrestre, lequel est divers selon la diversité des lieux.

De même, si cet air trouve jour pour sortir émeut l'autre air et cause le vent. Et si ce même feu agit sur une humidité aqueuse, l'aérien ne s'étant exhalé, et qu'elle se joigne aux plus pures, mais plus sèches parties de la terre, auxquelles elle se rende adhérente, alors se fait le sel commun, et de là vient la cause de la salure de la mer ; car la mer étant trop profonde, et quasi au centre de la terre, où le feu central est le plus vigoureux, ce feu trouvant là un grand amas d'eaux, qui y sont en quelque sorte de repos, il agit continuelle­ment sur cette matière humide, l'aérienne s'exha­lant toujours par les pores de l'eau, et de là se fait le sel, comme de cette exhalaison d'air naissent les tempêtes, les tourbillons, et les vents qui viennent de la mer. Mais nous traiterons quelque jour plus amplement de ces choses, aussi bien que du flux et du reflux de la mer.

C'est assez pour le présent de savoir quels effets produit ordinairement cette exhalaison de l'humidité aérienne, laquelle étant aussi quelque­fois retenue dans la terre, en des lieux très ren­fermés qui font obstacle à son passage, y excite de grands tremblements de terre selon la quantité de la matière émue. De cette continuelle action du feu sur l'humidité aqueuse, l'union des plus sub­tiles parties de la terre se fait, comme nous l'avons dit, le sel commun, lequel par l'agitation de la mer, sort des cavernes de la terre et l'eau s'en imprégnant par un mouvement continuel, devient salée. Mais ces eaux salées, venant à passer par les pores de la terre dans leur cours ordinaire, ce feu n'a plus d'action sur elles, d'autant que les sources des fontaines ou des rivières se trouvent profondes ; car la génération du sel ne se fait point sur la superficie de la mer, mais dans la terre.

De là vient que si les lieux où se fait le sel sont enduits de craie, ou s'ils ont les pores fort petits, en sorte que l'eau ne puisse les pénétrer pour y servir à la génération du sel, ou que le sel étant fait elle ne puisse le puiser ni s'en imprégner, alors il demeure dispersé dans les entrailles de la terre, et l'eau reste sur la superficie, douce comme elle était auparavant ; mais dans le fond de la mer, où il y a une grande quantité d'arène, il y a passage à l'eau pour entrer et se charger de la substance du sel, et ainsi devenir salée.

Voilà comment le ciel, la terre et la mer ont été produits de ce premier chaos informe, et comme le monde s'est trouvé formé de leurs divers arran­gements avec règle, poids et mesure. Mais mon dessein étant de traiter de cette grande matière dans un livre- particulier, nous y renvoyons le lecteur.

STROPHE III

O vous, du divin Hermès les enjoints et les imitateurs, a qui la science de votre père a fait voir la nature à découvert ; vous seuls, vous seuls savez comment cette main immortelle forma la terre et les deux de cette masse informe du chaos ; car votre grand Œuvre fait voir clairement que de la même manière dont est fait votre élixir phi­losophique, Dieu aussi a fait toutes choses.

CHAPITRE III

Les seuls enfants de la science hermétique connaissent les véritables fondements de route la nature, et eux seuls, éclairés de cette belle lumière, méritent le nom de physiciens. C'est à eux, ainsi qu'à des aigles, qu'il est permis de regarder fixe­ment le soleil, source de toute lumière, à l'heure de sa naissance, et qui peuvent de leurs mains tou­cher ce fils du Soleil, le tirer de ses ténèbres, le laver, le nourrir et le mener à un âge de maturité. Ce sont eux encore qui connaissent et adorent Diane, sa véritable sœur, et qui ayant eu Jupiter favorable dans leur naissance, sont comme les sin­ges du Créateur dans l'ouvrage de leur Pierre ; mais s'ils l'imitent sagement, ils le bénissent et le louent perpétuellement, lui rendant des grâces infinies du grand bien qu'ils possèdent.

En effet, qui pourrait s'imaginer que d'une petite masse confuse, où les yeux du vulgaire ne voient que fèces et abomination, le sage chimiste en puisse tirer une humidité ténébreuse et mercurielle, contenant en soi tout ce qui est nécessaire à l'Œuvre, suivant le dire commun que : dans le Mercure est tout ce que cherchent les sages: et que dans ce réservoir des eaux supérieures et inférieu­res tous les éléments se trouvent renfermés, les­quels en doivent être extraits par une seconde sépa­ration physique, parfaitement purifiés et conduits ensuit»; à l'acte de la génération par le moyen de la corruption.

Qui pourrait croire que là se trouva le fir­mament, diviseur des eaux supérieures d'avec les inférieures, et le domicile des luminaires auxquels il arrive .quelquefois des éclipses ? Qui croirait enfin qu'au centre de notre terre se trouvât un feu, le vrai véhicule de la lumière, qui ne fût ni dévorant ni consumant, mais au contraire qui est nourrissant, naturel, et la source de la vie , et de l'action duquel s'engendre au fond de la mer phi­losophique le vrai sel de la nature, et qu'il se trouve en même temps au sein de cette terre vierge le vrai soufre, qui est le Mercure des sages, et la Pierre des philosophes ?

O vous, parfaitement heureux d'avoir pu conjoindre les eaux supérieures avec les inférieures par le moyen du firmament ! O vous, encore plus habiles d'avoir su laver la terre avec le feu, la brûler avec l'eau et ensuite la. sublimer ! Certai­nement toute sorte de félicité et de gloire vous accompagnera sur la terre et toute obscurité s'en-fuira de vous. Vous avez vu les eaux supérieures qui ne mouillent point ; vous avez manié la lumière avec vos propres mains ; vous avez su comprimer l'air ; vous avez su nourrir le feu et sublimer la terre en Mercure, en sel, et enfin en soufre.

Vous avez connu le centre ; vous en avez su tirer des rayons de lumière, et par la lumière, vous avez su chasser les ténèbres et voir un nouveau jour. Mercure vous esr né, la Lune a été entre vos mains, et le Soleil a pris naissance chez vous ; il y est né une seconde fois, et a été exalté. Vous avez admiré ce Soleil dans sa rou­geur, et la Lune dans sa blancheur, et vous avez contemplé toutes les étoiles du firmament au milieu des ténèbres de la nuit ; ténèbres devant la lumière, ténèbres après la lumière, enfin la lumière mêlée avec les ténèbres vous est apparue. Que dirai-je davantage ? vous avez produit un chaos, vous avez donné une forme à ce chaos que vous avez tirée de lui-même, et ainsi vous avez eu la première matière, que vous avez informée d'une forme plus noble qu'elle n'avait auparavant ; vous l'avez ensuite corrompue vous l'avez enfin élevée à une forme entièrement par­faite. Mais c'est trop parler sur un sujet où il est bon d'être plus réservé.

STROPHE IV

Mais il n'appartient pas a ma faible plume de tracer un si grand tableau, n'étant encore qu'un chétif enfant de l'art, sans aucune expérience. Ce n'est pas que vos doctes Ecrits ne m'aient fait aper­cevoir le véritable but où il faut tendre ; et que je ne connaisse bien cet llliaste, qui a en lui tout ce qu'il nous faut, aussi bien que cet admirable composé par lequel vous avez su amener de puis­sance en acte la vertu des éléments.

CHAPITRE IV

Ici notre poète s'excuse d'avoir osé se servir de la comparaison qu'il a mise en avant, et fait bien voir que c'est une qualité attachée au vrai philo­sophe que d'être humble et sans vanité ; au contraire des autres qui parlent hardiment de ce qu'ils ne savent pas. Ils disent bien à la vérité que le Mercure et le Soufre entrent dans notre compo­sition ; mais aveugles qu'ils sont, ils ignorent quel est ce Mercure, quel est ce Soufre et ne connais­sent ni ce qu'ils traitent, ni le but où il faut tendre, et les voies qu'il faut tenir leur sont incompré­hensibles. Ils s'en tiennent au 'mercure vulgaire, assurant qu'il n'y en a point d'autre, quoique le docte Sendivogius affirme le contraire dans son dialogue, où il dit qu'il y a bien un autre Mercure, et quoiqu'il soit dit encore ailleurs que notre Mercure ne se trouve point sur la terre, mais qu'il est extrait des corps.

Enfin, quoique tous les philosophes unani­mement condamnent le mercure vulgaire et défen­dent de s'en servir, ils s'obstinent à commenter à leur mode le texte des philosophes, et veulent absolument qu'ils aient entendu que le mercure, dans la forme que nous le voyons, n'est pas à la vérité le Mercure des philosophes, mais seu- lement lorsqu'il est travaillé et purifié à leur fantaisie, et qu'il est réduit sous une autre forme.

Quelle folie, grands dieux ! C'est à peu près comme si quelque auteur avait défendu qu'on se servît du soufre commun pour la confection du verre, et qu'un homme s'obstinât néanmoins de l'en vouloir tirer, par la seule raison que la défense aurait regardé le soufre tel que nous l'avons, mais non pas le soufre travaillé et préparé ; en faisant en lui-même ce beau raisonnement, que le soufre a été au commencement terre, et que par consé­quent il peut se réduire en cendre, de laquelle se fera le verre. Qui ne voit que ce serait aller direc­tement contre l'intention de celui qui aurait fait la défense.

Voilà comme font ceux qui travaillent sur le mercure vulgaire, lequel par l'action de la nature a passé dans une substance certaine, très inutile à l'art ; et quoique le Mercure, l'Or, et les autres métaux, même tous les corps sublunaires contien­nent en eux naturellement le Mercure des philo­sophes, c'est pourtant une très grande folie de tra­vailler sur les uns et sur les autres, puisque l'art a besoin d'un corps qui soit voisin de la génération. Qu'ils sachent donc que nous devons travailler sur un corps créé par la nature, que comme une bonne et prévoyante mère, elle présente à l'art tout pré­paré.

Dans ce corps, le soufre et le mercure se trouvent mêlés, mais très faiblement liés ensem­ble, de sorte que l'artiste n'a qu'à les délier, les purifier, et derechef les réunir par un moyen admi­rable. Tout cela se doit faire non pas par caprice et par un travail ordinaire, mais avec beaucoup de sagesse et d'industrie, et toujours selon les voies et les règles de la nature qui seule doit gouverner entièrement l'ouvrage philosophique, et c'est par là seulement qu'on peut parvenir au but qu'on se propose.

Ce corps est appelé par notre poète Illiaste, ou Hylé, et en effet c'est un véritable chaos, qui dans cette nouvelle production contient en soi quoique confusément, tous les éléments, lesquels l'art industrieux doit séparer et purifier par le ministère de la nature, afin qu'étant derechef conjoints, il en naisse le véritable chaos de.s philosophes ; c'est-à-dire un ciel nouveau et une terre nouvelle. De cet Hylé ou chaos, le docte Pennot dit admirable­ment bien dans ses Canons sur l'Ouvrage Physique que l'essence en laquelle habite l'esprit que nous cherchons est entée et gravée en lui, quoiqu'avec des traits et des linéaments imparfaits. La même chose est dite par Ripleus, Anglais, au commence­ment de ses « Douze Portes » ; et Aegidius de Vadis, dans son « Dialogue de la Nature », fait voir clairement et comme en lettres d'or, qu'il est resté dans ce monde une portion de ce premier chaos, connue mais méprisée d'un chacun, et qui se vend publiquement. Je pourrais alléguer une infinité d'auteurs qui parlent de ce chaos ou masse confuse mais ce qu'ils en disent ne peut être enten­du que des enfants de l'art. Ce sont les oracles du Sphinx, qui ne sont clairs que pour ceux qui les comprennent, et qui sous une même écorce cachent la vie et la mort. Que celui donc qui entreprendra de manier nos Serpents hermétiques, s'arme d'une théorie solide et fondamentale, s'il ne veut trouver sa perte où il cherche sa sûreté et ses avantages.

Que ces malheureux philosophâtres sont à plaindre, qui sur la simple lecture de quelques livres, osent mettre la main à l'Œuvre. Il ne s'agit pas de lire, mais d'entendre ce qu'on lit ; car s'il n'y avait qu'à prendre au pied de la lettre ce que disent les philosophes, que de savants, que d'Her­mès, que de Géber il y aurait au monde ! Mais il n'y a eu et il n'y aura qu'un Hermès et qu'un Géber. Qu'il suffise donc aux plus sages d'être réputés dignes de leur succéder, et qu'ils comptent qu'ils ne sauront jamais rien faire s'ils n'appren­nent auparavant comment il faut faire. Notre poète a parfaitement connu cette vérité, qu'il ne sert de rien de connaître la matière, de savoir les opérations vulgaires, et de comprendre même la nature de l'Illiaste, si en même temps on n'a une parfaite intelligence des livres et une profonde théorie. Car enfin ceci est l'ouvrage des philoso­phes et non des chimistes ordinaires ; c'est une œuvre de la nature et non une subtilité de l'art. Il faut donc commencer par bien apprendre ce que c'est que la nature, et c'est ce que ru trouveras, mon cher lecteur, écrit en plusieurs lieux ; mais c'est à toi de séparer la rosé des épines, et si ton jugement ne te sert à cela, la quantité des livres et des docteurs ne te servira de rien ; ce sera plu­tôt une confusion qu'une véritable science, et loin d'acquérir des connaissances, tu ne feras que perdre et ton temps et ta peine.

STROPHE V

Ce n'est pas que je ne sache bien que votre Mer­cure secret n'est autre chose qu'un esprit vivant, universel et inné lequel en forme de vapeur aérienne descend sans cesse du ciel en terre pour remplir son ventre poreux, qui naît ensuite parmi les soufres impurs et, en croissant, passe de la nature volatile à la fixe, se donnant a soi-même la forme d'humide radical.

CHAPITRE V

II est temps maintenant de mettre au Jour, autant qu'il dépendra de nous, le fondement de toute la doctrine puisqu'il ne servirait de rien de connaître le sujet de notre science si l'on ignorait ce qui est renfermé en lui, et ce qui en doit être tiré ; c'est dans ce dessein que notre poète continue d'expliquer la nature du Mercure des philosophes, mais pourtant sous un voile qui cache la vérité aux yeux des ignorants, et la laisse apercevoir aux sages et aux entendus.

Il établit un double mouvement au Mercure, un de descension, et l'autre d'ascension. Et comme le premier sert à l'information des matières dispo­sées par le moyen des rayons du Soleil et des autres astres, qui de leur nature se portent vers les corps inférieurs, et à réveiller par l'action de son esprit vital le feu de nature, qui est comme assoupi en elles, aussi le mouvement d'ascension lui sert natu­rellement à purifier les corps des excréments qu'ils ont contractés, et à exalter les éléments purs avec lesquels il s'unit, et dont il fortifie la nature ; après quoi, il retourne vers sa patrie, devenu plus vicieux à la vérité, mais non pas plus mûr ni plus parfait.

De même qu'il y a dans le mercure un mouve­ment double aussi trouve-t-on en lui une double nature à savoir une ignée et fixe, l'autre humide et volatile ; et c'est par là qu'il accorde les discor­dants, et qu'il concilie les contraires. Si nous regar­dons sa nature intrinsèque, c'est le cœur fixe de toutes choses, très pur et très persévérant au feu, le vrai fil du Soleil, le feu de la nature, feu essen­tiel, le véhicule de la lumière ; en un mot le véri­table Soufre des philosophes. De lui procède la splendeur ; de sa lumière la vie, et de son mou­vement l'esprit. A l'égard de sa nature extrinsè­que, c'est de tous les esprits le plus spirituel ; de toutes les puretés la plus pure ; la quintessence des éléments ; les fondements de toute la nature, la première matière des choses ; une liqueur élémen­taire ; en un mot le véritable Mercure des philo­sophes.

Ce double mouvement, et cette double nature du Mercure font qu'on le considère sous deux dif­férents regards ; car avant sa congélation et dans la voie de descension, c'est la vapeur aérienne et très pure des éléments de la nature des eaux supé­rieures, portant naturellement dans son sein l'es­prit de la lumière, et le vrai feu de la nature. Il est humide et volatile et c'est la plus noble portion de ce premier Illiaste ou chaos. C'est l'eau permanente, tirée de cette première humidité, toujours la même, et toujours incorruptible. C'est le vent ou l'air des cieux, qui porte en son ventre la fécon­dité du Soleil et qui de ses ailes couvre la nudité du feu. Mais après la congélation, c'est l'humide radical des choses, qui sous de viles scories, ne laisse pas de conserver la noblesse de sa première origine, et sans que son lustre en soit taché ; c'est une vierge très pure, qui n'a point perdu sa virgi­nité, quoiqu'on la trouve au milieu des places publiques ; elle est en tout corps, et chaque composé la recèle en lui. Que serait-ce qu'un corps sans son humide radical et comment une subs­tance pourrait-elle subsister sans son propre sujet ? Comment les esprits pourraient-ils être retenus s'il n'y avait pas un lieu propre à les retenir ? Com­ment enfin le Soufre de nature pourrait-il être renfermé, s'il n'avait pas sa propre prison ? Pour le mieux reconnaître, examinons un peu de plus près la nature des choses.

Il y a trois humidités en tout composé, comme l'enseigne le docte Evaldus Vogélius au chapitre de l'humidité radicale dont la première s'appelle élémentaire, laquelle, dans chaque corps, est opi­niâtrement unie à la terre, et cette terre et eau, ainsi unies, sont appelées le vase des autres élé­ments ; cette humidité n'abandonne jamais abso­lument le composé, au contraire elle demeure tou­jours avec lui, même dans les cendres, et dans le sel, qui en est tiré ; et ce qui est plus admirable, c'est qu'elle reste même dans le verre, à qui elle donne la fluidité. Cette humidité est le véritable et très pur élément de l'eau, qui n'a reçu aucune altération des autres éléments, mais qui est demeuré dans la seule et simple nature d'eau, hors l'union qu'il a contractée avec la partie terrestre.

La deuxième humidité est nommée radicale, de laquelle il a été dit quelque chose ci-dessus, et dont nous parlerons encore plus amplement ci-après. Dans cette humidité consiste particulièrement la force du corps, mais elle s'enflamme, et se sépare aisément du composé ; il en reste pourtant tou­jours quelque petite portion et même dans les cendres ; mais elle se dissipe entièrement dans la vitrification. La troisième humidité s'appelle , alimentaire, et c'est proprement l'aliment qui survient au composé. Elle est de la nature de l'humidité radicale, mais c'est avant sa congélation, et lors­qu'elle n'a point encore souffert d'altération considérable par les agents spécifiques. Elle s'ap­pelle de divers noms, et souvent elle est prise chez les philosophes pour l'humidité radicale, à dessein d'embarrasser les lecteurs. Cette humidité est vola­tile, et abandonne presque la première le corps. Au reste la connaissance de ces trois humidités est plus nécessaire pour ceux qui s'attachent à notre science, que celle de leur propre langue, car sans elle il est absolument impossible de bien connaî­tre le Mercure des philosophes.

Je dirai encore en peu de mots, touchant la première humidité, que c'est l'élément grossier de l'eau uni avec l'élément grossier de la terre, et qu'ils sont les vases de la nature dans lesquels les deux autres éléments purs sont renfermés, à savoir le feu dans la terre, et l'air dans l'eau ; mais non pas pourtant immédiatement, car le véritable air est renfermé dans un autre corps plus pur, aussi bien que le véritable feu. Ces deux éléments sont encore nommés les corps par les philosophes parce qu'ils communiquent la corporéité à toute la nature, et que leur substance sert comme d'habil­lement pour couvrir la nudité des véritables élé­ments ; mais le corps de la terre particulièrement comprend et revêt toutes choses.

A l'égard de la seconde humidité, c'est une humidité aérienne, qui avant sa congélation, était la vapeur des éléments de nature éthérée, conserve cette même nature après la congélation, ce qui fait que dans chaque composé, elle prend la forme d'huile, surtout dans les végétaux et dans les ani­maux. A l'égard des minéraux, comme ils abon­dent principalement en humidité aqueuse et en terrestréité, toutes deux liées ensemble, à cause de quoi leur huile a reçu une altération terrestre et grossière, il s'ensuit que la nature de leur huile, où domine l'humidité, est transmuée en une qua­lité terrestre, où règne principalement la séche­resse, et de là vient que leur humide radical, sur­tout des métaux, résiste plus opiniâtrement au feu que l'humide des autres corps ; toutefois cet humide n'est pas fixe en tous, parce que l'aqueux y prévaut quelquefois au terrestre ; mais si une telle humidité était resserrée et transmuée par la coction, alors l'humide radical deviendrait très constant et très fixe au feu. L'huile donc abonde en humidité aérienne, ce qui fait qu'elle brûle et s'allume aisément, cette propriété étant particu­lière à l'humidité aérienne (alors que les autres humidités s'envolent sans s'enflammer) parce que l'air est de la nourriture du feu, qui vit de l'air, s'en nourrit, s'en réjouit et se revêt de son corps ; de sorte qu'on peut dire que tout ce qui est de substance huileuse dans les corps, contient en soi cette humidité radicale, laquelle dans les végétaux est sous une forme oléagineuse, dans les animaux sous une forme de graisse, et dans les minéraux sous une forme de soufre, comme nous l'avons dit ; quoiqu'il arrive pourtant, quelquefois, que cette substance varie, et pour le nom et pour la forme. Mais au fond, c'est cette seule humidité aérienne et radicale, renfermée dans leur intrinsèque, qui est à considérer ; car cette humidité étant détruite, le composé tombe et n'est plus ce qu'il était ; étant altérée, tout le corps est altéré ; car c'est dans cette seule humidité que consiste le vrai sujet de toutes les altérations, aussi bien que le fondement des générations ; mais cette humidité subsistant, subsiste en même temps la vertu du composé, lequel est vigoureux ou languissant, selon l'abondance ou le défaut de cette humidité. Enfin, la nature se trouve renfermée en elle, et s'y conserve. C'est le véritable sperme des choses, dans lequel réside le point séminal, comme nous l'expliquerons ci-après.

Pour ce qui est de la troisième humidité, c'est proprement le Mercure végétal, étant encore dans la voie de descension, lorsque par les rayons pla­nétaires, il descend pour faire végéter la nature, et multiplier la semence dans les corps. Mais parce que c'est une vapeur très subtile et très spirituelle, comme l'insinue fort doctement notre auteur, elle a besoin, pour pénétrer les corps inférieurs et se mêler avec eux, de revêtir la forme d'eau, par le moyen de laquelle elle empêche que les corps ne soient brûlés. Elle sert entièrement à la produc­tion des choses dans l'acte de la génération, car c'est le véritable dissolvant de la nature, pénétrant les corps par sa spiritualité innée, et réveillant le feu interne lorsqu'il est assoupi ; causant aussi par son humidité la corruption et la noirceur et à cause de l'acidité qu'il a contractée dans un corps tout à fait minéral. Il est très acide, et très aigu, et c'est le véritable auteur de toutes les motions. Il est quelquefois comparé au menstrue, et il a une telle et si grande vertu qu'on ne saurait l'exprimer, quoiqu'à le considérer en lui-même, et grossière­ment, il soit très imparfait, très cru, et même très vil ; mais c'en est assez.

Les philosophes ont quatre sortes de Mercure, dont les noms confondent tellement les lecteurs, qu'il est quasi impossible d'eu pénétrer le vérita­ble sens. Le principal et le plus noble est le Mer­cure des corps, car c'est le plus virtuel et le plus actif de tous, et c'est aussi à son acquisition que tend toute la chimie, puisque c'est la véritable semence, tant recherchée, de laquelle se fait la teinture et la Pierre des philosophes. C'est ce Mercure qui a poussé les philosophes à tant écrire ; c'est lui qui est véritablement la Pierre ; et qui ne le connaît, se rompt inutilement la tête à la chercher. Le second est le Mercure de nature, dont l'acquisition demande un esprit très subtil, et très docte. C'est le véritable bain des sages, le vase des philosophes, l'eau véritablement philosophique, le sperme des métaux, et le fondement de toute la nature. Enfin, c'est la même chose que l'humide radical, dont nous avons parlé ci-dessus. Le troi­sième est appelé le Mercure des philosophes, parce qu'il n'y a que les seuls philosophes qui le puissent avoir ; il ne se vend point, il n'est point connu, et ne se trouve que dans les seuls magasins des philosophes, et dans leurs minières.

C'est proprement la sphère de Saturne, la véri­table Diane, et le vrai sel des métaux, dont l'acquisition est au-dessus des forces humaines ;sa nature est très puissante et c'est par lui que commence l'Ouvrage philosophique, c'est-à-dire après son acquisition. Oh que d'énigmes ont pris de lui leur origine ! Que de paraboles faites pour lui ! Que de traités composés en lui. Il est caché sous tant de voiles, qu'il semble que toute l'adresse des philosophes a été mise en oeuvre pour . le bien envelopper. Le quatrième est le Mercure commun, non celui du vulgaire, qui est nommé de la sorte seulement par res­semblance, mais le nôtre, qui est le véritable air des philosophes, la vraie moyenne substance de l'eau, et le vrai feu secret. Il est appelé commun, parce qu'il est commun a. toutes les minières, que c'est par lui que les corps des minéraux sont aug­mentés, et que c'est en lui que consiste la subs­tance métallique.

Si tu connais bien ces quatre Mercure, mon cher lecteur, te voilà déjà à l'entrée, et le sanc­tuaire de la nature t'est ouvert, car tu as déjà en eux trois éléments parfaits, à savoir l'air, l'eau et le feu. A l'égard de la terre pure, tu ne peux l'avoir que par la calcination philosophique, et alors seulement la vertu de la Pierre sera entière, quand tout sera changé en terre. Mais voilà suffisam­ment parlé de la nature de Mercure, et si notre auteur, dans un autre genre d'écrire, en a traité doctement et magnifiquement, nous croyons avoir dit en peu de mots tout ce qui s'en pouvait dire, et aussi clairement qu'une telle science le peut per­mettre. Tu verras encore dans la suite de plus grandes choses ; en sorte qu'il ne te restera que de mettre la main à l'Œuvre ; mais avant que de commencer, prends garde à bien entendre ce que tu liras.

STROPHE VI

Ce n'est pas que je ne sache bien encore que si notre vaisseau ovale n'est scellé par l'hiver, jamais il ne pourra retenir la vapeur précieuse, et que notre bel enfant mourra dès sa naissance, s'il n'est promptement secouru par une main industrieuse. et par des yeux de Linyx, car autrement il ne pourra plus être nourri de sa première humeur, à l'exemple de l'homme, qui après s'être nourri de sang impur dans le ventre maternel, vit de lait lorsqu'il est au monde.

CHAPITRE VI

Tous les auteurs disent beaucoup de choses du sceau d'Hermès, et assurent tous que sans lui le magistère serait détruit, puisque par son moyen seul les esprits sont conservés et le vaisseau bien muni. Mais je n'ai pu encore comprendre ce que veut dire notre poète par le mot d'hiver qu'il emploie, de sorte que je croirais aisément que c'est une faute d'écriture, et qu'il devrait y avoir sigillarsi di vetro au lieu de di verno, la ressem­blance des mots ayant pu tromper le copiste.

Cependant, je n'ignore pas ce que Sendivogius entre autres enseigne, à savoir que l'hiver est cause de putréfaction, parce que les pores des arbres et des plantes sont bouchés par le froid (ambiant) ce qui fait que les esprits s'y conservent mieux, et ont leurs actions plus vigoureuses. Mais je ne vois pas comment ce raisonnement pourrait être appli­qué à notre Œuvre, où une chaleur continuelle doit environner la matière, et l'échauffer et est nécessaire jusqu'à la fin , tous les auteurs convenant que si elle vient à cesser un moment, la composition tombe et l'ou­vrage est détruit. Ils donnent comme exemple l'œuf mis sous la poule pour la production du poulet, qui devient inutile dès qu'il est refroidi. C'est ce qui a mis mon esprit en suspens sur l'in­tention de notre auteur.

Pour toi, mon cher lecteur, sans t'arrêter à tout cela, lorsque tu voudras en temps utile mettre ton œuvre dans ton vaisseau, prends seulement bien garde qu'il soit scellé exactement, afin que la vertu y soit retenue dans toute sa force, et que les eaux salutaires et précieuses ne puissent en sortir, car c'est là où est tout le péril. Rapporte surtout ton ouvrage à celui de la nature, qu'elle te serve de maîtresse et de guide, et observe soi­gneusement comment elle opère en pareil cas, ayant toujours dans ton esprit la manière dont elle se sert pour mettre son ouvrage dans son vase, et l'y sceller exactement, car la connaissance de l'un donne celle de l'autre. Si tu veux chasser le froid de la maison, allumes-y un feu ; mais si tu veux retenir l'esprit, qui ne demande qu'à retourner vers la patrie, empêche l'ennemi d'ap­procher des murailles, de peur qu'il ne tombe entre ses mains, et alors il demeurera à la maison ; sois donc prudent et avisé.

Nous avons nécessairement besoin d'une sage-femme lors de la naissance de l'enfant, mais si elle le reçoit sans précaution, on doit appréhender qu'il ne lui échappe. Ou, si l'ayant reçu devant le temps, elle le serre trop avec ses linges, il courra le risque d'être suffoqué. Et enfin, si elle n'a bien soin d'en séparer l'arrière-faix et les autres superfluités, il est à craindre ou qu'il n'en meure, ou qu'il n'en soit perpétuellement infecté. On ne sau­rait donc trop, en pareille occasion, recommander la prudence et la vigilance, car chaque chose a son heure déterminée pour la naissance, aussi bien que son automne pour la maturité. Les fruits cueil­lis avant le temps ne viennent Jamais à parfaite maturité ; s'ils mûrissent aussi plus qu'il ne faut, ils pourrissent aisément. Ainsi rien n'est si néces­saire que de connaître ce terme moyen et précis de la parfaite maturité ; car, à quoi servirait-il de cultiver un fruit, de l'arroser, et le faire mûrir, s'il n'était pas cueilli dans le temps convenable ? Ce serait une peine entièrement perdue.

Le temps de la naissance n'est point déterminé par les philosophes qui varient fort entre eux sur cela ; mais il suffit d'avertir le lecteur que tout fruit se doit cueillir en sa saison, et que la nature qui se plaît dans ses propres nombres est satis­faite du nombre mystérieux de sept, surtout dans les choses qui dépendent du globe lunaire, la Lune nous faisant voir sensiblement une quantité infinie d'altérations er de vicissitudes dans ce nombre septénaire. C'est par ce nombre magique que la nature et tout ce qui en dépend est secrètement gouverné. Mais ce mystère naturel est caché aux esprits grossiers qui ne peuvent rien voir que par les yeux du corps, qui se contentent de cela et ne cherchent rien davantage.

Ce nombre septénaire est un des grands secrets des philosophes, et quiconque saura par lui com­prendre l'ordre de l'univers, saura un mystère qui, bien loin de devoir être révélé, doit au contraire être enseveli dans un profond silence ; mais quel­que jour, Dieu aidant, nous traiterons plus à fond de ces grandes choses.

Que dirons-nous présentement de la nutrition, ou de la secrète multiplication, dont le mystère repose parmi les plus grands secrets des Philoso­phes ? Car, à quoi servirait-il de cueillir la moisson si, étant cueillie, on ne la conserverait avec soin pour l'employer à l'usage de la multiplication ? Nous disons donc qu'il y a trois sortes d'augmen­tations : une, qui se fait par la voie de la nutri­tion ; l'autre par l'addition d'une nouvelle matière, et la troisième par dilatation ou raréfaction ; mais cette dernière n'est pas proprement une augmen­tation, c'est une circulation d'une même matière, et l'atténuation de ses parties. Des deux autres, la seconde, qui est celle qui se fait par addition, regarde plutôt l'art que la nature, laquelle n'a point de mouvement local, ni de parties qui y soient propres ; mais elle use seulement d'attrac­tion, et c'est là proprement l'augmentation qui se fait par la voie de la nutrition.

Pour comprendre fondamentalement ce que c'est que la nutrition, il est nécessaire de savoir que le sec attire naturellement son humide, et que plus l'humide est spiritueux, plus il est facilement attiré. Or, le feu de nature, qui réside dans l'humi­dité radicale, comme nous le ferons voir ci-après, étant très sec, et le plus actif des éléments, il attire à soi celui d'entre eux qui est le plus raré­fié, et le plus spiritualisé, à savoir l'air. De là vient que l'air étant ôté, le feu s'éteint parce qu'il est nourri, quoique d'une manière insensible, de la moyenne substance de l'air.

Cette moyenne substance aérienne est revêtue d'un corps aqueux, et elle est dépouillée de cette écorce extérieure par le moyen de la corruption, s'insinuant dans le profond de l'humide radical, qui est de même nature qu'elle, mais plus conge­lée ; et ensuite, par une nouvelle génération, au moyen du feu digérant, elle se transforme en ce même humide radical, d'où il arrive une conti­nuelle corruption et une continuelle génération.

Il est vrai que la nutrition et la réparation de ce qui a été détruit ne se fait pas toujours, parce que le feu qui doit faire en même temps une double action à savoir de consumer ce qui a été digéré, et de rétablir par une nouvelle nutrition ce qui a été consumé, se trouve quelquefois affai­bli, ou bien est empêché par quelque accident de faire son attraction, et c'est alors que le corps meurt par la dissipation de son humide radical, consumé par son propre feu.

Afin donc que la nutrition se fasse comme il faut, il ne suffit pas qu'il y ait un feu agissant, et une consumation de l'humide radical (laquelle pourtant est nécessaire, car si rien ne se consumait, la nature serait toujours contente, le composé serait immor­tel, et dans les animaux il n'y aurait jamais de faim, ni de désir de nouvel aliment). Il ne suffit pas non plus qu'il y ait un nouvel aliment tout prêt ; mais il faut encore que l'action du feu interne soit égale, et même supérieure à la résis­tance qui se fait de la part du nourrissant ; autre­ment, l'effort de l'attirant serait vain dès qu'il ne pourrait convertir l'attiré en sa nature.
Nous en avons l'exemple dans l'homme, dont la chaleur naturelle dévore perpétuellement son pro­pre humide radical, ce qui cause la faim, et le désir d'une nouvelle matière semblable. Quoiqu'il ait pris son aliment, et que ce mouvement de désir ait cessé, il ne laisse pas d'être encore nécessaire, pour que cet aliment soit converti en nourriture, de lui ôter tous ses empêchements, de le dépouil­ler de son écorce extérieure, de l'atténuer par la formation du chyle, et de le faire passer, pour ainsi dire, en la nature de son premier chaos ; et alors, l'aliment ainsi raréfié, est aisément attiré par la chaleur naturelle pour suppléer au défaut de l'humide radical consumé, lequel pourtant ne se répare jamais absolument, à' cause des excré­ments que laissent les aliments, qui vont toujours en s'augmentant, et aussi à cause que le feu agis­sant s'affaiblit par une action trop continue, sui­vant cet axiome que tout agent, à force d'agir, pâtit, et en pâtissant s'affaiblit.

Voilà comment se fait la nutrition de l'homme, et par conséquent son augmentation, à savoir par l'assimilation des aliments ; d'où il s'ensuit que dans l'oeuvre physique, cet agent naturel ou feu de nature, consume continuellement par son action son propre humide radical, et qu'ainsi il est néces­saire de lui donner un nouvel aliment à la place de celui qui a été consumé. Mais parce qu'au com­mencement sa vertu est faible, il ne faut lui donner d'abord qu'un peu d'aliment, qui soit fort léger. jusqu'à ce que ce feu s'étant fortifié, on puisse lu' donner des mets plus solides. Notre auteur nous enseigne donc par là de fortifier l'enfant après sa première nourriture par de nouveaux aliments, à l'exemple de l'embryon humain, qui dans le ven­tre de la femme, est nourri d'un menstrue faible, mais à qui on donne après qu'il est né, une plus forte nourriture, à savoir du lait.

STROPHE VII

Quoique je sache toutes ces choses, je n'ose pourtant pas encore en venir aux preuves avec vous, les erreurs des autres me rendant toujours incertain. Mais si vous êtes plus touché de pitié que d'envie, daignez ôter de mon esprit tous les doutes, qui l'embarrassent ; et si je puis être assez heureux pour expliquer distinctement dans mes écrits tout ce qui regarde votre magistère, faites, je vous conjure, que j'aie de vous pour réponse : Travaille hardiment, car tu sais ce qu'il faut savoir.

CHAPITRE VII

Après que notre auteur nous ait fait comme toucher du doigt notre divine science, il s'excuse de n'en pas dire davantage sur ce qu'il lui reste à lui-même beaucoup de choses à apprendre ; et il confesse qu'il aurait dû faire voir plus de doctrine, ayant à parler à des gens savants. Il craint même qu'il ne manque quelque chose à son ouvrage, et que l'ordre n'y soit pas bien gardé. Apprenez de là, vendeurs de fumée, combien il est difficile de faire notre œuvre, puisqu'il ne s'agit pas de faire des opérations vulgaires, qui bien que par­faites dans leur genre, sont inutiles à notre dessein et méprisées de tous les philosophes. Il n'y a, comme nous l'avons dit, qu'une opération dans notre magistère. Tous les philosophes nous l'en­seignent, en nous avertissant d'abandonner toutes ces opérations sophistiques, et de nous tenir à la nature, chez laquelle seule on trouve la vérité.

C'est dans la sublimation philosophique que sont renfermées toutes les autres opérations, et en elle seule consiste tout ce que l'artiste peut faire de mieux et de plus subtil. Si donc quelqu'un sait bien faire cette sublimation, il peut se vanter d'avoir connu un des plus grands secrets et des plus grands mystères des philosophes. Mais afin que tu puisses toi-même la comprendre claire­ment, vois comment Géber définit la sublima­tion : C'est, dit-il, l'élévation par le feu d'une chose sèche avec adhérence au vaisseau.

Donc, pour faire une bonne sublimation, il y a trois choses que tu dois connaître, le feu, la chose sèche, et le vase. Si tu les connais, tu es heureux et tu n'as qu'à faire en sorte que la chose sèche adhère au vaisseau ; car si elle n'y adhérait pas elle ne vaudrait rien ; mais pour qu'elle y adhère, il faut qu'elle soit de même nature que le vaisseau, et c'est leur nature qui fait leur ressemblance ; car la sécheresse est de la nature du feu, lequel est de toutes les choses la plus sèche. C'est par elle qu'il dissipe et consume toute humidité, comme c'est par elle aussi qu'il abonde en pureté ; mais elle s'augmente de beaucoup dans notre sublima­tion, et c'est tout autre chose que quand il était renfermé dans les fèces.

Il faut avoir soin aussi que le vaisseau soit très pur et de la nature du feu. Or,, entre toutes les matières, le seul verre et l'Or sont les plus constants au feu, s'y plaisent et s'y purifient davantage ; mais parce que l'Or ne se peut avoir qu'à grand prix, et que de plus il se fond aisément, les pauvres n'auraient pas le moyen d'en­treprendre l'Ouvrage philosophique, et il n'y aurait que les riches et les grands de ce monde, ce qui dérogerait à la Providence et à la bonté du Créateur qui a voulu que ce secret fût indiffé­remment pour tous ceux qui le craindraient. Il faut donc s'en tenir à un vaisseau de verre, ou de la nature du verre, très pur, et tiré des cendres avec adresse et subtilité d'esprit.

Mais que les disciples de l'art prennent bien garde ici de ne pas se tromper, et à bien connaî­tre ce que c'est que le Verre philosophique, en s'attachant au sens et non pas au son des mots ; c'est l'avis que je leur donne par un esprit de pitié et de charité. Dans ce vaisseau de verre bien connu, s'accomplit la sublimation, lorsque la nature sèche s'élève par le moyen du feu et adhère au vaisseau à cause de sa pureté et de leur même nature. Au reste, s'il y a beaucoup à suer dans la recherche du vaisseau, il n'y a pas moins de peine dans la construction du feu. Mais comme nous en parlerons dans un chapitre particulier, nous croyons qu'il suffit pour le présent de ce que nous avons dit.

Que ceci serve seulement de leçon aux chimistes ignorants qui croient qu'on doit entendre ces cho­ses à la lettre, et qui; sans étude précédente, s'ima­ginent faire l'Œuvre par leurs sublimations vulgai­res. Ils lisent continuellement Géber mais sans l'entendre, et le succès ne répondant pas à leur attente, ils sont les premiers à aboyer contre les vrais philosophes. Et parce qu'ils ont pris un seul auteur pour leur guide, ils ne daigneraient pas en regarder d'autres, ne sachant pas qu'un livre en ouvre un autre, et que ce qui se trouve en abrégé dans l'un, se trouve étendu dans l'autre.

Qu'ils lisent donc les livres des philosophes, et surtout de ceux qui, moins envieux que les autres, ont transmis à leurs successeurs la connaissance de la nature. Entre tous ces traités, ceux qui se trou­vent insérés dans le Muséum Hermeticum tiennent, à mon sens, le premier rang, et surtout le Traité qui a pour titre Via veritatis quoiqu'il y ait aussi bien que dans les autres un serpent caché, qui d'abord ne laisse pas de piquer ceux qui n'y pren­nent pas garde. Mais que dirons-nous de tant de volumes, plus dangereux que la peste dont les auteurs, quoique très doctes en leur genre, sont pourtant si remplis d'envie, que Dieu sans doute les punira d'avoir été la cause de tant de malheurs et les mesurera à la même mesure dont ils ont mesuré les autres ?

Car enfin, si l'amour du prochain est aussi bien que celui de Dieu, le Sommaire de la Loi sainte et des Commandements divins, que devient cette Loi, et où sera l'observation de ces Commandements, si l'envie règne si fort parmi les hommes ? A quoi servent tant de traités pleins d'impostures, tant de fausses recettes, et tant d'écrits suggérés par le démon, sinon pour perdre les gens trop crédules ? Et quel avantage a un philosophe de suer sur de pareils ouvrages, qui causent tant de maux ? N'est-ce pas assez de ces rejetons pestilentieux, et de ces semences maudites, incapables de rien produire de bon sans que l'envie, à l'exemple de Satan, vienne remplir nos champs d'ivraie ? C'est cette rage envieuse, source de tant de malheurs, dont le souffle fatal renverse les maisons, et dont les brouillards infects gâtent la moisson et détruisent l'espérance des pauvres.

Ce sont vos langues envenimées, dont les pointes réduisent en cendre la substance des malheureux, et ce sont ces noires vapeurs que vous répandez dans vos écrits, qui jettent l'hor­reur et les ténèbres dans l'esprit de ceux qui vous lisent. Si vous ne voulez pas qu'on profite de la lecture de vos livres, pourquoi attirer les gens par de belles promesses, et que ne gardez-vous plutôt un silence dont Dieu et les hommes vous sauraient plus de gré que de parler avec envie ? On voit beaucoup d'auteurs qui, en accu­sant les autres d'avoir été envieux, et d'avoir caché malicieusement la vérité, répandent dans leurs discours encore plus d'obscurité que les pre­miers, ce qui fait que les pauvres étudiants ne recueillent de toute leur doctrine que beaucoup de confusion ; car si l'un rejette une chose, l'autre l'élève jusqu'au ciel ; l'un commande ce que l'autre défend, et de cette manière ils confondent tellement l'esprit du lecteur que plus il étudie, plus il a sujet de se défier de la vérité de l'art.

Il n'y en a quasi point, parmi ceux qui écrivent, qui ne promettent de parler fidèlement et sincè­rement ; et cependant leurs discours sont si pleins d'ambiguïté qu'ils ne peuvent qu'à grand-peine être entendus par les plus doctes. Et quoiqu'ils s'excusent sur ce qu'ils n'ont pas la liberté d'en dire davantage, et qu'on a mis pour ainsi dire un cachet sur leurs lèvres (livres), on ne laisse pourtant pas de démêler leur envie, quelque soin qu'ils prennent de la cacher.

Il vaut bien mieux se taire, lorsqu'on se croit obligé de garder le secret, que de substituer un mensonge à sa place, à dessein de jeter les gens dans l'erreur. Enfin, les philosophes parlent entre eux si obscurément, qu'à peine y trouve-t-on un seul mot exempt de sophisme. Qu'ils cachent la pratique tant qu'ils voudront, à la bonne heure; mais au moins qu'ils enseignent fidèlement la théorie et les fondements de la science, car sans fondements il ne peut y avoir d'édifice.

Est-ce que l'art ne serait pas assez caché aux ignorants, si les philosophes se contentaient d'être réservés ou sur la matière ou sur le vaisseau, ou sur le feu ? A peine avec cela y en aurait-il un sur mille qui pût approcher de cette table sacrée, mais il ne suffit pas à ces messieurs de cacher toutes ces choses, il faut encore qu'ils mettent en leur place des visions et des fantaisies, par où, bien loin de rendre un lecteur plus savant, ils ne font que montrer leur malice et leur envie. Que ces envieux n'imitent-ils Hermès, dont ils se disent les enfants ; car quoique dans sa Table d'Emeraude, il ait été un peu réservé, il n'a pas laissé pourtant de faire sentir l'odeur de cette divine science, de laquelle il a parlé très docte­ment ; mais ceux qui sont venus après lui, au lieu d'éclaircir ses paroles, y ont jeté de plus grandes ténèbres et ont porté la chose à un tel excès d'obscurité, qu'il n'y a point d'esprit, quel­que subtil et éclairé qu'il soit, qui puisse la péné­trer, à moins que d'être secouru de la lumière d'en haut, à laquelle rien ne peut résister.

Il se trouve des gens qui, lisant certains auteurs, lesquels ont d'abord un air de sincérité et de charité, tiennent qu'il faut rejeter pour l'Œuvre toutes sortes de minéraux et s'attacher par leur conseil aux métaux.

Mais lisant ensuite que les métaux du vulgaire sont morts, parce qu'ils ont souffert le feu de fusion, ils recourent à ceux qui sont encore dans les mines et se mettent à travailler sur eux, et ne trouvant rien dans la suite de l'ouvrage, qui les contente, après avoir fait divers essais, tantôt sur un métal et tantôt sur un autre, rebu­tés de leurs expériences ils reprennent les livres et, trouvant que tous les métaux imparfaits sans exception son condamnés, touchés par la rai­son et par l'autorité, ils en reviennent aux métaux parfaits, à savoir à l'Or et à l'Argent ; mais après y avoir pendant quelque temps perdu leur peine et consumé leur bien, ils se ravisent tout d'un coup, en considérant que ces métaux sont d'une très forte composition et se mettent en tête qu'il faut les réincruder comme ils disent, par un dissolvant naturel, qu'ils croient mal à propos être le mercure vulgaire ; mais, quoi qu'ils fassent avec de telles matières, ils ne trouvent que du dommage et de la honte, parce qu'ils ignorent les véritables principes de la nature, sur lesquels on doit asseoir son fondement, et ne savent ni ce que l'or vulgaire contient, ni ce qu'il peut donner ; car s'ils connaissaient bien cela, ils verraient que notre corps, le véritable Or des sages, possède suffisamment tout ce qui est nécessaire à l'art.

Ceux qui travaillent comme nous venons de le dire, se voyant enfin trompés dans leurs espérances, viennent à mépriser toutes sortes de corps, et à blasphémer contre la nature, ne comprenant pas que chaque corps, selon son espèce, contient en soi sa propre semence, laquelle ne se trouve point dans des choses diverses. Après donc avoir vainement travaillé tantôt sur une chose et tantôt sur une autre, ils recourent encore une fois aux livres où, trouvant que les auteurs condamnent toutes sortes de végétaux, d'animaux, de minéraux, et de métaux mêmes, par un raffinement ridicule, ils .sortent hors de la nature, et portent leur recherche ou plutôt leur folie, tantôt jusque dans le ciel, et tantôt jusqu'au centre de la terre, essayant par de pénibles travaux, d'extraire un sel vierge de la terre, ou un lait volatil de l'air, de la rosée, ou de la pluie ; mais lorsqu'ils croient avoir fait une Pierre très fixe et le vrai Soufre des philosophes, il se trouve qu'ils n'ont autre chose qu'une pierre aérienne et le soufre des sots.

Les erreurs infinies de ceux qui travaillent ne viennent que de ce que les philosophes trompent de propos délibéré ceux qui les lisent, s'imaginant que par ce moyen ils les détourneront du travail, mais ils se trompent eux-mêmes ; car chacun aime tellement son erreur qu'il se remet à travailler de nouveau avec plus de chaleur et de confiance qu'il n'a fait. La cause de tant de malheurs est donc la seule envie des auteurs, ce qui fait que notre poète, épouvanté de tant de sortes d'erreurs où tombent ceux qui s'attachent à cette science, doute de lui-même, et de son propre ouvrage, implorant avec humilité l'indulgence des philo­sophes, et surtout de ceux qui, n'étant point infec­tés du venin de l'envie, en exercent tous les devoirs et sont revêtus d'une charité vraiment philosophique.

C'est de ceux-là dont on ne saurait trop ni trop bien parler, car ce sont des oracles de la nature qui n'annoncent que de bonnes choses. Ce sont des astres radieux, dont la lumière éclate pleinement aux yeux de ceux qui les consultent. Mais revenant à la modestie de notre poète qui lui fait dire qu'il ne sait pas l'Œuvre, et lui fait deman­der l'indulgence des philosophes ; il y a beaucoup d'apparence qu'il n'en use de la sorte que par prudence, et qu'il aime mieux passer pour disciple que pour maître.

Néanmoins, pour le satisfaire et ceux aussi qui seront dans les mêmes doutes que lui, nous voulons bien les assurer qu'ils peuvent entreprendre l'Œuvre hardiment, quand ils sauront par théorie comment, par le moyen d'un esprit cru, on peur extraire un esprit mûr du corps dissous, et derechef l'unir avec l'huile vitale pour opérer les miracles d'une seule chose ou, pour parler plus clairement, quand ils sauront avec leur menstrue végétal, uni au minéral, dissoudre un troi­sième menstrue essentiel, pour ensuite, avec ces divers menstrue, laver la terre, et l'ayant lavée, l'exalter en nature céleste, afin d'en composer leur foudre sulfureux, lequel en un clin d'œil, pénètre les corps, et détruit leurs excréments. Voilà tout ce qu'il nous est permis de leur dire, encore dans un style figuré, parce que cela regarde la pratique de laquelle nous traiterons peut-être quelque jour plus clairement. Soyez-en donc contents, vous qui aimez la science et qui recherchez la vérité.

Fin du premier Chant


CHANT DEUXIEME


STROPHE I

Que les hommes peu versés dans l'école d'Her­mès se trompent, lorsqu'avec un esprit d'avarice, ils s'attachent au son des mots. C'est ordinairement sur la foi de ces noms vulgaires d'Argent vif et d'Or qu'ils s'engagent au travail, et qu'avec l'or commun ils s'imaginent par un feu lent fixer enfin cet argent fugitif.

CHAPITRE PREMIER

Nous avons déjà touché les erreurs de ceux qui travaillent avec l'Or et l'Argent vif, s'imaginant pouvoir en tirer quelque profit ; et nous avons fait voir qu'ils ignorent entièrement les principes 'de la nature ; ce qui fait qu'au lieu de trouver la Pierre, au milieu des ténèbres qui les environnent ils heurtent lourdement contre les plus grosses pierres qui se trouvent en leur chemin.

Leur opinion roule uniquement sur ce que l'Or est le plus noble de tous les corps, et qu'il contient en lui la semence aurifique, laquelle ils prétendent, disent-ils, multiplier avec son semblable, et dans cette vue ces pauvres idiots se proposent de le faire végéter. Cette erreur est fortifiée chez eux par les discours captieux de certains philosophes qui ensei­gnent que dans l'Or sont les semences de l'Or, et qu'il est le véritable principe d'aurification comme le feu est d'ignition.

Doctrine dont, sans doute, on peut tirer beaucoup de fruit, pourvu qu'elle soit prise dans son véritable sens mais qui, étant mal enten­due, perd les ignorants. Notre poète fait fort bien connaître la cause d'une telle erreur, quand il reprend ceux qui n'approchent de cet art divin que dans un esprit d'avarice, et dont le cœur, ne dési­rant que de l'or, fait qu'ils 'ne sont jamais contents s'ils n'ont de l'or dans leurs mains. Son éclat éblouit leurs esprits aussi bien que leurs yeux, et sa solidité ébranle la faiblesse de leur cerveau. Sa beauté atta­che leur désir et sa vertu occupe tous leurs sens ; mais sa forte composition ne produit que leur confusion, et sa noblesse fait voir la petitesse de leurs conceptions.

Il est sans doute que dans l'Or est contenue la semence aurifique et même plus parfaitement qu'en aucun autre corps ; mais cela ne nous oblige pas nécessairement à nous servir d'or vulgaire, car cette semence se trouve de même dans chacun des autres métaux, puisque ce n'est autre chose que ce grain fixe, que la nature a introduit dans la première congélation du Mercure, comme l'enseignent par­faitement Flamel et les autres ; et en cela, il n'y a point de contradiction, puisque tous les métaux ont une même origine et une matière commune, comme nous le ferons voir ci-après.

D'où il s'ensuit que, quoique cette semence soit plus parfaite dans l'or, toutefois elle se peut extrai­re bien plus aisément d'un autre corps que de l'or même, et la raison en est que les autres corps sont plus ouverts, c'est-à-dire moins digérés, et leur humidité moins terminée, la nature n'ayant accou­tumé d'introduire la forme de l'Or qu'après la dernière cuisson. Les autres métaux donc, n'ayant pu encore recevoir cette forme à cause du manque de cuisson, se trouvent plus ouverts, non seulement par l'humidité de leur substance, qui n'est pas assez digérée, mais encore à cause du mélange et de l'adhérence des excréments qui empêchent la compacité et la parfaite union ; ce qui fait que le fer quoique plus cuit que l'argent (comme l'ensei­gne doctement, entre autres, Bernard Trévisan) n'est pas néanmoins si parfait ni si uni dans sa substance mercurielle, à cause de la quantité des fèces, qui ont empêché la cuisson, et par consé­quent l'union.

Mais pour ce qui est de l'Or, il a reçu la der­nière cuisson, et la nature a exercé sur lui son action dans toute son étendue, et y a imprimé tou­tes ses vertus ; en sorte qu'il serait très long, très difficile, et presque impossible de travailler sur lui, à moins que d'avoir cette eau éthérée, le ciel des philosophes, et leur vrai dissolvant. Quiconque l'a peut se vanter d'avoir la parfaite connaissance de la Pierre, et d'avoir atteint, comme on dit, les bornes atlantiques.

L'or vulgaire ressemble à un fruit qui, parvenu à une parfaite maturité, a été séparé de l'arbre, et quoiqu'il y ait en lui une semence très parfaite, et très digeste, néanmoins si quelqu'un, pour le mul­tiplier, le mettait en terre, il faudrait beaucoup de temps, de peine, et de soins pour le conduire jus­qu'à la végétation. Mais, si au lieu de cela, on pre­nait une greffe ou une racine du même arbre, et qu'on la mît en terre, on la verrait en peu de temps et sans peine végéter et rapporter beaucoup de fruits. Il en est de même de l' Or : c'est le fruit de la terre minérale et de l'arbre solaire, mais un fruit d'une très solide mixtion, et le composé le plus achevé de la nature, lequel à cause de cène égalité d'éléments, qui se trouve en lui, souffre très diffici­lement la corruption et l'altération de ses qualités, pour passer à une nouvelle génération.

C'est donc une entreprise fort difficile et presque impossible, de prétendre le mettre en terre pour le réincruder et le conduire à la végétation ; mais si au lieu de cela, on prend sa racine ou sa greffe, on aura bien plus aisément ce qu'on souhaite, et la végétation en arrivera bien plus tôt. Concluons donc que quoique l'Or contienne en soi sa propre semence, c'est en vain qu'on travaille sur lui, puisqu'on peut la trouver plus aisément ailleurs.

Mais que dirons-nous de l'Argent vif vulgaire, que les ignorants prennent pour leur dissolvant et pour la terre philosophique, dans laquelle l'Or doit être semé pour s'y multiplier. Certes, c'est une erreur pire que la première, et quoique d'abord il semble, à cause de son affinité avec l'Or, qu'il doit avoir la faculté de le dissoudre, toutefois il est aisé de s'en désabuser dès qu'on examine un peu les principes de notre art. Car nous accordons bien qu'il n'y a point de corps qui aient tant de ressem­blance et d'affinité avec la nature de l'Or que lui, en sorte qu'il est vrai de dire que l'Or n'est autre chose qu'un Argent vif congelé et cuit par la vertu de son propre soufre, à cause de quoi il a acquis l'extension sous le marteau, la constance au feu, et la couleur citrine ; mais cela ne fait pas que l'Ar­gent vif ait la puissance de le dissoudre, ni qu'il la puisse jamais acquérir, d'autant plus qu'il a passé dans une autre substance, et qu'il a perdu sa pre­mière pureté et simplicité, étant devenu un corps métallique très abondant en humidité superflue, et chargée d'une lividité terrestre, qui le rendent incapable de cette action.

Ce serait une grande bêtise de s'imaginer qu'en mettant la semence d'un homme avec du sang d'un autre homme, on pourrait faire une nouvelle génération, sur ce fondement que la semence n'est autre chose que la très pure partie du sang, lequel a reçu une grande digestion, et que le sang est seulement plus humide et plus cru ; mais si au lieu de cela le sperme était jeté dans la matrice d'une femme, où il se trouve un sang menstruel fort cru lequel, par la vertu du sel de la matrice, a acquis une certaine acuité et ponticité, alors ce sperme, se trouvant dans son propre vase, s'y réincruderait sans doute par la voie de la putréfaction, et passerait à une nouvelle génération.

Il en est de même de l'argent vif ; car, quoiqu'il soit de même nature que l'Or et que par son abon­dante humidité il s'insinue aisément dans ses pores, et y fasse une disgrégation des moindres parties, en sorte qu'il paraisse dissous, toutefois ce serait une grande erreur de croire une pareille dissolution bonne, qui proprement n'est autre chose qu'une corrosion du métal comme sont celles qui se font avec les eaux fortes vulgaires. Un tel argent vif n'est pas notre sang menstruel, et ce n'est que pour tromper les ignorants que les auteurs se servent de ce nom équivoque.

L'Or et l'Argent vif vulgaires ne conviennent point du tout à l'Œuvre philosophique (Oeuvre physique) non seulement à l'égard de leur propre substance, mais encore parce qu'il leur manque une chose qui, dans notre art, est d'une absolue nécessité, à savoir un agent propre. Je n'entends pas parler ici de cet agent interne, qui est la vertu du soufre solaire dont nous parlerons ci-après mais de l'agent exter­ne, lequel doit exciter l'interne, et l'amener de puissance en acte.

Or, cet agent a été séparé de l'Or dans la fin de la décoction, c'est-à-dire qu'à mesure qu'une nouvelle forme d'Or a été introduite dans la matière, cet agent s'est retiré, après y avoir tou­tefois imprimé sa propre vertu (comme l'expli­que très bien l'auteur du livre intitulé Margarita pretiosa), en sorte qu'il n'est resté qu'une seule substance matérielle, déterminée par l'action de l'agent interne après son excitation. Si donc la nature a séparé de l'Or cet agent, parce qu'ils ne peuvent compatir ensemble, pourquoi voudrions-nous le rejoindre derechef ? En vérité, cela serait ridicule, tandis que nous pouvons avoir un corps avec lequel cet agent se trouve uni par les poids de la nature, auxquels, si on sait ajouter les poids de l'art, alors l'art achèvera ce que la nature n'a pu faire.

Zachaire parle aussi fort doctement dans son Opuscule, de l'Argent vif vulgaire comme étant privé de cet agent externe, et nous enseigne qu'il n'est demeuré tel que nous le voyons, que parce que la nature ne lui a pas joint son propre agent. Que se peut-il de plus clair et de plus intelli­gible ? Si donc l'Or et l'Argent vif vulgaires sont destitués de leur agent propre, que pouvons-nous espérer de bon de leur cuisson ? Le comte Bernard semble avoir eu la même pensée lorsque, défen­dant de prendre pour l'Œuvre physique, les ani­maux, les végétaux et les minéraux, il ajoute et les métaux seulement, comme s'il voulait dire les métaux qui sont restés seuls et sans agent (*), ainsi que l'explique l'auteur du livre intitulé Arca aperta.

Or, il est certain qu'entre tous les métaux, ces deux seulement, à savoir l'Or et l'Argent vif, peuvent être dits sans agent propre ; l'Or, parce que son agent en a été séparé dans la fin de sa décoction ; et l'Argent vif, parce qu'il n'y a jamais été introduit, et qu'il est demeuré ainsi cru et indi­geste. Que les chimistes apprennent donc de là combien ils se trompent lorsqu'ils travaillent avec l'Or et l'Argent vif ; prenant l'un pour le dissolvant, et l'autre pour ce qui doit être dissous ; et combien peu ils entendent les philosophes. Pour nous, nous vous disons hardiment que ni l'or vul­gaire ni l'argent vif vulgaire, ne doivent point entrer dans l'Œuvre philosophique, ni en tout ni en partie. Qu'après cela chacun fasse valoir tant qu'il voudra son opinion, il me suffit de savoir que je suis dans la vérité, et que je l'ai manifestée au monde

(*) II paraît que le Trévisan pense autrement qu'on ne le rapporte ici. Ce que je vais transcrire de lui à ce sujet, quoiqu'un peu long, n'en sera pas moins satisfaisant pour ceux qui aiment les éclaircissements. Il est impossible, dit-il dans sa réponse à Thomas de Boulogne, que l'art pro­duise les semences humaines, mais il peut mettre l'homme dans l'état qu'il doit être pour engendrer son semblable. Les semences vitales se digèrent seulement par la nature dans les vaisseaux spermatiques ; mais nous pouvons mêler ces semences dans la matrice par la conjonction du mâle et de la femelle, et cette conjonction est comme l'art qui dispose et mêle les natures ou semences pour la géné­ration de l'homme. Par exemple, la semence de l'homme, comme plus mûre, plus parfaite et plus active, est conjointe par artifice avec la semence passive et moins digérée de la femme. La semence de l'homme, contenant en soi plus actuellement les éléments d'agent, qui sont l'air et le feu, est plus mûre et plus active pour la diges­tion. De même, la semence de la femme, contenant en soi plus actuellement les éléments indigestes et crus, qui sont la terre et l'eau, est passive et indigeste. Ces deux semen­ces étant mêlées dans le vase naturel de la femme, sans aucune addition de choses étrangères, et étant aidées par la chaleur interne de la femme, les éléments actifs de la semence de l'homme digèrent et mûrissent les éléments passifs de la semence de la femme, et par ce moyen, l'homme est engendré parfait en sa nature. Notre art divin est semblable à cette génération de l'homme. Parce que, comme dans le Mercure, dont la nature fait l'Or dans le vase minéral, se fait la conjonction des deux semences masculine et féminine. De même, en notre art se fait une semblable conjonction de l'agent et du patient, car les éléments actifs, qui sont la semence masculine, et les élé­ments passifs, qui sont la semence féminine, se conjoignent naturellement, en gardant toujours la proportion de la nature. Cette première conjonction mercurielle s'ap­pelle digestion, durant laquelle la puissance est mise en acte ; c'est-à-dire la semence masculine est tirée de la semence féminine, ou autrement l'air et le feu sont tirés de la terre et de l'eau, par une digestion et subtiliation qui se fait de ces éléments. Outre cette conjonction et digestion naturelles des semences dans le Mercure, les phi­losophes ont imaginé une autre conjonction et digestion plus subtiles. C'est pourquoi, non seulement ils font de l'Or, mais encore ils le font plus excellent que le commun. Ils commandent donc de prendre l'Or qui contient en soi les éléments actifs, comme une semence masculine, et le Mercure qui contient en soi les éléments passifs, comme une semence féminine, et de conjoindre dûment l'un avec l'autre, afin de les dissoudre en leur administrant seule­ment une chaleur qui mette en mouvement celle de l'Or pour digérer le Mercure. Ainsi donc, comme l'homme s'en­gendre naturellement, de même l'Or est engendré artifi­ciellement, quoique l'art ne puisse engendrer les semences. L'art ne peut savoir les propositions requises dans la mixtion pour faires les semences et les causes des êtres qui se font dans la terre, qui est le lieu naturel de leur génération, mais il conjoint les semences produi­tes par la nature, afin que de leur conjonction soit produite la chose qui doit être engendrée, dans laquelle ces deux semences demeurent mêlées ensemble quoi qu'Aristote semble être d'une opinion contraire. Notre soufre donc, ou semence masculine, ne se retire point après la coagulation du Mercure, comme quelques-uns l'as­surent faussement, en disant que cela se fait par la vertu du soleil, dont la chaleur parfait sous la terre la forme de l'Or. Ils parleraient mieux s'ils disaient que c'est par le moyen du mouvement de son globe et de celui de tous les cieux, parce que les rayons du soleil n'échauffant que la superficie de la terre, n'échauffent point sa profondeur dans laquelle les métaux sont engendrés.(Salmon. Bith.Philos.Chimiques)


STROPHE II

Mais s'ils pouvaient ouvrir les yeux de leur esprit pour bien comprendre le sens caché des auteurs, ils verraient clairement que l'Or et l'Ar­gent vif du vulgaire, sont destitués de ce feu uni­versel, qui est le véritable agent, lequel agent ou esprit abandonne les métaux dès qu'ils se trouvent dans des fourneaux exposés à la violence des flam­mes ; et c'est ce qui fait que le métal hors de sa mine, se trouvant privé de cet esprit, n'est plus qu'un corps mort et Immobile.

CHAPITRE II

Notre poète semble souscrire à l'opinion que nous venons d'expliquer, en disant que les métaux vulgaires sont sans esprit ou agent, parce qu'ils l'ont perdu dans la fusion ; ce qui insinue que tous les métaux, étant encore dans leurs mines, ont avec eux cet agent, à la réserve seulement de l'Or et de l'Argent vif, lesquels, quoique dans leurs mines, n'ont pourtant pas leur agent propre, parce que, comme nous l'avons fait voir, il a été séparé de l'Or par sa décoction finale, et n'a jamais été joint à l'argent-vif par la nature. Mais afin que le lecteur ne retombe pas dans sa première erreur, il est temps que nous disions quelque chose de la génération des métaux.

Tous les philosophes assurent unanimement que les métaux sont formés par la nature de soufre et de mercure, et engendrés par leur double vapeur. Mais la plupart expliquent trop brièvement et trop confusément la manière dont se fait cette généra­tion. Nous disons donc que la vapeur des éléments, comme nous l'avons ci-devant montré, sert de matière à toute la matière inférieure, et que cette vapeur est très pure et presque imperceptible, ayant besoin de quelque enveloppe au moyen de laquelle elle puisse prendre corps, autrement elle s'envole­rait et retournerait dans son premier chaos.

Cette vapeur contient en soi un esprit de lumière et de feu, de la nature des corps célestes, lequel est proprement la forme de l'univers. En sorte que cette vapeur, ainsi imprégnée de l'esprit universel, représente assez bien le premier chaos, dans lequel tout ce qui était nécessaire à la création était ren­fermé, c'est-à-dire la matière universelle, et la forme universelle. C'est elle qu'Hermès appelle vent, lequel porte en son ventre le fils du soleil. Lors donc que par le mouvement des corps céles­tes elle est poussée vers le centre, comme elle ne peut demeurer sans agir, elle s'insinue dans la terre, qui est le centre du monde. Mais ayant besoin d'un corps pour se rendre sensible, elle prend un corps , d'air, qui est le même que nous respirons, et se renferme en lui pour servir d'aliment à la vie qui est en nous, et en même temps pour nourrir et vivi­fier toute la nature.

Cette vapeur est attirée au travers de l'air par notre feu interne lequel la transmue et la convertit en sa propre nature ; mais toutefois après l'avoir fait passer par des milieux conve­nables comme nous le ferons voir plus ample­ment quelque jour, en traitant ' de la véritable anatomie de l'homme. Cet air est attiré si promptement et si naturellement qu'il est impossible de concevoir aucun temps, aucun lieu, aucun corps dans lequel ne se fasse pas une telle attraction, ce qui prouve invinciblement qu'il n'y a point de vide dans la nature, comme l'attestent tous les philoso­phes et tous les scholastiques ; et bien que quel­ques-uns tâchent de prouver le contraire par des expériences, ce sont de mauvaises preuves, fondées sur de fausses suppositions, car ils ne prennent pas garde que ce qu'ils appellent vide, n'est qu'une simple raréfaction, qui n'empêche point qu'il n'y ait de l'air, ou une substance semblable, dans laquelle réside l'esprit dont nous parlons.

Nul corps au monde ne pourrait avoir ni conser­ver son être substantiel, s'il n'était doué de cet esprit, lequel se spécifie et revêt la nature de cha­que corps, pour y exercer les fonctions déterminées de Dieu, lequel a voulu que chaque chose eût en soi son esprit spécifique pour la conservation de son être substantiel. Et comme cet esprit, qui réside en chaque corps, est de la nature du feu, ainsi que nous l'avons expliqué au Traité de la Création, il est sans doute qu'il a sans cesse besoin d'un ali­ment qui lui soit propre, la nature du feu deman­dant qu'il soit nourri et alimenté continuellement pour remplacer ce qu'il dissipe continuellement, à cause du mouvement perpétuel qui est en lui, aussi bien que dans les corps célestes, doués de ce même esprit.

Le mouvement de cet esprit, tel qu'il se fait dans les corps, est caché et ne peut jamais s'apercevoir par les sens, à moins que l'art ne conduise ce même esprit à une nouvelle génération par le ministère de la nature. A la vérité nous voyons bien que les animaux attirent cette vapeur spirituelle qui est dans l'air ; mais à l'égard des autres corps, dont la nature est plus grossière et plus impure, il n'est pas si facile à cet esprit de s'y insinuer lorsqu'il n'est revêtu que du corps de l'air. Il a donc besoin d'un corps plus solide, et qui ait plus d'affinité avec les corps terrestres. C'est pourquoi cette pure vapeur des éléments s'insinue dans l'eau, et se revêt de son corps, et par ce moyen les végétaux et les minéraux reçoivent bien plus facilement leur ali­ment, à cause de cette conformité à leur nature. Cet esprit donc n'est pas seulement renfermé dans l'air, mais aussi dans l'eau.

L'eau est dispersée par toute la terre, et devient quelquefois salée, comme nous l'avons fait voir. Or, il arrive qu'en certains lieux où l'air est ren­fermé, cet air par la sympathie et la correspon­dance qu'il a avec les corps célestes, est ému de leur mouvement et ce mouvement de l'air excite la vapeur renfermée dans cette eau salée, et raréfie l'eau. Dans cette raréfaction, il se fait une grande commotion, et dilatation des éléments. Et comme en même temps d'autres vapeurs sulfureuses, qui sont aussi répandues dans ces lieux-là, à cause de la continuelle génération du -soufre qui s'y fait (comme nous l'avons encore fait voir ci-dessus) viennent à s'élever, il arrive qu'elles se mêlent avec la vapeur aqueuse et mercurielle et circulent ensemble dans la matrice de cette eau salée, d'où ne pouvant plus sortir, elles se joignent au sel de cette eau, et prennent la forme d'une terre lucide, qui est proprement le vitriol de nature ; le vitriol n'étant autre chose qu'un sel, dans lequel sont renfermées les esprits mercuriels et sulfureux, et n'y ayant rien dans route la nature qui contienne si abondamment et si visiblement le soufre que le vitriol, et tout ce qui est de la nature du vitriol.

De ces eaux vitrioliques, par une nouvelle com­motion des éléments, causée par celle de l'air, dont nous avons parlé, s'élève une nouvelle vapeur, qui n'est ni mercurielle ni sulfureuse, mais qui est de la nature des deux, et en s'élevant par son mouvement naturel, elle élève aussi avec elle quelque portion de sel, mais la plus dure, la plus lucide, et la mieux purifiée par l'attouchement de cette vapeur ; en suite de quoi elle renferme dans des lieux plus ou moins purs, plus secs ou plus humi­des, et là; se joignant à la féculence de la terre, ou à quelque autre substance, il s'en engendre diverses sortes de minéraux, de la génération spé­cifique desquels nous traiterons,. Dieu aidant, en quelque autre occasion.

Mais à l'égard de la génération des métaux, nous disons que si cette double vapeur parvient , à un lieu, où la graisse du soufre soit adhérente elles s'unissent ensemble, et font une certaine substance glutineuse, qui ressemble à une masse informe, de laquelle, par l'action du soufre, agis­sant sur l'humidité vaporeuse qui est abondante en ces lieux-là, se forme un métal pur ou impur, selon la pureté ou l'impureté des lieux.

Car si ces vapeurs sont pures et les lieux aussi très purs, il s'engendrera un métal très pur, à savoir l'Or, duquel le propre agent sera séparé à la fin de la décoction ; en sorte qu'il ne restera plus que la seule humidité mercurielle, mais coagulée. Et s'il arrive que la décoction ne s'achève pas, et que le soufre ne soit pas entièrement séparé, alors il s'engendrera divers métaux imparfaits qui le seront plus ou moins, à proportion de la pureté ou de l'impureté de la vapeur et du lieu, et tels métaux sont dits imparfaits, parce qu'ils n'ont pas encore acquis une entière perfection par la der­nière forme.

A l'égard de l'Argent vif vulgaire, il s'engendre aussi de cette même vapeur, lorsque, par la cha­leur du lieu ou la commotion des corps supé­rieurs, elle s'élève avec les plus pures parties du sel, mais séparée de son agent propre, dont l'esprit s'est évaporé par un mouvement trop subit, comme il arrive à l'esprit des autres métaux dans la fusion. Et cela fait qu'il ne reste dans l'Argent vif que la partie mercurielle matérielle , privée de son mâle, c'est-à-dire de son agent ou esprit sulfureux, et qu'ainsi il ne peut jamais être transmué en Or par la décoction de la nature, à moins qu'il ne fût de nouveau imprégné de cet agent, ce qui n'arrive jamais.

Par ce que nous avons dit, il est aisé de voir combien le vitriol est éloigné, dans la génération des métaux, et quelle illusion se font ceux qui travaillent sur lui comme sur la véritable matière de la Pierre, dans laquelle doit résider actuelle­ment la véritable essence métallique.

On voit aussi que les métaux, tandis qu'ils sont dans leurs mines, ont avec eux leur propre agent, mais qu'ils en sont privés par la fusion, et ne retiennent que l'écorce et l'enveloppe de ce sou­fre, qui est proprement la scorie du métal, par où est encore condamnée l'erreur de ceux qui travail­lent sur les métaux imparfaits, après qu'ils ont souffert la fusion.

Mais quelque misérable chimiste inférera peut-être de là que les métaux imparfaits, étant encore dans leurs mines, pourraient donc bien être le sujet sur lequel l'art doit travailler. Quand on lui accorderait la conséquence, toujours serait-ce mal à propos qu'il entreprendrait de travailler sur eux,' puisque nous avons fait voir que les vapeurs mercurielles, dont ces métaux imparfaits ont été for­més et les lieux de leur naissance étaient impurs et contaminés. Comment donc pourraient-ils don­ner cette pureté qu'on demande pour l'élixir ? Il n'appartient qu'à la seule nature de les purifier ou à ce bienheureux soufre aurifique, c'est-à-dire à la Pierre parfaite et achevée, laquelle, en cet état, est un vrai feu éthéré, très pénétrant, qui dans un instant donne la pureté aux métaux, en séparant d'eux leurs excréments, et en y intro­duisant la fixité et la pureté, parce qu'il est lui-même très fixe et très pur. Et si l'artiste préten­dait séparer lui-même ces impuretés, il arriverait qu'en y travaillant, cet esprit ou cet agent, si nécessaire à l'Œuvre, s'enfuirait de ses mains. C'est donc l'ouvrage de la nature, et non pas de l'art. Mais ce que l'art peut faire, c'est de prendre un autre sujet, déjà préparé par la nature, duquel nous traiterons dans un chapitre particulier, le plus clairement qu'il nous sera possible, pour le soulagement des pauvres étudiants et pour la gloire du Très Haut.

STROPHE III

C'est bien un autre Mercure, et un autre Or, dont a entendu parler Hermès ; un Mercure humide et chaud, et toujours constant au feu. Un Or qui est tout feu et toute vie. Une telle diffé­rence n'est- elle pas capable de faire aisément dis­tinguer ceux-ci de ceux du vulgaire, qui sont des corps morts privés d'esprit, au lieu que les nôtres sont des esprits corporels toujours vivants ?

CHAPITRE III

On n'entend parler chez les philosophes que d'Or vif, d'Or philosophique ; mais bien loin de vouloir nous expliquer ce que c'est, il semble qu'ils prennent à tâche de le voiler, et de l'envelopper sous des ombres. Cependant, comme c'est en cela principalement que consiste le véritable ronde­ment de la doctrine, et même de la pratique, j'ai cru ne pouvoir mieux faire que d'en dire présente­ment quelque chose.

Ce n'est pas sans raison que les philosophes lui ont donné le nom d'Or, car il est réellement Or en essence, et en substance ; mais bien plus par­fait et plus achevé que celui du vulgaire. C'est un Or qui est tout soufre, ou plutôt c'est le vrai soufre de l'Or. Un Or, qui est tout feu, ou plutôt le vrai feu de l'Or, qui ne s'engendre que dans les cavernes et dans les mines philosophiques. Un Or, qui ne peut être altéré ni surmonté par aucun élément, puisqu'il est lui-même le maître des éléments . Un Or très fixe, en qui seul consiste la fixité. Un Or très pur, car il est la pureté même. Un Or tout-puissant, car sans lui, tout languit. Or balsamique, c'est lui qui préserve cous les corps de pourriture. Or animal, c'est l'âme des éléments, & de toute la nature inférieure. Or végétal, c'est le principe de toute végétation. Or minéral, car il est sulfureux, mercuriel, et salin. Or éthéré, car il est de la propre nature des deux, et c'est un vrai ciel terrestre, voilé par un autre ciel. Enfin, c'est un Or solaire, car c'est le fils légitime du soleil, et le vrai soleil de la nature.

C'est lui dont la vigueur fortifie les éléments, dont la chaleur anime les esprits, et donc le mouvement meut route la nature. De son influence naissent toutes les vertus des choses, car il est l'influence de la lumière, une portion des cieux, le soleil inférieur et la lumière de la nature. sans laquelle la science même est aveugle ; sans sa chaleur, la raison est imbécile ; sans ses rayons, l'imagination est morte ; sans ses influences, l'es­prit est stérile, et sans sa lumière, l'entendement demeure dans de perpétuelles ténèbres. C'est donc très à propos que les philosophes lui ont donné le nom d'Or vif, puisqu'il est lui-même, comme j'ai dit, la vie de l'Or, et de sa propre substance.

Car l'Or n'est qu'une substance mercurielle très pure, séparée de ses excréments, et de son propre agent externe, dans laquelle le soufre inter­ne, ou autrement le feu intrinsèque a introduit ses qualités, par lesquelles les autres qualités élémen­taires ont été changées, et sont demeurées soumi­ses à la domination de celles-ci ; ce qui fait que l'Or est inaltérable ; car toutes les qualités des éléments sont en lui dans un tel équilibre qu'il n'y a plus de lieu au mouvement ; en sorte que le volatil étant surmonté par la nature du fixe, et le fixe également mêlé avec le volatil, il en résulte une certaine homogénéité, qui fait sa perfection et la pureté du composé.

L'Or vif des philosophes n'est encore autre chose que le pur feu du Mercure, c'est-à-dire la plus digeste et la plus accomplie portion de la très noble vapeur des éléments. C'est l'humide radical de la nature, plein de son chaud inné. C'est une lumière revêtue d'un corps éthéré par­faitement pur, comme nous l'avons expliqué au Chapitre de la Création, où nous avons fait voir que la lumière ne pouvant résider dans cette ' région inférieure, le Créateur l'avait enfermée dans le feu, et l'avait revêtue de son corps. Or, ce feu est un pur esprit, qui fait sa demeure dans le centre des éléments, et sert de véhicule à la lumière. Notre esprit donc est joint à l'humide radical des choses, et réside particulièrement dans le chaud inné ; ce qui fait qu'à bon droit les sages ont dit de leur Or vif que c'était la très pure vapeur des éléments, sur laquelle l'esprit igné avait commencé d'agir, et y avait imprimé la fixité, la faisant passer en nature de soufre, d'où elle a pris le nom de soufre des philosophes, à cause de la qualité ignée, qui domine en elle. Elle ne laisse pas aussi d'être appelée très souvent du nom de Mercure, parce que toute son essence dépend de la substance mercurielle.

C'est ce soufre qui agit en tout composé, et qui ayant en soi la nature de la lumière céleste, veut à son exemple, continuellement séparer la lumière des ténèbres, c'est-à-dire le pur de l'impur. C'est là le véritable agent interne, qui agit sur sa propre matière mercurielle, ou humide radical, dans lequel il se trouve renfermé. C'est la forme informant toutes choses ; et dans l'ordre de la génération, c'est de son action et de l'altération qu'il cause, que naissent toutes les diverses couleurs, selon les divers degrés de la digestion ; mais sa couleur propre et naturelle est le rouge parfait, auquel se termine toute son action, et où se manifeste son entière domination sur le sujet altéré.

C'est le chaud inné, lequel se repaît continuel­lement de son propre humide radical, et comme celui-ci fournit sans cesse la matière, l'autre agit aussi perpétuellement. C'est enfin le véritable arti­san de la nature, par qui se manifestent les vertus sympathiques, et par qui se font coûtes les attrac­tions ; d'où il nous est aisé de comprendre la nature de la foudre, qui n'est autre chose qu'une exhalai­son très sèche de la terre, laquelle étant répandue dans les airs, ne demande qu'à s'élever, et dans cette élévation, venant à se purifier et à se dépouil­ler des fèces et des excréments auxquels elle est jointe, elle commence à sentir peu à peu ses forces sympathiques.

Cette exhalaison contient en soi cette vapeur des éléments, que nous avons dit être répan­due par toute la nature, mais revêtue d'un corps, parce qu'elle a déjà acquis quelque fixité au moyen de la siccité terrestre. Et comme dans cette nouvelle élévation, elle se trouve jointe à une autre vapeur plus volatile, qui s'exhale incessam­ment de la terre, elle est contrainte de s'élever avec elle jusqu'au plus haut de l'air où se trou­vant plus pure et plus dégagée de ses excréments, comme j'ai dit, elle prend une nature ignée, et continuant à s'élever toujours davantage, à cause de la vapeur volatile à laquelle elle est unie, elle s'échauffe enfin et s'altère par le mouvement des étoiles et des corps célestes ; en sorte qu'ayant attiré à soi les plus subtiles parties terrestres de l'exhalaison et tout son humide radical étant consumé, elle est dans un instant transmuée en un soufre terrestre, lequel étant de nature fixe, n'est plus porté en haut, comme il arrive aux soufres volatils, mais tombe en terre avec tant d'impétuosité, qu'il n'y a point d'obstacle assez fort pour lui résister.

La même chose arrive au soufre des philo­sophes, lorsqu'il est projeté sur de l'argent vif ; car par son feu, il change en sa nature tout l'humide radical, qui est .très abondant dans l'Ar­gent vif, après en avoir séparé et rejeté les excréments. Et cet Argent vif devient lui-même soufre et médecine dans toutes les parties, pourvu que l'humidité se trouve inférieure à la vertu et siccité du soufre. Car, si la projection se fait sur une trop grande quantité d'Argent vif, en sorte qu'elle absorbe et surmonte la vertu du soufre, alors il n'est changé et fixé qu'en Or, dans lequel il se fait un tempérament entre l'humide radical et le chaud inné. Au reste, la foudre étant portée au travers de l'air par sa propre vertu, elle est attirée en terre par un autre soufre qui se trouve fixe en elle, parce que le fixe s'éjouit de la nature fixe, et va avec précipitation l'embrasser, et se joindre à lui. Après quoi la foudre étant tombée en terre, son mouvement cessé, et se trouvant dans un lieu qui lui est propre et où, par la présence de l'attirant, il se fait plutôt une rétention qu'une attraction, elle demeure en repos, se refroidit et se concentre dans son propre corps, après avoir déposé sa férocité et réprimé sa vio­lence. A l'égard 'de ses effets prodigieux, il ne s'en faut point étonner ; car comme c'est le feu très fixe de la nature, il détruit en un clin d'œil tout ce qu'il touche, et en consume tout l'humide radical, à peu près comme une grande flamme en dévore une moindre, et qu'une grande lumière en absorbe une médiocre.

Il arrive aussi quelquefois que la foudre acquiert dans ses exhalaisons une certaine nature spécifi­que, suivant laquelle elle détermine son action, en sorte qu'elle détruira une chose, et ne fera aucun dommage à une autre ; ce qui provient de ce qu'elle attire à soi, et absorbe seulement ce qui est de sa nature, laissant ce qui lui est étranger. Et quoique chaque corps ait en soi cet humide radical des éléments, qu'il soit d'une seule et même nature partout, et qu'il n'y en ait point de deux sortes, toutefois parce qu'il se trouvera dans quelque corps des esprits spécifiques, opposés à ceux de la foudre, et qu'il sera outre cela environné de divers excréments, alors la foudre, sentant une nature contraire à la sienne, se portera ailleurs, et s'attachera à un autre sujet. A l'égard de ces esprits spécifiques, nous en traiterons plus ample­ment ailleurs il suffit pour le présent d'avoir fait connaître d'où proviennent les vertus sympa­thiques et la force des attractions.

L'effet du soufre, ou chaud inné des éléments, duquel nous traitons dans ce présent chapitre, se découvre encore mieux dans la poudre a. canon, car elle abonde extrêmement en vapeur aérienne mercurielle, à cause de la nature du soufre et du salpêtre, qui y sont renfermés. Mais, parce que son humide est cru et plus volatil que fixe par sa nature aérienne ; quoique cet humide ait pour­tant en soi son chaud inné ou feu interne, il arrive que lorsqu'elle est embrasée, elle démontre entiè­rement sa nature volatile, et remonte en haut vers sa patrie, à cause de la conformité qu'elle a avec les choses supérieures, enlevant avec soi des por­tions d'exhalaison terrestre et ignée ; mais elle ne fait que vaguer au milieu des airs, sans qu'il y ait en elle aucun sentiment d'attraction, ni aucun mouvement qui la porte plus loin, et dans cet état indifférent elle sert seulement à la nature pour de nouveaux usages. Mais si la nature fixe était en elle, alors elle chercherait le centre de la terre, et s'y précipiterait comme on voit qu'il arrive à la foudre, ou à la poudre fulminante de l'or, dont les experts savent bien extraire le soufre fixe — (suivant ce qu'enseignent fidèlement plu­sieurs auteurs), lequel après qu'il a été mêlé avec des choses inflammables et volatiles, à la façon de la poudre à canon, devient lui-même inflam­mable ; mais étant enflammé, il ne s'envole pas dans les airs ; au contraire, devenu plus libre et dégagé de ses excréments, il se précipite vers la terre à l'exemple de la foudre ; et malgré tous les obstacles, il se cache en elle, à cause que le soufre de l'Or, étant devenu fixe par la nature, est puissamment attiré par le feu fixe, qui est ren­fermé dans la terre ; et ainsi par son propre mou­vement, il est entraîné vers le lieu de sa sphère.

Puisqu'on discerne donc si visiblement de sem­blables attractions, pourquoi ne voudra-t-on pas que ce qu'on appelle vertus occultes et sympathi­ques, viennent de la même cause, quoique cela ne soit pas tout à fait sensible aux ignorants. 0 combien y a-t-il de choses dans le cours ordinaire de la nature qu'on attribue fort mal à propos à ces vertus occultes ! Mais il n'appartient pas à de mal­heureux philosophâtres de connaître la nature des ­choses ; cet avantage est réservé aux seuls vrais philosophes. Que ceux donc qui s'arrêtent ainsi aux causes occultes, s'en tiennent aux vaines subti­lités de l'école ; quoiqu'il fût beaucoup mieux pour eux de passer pour chimistes, et que cela leur servît au moins à la connaissance de quelque vérité, que d'aboyer, comme ils font, contre la lune, faisant voir qu'ils ne sont au fond que des bêtes. Mais que chacun se berce à son gré de ses propres chimères, j'y consens de bon cœur.

Notre soufre est à bon endroit appelé Or vif, puisqu'il est en effet le mouvement et la vie de toutes choses ; et notre poète en a très doctement décrit la nature, en disant qu'il est chaud et humide, très fixe au feu, et pourtant de nature spirituelle ; ce qui fait véritablement un esprit corporifié. Il n'est donc pas surprenant que les philosophes le cachent aux ignorants, et ne le découvrent que sous le nom d'Or vif ; parce qu'en lui consiste tout le secret, et toute la science. Mais examinons un peu en quel lieu, et en quel corps principalement on peut le trouver, afin d'en expliquer fidèlement route la théorie.

Le soufre dont il s'agit est renfermé en tout corps, et nul corps ne peut subsister sans lui, comme il est aisé de l'inférer de sa nature ; il est dans les vallées, il est dans les montagnes, il est au profond de la terre, dans le ciel, dans l'air, en toi, en moi, en tout lieu, enfin, et en tout corps ; en sorte qu'on peut fort bien dire que l'Or vif des philosophes se trouve partout ; mais pro­prement on le doit trouver dans sa maison, et c'est là qu'il faut le prendre, autrement ce sera en vain qu'on le cherchera ailleurs.

Or la maison de l'Or est le Mercure, comme l'enseignent tous les philosophes. C'est donc dans la maison du Mercure qu'il faut le chercher ; mais il ne faut pas entendre ici le mercure vulgaire ; car, quoiqu'il s'y trouve aussi, et que son corps le renferme, toutefois ce n'est qu'imparfaitement et en puissance seulement, comme nous avons déjà dit. Apprends donc à connaître le Mercure, et sache que là où il réside principalement et plus abon­damment, c'est là que se trouve le soufre. Sache de plus que c'est un vrai feu, et que le feu vit de l'air. Où donc l'air abonde davantage, c'est là qu'il se, nourrit, qu'il croît, et qu'il se trouve faci­lement. Mais prends garde à le bien discerner dans les lieux, où, quoiqu'emprisonné, il ne laisse pas d'exercer, quelque sorte d'empire, et non pas en ceux où il est absolument soumis aux autres, et souillé par des excréments ; car le feu de la nature rend toujours à dominer sur les autres éléments, .s'il n'en est empêché par l'abondance d'eau qui lui est contraire, ou qu'il ne soit suffoqué sous les excréments. De là vient qu'il est écrit : Ne mange pas du fils, dont la mère abonde en menstrue.

Les philosophes ont donc cherché leur Pierre dans les minéraux, pensant y trouver une nature fixe, et une permanence propre à conserver la vie dans son être, parce que les minéraux sont d'une nature plus fixe, à cause de la grossièreté des éléments qui les composent, et l'abondance d'eau et de terre qui est en eux ; ce qui fait que leur humide radical, approchant davantage de la fixité, se convertit plus aisément en soufre fixe.

Outre cela, les minéraux et surtout les métaux s'engendrent aux entrailles de la terre où l'humide des éléments, que les influences ont porté au cen­tre, se conserve en plus grande abondance, d'où vient que les principes, dont les métaux sont composés sont fort remplis de cet esprit éthéré ; et outre cela encore, à force de circuler en vapeur, et de se sublimer, ils se purifient davantage, au lieu que dans les autres composés, on ne saurait trouver cette naturelle et parfaite sublimation, à cause de la porosité des vases et de la débilité des matrices, qui ferait que tout ce qui se sublimerait s'envo­lerait. Ou si la substance était plus corporelle, il se ferait une altération et une corruption, tendant à génération, avec quelque déperdition d'esprits, qui, particulièrement dans la génération d'un enfant, pénétrant la matrice, causeraient divers symptômes, ou à la tête, ou à quelque autre partie du corps.

Les éléments donc ne s'élevant pas en vapeur, ni ne se raréfiant, il ne se fait aucune circulation, et par conséquent point de purification ; par où il est aisé de voir de quelle excellence doit être la Pierre physique, qui par le moyen d'une seconde sublimation, qui se fait dans le vaisseau philosophique, acquiert une bien plus grande per­fection, et une pureté, si j'ose dire, toute céleste ; ce qui fait qu'à bon droit les philosophes l'on: appelé leur ciel.

STROPHE IV

O grand Mercure des philosophes, c'est- en toi que s'unissent l'Or et l'Argent, après qu'ils on! été tirés de puissance en acte ; Mercure tout Soleil et tout Lune- ; triÇile substance en une, et une sub­stance en trois. 0 chose admirable ! Le Mercure, le soufre et le sel me font voir trois substances en une seule substance.

CHAPITRE IV

Nous avons déjà discouru brièvement du Mer­cure des philosophes ; mais afin de le donner mieux à connaître, il faut savoir que c'est par les seuls philosophes que ce Mercure est tiré de puissance en acte, la nature n'étant pas capable d'elle-même d'achever cette production, parce qu'après une, première sublimation, elle s'arrête, et sa matière étant disposée, elle y introduit la forme, faisant de l'Or ou quelque autre métal, selon le plus ou le moins de décoction, et aussi selon que les lieux sont purs ou impurs. Les philosophes ont pris soin de cacher ce Mercure sous des voiles, et de l'envelopper de paraboles ; n'en ayant jamais parlé que par énigme, et sur­tour sous le nom d'amalgame d'Or, et d'Argent vif vulgaires, donnant au soufre le nom d'Or, et au Mercure celui d'Argent vif, et cela pour mieux tromper les ignorants.

Tous leurs mots sont équivoques, et c'est là leur façon de parler ; tellement que ce serait une pure bêtise de vouloir travailler suivant le son de leurs paroles. Si cet amalgame ne se faisait qu'avec l'Or et l'Argent vif vulgaires, que de gens deviendraient possesseurs de la Pierre philosophale ! Tout le monde serait philosophe, et la science serait aisée à acquérir par cette seule opération. Mais, au fond, que peut-on recueillir d'un pareil amalgame, quoi­que fait avec beaucoup de soin ? Rien sans doute, et il n'y a qu'un esprit subtil et pénétrant qui puisse bien comprendre le mercure et le soufre des philo­sophes, aussi bien que leur union. Que les chimis­tes cessent donc de s'arrêter au son des mots, et qu'ils sachent que de travailler suivant leur sens apparent, c'est une pure folie, et une dissipation de ses biens, ce qu'ils reconnaîtront enfin à leurs dépens.

Après que, par la sublimation, l'art a purifié le Mercure, ou la vapeur des éléments, à quoi est requise une industrie merveilleuse, alors il faut l'unir à l'Or vif, c'est-à-dire y introduire le soufre, afin qu'ils ne fassent ensemble qu'une seule sub­stance et un seul soufre. C'est cette union que l'artiste doit parfaitement connaître ; et les points ou milieux par lesquels il peut y parvenir ; sans quoi il sera frustré de son attente. Il a besoin pour cet effet de savoir plusieurs choses ; mais sur­tout, si le mercure et le soufre sont bien puri­fiés ; ce qui n'est pas aisé, à moins de connaître bien le principal agent de cet Œuvre, le vaisseau qui y est propre, et plusieurs autres choses, ensei­gnées par les philosophes au sujet de la sublima­tion. Quand donc ils seront bien purifiés, il faudra les unir parfaitement et les amalgamer ensemble afin que par l'addition de ce soufre, l'Ouvrage soit abrégé, et la teinture augmentée.

C'est ici où nous devons imiter le silence des philosophes, de peur que la science ne soit profa­née ; car il est écrit de laisser ceux qui errent, dans leur erreur, et que ce n'est que par la permission de Dieu qu'on parvient à la connaissance de cet Œu­vre, lequel consiste à savoir conjoindre le soleil et la lune dans un seul corps. Mais afin aussi qu'on ne nous accuse pas d'envie, si nous n'en disons pas davantage, nous protestons que si à la vérité nous nous sommes réservé quelque chose, il n'y a au moins aucun mensonge dans tout ce que nous avons dit. Que nous n'avons enseigné aucune opération sophistique. Que nous n'avons point proposé diverses matières et qu'enfin nous avons fait voir clairement qu'il n'y a qu'une seule vérité, quoique par un juste jugement de Dieu, elle soit voilée pour quelques-uns.

Nous ajoutons encore que ce Mercure est très souvent appelé par les philosophes leur chaos, parce qu'en lui est renfermé tout ce qui est néces­saire à l'art. Par la même raison encore, ils l'ont nommé leur corps, le sujet de l'art, la lune pleine, l'argent vif animé, et d'une infinité d'autres noms. Et parce que les trois principes y sont également balancés par l'opération de la nature, les philoso­phes, à cause de cette parfaire union des principes, l'ont quelquefois appelé vitriol. En effet, le mariage du soleil et de la lune s'y fait voir à l'œil, on y voit ]e roi dans son bain, Joseph dans sa prison, et l'on y contemple le soleil dans sa sphère ; mais l'explication de tous ces noms deman­derait un gros volume, ainsi nous la remettrons à une autre fois.

STROPHE V

Mais ou est donc ce Mercure aurifique, qui étant résous en sel et en soufre, devient l'humide radi­cal des métaux, et leur semence animée ? Il est emprisonné dans une prison si forte que là nature même ne saurait l'en tirer, si l'art industrieux ne lui en facilite les moyens.

CHAPITRE V

Le soufre des philosophes est, comme nous avons dit, enclos dans l'intime de l'humide radical, mais emprisonné sous une si dure écorce, qu'il ne peut s'élever dans les airs que par une extrême industrie de l'art ; car la nature n'a pas dans les mines un menstrue convenable ni capable de dissoudre et délivrer ce soufre, faute de mouvement local, et selon que la vapeur s'élève, ou qu'elle demeure renfermée, tout ce qui est de la première composition demeure aussi, ou s'envole ; mais si derechef elle pouvait dissoudre, putréfier et puri­fier le corps métallique, sans doute elle nous don­nerait elle-même la Pierre physique, c'est-à-dire un soufre exalté et multiplié en vertu.

Tout fruit, ou tout grain, qui n'est pas derechef mis dans une terre convenable pour y pourrir, ne multipliera jamais, et demeurera tel qu'il est. Or l'artiste, qui connaît le bon grain prend ce grain, et le jette dans sa terre après l'avoir bien fumée et préparée, et là il se pourrit, se dissout, et se subtilise tellement que sa vertu prolifique s'étend et se multiplie presque à l'infini. Et au lieu que d'abord cette vertu était renfermée & comme assoupie dans un seul grain, elle acquiert dans cette régéné­ration tant de force & d'étendue, qu'elle est contrainte d'abandonner sa première demeure, pour se loger dans plusieurs autres grains.

Que les disciples de l'art considèrent donc attentivement comment, par le seul acte de la putréfaction et de la dissolution, ce soufre interne acquiert une si grande vertu, renfermée dans le premier grain, qui est si simple d'abord, et à laquelle on n'en ajoute point de plus grande, est tellement fortifiée et purifiée par elle-même, qu'elle, passe aisément de la puissance à l'acte en multipliant son humide radical par l'humide radical des éléments, auquel elle se joint car c'est en cela que consiste la vertu spécifique, et point du tout en autre chose. Tout de même, si l'on sait prendre le grain physique, et qu'on le jette dans sa terre bien fumée, bien purgée de ses soufres impurs, et amenée à une parfaite pureté, il est sans doute qu'il pourrira ; que le pur se séparera de l'impur dans une véritable dissolution, et qu'en­fin il passera à une nouvelle génération beaucoup plus noble que la première.

Si tu sais trouver cette terre, mon cher lecteur, il te reste peu de chemin à faire pour atteindre à la perfection de l'Œuvre. Ce n'est point une terre commune, mais une terre vierge ; ce n'est pas non plus celle que les fous cherchent dans la terre sur laquelle nous marchons, où il n'y a nul germe et nulle semence ; mais c'est celle qui s'élève souvent au-dessus de nos têtes et sur laquelle le soleil terrestre n'a point encore imprimé ses actions.

Cette terre infectée de vapeurs pestilentielles et de venins mortifiés, desquels il faut la purger avec beaucoup de soin et d'artifice, et l'aiguiser par son menstrue cru, afin qu'elle acquière plus de vertu pour dissoudre. Au reste, il ne faut pas entendre ici cette terre des sages, où les vertus des deux se trouvent ramassées, et dans laquelle le soleil et la lune sont ensevelis ; car une pareille terre ne s'acquiert que par une véri­table et complète calcination physique ; mais celle dont il s'agit ici, est une terre qui appète les embrassements du mâle, c'est-à-dire la semence solaire ; en un mot elle est désignée chez les philosophes par le nom de Mercure. Mais prends garde, cher lecteur, de ne pas confondre ce nom de Mercure et prends pour ton maître et ton guide le chapitre cinquième du premier chant, afin que par son moyen tu te débarrasses de ces filets ; car cet art est un art mystérieux, qui ne peut s'ap­prendre, qu'après avoir bien connu ses véritables principes. Attache-toi donc à les connaître, et tu parviendras à la fin que tu désires.

STROPHE VI

Mais que fait donc l'art ? Ministre ingénieux de la diligente nature, il purifie par une flamme vapo­reuse les sentiers qui conduisent à la prison. N'y ayant pas de meilleur guide ni de plus sûr moyen que celui d'une chaleur douce et continuelle pour aider la nature et lui donner lieu de rompre les liens dont notre Mercure est comme garrotté.

CHAPITRE V

La nature a toujours accoutumé de se servir de chaleur pour la génération des choses, et cette chaleur est manifeste et sensible dans les ani­maux. A l'égard des végétaux, elle est à la vérité insensible, mais elle ne laisse pas d'être compré­hensible suivant que le soleil s'avance ou se recule ; ce qu'on appelle les saisons ; quoiqu'il ne faille pas croire que la chaleur du soleil soit une cause efficiente, mais seulement une cause occasionnelle ; le feu externe de la nature étant excité par le mouvement du soleil et des autres sphères. Mais pour ce qui est des minéraux, la chaleur n'y est jamais perceptible, si ce n'est par accident, lors­que les soufres s'enflamment.

Un telle chaleur ne contribue point à la géné­ration, au contraire, elle brûle et détruit ce qui est déjà engendré dans les lieux voisins. Ainsi, il faut chercher pour eux une autre valeur, et l'on trou­vera qu'elle ne doit pas s'apercevoir par les sens parce que si cela était, l'ouvrage de la nature serait trop prompt, mais elle doit être telle qu'on s'aper­çoive plutôt du froid, comme il arrive dans les mines, où règne un froid perpétuel, malgré lequel (ce qui est admirable) la nature conserve toujours la cause de la génération ; c'est-à-dire une chaleur qui ne répugne point au froid, et qui étant de la nature des êtres supérieurs, est plutôt intelligible que sensible ; mais ce n'est pas merveille que nos sens, étant renfermés dans un corps grossier, ne puissent discerner ce qui est d'une substance spirituelle. Nous concevons bien, par exemple, dans les choses artificielles, que l'aiguille d'une montre se meut sans cesse, et nous jugeons de son mouvement par les effets qu'il produit ; cependant il n'y a personne qui ait le sens assez subtil pour apercevoir ce mouvement, quelque application qu'il ait à l'observer. On peut donc aisément conclure, par un argument tiré du petit au grand, que le mouvement de la nature, beaucoup plus subtil que celui de l'art, doit être imperceptible à nos sens.

Enfin, c'est une chaleur de la nature des esprits qui est d'être toujours en mouvement et comme le mouvement est la cause de la cha­leur, elle a une faculté innée d'échauffer. On en peut trouver quelque idée dans les eaux fortes, et dans de semblables esprits, qui ne brûlent pas moins en hiver, que le feu fait en tout temps, et qui font de tels effets, qu'on les croirait capa­bles de détruire toute la nature, et la réduire à rien ; toutefois l'humide radical des éléments ne craint point leur voracité, car en lui, comme nous l'avons dit, réside un feu d'une nature beaucoup plus noble, qui méprise cet autre feu. De là vient que l'Or, qui abonde en cet humide radical, n'est point détruit par de telles eaux, et quoiqu'il paraisse quelquefois dissous par elles et réduit en nature d'eau, ce n'est qu'une illusion des sens, puisqu'il sort de ces mêmes eaux aussi beau qu'au­paravant, en conservant son même poids ; ce qui n'arrive pas aux autres corps, parce que leur humide n'est pas si terminé ni si digéré par le feu intrinsèque de la nature, lequel se trouve suf­foqué en eux par l'humidité trop crue, ce qui le rend languissant, et susceptible d'altération par le feu de ces eaux fortes, en sorte qu'il s'envole aisément et que le composé est réduit à rien, ne restant plus qu'une cendre corrodée.

A l'égard de ces esprits corrosifs, ils sont appelés feux contre nature, parce qu'ils détruisent 'la nature. Que les ignorants apprennent donc de là combien ils errent, quand ils prennent de pareilles eaux pour dissoudre les métaux, ou d'autres matiè­res semblables, au lieu de se servir du même feu, dont se sert la nature, lequel il faut seulement savoir bien aiguiser, afin de le rendre plus actif, et plus convenable à la nature du composé. Au reste, la construction de ce feu est très ingénieuse, et en cela consiste presque tout le secret physique, les philosophes n'en ayant rien dit, ou très peu de chose. Pour nous, nous en parlerons ci-après, nous contentant pour le présent d'avertir les chimistes de se donner bien de garde de construire leur feu avec les eaux fortes et vulgaires, car ce n'est pas avec un tel feu qu'il faut secourir la nature, mais avec un feu doux, naturel et administré à propos.

STROPHE VII

Oui, oui, c'est ce seul Mercure que vous devez chercher, ô esprits indociles ! puisqu'on lui seul vous pouvez trouver tout ce qui est nécessaire aux sages ! C'est en lui que se trouvent en puissance prochaine et la lune et le soleil, qui sans Or et Argent du vulgaire, étant unis ensemble, devien­nent la véritable semence de l'Argent et de l'Or.

CHAPITRE VII

II est dit dans le « Dialogue de la nature » et ailleurs, qu'on juge aisément du principe qui fait agir, par la fin qu'on se propose. Mais à l'égard des chimistes, il n'est pas difficile de voir que le but auquel ils aspirent, est de faire de l'Or, et qu'ils ne sont portés à l'acquisition de cet art que par ce seul motif. La tyrannie que l'Or exerce sur les cœurs, s'est tellement emparée du monde, qu'il n'y a aucun pays, aucune ville, aucun endroit où l'Or ne manifeste son pouvoir. Il n'y a point de.savant, point de paysan, point d'enfant même, qui ne soit réjoui par son éclat, et ne soit attiré par sa beauté ; et cela parce qu'il est de la nature humaine de désirer le bien et de rechercher ce qu'il y a de plus parfait. Or il n'y a rien sous le soleil de plus parfait que ce fils du soleil, dans lequel est gravé le véritable caractère du père. Ce n'est point un enfant adultérin, mais son fils légitime, et sa véritable race, revêtue de toute sa splendeur, qui a réuni en soi toutes ses vertus, et qui les départ ensuite libéralement aux autres. Rien n'est si beau dans le ciel que le soleil, rien de si parfait sur la terre que l'O'r ; aussi toute la troupe chimique n'aspire qu'à sa possession ; d'où il arrive que telle qu'est leur fin, tel est leur travail ; c'est-à-dire, que leur intention étant d'avoir de l'Or, le fondement de leur travail est l'Or ; mais ils ne savent pas que pour la multiplication des choses, on ne demande pas le fruit ni le corps, mais le sperme et la semence du corps, avec laquelle il se puisse multiplier. Mais il est temps d'expliquer en peu de mots ce que c'est que ce sperme & cette semence.

Nous avons déjà dit ci-devant en plusieurs endroits, que le véritable sujet de la nature, ou substance des corps, était l'humide radical, et nous avons si bien fait voir la nature de cet humide radical, qu'il ne reste plus à savoir que l'ordre de sa spécification, et la manière de sa multiplication. Pour y parvenir, il faut regarder comme une chose constante que le feu de la nature, ou autre­ment le soufre de nature, réside dans cet humide radical, et qu'il est le grand artisan de la nature, auquel elle obéit absolument ; car ce qu'il veut, la nature le veut aussi. Or, ce feu, ainsi renfermé dans les corps, ne désire que de s'étendre en vertu, et en quantité ; c'est pourquoi il convertit sans cesse en soi l'humide radical et se multiplie en le consumant ; mais cela se fait imperceptiblement, et à mesure, autrement la nature du corps se détruirait, si on ne lui fournissait pas toujours un nouvel humide pour remplacer l'humide consumé.

Ce feu est le chaud inné, toujours plein de vie et de chaleur ; mais il est gouverné par des esprits spécifiques, lesquels sont de la nature de la lumière surcéleste, et ont reçu cette spécification dans le point de la création par la vertu ineffable de Dieu, et selon son bon plaisir, auquel la nature ne fait qu'obéir, en suivant sans relâche ses lois éter­nelles. Ces esprits spécifiques demeurent constam­ment dans les corps jusqu'à ce qu'ils soient entiè­rement consumés, et réduits à rien ; c'est-à-dire, tant que l'humide radical subsiste en tout ou en partie ; mais lui, étant une fois détruit, la vertu spécifique est aussi détruite. Ce chaud inné enrichi de son esprit spécifique, réside, comme nous l'avons dit, dans le domaine royal de l'humide radical, comme le soleil dans sa propre sphère. La nature du corps lui obéir, et l'humide radical lui fournit sans cesse sa matière et son aliment, lequel est aussi sans cesse dévoré par ce feu, et converti dans sa propre nature ; mais cette coction est plus ou moins forte, et la nature opère plus ou moins facilement, selon le plus ou le moins d'excréments qu'elle rencontre. Cet humide est dispersé par tour le corps, et se conserve dans le centre de la moindre de ses particules ; et lors­qu'il abonde en humidité, c'est le sperme du corps. Mais si cette humidité est terminée et plus cuite, alors c'est proprement la semence du corps. La semence n'est donc autre chose qu'un point invisible du chaud inné, revêtu de son esprit spé­cifique, lequel réside dans l'humide radical, et cet humide, après quelque altération, est propre­ment le sperme du corps.

Cette semence, en quelque règne que ce soit, animal, végétal ou minéral, veut sans cesse se multiplier autant qu'elle en a le moyen ; mais elle est souvent contrainte de demeurer en repos et sans action, renfermée dans son corps, à cause que la nature n'a pas de mouvement local, à moins que l'art industrieux n'excite la chaleur interne par quelque moyen externe, et ne lui donne lieu par cet aiguillon de rassembler ses forces, et de réveil­ler sa vertu pour s'en servir à dévorer son humide radical, et ainsi se multiplier. Mais l'humide radi­cal, qui est l'aliment propre de la semence, est aussi quelquefois tellement enveloppé d'excréments qu'il ne saurait aider au chaud inné ; en sorte qu'il demeure tout languissant et sans action, quoique le propre de sa nature soit d'agir ; et lors, ne pouvant attirer à soi qu'une très petite portion de l'humide radical, et encore avec beaucoup de peine et de temps, il arrive enfin, par l'émotion naturelle et l'intempérie des éléments, qu'il se détruit entièrement, et retourne vers sa patrie ; d'où il revient dans de nouveaux corps. Ainsi la corruption de l'un est la génération de l'autre, par une continuelle vicissitude des choses.

Dans le règne animal, le chaud inné attire des aliments l'humide, qui lui est nécessaire pour sa restauration ; et par cette attraction, les parties du corps affaiblies se refournissent d'un nouvel humide à la vérité, mais pourtant plus cru, quoi­qu'il soit de même nature, et qu'il ait d'autant plus d'affinité avec lui, que ces aliments sont plus souvent pris du même règne. Ils sont quelquefois pris aussi du végétal, où cet humide a reçu une spécification particulière, mais plus convenable pourtant à la nature animale, que celui qui se trouve dans les minéraux ou dans les éléments, dont la nature est trop universelle. Au reste, tous ces humides radicaux sont d'une même substance et essence, à la différence que quelques-uns n'ont reçu aucune coction, et que les autres l'ont reçue en partie.

La nature, dans ses. opérations, passe toujours par des milieux, et ne va jamais d'une extrémité à l'autre, si elle n'y est forcée ; ce qui arrive très rarement, comme on le remarque dans les gens qui, au rapport de quelques auteurs, ont vécu pendant un certain temps d'air seulement, ou de terre appliquée sur leur estomac, d'où on prétend qu'ils aient tiré l'humidité qui y était renfermée. Mais quand cela serait vrai, il n'en faudrait pas faire une règle. Quoi qu'il en soit, l'humide radical est attiré de toutes les parties du corps pour le rétablissement du chaud inné, qui a été consumé, et toutes ces diverses parties, se trouvant pleines de cet aliment, rejettent un certain superflu aqueux, qui a quelque affinité avec l'eau, lequel demeure répandu par tout le corps, jusqu'à ce que, par la faculté attractive de certaines parties, il y soit attiré et conservé pour l'usage du sperme. Ensuite de quoi, venant à recevoir sa détermination dans les vases spermatiques, il devient enfin un véri­table sperme, lequel ayant été répandu par tout le corps, et en ayant ramassé en soi toute la vertu, contient à cause de cela en puissance, tous les mem­bres du corps distinctement. Et de là s'établit la vérité de cette doctrine : que le sperme est le dernier et le plus parfait excrément de l'aliment.

Ce sperme veut toujours être séparé du corps grossier, pour être porté dans un lieu pur, où il puisse servir à la génération de l'animal ; et comme c'est l'extrait et la quintessence du corps, il est nécessaire qu'il soit dissous par quelque chose de fort pur, afin que le chaud inné, ou le point séminal contenu en lui, puisse aisément se fortifier et multiplier en vertu. Donc, pour y parvenir, la nature a donné cet instinct à l'animal de s'accoupler avec sa femelle, afin que, par cet accouplement, ce sperme fût porté hors de son lieu, et jeté dans une matrice convenable.

Le sperme masculin étant entré dans la matrice, s'unit dans l'instant avec le sperme féminin, d'où résulte un certain sperme de nature hermaphrodite. Dans le sperme féminin dominent les éléments passifs, et dans le sperme masculin dominent les éléments actifs, ce qui leur donne lieu d'agir et de pâtir entre eux ; car autrement, s'ils étaient de même qualité, il ne se ferait pas d'altération, ni si facilement, ni si promptement, et il serait à craindre que la vertu spécifique de la semence, qui est très subtile, ne s'évanouît.

Ces spermes, venant à recevoir quelque altération, à quoi contribue la qualité acide du menstrue, alors le chaud inné commence à agir sur l'humide et l'assimile à soi ; et ainsi croissant en vertu et en quantité, il devient plus mûr et plus actif ; en sorte que recevant toujours un nouvel aliment du menstrue, il le transmue en chair, en os, et en sang. Mais comme nous traiterons de cela dans son lieu, il suffit pour le présent de savoir que ce sperme s'augmente par la transmu­tation du sang menstruel, et que ce sang mens­truel abonde en humidité, laquelle sert à faire corrompre le sperme ; c'est-à-dire, que par sa cru­dité et son acidité, il corrompt les éléments humides de l'humide radical, et les dissout ; en sorte qu'étant purifiés par cette altération, ils deviennent un aliment plus noble et plus propre pour la semence, à laquelle ils donnent lieu d'agir avec plus de vertu, et de conduire les choses à une plus grande maturité. Mais c'est assez parlé du règne animal.

A l'égard du végétal, nous disons de même, que le sperme des végétaux est leur humide radical, répandu dans toute la masse du corps, lequel est abondant en humidité aqueuse. Ce sperme ne demande qu'à être subtilisé et élevé en haut par l'attraction de l'air supérieur, parce qu'il est air lui-même & que la nature s'éjouit en sa nature ;de là vient que les arbres et les plantes s'élèvent en haut, laissant en bas la partie grossière jusqu'à ce qu'étant parvenus à une subtilité convenable, et le pur étant toujours séparé de l'impur, ils passent enfin en grain de semence. Ce grain, où est renfermé le sperme, est de nature hermaphro­dite, et contient en soi les qualités masculine & féminine ; car les végétaux n'ayant pas un mou­vement local pour faire l'accouplement des deux natures, il a été nécessaire que cette double nature fût contenue dans les grains, et dans les semences.

Ces grains demeurent sans action, et ne passent point à une nouvelle génération, à moins qu'ils ne soient mis en mouvement par un agent externe. Mais si le laboureur les jette dans une terre, qui leur soit propre, comme dans une matrice, dans laquelle il y ait une humeur crue et menstruale, alors ils se corrompent par le moyen de cette humeur et d'un certain esprit âcre nitreux, et par cette corruption, le sperme est purifié, et la semence dissoute, laquelle attire à soi son aliment pour sa restauration ; mais n'en trouvant pas suffisamment dans le grain même, elle est obligée d'en attirer de la terre, dont elle fortifie et multiplie la vertu.

Et en même temps, par cette attraction, sont aussi attirées quelques parties de terre et d'eau, qui servent de voies aux autres éléments et à l'humide radical ; et de cette façon la semence croît en quantité à l'égard du corps, et en qualité à l'égard de sa vertu. La semence est puissamment portée à une telle attraction, en sorte que ne pouvant demeurer en repos, elle va d'elle-même au-devant . du nutriment, s'étendant en racines, lesquelles se glissent sous terre pour y chercher sans cesse un nouvel aliment, et quoiqu'il y en ait abondamment dans l'air, toutefois celui qui est dans la terre a plus d'affinité avec la nature du grain, parce qu'il est moins spirituel ; ce qui a obligé le maître de la nature de disposer tellement les choses, qu'en même temps que les grains seraient semés, le froid de l'hiver environnât la terre, afin que les pores en étant bouchés, la semence ne pût aller prendre son aliment dans l'air, mais qu'elle le cherchât dans la terre, où, comme nous avons dit, il est plus convenable à sa nature.

Outre cela, par l'action du grand froid, cette vapeur des éléments, ou cet humide radical cru des choses, se conserve bien mieux en terre, parce que les pores en étant bouchés, les racines s'éten­dent bien plus librement dans son sein, et y devien­nent bien plus vigoureuses, y prenant un corps dur et solide, à cause de la froideur de la terre, er de la grossièreté de l'eau.

Mais quand le printemps vient reprendre la place de l'hiver, alors les pores de la terre s'ou­vrent ; et cette vapeur venant à s'exhaler, les raci­nes, qui se trouvent destituées d'aliment, sont obligées d'aller le chercher dans l'air, où elles sentent qu'il est, ce qui fait qu'elles s'élèvent, et sont comme attirées en haut, et dans cette élévation, le pur est toujours plus aisément séparé de l'impur, l'aliment grossier étant attiré des racines pour la production de la masse seule­ment. Au reste, la plante croît et se fortifie jus­qu'à ce qu'elle soit parvenue à un âge de perfec­tion ; après quoi son attraction étant affaiblie, elle est contrainte de s'arrêter dans les termes de sa grandeur ; mais le pur ne laisse pas toujours d'être séparé de l'impur, et de se renfermer sous une écorce, d'où il se forme une grande quantité de nouveaux grains et ainsi se fait la multiplication des végétaux, par laquelle d'un seul corps, il en naît plusieurs d'une façon merveilleuse.

Venons présentement aux minéraux, et disons qu'ils sont produits de la même manière, parce que la nature est une, et la même partout. A l'égard des métaux en particulier, comme nous avons déjà traité de leur génération, nous y ren­verrons le lecteur, nous contentant de dire quelque chose ici de leur semence. La semence des métaux est proprement leur chaud inné ; c'est-à-dire le feu enclos dans l'humide radical ; et parce que la nature a eu le temps et le lieu propre pour bien purifier leur humide et le subtiliser en vapeur, on peut dire que les métaux, à raison de leur grande homogénéité, ne sont autre chose que l'humide radical lui-même ; surtout les métaux parfaits, lesquels n'ont retenu aucune scorie, ni aucun soufre externe, mais en ont été séparés. Cet humide est appelé d'un autre nom, Argent vif ; mais il ne faut pas s'imaginer qu'il ait été purifié et subtilisé assez parfaitement pour avoir acquis entiè­rement une nature spermatique ; au contraire, il a contracté dans la terre quelque grossièreté par l'union d'une substance aqueuse, en laquelle les métaux abondent extrêmement ; ce qui fait que ce sont proprement des fruits de l'eau comme les végétaux le sont de la terre. Pour ce qui est des autres éléments, ils y sont mêlés diversement.

Le sperme donc des métaux est renfermé dans un corps, lequel corps est l'Argent vif, tant du vul­gaire que celui des autres métaux, et c'est lui qui en est proprement la matière ; en sorte que si vous séparez du métal la substance de l'Argent vif — (ce qui est facile à faire) ce qui reste n'est plus un métal. Ce sperme ne laisse pas d'être souillé, parce qu'il est renfermé dans un corps de terre et d'eau, et bien que cette eau et cette terre soient très pures et très resplendissantes au regard des autres corps, toutefois, par rapport à la semence, ce ne sont que comme des fèces, et comme une écorce ; parce que le point séminal est de la nature du ciel, dont il participe beaucoup plus que de la nature inférieure.

Ce sperme est le véritable véhicule de la lumière céleste, qui ne pouvait loger que dans un corps aussi pur, et ce corps est proprement la moyenne substance de l'argent vif, dont Géber et les autres parlent tant, disant que c'est la Pierre connue des philosophes et désignée dans leurs chapitres. Et que c'est enfin le véritable sperme des métaux, lequel, il faut nécessairement avoir, puisque sans lui la multiplication de la semence est impossible.

La semence des métaux est donc enclose dans ce sperme, de la même manière qu'il a été dit à l'égard des autres règnes ; mais dans des degrés différents, selon le plus ou le moins de coction et de purification. Elle se peut aussi extraire de tous corps, mais fort facilement à l'égard de quelques-uns, et très difficilement à l'égard des autres, c'est-à-dire, quasi point du tout. Il est nécessaire à l'artiste de bien connaître cette semence, et l'ayant connue, l'extraire pour opérer une nouvelle génération et multiplication. Mais avant cela, il est nécessaire que son sperme se putréfie, se sépare, et se purifie par un moyen pro­pre & un menstrue convenable, dans une matrice qui le soit aussi ; après quoi tu la trouveras mul­tipliée, et tu auras la véritable Pierre des philoso­phes, et le soufre des sages. Je te dis encore que cette semence a surtout acquis dans les métaux la nature fixe, ce qui a obligé les philosophes de la chercher particulièrement en eux, afin d'avoir une médecine fixe, qui ne se consumât pas aisément, ni ne s'envolât à une douce chaleur. Sois donc pru­dent, mon cher lecteur, dans l'extraction de cette semence. Si tu veux parvenir à l'Œuvre philosophi­que, que cela te suffise.


STROPHE VIII

Mais toute semence est inutile, si elle demeure entière, si elle ne pourrit, et ne devient noire ;
car la corruption précède toujours la génération. C'est ainsi que procède la nature dans toutes ses opérations ; et nous qui voulons l'imiter, nous devons aussi noircir avant de blanchir, sans quoi nous ne produirons que des avortons.

CHAPITRE VIII

Notre poète enseigne ici brièvement ce que nous avons déjà expliqué, à savoir que sans la putréfaction, il est impossible d'atteindre au but désiré, qui est la délivrance du soufre, ou semence, ren­fermée dans la prison des éléments. Et en effet, il n'y a que ce seul moyen, car si la semence n'est jetée en terre pour y pourrir, elle demeure inutile, la nature nous enseignant de procéder par la cor­ruption à la multiplication des semences. Or, cette corruption ne s'accomplit que dans un menstrue approprié, comme nous l'avons fait voir en par­lant des animaux et des végétaux.

Dans les animaux, le menstrue est placé dans la matrice, où le sperme se corrompt ; et à l'égard des végétaux, leur menstrue se trouve dans la terre, où les semences sont réincrudées et corrompues. Pour ce qui est des minéraux, leur menstrue est renfer­mé dans leur propre matrice, qui est prise pour leur terre. Mais comme dans les animaux les matrices doivent être confortées, et les femelles nourries des meilleurs aliments, sans quoi l'embryon aurait de la peine à être poussé dehors, ou reste­rait très infirme ; et comme il faut aussi dans les végétaux que la terre soit labourée, purifiée, appropriée et fumée, autrement en vain y jetterait-on du grain, il en est de même des minéraux, et surtout de nos métaux dans la procréation de l'élixir ; car si la semence aurifique n'est jetée dans une terre bien préparée, jamais l'artiste ne viendra à bout de ce qu'il souhaite, parce qu'au­trement la matrice sera infectée de vapeurs puan­tes et de soufres impurs. Sois donc très circonspect dans la culture de cette terre, après quoi jettes-y ta semence, et sans doute elle te rapportera beaucoup de fruit.

Fin du second Chant


CHANT TROISIEME

STROPHE I

O vous, qui pour faire de l'Or par le moyen de l'art, êtes sans cesse parmi les flammes de vos charbons ardents ; qui tantôt congelez, et tantôt dissolvez vos divers mélanges en tant et tant de manières, les dissolvant quelquefois entièrement, quelquefois les congelant seulement en partie ; d'où vient que comme des papillons enfumés, vous passez les jours et les nuits à rôder autour de vos fourneaux.

CHAPITRE PREMIER

Le front des chimistes, toujours moite de la sueur qu'il distille sans cesse, marque bien la dissolution de leur cerveau ; mais il a beau s'en élever des vapeurs, elles sont si noires et si impu­res, que bien loin que leur ignorance soit purgée par ce moyen, et leur tête purifiée, elles ne font que découvrir leur folie. C'est le supplice des damnés que d'avoir toujours envie de voir la lumière, et d'être dans de perpétuelles ténèbres. Il en est de même de ces chimistes ; car, quoique la lumière se lève pour les autres, ils demeurent toujours ensevelis dans un profond sommeil, et leurs yeux sont dans un aveuglement qui ne finit point.

Quel moyen de chasser d'autour d'eux les ténèbres qui les environnent, et comment dissoudre la grossièreté de leur esprit, si le feu continuel de leurs fourneaux a tellement raréfié leur enten­dement, qu'il ne leur en reste presque plus ? Vous les voyez sans cesse occupés à anatomiser toutes sortes de mixtes par leurs calcinations, dissolu­tions, cohobations, et sublimations, s'imaginant avoir distinctement, par ce moyen, les diverses sub­stances des éléments, et donnant à leurs mélanges, à leurs huiles, et à leurs folles confections divers noms, comme d'air, de feu, et semblables.

Quelle extravagance de prétendre purger les corps de leur crasse, et de leur impureté, par le moyen des eaux corrosives, et contre nature, qui corrompent et détruisent la nature, renfermée dans les mixtes ! Ces eaux dissolutives des philosophes ne doivent point mouiller les mains, parce qu'elles sont du genre des esprits mercuriels et permanents, qui ne s'attachent qu'aux choses qui sont de leur propre nature. Et s'ils lisaient les auteurs, ils verraient qu'ils enseignent que nulle eau ne peut dissoudre les corps d'une véritable dissolution, que celle qui demeure avec eux dans une même matière, et sous une même forme, et que les métaux dissous peuvent derechef recongeler. Mais, en vérité, quelle convenance y a-t-il entre les eaux de ces gens-là, et leurs corps ? nulle sans doute ; car, au lieu de se joindre à eux, elles surnagent au-dessus, et demeureraient de la sorte au feu jusqu'au jour du jugement. Malheureux qu'ils sont, ils préten­dent être fort habiles, et ne se sont jamais donné la peine d'apprendre ce qu'il faut nécessairement savoir avant toutes choses.

Il n'y a pas moins d'habileté à connaître l'eau des philosophes, qu'il y en a à connaître leur soufre ; et l'ouvrage de la solution est aussi caché chez eux, que l'Or qu'ils entendent qu'il faut dissoudre est mystérieux. Cela est cause que les ignorants prennent d'abord l'or vulgaire, ou quel­qu'un des autres métaux, et qu'ils essaient de le dissoudre avec le mercure, ou avec quelqu'autre minéral corrosif, ce qu'ils font vainement. Quelle folle raison leur peut persuader qu'un corps ter­restre sera conjoint avec une humidité aqueuse sans un milieu qui puisse unir ces deux natures, tous les philosophes ordonnant expressément de combiner les éléments par des milieux, et ensei­gnant que jamais les extrêmes ne peuvent être unis sans une nature participante des deux ?

Mais les pauvres gens ne savent rien de ce qu'il faut savoir, et ils veulent édifier sans avoir un bon fondement. Ils joignent ensemble diverses choses selon leur caprice et sans examen, et ils s'imagi­nent tout possible et tout aisé. Il y en a plusieurs d'entre eux qui, raisonnant suivant la capacité de leur petit cerveau, établissent pour un axiome indubitable que la matière est une ; qu'il faut la dissoudre et purifier, puis en extraire ce qu'elle a de pur, et ensuite la joindre avec un mercure bien lavé ; après quoi, sans autre industrie, et sans autre feu que celui des charbons, on doit la commettre aux soins de la nature. Ceux qui rai­sonnent de la sorte sont les plus doctes, et préten­dent entendre parfaitement les paroles des phi­losophes ; mais les pauvres ignorants n'en com­prennent pas la véritable intention.

Car avant de commettre l'ouvrage à la nature, il faut , à l'exemple du laboureur, que l'artiste choi­sisse le grain qui lui est nécessaire, qu'il le dépure, et qu'ensuite il le mette dans une terre bien culti­vée, après quoi il peut sans difficulté le confier aux soins de la nature, à l'aide d'une simple chaleur, administrée au-dehors. Qu'ils commencent donc par entendre ce que c'est que notre grain, ce que c'est que la culture de notre terre, et après ils pourront dire qu'ils savent quelque chose. Mais puisque nous avons touché ce qui regarde la solution, il est à propos que nous l'examinions avec un peu d'attention.

Les auteurs disent qu'il y a trois sortes de solu­tion dans l'ouvrage physique : la première, qui est la solution ou réduction du corps cru et métallique dans ses principes, à savoir en soufre et en argent vif. La deuxième, est la solution du corps physi­que. Et la troisième est la solution de la terre minérale. Ces solutions sont si enveloppées de termes obscurs, qu'il est impossible de les enten­dre sans le secours d'un maître fidèle. La première solution se fait lorsque nous prenons notre corps métallique, et que nous en rirons un mercure et un soufre. C'est là que nous avons besoin de route notre industrie, et de notre feu occulte artificiel pour extraire de notre sujet ce mercure ou cette vapeur des éléments, la purifier après l'avoir extraite, et ensuite par le même ordre naturel, délivrer de ses prisons le soufre, ou l'essence du soufre ; ce qui ne peut se faire que par le seul moyen de la solution et de la corruption laquelle il faut parfaitement connaître.

Le signe de cette corruption est la noirceur, c'est-à-dire qu'on doit voir dans le vase une certaine fumée noire, laquelle est engendrée de l'hu­midité corrompante du menstrue naturel ; car c'est d'elle que dans la commotion des éléments, se forme cette vapeur. Si donc tu vois cette vapeur noire, sois certain que tu es dans la droite voie, et que tu as trouvé la véritable méthode d'opérer.

La deuxième solution se fait quand le corps physique est dissous, conjointement avec les deux substances ci-dessus, et que dans cette solution tout est purifié, et prend la nature céleste c'est alors que tous les éléments subtilisés préparent le fondement d'une nouvelle génération, et c'est là proprement le véritable chaos philosophique, et la vraie première matière des philosophes, comme l'enseigne le comte Bernard ; car c'est seulement après la conjonction de la femelle & du mâle, du mercure et du soufre, qu'elle doit être dite la première matière, et non aupa­ravant. Cette solution est la véritable réincrudation par laquelle on a une semence très pure, et multipliée en vertu car si le grain demeurait en terre sans être réincrudé et réduit dans cette première matière, en vain le laboureur attendrait-il la moisson désirée. Tous les spermes sont inu­tiles pour la multiplication, s'ils ne sont aupara­vant réincrudés. C'est pourquoi il est très néces­saire de connaître parfaitement cette réincrudation, ou réduction en première matière, par laquelle seule se peut faire cette deuxième solution du corps physique.

A l'égard de la troisième solution, c'est pro­prement cette humectation de la terre, ou soufre physique et minéral, par laquelle l'enfant aug­mente ses forces ; mais comme elle a principale­ment son rapport à la multiplication, nous renver­rons le lecteur à ce que les auteurs en ont écrit. Voilà ce que nous avions à dire brièvement sur le sujet de la solution, afin que le lecteur puisse bien comprendre tout ce qui appartient à la théo­rie, et qu'avec ce secours il lise plus hardiment les écrits des philosophes, et se dépêtre plus facile­ment de leurs filets.

STROPHE II

Cessez désormais de vous fatiguer en vain, clé peur qu'une folle espérance ne fasse aller toutes vos pensées en fumée. Vos travaux n'opèrent que d'inutiles sueurs qui peignent sur votre front les heures malheureuses que vous passez dans vos. salles retraites. A quoi bon ces flammes violentes, puisque les sages n'usent point de charbons ardents, ni de bois enflammée pour faire l'Œuvre hermétique ?

CHAPITRE II

Nous devrions dans ce chapitre, pour suivre l'ordre de notre poète, parler du travail ridicule des artistes ignorants ; mais parce que nous en avons déjà dit quelque chose , et que nous aurons encore l'occasion d'en parler, nous n'y insisterons pas pour le présent, de crainte d'être trop prolixes. Nous nous contenterons seulement d'avertir le lec­teur sur le sujet du feu, qu'il ne faut pas enten­dre un feu de charbon, de fumier, de lampe, ni de quelque autre genre que ce soit ; mais que c'est le feu dont use la nature, ce feu si fort caché chez les philosophes, et donr ils ne parlent que très obscurément ; la construction duquel est aussi difficile qu'elle est secrète, et si les artistes la savaient, nous pouvons assurer hardiment qu'ils n'auraient qu'à entreprendre l'Œuvre des philoso­phes pour y réussir. Mais afin que le lecteur soit convaincu de nos bonnes intentions sur ce sujet, nous allons passer à l'explication du chapitre qui suit.

STROPHE III

C'est avec le même feu dont la nature se sert sous terre, que l'art doit travailler, et c'est ainsi qu'il imitera lu nature. Un feu vaporeux, mais qui n'est pourtant pas léger ; un feu qui nourrit et ne dévore point ; un feu naturel, mais que l'art doit faire ; sec, mais qui fait pleuvoir ; humide, mais qui dessèche. Une eau qui éteint, une eau qui lave les corps, mais qui ne mouille point les mains.

CHAPITRE III

Je ne m'étonne pas si plusieurs, et presque tous ont erré faute de connaître le feu ; car c'est comme si quelqu'un manquait d'instruments nécessaires à son art ; il est sûr qu'il ne viendrait jamais au bue qu'il se propose, et ne ferait rien que d'estropié et d'imparfait. Afin donc que vos ouvrages soient parfaits, ô enfants de l'art, servez-vous de ce feu instrumental, par lequel seul toutes choses se font parfaites. Ce feu est répandu par toute la nature, car sans lui elle ne saurait agir, et partout où la vertu végétative est conservée, là aussi ce feu est caché. Ce feu se trouve toujours joint à l'hu­mide radical des choses, et accompagne continuel­lement le sperme cru des corps. Mais, quoiqu'il soit ainsi répandu par toute la nature inférieure, et dispersé dans les éléments, il ne laisse pas d'être inconnu au monde, et ses actions ne sont pas assez considérées.

C'est ce feu qui cause la corruption des choses, car c'est un esprit très cru, ennemi du repos, qui ne demande que la guerre et la destruction. C'est une chose qu'on ne saurait trop admirer dans la nature que tout ce qui se trouve exposé à l'air, tour ce qui est dans l'eau, ou sous la terre se réduit à rien, et retourne dans son premier chaos. Les pierres les plus solides, les plus fortes tours, les plus superbes édifices, les marbres les ' plus durs, et .tous les métaux enfin, excepté l'or, sont réduits en poudre après une longue suite de temps.

Le vulgaire ignorant a coutume d'attribuer une chose si surprenante au temps qui dévore tout ; et cela vient de ce qu'il ignore ce qui est caché dans les éléments, et surtout dans l'air. C'est une flamme invisible et insensible qui insen­siblement consume tout, et l'enveloppe sous un profond silence. Ce feu dont nous parlons est dif­fus dans l'air, parce qu'il est tout aérien de sa nature. Par son esprit cru il décompose les mixtes, et détruisant les ouvrages de la nature, il réduit toutes choses dans leur premier être par le moyen de la corruption.

C'est par lui que les couvertures de plomb de certains bâtiments sont après un long temps converties en une rouille blanche, qui ressemble à la céruse artificielle, et qui étant lavée par l'eau des pluies, se confond avec elle et se perd. Le fer, tout de même, est changé en scorie peu à peu, et une partie après l'autre. Les cadavres des animaux, leurs ossements, les troncs des arbres, aussi bien que leurs racines, les marbres, les pier­res, les métaux, enfin tout ce qui est dans la nature, tombe par succession de temps et est réduit au néant par cette seule cause, et par ce seul feu secret.

Ce feu est quelquefois appelé Mercure par les philosophes, par une équivoque de nom ; parce qu'il est de nature aérienne, et que c'est une vapeur très subtile, participant du soufre avec lequel elle a contracté quelque souillure ; et nous disons de bonne foi que celui qui connaît le sujet de l'art, connaît aussi que c'est là principalement que réside notre feu, toutefois enveloppé de fèces et d'impuretés ; mais il ne se communique qu'aux vrais sages, qui le savent constituer et purifier.

Il a tiré du soufre une imperfection, et une siccité adustible, qui fait qu'on doit agir avec lui sage­ment et avec précaution, si on veut s'en bien ser­vir ; autrement il devient inutile. Faute de ce feu, la nature cesse souvent d'agir dans les corps, et où l'entrée lui est déniée, là ne se fait aucun mouve­ment vers la génération, la nature laissant son ouvrage imparfait dès que cet agent n'a plus son action libre. Ce feu est dans un continuel mouve­ment, et sa flamme vaporeuse tend perpétuelle­ment à corrompre, et à tirer les choses de puissance en acte ; comme il se voit dans les animaux, les­quels ne seraient jamais portés à la génération, ne rechercheraient jamais l'accouplement, et ne son­geraient jamais à la production de leurs sem­blables, sans ce feu prompt à se mouvoir, qui excite et réveille leur propre feu lorsqu'il est engourdi.

C'est lui qui est la véritable cause du mouve­ment libidineux, par lequel l'animal est porté à se joindre à son semblable, et y est excité par un aiguillon très piquant, ce qui fait qu'en cer­tains temps, les animaux sont tellement incités à l'âcre de la génération, que maigre tous les obstacles, oubliant toute tristesse, et méprisant toute douleur, ils s'y portent de toute leur puis­sance, et en suivent tous les mouvements avec joie. Qui des hommes serait assez fou pour souhai­ter toutes les saletés attachées à cette action ? Qui voudrait se donner toutes les peines qui servent ordinairement de moyen pour y parvenir ? Et qui ne craindrait de s'exposer aux maladies, qui dérivent de cette source, si on n'y était forcé par un mouvement violent, et entraîné par les lois de la nature ?

C'est ce feu, lequel répandu dans les mem­bres, agite tout le corps, usurpant un pouvoir tyrannique sur les facultés qui lui sont soumises, et soumettant toute notre volonté aux appétits de l'âme ; de sorte qu'on peut dire, si quelqu'un résiste à ses flammes, que es n'est que par un secours divin, et par le frein d'une raison toute-puissante. Cet esprit très subtil s'insinue dans les entrailles, les émeut fortement, et par son feu allume toute la masse du sang. C'est par sa chaleur que le feu interne est excité et comme invité au combat de Vénus, car elle se porte avec violence aux vases spermatiques, et les échauffe tellement que la semence pleine d'esprits se dilatant, et rom­pant les bornes de sa prison, ne demande qu'à être jetée dans la matrice de la femme, afin de s'y multiplier dans son propre vaisseau, en faisant passer sa vertu générative de puissance en acte.

Ce feu exerce un semblable pouvoir dans le règne végétal ; mais, quoiqu'il s'y trouve renfermé dans tous les corps, néanmoins, parce que les éléments y sont plus grossiers que dans le règne animal, il n'est pas excité si aisément, et il a be­soin de l'industrie de l'art, et qu'on appelle à son secours l'air, ou quelque autre élément, afin d'être rendu plus actif et plus prompt à opérer. Ce qui se remarque à l'arrivée du printemps et dans l'été ; car alors les pores des corps étant ouverts, ce feu répandu dans les éléments de l'eau, de la" terre et de l'air, s'insinue dans ces corps, et fait voir son action dans l'ouvrage de la végétation. Sans ce feu la nature, accablée sous le faix des excréments, ne ferait que languir, au lieu qu'étant réveillée par ce mouvement vif et pressant, elle agit sans cesse ; et devenue plus vigoureuse, elle épand sa vertu au long et au large.

On peut dire la même chose des minéraux, et comme ils s'engendrent dans les cavernes de la terre, il est aisé à cet esprit de feu de s'y conserver à cause de la solidité des lieux ; ce qui fait que la nature y engendre plus commodément les métaux surtout si les lieux ont déjà été purifiés par ce même feu. Mais comme il arrive quelquefois, à cause de la froideur du lieu, que les pores du corps sont bouchés, et que cela fait qu'ils demeurent sans action, pleins d'obstructions et d'excréments, alors cet esprit est obligé de vaguer dans ces antres, et y suscite souvent des mouvements vio­lents, après avoir abandonné son corps. Mais pour le mieux faire connaître ce feu, sache qu'il s'en­veloppe ordinairement d'excréments sulfureux ; parce qu'il désire la nature chaude, et qu'il se revêt d'un habillement salin, ce qui fait que la terre étant pleine de soufres, les métaux s'y engendrent très aisément, pourvu que les autres causes maté­rielles y interviennent.

Mais après que la nature a achevé la géné­ration des corps métalliques, il ne se fait point de multiplication à cause des empêchements dont nous avons parlé ci-devant, et que ce feu s'éva­nouit subitement. De là vient aussi que les métaux, qui ont souffert le feu de fusion, demeurent comme morts, parce qu'ils sont privés de leur moteur externe : et c'est ce qui oblige l'artiste, quand la nature a cessé d'agir, de la secourir en doublant ses poids, et en y introduisant un plus grand degré de feu.

Enfin, nous disons que ce feu, à cause de la siccité sulfureuse dont il participe, veut être humecté, afin de s'insinuer plus librement dans le sperme humide féminin, et le corrompre par son humi­dité superflue ; mais à cause de sa qualité volatile et sèche, il est très difficile de l'attraper, et il faut le pécher avec un rets bien délié par un moyen qui soit propre à cela. C'est dans cette occasion que l'artiste doit connaître parfaitement les sym­pathies des choses et leurs propriétés, et qu'il doit être versé dans la magie naturelle. Le menstrue doit être aiguisé par ce feu, afin que ses forces en soient augmentées et il ne suffit pas à l'artiste de connaître le feu, il faut encore qu'il sache l'administrer, et qu'il entende parfaitement les degrés de sa proportion ; mais comme cela dépend de l'expérience et de l'habileté des maîtres, nous n'en dirons pas davantage présentement.

STROPHE IV

C'est avec un tel feu que l'art, qui veut imiter la nature, doit travailler, et que l'un doit suppléer au défaut de l'autre. 'Nature commence, l'art achève, et lui seul purifie ce que la nature ne pouvait purifier. L'art a l'industrie en partage, et la nature la simplicité ; de sorte que si l'un n'aplanit le chemin, l'autre s'arrête tout aussitôt.

CHAPITRE IV

Nous avons fait voir ci-dessus en quoi consiste l'habileté de l'art, à savoir à secourir la nature, et surtout dans l'administration du feu, tant externe qu'interne. Ce dernier sert pour l'abréviation de l'Œuvre, et consiste dans l'addition d'un soufre plus mûr et plus digeste, par le moyen duquel la sublimation physique se parfait entièrement ; car le feu augmente le feu, et deux feux unis, échauf­fent davantage et convertissent les éléments pas­sifs en leur nature, bien plus aisément que ne saurait le faire un seul. C'est donc un très grand artifice que de savoir secourir le feu par le feu, et tout l'art de la chimie n'est autre chose que de bien connaître les feux, et les savoir bien adminis­trer.

Les philosophes nous parlent dans leurs livres de trois sortes de feu, le naturel, l'innaturel, et le feu contre nature.

Le naturel est le feu masculin, le principal agent ; mais pour l'avoir, il faut que l'artiste emploie tous ses soins et toute son étude ; car il est tellement languissant dans les métaux, et si fort concentré en eux, que sans un travail très opi­niâtre, on ne peur le mettre en action.

L'innaturel est le feu féminin, et le dissolvant universel, nourrissant les corps, et couvrant de ses ailes la nudité de la nature ; il n'y a pas moins de peine à l'avoir que le précédent. Celui-ci paraît sous la forme d'une fumée blanche, et il arrive très souvent que sous cette forme il s'évanouisse par la négligence des artistes. Il est presque incom­préhensible, quoique par la sublimation physique, il apparaisse corporel et resplendissant.

Le feu contre nature est celui qui corrompt le composé, et qui le premier a la puissance de dis­soudre ce que la nature avait fortement lié. Il est voilé sous une infinité de noms, afin d'être mieux caché aux ignorants, et pour bien le connaître il faut beaucoup étudier, lire et relire les auteurs, et comparer toujours ce qu'ils disent avec la possi­bilité de la nature. Il y a outre cela divers feux, comme de fumier, de bain, de cendres, d'écorces d'arbres, de noix, d'huile, de lampe et autres qui tous sont compris mystiquement sous la catégorie de ces trois feux, ou par eux-mêmes, ou en partie, ou en tant qu'unis ensemble ; mais parce qu'il faudrait un gros volume pour expliquer tous ces noms, et plusieurs autres encore qui se trouvent dans les livres, il suffira pour le présent, et dans le dessein que nous avons d'éviter la prolixité, d'en avoir donné quelque idée, d'autant mieux que notre poète a si clairement décrit les propriétés de ce feu, qu'il semble n'être pas besoin d'un plus grand éclaircissement.

STROPHE V

A quoi donc servent tant et tant de substances différentes dans des cornues, dans des alambics, si la matière est unique aussi bien que le feu ? Oui, la matière est unique, elle est partout, et les pauvres peuvent l'avoir aussi bien que les riches. Elle est inconnue à tout le monde, et tout le monde l'a devant les Jeux ; elle est méprisée comme de la boue par le vulgaire ignorant, et: se vend à vil prix ; mais elle est précieuse au philosophe, qui en connaît la valeur.

CHAPITRE V

Presque tous les philosophes conviennent entre eux sur l'unité de la matière, et affirment unani­mement qu'elle est une en nombre et en espèce ; mais plusieurs d'entre eux entendent parler de la matière physique, qui est une substance mercurielle, et à cet égard, ils disent qu'elle est une, parce qu'en effet, il n'y a qu'un seul mercure en toute la nature, quoiqu'il contienne en soi diverses qualités, par lesquelles il varie, selon la diverse domination et altération de ces qualités. Pour moi, je n'entends point ici cette sorte d'unité, mais celle qui regarde le sujet physique, que l'artiste doit prendre à la main et qui sans aucune équivo­que est unique ; car notre œuvre ne se fait point de plusieurs matières, l'art n'étant pas capable de mêler les choses avec proportion, ni de connaître les poids de la nature. Il n'y a donc qu'une nature, qu'une opération, et enfin qu'un seul sujet, lequel sert de base à tant d'opérations, merveilleuses.
Ce sujet se trouve en plusieurs lieux, et dans chacun des trois règnes ; mais si nous regardons à la possibilité de la nature, il est certain que la seule nature métallique doit être aidée de la nature, et par la nature. C'est donc dans le règne minéral seulement où réside la semence métallique, que nous devons chercher le sujet propre à notre art, afin de pouvoir opérer facilement. Mais quoi­qu'il y ait plusieurs matières de cette sorte, il y en a une pourtant qu'il faut préférer aux autres.

Il y a divers âges dans l'homme, mais l'âge viril est le plus propre à la génération. Il y a diverses saisons dans l'année, mais l'automne est la plus propre à cueillir la moisson. Enfin, il y a divers luminaires dans le ciel, mais le soleil est le seul propre à illuminer. Apprends donc a connaître quelle es la matière la plus propre, et choisis la plus facile. Nous rejetons surtout toutes les matiè­res, dans lesquelles l'essence métallique n'est pas renfermée, non seulement en puissance, mais aussi en acte très réel, et ainsi tu n'erreras pas au choix de ta matière. Où n'est pas la splendeur métalli­que, là ne peut être la lumière de notre sperme.

Laisse donc chacun dans son erreur et prends garde de te laisser surprendre aux fourberies, et aux illusions, si tu veux réussir dans ton dessein. Et sache certainement que tout ce qui est nécessaire à l'art est renfermé dans ce seul et unique sujet. Il est vrai qu'il faut aider la nature afin qu'elle fasse mieux son ouvrage, et qu'elle l'achève plus promptement, et cela par un double moyen, lequel, sur toutes choses il te faut connaître,

Ce sujet non seulement est un, mais il est outre cela méprisé de tout le monde, et à le voir on n'y reconnaît aucune excellence. Il n'est point ven­dable, car il n'est d'aucun usage hors l'Œuvre philosophique, et lorsqu'il est dit par les philo­sophes que toute créature en use, qu'il se trouve dans les boutiques, et qu'il est connu, de tout le monde, ils entendent par là ou l'espèce ou la substance interne du sujet, qui, étant mercurielle, se trouve en toutes choses.

Bien des gens l'ont souvent dans leurs mains, et le rejettent par ignorance, ne croyant pas qu'il puisse y avoir rien de bon en lui, comme il m'est arrivé plusieurs fois à moi-même. Mais afin de te le marquer plus clairement, voici une nouvelle leçon que je vais te donner. Sache donc que le soufre philosophique n'est autre chose que le feu très pur de la nature, dispersé dans les éléments, et renfermé par cette même nature dans notre sujet, et dans plusieurs autres, où il a déjà reçu quelque coction, par laquelle il est en partie congelé et fixé ; toutefois sa fixité n'est encore qu'une puissance, parce qu'il est enveloppé de beaucoup de vapeurs volatiles, qui sont cause qu'il s'envole aisément et s'évanouit dans les airs.

Car lorsque dans un sujet la partie volatile sur­monte la fixe, toutes deux deviennent volatiles, et cela est selon les règles, et la possibilité de la nature. Cette lumière ne se trouve donc point actuellement fixe sur la terre, sans être surmontée des qualités contraires, hormis dans l'Or ; ce qui fait que l'Or est le seul de tous les corps où les éléments sont dans une proportion égale, et par conséquent fixe et constant au feu. Mais lorsque cette vertu fixe est surmontée par une plus grande partie volatile de même nature qu'elle, et qu'elle se trouve jointe à des excréments vaporeux, alors elle perd cette fixité pour un temps, quoiqu'elle l'ait toujours en puissance.

Notre soufre, lequel est requis pour l'Œuvre, est la splendeur du soleil et de la lune, de la nature des corps célestes, et revêtu d'un sem­blable corps. Ainsi il faut que ru cherches soigneu­sement en quel sujet cette splendeur peur être et s'y peut conserver, et sache que là où est cette splen­deur, là est la Pierre tant recherchée. Il est de la nature de la lumière de ne pouvoir paraître à nos yeux sans être revêtue de quelque corps, et il faut que ce corps soit propre aussi à recevoir la lumière. Là où est donc la lumière, là doit aussi être néces­sairement le véhicule de cette lumière.

Voilà le moyen le plus facile pour ne point errer. Cherche donc avec la lumière de ton esprit, la lumière qui est enveloppée de ténèbres, et apprends de là que le sujet le plus vil de tous, selon les ignorants, est le plus noble selon les sages, puisqu'on lui seul la lumière repose, et que c'est par lui seul qu'elle est retenue et conservée. Il n'y a aucune nature au monde, exceptée l'âme raisonnable, qui soit si pure que la lumière, ainsi le sujet qui contient la lumière doit être très par, et le vase qui doit servir à tous les deux ne doit pas non plus manquer de pureté. Voilà comment dans un corps très abject est renfermée une chose très noble, et cela afin que toutes choses ne soient pas connues de tous.

STROPHE VI

C'est cette matière, si méprisée par les ignorants, que les doctes cherchent avec soin, puisqu'on elle est tout ce qu'ils peuvent désirer. En elle se trou­vent conjoints le soleil et la lune, non les vulgaires, non ceux qui sont morts. En elle est renfermé le feu, d'où ces métaux tirent leur vie ; c'est elle qui donne l'eau ignée, qui donne aussi la terre fixe ; c'est elle enfin qui donne tout ce qui est néces­saire à un esprit éclairé.

CHAPITRE VI

Notre poète continue dans ce chapitre d'ensei­gner à sa manière ordinaire, ce que nous avons déjà dit du sujet de l'art ; mais afin de ne pas ennuyer par des répétitions, nous dirons seule­ment ici que dans ce sujet sont renfermés le sel, le soufre et le mercure des philosophes, lesquels doivent être extraits l'un après l'autre par une sublimation physique parfaite et accomplie.

Car d'abord on doit tirer le Mercure en forme de vapeur ou de fumée blanche, et ensuite dissoudre l'eau ignée, ou le soufre par le moyen de leur sel bien purifié, volatilisant le fixe, et conjoignant les deux ensemble dans une union parfaite. A l'égard de cette terre fixe, dont notre père dit qu'elle est contenue dans notre sujet, nous disons qu'en elle gît la perfection de la Pierre, le vérita­ble lieu de la nature, et le vaisseau où se reposent les éléments. C'est une terre fusible et ignée, très chaude et très pure, laquelle doit être dissoute et inhumée, pour être rendue plus pénétrante, et plus propre à l'usage des philosophes, et pour être enfin le second vaisseau de toute la perfection. Car, comme il est dit au sujet du mercure que le vais­seau des philosophes est leur eau, aussi peut-on dire à l'égard de cette terre, que le vaisseau des philosophes est leur terre. La nature, comme une prudente mère, t'a donné, mon cher lecteur, dans ce seul sujet tout ce que tu peux désirer afin que tu en tires le noyau, et que tu le prépares pour ton usage.

Cette terre, par sa sécheresse ignée et innée, attire à soi son propre humide, et le consume ; et à cause de cela elle est comparée au dragon qui dévore sa queue. Au reste, elle n'attire et n'assi­mile à soi son humide que parce qu'il est de sa même nature. Par où se découvre la sottise de ceux qui essaient vainement d'unir et de congeler par le moyen de leurs eaux, des choses tout à fait opposées et aussi éloignées entre elles, que le ciel l'est de la terre, dans lesquelles il ne se fait pas la moindre attraction. La chaleur externe n'est pas capable de congeler l'eau, à quelque degré que soit mise cette chaleur ; bien loin de cela, elle la dissout, et la raréfie en l'élevant dans les airs. Mais la chaleur interne de notre terre physique opère bien plus naturellement ; aussi en arrive-t-il une sûre et parfaite congélation.

STROPHE VII

Mais au lieu de considérer qu'un seul composé suffit au philosophe, vous vous amusez, chimistes insensés, à mettre plusieurs matières ensemble ; et au lieu que le philosophe fait cuire a une cha­leur douce et solaire, et dans un seul vaisseau, une seule vapeur qui s'épaissit peu à peu, vous mettez au jeu mille ingrédients différents ; et au lieu que Dieu a fait toutes choses de rien, vous au contraire, vous réduisez, toutes choses, à rien.

CHAPITRE VII

Notre auteur se moque en cet endroit de tous les vains travaux des chimistes vulgaires, et surtout de ceux qui travaillent sur diverses matières à la fois ; ce qui répugne entièrement à la vérité de la science ; car ces substances sont séparées ou par la nature ou par l'art. Si c'est par la nature, quoi qu'ils fassent, ils ne pourront jamais conjoindre ce que la nature a disjoint, et toujours la substance aqueuse surnagera ; ce qu'il y a même à considérer, c'est qu'ils ne connaîtront jamais le juste poids, parce qu'ils n'ont pas en leur pouvoir la balance de la nature, laquelle, par ses attractions, pèse les essences des choses ; et ainsi il arrivera que ces ignorants, bien loin de fortifier ces attractions, les détruiront, ne considérant pas que l'estomac de l'animal attire seulement ce qui lui est nécessaire, et rejette le reste par les excréments. Il leur est donc impossible de connaître ce véritable poids et par conséquent leur erreur est sans remède ; car prenant des choses contraires et déjà séparées par la nature, dans lesquelles il ne se peut faire d'attraction, jamais le poids ne se trouvera.

Que si ces substances sont séparées par l'art, le poids de la nature ne s'y trouvera pas non plus, étant détruit et dissipé par la discontinuité des éléments, et une partie demeurera toujours sépa­rée de l'autre. Ainsi ceux-là n'errent pas moins qui, prenant deux matières, prétendent les travailler, les purifier et les conjoindre par leurs sophistiques opérations, que ceux qui, ne prenant qu'un seul sujet, le divisent en plusieurs parties, et par une vaine dissolution, croient les réunir derechef. Notre art ne consiste point en pluralité et quoiqu'il soit ordonné presque dans tous les traités des philoso­phes de prendre tantôt une chose et tantôt une autre, à savoir une partie fixe et une partie volatile, ou bien de prendre de l'Or ou quelque autre corps, le purifier, le calciner et le sublimer, tout cela n'est que tromperie et qu'un pur mouvement d'en­vie pour abuser les hommes ; mais quand ils auront reconnu leurs erreurs par leur propre expé­rience, alors ils verront que je n'ai enseigné que la vérité.

STROPHE VIII

Ce n'est point avec les gommes molles ni les durs excréments, ce n'est point avec le sang ou le sperme humain, ce n'est point avec les raisins verts ni les quintessences herbales, avec les eaux fortes, les sels corrosifs, ni avec le vitriol romain, ce n'est pas non plus avec le talc- aride, ni l'antimoine impur, ni avec le soufre, ou le mercure, ni enfin avec les métaux même du vulgaire qu'un habile artiste travaillera à notre grand Œuvre,

CHAPITRE VIII

Ceux qui travaillent sur les animaux, les végé­taux, et sur tout ce qui en dépend, se trompent fort lourdement ; et quiconque peut s'imaginer de telles choses, n'est pas digne de porter le nom de philosophe. Car, quelle convenance, je vous prie, y a-t-il entre les animaux et les métaux, soit matérielle, soit formelle ? Diront-ils, pour s'excu­ser, que les animaux, les végétaux, et les minéraux ont un même principe de substance en général, étant tous sortis d'un seul et même chaos ? De tels ignorants ne connaissent guère la nature, et n'ont jamais aperçu sa lumière ; aussi serait ce du temps perdu que de s'amuser à réfuter une si vaine opi­nion, d'autant plus qu'on ne doit jamais disputer contre ceux qui nient les principes. On se contente donc de leur dire qu'au lieu d'entreprendre tant de vaines opérations sur des raisons aussi faibles, il leur serait encore plus pardonnable d'anatomiser les éléments de l'air ou de l'eau commune, dans lesquels ils pourraient trouver ces mêmes substan­ces et moins souillées d'excréments. On peut dire la même chose à ceux qui s'amusent à travailler sur les gommes et sur les résines, qui ne sont proprement que des excréments de l'humide radi­cal des végétaux, que la nature a rejetée comme une superfluité. Ce n'est pas qu'il n'y ait eu quel­que légère altération des éléments, et qu'elles ne renferment quelque vertu spécifique, capable d'ac­tion ; mais que cela est bien éloigné de la nature minérale, dans laquelle seule on doit chercher ce qu'il faut pour notre œuvre.

Ceux-là se précipitent encore dans un abîme d'er­reurs qui travaillent sur les sels, et sur les eaux fortes et corrosives ; car ces choses n'ont point en elles cet admirable soufre physique, la nature n'étant jamais que dans sa propre nature ; et de plus, elles n'ont point cette splendeur métallique qu'il nous faut nécessairement trouver. Ces sortes d'eaux ne sauraient jamais nous être utiles, car ce sont des humidités contre nature qui la dissipent et la détruisent par leurs impuretés, et leurs esprits puants ; et bien loin de nous servir de leur minis­tère pour notre art, nous devons au contraire les éviter comme une peste.

Mais que dirons-nous de ceux qui travaillent sur le vitriol ? Car il semble qu'ils ont touché droit au but, le vitriol contenant en soi les prin­cipes desquels se forme l'essence métallique ; et ainsi, ayant le principe, il n'est pas malaisé d'ar­river à la fin. Nous disons qu'ils se trompent comme les autres, parce que ce principe est trop éloigné, et qu'il nous faut prendre une matière prochaine et spécifiée, dans laquelle la nature ait pesé ses spermes et y ait renfermé une semence prolifique. Or, le vitriol ne contenant point cette semence métallique, laquelle, nous l'avons dit, ne se trouve pas dans le sang encore cru, mais seule­ment dans un corps amené à un certain terme de perfection, c'est à bon droit qu'il est rejeté et qu'il ne peut être pris pour notre matière. Il en est de même du soufre et de l'argent vif vulgaires, en chacun desquels il manque quelque chose, à savoir en celui-ci l'agent propre, et en l'autre la matière due ou le patient ; à cause de quoi ils sont rejetés de tous les philosophes. Il faut dire encore la même chose des autres minéraux, dans lesquels on ne saurait trouver cette splendeur et cette essence métallique, dont nous avons parlé.

Mais pour ce qui regarde l'antimoine, il semble qu'il soit en état de nous donner ce que nous cherchons ; car il a une si grande affinité avec les métaux, qu'on peut dire que c'est proprement un métal cru. Cependant, si nous examinons sa composition intrinsèque, il est certain que nous trouverons qu'il a de très grandes superfluités, et entre autres une humidité grossière et indéfinie, qu'il est très difficile à l'art de purifier, à cause que sa nature est trop déterminée au Saturne, étant proprement un plomb ouvert et cru, transmué par- l'opération de la nature, ce qui a obligé les philosophes de défendre qu'on s'y attachât, ni ' qu'on y travaillât sur lui.

Ceux qui travaillent sur les métaux, errent encore beaucoup dans le choix de la matière prochaine qu'il faut prendre ; car étant unique, il n'est pas nécessaire de s'amuser par trop de raffi­nement à faire des amalgames, ni aucune autre vaine mixtion. Mais comme nous avons déjà traité de leur génération et des causes de leur imperfec­tion, laquelle les empêche d'être propres pour notre Œuvre, nous renverrons le lecteur à ce qui en a été dit.

Pour la conclusion de ce chapitre, nous aver­tissons ici le fils de la science, qu'il doit profiter des expériences d'autrui, et se mettre en tête que puisque tant de gens ont travaillé sur les minéraux, par une infinité d'opérations différentes, sans pour­tant frapper au but, il faut nécessairement qu'ils aient erré à l'égard des principes, et des fondements de l'art, comme le comte Bernard le justifie par sa propre expérience, nous apprenant qu'il a voyagé presque par tout le monde sans jamais trouver que des opérateurs sophistiques, lesquels ne travaillaient pas en matière due, mais toujours sur de mauvaises matières, toutes lesquelles il nomme et condamne en même temps comme inu­tiles pour l'Œuvre.

Il faut donc qu'il y ait une autre voie, et une autre matière que les yeux du vulgaire ne dis­cernent point ; car si la matière était, une fois connue, il est certain qu'après beaucoup d'erreurs, on trouverait enfin le secret de la bien travailler ; mais on voit qu'ils ne la connaissent pas, à cela particulièrement qu'ils se jettent d'erreur en erreur, sans pouvoir jamais s'en dépêtrer, ni discerner la moindre vérité. Ils ont toujours dans les mains des métaux et des minéraux, et ne savent point lesquels sont vifs, lesquels sont morts, lesquels sont sains, lesquels sont malades, et de cette igno­rance naît encore une infinité d'autres erreurs. Jusqu'à ce qu'après s'être longtemps flattés inu­tilement, perdant enfin tout espoir, ils ne songent plus qu'à tromper les autres.

STROPHE IX

A quoi servent tous ces divers mélanges, puis­que notre science renferme tout le magistère dans une seule racine que je vous ai déjà assez fait connaître, et peut-être plus que je ne devais. Cette racine contient en elle deux substances qui n'ont pourtant qu'une seule essence ; et ces substances, qui ne sont d'abord Or et Argent qu'en puissance deviennent enfin Or et Argent en acte, pourvu que nous sachions bien égaliser leurs poids.

CHAPITRE IX

Comme notre auteur parle ici de l'égalité des poids, nous nous croyons obligé, nonobstant ce que nous en avons déjà dit, d'en instruire de nou­veau le lecteur studieux.

C'est l'office de l'art et non de la nature d'ob­server exactement le poids en toutes choses. Mais quand la nature a déjà ses propres poids, comme nous l'avons fait voir dans le chapitre septième, la même doctrine nous apprend à accommoder nos poids aux poids de la nature, et d'y travailler comme elle le fait, par voie de purification et d'attraction, c'est-à-dire que quand nous avons bien purifié nos substances, et que de la nature terrestre nous les avons élevées à la dignité céleste, dans le même moment et par la force de l'attraction nous pesons nos éléments dans une si juste proportion qu'ils demeurent comme balances, sans qu'une partie puisse surpasser l'autre, car lorsqu'un élément égale l'autre en vertu, en sorte par exemple que le fixe ne soit point sur­monté par le volatil, ni le volatil par le fixe, alors de cette harmonie naît un juste poids, et un mé­lange parfait.

Cette égalité de poids se voit manifestement dans l'Or vulgaire, et c'est ce qui fait que les vertus des éléments demeurent tranquilles en lui, sans qu'aucun domine sur l'autre ; mais au contrai­re, leur force étant unie par ce moyen, il est capa­ble de résister à toutes les qualités contraires des éléments survenant du dehors. Dans notre Œuvre tout de même, lorsqu'un pareil mélange est achevé, nous pouvons dire que nous avons le véritable Or vif des philosophes, parce que la vie est bien plus abondamment en lui que dans l'Or vulgaire, et qu'il est tout rempli d'esprits, en sorte qu'on peut le regarder aussitôt comme un vrai Mercure, que comme un Soufre. Cela doit suffire au sujet des poids.

STROPHE X

Oui, ces substances se font Or et Argent actuel­lement, et par l'égalité de leurs poids, le volatil est fixé en Soufre d'or. 0 soufre lumineux ! 0 véri­table Or animé ! J'adore en toi toutes les merveil­les et toutes les vertus du Soleil. Car ton Soufre est un trésor, et le véritable fondement de l'art, qui mûrit en élixir ce que la nature mène seule­ment à la perfection de l'Or.

CHAPITRE X

Les philosophes ont écrit plusieurs choses tou­chant la vertu de leur Soufre ou Pierre cachée ; et comme en cette occasion, ils n'ont point déguisé la vérité, mais au contraire l'ont éclaircie le plus qu'ils ont pu, le lecteur pourra s'instruire suffisam­ment dans leurs livres, où il trouvera que ce n'est autre chose que l'humide radical de la nature, revêtu et enrichi des qualités du chaud inné, lequel a le pouvoir d'opérer des choses admirables, et même incroyables, démontrant puissamment ses vertus dans les trois règnes.

Nous avons déjà fait voir ce qu'il peut opérer sur les animaux. A l'égard des végétaux, il est sans doute qu'il peur peut en étendre si fort la vertu, qu'un arbre portera du fruit trois ou quatre fois l'année, et bien loin que ses forces en soient diminuées, elles en seront augmentées ; car c'est un Soleil terrestre qui épand sans cesse ses fertiles rayons du centre à la circonférence, fortifiant si puissamment la nature, qu'elle multiplie au cen­tuple.

On voit que les jardiniers ont bien su trouver le secret d'avoir des rosés tous les mois, et de mutiplier assez leur vertu pour la faire aller au-delà du terme ordinaire. Pourquoi donc, par une confortation encore plus grande, ne fera-t-on pas croître et multiplier les autres végétaux ? Et pour ce qui est des minéraux, ne doit-on pas croire qu'il fera encore sur eux de bien plus grands effets, puisqu'ils ont beaucoup plus de convenance avec sa nature fixe, et que ces effets-là seront mille fois plus admirables que ne disent les auteurs, dont la plupart ne l'ont pas bien su, et les autres l'ont exprès enveloppé sous le silence ? Quoi qu'il en soit, nous soutenons que par le moyen de ce grand secret, il sera possible à un habile artiste d'étendre si loin la force et la vertu des choses, que ce qu'il opérera paraîtra miraculeux et surna­turel, surtout s'il sait bien se prévaloir de la connaissance qu'il aura des vertus sympathiques.

A l'égard de ce qu'on dit que par notre Pierre, le verre est rendu malléable, la chose est fort incertaine, quoique par raison elle soit possible, puisque, la malléabilité ou l'extension provient d'une certaine oléaginité fixe et radicale, qui conglutine les choses, et les unit par leurs plus peti­tes parties, en quoi notre Pierre abonde extrême­ment. Le verre étant donc une très pure portion de terre et d'eau privée de son humide radical, comme nous avons fait voir au chapitre du Mercure, il ne serait pas surprenant qu'en lui redonnant un nou­vel humide radical, ses parties se conglutinassent, et fissent ensemble un certain être homogène.

Enfin, une infinité de miracles se peuvent faire par cette voie-là, lesquels ne feront pourtant que l'effet de la simple magie naturelle, mais que les ignorants croiront être des productions du démon, ne faisant pas réflexion que c'est un sacrilège et une impiété que d'attribuer à ce malin esprit ce qui est dû à la seule nature, ou à l'auteur de la nature.

Au lieu d'épilogue, nous avertissons seulement le lecteur que s'il lit ces choses dans l'esprit d'une sage curiosité et avec le désir de s'instruire, nous voulons bien consacrer avec joie cet écrit à son loisir, afin qu'il en puisse retirer le fruit qu'il sou­haite, à proportion de l'étendue et: de la capacité de son esprit, ce que nous prions Dieu de lui accorder. Mais il doit savoir aussi que tout don parfait vient du Père des lumières, et qu'il est écrit que la sapience n'entrera jamais dans une âme souil­lée, et qu'on aura beau avoir l'esprit subtil, ou une profonde érudition, si le Très-Haut ne daigne regarder en pitié ceux qui l'invoqueront en sincé­rité de cœur, et ne leur accorde gratuitement ce grand don. Quiconque donc s'approchera sans cette véritable disposition, s'en retournera sans aucun fruit. Nous protestons au reste que si nous avons avancé quelque chose contre la foi catholi­que et chrétienne, directement ou indirectement, nous voulons que cela soit tenu pour non écrit, reconnaissant que le principal point du philoso­phe est de marcher selon la règle de Jésus-Christ le Rédempteur, et de craindre sur toutes choses Dieu notre Souverain Juge.

FIN